Chapitre 6
Le partage du sens : pratiques collaboratives en LLCA
p. 155-175
Texte intégral
1Dans son ouvrage Le latin ou l’empire d’un signe, xvie-xxe siècle1, F. Waquet s’intéresse à la rupture entre le monde contemporain et la culture classique et plus précisément aux raisons de cette rupture, que traduit notamment l’évolution des objectifs d’enseignement du latin. Dès 1730, le fait que la connaissance du latin est inutile est une opinion répandue. Et cette opinion est toujours bien ancrée dans les esprits des collégiens, notamment lorsque l’on présente l’option latin dans les classes : « Le latin, c’est une langue morte, pourquoi en faire ? » En effet, il est possible de connaître les auteurs classiques grâce aux traductions et l’apprentissage du latin n’est plus nécessaire pour exercer certaines professions, si ce n’est pour ceux qui se destinent à une vie religieuse – mais cette préoccupation est bien loin de celles de nos élèves.
2La question que l’on peut légitimement se poser est la suivante : l’enseignement des Littératures, Langues et Cultures de l’Antiquité a-t-il besoin d’être réenchanté ? Et si c’est le cas, comment donner à cet enseignement-apprentissage un sens, qu’on a manifestement de la peine à lui trouver aujourd’hui ? Comment y parvenir sans que cela devienne une succession d’activités ludiques à thématique antique sans grand intérêt pédagogique, dont le seul avantage serait d’être enthousiasmante ?
3À cette difficulté à convaincre s’ajoutent deux autres problèmes. D’abord, un problème structurel important : les horaires sont réduits dans l’enseignement secondaire comme à l’Université. Le temps en classe est donc court et il est difficile, voire impossible, de donner du travail à la maison entre les cours. Mais le plus grand problème auquel nous faisons face est celui de l’hétérogénéité du public au sein des groupes (grands débutants et avancés en latin seconde pour une progression commune, spécialistes de Lettres classiques et non spécialistes dans un même cours de licence) mais aussi des cours multiniveaux2, avec des progressions différenciées.
4Nous nous demanderons par conséquent en quoi les travaux de groupes permettent d’accéder à une meilleure lecture/compréhension des textes authentiques. Pour répondre à ce problème de temps et à cette très grande hétérogénéité, il a semblé intéressant de travailler sur la différenciation des contenus, en fonction des niveaux et des objectifs de chaque élève ou de chaque étudiant au sein d’un même groupe-classe. Pour harmoniser la lecture des textes anciens, il faut que les compétences de chacun puissent être bénéfiques aux autres, dans une optique d’amélioration des processus d’enseignement/apprentissage. D’autre part, nous avons travaillé les textes avec nos élèves et étudiants en utilisant les méthodes d’approche par projets, qui se sont révélées très fructueuses, puisque les réalisations collaboratives dans le cadre des projets sont apparues très motivantes pour les apprenants.
5Après un retour sur les principes concernant le travail de groupe et la pédagogie de projet, qui ont mené à l’élaboration de nos protocoles, nous présenterons ainsi plusieurs expériences collaboratives menées en classes de différents niveaux (cours de latin en seconde et en première, cours de latin à l’Université au niveau L3 de Lettres modernes, cours optionnel de littérature grecque au niveau L2) : un projet autour des compétences de compréhension et expression orales et écrites mené en classe de seconde (création d’un reportage en latin), des exercices de traduction collaborative du latin en L3, des projets d’ensemble en littérature grecque, sur textes traduits, en L2.
I. Travailler en groupe(s)
6Travailler en groupe, cela signifie travailler collectivement ; or les modalités de travail de groupe, au singulier ou au pluriel, sont extrêmement variées et les avantages très nombreux. De manière générale, l’apport des connaissances est délégué au groupe de pairs et permet une meilleure assimilation par l’ensemble des étudiants. L’autonomisation d’un groupe de travail sur certains textes permet d’aboutir à une compréhension plus fine et plus personnelle des textes anciens, qu’ils soient lus dans leur version originale (en latin ou en grec) ou que les enjeux stylistiques liés à la traduction d’un texte ancien soient appréhendés dans leur ensemble.
7Le travail de groupe est exploré depuis les années 1970 dans plusieurs mouvements pédagogiques. Actuellement, l’institution incite les enseignants à mettre en place le travail de groupe, notamment de manière structurelle, en organisant les classes de primaire et de collège en îlots, favorisant ainsi les échanges au sein d’un groupe – ainsi que d’autres modalités plus complexes de travail de groupe dont on pourra tirer profit.
8Pour le travail de groupe, une différence est faite entre le travail coopératif et le travail collaboratif. Selon le Trésor de la langue française informatisé3, la collaboration est la « participation à l’élaboration d’une œuvre commune » (ses synonymes étant « l’aide, le concours ou la participation »), c’est-à-dire que chaque membre réalise l’œuvre à sa manière, tout en communiquant avec les autres participants du groupe. Nous la distinguons de la coopération, dont la définition du TLFi est « l’action de participer (avec une ou plusieurs personnes) à une œuvre ou à une action commune » : dans le travail coopératif, chaque membre réalise une partie de l’œuvre commune, et c’est l’association des parties qui va permettre d’avoir une œuvre complète. Chacun est responsable d’une partie avant une mise en commun.
9Dans les différents protocoles que nous avons mis en place, le travail coopératif prédomine au sein des groupes, tandis que le collaboratif est utilisé entre les groupes, selon les différents objectifs fixés pour les activités.
10Pour qu’un travail collectif se mette en place, il est nécessaire que l’individu ne soit pas seul dans un comportement égocentré. Le collectif n’a de sens qu’en présentiel. Ph. Meirieu, dans son « Petit dictionnaire de pédagogie (de groupe)4 », distingue la notion de « groupe » de celle de « classe ». Cette dernière serait « l’unique modalité institutionnelle possible de transmission des connaissances aux jeunes5 ». En s’appuyant sur l’ouvrage Surveiller et punir de M. Foucault6, Ph. Meirieu explique que la classe est aussi « un réseau de processus disciplinaires de dressage7 », séparant les différents temps, déterminant un programme à suivre sans négociation, jugeant les individus, favorisant une relation enseignant/apprenant hiérarchisée, décomposant les savoirs au détriment des apprentissages. Le groupe, quant à lui, chercherait à promouvoir en éducation « les relations plurielles et horizontales d’échanges entre les élèves, le contact direct avec les réalités du monde, l’évacuation totale ou partielle de l’autorité du maître8 ». Dans le travail de groupe, les relations entre pairs sont essentielles. Puisque l’enseignant n’est pas présent dans le groupe, les pairs doivent prendre en charge le comportement et l’attitude des membres du groupe : c’est toute l’autorité qui est déléguée au groupe, qui doit assurer lui-même son bon fonctionnement.
11Afin de pallier les dérives qui peuvent découler d’un travail de groupe « traditionnel », pour éviter les tendances naturelles (laisser faire les apprenants « experts », se concentrer sur le désir de savoir au lieu de celui d’apprendre, etc.), Ph. Meirieu propose un nouveau concept, celui du « groupe d’apprentissage », qu’il définit ainsi :
Sa caractéristique est d’instaurer un mode de fonctionnement groupal régulé par une tâche mais évitant la division du travail selon les compétences préexistantes. Des consignes précises sont données afin que chaque individu puisse participer au travail collectif et que cette participation soit structurellement requise pour l’accomplissement de la tâche.
Le but est d’éviter l’exclusion et la marginalisation des moins compétents. Chaque élément est nécessaire pour que le groupe arrive à réaliser la tâche. Ce groupe d’apprentissage permettrait donc de mettre en place une différenciation efficace. Chaque apprenant participe et apprend à son niveau. Ainsi, le travail de groupe devrait permettre de pallier le problème majeur de l’hétérogénéité des groupes en cours de langues anciennes.
II. Protocole no 1 : la traduction collaborative
12Dans les cours de Littératures, Langues et Cultures de l’Antiquité dans le secondaire, mais aussi à l’Université, l’accès au texte en latin ou en grec ancien se fait essentiellement par la traduction. Un des objectifs principaux est que l’élève ou l’étudiant arrive à comprendre la langue et ainsi à accéder au sens du texte, grâce à cet exercice. Cependant, la traduction rebute ou inquiète et prend un temps que la plupart des enseignants n’ont pas en classe. De plus, le travail à la maison est difficilement réalisable par les élèves et étudiants, qui expriment le besoin d’être constamment guidés dans leur processus de traduction.
13Pour répondre aux exigences des programmes ou des objectifs d’un cours à l’Université, l’exercice de la traduction est nécessaire. En classe, le travail est très long et pose de nombreux problèmes, puisque l’on vise une réussite individuelle. L’enseignant devrait aider chaque élève ou étudiant pour progresser. L’atelier collaboratif de traduction permet de renforcer les compétences de traducteur de chacun, mais aussi de faire progresser chaque élève ou étudiant à son niveau.
14Nous avons mis en place un atelier de traduction collaborative. L’objectif était que tout le monde travaille ensemble pour aboutir à la compréhension personnelle du texte latin proposé à la traduction. Cet atelier a été construit sur le modèle de la « classe en puzzle » (« Jigsaw classroom9 »). La classe en puzzle permet de réunir les deux modes de fonctionnement du travail de groupe, dans deux phases de travail. D’abord, un fonctionnement collaboratif, où chaque élève est responsable de sa tâche, puis un fonctionnement coopératif, où le groupe tente d’aboutir à la « solution » du problème.
15En cours de latin avancé à l’Université pour douze étudiants de L3 Lettres modernes, nous avons proposé cette modalité pédagogique pour traduire un texte de Valère-Maxime, assez court (87 mots). L’objectif principal était de renforcer les compétences en traduction de ces étudiants ayant déjà un niveau avancé et surtout de gagner du temps : il faut traduire plus vite. Ces étudiants se destinent en effet soit à entrer en M1 MEEF Second degré, pour passer le CAPES de Lettres modernes avec l’option d’oral « Latin pour Lettres modernes », soit en master recherche pour passer l’agrégation ensuite. La traduction individuelle en temps limité, de textes plutôt longs, est donc un objectif à court terme pour eux. Lors de cette expérimentation, nous avons proposé à un étudiant d’être l’étudiant « témoin », pour permettre d’évaluer le protocole et la réussite des objectifs. Alors que les autres allaient travailler exclusivement en groupes, l’étudiant « témoin » traduirait seul le texte. Ainsi, nous pourrions évaluer si les objectifs de gain de temps pouvaient être atteints.
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16La classe en puzzle fonctionne en deux temps : tout d’abord, des groupes d’expertise sont constitués, auxquels une tâche précise est donnée. Le groupe travaille de façon collaborative pour approfondir ses connaissances sur une thématique donnée. Ensuite, chaque expert formé rejoint un groupe qui peut bénéficier de son expertise.
17Pour l’exercice de traduction proposé, nous avons formé trois groupes de quatre experts pour la première phase, qui approfondissaient chacun un axe grammatical pour travailler le texte de Valère-Maxime : des experts en groupes nominaux, des experts en formes verbales, des experts en syntaxe (coordination et subordination)10. La première phase de ce travail de groupe a duré trente minutes.
18Pour que cette phase d’expertise soit fructueuse, il est nécessaire que ce soit l’enseignant qui forme les groupes d’experts, en fonction des connaissances à travailler. Dans ce cas précis, nous avons fait le choix de mettre ensemble des étudiants de niveau homogène, s’estimant plus faibles sur le point grammatical qu’il fallait travailler au sein du groupe d’experts. Cette phase a été fructueuse car elle a permis aux étudiants de partager leurs connaissances sur un point grammatical précis et de renforcer ainsi leurs connaissances. Les éléments linguistiques qui pouvaient poser problème ont été rapidement élucidés par chaque groupe et il n’y a pas eu de difficulté d’analyse. Le groupe semble avoir donné de l’assurance aux étudiants et permis de les rassurer. Néanmoins, dès cette première phase de travail, les étudiants ont émis des inquiétudes sur la longueur du texte : à la fin du temps imparti, chaque groupe n’était pas parvenu à analyser toutes les formes grammaticales du texte.
19Lors de la deuxième phase du temps de la classe en puzzle, de nouveaux groupes sont formés, composés d’un expert de chaque groupe de la première phase. Nous avons donc eu quatre groupes de trois étudiants, comprenant chacun un expert en groupes nominaux, un expert en formes verbales, un expert en syntaxe. Les différents experts coopèrent dès lors pour accéder au sens du texte, en fédérant leurs connaissances et analyses pour le traduire. Ce deuxième temps a duré quarante-cinq minutes.
20En analysant les traductions produites à l’issue de ce deuxième temps, nous constatons que les textes produits par les groupes sont de longueur équivalente à celui produit par l’étudiant « témoin » : tous ont traduit environ cinquante mots du texte. Cependant, la qualité des textes produits par les groupes est bien différente : de nombreuses erreurs d’analyse grammaticale et de construction demeurent dans le texte de l’étudiant « témoin », conformément à son niveau habituel. Les textes produits par les groupes sont en revanche de meilleure qualité : ils comportent moins de contresens et d’erreurs de construction, ce qui contraste avec le niveau plus faible de certains étudiants.
21L’hypothèse de gain de temps dans la traduction n’est donc pas confirmée par le protocole de la classe en puzzle, mais nous constatons qu’il apporte d’autres avantages : les traductions sont de bien meilleure qualité grâce à la confrontation des avis au sein du groupe. Les connaissances sont renforcées par le travail de groupe. Il semble donc que la coopération et la collaboration permettent bien de faire progresser les étudiants dans leurs traductions.
III. Protocole no 2 : coopérer et collaborer
22Dans l’avant-propos de son ouvrage Refonder l’enseignement des langues anciennes : le défi de la lecture, D. Augé explique : « Je suis convaincue qu’en modifiant une approche légitimée par une longue pratique, mais inadaptée aux conditions d’enseignement que nous vivons aujourd’hui, nous pouvons redonner à notre discipline le rôle qu’elle a cessé de jouer dans le paysage éducatif français11. » Plus loin, elle précise : « il me paraît essentiel d’envisager notre discipline comme une somme de savoirs à didactiser ; il s’agit en effet autant de réfléchir à ce qui doit être transmis aux élèves, qu’à la manière de leur faire acquérir les savoirs nécessaires à la lecture et à l’appropriation des textes anciens12 ». La lecture est alors placée au centre des apprentissages en langues anciennes, balayant une pédagogie qui en fait un prétexte à des exercices dits « sérieux » sur la langue. L’essentiel est de retrouver un contact authentique avec les textes. De ce fait, elle propose d’aborder la littérature antique à travers le texte authentique et non à travers le prisme de la traduction. L’objectif est de permettre à l’apprenant de développer ses compétences, en l’aidant à adopter la posture de lecteur au lieu de celle de traducteur et commentateur. Dans cette perspective, l’enseignant doit donner aux apprenants les moyens d’appréhender dans les meilleures conditions possible les ressources antiques, afin qu’ils élaborent eux-mêmes leur apprentissage.
23Or cette refonte de l’enseignement du latin semble s’accomplir pleinement lorsqu’il est question du latin vivant. En effet, cette approche oralisée replace la nature linguistique du latin au centre des objectifs pédagogiques. Dans le préambule du programme de Langues et Cultures de l’Antiquité au collège en date de 201613, il est expliqué : « ne relevant plus de la communication orale, les langues latine et grecque ont acquis le statut de langues de culture par excellence ». L’expression « communication orale » est particulièrement pertinente. Si le latin oral n’est pas exclu, il n’est évidemment pas question d’en faire un outil de communication. Cette approche de la langue doit favoriser l’apprentissage du vocabulaire, des structures syntaxiques et fournir aux apprenants une meilleure aisance face aux textes anciens, comme cela est expliqué dans un document disponible sur le site Eduscol14, « Oraliser le latin » :
De fait, il s’agit bien d’arriver à « lire » aisément le latin et l’approche oralisée doit être considérée comme moyen, accélérateur et levier, non comme fin en soi. Pour atteindre ces objectifs en latin, il importe de lire des textes latins, lire au sens plein du terme, c’est-à-dire comprendre directement ce qu’on lit, sans l’obstacle du déchiffrage mot-à-mot ni la réduction à une structure de phrase française qui vient dénaturer et trahir le mouvement du discours en latin.
24Pourquoi oraliser le latin ? Les objectifs mis en avant sont les suivants : redonner vie à une langue que les apprenants perçoivent uniquement comme écrite ; aider les apprenants à entrer dans les textes et à se les approprier ; faciliter la compréhension et l’apprentissage de la langue. Le but est d’acquérir un savoir-faire linguistique grâce à la mémorisation du vocabulaire et la manipulation intensive des structures grammaticales et syntaxiques.
25C. Fievet souligne du reste, dans l’un de ses articles portant sur les pratiques orales, que « tout acte de langage repose non pas sur une somme de connaissances, mais sur l’exploitation de tout un système de comportement15 ». Selon lui, deux types de démarches doivent se combiner pour atteindre l’objectif, à savoir faire lire du latin avec un maximum d’aisance : la démarche explicite qui consiste à fournir aux étudiants un éclairage plus performant concernant le fonctionnement réel de la langue latine ; la démarche opératoire qui met en avant le fait que le savoir sur la langue a toutes les chances de rester inactif et inutilisable si on ne le transforme pas en savoir-faire. Il propose la mise en place d’une méthode baptisée audio-orale. Celle-ci découle du constat de l’efficacité toute relative de l’enseignement traditionnel des langues anciennes, celui dans lequel le texte authentique est « une religion » et où les observations linguistiques ne permettent pas de construire une connaissance cohérente de la langue. Le même constat est établi par D. Augé après la réalisation d’un test, consistant à mettre une liste de mots latins au pluriel, auprès d’apprenants regroupant d’anciens latinistes et des non-latinistes16 : les résultats lui permettent de supposer que les apprenants latinistes ont moins bien réussi parce qu’ils cherchent à se souvenir au lieu de réfléchir17.
26Le matériel pédagogique de la méthode audio-orale est un manuel divisé en trois niveaux progressifs, commençant par des textes fabriqués pour aller vers des textes littéraires ; l’objectif n’est pas de passer avant tout par l’exercice de la traduction, mais de permettre une compréhension globale des textes, afin « de s’interdire de faire comprendre une pensée à travers l’écran du français18 ». Le premier temps est celui de la lecture compréhensive, qui consiste à appréhender le texte par des approches variées à l’oral (périphrases, paraphrases, équivalents lexicaux, etc.), puis à proposer un commentaire morphosyntaxique du texte. Dans un deuxième temps, une synthèse linguistique est faite sur telle ou telle structure présente dans le texte. Enfin, les apprenants réalisent des activités relevant de la pratique active de la langue, pour exploiter et s’approprier les acquis. L’enjeu de cette méthode est d’en finir avec la traduction comme condition de la compréhension, et favorise à l’inverse une compréhension initiale, débouchant dans un second temps sur la traduction. En d’autres termes, cette méthode donne la prééminence à l’acte de lecture, en proposant une pédagogie « de la lecture et de la compréhension » explicite et opératoire. Il s’agit de mettre de côté la méthode analytique qui réduit le texte latin à une juxtaposition d’éléments que seule une dissection permettrait de comprendre, alors que le latin doit être perçu « dans son étrangeté et sa cohérence19 ».
27Cette méthode nécessite pour l’enseignant de modifier son rapport à l’enseignement des langues anciennes et de mettre en place de nouvelles structures pour favoriser la lecture-compréhension. Le premier élément important est le lexique, le but étant de ne plus utiliser le dictionnaire. Il faut donc mettre en place une pédagogie permettant une mémorisation efficace et simple. Le deuxième élément est la grammaire qualifiée d’opératoire et d’interne, soit « un réseau de mécanismes acquis et intériorisés de manière inconsciente […], non pas un savoir mais un système de comportement20 ». Se mettent alors en place des habitudes, permettant aux apprenants de reconnaître des faits de langue et donc de structurer l’énoncé. Or la pratique orale est particulièrement efficace pour installer ce réseau d’habitudes. Ses avantages sont nombreux et permettent notamment de mettre l’apprenant en situation de compréhension directe, tout en offrant une activité linguistique maximale en un minimum de temps.
28Cependant, l’auteur appelle à la nuance devant ce tableau en apparence si efficace :
Il ne faut pas se leurrer : la lecture du texte littéraire restera toujours pour nos élèves une tâche difficile. Ceci, qui est déjà vrai en langue vivante, l’est encore davantage en latin, car la littérature latine est une littérature d’artistes, très élaborée et savante, et son contenu pour des lecteurs de notre temps est tout à fait exotique21.
29De plus, si la lecture permet de consolider la langue maternelle, la comparaison n’est pas pertinente ici, le temps scolaire n’étant pas le temps de la vie. Il est donc nécessaire de réintroduire la grammaire, en évitant un travail morphologique sur des formes isolées, pour travailler plutôt la « grammaire de dépendance » de L. Tesnière et notamment l’interrogation par mots vides22. En ce qui concerne la syntaxe, le but est d’aboutir à une grammaire explicite, c’est-à-dire de dégager les effets de sens à partir des formes et des structures, au lieu de catégories logiques. En définitive, C. Fievet propose une approche mixte, associant savoir et savoir-faire.
30Dans le cadre de l’objet d’étude « La rhétorique : l’orateur et la puissance de la parole », nous avons proposé à des élèves latinistes de première d’un établissement du Vercors une séquence intitulée Arma togae cedant sur la conjuration de Catilina, avec l’étude de la Première Catilinaire de Cicéron. Un des objectifs principaux de cette séquence était de découvrir la rhétorique de Cicéron, d’analyser la construction d’un discours oratoire et surtout de réinvestir ces savoirs et savoir-faire par l’écriture d’un discours, certes en français, mais reprenant les codes de la rhétorique.
31Tout d’abord, pour pouvoir aboutir à l’écriture d’un discours digne des orateurs romains, une étude précise de la Première Catilinaire a été faite afin d’en dégager les différentes parties et surtout d’en expliciter les caractéristiques rhétoriques. Pour ce faire, des références appuyées au texte de La rhétorique à Hérennius ont été particulièrement déterminantes, permettant de nommer précisément les étapes de rédaction d’un discours, mais aussi les différentes parties indispensables pour être efficace. Outre l’analyse de la forme, il a été demandé aux élèves, qui travaillaient par groupe, de relever trois arguments avancés par Cicéron.
32Dans un deuxième temps, la consigne était la suivante : « Vous êtes quatre ou cinq jeunes orateurs romains. Indignés par le traitement que Cicéron inflige à Catilina, vous décidez de prendre sa défense dans un discours à la force rhétorique renversante ». Sur les consignes étaient rappelées les différentes étapes de rédaction d’un discours, afin de guider les élèves et surtout leur faire prendre conscience de leur démarche. Ce travail de groupe a été réalisé en salle informatique, avec l’outil collaboratif Framapad. Dans les péroraisons produites par les élèves, on constate le réinvestissement des figures de style repérées lors du travail d’analyse du texte, comme les énumérations, les questions oratoires et l’adresse directe.
33Par ailleurs, comme l’efficacité d’un discours selon la rhétorique antique réside aussi dans sa vocalisation, une séance a été consacrée à la mise en voix des textes écrits. Chaque groupe a pu clamer son discours en travaillant ainsi l’actio. Cette reconstitution d’un discours antique a été particulièrement constructive. Les élèves ont dû réfléchir non seulement à la mise en voix, mais aussi à la mise en espace, qui s’est souvent caractérisée par un jeu sur la répartition de la parole, et par le choix de mouvements réfléchis pour tenter de donner plus de force au discours. La configuration de la salle faisait penser à un concours d’éloquence, et les élèves se sont réellement investis.
34Ensuite, en prévision de la semaine culturelle du lycée, les élèves ont travaillé sur une deuxième version de leur discours. En s’appuyant sur leur travail précédent et sur l’argumentation construite, ils ont réécrit ou plutôt détourné leur texte : le but était de reconstituer une joute verbale entre Cicéron et Catilina, mais sous forme de « battle de rap ». Ils ont été particulièrement enthousiasmés à cette idée. Deux « teams » ont été créées, la « Cicécrew », en faveur de Cicéron, et la « Cateam » pour les défenseurs de Catilina. Une autre mise en scène a secondé cette nouvelle création, adaptant ainsi une affaire judiciaire retentissante d’il y a plus de deux mille ans à un fonctionnement contemporain.
35Après la prestation des deux équipes, les spectateurs présents dans l’amphithéâtre (des élèves et des professeurs qui représentaient des sénateurs) devaient procéder à un vote en répondant à la question suivante : « Catilina doit-il être condamné à mort ? » Il leur a été remis deux tablettes, l’une portant l’inscription VT pour VTI ROGAS (« comme tu le demandes ») et l’autre, A pour ANTIQVO (« je rejette »). Ils devaient déposer leur choix dans une urne après être montés sur une caisse en bois représentant le pont des suffrages. Le dépouillement a eu lieu dans la foulée : Catilina a été sauvé lors des deux représentations.
36Ce projet a donc permis de se réapproprier un texte antique pour en dégager les principes, travaillant ainsi sur la forme. Le réinvestissement de ces mêmes principes dans un travail d’écriture permet alors aux apprenants de perfectionner leurs compétences littéraires générales.
IV. Protocole no 3 : l’approche par projet
37Il semble évident que la pratique du latin vivant nécessite de placer l’apprenant au centre des apprentissages. Or cette approche est le cœur même de la pédagogie de projet. Cette méthode dite active a commencé à être théorisée au début du xxe siècle avec le « hands on learning » de J. Dewey. Le principe est de rendre l’apprenant acteur de son apprentissage, l’enseignant ayant alors une place de médiateur, de guide, de facilitateur. M. Huber donne la définition suivante de la pédagogie de projet23 :
Un mode de finalisation de l’acte d’apprentissage. L’élève se mobilise et trouve du sens à ses apprentissages dans une production à portée sociale qui le valorise. Les problèmes rencontrés au cours de cette réalisation vont favoriser la production et la mobilisation de compétences nouvelles, qui deviendront des savoirs après formalisation. Ces problèmes abordés collectivement vont activer des conflits sociocognitifs dont le dépassement complexifiera les acquisitions en cours.
Le fait que l’apprenant soit acteur est l’une des difficultés majeures de la mise en place de la pédagogie de projet. En effet, l’enseignant ne doit pas présenter un projet qu’il aura déjà pensé de bout en bout, car il risquerait de solliciter les élèves non pas dans un processus créatif, mais dans une répétition de ce qui est attendu. Cela empêcherait toute autonomie et, même menée dans l’enthousiasme, l’initiative perdrait de son intérêt cognitif. De ce fait, il faut prévoir une part de négociation dans la mise en œuvre du projet, afin de laisser une place pleine et entière aux apprenants.
38Il existe des modalités variées dans la pédagogie de projet, notamment les méthodes des apprentissages par problème/projet (APP), couramment utilisées dans l’enseignement supérieur. L’APP se définit ainsi24 :
Dans l’apprentissage par problèmes (APP), ou apprentissage par résolution de problèmes, les apprenants, regroupés par équipes, travaillent ensemble à résoudre un problème généralement proposé par l’enseignant, problème pour lequel ils n’ont reçu aucune formation particulière, de façon à faire des apprentissages de contenu et de savoir-faire, à découvrir des notions nouvelles de façon active (il s’instruit lui-même) en y étant poussé par les nécessités du problème soumis.
Les avantages de l’APP sont nombreux : les apprenants travaillent en autonomie et approfondissent une question par eux-mêmes. La confrontation des pairs permet la résolution du problème.
39Nous avons expérimenté cette démarche dans un cours optionnel de deuxième année de licence, intitulé « La littérature antique et ses réécritures »25. Nous avons imaginé plusieurs APP tout au long du semestre, comportant une situation problème dont l’analyse devait aboutir à une production commune, par groupe de quatre à six étudiants. Les objectifs étaient de découvrir des textes antiques et leurs réécritures, de comprendre les enjeux du genre littéraire en question dans l’Antiquité26, de s’approprier les réécritures pour proposer une production inédite, avec des contraintes précises, en six heures (trois séances de deux heures).
40Par exemple, la situation-problème de l’APP sur Médée menant à une production était posée en ces termes :
Vous êtes un jeune metteur en scène spécialisé dans les représentations des pièces antiques : vous mettez toujours un point d’honneur à respecter la dimension civique du théâtre et vous abordez des thèmes polémiques actuels grâce à la distance de l’Antique.
Le directeur du TNP de Villeurbanne vous demande de monter pour la saison 2018-2019 une « Médée », pour faire suite à « Électre » et à « Antigone » (2016). Proche de vos idées et amoureux du théâtre grec, Christian Schiaretti vous propose de monter une pièce au texte inédit : votre « Médée » sera fidèle à Euripide, mais mettra en avant toutes les réécritures théâtrales successives de ce grand texte (Sénèque, Corneille, Anouilh, Müller).
Vous écrivez la note d’intention de la mise en scène, en agrémentant votre travail d’un Padlet pour justifier votre choix et présenter votre nouveau texte et votre projet, qui ne trahiront pas le mythe grec, ni vos conceptions du théâtre.
La production finale est donc une note d’intention d’environ deux pages, associée à un portfolio numérique (Padlet), où les étudiants auront recomposé un texte complet racontant le mythe de Médée, un véritable patchwork de textes. Le portfolio présentera également leurs influences visuelles et regroupera leurs idées de mise en scène de ce texte.
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41Les avantages du travail de groupe guidé dans l’APP sont nombreux, puisque les étudiants sont pleinement investis dans la résolution du problème et la production demandée. Il n’y a pas de « bonne » solution, puisque, si les étudiants suivent les contraintes – essentiellement formelles – imposées par le sujet, les réponses apportées par les différents groupes sont très différentes et toutes personnelles, correspondant aux différentes personnalités.
42Ainsi, nous avons pu observer la grande implication des étudiants dans ces différents APP : le travail en classe est exclusivement réservé au travail de groupe, réalisé en autonomie, et suit une trame de sous-tâches élaborée par l’enseignant. À la fin de chaque séance, le groupe se répartit le travail qui est à faire, individuellement, pour la semaine suivante (lecture des textes, analyses d’extraits, idées, rédaction d’un extrait de la production, etc.). Nous remarquons que le travail est fait systématiquement par les étudiants, car il est nécessaire pour pouvoir avancer dans le projet. Le groupe de pairs permet de s’autoréguler et de renforcer les apprentissages.
43Les compétences mises en œuvre dans ces APP sont donc très variées et chaque étudiant est impliqué et mis à contribution, dans sa compréhension et ses analyses littéraires. Enfin, chaque APP a fait l’objet d’une évaluation « traditionnelle », individuelle (QCM et questions d’analyse de réécriture), en plus de l’évaluation de la production du groupe. Ces évaluations montrent que les connaissances littéraires sont mieux assimilées que lors d’un cours sans travaux de groupe et sans projet de production. Le travail de groupe autour d’un projet permet donc effectivement, selon notre expérience, d’améliorer les apprentissages.
44La pédagogie de projet est également efficace dans le secondaire, avec des modalités différentes. Nous avons mené un projet avec une classe à effectif très réduit (sept élèves) de latinistes de seconde dans un établissement du Vercors. La tâche finale consistait à écrire et tourner un documentaire exclusivement en latin sur les croyances orientales et celtiques. La séquence, qui s’est déroulée en fin d’année, s’intitulait « Croyances au-delà des frontières ».
45La réflexion, dans la construction de la séquence, s’est articulée autour de la place du texte antique : comment l’aborder dans son authenticité et sa complexité ? Comment en varier les approches ? Comment l’exploiter sans passer forcément par sa traduction ? Comment en faire le support d’une réécriture ? Le but est de concrétiser les apprentissages dans une approche actionnelle27 et ce grâce à l’inscription de notre enseignement dans une pédagogie de projet.
46Les objectifs culturels et historiques de la séquence consistaient en la découverte des pratiques religieuses orientales et celtiques – donc les cultes à mystère et la romanisation de ces cultes. L’intérêt était de sortir des frontières du territoire romain afin de proposer aux apprenants un panorama culturel plus large. Les aspects linguistiques, quant à eux, s’articulaient autour d’une révision et d’un approfondissement des prépositions et de leur emploi, de la découverte et l’emploi de la proposition infinitive, de la découverte des pronoms (personnels, de rappel, démonstratifs) et de l’interrogation en latin. Contrairement à la façon habituelle de faire, ce ne sont pas les objectifs linguistiques qui ont motivé le choix des textes, mais bien les textes et les activités liés à l’écriture du reportage qui ont dicté les objectifs linguistiques.
47Au cours de la séquence (celle dont nous faisons état a duré une quinzaine d’heures), les apprenants doivent développer quatre compétences sollicitées dans les langues modernes : la compréhension écrite (faire des hypothèses de sens à la lecture d’un texte) ; la compréhension orale (émettre des hypothèses de sens à la lecture d’un énoncé par le professeur) ; l’expression écrite (rédiger des textes en latin à partir des structures grammaticales et des textes étudiés) ; l’expression orale (réciter un texte latin, tenir un discours en latin).
48Quatre approches des textes antiques ont été exploitées. Tout d’abord, l’étude d’un texte donné avec une traduction partielle a servi de support à une écriture collaborative. Il s’agissait d’un extrait des Métamorphoses d’Apulée (XI, 22-25) dans lequel Lucius raconte son initiation au culte d’Isis. À partir de cette lecture et de la traduction orale des passages non traduits, les apprenants ont écrit l’interview de Lucius, certains se chargeant de rédiger les questions après une leçon sur l’interrogation en latin, et d’autres, les réponses, en s’appuyant notamment sur des passages signalés. Certains passages du texte ont même été repris dans leur intégralité. Le travail a été mené sur Framapad, pour favoriser la collaboration.
49Dans une deuxième approche, le texte a été donné en traduction et a servi de support culturel. Il s’agissait d’un extrait des Fastes d’Ovide (IV, 179-292) sur le culte de Cybèle. Cela permettait de donner un arrière-plan culturel et, si la version originale n’a pas été exploitée directement, elle a permis de mieux appréhender le document iconographique, un bas-relief datant du iie siècle avant J.-C. et représentant Attis (reconnaissable par ses attributs dont le bonnet phrygien) et Cybèle (accompagnée d’un lion). Ce document était au centre d’une séquence du reportage : il a été demandé aux apprenants d’écrire une ou plusieurs phrases pour décrire le bas-relief. La construction syntaxique était simple, l’accent étant mis sur la bonne utilisation des prépositions.
50La troisième approche consistait en la traduction intégrale d’un texte qui a servi de support à une réécriture. Il s’agissait d’un extrait des Nuits attiques d’Aulu-Gelle (I, 19) racontant l’anecdote entre Tarquin le Superbe et la Sibylle. Le texte latin, accompagné de vocabulaire, a été traduit et a notamment permis l’étude de la proposition infinitive. L’objectif était de réécrire l’anecdote en exploitant cette tournure. Le texte final est certes répétitif mais montre que la structure a été comprise : les élèves sont capables de la reproduire, mais aussi de commenter avec un discours métalinguistique.
51Enfin, dans une dernière approche, le texte donné sans traduction a servi de support à la mise en scène d’une séquence du reportage. Il s’agissait d’un extrait de La guerre des Gaules de César (VI, 13-14). Des passages précis ont été lus et étudiés, mais dans une approche de compréhension globale. Le reste du texte, traduit, constituait une aide. À partir de la compréhension du texte, les apprenants ont envisagé une mise en scène.
52Ainsi, chaque séance a permis de développer l’une ou l’autre des compétences évoquées plus haut, dans l’optique de créer du contenu pour la tâche finale, à savoir le reportage. Toutes les séances ne se sont pas terminées par de l’expression écrite, mais chaque compétence a été travaillée, rapprochant ainsi la pratique du latin de celle des langues modernes. Les objectifs culturels, historiques et linguistiques ont été atteints. Leur ancrage dans le projet les a rendus indispensables aux yeux des apprenants, qui ont mieux compris l’importance de les acquérir pour réussir la production finale.
53En conclusion, comme le soulignent C. Fievet et D. Augé dans les travaux cités plus haut, plus la pratique de la lecture-compréhension est régulière, plus les apprenants sont à l’aise face aux textes authentiques. Nous ne prétendrons pas à des progrès fulgurants, mais nous avons pu constater que la structure des textes était plus facilement appréhendée, les connecteurs logiques plus facilement repérés et les hypothèses de sens plus facilement établies. De ce fait, l’exercice de traduction a pu être désacralisé et dédramatisé.
54La pratique du latin vivant, quant à elle, a été une vraie découverte et réelle source de motivation pour les apprenants. Cela semble avoir changé leur regard sur la langue latine, l’avoir rendue plus accessible. Avoir mis cette approche au cœur de la pédagogie de projet a été efficace.
55Enfin, la motivation des apprenants a été croissante. Dès le début de la séquence, ils savaient qu’ils avaient un but en commun et tout le travail fourni a été fait dans cette optique. Cela a permis de créer une dynamique propice aux apprentissages. Les apprenants n’ont pas hésité à prendre des risques, à se tromper et à se corriger les uns les autres, avec l’objectif constant de progresser. Le travail de groupe s’est ritualisé, la mise en activité étant particulièrement rapide. Il en est de même pour le travail collaboratif. Les apprenants mentionnaient régulièrement la production finale. Ils ont clairement perçu que chacun avait un rôle à jouer. Ils ont constamment été actifs, attentifs aux propositions de leurs camarades dans une véritable émulation. Encore une fois, la pédagogie de projet semble avoir tenu ses promesses.
Conclusion
56Dans ces expérimentations, les projets de groupe permettent de modifier considérablement l’ambiance de travail de la classe, puisqu’ils responsabilisent élèves et étudiants, pleinement investis dans la production à réaliser. De manière générale, les échanges entre pairs sont libérés dans les groupes et apparaissent fructueux, lorsqu’ils sont guidés par un même objectif. Les méthodes actives permettent de replacer l’apprenant au centre de l’apprentissage, autorisant notamment le « droit à l’erreur » – l’erreur n’est en effet pas sanctionnée par l’enseignant puisqu’elle reste dans la confidentialité du groupe. Par le soutien mutuel autour d’un objectif, de production écrite généralement, le groupe renforce ses connaissances et approfondit ses idées. Cette importance des travaux de groupe n’efface néanmoins pas l’importance des moments où l’enseignant reprend sa place traditionnelle, lors de temps magistraux, qui sont nécessaires aux élèves et étudiants : l’enseignant continue à donner des outils (des connaissances ou des pistes pour faciliter le travail de groupe) pour qu’ils puissent réussir la production demandée.
57Que ce soit dans le secondaire ou le supérieur, les protocoles pédagogiques sont généralement identiques, mais les modalités de mise en œuvre peuvent changer légèrement – notamment sur l’organisation du travail de groupe : les lycéens ont besoin d’être plus guidés dans leurs tâches, alors que les étudiants de l’Université sont plus autonomes face aux textes.
58Ainsi, il apparaît évident que l’enseignement des Littératures, Langues et cultures de l’Antiquité n’a de cesse d’évoluer en fonction des nouveaux enjeux et nouveaux outils auxquels il est confronté. Si la relation au texte antique garde sa place centrale, une remise en question de la façon de l’appréhender s’impose, afin de le mettre au service soit de l’analyse et du métadiscours linguistique, soit de la compréhension du sens du texte.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 F. Waquet, Le latin ou l’empire d’un signe. xvie-xxe siècle, 1998.
2 Les seuils d’ouverture des cours à l’Université Grenoble Alpes sont élevés : il faut au moins une quinzaine d’étudiants. Il est donc parfois nécessaire de faire des cours multiniveaux afin de maintenir la continuité de l’enseignement sur les années de licence – le plus souvent pour les cours de grec ancien.
3 Ressource accessible en ligne sur http://atilf.atilf.fr/.
4 Ressource accessible en ligne sur https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/dictionnaireliste.htm.
5 Le groupe « classe », paragraphe 2, disponible sur https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/groupe.htm.
6 M. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.
7 Le groupe « classe », paragraphe 3, disponible sur https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/groupe.htm.
8 Le groupe « classe », paragraphe 4, disponible sur https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/groupe.htm.
9 Cette technique a été inventée en 1971 par le psychologue américain Elliot Aronson : cf. le site https://www.jigsaw.org/#overview (consulté le 29/06/2020).
10 Lors d’autres expérimentations, avec davantage d’étudiants, nous avons proposé d’ajouter des groupes d’experts : expert en lexique, en propositions, en pronoms, etc. Néanmoins, la multiplication des champs d’expertise a une incidence directe sur le nombre de membres du groupe dans la deuxième phase de la classe en puzzle et peut provoquer des dysfonctionnements au sein du groupe (en général, groupe trop important).
11 D. Augé, Refonder l’enseignement des langues anciennes : le défi de la lecture, 2013, p. 7.
12 D. Augé, ouvr. cité, p. 145.
13 Ressource disponible en ligne sur https://eduscol.education.fr/cid101488/langues-cultures-antiquite-enseignement-complement.html.
14 S. Justome, « Oraliser le latin », Eduscol, mars 2013, p. 1.
15 C. Fievet, « Comment conjuguer l’explicite et l’opératoire : de la pratique orale au latin littéraire », 2003, p. 2.
16 La consigne et la liste étaient les suivantes : Vous mettrez au pluriel les mots suivants : regem ; ancillam ; solutionem ; puellam ; principem ; deam ; quaestionem ; terram ; consulem ; fabulam.
17 D. Augé, Refonder l’enseignement des langues anciennes : le défi de la lecture, 2013, p. 22.
18 C. Fievet, « Comment conjuguer l’explicite et l’opératoire : de la pratique orale au latin littéraire », 2003, p. 3.
19 Ibid.
20 C. Fievet, « Comment conjuguer l’explicite et l’opératoire : de la pratique orale au latin littéraire », 2003, p. 6.
21 Art. cité, p. 8.
22 Cf. L. Tesnière, Éléments de syntaxe structurale, 1988 [1959] et l’article Wikipédia sur le stemma défini par L. Tesnière : « Un stemma est, en linguistique, un arbre représentant la structure de la phrase selon L. Tesnière. Dans cet arbre, le verbe a un rôle capital, il n’est le complément de rien. À part le verbe, chaque élément est le complément d’un autre élément. Chaque élément est ainsi dépendant d’un autre. […] Un lien de dépendance est appelé un nœud. L. Tesnière distingue les mots capables de former des nœuds de ceux qui n’en sont pas capables. Ainsi je, très, etc. sont des mots vides parce qu’ils n’ont pas la capacité de former un nœud, d’avoir un autre mot sous leur dépendance. Il s’agit des déterminants, pronoms et adverbes non autonomes. Au contraire, les mots pleins, noms, verbes, et certains pronoms et adverbes assez autonomes, peuvent former des nœuds », disponible en ligne sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Stemma_(linguistique) (consulté le 26/05/2018).
23 M. Huber, Apprendre en projets : la pédagogie du projet-élèves, 2005, p. 18.
24 Sur l’APP : M. Fabre, Situations-problèmes et savoir scolaire, 1999 ; on peut aussi consulter, pour plus de facilité d’accès, la ressource correspondant à la page Wikipedia consacrée à l’Apprentissage par problèmes, disponible en ligne sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Apprentissage_par_probl%C3%A8mes.
25 « Cours optionnel » signifie que les étudiants viennent de mentions de licence différentes et n’ont pas de connaissance préalable de la langue grecque ou latine. Ce cours se fait donc sur textes traduits.
26 Trois genres littéraires ont été abordés au cours du semestre : l’épopée avec l’Iliade, le théâtre avec Médée d’Euripide et le roman avec les Histoires vraies de Lucien.
27 La perspective actionnelle est définie ainsi dans le CECRL (Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues), chap. 2.1, p. 15 : « [Dans une perspective de type actionnel] l’usager et l’apprenant d’une langue [sont considérés] comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. […] Il y a tâche dans la mesure où l’action est le fait d’un (ou de plusieurs) sujet(s) qui y mobilise(nt) stratégiquement des compétences dont il(s) dispose(nt) en vue de parvenir à un résultat déterminé ».
Auteurs
PRAG à l’Université Grenoble Alpes
Académie de Grenoble, enseignante du secondaire
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