Chapitre 4. L’itinéraire intellectuel de sir William Jones
p. 85-110
Texte intégral
Au mois d’août dernier, me trouvant sur le vaisseau qui me transportait dans cette région […] je reconnus un soir […] que nous avions l’Inde devant nous et la Perse à notre gauche, tandis qu’une brise venue de l’Arabie soufflait à peu près sur la poupe de notre bâtiment. […] Je sentis un plaisir inexprimable de me trouver au milieu d’un aussi noble amphithéâtre, presque environné des vastes contrées de l’Asie, qui a toujours passé pour le berceau des sciences et des arts […] Ma pensée mesura involontairement cette mine si importante et si riche qui n’était pas encore exploitée.
William Jones1
1Il est difficile de dépeindre l’exaltation ressentie par les premiers orientalistes et leur enthousiasme à chacune de leurs découvertes. Chaque page de leurs écrits exhale leur fascination devant cette terra incognita qu’est l’Inde : flore et faune, langues, culture et religions. Jones et ses contemporains enchaînaient les découvertes, toutes décrites dans les publications d’Asiatick Researches et expédiées en Europe à un public avide de ces nouveautés. Pour la première fois, les trésors culturels de l’Inde ancienne étaient dévoilés, au rythme des progrès faits par Wilkins et Jones dans leur entreprise de séduction auprès des brahmanes lettrés pour qu’ils acceptent de collaborer, devenant les premiers Européens à apprendre la langue sacrée, le sanskrit2. Jones galvanisa l’Europe avec sa découverte de racines communes au sanskrit et au latin :
La langue sanskrite, quelle que soit son antiquité, est d’une structure admirable, plus parfaite que le grec, plus riche que le latin, et plus raffinée que l’un et l’autre ; on lui reconnaît pourtant plus d’affinité avec ces deux langues, dans les racines des verbes et dans les formes grammaticales, qu’on ne pourrait l’attendre du hasard. Cette affinité est telle en effet, qu’un philologue ne pourrait examiner ces trois langues sans croire qu’elles sont sorties d’une source commune, qui peut-être n’existe plus. (« Troisième discours », RA, t. I, p. 508-509)
2Il devait encore, plus tard, stupéfier l’Europe avec sa traduction de la pièce de théâtre de Kalidasa, Shakuntala. Des découvertes venaient bouleverser dans tous les domaines l’image que l’Europe se faisait de l’Inde : astronomie, botanique, architecture, mythologie. Néanmoins, cette chasse au trésor intellectuelle n’était pas une aventure partagée par tous les Britanniques installés en Inde. Croire que tout employé de l’administration Hastings de l’East India Company se soit plongé avec enthousiasme dans l’étude du sanskrit est bien loin de la réalité. Les colons de la communauté britannique en Inde étaient beaucoup trop absorbés par une vie sociale débridée et par le soin de faire fructifier leurs propres affaires.
3Tout au contraire, la Société asiatique n’a, semble-t-il, mobilisé qu’une petite élite intellectuelle aventureuse. La plupart des Européens étaient avant tout occupés à s’enrichir, usant de tous les moyens possibles pour amasser de l’argent, y inclus la corruption : en se faisant offrir des cadeaux, en gonflant artificiellement les prix de leurs services. Beuveries, jeux de hasard, posséder domestiques esclaves et entretenir des concubines faisaient partie de la vie ordinaire, même de certains hommes d’Églises. Les employés de la Compagnie participaient rarement à la vie culturelle locale, n’en ayant qu’une très vague idée, et se considérant de toute façon supérieurs aux Indiens. Bref, les Britanniques étaient des étrangers au milieu d’un peuple qu’ils effrayaient.
4L’aventure intellectuelle dans laquelle se sont engagés Jones et ses contemporains n’en était que plus exceptionnelle, dans ce contexte, ne fut-ce que parce qu’ils étaient résolus à franchir le barrage de la mentalité coloniale et à s’aventurer de l’autre côté du miroir magique. Démarche qui devait à son tour déboucher sur une évolution des mentalités dans les pays européens où leurs découvertes étaient publiées.
Redessiner le paysage intellectuel en Europe
5Jones et ses contemporains ont cartographié de nouveaux espaces, remettant sans cesse en cause les idées reçues sur l’Inde et l’Orient, dans tous les domaines possibles, de l’astronomie à la politique, à la littérature et aux lois. Rien n’était trop lointain, trop petit, trop large ou trop peu important. Des petites fleurs de l’herbe druva (citée dans la mythologie) au zodiaque lui-même, tout allait être scrupuleusement observé, examiné, découvert et… redécouvert. Le but était de porter un nouveau regard sur l’Inde, débarrassé des préjugés eurocentriques et libéré des brumes déformantes de la fantaisie qui en avaient coloré la représentation depuis Marco Polo. L’image projetée de l’Inde devait être dorénavant fondée sur une approche scientifique. Ils apprirent les langues, parcoururent le pays. Ils ont beaucoup lu et traduit, discuté avec des lettrés, débattu entre eux de leurs découvertes et les ont partagées avec toute l’Europe, soit au travers de leur correspondance soit par des publications. Examinons quelques-unes de leurs contributions.
6Dans le domaine de l’astronomie, par exemple, avec son papier « Sur l’antiquité du zodiaque indien », Jones est le premier à avancer que le concept du zodiaque n’a pas été emprunté par les Indiens aux Grecs ou aux Arabes, réfutant la théorie du mathématicien français Jean-Étienne Montucla3 et assurant :
Le zodiaque indien ne fut emprunté ni médiatement ni directement des Arabes ou des Grecs ; et puisque sa division solaire est en substance la même dans l’Inde que celle dont les Grecs faisaient usage, nous sommes fondés à conclure que les Grecs et les Hindous l’ont reçue d’une nation plus ancienne qui, la première, imposa des noms aux astres, et qui fut la souche commune des Grecs et des Hindous, ainsi que le démontre la parité de leur langue et de leur religion. (RA, t. II, p. 332-333)
7Sa théorie, bien que soigneusement argumentée et illustrée par des dessins complexes, a été et se trouve toujours contestée. Mais c’est une remarquable conséquence de l’étude approfondie du sanskrit qu’elle ait débouché sur des théories touchant de multiples et lointains domaines, provoquant des débats, nourrissant de nouvelles recherches, en plus de battre en brèche des idées reçues sur la culture indienne. De la même manière, l’étude « Sur le jeu d’échecs des Indiens » démontre que celui-ci a été inventé par les Indiens. Un des pandits fréquentés par Jones, Radhacant, date sa création de l’époque du Ramayana, comme ayant été imaginé par l’épouse de Ravan, roi de Lanca « pour amuser ce prince avec une image de la guerre, tandis que sa capitale était bloquée par Rama » (ibid., p. 209).
8Dans le domaine de l’histoire, Jones entreprit la tâche herculéenne de s’efforcer de clarifier la chronologie de l’âge d’or des Hindous, afin d’insérer les dates des événements historiques de l’Inde dans la chronologie historique européenne. Le 7 février 1788, lors d’une rencontre de la Société asiatique, Jones lut une longue étude soigneusement documentée, « Sur la chronologie des Hindous4 », déclarant : « Je me propose de vous offrir un précis de la chronologie indienne, tiré des livres sanskrits ou de mes conversations avec des pandits. » (ibid., p. 164.) Cet essai présente un intérêt à divers titre, à part les recherches approfondies qui ont présidé à son élaboration. En premier lieu, on y note la démarche syncrétique de Jones dans ses tentatives d’éclairer les unes par les autres les Saintes Écritures, les classiques grecs et l’histoire hindoue :
Comparons les deux récits de la création et du déluge avec ceux de Moïse. Je n’examine point, dans cette discussion, si les premiers chapitres de la Genèse doivent être entendus dans un sens littéral ou purement allégorique : tout ce dont il s’agit, c’est de savoir si la création décrite par le premier Menou, que les brahmanes appellent la création du lotus, n’est pas la même que celle qui est rapportée dans l’Écriture, et si l’histoire du septième Menou n’est pas la même que celle de Noé. (ibid., p. 172)
9Ainsi on voit les prémices des théories des racines communes à toute religion, qui devait fasciner les romantiques.
10Deuxièmement, se dessine la méthodologie propre à Jones qui constitue la première tentative sérieuse de déterminer des dates en s’appuyant sur diverses sources disponibles. En ce qui concerne la date de naissance de Bouddha, par exemple, il argue que seules les preuves écrites doivent être utilisées et que :
[…] il faut appliquer invariablement notre principale règle, qui consiste à prendre à la rigueur les aveux que les brahmanes laissent échapper contre eux-mêmes, c’est-à-dire, contre leurs prétentions à l’antiquité ; en sorte qu’au total nous pouvons placer Bouddha tout au commencement de l’âge actuel. Mais quel est ce commencement ? (ibid., p. 176)
11Ayant souligné les nombreuses incohérences dans la chronologie de l’hindouisme (telle qu’exposée par les brahmanes), Jones conclut :
[…] les trois premiers âges des Hindous sont principalement mythologiques, soit que leur mythologie fût fondée sur les énigmes obscures de leurs astronomes, ou sur les fictions héroïques de leurs poètes ; le quatrième, ou l’âge historique, ne peut être reculé à plus de 2 000 ans avant J.-C. (ibid., p. 194)
12Bien que les découvertes de Jones soient remises en cause par des historiens indiens contemporains5, ses efforts ouvrirent la voie à une démystification de l’histoire et de la culture indienne. Ces recherches n’étaient qu’un aspect des travaux qu’il menait. Avec ses encouragements et son soutien, la Société asiatique devint rapidement un lieu d’intense collecte d’informations débouchant sur des découvertes collectives. Par exemple, Jones et ses contemporains identifièrent Chandragupta Maurya comme étant le Sandrokottos des historiens grecs, ce qui contribua à établir la chronologie de l’histoire de l’Inde. Ceci fut suivi par l’identification de Pataliputra (Palibothra dans les textes classiques) à la confluence du Gange et du Sone (Erranoboas).
13Les lettrés indiens contribuèrent également activement aux recherches de la Société asiatique. Le 4 mai 1787, Jones fit la lecture de « Sur la littérature des Hindous », mémoire qu’il a traduit du sanskrit. Ce travail avait été produit par un savant hindou, Goverdhan Kâl ; Jones en fit le commentaire (Works, t. IV, p. 93-113). Les deux parties sont également érudites. Jones commente les grandes œuvres de la littérature sanskrite, dont le Ramayana, le Mahabharata et le Manu Smriti [Lois de Manu]. Il note :
Ce sont des Védas que sont immédiatement tirés les arts pratiques, tels que la chirurgie, la médecine, la musique et la danse ; la science des archers, qui comprend tout l’art militaire ; et l’architecture, qui embrasse le système des arts mécaniques.
14Dans un registre plus pratique, il poursuit :
Les Européens peuvent retirer des avantages infinis des divers ouvrages de médecine composés en sanskrit, où se trouvent les noms et la description des plantes et des minéraux de l’Inde, avec leur usage pour la guérison des maladies, résultant de l’expérience. (RA, t. I, 376-377)
15Puis il commente les écoles philosophiques de l’Inde. Syncrétique, comme toujours, Jones fait des parallèles entre les philosophes indiens et grecs. Ainsi, selon lui, Gautama correspondrait à Aristote, Djaimini à Socrate, et Vyâsa à Platon (ibid., p. 379). Cannon note :
On voit ici quelle sorte d’approche culturelle Jones voulait développer dans le cadre de la Société : un érudit indien expose les fondements de la culture indienne et un Européen fait le lien avec les connaissances de l’Europe, dans le but d’enrichir mutuellement les deux pôles. (Cannon, 1990, p. 264)
16À travers ces travaux célébrant la culture indienne, Jones établissait le droit de l’Inde de se prévaloir de sa contribution à la culture mondiale et de celle à l’enrichissement de la culture européenne. Il s’affirme dès lors comme un précurseur des études comparées. Sa façon de croiser sans cesse les références culturelles étrangères revient à un rejet pur et simple de la vision eurocentrique de l’Europe comme axe culturel mondial. Comme l’observe Michael Franklin, la puissance combinée des politiques orientalistes du gouvernement Hastings et des ambitions scientifiques de Jones, liées à la volonté de ce dernier de familiariser l’Europe avec les trésors littéraires de l’Orient a déclenché une renaissance orientale en Europe et une révolution culturelle en Inde. Elle a radicalement changé le regard porté par la métropole sur la culture hindoue et introduit la notion de relations intellectuelles entre le colonisateur et le colonisé (Franklin, 2003, p. 20). Afin de comprendre l’étendue de ce changement, penchons nous sur la traduction de Jones qui a envoûté l’Europe : Sacontala, pièce pastorale de Kalidasa qui raconte l’histoire d’une jeune femme abandonnée par le roi (son mari).
Sacontala ou l’Anneau fatal
17Sacontala ; or, the Fatal Ring ; an Indian drama6, la pièce de théâtre dramatique de Kalidasa, traduite en prose par Williams Jones en 1789, est sans doute l’une des traductions d’œuvre littéraire les plus célèbres de tous les temps. Elle a révolutionné l’orientalisme et particulièrement l’étude de l’Inde classique. Sa traduction a émerveillé l’Europe et lui a montré qu’un pays jusque-là considéré uniquement pour ses richesses matérielles possédait aussi des trésors culturels. Il a révélé une mine aussi riche en légendes et traditions qu’en drames classiques, qui devait rendre des œuvres éblouissantes les unes après les autres. Les critiques britanniques, au premier abord sceptiques, finirent par placer Kalidasa sur le même plan que Shakespeare et le considérer comme un génie littéraire. Quand la pièce fut connue en Europe, elle fit plus sensation que n’importe quelle autre traduction précédente, à l’exception de celle des Mille et Une Nuits, d’Antoine Galland. L’œuvre a été abondamment commentée et célébrée. C’était comme la découverte d’un nouveau continent, une bouffée d’air frais venue d’ailleurs.
18La comparaison des traductions de Sacontala ; or, the Fatal Ring, par Jones, et des Mille et Une Nuits, par Antoine Galland, montre que les approches ont été profondément différentes. Galland ne voyait dans les contes des Mille et Une Nuits que des histoires étranges ou merveilleuses se déroulant dans un Orient un peu féérique. Son recueil, comme expliqué précédemment, n’est pas tant une traduction qu’une compilation, une réécriture de contes traditionnels, originellement de transmission orale, dont il existait de nombreuses versions écrites. Les recherches conduites par Rana Kabbani montrent que l’ensemble d’histoires qui composent le cycle Alf laila wa laila [Les Mille et Une Nuits] était considéré comme dépourvu de tout mérite littéraire. Ce sont ces histoires qui ont été réécrites ou transcrites littérairement par Antoine Galland7. Kabanni estime qu’en dépit de la volonté de Galland d’être rigoureux dans sa traduction, il n’a pu se défendre d’injecter dans ces histoires quelques-uns des traditionnels traits de la représentation de l’Orient en vigueur en Europe. Il créa ainsi un texte nouveau et original à partir du texte existant, taillé pour son public. Entre autres apports, Galland poliça le rude langage vernaculaire d’origine pour l’accorder à l’exigeante préciosité du langage écrit du xviiie siècle en France. Galland a lui-même confessé à Cuper que sa traduction n’était pas « attachée précisément au texte, qui n’aurait pas fait plaisir aux lecteurs » (Kabanni, p. 48-55).
19Dans sa traduction de Abhijnanasakuntala, Jones voulait transmettre l’œuvre dans toutes ses dimensions. Le but était de transmettre dans son intégralité le génie littéraire de Kalidasa. Les adaptations du texte se devaient d’être mineures et faites uniquement pour permettre au lecteur du xviiie siècle d’en percevoir toutes les beautés. Et surtout, le texte devait rester enraciné dans son contexte culturel. Chose malaisée, compte tenu du gigantesque fossé culturel qui, précisément, sépare l’Inde de l’Angleterre au xviiie siècle. Dans sa préface, Jones explique comment les brahmanes l’ont initié au répertoire du théâtre indien natacs, qui signifie « pièce » ou « spectacle » en sanskrit, citant l’œuvre de Kalidasa comme l’exemple le plus achevé. Il observe que l’art de la poésie dramatique « fut porté à sa perfection en Inde sous le règne Vikramaditya, au ier siècle avant J.-C. », à une époque où « les habitants de la Grande-Bretagne étaient encore aussi grossiers et ignorants que les montagnards de l’armée de Hanumat ». « Neuf hommes de génie, communément appelés les Neuf Perles, étaient entretenus par lui avec magnificence en sa cour. Kalidasa est, parmi ces hommes illustres, celui dont la réputation est la mieux établie. » (Bruguière, p. 58.) Après avoir lu la pièce, Jones écrivit avec enthousiasme avoir découvert un « Shakespeare indien », faisant le récit tout entier de la trame de cette œuvre à Spencer9. Il voulait partager cette merveilleuse découverte avec l’Europe.
20Ses méthodes de traduction étaient rigoureuses. Il traduisait d’abord en latin, considérant le latin plus proche du sanskrit, et ensuite en anglais. L’un des problèmes posés par la traduction était la mythologie hindoue. Les constantes allusions à la faune et à la flore en étaient un autre, les unes et les autres étant tout à fait étrangères au lecteur européen. Dans de nombreux cas, il n’y avait tout simplement pas d’équivalent anglais. Jones s’efforça de surmonter le problème en usant de translitérations de mots sanskrits. Bannissant les notes de bas de page, qui auraient brisé le rythme de lecture de l’œuvre (et auraient été bien difficiles à rendre dans le cas d’une représentation théâtrale), il choisit d’intégrer au texte même des éléments explicatifs, sur le vocabulaire ou le contexte. Par exemple, lorsque le char du dieu Indra fait son apparition, le roi s’exclame : « Ô Matali, sois le bienvenu : je te salue, conducteur de char d’Indra ! » Matali répond : « Ô Roi, puisses-tu vivre longtemps et être toujours victorieux ! Apprends pourquoi le régulateur du firmament m’a dépêché vers toi. » Matali explique ensuite la nature de sa mission : une race de Danavas « dangereuse par son orgueil et sa puissance » sévit et « Indra n’ayant pu, par cent sacrifices, désarmer la mauvaise volonté de cette race gigantesque t’a choisi, toi son ami, pour les attaquer en front de bataille » (ibid., p. 218-219). L’élégante facilité avec laquelle Jones contextualise le texte sanskrit est ici très frappante. L’audience européenne ne pouvait y voir des digressions inutiles.
21Arrêtons-nous, par exemple, à l’une des scènes d’amour de la pièce. Le roi Duschmanta s’emploie à rassurer Sacontala sur le fait que leur mariage, selon les rites des gandharvas10, sera accepté par Canna (son père adoptif et gardien, absent à ce moment) :
Canna ne mettra point d’obstacle à notre union. Versé dans la science des lois, il sait que beaucoup de filles de Bramines se sont mariées par la cérémonie appelé gandharva, pratiquée chez les adorateurs d’Indra, et que leurs pères les ont approuvées. (ibid., p. 99)
22Cannon et Pandey11 soulignent que le texte original de Kalidasa ne comporte qu’une phrase : « Gandharvena vivahena », c’est-à-dire « par un mariage gandharva ». C’était suffisant pour le public de Kalidasa, mais non pas pour les lecteurs européens de Jones. Il aurait pu traduire par le mot lui-même – « mariage par consentement mutuel » – ce qui aurait été parfaitement clair compte tenu du contexte de la scène, mais cela aurait affaibli le texte, car le mot gandharva est lourd de contenu sémantique et renvoie directement à l’ancienne littérature indienne.
23Soucieux de ses lecteurs, Jones introduit sans cesse des références culturelles chaque fois qu’il le juge nécessaire pour éclairer les allusions dans le texte à la mythologie indienne ou au folklore. Par exemple, à l’acte III, quand Duschmanta, éperdu d’amour, voit Sacontala s’approcher de lui, il se compare lui-même à l’oiseau chatac qui, « dévoré par une soif ardente, demandait une goutte d’eau avec insistance, lorsqu’un nuage bienfaisant répandit soudain dans son bec une rosée fraîche et abondante » (ibid., p. 102). Le texte original portait juste le mot paksina (oiseau), et non le nom chatac12, auquel il fait exactement allusion.
24En outre, l’usage de translitérations de mots recrée un monde pastoral, oriental, mystique, qui est bien celui du drame de Kalidasa. Jones a utilisé au moins 118 mots qui sont des translitérations ; parmi lesquels des mots devenus familiers mais alors totalement inconnus, comme avatar, champak et vedanta. Ces mots étaient essentiels pour recréer l’atmosphère de la pièce originale et pour communiquer des idées totalement étrangères à la culture européenne. Ailleurs, il introduit une explication dans le texte lui-même. Par exemple, Sacontala crie : « ma robe flottante s’engage malgré moi dans les branches du curavara » (ibid., p. 49). Le roi compare son amoureuse languissante au « madhavi quand ses feuilles sont desséchées par le vent du midi » (ibid., p. 86). Jones parvient à communiquer une authentique texture exotique à son texte, non seulement par l’usage de mots sanskrits, mais aussi par ses multiples transpositions culturelles. Des images positives dans la culture indiennes, comme la fraîcheur d’une pluie de mousson, se seraient transformées en image négatives pour un Européen, pour qui les jours ensoleillés sont les beaux jours et les jours de pluie sont des jours désagréables et tristes. Il conserve l’image originale mais en éclaire le sens, comme dans l’exemple suivant : « L’amour causait mes peines, et il vient lui-même de les dissiper. Ainsi un jour d’été, en se voilant d’épais nuages, soulage les animaux des effets de la vive chaleur dont il les avait d’abord accablés » (ibid., p. 88). De la même manière, la mythologie indienne remplace la mythologie classique dans toute la pièce. Par exemple, Duchmanta décrit les traits décochés par le dieu de l’amour, disant : « ils sont trempés dans les flammes du courroux de Hara, aussi ardents que le feu de Barava pétillant au milieu de l’onde » (ibid., p. 81).
25La publication de la traduction a été, comme nous l’avons vu plus haut, un événement littéraire majeur dans la révélation de la littérature orientale dans les pays de l’Ouest. Dans un texte de 1982, Janardan P. Singh, fait l’éloge de Jones pour avoir introduit la littérature, l’art et la philosophie de l’Inde et de l’Orient dans l’héritage commun de tout homme civilisé sur cette terre (Singh, p. 24). Il souligne que la pièce a rencontré un large succès en Europe : le drame a fait l’objet de trois rééditions en sept ans dans la seule Grande-Bretagne et a été traduit en allemand en 1791 par George Forster, suscitant l’enthousiasme d’hommes de lettres comme Herder et Goethe (ibid., p. 87). Ce dernier se serait inspiré de Kalidasa pour écrire le prologue de son Faust. La pièce a également été traduite en français et en italien. Thomas Jefferson détenait une copie d’une réédition de 1790 de la traduction de Jones et une édition de 1792 semble avoir touché un large cercle de lecteurs américains.
Expurger, adapter
26Le succès rencontré par les traductions de Jones doit beaucoup à son traitement délicat des textes, expurgés, adaptés pour l’audience européenne, mais toujours authentiques sur le fond et sur la forme. C’est que Jones ne transporte nullement l’imagerie et l’idéologie européennes dans les textes indiens qu’il traduit et n’utilise pas l’Inde comme une sorte de toile de fond exotique, au contraire, comme on a pu le voir, de nombre de publications orientalistes de fiction antérieures. Naturellement, cela est dû en partie au fait qu’il avait, au contraire de ses prédécesseurs, une connaissance de première main du contexte des œuvres traduites, mais aussi parce que sa motivation était scientifique plus que commerciale. Loin de vouloir utiliser l’Orient comme un simple décor de théâtre, il privilégia l’authenticité. Il voulait avant tout partager son admiration personnelle pour les œuvres de la littérature orientale et pour ce faire s’efforçait de les restituer dans toute leur pureté.
27En revanche, conscient qu’il fallait montrer de la prudence dans la transmission de cultures étrangères, Jones n’hésite pas à expurger, adapter. On l’a déjà vu précédemment éluder les allusions homosexuelles dans sa traduction de Persian Song of Hafiz. Se conformant à la moralité de l’époque en Angleterre, Jones a transformé l’amant en amante, sans que ses lecteurs puissent le moins du monde déceler cette manipulation. Dans la pièce de Kalidasa, il s’agit plus d’une question de sensibilité à l’esthétique, de modification de forme que de contenu13. Par exemple, l’amant éperdu Duschmanta, à la recherche de Sacontala, découvre soudainement l’empreinte de ses pieds sur le sable jaune et décrit leur forme unique (Works, t. IX, p. 420). Dans le texte original, l’accent est placé sur la généreuse rondeur des hanches de Sacontala, mais les hanches larges correspondent à des critères esthétiques indiens et n’auraient pas émoustillé les Européens. Jones contourne l’obstacle en évoquant ses jambes élégantes (« elegant limbs ») qui est certainement plus évocateur que « la lourdeur de ses hanches » (« the heaviness of her hips ») qui aurait été la traduction littérale du texte de Kalidasa.
28Ailleurs, le mot polysémique karabhoru utilisé pour décrire Sacontala, peut renvoyer à un jeune éléphant. Une comparaison difficile à retenir pour Jones. En sanskrit, l’image ne pose pas de problème : Duschmanta peut comparer les cuisses de Sacontala, longues et fuselées, à la trompe d’un éléphant. Ce qui donnerait : « Ô toi, dont les cuisses sont comme la trompe d’un éléphant ! » Jones fait donc l’économie de cette image et Duschmanta se contente de s’adresser en ces termes à Sacontala : « Ô ma charmante amie ! » Pandey explique que le Kama Sutra du sage Vatsayana classifie les femmes en hansini (tel un cygne), padmini (semblable au lotus), hastini (comme un éléphant). Il observe également que la comparaison d’une jolie femme et d’un éléphant serait de nature à décontenancer un Européen, alors qu’elle est parfaitement naturelle pour un Indien (Cannon et Pandey, p. 534-535).
29Hors la transposition de l’idéal esthétique – ou de sa comparaison –, Jones ne modifie pas notablement le texte. Ses transpositions restent parfaitement compatibles avec son objectif – transmettre les trésors de la littérature sanskrite dans la meilleure forme possible. Les traductions de Jones ont été souvent critiquées et accusées de greffer la morale anglaise du xviiie siècle sur les textes de l’Inde ancienne, qui sont d’un ton plus rude et ne s’embarrassent pas de litote, particulièrement en ce qui concerne la sexualité. Ce sont des passages que Jones s’est appliqué à atténuer, à voiler de pudeur (Teltscher, p. 214-215). Mais la question est que la traduction n’était pas ici un but en soi. Jones voulait transmettre la beauté du texte de Kalidasa aussi fidèlement que possible, mais d’une façon qui puisse émouvoir les lecteurs européens du xviiie siècle en intégrant leurs conceptions esthétiques.
Réactions dans la presse britannique
30La publication de Sacontala marque une indubitable percée de la culture indienne et du sanskrit en Europe. Mais elle n’a pas été la seule publication responsable du changement de perception de l’Inde en Europe. Dès après son arrivée en Inde, Jones a préparé son public avec les diverses découvertes et analyses de la Société asiatique (essais sur les langues, la littérature, la religion, l’histoire, etc.). Et quand Sacontala fut publié les critiques se montrèrent enthousiastes, allant de la surprise et du plaisir à l’incrédulité, voire à redouter une escroquerie littéraire, pour finalement adopter et placer Kalidasa au rang de Shakespeare comme génie littéraire (Cannon, 1982a, p. 198-199). Il est intéressant d’examiner la réaction de la presse britannique aux publications de Jones, comme instrument de mesure de l’influence de ce dernier en Angleterre et dans le reste de l’Europe ; les Britanniques et de même le public européen ayant principalement accès à ses travaux par la presse qui publiait avec empressement ses écrits14.
31Nombre de ces revues prestigieuses donnaient le ton. Jones avait un accès privilégié aux pages de ces magazines, avant même de quitter la Grande-Bretagne pour l’Inde, en tant que l’un des orientalistes européens les plus en vue. Ce qui n’était pas nécessairement le cas pour tous les autres érudits. Par exemple, la version pionnière en anglais de la Bhagawad-Gita de Charles Wilkins en 1785 n’avait suscité que peu d’intérêt. Les périodiques britanniques n’avaient guère réagi au fait que la publication de la traduction de la Gita de Wilkins était due à l’East India Company, pas plus qu’à l’introduction dithyrambique de Warren Hastings. Au contraire, l’orientaliste John Parsons, écrivant dans Monthly Review (mars-avril 1787), critique vertement non seulement l’opinion de Hastings mais les bases même sur lesquelles elle est formée, disant que : « Le dieu y est représenté d’une façon répugnante et monstrueuse. » (ibid., p. 198.)
32Mais le changement était en marche. Le travail de fond de la Société asiatique faisait son œuvre. C’est qu’outre les articles publiés dans des revues européennes, elle avait son propre organe, Asiatick Researches, qui recensait les travaux scientifiques en cours, et un périodique, Asiatick Miscellany, dédié aux travaux littéraires. De plus, plusieurs membres du groupe, dont Jones, étaient en relations épistolaires avec des érudits européens. Ces échanges se voient dans le ton que prennent les revues. Par exemple, en 1797, l’orientaliste Alexander Hamilton écrivit dans Monthly Review :
Nous ne voyons pas ce qu’il aurait pu se produire de plus conforme à l’intérêt général en matière de littérature que l’établissement d’une telle institution [Hamilton se réfère à la Royal Society] au cœur de l’Asie : une société savante placée au cœur d’un peuple préservant, à la fin du xviiie siècle, les dogmes dans la pureté des premiers âges. (Cannon, 1986a, p. 233-234)
33Ainsi le terrain était devenu peu à peu favorable aux publications qui traitaient une culture non européenne.
34On observe l’émiettement des préjugés insulaires au rythme de chaque nouvelle publication, prenant Monthly Review pour exemple. La réticence montrée au début par celle-ci – « Il a fallu tant de temps et d’efforts pour se débarrasser des vieilles mythologies grecques et romaines, que ce n’est pas pour ériger à leur place le système encore plus débridé du polythéisme indien » (réaction de Monthly Review au volume I de Asiatick Researches en 1789) – se transmue bientôt en enthousiasme : « si riches et si abondantes sont les œuvres littéraires et scientifiques ainsi dévoilées que le philosophe curieux peut s’attendre à un flot continuel de nouveaux trésors » (réaction de Monthly Review au volume III en 1792).
35L’évolution est particulièrement visible avec la publication en 1794 de la traduction pionnière de Jones des Lois de Manu. The British Critic note que les Lois se conforment aux grandes lignes de la Bible et s’essaient à « élever l’esprit pour le fixer dans une contemplation divine » (ibid., p. 234). Une dernière citation, extraite de l’Asiatick Annual Register (1799), montre combien les études publiées par Jones et ses contemporains ont fait évoluer l’image de l’Inde dans l’esprit des Britanniques :
[Les Lois de Manu] prouvent, au-delà de toute objection, que le peuple de l’Inde avait déjà fait de grands pas dans la civilisation, à un moment où les nations de l’Europe n’en étaient qu’aux grossiers premiers pas de la vie sociale. (ibid., p. 235)
36Ainsi, en dix ans, les vues de la presse britannique ont subi une profonde mutation. Asiatick Researches était traduit en allemand et en français, assurant aux articles publiés une large diffusion en Europe. Si Jones a pu susciter cette évolution dans la pensée européenne, c’est sans doute parce qu’il était lui-même un homme entre deux mondes.
Jones applique les codes culturels du XVIIIe siècle à l’Inde
37Jones appartient à deux mondes : il est d’un côté à l’avant-garde de l’âge romantique et, de l’autre, bien ancré dans l’âge classique finissant. Puisque cette analyse emprunte le concept foucaldien d’« épistème » pour décrire les formations historiques qui sous-tendent l’œuvre jonesienne, il convient de faire un bref rappel de ce terme comme le définit Michel Foucault. Selon lui, chaque époque se caractérise par une grille de savoir qui rend possible le discours scientifique, grille qu’il appelle « épistème ». Dans L’Archéologie du savoir, il explique :
Par épistème, on entend […] l’ensemble des relations pouvant unir, à une époque donnée, les pratiques discursives qui donnent lieu à des figures épistémologiques, à des sciences, éventuellement à des systèmes formalisés […]. L’épistème, ce n’est pas une forme de connaissance ou un type de rationalité qui, traversant les sciences les plus diverses, manifesterait l’unité souveraine d’un sujet, d’un esprit ou d’une époque ; c’est l’ensemble des relations qu’on peut découvrir, pour une époque donnée, entre les sciences quand on les analyse au niveau des régularités discursives. (Foucault, 1969, p. 250)
38De la Renaissance au xixe siècle se succèdent trois épistèmes, ceux de la Renaissance, de l’âge classique et de l’époque moderne. Foucault souligne « la discontinuité dans l’épistème », c’est-à-dire la période où la grille de savoir change. Il relève « deux grandes discontinuités dans l’épistème de la culture occidentale : celle qui inaugure l’âge classique (vers le milieu du xviie siècle) et celle qui, au début du xixe siècle, marque le seuil de notre modernité » (Foucault, 1966, p. 13). Il situe cette période de transition, ou « rupture » entre l’âge classique et la modernité entre 1775 et 1825. Or, il place Jones dans la première phase de la fin de l’âge classique, c’est-à-dire plus ou moins entre 1775 et 1800.
39Donc intellectuellement Jones appartiendrait à l’épistème classique où dominent la représentation, l’ordre, l’identité et la différence. Dans Les Mots et les Choses, Foucault explique que le mot-clé de l’épistème classique serait « comparaison », c’est-à-dire identifier, trier et ordonner, ce qui permet d’établir des tableaux « classificatoires ». Bref, l’âge classique c’est le règne de la représentation. Je cite Foucault :
Maintenant une énumération complète va devenir possible : soit sous la forme d’un recensement exhaustif de tous les éléments qui constituent l’ensemble envisagé ; soit sous la forme d’une mise en catégories qui articule dans sa totalité le domaine étudié ; soit enfin sous la forme d’une analyse d’un certain nombre de points, en nombre suffisant, pris tout au long de la série. (ibid., p. 69)
40Donc Jones, héritier de ce « système classique de l’ordre » (ibid., p. 221- 222), s’est intéressé à l’Inde de façon scientifique, s’employant à identifier, classifier, codifier.
41Cette approche conditionne son regard dès le commencement. Son premier plan de travail, dressé pendant son voyage en bateau vers l’Inde, et titré « Objets de recherche durant mon séjour en Asie » est impressionnant, allant des lois hindoues et musulmanes jusqu’aux mathématiques, à la poésie, au commerce et à l’agriculture15. L’objectif était de codifier l’Inde pour la rendre intelligible à l’Occident. Dans son « Discours préliminaire » prononcé lors du premier anniversaire de la création de la Société asiatique, Jones s’emploie à clarifier les objectifs de celle-ci. Après avoir posé que l’objet de leurs recherches était l’homme et la nature – « tout ce qui est exécuté par l’un, ou produit par l’autre » –, Jones déclare :
On a savamment analysé la science humaine d’après nos trois facultés intellectuelles, la mémoire, la raison et l’imagination, constamment occupées à disposer et à retenir, à comparer et à distinguer, à combiner et à diversifier les idées que nous recevons par nos sens ou qui viennent de la réflexion. (RA, t. I, p. xx)
42Puis il détaille les recherches proposées, qui couvrent les principales branches du savoir, l’histoire, la science et l’art.
43Le projet décrit par Jones est étonnamment proche de la définition foucaldienne de la première phase. Foucault écrit :
Dans la première de ces phases, le mode d’être fondamental des positivités ne change pas ; les richesses des hommes, les espèces de la nature, les mots dont les langues sont peuplées demeurent encore ce qu’ils étaient à l’âge classique : des représentations redoublées – des représentations dont le rôle est de désigner des représentations, de les analyser, de les composer et de les décomposer pour faire surgir en elles, avec le système de leurs identités et de leurs différences, le principe général d’un ordre. (Foucault, 1966, p. 233)
La botanique
44Prenons le cas de l’histoire naturelle, Foucault dit :
L’âge classique donne à l’histoire un tout autre sens : celui de poser pour la première fois un regard minutieux sur les choses elles-mêmes, et de transcrire ensuite ce qu’il recueille dans des mots lisses, neutralisés et fidèles. (Foucault, 1966, p. 143)
45Ceci correspond parfaitement avec la méthodologie de Jones dans ce domaine. Comme Jean-Jacques Rousseau, Jones était un botaniste enthousiaste, étudiant de près les végétaux. Il a écrit plusieurs essais sur ce sujet. Là encore, les traits poétiques et pragmatiques de son caractère apparaissent – dans ses traités il met en avant les applications pratiques possibles d’une telle étude dans la médecine, la nutrition et explore les usages commerciaux –, mais le plaisir qu’il a de pratiquer cette « charmante science » est plus évident encore dans ses lettres. Par exemple, le 19 août 1787, Jones décrit au second earl Spencer le plaisir qu’il prend à faire de la botanique, intérêt qu’il partageait avec son épouse. Il explique qu’Anna dessinait les fleurs, tandis qu’il les décrivait : « J’ai, dans mon vocabulaire sanskrit, les noms d’un millier de plantes que je projette de décrire pour m’amuser. Laissez-moi vous recommander cette étude passionnante » (Letters, t. II, p. 752). C’est une passion qu’il garda pendant tout son séjour en Inde.
46Jones a aussi maintenu une correspondance nourrie avec le botaniste britannique sir Joseph Banks16, qui se trouve avoir été un de ses anciens condisciples à Harrow. Dans cette correspondance, la passion de Jones pour les plantes est éclatante. En 1791, il lui décrit « le plus bel Epidendrum que l’on ait jamais vu », « une plante qui vit de l’air et qui fait éclore ses odorantes et brillantes fleurs dans un pot, sans terre ni eau » ; et plus loin dans la même lettre, dans une envolée lyrique, Jones continue :
Le cocila [pic] chante merveilleusement ici au printemps ; Polier vous montrera des dessins du mâle et de la femelle, mais l’appellera peut-être co-il : l’histoire de ses œufs me paraît toujours remarquable. L’amra est le Mangifera ; le mellica, le Nyctanthes zambak, je crois ; la vigne madhavi, Banisteria. […] Quant au nard, je ne sais pas quoi dire ; si les Grecs entendent par là herbe odorante, nous avons du nard en abondance […]. (lettre du 18 octobre 1791, Works, t. II, p. 211-212)
47Comme nous l’avons déjà constaté, la flore et la faune indiennes constituaient un univers inconnu en Europe. On se souvient de la surprise émerveillée de Terry découvrant parmi les arbres un Banyan et de son enthousiasme pour la mangue, sans parler de la banane. Hodges et Forbes traduisent aussi cette même fascination dans leurs dessins. Jones souhaitait mettre de l’ordre dans ces descriptions éparses. Persuadé de la nécessité de classifier plantes et minéraux de l’Inde, Jones propose d’utiliser la classification de Linné17 aux membres de la Société asiatique (« Deuxième discours », le 24 février 1785) afin de conduire une étude sérieuse de la botanique locale. Il s’efforce de recenser les plantes indiennes – se désolant de l’absence de système de classification.
48Son « Idée d’un ouvrage sur les plantes en Inde » (1789) s’étend sur le besoin de codification, d’identification et de classification qu’il ressent dans ce domaine. Ayant constaté que des centaines de plantes, « absolument inconnues aux botanistes européens, et dont ils ignorent entièrement les propriétés, croissent sans culture dans les plaines et dans les forêts de l’Inde », Jones fait savoir qu’il existe d’excellents ouvrages sur le sujet en sanskrit, par exemple l’Amarcosh qui, dans un chapitre, offre « les noms d’environ trois cents végétaux propres à la médecine ». Ces ouvrages décrivent les plantes ainsi que leurs propriétés. Jones emploie une approche rigoureusement scientifique dans ses consignes sur la composition d’un traité sur les plantes indiennes. Il propose que les noms originels en sanskrit soient écrits en lettres romaines, suivant l’orthographe la plus correcte pour éviter les fluctuations continuelles des dialectes. Il poursuit qu’après avoir écrit correctement « dans un grand livre de papier blanc les noms sanskrits des plantes indiennes », une par page, il faudra classer et décrire d’une manière concise les plantes mêmes, cueillies dans leurs saisons respectives. Puis il préconise qu’on examine ensuite « leurs usages médicinaux, alimentaires ou industriels, d’après les ouvrages de médecine sanskrits, avec le secours des médecins hindous », en complétant ce travail par des expériences réitérées afin d’établir l’exactitude de leurs rapports ou, au contraire, un démenti (ibid., t. V, p. 1-7 ; RA, t. II, p. 384-388).
49Jones a lui-même dressé un impressionnant catalogue des plantes indiennes, donnant en regard le nom sanskrit et les noms génériques linnéens, lorsqu’il avait pu identifier la plante avec précision. Ses recherches initiales infructueuses pour identifier le nard indien préfigurent celles qu’il mènera pour les fleurs aquatiques, la vigne et plus généralement toutes les plantes nommées et décrites dans les œuvres littéraires indiennes qu’il s’apprêtait justement à faire connaître à l’Europe. Projet qui fut conduit avec le plus grand sérieux, des « moissonneurs » ayant été recrutés dans une grande partie de l’Inde. Leur collecte a été dûment analysée, répertoriée, cataloguée, chaque plante étant soigneusement décrite et ses propriétés explorées. Le résultat, le traité Observations botaniques sur une sélection de plantes de l’Inde (1794), est le maître ouvrage de Jones sur la botanique, et en reconnaissance duquel William Roxburgh, le fondateur de la botanique scientifique indienne, renomma le bel arbre asoka, le Jonesia asoka.
50Jones montre en outre dans cet essai une remarquable connaissance de la place des fleurs dans la mythologie indienne, de même que de leur usage économique. Ses recherches en botanique ont été hautement scientifiques. Il applique les principes linnéens, permettant l’identification et classification des plantes précédemment inconnues. Cette approche se retrouve dans sa recherche des familles de langues – ce qui fait de lui un pionnier dans le domaine de la philologie.
Un pionnier en philologie
51Dans son troisième discours anniversaire, Jones avance sa célèbre thèse d’une source commune au sanskrit, au grec ancien et au latin18. Cette théorie d’une langue mère, qui devait devenir le fondement de la linguistique moderne, faisait simplement partie de son discours général sur les Hindous. Il est peu probable qu’il ait eu la moindre idée qu’il devrait sa renommée future au fait d’avoir été un pionnier dans le domaine de la philologie. Comme le remarque Roy Harris dans son introduction aux Discourses Delivered at the Asiatick Society, cette célèbre assertion sur le sanskrit n’était pas le résultat d’années de recherche assidue ; en fait, il venait tout juste de se mettre à l’étude du sanskrit quand il tint ces propos. Il ne faisait que rapporter ce qui l’avait frappé de prime abord comme une similitude entre ces langues, similitude si évidente qu’elle ne peut résulter que d’une origine commune (Harris, p. vi).
52Quoi qu’il en soit, le linguiste Franklin Edgerton note que les travaux de Jones sont considérés comme ayant été la première formulation du postulat fondamental d’une grammaire comparative indo-européenne, à vrai dire de la linguistique comparativiste en général. La protestation courtoise mais ferme de Jones – « Que l’on me permette, en tant que philologue, de protester contre l’usage de l’étymologie conjecturale dans les recherches historiques » (Works, t. III, p. 199) – insérait pour la première fois l’étude des langues dans un cadre scientifique. Cela ne signifie pas que Jones ait été le premier Européen à remarquer l’affinité existant entre sanskrit, grec et latin. Des remarques de cette nature ont été formulées dès le xvie siècle, notamment par Filippo Sassetti, un marchand italien qui avait visité l’Inde en 1583. Edgerton relève également des observations similaires dans une lettre écrite en 1767 par un père Jésuite, Gaston Laurent Cœurdoux19. Mais ce sont des observations isolées et largement oubliées. L’observation que les trois langues se ressemblent n’était donc pas nouvelle, mais l’idée que ces similitudes devaient résulter d’une origine commune l’était. La position de Jones, comme président fondateur de la Société asiatique du Bengale, a sans doute donné beaucoup plus de poids à son propos. Edgerton y voit la naissance de la grammaire comparative moderne (Edgerton, p. 6).
53C’était avant tout la méthodologie de Jones qui était particulièrement innovante. Il dédaignait la méthode étymologique d’antiquaires tels que Jacob Bryant20 :
L’étymologie est, sans doute, utile dans les recherches historiques ; mais cette preuve est si trompeuse, qu’en éclaircissant un fait elle en obscurcit mille […]. Elle porte rarement avec elle une force intrinsèque de conviction, tirée de la ressemblance des sons, ou de la similitude des lettres. (RA, t. I, p. 498)
54Javed Majeed fait remarquer comment, contrairement à Bryant, Jones mettait en avant l’étude empirique des langues, et surtout de la structure grammaticale lorsqu’il s’agissait d’examiner les relations de parenté. Ce fut cela plus que tout, qui posa la première pierre de la méthode historique de la linguistique du xixe siècle (Majeed, p. 13-14).
55Dans son étude de la contribution de Jones à la philologie moderne, Cannon fait remarquer que dans l’ouverture de son troisième discours anniversaire, Jones donne deux ensembles de mots apparentés trois par trois, clairement choisis du fait de leur synonymie et de leur forme similaire parce qu’il admettait qu’il fallait comparer au moins trois langues lorsqu’il s’agit de postuler que des mots sont apparentés. En effet, ces ensembles, ainsi que d’autres, indiquent que sa formulation avait été mise à l’épreuve empiriquement, après qu’il eut comparé un certain nombre de données. Dans les discours anniversaires qu’il prononça par la suite, Jones devait affiner et élargir son concept des familles de langues, introduisant des synonymes pour les langues mères tels que « souche commune » et parent commun. Cannon note qu’ainsi, il déplaçait l’étude des langues de l’intuition et de la spéculation, pour la faire entrer dans le domaine des sciences (Cannon, 1991, p. 39-43).
56Ironie du sort, Jones ne s’intéressait pas à l’étude des langues comme science en soi, et la considérait comme secondaire. Il écrivit depuis Paris à lord Althorpe :
J’ai eu accès également à un intéressant manuscrit à la Bibliothèque royale, qui m’a donné une meilleure connaissance des mœurs de l’ancienne Arabie et aussi peu que je respecte la simple philologie, considérée à part de la connaissance à laquelle elle mène, pourtant je priserai toujours au plus haut point ces branches du savoir, qui nous renseignent sur l’espèce humaine. (Works, t. I, p. 338)
57Ainsi donc, il ne tenait pas en haute estime les études philologiques en tant que telles. Comme le fait remarquer Harris, il tenait fermement à l’idée que les langues ne valaient d’être étudiées que comme moyen d’accès aux cultures dont elles étaient le produit – point de vue tout fait opposé à l’esprit de ce qui devait devenir l’une des principales disciplines universitaires au cours du siècle suivant (Harris, p. vi).
58Cependant, il était lui-même philologue, au sens où les linguistes tendent à utiliser le terme : il voyait dans les langues la clé donnant accès à la culture des peuples, qui constituait son champ d’études favori (Edgerton, p. 10-11). Mais l’impact des travaux pionniers de Jones dans cette discipline ne fut pas reconnu avant 1866, quand un article de la Quarterly Review21 salua sa formulation à propos de la langue sanskrite comme étant la clé de la philologie comparative moderne. On loua alors Jones d’avoir évité l’éternel piège de voir le sanskrit comme l’ancêtre des langues indo-européennes.
L’alphabet phonétique
59Ses travaux linguistiques fournissent un excellent exemple de l’approche scientifique de Jones, approche qui devait donner aux études asiatiques et indiennes une base scientifique, ce qui leur conférait une certaine validité auprès des Européens, remplaçant ainsi les « mythes et légendes » vus dans le premier chapitre. Comme dernier exemple, prenons la « Dissertation sur l’orthographe des mots orientaux écrits en lettres romaines », travail érudit et scientifique qui inclut plusieurs reproductions de diverses formes d’écritures orientales (Works, t. III, p. 253-318). Au fur et à mesure que la Société asiatique publiait ses travaux, le besoin s’était fait de plus en plus pressant d’un système régulier pour écrire des mots originaires des langues asiatiques en lettres romaines. Jones cite l’exemple du mot kummerband, qui aussi se trouvait sous la forme kemerbend, ou encore cemerbend. Quand on se souvient de la confusion occasionnée plus tôt par le mot « sanskrit », examinée au premier chapitre22 on imagine facilement la confusion phonétique créée lorsque Jones et ses collègues se mirent à lire, traduire et faire des recherches. Jones, conscient de ce besoin, entama son article sur la remarque suivante :
Pour peu qu’on ait occasion d’écrire sur la littérature de l’Asie, ou de traduire des ouvrages orientaux, il est toujours commode et quelquefois nécessaire d’exprimer des mots ou des phrases arabes, indiennes et persanes, avec les caractères généralement usités parmi les Européens. (RA, t. I, p. xxv)
60Jones note ensuite que chaque auteur a son propre système de notation, ce qui amène à la plus grande confusion. Par exemple, le manque d’un système rigoureux avait rendu difficile l’utilisation des travaux des Grecs de l’Antiquité, puisqu’ils avaient « l’habitude inexcusable d’helléniser les noms étrangers […] c’est ainsi que de Gogra ils faisaient Agoranis » (ibid., p. xxvi). Même l’ouvrage d’Herbelot prête à confusion quand il cite des noms d’hommes et de lieux en caractères européens (ibid, p. xxviii). Identifier clairement lieux, peuples, et toute sorte de classement et dénombrement concernant les mots asiatiques s’avérait impossible – on se souvient de la confusion suscitée par les noms Sandrokottos (Chandragupta) et Palibothra (Pataliputra) qui ne finirent par être clarifiée qu’après de laborieuse recherches23.
61Jones discute ensuite les diverses méthodes de translitération utilisées, mais conclut que même les deux méthodes avancées par les orientalistes William Davy et Charles Wilkins n’avaient pas résolu la confusion concernant les noms propres dans les langues orientales, du fait de représentations incohérentes en orthographe anglaise. Persuadé qu’il fallait introduire de l’ordre dans toute cette confusion, Jones établit son innovant « Système jonesien de translitération du perse, de l’arabe et des langues indiennes en orthographe romaine ». Pachori note que cet essai, tout d’abord publié dans Asiatick Researches (1788), contribua à l’instauration d’un alphabet phonétique international en suivant le grand principe consistant à se rapprocher des sons originaux et de leur arrangement en discours rapide grâce à des translitérations plutôt qu’à des traductions, sans introduire de nouveau système diacritique. Admettant que l’orthographie romaine ne représentait qu’imparfaitement les voyelles anglaises, Jones ajouta la diacritique française aux lettres anglaises de façon à gagner les voyelles dont on avait besoin, de sorte que chaque son original se trouvait attribué invariablement un symbole approprié, conformément à l’ordre naturel de l’articulation (Pachori, 1993, p. 165).
*
62Explorateur, découvreur, défricheur, pionnier, autant de termes qui viennent à l’esprit quand on se penche sur les travaux de Jones en Inde. Sa plongée enthousiaste à la découverte de la culture indienne, doublée de sa rigueur scientifique et de la solidité de ses connaissances dans de multiples domaines, allaient lui faire découvrir et répertorier des trésors, qui seront rangés au plus haut du patrimoine culturel de l’humanité. Sa réputation, déjà flatteuse, lui assurait – et par voie de conséquence au domaine exploré – un auditoire attentif, non seulement en Grande-Bretagne, mais dans tout l’Occident. La découverte, la traduction et la publication, par Jones, des grandes œuvres littéraires indiennes, comme Abhijnanasakuntala de Kalidasa ont bouleversé l’univers culturel de l’Occident, mettant de pair avec les chefs-d’œuvre littéraires européens des œuvres hier totalement inconnues et pourtant très anciennes. Jones a d’un coup porté l’Inde sur la carte mondiale des grandes civilisations.
63Mais sa contribution est également importante dans beaucoup d’autres domaines. Les différents aspects de son travail que nous venons d’examiner montrent à la fois son rôle de découvreur et la nature aventureuse, voire hasardeuse, de ses entreprises, certaines se soldant par un éclatant succès, d’autres se révélant finalement des impasses. Dans la première catégorie, à côté de son apport capital à la littérature, on peut citer son travail de botaniste, son système phonétique et, comme linguiste, sa célèbre analyse, dans son troisième discours annuel, discréditant la théorie que l’hébreu est un don de Dieu à l’humanité et que tous les langages dérivent de cette langue mère, redéfinissant du même coup les notions de périphérie et de centre.
64Quoi qu’il en soit, les « essais » de Jones sur l’Inde sont bien exactement cela, des essais, des tentatives pour appréhender, comprendre, traduire et expliquer la culture orientale – quelques fois au travers de très imaginatives transpositions – ouvrant ainsi une nouvelle ère pour l’orientalisme ou même pouvant être considérés comme présidant à la naissance de l’orientalisme scientifique. Son travail porte les marques du genre : découvertes et impasses. D’un côté il ouvre de nouveaux horizons et de l’autre, à cause de leur caractère expérimental, certaines de ses analyses se fourvoient. Cet aventurisme reflète le caractère de l’homme lui-même, aventurier intellectuel des sciences et de la pensée, comme par ailleurs les tendances de son temps. Le dernier quart du xviiie siècle, la fin de l’âge classique, se voue à « la conservation de plus en plus complète de l’écrit » :
[…] l’instauration d’archives, leur classement, la réorganisation des bibliothèques, l’établissement de catalogues, de répertoires, d’inventaires représentent, à la fin de l’âge classique, plus qu’une sensibilité nouvelle au temps, à son passé, à l’épaisseur de l’histoire, une manière d’introduction dans le langage déjà déposé et dans les traces qu’il a laissées, un ordre qui est du même type que celui qu’on établit entre les vivants. (Foucault, 1966, p. 143-144)
65Ce besoin de codifier et de classifier devait conduire Jones à prendre des raccourcis intellectuels malheureux qui constitueront le sujet du prochain chapitre.
Notes de bas de page
1 Sir William Jones pendant son voyage sur mer à destination de l’Inde (RA, t. I, p. xvi-xvii).
2 Il y a naturellement eu quelques précédents, comme les travaux de Roberto Di Nobili mentionnés ci-dessus, mais non avec la rigueur scientifique déployée par Jones et ses collègues, et moins encore à une telle échelle.
3 Jean-Étienne Montucla (1725-1799), mathématicien français. Il a écrit une Histoire des mathématiques.
4 Works, t. IV, p. 1-69.
5 Romila Thapar observe que malheureusement Jones n’a pas suivi le célèbre savant d’origine perse du xie siècle, Alberuni (ou Al Berini ou Al Beruni), qui faisait une différence entre les récits historiques d’origine populaire et ceux des astronomes et mathématiciens. Elle conclut que Jones et ses contemporains ont confondu temps historique et temps cosmique (Thapar, 1996, p. 3-9).
6 Sacontala ou l’Anneau fatal, un drame indien, traduit en français par Antoine-André Bruguière de Sorsum en 1803.
7 Antoine Galland (1646-1715), orientaliste et spécialiste des manuscrits anciens a été nommé en 1670 auprès de l’ambassadeur de France à Istanbul, sous le règne de Mehmet IV. Pendant son séjour, Galland apprend les langues turque, persane et arabe. Il étudie les mœurs et coutumes anciennes des peuples de l’Empire ottoman et entreprend en 1701 la traduction de contes d’origine persane qui forment la trame de son œuvre majeure, Les Mille et Une Nuits.
8 Dans cet ouvrage, les citations en français de Sacontala sont extraites de la traduction française de Bruguière, elle-même d’après la version anglaise de Jones.
9 Lettre du 1er novembre 1787 au second earl Spencer (Letters, t. II, p. 766).
10 Dans l’hindouisme, les gandharvas servent de messagers entre les dieux et les humains. Dans la loi hindoue, un mariage gandharva est un mariage par consentement mutuel et sans rituel.
11 Je m’appuie sur les travaux de Siddheshwar Pandey pour les comparaisons de la traduction de Jones avec le texte original sanskrit (Cannon et Pandey, p. 528-535).
12 Selon le folklore indien, le chatac est un oiseau qui ne vit que des gouttes d’eau de pluie d’une saison particulière appelée svati ; assoiffé, il surveille les nuages jusqu’à ce qu’il obtienne les gouttes d’eau désirées, mais refuse de boire toute autre eau.
13 La comparaison suivante a été empruntée à Pandey (ibid., p. 532-535).
14 Je dois cette analyse de la presse britannique à diverses études menées par Garland Cannon qui procède à une analyse détaillée des articles de six revues : The Analytical Review, Gentleman’s Magazine, The New Annual Register, The Critical Review, Monthly Review et The Annual Register.
15 Voir, dans cet ouvrage, l’appendice 1.
16 Jones aidait Banks, le président de la Royal Society, à se procurer des plantes d’Asie pour les Royal Botanic Kew Gardens.
17 Carl von Linné (1707-1778), naturaliste suédois auteur d’un système de classification des végétaux, assorti d’une nomenclature internationale basée sur la juxtaposition de deux termes latins, désignant respectivement le genre et l’espèce (nomenclature binominale). Il est regardé comme le père de la taxinomie moderne.
18 « La langue sanskrite, quelle que soit son antiquité, est d’une structure admirable, plus parfaite que le grec, plus riche que le latin, et plus raffinée que l’un et l’autre ; on lui reconnaît pourtant plus d’affinité avec ces deux langues, dans les racines des verbes et dans les formes grammaticales, qu’on ne pourrait l’attendre du hasard. Cette affinité est telle en effet, qu’un philologue ne pourrait examiner ces trois langues sans croire qu’elles sont sorties d’une source commune, qui peut-être n’existe plus. » (RA, t. I, p. 508-509.)
19 Dans une note de bas de page, Edgerton discute des observations similaires faites par le père Cœurdoux, (Lettres édifiantes et curieuses). Il remarque qu’après une étude attentive de la lettre de Cœurdoux, il en est venu à la conclusion que celui-ci ne faisait pas clairement la distinction entre des héritages linguistiques d’une source commune, et des emprunts plus tardifs, ni que, si tant est qu’il établît une quelconque distinction de cette sorte, Cœurdoux attribua les mots apparentés en sanskrit, grec et latin à des emprunts plutôt qu’à un héritage commun. Edgerton conclut que Cœurdoux échoua par conséquent à saisir de manière claire le postulat fondamental de la grammaire comparative moderne telle qu’exprimée dans le discours très innovant de Jones (Edgerton, p. 16-17).
20 Analysis of Ancient Mythology (1775).
21 Quarterly Review, n° 119, p. 211-212 (cité par Cannon, 1991, p. 34).
22 Le mot désignant le sanskrit apparaissait sous diverses formes, allant de samscrotum (Abraham Rogerius) à hanscrit (Bernier), en passant par sahanscrit.
23 En faisant le lien entre noms grecs et sanskrits, Erannoboas devenait Yamuna et Sandracottus Chandragupta.
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