Chapitre 9
De la littéralité à la littérarité : comment se servir de l’ordre des mots pour structurer l’information et la comprendre
p. 223-241
Texte intégral
1La méthode de lecture ici développée, en lien étroit avec les différents comptes rendus d’expérience qui l’accompagnent, et qui invite à suivre l’ordre des mots de l’original, est née de la nécessité de faire lire de nombreux et longs passages en latin et en grec, à un rythme soutenu, à des étudiants de première année de classes préparatoires littéraires (Lettres supérieures) qui s’initient à la langue afin de se présenter l’année suivante au concours des Écoles normales supérieures. En des proportions moindres, elle pourrait s’appliquer à des collégiens ou des lycéens, possédant les bases morphologiques de la langue ou s’aidant éventuellement de tableaux de grammaire1. En outre, cette méthode s’est nourrie de recherches personnelles, en linguistique, sur l’organisation de l’information dans l’énoncé, telle qu’elle se présente dans sa linéarité2.
2Le jeune lecteur est souvent dérouté par la manière classique de lire un texte ancien, consistant à déplacer les mots et syntagmes, parfois d’un bout à l’autre de la phrase, selon une lecture qui ne correspond pas du tout à sa façon de faire dans sa langue maternelle. Je tenterai de montrer, à l’aide d’exemples détaillés, qu’il est possible au contraire de le faire lire dans le sens même de sa lecture, avec des effets parfois saugrenus, souvent surprenants – non sans plaisir, mais toujours pertinents pour l’interprétation. Déjà en 1887, W. G. Hale3 avait proposé de suivre l’ordre des mots : sans se demander où est le sujet, où est le verbe, il montre combien il est préférable, au premier mot entendu, de se mettre en position d’attente interprétative. Je m’intéresserai cependant moins aux hypothèses analytiques que nécessite une telle pratique de lecture, qu’aux multiples avantages de suivre fidèlement l’ordre des constituants, dans le but de construire le sens de la phrase au fur et à mesure de son déroulé et dans sa globalité. Ainsi, dans un énoncé oral tel que Le chocolat Pierre aime, on comprend rapidement que ce n’est pas le chocolat qui aime Pierre ; en latin et en grec, une même interprétation intuitive et logique pourrait offrir une lecture plus fluide de l’original. Il n’est pas exclu également que la saisie de la phrase dans son organisation originelle aide non seulement à en garder le mouvement, mais encore la lettre et l’esprit. L’apparente liberté du placement des mots dans la phrase latine ou grecque n’est-elle pas en partie proche de celle du français oral, c’est-à-dire d’un usage de la langue qui a une dimension profondément dialogique ? N’est-il pas possible d’en garder le principe dans la lecture même du texte ancien, en évitant ainsi le contresens littéraire ?
3L’approche des textes que je propose est articulée autour de trois grands axes, qui convergent dans une même direction afin d’extraire la substantifique et authentique moelle du texte. À mes yeux, tout texte est un dialogue, d’un auteur à un lecteur, d’un auteur antique à un lecteur antique – mais aussi moderne et, dans cette distance temporelle, demeure une permanence que les étudiants aiment à saisir quelles que soient les différences. L’homme moderne, comme l’était l’ancien, est un être de dialogue4. C’est cette structuration informationnelle, c’est-à-dire l’organisation de l’information par un locuteur en vue de sa réception par un interlocuteur, qui constituera le point commun aux trois axes développés : comment l’auteur a construit son information, comment le lecteur la saisit dans le déroulement linéaire de l’énoncé et comment celui-ci peut la transcrire sans trop la trahir. Toute traduction restera une trahison, mais l’élève peut se prendre au jeu de chercher à pénétrer le sens exact du texte, deux millénaires au moins après sa rédaction – peut-être aussi la pensée de l’auteur, dans le dialogue qu’il noue avec son lecteur.
I. Faire sentir le rapport constructif entre thématique et établissement d’un programme
4Avant de faire lire l’élève, afin que ce dernier s’approprie au mieux le texte, il paraît important de le faire réfléchir sur la thématique du texte. Si l’objet de l’activité mentale est en effet posé sur le mode réfléchi, le parcours proposé se construit de manière féconde dans une découverte progressive et non démultipliée de la thématique. Autrement dit, au lieu d’envisager des entrées au miroitement kaléidoscopique, je propose un type notionnel de programme fondé sur une marche d’approche en trois étapes, et supposant une centration sur l’apprenant, actif au cœur du processus.
5La première étape du programme partira de ce qui est supposé le plus connu et donc le plus accessible à l’élève, afin que l’entrée en matière se fasse en douceur et sollicite l’élève dans une réactivité qui est certes souvent spontanée, mais qui le place dès lors en acteur de sa réflexion et de sa compréhension ; dans une seconde étape, la thématique sera abordée à rebours de ce à quoi s’attend l’élève, qui passe alors de position d’acteur à celle d’agent de sa réflexion ; une troisième étape visera l’approfondissement effectif de la thématique, au terme du parcours proposé, en en soulignant la richesse ou la multiplicité. Ce programme peut servir une compréhension plus aisée des textes et faciliter la mise en place des connaissances, parce qu’il tente de respecter l’élève dans ce qu’il est étymologiquement : une personne qui a des connaissances et qui en reçoit d’autres en se nourrissant par degré, de manière toujours active. Les apports attendus sont un intérêt plus accru à l’endroit des signifiants de la langue ancienne, qui constituent des obstacles à la lecture immédiate, et un désir naissant pour la compréhension au-delà des signifiés de cette même langue ancienne.
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6Aussi, dans l’optique que le dialogue avec l’élève soit fécond et que ce dernier apprenne à lire plus facilement, me suis-je efforcée de suivre autant que possible le programme que voici :
- faire lire d’abord des textes présentant des points culturels communs et forts entre l’Antiquité et le monde moderne ;
- puis faire lire des textes décalés (pour dérouter l’élève et l’amener à trouver un sens au-delà du non-sens) ;
- enfin proposer des textes offrant des passerelles entre plusieurs mondes (littéraires, linguistiques, philosophiques, etc.).
7Si je prends, par exemple, le thème de l’éloge et du blâme au programme de la culture antique des ENS en 2017-2018, thème qui aurait pu vite provoquer l’ennui chez l’élève (l’éloge de la uirtus Romana n’est sans doute pas le plus attrayant pour un collégien, ni même pour un étudiant post-bac), j’avais choisi de commencer son étude par le blâme satirique d’un homme politique, au travers de la personne de Claude, fraîchement arrivé sur l’Olympe dans l’Apocoloquintose du divin Claude, 8, de Sénèque. Les points communs de ce passage antique avec l’ère moderne sont nombreux : sans s’attarder sur le procédé de l’insulte, dont les jeunes saisissent aisément l’enjeu, on peut relever le thème central de l’orgueil, de la superbe de Jupiter5. Dans un second temps, pour dérouter totalement les élèves, j’avais emprunté à Pline l’Ancien (Histoire naturelle, IX, 48) l’éloge qu’il fait d’un poulpe capable de tuer des hommes, de dévaster toute une salaison de poissons et de repousser de son terrible souffle les chiens des gardiens, poulpe qui, en dernier ressort, s’avère être probablement un homme déguisé. Or la surprise créée par le titre de la version, Éloge du poulpe, eut l’effet escompté. L’étrangeté du texte contraignit les élèves à le construire précisément6. Le verbe populari, « dévaster »7, obligeait entre autres à bien maîtriser la grammaire et la syntaxe, afin d’éviter l’inévitable « salaison populaire » d’élèves peu soucieux de s’en tenir d’abord à l’analyse grammaticale. En accompagnement de ce texte, au collège, il est tout à fait possible de proposer la page du manga de M. Yamazaki et T. Miki, qui reprend presque textuellement cet éloge. Enfin, en fin d’année, au terme de la progression, fut proposé l’éloge funèbre de Martial par Pline le Jeune (Lettres, III, 21), texte touchant à la fois à la philosophie de la vie, à la gloire littéraire post mortem (pour Martial) et ante mortem (pour Pline), mais texte très difficile, puisque présentant tous les systèmes conditionnels du latin, un gérondif, un adjectif verbal et un adjectif verbal à la place du gérondif, une relative au subjonctif, une construction est avec un génitif « c’est le propre de », des interrogatives indirectes, etc.
8Il fallait en outre comprendre que Pline dans ce texte se préoccupait davantage de son éloge que de celui de Martial. C’est dans le détail de l’analyse précise au fil des énoncés qu’apparaissait cette subtilité, qui peut être interprétée comme de l’orgueil ou de l’humour à bien y réfléchir : pour faire l’éloge de Martial, Pline cite les vers que le poète a écrits à son endroit, les vers les plus flatteurs à son égard. Il s’avère que cette subtilité apparaît grâce au mouvement de la phrase dans sa progression, que seule la transposition de la structuration informationnelle (que je désignerai désormais par le sigle SI) rend sensible. La traduction qui respecte la SI n’est pas strictement littérale, mais cherche à suivre au plus près l’ordre des mots de l’original :
Pline le Jeune, Lettres, III, 21 :
totos dat tetricae dies Mineruae,
dum centum studet auribus uirorum
hoc quod saecula posterique possint
Arpinis quoque comparare chartis.
SI : « Tout entières il consacre à la sévère ses journées, à Minerve8, pendant qu’il s’attache aux oreilles/prépare pour les oreilles des cent juges une chose telle que les siècles et la postérité peuvent(/puissent) aussi la comparer aux pages arpiniennes. »
Traduction dans l’édition des Belles Lettres9 : « Le maître donne ses journées tout entières à l’austère Minerve ; il veut faire entendre aux Centumvirs des discours que la postérité la plus reculée puisse mettre en parallèle avec les œuvres de l’orateur de l’Arpinum. »
9Dans une première lecture, il serait acceptable de faire dépendre grammaticalement le datif auribus de studet auquel il succède : « il s’attache aux oreilles des cent juges », autrement dit il ne cherche qu’à être écouté ; mais il ne faudrait pas non plus négliger le pronom démonstratif à l’accusatif hoc du vers suivant qui peut aussi dépendre grammaticalement de studet, prenant alors le sens d’« avoir en vue », dans une traduction mettant en exergue la volonté d’une gloire éternelle chez Pline, malgré tout soumise aux aléas du temps, comme le souligne l’ambiguïté modale du verbe de la relative possint. Dans cette subtilité de construction se trouvent en fait l’humour de Martial et la réception faite par le lecteur antique qu’était Pline. La réception moderne transcrite par le traducteur des Belles Lettres nous paraît aussi très ingénieuse à ce titre. La syllepse grammaticale présente en outre un intérêt non négligeable pour l’élève en ce sens que ce dernier prend conscience de l’incidence de la syntaxe sur l’interprétation ; s’il est amené à construire auribus et hoc avec studet, il notera le choix apparemment incohérent de vers qui oscillent entre l’éloge et le blâme et ne pourra dépasser la particularité syntaxique qu’en commentant les effets de chaque construction. Les différentes possibilités grammaticales ici, au lieu de se réduire à une lecture exclusive de la syntaxe, supposent au contraire de prendre en compte les deux interprétations afin de mieux saisir la richesse du texte et, par conséquent, l’humour de Pline.
10Si la syntaxe et la sémantique se combinent dans une approche déductive, à partir d’une maîtrise assez avancée de la langue latine, il ne serait sans doute pas évident de l’exploiter avec de jeunes apprenants. Il est néanmoins possible de proposer la traduction des morceaux de phrases difficiles, de préférence peut-être sur un support électronique : dans l’énoncé seraient soulignés les constituants inaccessibles ou peu accessibles à des latinistes débutants, et par un clic apparaîtrait la ou les solutions10. Du reste, ce mode de progression analytique, associant approche progressive d’une thématique, et autonomie d’un lecteur devenu apte à décrypter les interprétations plurielles que révèle la confrontation des textes, peut aussi bien être sollicité dans une démarche pédagogique que dans une démarche démonstrative à vocation scientifique11.
11Jusqu’à présent, j’ai essentiellement mis en exergue l’importance de l’analyse précise du texte. Il va sans dire qu’elle se double d’une attention particulière au lexique, sur la thématique retenue, ou sur un mot précis dans l’extrait étudié : le choix des mots est rarement – si ce n’est jamais – objectif et leur analyse, étymologique, sémantique, sémasiologique, n’est pas à négliger. D’ailleurs tout élève aime à voyager « dans le jardin des mots », selon le titre d’un ouvrage de J. de Romilly12. L’un des chapitres de l’ouvrage de P. Laurens intitulé Les mots latins pour Mathilde13 est remarquable en ce sens, dressant une liste de synonymes en latin et précisant leur différence sémique à date synchronique ou diachronique, ce qui amène à faire des distinctions simples et utiles. Deux pages en particulier14, portant sur la différenciation sémantique entre le singulier et le pluriel, sont d’une grande utilité, en ce qu’elles permettent de mettre à jour des étrangetés du français dont n’ont pas forcément conscience les collégiens ou lycéens (e.g. un médium ‒ des médias).
12Or la lecture dépend en partie du travail sur la sémantique, comprenant non seulement l’usage métaphorique des mots, mais encore ce qui relève tout simplement d’une activité intellectuelle, sociale et parfois aussi littéraire : l’élève est ainsi amené à porter son attention sur le pluriel de aedes « maison », vs le singulier aedes « temple », dans un enrichissement lexical de base qui prend sens par rapport à la culture en question, mais encore à l’occurrence même : il pourrait se demander pourquoi aedes est employé dans tel texte, et non templa. De même, une lecture s’intéressant aux homonymes permettra d’envisager de possibles jeux littéraires, dans le but de nourrir l’interprétation globale de l’énoncé : concernant le vers d’Ovide Temperie medius, sparsus quoque tempora canis (Métamorphoses, XV, 211 : « (l’automne) par la température moyen, parsemé aussi quant aux tempes de cheveux blancs »), une lecture qui tiendrait compte des mots dans leurs signifiants et signifiés à la fois permettrait probablement de supposer que l’auteur joue sur l’homonymie de tempora « temps » et « tempes », alors qu’il décrit les saisons de la vie, par une intellection analogique qui jette un pont entre les changements de la nature selon la période de l’année (temperie, en lien sémantique et étymologique avec tempora « temps ») et les changements physiques de l’homme selon l’âge (canis, en lien avec tempora « tempes »).
13En somme, si le sens d’un énoncé est global, l’intérêt de la lecture sera peut-être plus profond pour l’apprenant, si non seulement on les amène à s’intéresser au choix des mots, mais surtout à s’attacher à suivre l’information telle qu’elle se saisit au fur et à mesure de la lecture de la phrase. Des énoncés tels que : « J’aime le chocolat / le chocolat, j’aime / moi le chocolat j’aime » (amo dulcicula / dulcicula amo / ego dulcicula amo) ne sont pas équivalents d’un point de vue informatif. En suivant fidèlement l’ordre des mots de l’original – selon le sens même de la lecture –, nous évitons de tout ramener à l’ordre canonique de la syntaxe française et interprétons l’énoncé au plus près des rapports informatifs qui sont établis entre les constituants de la phrase.
II. Intérêt de la structuration informationnelle dans la lecture et la traduction
14Au fil de mon expérience et de mes recherches personnelles, j’ai élaboré la règle de lecture suivante, qui est applicable selon moi à tous les niveaux d’enseignements, en aménageant la longueur et la difficulté de la phrase traduite : ne pas chercher à tout prix et immédiatement le sens, voire un sens, mais se laisser porter par l’information telle qu’elle se déroule dans la linéarité d’un énoncé.
15La pratique du saucissonnage d’une phrase, de son détricotage, est en effet à mes yeux si ce n’est vaine, du moins préjudiciable au rythme de la lecture. Le fait de passer de longues minutes à déconstruire une phrase quand il est possible d’en suivre assez souvent le fil (à l’exception de l’ordre du syntagme OBJET-VERBE et des hyperbates poétiques, exceptions que l’on peut souvent contourner grâce à des anaphores grammaticales) décourage même les élèves les plus pugnaces. Il leur est demandé de garder autant que possible l’ordre du latin ou du grec, sans avoir en tête de faire une jolie traduction, dans un français élégant, voire soutenu, mais en vue de conserver la lettre et l’esprit de la lettre. Mon objectif reste de faire lire de plus en plus facilement des élèves, pour lesquels le plaisir de la lecture repose en (grande ?) partie sur une forme de divertissement, au sens pascalien ou non du terme. Ainsi l’éloge du poulpe évoqué plus haut, à mon sens, a diverti autant le lecteur que l’auteur, friand de merveilles de la nature ; c’est pourquoi il me paraît plus plaisant, plus utile et plus juste tout à la fois de suivre les aventures palpitantes de ce poulpe, au rythme de ses expéditions nocturnes.
16En début d’année, pour la mise en place de ma règle de lecture, je me sers souvent d’une métaphore aquatique : afin d’encourager les élèves à lire vite, dans le déroulé de la phrase, je leur rappelle qu’un nageur atteint ses performances en nageant d’innombrables longueurs, mais aussi en nageant le plus droit possible, dans des lignes comparées à des vers, qui sont étymologiquement des sillons. On n’imaginerait pas qu’un nageur, comme l’agriculteur, perde son effort dans des zigzags ou retournements permanents. En suivant une méthode de lecture respectant les principes de la SI, les apprenants oseraient peut-être dépasser leur appréhension et prendraient plaisir à traduire la phrase telle qu’elle vient et à en découvrir le fil par reconstruction globale.
17Voici, pour appuyer mon propos, une illustration à l’aide de deux vers dans lesquels la Sibylle entame la visite des Enfers, avant d’en détailler les difficultés à Énée, qui la prie de le conduire vers son père :
Virgile, Énéide, VI, 126-127 :
... facilis descensus Auerno :
noctes atque dies patet atri ianua Ditis.
Traduction universitaire : « Il est facile de descendre dans l’Averne : la porte du noir Dis est ouverte jour et nuit. »
Traduction de J. Du Bellay :
« La descente d’Averne
Est bien facile, & si est la caverne
Du noir Pluton beante nuict et jour. »
SI : « Aisée la descente dans l’Averne : nuit(s) et jour(s) est ouverte la porte du sombre Pluton. »
18La traduction universitaire suit à peu près le mouvement de la première phrase ; pour la seconde, en revanche, c’est un va-et-vient permanent entre le début et la fin de l’énoncé, comme au temps de J. Du Bellay. Si l’on respecte le déroulé de l’information (SI), « aisée la descente dans l’Averne : nuit(s) et jour(s) est ouverte la porte du sombre Pluton », on remarque que l’énoncé met l’accent, non sans ironie, sur le syntagme temporel « nuits et jours » au pluriel, évacuant toute possibilité d’échapper à la mort, qui nous attend au terme de notre vie sur terre comme au terme final de l’énoncé, Ditis. Si l’on suit ici au plus près l’ordre des mots, paradoxalement le caractère littéraire des vers semble davantage conservé. En effet, la notation temporelle marquée en début d’énoncé et de vers, au lieu de servir simplement de cadre précisant les heures d’ouverture et de fermeture de la porte des Enfers (comme semblent le suggérer les deux traductions universitaire et bellayenne), accentue par contraste le caractère terrible de cet accès, autrement plus difficile que ne le laisse présager l’absence d’impératif temporel, étant donné que Dis clôturera la visite, comme l’indique concrètement sa place finale d’énoncé et de vers.
19Cette approche qui suit le sens de l’énoncé rejaillit en outre sur la maîtrise de la lecture, laquelle évite ainsi l’inversion des mots d’un énoncé, d’un point de vue à la fois syntaxique et sémantique, à la limite peut-être même du contre-sens littéraire. La compréhension des élèves est également facilitée : ils sont rendus plus sensibles aux éléments ainsi mis en valeur (thématisés le plus souvent) et se rendent capables de les interpréter, par rapport d’abord au contexte, puis au sens global du texte et enfin à l’esthétique de l’œuvre.
20Un autre exemple, emprunté à Horace et présentant une phrase plus complexe, permet d’appliquer, de la même manière, la règle de lecture que je propose :
Horace, Odes, III, 1, 2-4 :
... Carmina non prius
audita Musarum sacerdos
audita Musarum sacerdos
SI : « des chants non auparavant
entendus, des Muses (moi) prêtre,
aux vierges et jeunes garçons je chante ».
Traduction extraite de l’édition des Belles-Lettres15 : « prêtre des Muses, je chante pour les vierges et les jeunes garçons des hymnes qu’on n’avait pas encore entendus. »
La traduction qui suit l’ordre strict des constituants n’est pas très heureuse, mais c’est ainsi qu’est rendu évident le jeu sémantique et étymologique sur carmina, le premier mot de la phrase, et canto, le dernier mot de la phrase, signifiant un renvoi explicite à la dimension religieuse de cette ode, comme une charmante in-cantation. En outre, je poursuivrais le jeu jusqu’à conserver la disposition en vers, qui place en regard le chanteur et le public composé de vierges et de garçons. Horace aime à recourir dans ses odes au mimétisme, ce qui semble être le cas ici : une traduction dans l’ordre informationnel des mots latins semble davantage reproduire la formule rythmée et magique du thème de ses premiers vers, le carmen qui désigne proprement la « formule rythmée, notamment magique ». Si la traduction éditée privilégie la fonction du locuteur, celle de prêtre, une traduction qui suit l’ordre des mots met en valeur l’objet et la forme, la poésie et le rythme, sans altérer bien au contraire, à mon avis, le caractère hautement littéraire de ces vers.
21La méthodologie ici proposée peut se construire également dès l’instant premier de la lecture orale. Avant même le travail de traduction, enseignant ou élèves commencent d’ordinaire par lire le texte, dans un temps essentiel de lecture, en ce qu’il épouse le mouvement des mots et des idées au fur et à mesure que l’acte de lecture se déroule16. Comme j’ai tenté de le montrer plus haut pour l’interprétation du texte, celui qui lit peut utilement choisir de révéler l’organisation des réalités sensibles que sont les mots, en vue de suggérer leurs formes intelligibles – de la même manière que les coupes aident à isoler les mots importants d’un vers : un signifiant n’est pas placé totalement par hasard dans l’énoncé du latin ou du grec, langues qui sont dites « à ordre libre », mais qui donnaient lieu à des lectures à voix haute, selon une pratique antique qui soulignait nécessairement l’ordre des mots. En mettant en valeur ce dernier par le souffle particulier de la lecture, on parvient à révéler les articulations syntagmatiques en même temps qu’informationnelles de l’énoncé, la forme en même temps que le fond.
22L’exemple de prédilection auquel j’aime avoir recours pour convaincre de l’intérêt de cette approche est une phrase choc plaisante, prononcée par le parasite plautinien Peniculus, au vers 2 des Ménechmes : mensam // quando edo detergeo, « la table [la seule et réelle préoccupation du parasite], quand je mange, je la nettoie », ce qui ne revêt pas la même signification que l’énoncé : « quand je mange, je nettoie la table ». Si on ajoute qu’à l’époque de Plaute, le -m final était très faiblement prononcé, voire n’était plus prononcé, rien n’empêche de supposer que le parasite a prononcé la réplique ainsi : mensa // quando edo detergeo, avec une forme initiale probablement semblable à un nominatiuus pendens. Cette organisation correspond à une forme ordinaire de thématisation ou de focalisation, procédés qui existaient déjà dans les langues anciennes et qui sont courants dans les langues modernes17. Pourquoi ne pas garder cette forme de structuration de l’information avec nos élèves qui la pratiquent au quotidien ? L’information en position initiale prend en effet deux valeurs : thématisante ou focalisante. Deux exemples simples empruntés au latin, puis au grec, l’illustreront.
Ovide, L’art d’aimer, I, 42-43 :
… Elige cui dicas : « Tu mihi sola places. »
Haec tibi non tenues ueniet delapsa per auras.
SI : « Choisis à qui dire : ‘Toi, à moi tu es la seule qui plais.’ Celle-ci à toi ne viendra pas glissant sur de légères brises. »
Traduction de M.-Cl. Iskikian18 : « Choisis une belle à qui tu puisses dire : ‘Tu es seule à me plaire’. Or elle ne te tombera pas du ciel sur l’aile de la brise. »
La focalisation du pronom personnel de deuxième personne permet de mettre en exergue la personne élue en vue d’un jeu de séduction et, en quelque sorte, de contribuer à un premier rapprochement, fantasmé par la syntaxe grâce à la succession des pronoms tu mihi.
23De même en grec, une lecture attentive à l’ordre des mots permet de marquer l’information essentielle thématisée ou focalisée. Le lecteur remarque ainsi dans un passage de Platon qu’Alcibiade recourt aux adjectifs δεινοί et θαυμάσια en position focalisante, afin de souligner à l’auditoire l’attitude surprenante de Socrate pendant le siège de Potidée, en 432 av. J.-C. Ces deux signifiants sont valorisés et mis au profit du locuteur Alcibiade animé d’une intention de signifier en interloquant les convives :
Platon, Banquet, 220b :
Πρὸς δὲ αὖ τὰς τοῦ χειμῶνος καρτερήσεις ‒ δεινοὶ γὰρ αὐτόθι χειμῶνες ‒ θαυμάσια εἰργάζετο.
SI : « En plus, pour ce qui est de l’endurance contre l’hiver – car ils sont terribles, là-bas, les hivers –, des merveilles il faisait. »
Traduction d’E. Chambry19 : « Pour endurer le froid ‒ les hivers sont terribles en ce pays-là – il se montrait étonnant. »
Dans l’énoncé parenthétique, χειμῶνες est rejeté à la fin pour que δεινοί soit focalisé ; dans la même position initiale et en écho se trouve θαυμάσια, en vue d’insister sur le merveilleux de la tenue légère de Socrate alors que l’hiver est rude.
24Une fois le principe d’une lecture fondée sur la SI établi avec les élèves, il est loisible de l’appliquer en se concentrant sur des phrases d’abord simples, puis complexes, sans exclure la possibilité de recourir conjointement à la comparaison de phrases empruntées au latin et au français (à l’anglais, l’espagnol, l’allemand, etc.). La comparaison d’énoncés d’oral simulé chez Plaute et J. Giraudoux montre que le procédé de thématisation ou de focalisation reste le même depuis des siècles, car il est en quelque sorte « naturel » :
Plaute, Mostellaria, 841 :
Haec quae possum, ea mihi profecto cuncta uehementer placent.
SI : « Ce que je peux voir, cela à moi assurément, tout cela me plaît énormément. »
J. Giraudoux, Électre, I, 13 :
« Cette petite tête qu’ils plongent dans la vase pour barboter têtard et salamandre, quand ils la dressent vers l’homme toute mordorée et bleue, elle n’est plus que propreté, intelligence et tendresse. »
25Avec des collégiens, la comparaison pourrait se faire également par le recours à des énoncés de la langue courante familière, telle que « Moi mes parents ne sont pas là », ou de chansons (par exemple, l’énoncé de Francis Cabrel extrait de sa chanson « Des hommes pareils » : « Moi mes chiens montent la garde »). Ces exemples permettraient en outre d’amener à faire réfléchir sur sa langue maternelle et de mettre en exergue la capacité commune du latin et du français à thématiser le pronom personnel de 1re personne du singulier (on peut allonger le pronom I en anglais, mais ce n’est pas vraiment de la thématisation). Cela tient évidemment à la structure de la langue qui possède un pronom dit tonique – mais l’interrogation susciterait un dialogue intéressant, car dépassant une simple dimension linguistique. De même, lorsqu’on cherche à garder strictement l’ordre du latin, on suggère parfois de recourir aux structures clivées ou présentatives du français, structures encore partagées par le latin et le français, contrairement à l’anglais.
26Si la démarche d’une lecture mettant donc en relief les procédés de thématisation et de focalisation est adoptée, il est possible d’aller plus loin encore dans les objectifs. On peut également, dans le but de faire prendre pleinement conscience de ces procédés de marquage, chercher à modifier l’ordre informationnel des mots du texte latin ou grec et en déduire l’altération du sens lors de l’opération de traduction. L’exemple suivant d’Alciphron, d’un grec très classique, en constituera une illustration plaisante. Un parasite est au plus mal, après avoir ingurgité beaucoup de nourriture et bu du vinaigre :
Alciphron, Lettres de parasites, III, 7 :
εἰ μὴ γὰρ […] ῥυῆναι φλέβα διατεμὼν τὸ πολὺ τοῦ αἵματος ἐποίησεν, οὐδὲν ἂν ἐκώλυσεν ἀνεπαισθήτῳ με τῷ θανάτῳ διαφθαρέντα ἀπολωλέναι.
SI : « Si en effet il ne m’avait pas fait couler des veines en coupant une grande quantité de sang, en rien il n’aurait empêché que, par la mort qui passe inaperçue, moi anéanti je fusse mort. »
Traduction de S. de Rouville : « Sans d’abondantes saignées, je succombais, insensiblement entraîné dans la tombe20. »
Le personnage, de fait, a l’estomac sens dessus dessous, à l’image de la syntaxe de la phrase ‒ ῥυῆναι devrait, dans l’ordre ordinaire des constituants en grec, se trouver devant ἐποίησεν (c’est d’ailleurs ce que croit devoir corriger le manuscrit N) : le médecin fait bien sûr couler une grande quantité de sang après avoir coupé des veines, mais il est bien plus plaisant de montrer aux élèves que l’auteur s’amuse à placer différemment les constituants dans le but de produire un effet comique. L’apodose en témoigne aussi : dans la partie ἀνεπαισθήτῳ με τῷ θανάτῳ διαφθαρέντα, ἀνεπαισθήτῳ est épithète détachée de τῷ θανάτῳ et διαφθαρέντα épithète détachée de με, avec un effet évident, celui de « coincer » le locuteur με « moi » entre l’indifférence des gens qui le laissent par terre à demi-mort (ἡμιθνῆτα dit le texte un peu plus haut) et la mort qui le guette. Il est impossible de rendre ce jeu littéraire dans une traduction universitaire, mais le fait de tenir compte de l’ordre des mots au moins dans une première lecture fait apparaître la place incongrue du pronom personnel, ainsi que la succession syntagmatique des trois termes mortuaires θανάτῳ διαφθαρέντα ἀπολωλέναι « par la mort anéanti je suis mort », à visée hyperbolique et comique.
III. Exploitations possibles de l’approche littérale dans l’élaboration d’un commentaire
27Une fois l’information analysée et traduite au plus près de l’original, il reste à construire le sens global du texte et à tirer profit de l’approche littérale par la SI pour élaborer le commentaire. En jouant sur les différents sens induits par la littéralité, on peut parvenir à éveiller l’esprit critique des élèves et à susciter leur curiosité à l’égard de jeux auxquels ils se livrent, parfois sans le savoir, dans leur pratique quotidienne du français. Avec des collégiens, voire des lycéens, il serait loisible de relever leurs propos : par exemple, « Le latin j(e n)’aime pas », excluant le latin d’une liste de langues que le jeune aime à étudier, contrairement à l’énoncé « J(e n)’aime pas le latin », dont la formulation est potentiellement plus exclusive encore.
28En gardant l’énoncé traduit du latin ou du grec dans sa littéralité, il est fort possible de construire un commentaire littéraire de l’extrait21. Un court billet de Pline le Jeune l’illustrera. L’auteur regrette que son ami Mamilianus ait pris plaisir à chasser et à tuer beaucoup de gibier :
Pline le Jeune, Lettres, IX, 16 :
C. PLINIVS MAMILIANO SVO S.
SI : Pline à Mamilianus le sien (ami) adresse son salut.
Summam uoluptatem te percepisse ex isto copiosissimo genere uenandi non miror, cum historicorum more scribas numerum iniri non potuisse.
SI : Le plus grand plaisir, que tu l’aies pris de ce (vil ?) type de chasse qui fait un grand carnage, je n’en suis pas surpris, puisque, à la manière des historiens, tu écris que le butin n’a pas pu être évalué.
Nobis uenari nec uacat nec libet : non uacat quia uindemiae in manibus, non libet quia exiguae.
SI : (Mais) à moi, de chasser il n’y a ni le temps ni l’envie : pas de temps parce que des vendanges dans les mains (= à faire), pas l’envie parce que maigres.
Deuehemus tamen pro nouo musto nouos uersiculos tibique iucundissime exigenti ut primum uidebuntur deferuisse mittemus. Vale.
SI : J’emmènerai cependant à la place du vin nouveau de nouveaux petits vers et à toi qui les réclames si volontiers, dès qu’ils sembleront avoir fini leur fermentation, je les enverrai. Adieu.
29L’auteur, en tant que propriétaire d’un grand domaine rural et viticulteur, n’a pas le temps de se consacrer à ce loisir et recourt à une thématisation contrastée, qui juxtapose deux idées contraires : Nobis uenari, lui et la chasse. L’information principale n’est pas qu’il n’a ni le temps (nec uacat) ni l’envie (nec libet) de chasser (les deux verbes sont d’ailleurs des verbes impersonnels), mais que, pour lui, de chasser il est hors de question. Dans l’énoncé suivant, l’auteur amplifie le marquage de son dédain par la reprise anaphorique des deux verbes du premier énoncé et le recours à des propositions subordonnées nominales, au moyen d’une ellipse du verbe « être » qui expédie ainsi les raisons de ce dédain. Une traduction qui transpose selon la construction canonique du français est plus élégante22 mais elle ferait peut-être moins ressortir ce dédain (et ralentir aussi le rythme de la lecture). La suite du billet pourrait le confirmer, puisqu’elle replace en position initiale la première personne, celle de l’auteur, en y « remontant » la forme verbale deuehemus, cette fois-ci plutôt avec une valeur focalisante servant à mettre en valeur l’activité littéraire de cet auteur, qui file à merveille la métaphore de la culture du vin : les petits vers qu’il souhaite envoyer à son ami, uersiculos, sont au départ les petits sillons destinés à faire pousser le raisin qui permettra la fabrication du vin de Pline. D’ailleurs, le mot final qui clôt ce court billet, mittemus, est encore une forme de première personne. Et si l’on rappelle l’importance de la lecture orale première, apparaîtra une distinction sonore marquée dans le texte, ce qui permet d’en saisir facilement les deux mouvements : aux sonorités rudes du début du billet (iconiques de la violence de la chasse ; cf. l’allitération en /r/) s’oppose la douceur des sonorités à l’endroit de Pline, qui se fait poète (cf. l’allitération en nasales /n/ et /m/).
30La SI offre donc la possibilité de mettre au premier plan la 1re personne, qui se veut poète, et de couler dans le flot de l’énoncé la 2e personne, désignant un interlocuteur qui se prend pour un historien (tibi est placé au centre de la phrase, alors que le datif nobis était initial dans la phrase précédente), suggérant peut-être ainsi la supériorité de la poésie sur le genre historique. En suivant l’ordre informationnel des mots, on relève la saveur du texte, en même temps qu’on préserve l’élève d’une fastidieuse analyse, pour qu’il garde le plaisir de la lecture intact. D’autant plus que Pline sait fort bien cultiver la vigne et l’art de la formule23.
Conclusion
31J’ai donc tenté de défendre dans ce compte rendu d’expériences analysé au regard de ses gains pédagogiques, l’intérêt double que constituent à la fois une progression des lectures au-delà d’un thème ou d’un genre, et une attention plus soutenue à l’ordre des mots du latin et du grec (SI). Le gain immédiat s’observe dans l’accentuation du rythme de la lecture, ce qui fait qu’on peut lire rapidement une page d’une édition Budé avec des grands débutants en latin, la moitié d’une page avec des grands débutants en grec, en une heure de temps24. Avec des collégiens, il serait possible d’envisager la lecture (au sens premier du terme) et la traduction de la moitié d’une page aussi en latin, largement appareillée en cinquième nettement moins en troisième, en prenant soin de noter au tableau les étrangetés dans la SI que les élèves observeraient et en se laissant porter par l’ordre des constituants, afin de schématiser un début de commentaire littéraire. J’ai bien conscience que mes traductions qui suivent l’ordre du latin ou du grec à la lettre ne sont guère élégantes, mais j’estime qu’elles sont efficaces pour entraîner l’élève à lire plus vite et à commenter plus précisément l’esprit du texte et je pense, également, qu’elles préservent le plaisir de la lecture. Je suis convaincue depuis de longues années que le sens du texte est aussi porté par la structuration informationnelle, car celui-ci, comme toute langue qui le porte, est d’essence dialogique.
Bibliographie
Sources primaires
Hale William Gardner, The Art of Reading Latin : How to Teach it, Boston, Ginn & Co, 1887.
Laurens Pierre, Les Mots latins pour Mathilde. Petites leçons d’une grande langue, Paris, Les Belles Lettres, 2016.
Yamazaki Mari & Miki Tori, Pline, T. 3 : Les Griffes de Poppée, Paris, Casterman, 2017.
Sources secondaires
Augé Dominique, Refonder l’enseignement des langues anciennes : le défi de la lecture, Grenoble, Ellug, coll. « Didaskein », 2013.
Fernandez-Vest Jocelyne M. M. & Grünthal-Robert Tiiu, « Typologie de l’ordre des mots (ORM) dans l’interaction simulée : Essai sur le dialogue de théâtre estonien, finnois, français », dans J. M. M. Fernandez-Vest et K. Pajusalu (éd.), Grammar and interaction, Tallinn, Linguistica Uralica, 4, 2004, p. 40-59.
Fernandez-Vest Jocelyne M. M., Detachments for Cohesion. Toward an Information Grammar of Oral Languages, Berlin-Boston, De Gruyter, 2015.
Julia Marie-Ange, Relations entre Structuration Informationnelle et structuration syntaxique en latin : les prémices du français, communication présentée à l’Atelier « Structure Informationnelle et typologie des langues : marquage du focus, constructions détachées, hiérarchie des enchaînements thématiques », à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, 21-22 novembre 2008.
Julia Marie-Ange, « Comment trouver des prolepses en fonction des genres littéraires par l’exemple des comédies de Plaute », Revue du Centre Ernout De lingua Latina, 7, 2012, p. 1-17.
Julia Marie-Ange, « D’Aiôn à aetas : parenté et transmission », Revue des études latines, 95, 2017, p. 1-23.
Julia Marie-Ange, Les présentatifs dans les langues anciennes et modernes, Moldova, Éditions universitaires européennes, 2018.
Martin René, « Pline le Jeune et les problèmes économiques de son temps », Revue des Études anciennes, 69, 1967, p. 62-97.
Notes de bas de page
1 Si l’apprentissage par cœur de ces tableaux rebute les élèves, je n’exclus pas la possibilité de les laisser à leur disposition, l’intérêt de la lecture étant sans doute différent, mais non moins valable.
2 À la suite, entre autres, d’approches linguistiques récentes sur l’oral et l’écrit dialogué, j’ai retenu plusieurs notions et catégories typologiques, théorisées par J. M. M. Fernandez-Vest & T. Grünthal-Robert, « Typologie de l’ordre des mots (ORM) dans l’interaction simulée : essai sur le dialogue de théâtre estonien, finnois, français », 2004, et J. M. M. Fernandez-Vest, Detachments for Cohesion. Toward an Information Grammar of Oral Languages, 2015, qui m’ont paru utiles dans l’exercice de la lecture de textes anciens : en particulier, la structuration informationnelle, l’oral simulé, le détachement initial et final.
3 Je remercie Marie Platon de m’avoir indiqué cet ouvrage.
4 Il me semble que la langue repose sur une construction dialogique, si j’ai raison de supposer par exemple que gr. ἐγώ et lat. ego « moi, je » sont issus de la grammaticalisation du verbe pré-indo-européen « je parle », comme le pronom ỉ de première personne ou le ỉw affirmatif du moyen-égyptien. Les trois langues ne sont pas apparentées, mais elles offrent des similitudes étonnantes dans la construction dialogique de l’information. Cf. M.-A. Julia, Les présentatifs dans les langues anciennes et modernes, 2018, p. 337-351.
5 À ce stade de l’apprentissage, pour les étudiants de première année de classes préparatoires littéraires (Lettres supérieures), je n’exclus pas d’ordinaire de recourir aux fables de Phèdre, auteur très formateur, qu’il rappelle ou non une fable de La Fontaine, car l’esprit du fabuliste est là ; le parallèle entre le modèle (ou les modèles, si on inclut Ésope) antique(s) et moderne, ainsi que le sarcasme de la fable ont toujours suscité un grand enthousiasme.
6 Paradoxalement, plus on s’en tient à la construction précise du texte, plus on lit vite (j’essaierai de montrer plus loin qu’on doit aussi mieux comprendre).
7 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, IX, 48, 30 : Polypus Carteiae in cetariis adsuetus exire e mari in lacus eorum apertos atque ibi salsamenta populari […] conuertit in se custodum indignationem adsiduitate furti [immodica]. « À Carteia, un poulpe, habitué dans les viviers à sortir de la mer (et à aller) dans leurs bassins ouverts et à y dévaster les salaisons, attira sur lui l’indignation des gardiens par la persistance excessive de son larcin. » (traduction personnelle).
8 Cette traduction cherche à conserver tel quel l’ordre des mots de l’énoncé, comme un locuteur romain l’entendait. Si on l’adapte au français moderne, on respecte moins la pensée de l’auteur.
9 Pline le Jeune, Lettres, tome 1, livres I-III, Paris, Les Belles Lettres, 2009, texte établi et traduit par H. Zehnacker.
10 Outre l’accès à des textes plus variés qu’ils ne le sont nécessairement dans un manuel, un support électronique offrirait l’avantage d’être ludique tout en formant le latiniste ou l’helléniste : le travail de construction restera premier et le puzzle sémantique strictement le même. Par exemple, il y aurait moyen de demander à l’élève, dans une première lecture de toute une phrase, de segmenter les propositions, en mettant des crochets pour la proposition principale et des parenthèses pour les subordonnées, et le logiciel indiquerait tout de suite si le choix est juste. Les étudiants se plaignent souvent de ne pas savoir où mettre ces éléments essentiels pour mieux délimiter les propositions. Même si l’astuce des « poupées russes » (l’insertion d’une proposition à l’intérieur d’une autre, elle-même à l’intérieur d’une autre, etc., constitutive de sous-parties liées à une unité plus grande) fonctionne le plus souvent, l’élève a peur de se tromper dès le début de la phrase et alors d’enchaîner les erreurs. Une fois cette construction faite, le logiciel pourrait proposer le sens d’un mot ou sa morphologie en secours.
11 Cf. M.-A. Julia, « D’Aiôn à aetas : parenté et transmission », 2017.
12 J. de Romilly, Dans le jardin des mots, Paris, Le Livre de Poche, 2008.
13 P. Laurens, Les Mots latins pour Mathilde. Petites leçons d’une grande langue, 2016, p. 129-164.
14 P. Laurens, Les Mots latins pour Mathilde. Petites leçons d’une grande langue, 2016, p. 150-151.
15 Horace, Odes et Épodes, texte établi et traduit par F. Villeneuve et J. Hellegouarc’h, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Budé », 2003.
16 Sur la posture à adopter par le lecteur-élève et l’intérêt de la lecture conçue comme un acte de « pré-réception », voir D. Augé, Refonder l’enseignement des langues anciennes : le défi de la lecture, 2013, p. 161-163 ; p. 191, l’auteur souligne l’importance de la lecture orale à l’aide d’une jolie métaphore : « Entendre la respiration d’une phrase, c’est déjà lui prêter vie et sens. »
17 Voir M.-A. Julia, Relations entre Structuration Informationnelle et structuration syntaxique en latin : les prémices du français, 2008, et du même auteur « Comment trouver des prolepses en fonction des genres littéraires par l’exemple des comédies de Plaute », 2012.
18 Ovide, L’art d’aimer, les Remèdes à l’amour, les Amours, traduction de M.-C. Iskikian, aquarelles de F. Clément, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1982.
19 Platon, Phèdre, Le Banquet, traduction et notes par E. Chambry, Paris, éd. GF, 1991.
20 Alciphron, Lettres grecques, traduites par S. de Rouville, disponible en ligne sur https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k997645.texteImage.
21 Je précise que mes étudiants, qui ont un temps limité à la fois pour proposer une traduction pertinente et pour construire un commentaire, appliquent cette règle en tout exercice, jusqu’à l’oral de concours, non sans réussite et plaisir.
22 Pour une traduction plus universitaire, qui déplace les mots de l’original, je renvoie par exemple à celle d’A. Flobert, Pline le Jeune, Lettres, livres I-X, Paris, éd. GF, 2002 : « Je ne suis pas étonné qu’un tel tableau de chasse t’ait fait le plus grand plaisir […]. Je n’ai ni le temps ni l’envie de chasser [...]. Faute de vin nouveau, je rapporte de nouvelles poésies et je te les enverrai, comme tu me le demandes si aimablement, dès qu’elles auront fini de fermenter. »
23 L’article de R. Martin, « Pline le Jeune et les problèmes économiques de son temps », 1967, réalise la synthèse entre la viticulture, la culture littéraire et la chasse à l’endroit de Pline.
24 La règle de lecture que je propose ici a été expérimentée devant un public d’horizons divers, au collège, en lycée, en classes préparatoires littéraires et scientifiques (aux lycées Henri IV de Paris et Joliot-Curie de Nanterre) et en faculté (à Paris IV-Sorbonne).
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La lecture antique en V.O.
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