Les origines
p. 21-45
Texte intégral
J’aime que les hommes créent leur vie comme s’ils allaient vers ce jour de nudité, de peur, de vérité – qui est la peur vue de face –, de tremblement dans la lumière.
Pascal Quignard1
1Dans le Londres de la reine Victoria, Charles Dante Gabriel Rossetti fait figure d’étranger. Se démarquant de l’éducation familiale fortement imprégnée des traditions et de la langue italiennes, il se forge une identité hybride où l’on discerne les traits propres à l’une et l’autre des deux cultures2. Personnage caméléon, il est perçu comme l’heureux mélange de deux cultures aux caractères opposés : si son ascendance anglaise est vue comme à l’origine de son flegme et de ses parfaites manières de gentleman, son caractère extraverti, et même extravagant, est souvent expliqué par le sang italien qui coule dans ses veines.
2Physiquement, son double héritage est visible dans l’alliance singulière d’un teint clair, d’un regard noir et d’une barbe broussailleuse qui souligne ses lèvres charnues. L’autoportrait au crayon que le jeune homme exécute en 1847 donne une idée de l’image qu’il souhaite donner de lui : ses cheveux mi-longs tombent en boucles sur ses épaules, il tend un regard franc vers le spectateur, et sa bouche arbore une expression légèrement boudeuse. Tout révèle chez l’artiste le désir de plaire et de se montrer comme il tenebroso. Au-delà de son apparence, son tempérament d’artiste est souvent analysé en référence à ses origines mixtes et à l’idée d’une harmonie entre les deux héritages. Sharp note par exemple : « Il y avait dans son comportement une certaine rigidité anglaise, qui contrastait avec sa souplesse d’esprit raffinée toute italienne.3 » Le frère de l’artiste souligne, lui, le caractère anglais de Gabriel :
C’était même un genre de John Bull dans la préférence irrationnelle et passionnée qu’il affichait pour les Anglais et tout ce qui était anglais par rapport aux étrangers et à ce qui était étranger.4
3En marge de ces jugements, Rossetti adulte semble s’être forgé une nouvelle identité qui lui permette de jouer sur les deux tableaux pour incarner la figure du barde errant, à mi-chemin entre Dante et Keats. Parfaitement bilingue, il est aussi éloquent dans les deux langues, parlant en anglais d’une voix sensuelle chargée des inflexions de l’italien. Sa voix mélodieuse est pour ses auditeurs une des marques de sa singularité.
4Par son appartenance à deux cultures, Rossetti occupe au départ de sa carrière la position privilégiée d’outsider. Prince exilé, il devient rapidement prince consort, leader incontesté du mouvement préraphaélite, « roi soleil » d’une cour d’artistes intrigués par son exotisme flamboyant. Ses origines italiennes, consciemment acceptées en héritage dans les choix qu’il fait pour ses premières œuvres, ajoutent à la complexité de son personnage. Ainsi, la traduction et l’illustration de l’œuvre de jeunesse de Dante, La Nouvelle Vie, signalent sa volonté d’importer en Grande-Bretagne son héritage littéraire et culturel5 tout en s’inscrivant dans la lignée d’une généalogie artistique prestigieuse. Au commencement, c’est par le père, spécialiste de Dante, que se transmet la tradition et que le poète s’engage dans sa quête artistique.
5En effet, l’influence de son père est considérable en tant qu’elle le prédispose à un avenir glorieux. Dans ce rapport à la paternité, Gabriele est non seulement le père naturel de Dante Gabriel, mais aussi le représentant symbolique du pays et de la langue d’origine qui lient le jeune homme à une tradition artistique. Au domicile des Rossetti, le bureau de Gabriele est le siège de l’Italie et le lieu symbolique du rayonnement linguistique et culturel du paterfamilias à Londres. Comme l’explique le frère de Dante Gabriel, William Michael, l’atmosphère familiale est dominée par le personnage rocambolesque de Gabriele, parlant souvent italien et discutant politique et littérature avec d’autres compatriotes réfugiés comme lui en Grande-Bretagne.
6 Issu de la première vague d’émigration politique, Gabriele Rossetti était arrivé en Grande-Bretagne dès 1824 et garda tout au long de sa vie la nostalgie de la patrie perdue et l’ambition de retourner au pays de Dante. Comme le grand poète italien, il se sentait assigné à résidence à Londres et, tout en cherchant à établir sa propre réputation d’auteur, consacra sa vie à l’étude de La Divine Comédie. Dante, véritable père symbolique du foyer, se posa en influence majeure dans l’imaginaire des deux poètes de la famille, Dante Gabriel et sa sœur Christina6. Baptisé Charles Dante Gabriel, Rossetti souligne la parenté en inversant, à vingt et un ans, l’ordre des prénoms, Dante Gabriel Charles, pour faire apparaître en premier celui du poète. À travers les nombreuses illustrations qu’il consacre à Dante, Rossetti poursuit toute sa vie une réflexion sur l’œuvre du grand poète italien et sur le parallèle qui existe entre lui et son émule. En 1861, il compose à la mémoire de son père un sonnet qu’il intitule « Dantis Tenebrae », dans lequel il médite sur le sens de son prénom et de cet héritage paternel :
Dantis Tenebrae | |
(In Memory of my Father) | |
And didst thou know indeed, when at the font | |
Together with thy name thou gav’st me his, | |
That also on thy son must Beatrice | |
Decline her eyes according to her wont, | |
5 | Accepting me to be of those who haunt |
The vale of magical dark mysteries | |
Where to the hills her poet’s foot-track lies | |
And wisdom’s living fountain to his chaunt | |
Trembles in music ? This is that steep land | |
10 | Where he that holds his journey stands at gaze |
Tow’rd sunset, when the clouds like a new height | |
Seem piled to climb. These things I understand : | |
For here, where days soothes my lifted face, | |
On thy bowed head, my father, fell the night. 7 |
7À la manière de Dante s’adressant dans La Divine Comédie aux âmes des défunts, Rossetti se place à la lisière du royaume des ombres d’où il interpelle son père et l’interroge. La question porte sur l’influence qu’a pu avoir le choix du prénom de Dante et sur sa vocation de poète. Si le père biologique transmet le nom, il transmet également un prénom qui précède le nom de famille et occupe une place prépondérante au niveau de l’héritage culturel : dans les trois premiers vers, Rossetti met en évidence les liens que le prénom tisse entre la figure du poète italien – auquel il est fait allusion de façon indirecte – et celle du fils prédestiné par le père à prendre la place des deux figures patriarcales, son père spirituel (Dante) et son père biologique (Gabriele).
8Le choix du prénom exprime ainsi une affinité – à ce stade désirée, plus que réalisée – entre l’expérience poétique de trois générations. Dante et Gabriele se trouvent associés chez Dante Gabriel qui unit par son prénom les deux figures, celle du poète et de celui qui consacra sa vie à l’étude de ses œuvres : « Together with thy name thou gav’st me his » (v. 2). Opérant un glissement supplémentaire, Rossetti affirme ensuite que le parallèle qui existe entre lui et Dante ne se limite pas à l’identité de leurs prénoms mais que, comme Dante, il a été choisi par Béatrice à laquelle il voue la même dévotion que le poète italien : « That also on thy son must Beatrice / Decline her eyes according to her wont, / accepting me to be of those who haunt / The vale of magical dark mysteries8 » (v. 3-6).
9Ce sonnet met l’accent sur le fait que Rossetti, ayant été prédestiné dès sa naissance à suivre l’exemple de Dante (« Where to the hills her poet’s foot track lies », v. 7), doit entreprendre le même voyage. Quelle en est la nature ? « The vale of magical dark mysteries » (v. 6) suggère qu’il s’agit d’un voyage semblable à celui que Dante effectua dans La Divine Comédie. C’est une traversée, un voyage éminemment métaphorique, qui mène le poète en bordure du monde et aux confins de la création artistique, lui donnant à voir ce que nul autre n’a pu voir avant lui : faire l’expérience de la mort et en sortir vivant, pour en rapporter le témoignage à ses contemporains.
10De même, dans « Dantis Tenebrae », Rossetti entreprend son premier voyage poétique en s’engageant dans les ténèbres dantesques. Du point de vue de la forme, le sonnet suit le cheminement d’une pensée qui a pour origine la mort (Dantis Tenebrae) et s’achève dans la mort : « On thy bowed head, my father, fell the night » (v. 14). Entre ces deux extrêmes, le poète, conscient de l’héritage conféré par le nom du père et le prénom donné par son père, se présente comme en marche. Évoquant son baptême, il se tourne vers son destin de poète et accepte à son tour la difficulté de la quête artistique : « These things I understand » (v. 12).
11En pélerin novice, il prend la mesure du nouveau paysage qui s’offre à ses yeux, conscient que la disparition du père est pour lui le signe précurseur de sa propre mortalité : « This is that steep land / Where he that holds his journey stands at gaze / Tow’rd sunset, when the clouds like a new height / Seem piled to climb » (v. 9-12). C’est cependant par la reconnaissance de la mort de son père que son aventure poétique commence. C’est par elle que se fonde son espoir de se faire un nom parmi les poètes, de gagner une renommée qui rachètera peut-être l’échec du père : « For here, where day still soothes my lifted face / On thy bowed head, my father, fell the night » (v. 13-14).
12Si l’ensemble du poème peut être taxé de prétentieux dans la mesure où Rossetti se désigne lui-même comme digne héritier de Dante, ces derniers vers constatent modestement, mais de façon déterminée, que la mort du père, loin d’être souhaitée, est néanmoins nécessaire à la vie du fils. Abandonnant le ton sentencieux du début, le jeune homme résume l’enjeu symbolique de la mort du père en opposant terme à terme le père et le fils : « day »/ « night », « still sooths »/ « fell », « lifted face »/ « bowed head » marquent la reconnaissance d’un héritage poétique entre les deux Rossetti et d’une reprise de flambeau, soulignée par le contraste entre l’ombre et la lumière. La reconnaissance de ce qu’il doit à son père permet également à Dante Gabriel de rendre hommage à Gabriele Rossetti en tant que père et homme (par opposition à son identité publique de professeur spécialiste de Dante ou d’Italien réfugié en Grande-Bretagne) en s’adressant à lui directement : « On thy bowed head, my father, fell the night.9 »
13S’ouvrant sur une scène de baptême, le poème se referme sur une scène de bénédiction proche de l’extrême-onction où les rôles sont inversés, le fils apparaissant plus fort que son père. Une fois le père réel disparu, le père symbolique peut pleinement remplir son rôle de guide. S’étant rebaptisé lui-même en accordant la première place à une paternité artistique reconnue et désirée, Rossetti se détourne dans le même temps de ses origines naturelles anglaises10. Après avoir rendu hommage à son père naturel, il peut maintenant emboîter le pas à Dante et entreprendre une quête artistique similaire qui l’entraîne loin des rivages paternels. Comme le héros mythique Persée, il doit désormais faire ses preuves avant de pouvoir regagner son royaume pour acquérir une véritable légitimité.
Les modèles antiques
Le modèle de Persée
14Né de l’union d’un dieu et d’une femme mortelle, Persée est également, dans le mythe classique, un héros destiné à vaincre ses ancêtres. Selon la légende la plus répandue, son grand-père, Acrisios, avait interrogé l’oracle sur sa descendance future, qui lui avait appris que sa fille aurait un garçon qui le tuerait. Pour empêcher la réalisation de cette prédiction, il enferma Danaé dans une cellule souterraine pour la mettre à l’abri des hommes. C’était compter sans la ruse de Zeus qui réussit à s’unir à la jeune fille en se changeant en pluie d’or. Après la naissance de l’enfant, Acrisios découvrit l’acte de trahison en entendant les cris du bébé et, refusant de croire à l’innocence de sa fille, il enferma la mère et l’enfant dans un coffre qu’il jeta à la mer. Après des journées d’errance, le coffre accosta sur une plage déserte où un modeste pêcheur, Dictys, recueillit les deux infortunés. Dictys réalisa au premier regard jeté sur l’enfant qu’il portait la marque des dieux et offrit asile aux deux étrangers. Exilé, d’origine divine, Persée répond à la description bien connue du héros au départ de sa quête. Arrivant en pays étranger, il doit faire valoir son identité et affronter les obstacles qui se présentent à lui pour asseoir son autorité et affirmer sa virilité avant de pouvoir retourner triomphant dans son propre pays pour réaliser la prophétie.
15Le cycle de Persée est ainsi placé sous le signe de la masculinité, d’abord absente, puis omniprésente : Persée n’a pas de père, si ce n’est de père symbolique, dont la nature divine le destine à surpasser la figure du patriarche mortel, Acrisios. Parvenu à l’âge adulte, il devra s’opposer à une autre figure masculine, Polydectes. Tyran de l’île et frère du pêcheur Dictys, il menace d’épouser Danaé contre son gré si Persée ne parvient pas à lui ramener la tête de Méduse. La quête dans laquelle s’engage le héros équivaut ainsi à la lutte du fils contre le père : dans l’analyse psychanalytique, le petit garçon doit symboliquement tuer son père pour affirmer sa virilité et se rapprocher de sa mère.
16C’est donc en relevant les défis lancés par le patriarcat que Persée peut espérer retrouver une patrie. En attendant ce retour, l’aventure du mythe commence dans une terre d’exil où il se trouve par nature déplacé, étranger. En marge de la société, Persée occupe au départ de son aventure une position intermédiaire et appartient par sa double origine, divine et humaine, à deux ordres du monde : il navigue entre les deux univers de la terre et du ciel et se situe à la limite, à la frontière.
Les modèles féminins dans la quête
17En marge de la figure du père dans la quête du héros, le parcours de Persée est jalonné de rencontres avec plusieurs figures féminines qui jouent un rôle majeur dans ses aventures. À l’opposé de l’interprétation du mythe comme un rite initiatique de la masculinité, certains critiques comme Philip Slater11 affirment d’ailleurs que les hommes s’y remarquent par leur absence. On se rend compte de la possibilité d’une telle interprétation par un examen rapide des exploits du héros : Persée est le fils de Danaé grâce à l’endurance de laquelle il survit après avoir été jeté à la mer avec elle dans un coffre de fortune ; dans plusieurs des versions du mythe, c’est pour la défendre qu’il entreprend le voyage qui le mène à Méduse. Le fils doit à sa mère sa survie et la motivation de sa quête qui marque son entrée symbolique dans le monde adulte masculin.
18De même, si Athéna porte secours au héros, elle ne remplit pas seulement une fonction guerrière mais devient, dans certains récits, une figure clairement féminine12. En perpétuelle métamorphose, elle prend, dans l’imaginaire collectif, les traits bienveillants d’une muse triste et noble. Selon la version du mythe que choisit Charles Kingsley à l’époque victorienne, Athéna apparaît au héros en rêve sous la forme d’une femme d’une beauté éclatante. S’adressant à Persée, la déesse fait appel à son sens de l’honneur et lui dévoile la tête de Méduse reflétée sur le bouclier d’airain qu’elle porte, lui expliquant qu’elle désire la posséder pour la mettre sur son égide. Dans ce récit, Athéna n’est donc pas la déesse belliqueuse des statues qui la représentent en Victoire, mais plutôt l’équivalent classique de l’inspiratrice qui incite les chevaliers à combattre pour défendre son honneur comme dans le Roman de la Rose et dans les ballades médiévales. Dans cette réécriture du mythe, l’ennemie à vaincre est également décrite non comme un monstre mais comme une femme, puisque c’est ainsi qu’elle apparaît sur le bouclier d’Athéna :
[…] et dans le bouclier-miroir apparut un visage, et quand Persée le découvrit, son sang se glaça dans ses veines. C’était le visage d’une belle femme ; mais ses joues étaient pâles comme la mort, et elle portait sur son front une expression de douleur infinie. Ses lèvres étaient minces et amères comme la gueule d’un serpent et, au lieu des cheveux, des vipères couronnaient ses tempes, agitant leur langues fourchues ; des ailes repliées comme celles d’un aigle encadraient sa tête et sur son buste, il y avait des griffes de cuivre.13
19Dans le récit de Kingsley, lorsque Persée découvre Méduse, ce n’est pas une tête de monstre qu’il voit, mais le visage d’une belle femme victime d’une malédiction. Plus tard, après la conquête de la Gorgone, Persée vient au secours d’une autre figure féminine, la vierge Andromède, qu’il sauve d’une mort certaine en la délivrant du monstre des mers. Parmi les protagonistes de l’aventure de Persée, les femmes sont donc très présentes, même si leur nature est ambivalente et qu’elles incarnent, selon la formule de Rossetti, « le principe du danger dans le monde14 », l’origine du bien et du mal.
20Comme dans le mythe classique, l’art de Rossetti gravite autour de la figure imaginaire d’une femme qu’il construit à partir des femmes réelles qui traversent sa vie et auxquelles il voue une passion proche du culte : « l’adoration de Rossetti était authentique, et ce qu’il adorait, ce n’était pas les dames qu’il peignait, mais l’art15 ». Pour le peintre-poète, les femmes sont l’expression, le réceptacle d’un désir sensuel et le produit d’une création artistique qui dépasse l’individualité des modèles qui les inspirent : « À l’Art : Je t’aimais avant d’aimer une femme16 », écrit Rossetti dans un épigramme. L’art l’emporte sur la réalité, la création artistique sur le modèle vivant. Ses portraits de femmes représentent Venus, Pandora ou Lilith, et relèvent d’une esthétique de la métamorphose, dont la démarche peut être assimilée à celle qui se met en place dans l’invention du mythe à travers lequel l’histoire d’un individu devient emblématique de l’histoire de tout un peuple.
21En ce sens, on peut postuler que l’art comme la mythologie, naît d’un procédé alchimique par lequel les formes humaines, en constante métamorphose, acquièrent un sens stable qui, en retour, influence la réalité et lui donne forme. De même, dans la peinture de Rossetti, le phénomène d’abstraction des traits individuels de ses modèles mène à un double mouvement : d’une part, on en vient à reconnaître un type, celui que nous appellerons l’archétype de Méduse, et que l’on peut qualifier de « rossettien » ; d’autre part, on reconnaît dans la marginalité de ce type les marques du réel que l’abstraction semble avoir imprimées en retour sur la réalité même. Le premier exemple pouvant servir d’illustration à ce phénomène nous est fourni par le témoignage d’Henry James après sa rencontre avec Jane Morris à Kelmscott :
Je n’en reviens pas17 – elle me hante encore. C’est une silhouette tout droit sortie d’un missel – ou d’un des tableaux de Rossetti ou de Hunt –, l’affirmer n’en donne qu’une vague idée, car lorsqu’une telle image prend vie, c’est une apparition d’une intensité à la fois redoutable et merveilleuse. Je ne saurais dire si elle est une formidable synthèse de tous les tableaux préraphaélites jamais peints – si elle en est l’original ou la copie. Dans tous les cas, c’est une merveille.18
22Dans ce commentaire, il y a la suggestion d’un échange entre le réel et l’imaginaire, si bien que la frontière entre le modèle et la copie est abolie, et la notion d’origine obscurcie, voire effacée : le terme d’apparition désigne le spectral qui s’incarne dans le corps féminin et donne une forme visible, imparfaite à une idée abstraite, platonicienne, de l’essence féminine. Dans cette opération, le corps lui-même est défini comme une figurine découpée dans un missel, échappée d’une forme inerte, comme Galatée de l’ivoire dans lequel elle est tenue prisonnière : c’est un corps mystique, un corps de texte, voire un emblème, rappelant les silhouettes colorées des enluminures bibliques. C’est également un corps mythique puisque son émergence est irréelle et fait naître chez le spectateur une réaction ambivalente de terreur et d’émerveillement, de peur et de surprise. Dans l’incapacité où se trouve l’écrivain à qualifier la beauté de Jane, c’est la stupéfaction qui l’emporte : « Dans tous les cas, c’est une merveille. » Le terme wonder ne se limite pas à l’émerveillement, mais il désigne aussi un étonnement, réaction de surprise mêlée de perplexité que l’on retrouvera dans la stupéfaction générée par la vue de Méduse.
23Ce genre d’impression pourrait se justifier par le fait que Jane Morris posa comme modèle pour Rossetti et les préraphaélites et qu’il s’agit là d’une ressemblance extrême entre l’œuvre et la femme qui l’a inspirée, expérience troublante que l’on peut partager en examinant les photographies de Jane Morris qui nous sont parvenues : les traits épais, la chevelure crépue, l’expression mélancolique, tout porte à voir entre l’image photographique et l’image en peinture un rapport de similarité. Pourtant, comme l’observe Walter Pater, dans le cas des femmes peintes par Rossetti, la démarche artistique semble s’inverser, si bien que l’invention d’une physionomie, d’un visage, devient au fil des années l’œuvre du peintre sur le réel19 :
Dans l’Angleterre d’aujourd’hui, il nous est tous arrivé de voir comment un certain type de beauté curieuse et fascinante, inventée et mise en lumière par deux peintres imaginatifs, avait eu une telle influence sur la Vie que lorsqu’on se rend à une visite de galerie privée ou à un salon, on y croise […] des créatures aux yeux mystiques qui incarnent le rêve de Rossetti, des femmes au long cou d’ivoire, à la mâchoire carrée et à la chevelure chatoyante, ondoyante qu’il affectionnait tant.20
24Qu’elles soient modèles ou fashion victims, les femmes qui croisent le chemin de Rossetti se retrouvent dans l’art comme Méduse, fixées, figées dans l’extraordinaire d’une beauté oscillant entre le merveilleux et l’horreur. Dans l’imaginaire de l’artiste, leur visage est le relais d’un fantasme tout comme, dans le mythe, la figure monstrueuse de Méduse est l’expression de l’angoisse du héros. Au-delà des différents modèles de femme dont Rossetti s’inspire en puisant dans la littérature et dans la mythologie, il s’écarte bien souvent du modèle vivant et se concentre sur les traits d’un visage, the Rossetti type : cheveux ondulants, regard fixe, lèvres charnues et menton franc, cette physionomie du visage nous oriente vers le modèle en sculpture, vers le moulage du masque de cire ou de la grotesque. Circonscrite par le cadre du tableau comme l’image projetée de Méduse sur le bouclier d’Athéna, la femme rossettienne apparaît sous ses multiples facettes comme répondant à une esthétique du méduséen.
L’archétype de Méduse
Les représentations romantiques du mythe
25En s’intéressant au symbolisme de la tête de Méduse dans Aspecta Medusa, Rossetti s’inscrit dans une longue tradition. De Dante et Pétrarque à Shelley, en passant par Goethe, la figure de Méduse incarne pour les poètes de toutes les époques l’ambivalence du regard féminin qui attire et ensorcelle, séduit et condamne. Pour Pétrarque, Méduse c’est sa muse Laura lorsqu’elle détourne le poète du sacré et l’incite à rendre hommage à la beauté charnelle. Pour Goethe, c’est le visage trompeur de l’amour, et l’illusion à laquelle ont recours les femmes pour piéger les hommes dans leurs filets. Pour tous ces auteurs, Méduse est une image, une projection ou un fantasme qui échappe à toute représentation et n’est pourtant que re-présentation, comme l’atteste la fascination que la tête a exercée dans les autres arts.
26Retraçant l’évolution du motif classique dans les arts plastiques, Jean Clair nous rappelle dans l’avant-propos de son étude sur Méduse que les plus anciennes évocations de la figure remontent au début du viiie siècle pour les textes et à la seconde moitié du viie siècle pour les arts. Au xxie siècle, Méduse fait toujours figure d’emblème, comme on le voit dans le cas du célèbre couturier Versace qui a fait de la Méduse, dite de Rome, sa signature. Comme autrefois sur l’égide d’Athéna, la tête de Méduse est le symbole d’une beauté inaccessible et inviolable, une amulette protégeant du mauvais œil et de l’agression du regard masculin.
27Entre la tête classique et le logo moderne, Méduse est une figure dont l’autonomie échappe peu à peu à la légende de Persée pour devenir à elle seule un symbole : après avoir été décapitée par Persée, elle devient une tête sans femme, un gorgonéion – masque aux multiples facettes et aux pouvoirs à la fois mortels et salvateurs, à l’image du sang qui s’échappe de la tête coupée : issu des veines du côté droit, le sang de Méduse est un poison qui tue ; issu des veines du côté gauche, c’est un pharmakon, un remède capable de sauver ou de guérir et même de ressusciter les morts.
28Selon la version la plus répandue du mythe, Méduse, seule des trois Gorgones à être mortelle, est une héroïne tragique rendue monstrueuse par une malédiction. Dans ces récits classiques, on raconte qu’elle avait d’abord été une jolie jeune fille qui avait osé rivaliser de beauté avec la déesse Athéna. Elle était particulièrement fière de sa chevelure et c’est pour la punir de son excès de fierté que la déesse aurait changé ses cheveux en serpents. On raconte par ailleurs que la jeune fille avait été violée par Poséidon dans un temple consacré à Athéna et que c’est sur elle que s’abattit la colère de la déesse21. Dans le récit qu’Ovide fait de l’histoire de Méduse, la jeune femme, comme bien d’autres mortelles avant elle, est la victime du dieu concupiscent Poséidon et l’objet de la vengeance d’Athéna. Ainsi son conquérant, Persée, raconte-t-il après sa victoire sur le monstre des mers qui menaçait Andromède :
D’une beauté éclatante, Méduse avait fait naître les espoirs jaloux de nombreux prétendants, et dans toute sa personne, il n’y avait rien qui attirât plus les regards que ses cheveux. J’ai rencontré un homme qui racontait l’avoir vue. Le maître de la mer la viola, dit-on, dans le temple de Minerve. La fille de Jupiter détourna sa vue et couvrit de son égide son chaste visage. Et, pour que cet attentat ne demeurât pas impuni, elle changea les cheveux de la Gorgone en hideux serpents.22
29De cette description, il faut retenir deux faits : tout d’abord, Méduse, bien que victime, subit indirectement la vengeance de la déesse Athéna. Par rapport à d’autres versions où Méduse est soupçonnée d’avoir participé à la violation du temple en s’adonnant aux plaisirs de la chair23, Ovide affirme clairement l’innocence de la jeune femme. Elle est néanmoins punie par la déesse offensée. La métamorphose qu’elle subit touche les parties du corps dont elle était la plus fière : après la faute commise, ses cheveux provoquent le dégoût chez ceux qui les contemplent. D’autre part, chez Ovide, le viol de Méduse est l’occasion de mettre en scène la quête de Persée, puisqu’elle annonce le moment fatidique de la décapitation : dans la manière dont la fille de Jupiter se détourne de la scène d’amour entre Poséidon et Méduse, et se cache, effrayée, derrière son égide, on reconnaît en miniature la ruse à laquelle Persée aura recours dans sa conquête du monstre. En même temps, cette stratégie qui permet à la déesse de ne pas voir l’acte sexuel interdit et la profanation de son temple (qui représente de façon métonymique son propre corps), souligne le lien de parenté qui existe entre les deux figures féminines : en « couvr[ant] de son égide son chaste visage », Athéna protège son propre corps du sexe masculin et permet également au visage de Méduse de se substituer au sien. Anticipant le dernier épisode du mythe, dans lequel Athéna place la tête de Méduse sur son égide, en signe de sa vengeance ou de sa victoire sur la passion animale, le geste de la déesse suggère que Méduse est le masque horrible d’une sexualité débridée, l’envers du visage apollinien de la beauté.
30Dès les récits de l’Antiquité, Méduse est donc le symbole d’une féminité bafouée par les hommes et condamnée par les femmes, le réceptacle des passions humaines – bouc émissaire dont le sacrifice seul permettra le retour à l’harmonie ou à la raison24. En tant que victime, elle attire cependant sur elle la pitié de ceux qui la rencontrent et devient, dans les versions romantiques du mythe, une figure tragique. Dans La Malédiction du roi Acrisius, William Morris la décrit belle et triste25. Sous les traits habituels de Méduse, on distingue sans mal le charme passé de la jeune fille habitée par des serpents qui semblent ne pas faire partie de son corps. Sa nature hybride met en valeur ses atouts physiques, ses tresses blondes, la blancheur de ses épaules frémissantes, sa poitrine et ses chevilles délicates, d’autant plus admirables qu’ils contrastent avec la peau gluante des serpents qui s’enroulent autour de son corps. Méduse, selon Morris, est une femme pitoyable. Elle n’est pas une femme-serpent, mais une femme assaillie par les serpents. Comme le note Jerome McGann, l’horreur qu’elle suscite ne vient pas de sa nature animale, mais des circonstances qui l’ont condamnée26 et du sort qui lui est infligé : par rapport à ses aînées muettes ou hurlantes, la Méduse de William Morris prend la parole et implore Persée de mettre fin à son existence misérable.
31Comme la Méduse qu’évoque Rossetti dans son poème « Aspecta Medusa », elle est le symbole de la mort à laquelle chaque homme doit faire face, et que chaque artiste doit affronter s’il veut se rendre maître de la réalité et de son art. Une fois décapitée, elle conserve son pouvoir de fascination. En peinture comme en poésie, le visage grimaçant de Méduse pose un défi au regard de celui qui la peint ou tente de la décrire. C’est de cela que Shelley fait l’expérience dans le célèbre poème qu’il compose à l’époque romantique à partir d’un tableau représentant Méduse :
On the Medusa of Leonardo da Vinci in the Florentine Gallery | |
It lieth, gazing on the midnight sky, | |
Upon the cloudy mountain-peak supine ; | |
Below, far lands are seen tremblingly ; | |
Its horror and its beauty are divine. | |
5 | Upon its lips and eyelids seems to lie |
Loveliness like a shadow, from which shine, | |
Fiery and lurid, struggling underneath, | |
The agonies of anguish and of death. | |
Yet it is less the horror than the grace | |
10 | Which turns the gazer’s spirit into stone, |
Whereon the lineaments of that dead face | |
Are graven, till the characters be grown | |
Into itself, and thought no more can trace ; | |
‘Tis the melodious hue of beauty thrown | |
15 | Athwart the darkness and the glare of pain, |
Which humanize and harmonize the strain. | |
And from its head as from one body grow, | |
As grass out of a watery rock, | |
Hairs which are vipers, and they curl and flow | |
20 | And their long tangles in each other lock, |
And with unending involution show | |
Their mailèd radiance, as it were to mock | |
The torture and the death within, and saw | |
The solid air with many a ragged jaw. | |
25 | And, from a stone beside, a poisonous eft |
Peeps idly into those Gorgonian eyes ; | |
Whilst in the air a ghastly bat, bereft | |
Of sense, has flitted with a mad surprise | |
Out of the cave this hideous light had cleft, | |
30 | And he comes hastening like a moth that hies |
After a taper ; and the midnight sky | |
Flares, a light more dread than obscurity. | |
‘Tis the tempestuous loveliness of terror ; | |
For from the serpents gleams a brazen glare | |
35 | Kindled by that inextricable terror, |
Which makes a thrilling vapour of the air | |
Become a and ever-shifting mirror | |
Of all the beauty and the terror there – | |
A woman’s countenance, with serpent-locks, | |
40 | Gazing in death on Heaven from those wet rocks.27 |
32On peut d’emblée noter que, contrairement à William Morris, Shelley se place à une distance plus que respectable de la femme monstrueuse. Comme l’indique le titre, il s’agit d’une réflexion sur Méduse en tant qu’œuvre d’art, c’est-à-dire d’une Méduse doublement circonscrite par le cadre de la représentation : produit d’un premier regard, d’une première représentation par le peintre qui l’a enfermée dans le cadre du tableau présent au musée, elle se trouve une seconde fois mise à distance dans l’écriture.
33D’autre part, le poète, par le geste ekphrastique28 qu’il esquisse, affirme son pouvoir d’interpréter le tableau qu’il examine et de se rendre maître de son pouvoir de fascination. Le « On » du titre indique un mouvement qui part de l’observation du tableau et s’en éloigne. Il s’agit d’écrire au sujet de Méduse, mais aussi autour de Méduse, et peut-être même de la recouvrir, de cacher par l’écriture son faciès grimaçant ou d’éviter son effet pétrifiant.
34Pourtant, hormis le titre qui rappelle qu’il s’agit d’un portrait de Méduse et qui mentionne le nom du peintre supposé, le poème décrit le tableau en pénétrant pour ainsi dire à l’intérieur de la toile : Shelley ne fait aucune allusion (comme c’est souvent l’habitude dans les poèmes ekphrastiques) au talent de l’artiste29 ou à l’originalité de sa composition, et s’attaque au sujet. Face à la figure de la Gorgone, il se présente comme un nouveau Persée, admiratif et conquérant, observant le visage monstrueux non de face, mais de biais, et à travers le miroir protecteur de la toile. L’ensemble du poème est ainsi structuré autour du regard du locuteur posé sur un autre regard actif, celui de Méduse, observé en train de fixer le ciel (v. 1-3).
35À ce regard levé vers un ciel noir s’oppose le regard anonyme de celui qui observe le paysage alentour, en dessous de Méduse. L’adverbe « tremblingly » qui clôt le vers 3 jette un doute sur l’agent de ce regard à l’évidence moins perçant que celui de Méduse (elle contemple, « gazing », v. 1, tandis que le deuxième regard ne fait que voir, « are seen », v. 3). Qui est-ce qui tremble ? Sûrement pas Méduse, puisqu’elle gît, les yeux fixés vers le ciel, et ne peut apercevoir les terres lointaines peintes en dessous.
36Ce tremblement, qui signale la présence d’une vie, se rapporte donc non à l’objet décrit, mais au regard qui contemple le tableau. C’est le premier signe de la terreur qu’inspire Méduse : même si rien n’indique la conséquence funeste qu’aura la rencontre de son regard, le tremblement est le signe infime de la peur ; c’est le frisson à peine perceptible d’une angoisse qui s’esquisse aussi légèrement que la variation de la rime en fin de vers, où l’impression optique devient tactile30.
37Dans la suite du poème, l’alliance entre beauté et terreur (v. 4-8) évoque pour le lecteur le mélange d’attirance et de répulsion propre à la vision de la figure de Méduse. Les lèvres et les paupières recèlent le mystère d’un charme passager et trompeur : comme un masque, sous lequel on devine un autre visage, le siège de la parole et celui de la vision sont une surface qui dissimule un feu intérieur bouillonnant comme un volcan (« fiery and lurid », v. 7). La première strophe instaure ainsi, entre le spectateur et l’image de Méduse, une relation ambivalente d’admiration et de frayeur. Pour illustrer la dichotomie qui existe entre surface et profondeur, et montrer que la beauté cache une douleur souterraine31, Shelley a recours à de nombreuses inversions qui mettent en valeur les mots placés en fin de vers et accentuent l’idée d’un combat (« struggling underneath », v. 7). De même, l’allitération du vers 8, « The agonies of anguish32 », redouble l’accentuation tonique et figure la souffrance aiguë qui explose dans le mot « death ».
38La deuxième strophe, en revanche, a pour fonction de nous écarter des affres de la mort évoquées plus haut en offrant une analyse des rapports entre Méduse et le spectateur. Se mettant à la place des victimes pétrifiées, le poète tente par un subtil jeu de déplacements de diminuer l’effet du monstre sur celui qui la regarde. Les verbes de mouvement expriment l’effort constant que fait le spectateur-locuteur pour éviter le piège de la pétrification et emprisonner en retour Méduse dans les méandres de son écriture ; l’emphase que l’on trouve au vers 9 (« it is less the horror than the grace ») atténue l’effet qu’elle produit et prépare le retournement énoncé au vers 12 :
Yet it is less the horror than the grace
Which turns the gazer’s spirit into stone,
Whereon the lineaments of that dead face
Are graven, till the characters be grown
Into itself, and thought no more can trace;
[…] (v. 9-13)
39Dans ce passage, il y a une inversion entre la cause et l’effet : Méduse est vue non comme l’agent, mais comme la victime d’une pétrification. Ses traits sont décrits comme « the lineaments of that dead face » (v. 11), gravés comme ceux d’une statue. Les derniers vers illustrent par l’enchevêtrement sonore des consonnes (« thrown », « Athwart ») les difficultés rencontrées par le poète pour décrire le paradoxe de cette beauté terrible (v. 15-17).
40À l’harmonie s’oppose le chaos qui aboutit à une série de termes antinomiques (« the darkness and the glare of pain », v. 15). L’expression de l’harmonie même, alliée à la notion d’humanité, débouche sur le mot « strain » qui réduit en la contractant l’expansion du vers suggérée par les termes proches, « humanize and harmonize » (v. 16). Ne pouvant échapper à une pétrification du langage qui trahit les efforts que doit faire le spectateur pour réconcilier le paradoxe de la vie de Méduse – vie dans la mort – le narrateur succombe à la fascination qu’exerce la figure monstrueuse et décrit dans la troisième strophe le visage de Méduse :
And from its head as from one body grow,
As grass out of a watery rock,
Hairs which are vipers, and they curl and flow
And their long tangles in each other lock,
[…] (v. 17-20)
41En comparant ses cheveux avec l’herbe poussant au creux d’un rocher, le locuteur associe animal, minéral et végétal tout en mettant en relief le contraste entre l’immobilité de l’un et le mouvement incessant de l’autre. Il s’écarte ensuite du visage de Méduse pour s’attacher à l’effet qu’il produit sur les autres créatures peintes dans le tableau. En reprenant l’association pierre/serpent (« from a stone beside, a poisonous eft33 », v. 25), il n’hésite pas à changer les rapports entre spectateur et objet regardé. La Gorgone est vue comme inoffensive, n’inspirant, parmi le monde des reptiles et des chauve-souris, qu’une réaction de paresse ou de surprise : « a poisonous eft / Peeps idly into those Gorgonian eyes » (v. 25-26).
42Par opposition, le regard de la Méduse est intemporel et sous ses yeux vides apparaît désormais une lumière dans le ciel de minuit. Au lieu d’animer la Gorgone, de lui donner vie en reproduisant par l’écriture l’expérience de celui qui ose plonger son regard dans le sien, Shelley montre que l’isolement de Méduse dans le tableau est totale, et que c’est l’univers qui l’entoure qui change et devient sinistre. Pourtant, c’est par ce renversement d’ombre et de lumière que Méduse nous est lentement révélée non comme un monstre, mais comme une femme prisonnière d’un corps animal.
43Dans la dernière strophe en effet, le poète utilise une variante des termes utilisés dans la première, en attirant cette fois notre regard sur les serpents qui forment autour de la tête de Méduse une auréole et font ressortir sa beauté tragique. L’imbrication des serpents (« that inextricable terror », v. 35) fait soudain apparaître une humanité jusque-là dissimulée par l’opacité du masque gorgonéen évoqué au début. Les derniers vers se font l’écho des premiers, à ceci près qu’ils décrivent le regard de Méduse non plus tourné vers un ciel noir et artificiel, mais vers un ciel chargé de la subjectivité du spectateur. Regard plein de compassion, de passion même, il reconnaît sous le masque de Méduse le visage de la muse figé dans une mort artistique. En dernier lieu, le tour de force par lequel le poète met en scène la métamorphose finale de Méduse lui est fatal et devant l’image, la parole, finalement, défaille :
For from the serpents gleams a brazen glare
Kindled by that inextricable terror,
Which makes a thrilling vapour of the air
Become a and ever-shifting mirror
Of all the beauty and the terror there –
A woman’s countenance, with serpent-locks,
Gazing in death on Heaven from those wet rocks. (v. 34-40)
44En voulant décrire le visage de Méduse, et lui rendre son aspect humain (« A woman’s countenance », v. 39), Shelley s’expose au danger d’être pétrifié par l’image et de voir son poème troué par l’effet de son regard sidérant. Pourtant, s’il parvient à rejoindre les berges sûres du réel (que l’on peut opposer à « those wet rocks », v. 40), le poète ramènera un poème aux vertus aussi salvatrices que la tête de Méduse décapitée, d’où émerge Pégase, emblème de la poésie. Avec Shelley, Méduse devient fragment. Symbole du poème, elle retrouve, sous sa forme réduite à une tête imparfaite et troublante, une certaine humanité. Saisie par le poète, elle devient apotropaïon : une amulette ou un talisman qui protège celui qui le porte, un gorgoneion – un objet d’art aux vertus magiques.
Les représentations artistiques de la Gorgone. Naissance d’une physionomie
45Comme le rappelle Tobin Siebers dans The Mirror of Medusa, le modèle de la Gorgone, sous son aspect de gorgonéion – c’est-à-dire comme masque seul – subit au fil des âges des transformations non négligeables34. On distingue ainsi trois phases dans l’évolution de la figure : sous sa forme archaïque, le gorgonéion possède un visage rond encadré de serpents menaçants, des traits masculins, une barbe et une large bouche découvrant des dents et une langue pendante. Par contraste, les représentations plus tardives adoucissent les traits du monstre au profit d’une esthétique moins menaçante et moins virile : la barbe disparaît et les cheveux de serpents sont remplacés par des boucles serpentines. Enfin, le troisième type est celui que l’on connaît le mieux, puisque c’est celui où Méduse s’anthropomorphise et devient masque mortuaire, comme c’est le cas dans le tableau décrit par Shelley.
46À travers ces trois étapes, deux traits constants se retrouvent, clairement identifiés par Jean-Pierre Vernant dans son étude sur Méduse. Le premier est la facialité puisque, « contrairement aux conventions figuratives qui régissent l’espace pictural grec à l’époque archaïque, la Gorgone est toujours, sans la moindre exception, représentée de face35 ». Vue de face, elle force le regard à se poser sur elle sans qu’il soit possible de lui échapper. En outre, cette représentation de face résume le dilemme de la tragédie du personnage légendaire de Méduse et de la malédiction qui lui est infligée : à celui qui la regarde, elle renvoie un regard pétrifiant qui le fige dans un éternel tête-à-tête et interdit au monstre féminin d’éveiller la pitié dans le regard d’autrui.
47Le second aspect est celui de la monstruosité que Vernant qualifie comme en constante oscillation entre deux pôles, « l’horreur du terrifiant, le risible du grotesque36 ». Le gorgonéion se situe ainsi à la limite entre terreur et ridicule et incarne l’effroi que provoque la vue de la monstruosité : c’est la Méduse du Caravage, les yeux exorbités, la bouche ouverte, figée dans un cri d’horreur silencieux. Le hurlement du monstre se mêle au sifflement des serpents de sa tête et il est associé au cri de guerre destiné à frapper d’effroi l’ennemi. Cri d’outre-tombe, il s’apparente au cri des Harpies et au grognement des monstres des mythes classiques. Portée en effigie par la déesse de la guerre Athéna, la Gorgone est en ce sens le symbole de la fureur destructrice qui anime le héros avant le combat37. Dans l’imaginaire collectif, Méduse devient le masque de la terreur, et autour de son visage grimaçant, ses cheveux de serpents sont la marque de la peur qu’elle inspire.
48À l’immobilité du visage de Méduse, représenté de face, s’ajoute en effet sa longue chevelure qui grouille de serpents et symbolise son ambivalence sexuelle. Dans son étude, Vernant note le caractère particulièrement masculin de la chevelure, puis il donne plusieurs exemples de rituels associant chevelure et maturité sexuelle : il explique en particulier que, dans certaines civilisations, la tonsure des femmes, juste avant le mariage, symbolise leur domestication et l’épanouissement de la féminité. Inversement, les Amazones et autres femmes exclues de la société portent leurs cheveux longs, dénoués, en signe de liberté sexuelle. Dans nos civilisations occidentales, la chevelure est également associée au féminin.
49Comme le remarque Roland Barthes dans L’Obvie et l’Obtus38, il existe, dans la perception de la chevelure, des variations qui en font l’attribut chéri ou abhorré des femmes – interprétation qui nuance l’approche anthropologique sans toutefois nier qu’il y ait un lien entre la chevelure et le sexe. Barthes constate que la religion a souvent considéré les cheveux des femmes comme tabous et imposé le port d’un chapeau ou d’un voile dans les églises. Il poursuit son analyse en montrant l’érotisme de la chevelure – que Baudelaire célèbre dans son poème « La chevelure » :
Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !39
50Étendard de la sensualité débordante de la femme désirée, la chevelure se confond avec les poils du pubis (ce que souligne l’ambiguïté des termes de « toison » et d’« encolure »). De cette manière, on entre dans le domaine de la symbolique freudienne qui voit dans les cheveux et les poils du pubis une équivalence. Le lien entre chevelure, sexe et castration est d’autant plus étroit dans le cas de la chevelure de la Gorgone que les serpents ajoutent au symbolisme une complexité supplémentaire : symbole de régénération et de mutabilité, le serpent est une image aux associations aussi fluctuantes selon les cultures et les époques que sa nature le suggère. Par sa chevelure de serpents, la Gorgone expose donc les signes d’une sexualité monstrueuse, que les serpents symbolisent l’érection du désir masculin ou la bisexualité de l’animal qui se régénère. Isolément, le serpent est « un vertébré qui incarne la psyché inférieure, le psychisme obscur, ce qui est rare, incompréhensible, mystérieux40 », un symbole chtonien. Sacré dans les religions orientales, il fait chez les Grecs l’objet d’une profonde aversion.
51Pour Freud, les serpents qui se dressent sur la tête de Méduse sont le symbole d’une démultiplication du sexe masculin trouvé manquant chez la femme. En effet, la tête de Méduse incarne la peur de la castration que soulève chez les hommes la vue du sexe féminin : alors que dans la période pré-œdipale le visage de la mère penché sur l’enfant est ce qu’il voit comme le signe stable de l’amour qui le lie à la figure maternelle, la découverte de l’absence de pénis chez la mère opère un changement dans la perception du visage maternel. La mère idéale devient l’incarnation de la mère terrible qui menace l’intégrité de l’enfant mâle. Dans l’article qu’il consacre à la tête de Méduse, Freud voit ainsi dans cette figure l’image de la peur de la castration qui naît chez l’enfant à la découverte du sexe maternel. Voir Méduse, c’est participer au renversement de l’image que l’enfant s’était formée de la mère : d’objet d’amour, elle devient objet de désir, ce qui crée chez l’enfant une angoisse d’inceste et de castration. Le refoulement de l’impossible désir de l’enfant pour la mère produit l’image hallucinatoire de la tête de Méduse. Pour Freud, l’analyse du mythe de Méduse se résume donc à une explication simple :
Décapiter, c’est castrer. La terreur de la Méduse est donc une terreur de la castration associée à la vue de quelque chose. De nombreuses analyses nous ont familiarisés avec l’événement qui y est lié : cela arrive lorsqu’un garçon, qui a été jusqu’à présent incapable de croire à la menace de la castration, aperçoit le sexe féminin, probablement celui d’un adulte, aux contours bordés de poils, et essentiellement celui de sa mère.41
52La perception traumatique de l’absence de pénis chez la mère se trouve magnifiée dans l’image délirante de la multiplication phallique représentée par les serpents qui symbolisent les poils du pubis ; couvrant ou déplaçant la castration, ils remplacent le pénis et assurent le sujet masculin de sa puissance sexuelle tout en modérant l’horreur provoquée par la découverte de l’absence de pénis chez la mère. De même, la pétrification qui accompagne la découverte du sexe féminin peut être vue comme une érection qui console le spectateur masculin. Freud poursuit son analyse en expliquant qu’une telle interprétation correspond aux pratiques homosexuelles de la société grecque dans laquelle le mythe est apparu, et relate d’autres exemples d’exhibitionnisme par lequel le sujet masculin montre son pouvoir.
53Malgré la brièveté de son analyse, Freud établit donc dans son étude de la tête de Méduse un véritable complexe, articulant désir, jouissance et peur. Il démontre ainsi que la tête de Méduse est une image phobique susceptible de reparaître dans des images voisines qui ne représentent pas forcément Méduse, mais qui traduisent le même fonctionnement du désir de jouissance puissamment contrôlé. Le fétichisme de la tête est en ce sens une défense contre l’érotisme dangereux de la femme et contre « son œillade assassine42 ».
54Au-delà des variations d’interprétation que l’on observe dans les représentations du visage de Méduse, le trait qui demeure constant est la fascination qu’exerce son regard. Moyen de défense déployé contre le mauvais œil, le regard méduséen oblige le mortel à détourner les yeux. Attirant invinciblement le regard, Méduse fige celui qui succombe à son piège dans un échange dont il ne sortira pas vivant : « Incarnation du désir forcené de voir et de sa sanction, elle est ce dont on ne peut détacher les yeux.43 » Le regard de Méduse permet ainsi d’articuler le concept lacanien de pulsion scopique et de rendre compte de ce qui se joue, dans le champ du visible, au niveau de l’inconscient et du désir.
55Pour Jacques Lacan, le regard est préexistant à la formation du sujet. Avant de regarder, chacun d’entre nous est un être regardé, exposé au regard de l’Autre44. Plus tard, au cours de l’épisode déterminant du stade du miroir, le sujet, en reconnaissant sa propre image reflétée dans le miroir, se constitue comme conscience et devient un sujet regardant autant que regardé. De cet échange de regards entre le sujet et l’Autre naît une dialectique, si bien que « dans le champ scopique, tout s’articule entre deux termes qui jouent de façon antinomique – du côté des choses il y a le regard, c’est-à-dire les choses me regardent, et cependant je les vois45 ».
56Or, d’après le psychanalyste, il n’y a jamais coïncidence entre le regard de l’Autre et le regard du sujet, mais manque, leurre : « Jamais tu ne me regardes là d’où je te vois.46 » Ici s’ouvre donc une brèche entre le sujet et l’Autre, un espace où « advient la castration comme manque phallique – reconnaissance de l’impossible à maîtriser le point en l’Autre, d’où ce que le sujet donne à voir est regardé47 ». De même, dans la peinture, les taches que le peintre dépose sur la toile signalent une schize entre l’œil et le regard : ce que l’artiste donne « en pâture à l’œil48 » n’est jamais un regard total, mais un regard où quelque chose se dérobe et fait défaut, et pointe vers un objet nécessairement manquant, l’objet a : « L’objet a dans le champ du visible, c’est le regard.49 »
57Dans la perspective lacanienne, le regard de Méduse pourrait donc être vu comme le regard ultime, le Désir absolu ; ce que l’œil veut voir et auquel il ne pourra jamais avoir accès, sauf de façon détournée. Tout au plus, le miroir de l’art serait alors ce qui permet de déplacer la peur castratrice en lui donnant une forme domestiquée par la raison, satisfaisante pour l’œil : un voile au-delà duquel il m’est interdit de voir.
58Avec Lacan, le regard méduséen se trouve donc replacé dans un contexte psychanalytique, mais aussi esthétique, puisque c’est dans la création picturale ou poétique que se joue la dialectique qu’il symbolise. Affronter le regard de Méduse, c’est faire face à ce qui, dans l’inconscient, se joue au niveau du désir et le maîtriser ; c’est en présenter une image ou un tableau et s’en approprier les pouvoirs. Pour le peintre, comme pour le héros, la tête de Méduse incarne le pouvoir d’immobiliser le monde et de le figer dans une pose éternelle ; c’est l’espoir d’un triomphe, sur l’œil, du regard50.
59Du mythe classique à l’interprétation psychanalytique, la tête de Méduse émerge, dans cette première approche, comme une figure aux contours flous, mais aux traits distincts : visage de terreur, chevelure lourde, regard sidérant, elle incarne pour tous ceux qui osent l’affronter, la peur absolue – et le désir – de voir. Figure de l’interdit, Méduse est, sous tous ses masques mortels, l’incarnation de la connaissance qui sauve et qui condamne. Pour affronter et vaincre son regard, le héros, ou l’artiste, doit alors se munir d’armes et s’engouffrer dans la nuit noire.
Notes de bas de page
1 Le Nom sur le bout de la langue, Paris, Gallimard, 1993, p. 106.
2 Voir par exemple le commentaire de William Sharp : « Toujours, il me sembla être manifestement un Anglais, pourtant on reconnaissait souvent en lui l’élément italien. De son point de vue à lui, il était entièrement anglais. » W. Sharp, Dante Gabriel Rossetti: a Record and a Study, Londres, Macmillan, 1882, p. 37.
3 W. M. Rossetti, Dante Gabriel Rossetti as Designer and Writer, Londres/Paris/New York/ Melbourne, Cassell & C°, 1889, p. XXII.
4 Ibid.
5 Voir la lettre que Rossetti adresse à son éditeur, où il précise : « La totalité de ce livre de ma main sera, à proprement parlé, la première apparition publique des poèmes en quelque langue que se soit ; aucun Italien ne les a même édités de manière à ce qu’ils soient lisibles ou compréhensibles. » Letters of Dante Gabriel Rossetti, édition de O. Doughty et J. R. Wahl, 4 vol., Oxford, Clarendon Press, 1965-1967, vol. I, p. 338.
6 Voir la thèse de W.-W. Yeo, The Presence of Dante in the Works of Dante Gabriel and Christina Rossetti, Cambridge, Ph D dissertation, 2000.
7 « Dantis Tenebrae (À la mémoire de mon père) » : Et sais-tu vraiment, quand sur les fonts baptismaux / Avec ton nom tu me donnas le sien, / Que sur ton fils Béatrice a dû / Poser les yeux selon son habitude, / M’acceptant comme un de ceux qui hantent / Le val des mystères noirs et magiques / Qui mène aux collines où demeure la trace des pas de son poète / Et où la vivante fontaine de la sagesse / Tremble en musique ? C’est cette contrée escarpée / Où celui qui poursuit son voyage s’arrête pour contempler / Le couchant élevé, quand les nuages comme une hauteur nouvelle / Semblent amoncelés pour grimper. Je comprends ces choses : / Car ici, où le jour apaise encore mon visage élevé, / Sur ta tête baissée, mon père, tombe la nuit. (G. G. L., p. 261)
8 Je souligne.
9 Je souligne.
10 Son premier prénom est celui de son parrain, Charles Lyell, tandis que Gabriel est une version anglicisée du prénom italien de son père.
11 P. E. Slater, The Glory of Hera : Greek Mythologie and the Greek Family, Princeton, Princeton UP, 1992 (1968).
12 Pour une analyse plus en profondeur de cette ambivalence du personnage d’Athéna, voir M. Warner, Monuments and Maidens, Londres, Weidenfeld & Nicholson, 1985 et J. Clair, Méduse, op. cit.
13 C. Kingsley, The Heroes or Greek Fairy Tales, Londres, Macmillan, 1909, p. 33.
14 Cité dans J. Marsh, The Collected Writings of Dante Gabriel Rossetti, op. cit., p. 499.
15 D. Sonstroem, Rossetti and the Fair Lady, Middletown (Connecticut), Wesleyan UP, 1970, p. 193.
16 The Collected Writings of Dante Gabriel Rossetti, op. cit., p. 473.
17 En français dans le texte original.
18 Cité dans J. Marsh, Dante Gabriel Rossetti : Painter and Poet, Londres, Weidenfeld & Nicholson, 1999, p. 364.
19 Thème qu’Oscar Wilde, par exemple, explore sur le registre du fantastique dans Le Portrait de Dorian Gray.
20 D. G. Riede, Gabriel Rossetti Revisited, New York, Twayne Publishers, 1992, p. 163.
21 P. Grimal, Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, p. 168.
22 Ovide, Les Métamorphoses, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, iv, v. 761-803, p. 132-133.
23 A. Pratt, Dancing with Goddesses : Archetypes, Poetry and Empowerment, Bloomington/ Indianapolis, Indiana UP, 1994, p. 15.
24 Rappelons qu’Athéna est la déesse de la raison.
25 W. Morris, The Earthly Paradise, Boston, Roberts Brothers, 1871, p. 150.
26 « C’est ainsi que dans la version de Morris, ce n’est pas Méduse elle-même qui fait naître chez nous un sentiment d’horreur, mais les circonstances dans lesquelles elle vit. » J. J. McGann, « The Beauty of the Medusa », Studies in Romanticism, vol. 11, n° 1, 1972, p. 3-25.
27 « Sur la Méduse de Léonard de Vinci à la Galerie de Florence » : Elle gît, regardant le ciel de minuit, / Couchée sur le nuageux pic de montagne ; / Au-dessous, on voit trembler au loin la terre ; / Son horreur et sa beauté sont divines. / Sur ses lèvres et ses paupières semble s’étendre / La beauté comme une ombre, d’où rayonnent / Embrasées et livides, luttant en-dessous, / Les agonies de l’angoisse et de la mort. // Cependant c’est moins l’horreur que la grâce / Qui change l’esprit du spectateur en pierre, / Où les linéaments de cette face morte / Se gravent, jusqu’à ce que les caractères se transforment / En l’objet même, et que la pensée n’en puisse plus suivre les traces ; / Ce sont les nuances mélodieuses de la beauté jetées / Au milieu des ténèbres et de la flamme de la douleur, / Qui humanisent et harmonisent la tension. // Et de sa tête comme d’un corps poussent, / Telles des herbes sortant d’un rocher entouré d’eau, / Poussent ses cheveux qui sont des vipères : ondoient en boucles et flottent ; / Et leurs longues tresses s’enchevêtrent l’une dans l’autre, / Et dans leurs enroulements sans fin / Font briller l’éclat de leurs mailles, comme pour se rire / Des tortures et de la mort intérieure, et scient / L’air solide de mille gueules affreuses. // Et, d’une pierre à côté, une salamandre venimeuse / Regarde nonchalamment dans ces yeux de Gorgone, / Tandis que dans l’air, une spectrale chauve-souris, privée / De sens, s’est envolée folle de peur / De la caverne qu’a percée cette hideuse lumière ; / Et elle se précipite comme un phalène qui court / Après un flambeau ; et le ciel de minuit / Jette une lueur vacillante, lueur plus terrible que l’obscurité. // C’est l’orageuse beauté de la terreur ; / Car des serpents rayonne une lueur de cuivre, / Qui s’allume dans leurs inextricables replis, / Et fait de la vapeur de l’air / Un miroir toujours changeant / De toute la beauté et de toute la terreur réunies là, – / Dans ce visage de femme aux boucles de serpents, / Ce visage regardant le ciel à partir de ces rochers humides. (Shelley, Poèmes, préface et notes par M. L. Cazamian, Paris, Aubier-Montaigne, 1965)
28 L’ekphrasis est, dans son sens le plus général, la description verbale d’une œuvre d’art.
29 On peut certes supposer que c’est peut-être en partie parce que Shelley se doutait des difficultés d’attribution de la toile (longtemps attribuée à Léonard de Vinci, elle est désormais considérée comme l’œuvre d’un peintre anonyme mineur de la fin du xviie siècle).
30 Les mots « sky » et « supine » devenant « tremblingly », indiquent un passage de [ai] à [i].
31 Pour garder l’image du volcan, à laquelle on peut opposer le sommet de la montagne au v. 2.
32 Je souligne.
33 Je souligne.
34 T. Siebers, The Mirror of Medusa, Berkeley / Los Angeles, University of California Press, 1983, p. 24.
35 J.-P. Vernant, La Mort dans les yeux, Figures de l’Autre en Grèce ancienne, Paris, Hachette, « Pluriel », 1998, p. 32.
36 Ibid.
37 Ibid., p. 43.
38 Paris, Seuil, 1982, p. 104.
39 C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, Paris, Garnier-Flammarion, 1964, cvii, v. 1-5.
40 J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, 1982, p. 867.
41 S. Freud, « La tête de Méduse » (1922), Résultats, idées, problèmes, t. II, 1921-1938, Paris, PUF, 1985, p. 49.
42 J. Clair, Méduse, op. cit., p. 11.
43 Ibid., p. 78.
44 Argument que l’on trouve initialement chez M. Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, Paris, Gallimard, 1964, p. 177.
45 J. Lacan, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 124.
46 Ibid., p. 118.
47 P. Julien, Pour lire Jacques Lacan, Paris, EPEL, 1990, p. 190.
48 J. Lacan, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 116.
49 Ibid., p. 120.
50 Ibid., p. 118.
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Énergie et mélancolie
Les entrelacs de l’écriture dans les Notebooks de S. T. Coleridge. Volumes 1, 2 et 3
Kimberley Page-Jones
2018
« Étrangeté, passion, couleur »
L’hellénisme de Swinburne, Pater et Symonds (1865-1880)
Charlotte Ribeyrol
2013
« The Harmony of Truth »
Sciences et poésie dans l’œuvre de Percy B. Shelley
Sophie Laniel-Musitelli
2012