Carduino. Poème chevaleresque en deux romances
p. 32-83
Texte intégral
Première romance de Carduino
11.
Gaspard, Melchior et Balthazar, vous qui êtes venus d’Orient pour trouver Jésus nouveau-né, vous avez suivi l’étoile à la lumière éclatante jusqu’à ce qu’elle vous conduise, tous les trois avec votre noble suite, à Bethléem où était né le roi du Paradis auquel vous offrîtes l’encens, la myrrhe et l’or.
22.
Ces trois présents pleins de vertus signifiaient la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, Dieu révélé dans sa divinité : trois, deux et un se couvrent du manteau de la divine et suprême puissance ; un, deux et trois sont un seul Dieu ; nous devons croire que de Dieu, Dieu est issu.
33.
Pour cette sainte et parfaite offrande que vous fîtes au divin Roi des Rois, Notre Père le Seigneur perfectissime, par sa grâce, vous donna la jouissance du règne éternel. Accorde-moi, Seigneur, ta grâce, s’il te plaît, pour que je puisse suivre l’histoire de Carduino, qui se passa au temps du grand roi Arthur. Alors, vous connaîtrez ses hauts faits.
44.
C’est affirmé dans l’histoire et manifeste dans le récit que le grand roi Arthur tenait sa cour à Camelot ; dans ce noble pays, il avait autour de lui tous ses nobles barons. Toutefois, un de ces barons, qui était très courtois, plein de sagesse et d’un grand courage, était renommé dans le monde entier pour sa sagesse et son haut lignage.
55.
C’est pour sa sagesse que le roi en avait fait son confident, qu’il l’aimait beaucoup, lui témoignait une grande affection et le gardait toujours en bonne entente à ses côtés ; voilà pourquoi certains barons éprouvaient à son encontre une secrète et terrible jalousie. À cause de la jalousie qu’ils portaient au baron, un jour, ils le tuèrent d’une façon bien traîtresse.
66.
Le baron laissa une femme dans la fraîcheur de la jeunesse et d’une grande beauté, c’est la vérité, avec un petit enfant, c’est la vérité, car la créature innocente n’avait que neuf mois. De peur qu’on ne le mette à mort, elle décida de partir avec lui en se confiant au destin. Elle emporta des pierreries, des perles ainsi que ses objets de valeur et ils se cachèrent dans une vaste forêt.
77.
Entrée dans la forêt, elle s’installa à l’endroit le plus retiré ; elle bâtit une cabane faite de branches et de bois. Elle y resta avec son enfant plus de sept ans à l’insu de tous ; ni la cour, ni le roi, ni ses gens ne savaient où elle était allée.
88.
La noble dame aimait beaucoup Jésus-Christ et elle avait une dévotion particulière pour la Vierge Marie, à laquelle elle témoignait la plus grande affection ; son enfant vivait avec les bêtes sauvages. Il restait avec ces bêtes jour et nuit, c’est-à-dire qu’ils demeuraient ensemble : l’enfant partagea à tel point leur vie, qu’il finit par croire qu’il n’existait pas d’autres créatures vivantes.
99.
Demeurant dans cette condition, l’enfant atteignit l’âge de cinq ans, et même davantage. Croyant toujours qu’il n’existait que ces bêtes-là, il restait avec elles jour et nuit. Et quand il fut fort de ses dix ans, il appela sa mère et lui dit : « Ma très chère mère, je veux savoir qui est mon père. »
1010.
En femme avisée, elle répondit : « Mon enfant, c’est le Seigneur du ciel et de la terre : ton père, mon enfant, c’est Dieu. » La mère lui affirme : « Dans cette région, il n’y a personne d’autre que toi, moi et les bêtes. » Il ne répondit pas à ces paroles, croyant ce que sa mère lui disait.
1111.
Il advint un jour que l’enfant se promenait seul dans les bois, sans aucune compagnie ; ce même jour, un grand nombre de personnes chassait dans les bois ; sur ma foi, ils étaient venus ce jour-là pour capturer des bêtes sauvages, porcs, sangliers et cerfs, selon l’usage. C’est ainsi que deux épieux, que les chasseurs avaient oubliés, furent abandonnés sur place.
1212.
Se promenant tout nu dans la forêt, tête découverte et sans chaussures, le jeune homme trouva donc les deux épieux dans une clairière. Hardi, Carduino les prit et dit : « Dieu le Père, qu’est-ce que c’est ? » Et il répéta sa question à sa mère ; en élevant la voix, il dit : « Mère, j’ai trouvé ces deux objets, comment les appelle-t-on ? »
1313.
« Ma mère, allons, dis-moi sans tarder, que sont ces objets si tranchants qui brillent ? Je veux que tu m’expliques à quoi ils servent. » Il versait des larmes de joie. Alors la charmante dame répondit : « Mon enfant, je veux bien que tu saches : Dieu ton père les a envoyés pour que tu les gardes avec toi. »
1414.
Et Carduino dit : « Ma jolie mère, dis-moi ce que je dois en faire. » Alors la jeune dame répondit : « Avec eux tu dois chasser les bêtes sauvages. » Et la jeune femme confectionna une cible contre laquelle elle se mit à lancer les épieux. « De cette façon tu attraperas les bêtes, nous mangerons de la viande et nous aurons de quoi nous habiller. »
1515.
Carduino prit un épieu dans sa main et s’en alla dans la forêt. S’il attrapait une bête sauvage, il devait l’apporter à sa mère, et à cet exercice, il était plus adroit que quiconque : aucune bête ne pouvait lui échapper. Il les tuait, puis ils en mangeaient la chair et confectionnaient des habits avec leur peau.
1616.
La mère les écorchait avec Carduino, qui était grand et fort et de fier visage. Le garçon était si hirsute qu’en le regardant on croyait voir un homme sauvage. Le damoiseau accompli1 avait douze ans et il avait bien grandi, davantage que les garçons de son âge. En ce temps-là, il n’avait jamais vu de ses yeux un autre homme.
1717.
Un jour, le roi était parti en quête d’aventure, emmenant avec lui un grand nombre de ses gens. Carduino entendit leurs voix ; il sortit subitement de sa cabane. Muni de ses deux épieux et sans aucune crainte, le robuste damoiseau s’avança de branche en branche et finit par être aperçu par les gens du roi qui arrivaient à travers l’épaisse forêt.
1818.
L’illustre compagnie le chassa à bride abattue à travers la vaste campagne en hurlant : « C’est un homme sauvage ! » Il s’enfuit dans les fourrés, il courut très vite sans ménager ses efforts. Ni les épines, ni les branches ne lui nuisirent, si bien que ses poursuivants perdirent sa trace. Il retourna vers sa mère, tout effrayé.
1919.
Le voyant venir en courant, sa mère vint à sa rencontre et le saisit par le bras : « Qu’as-tu mon enfant, ma douce espérance ? Qu’as-tu mon enfant ? Dis-moi qui te poursuit. » Il répondit : « Ma douce mère, tu me trompes et tu te moques de moi. Tu dis qu’il n’y a plus personne au monde sinon nous deux et le Christ tout-puissant.
2020.
Pourtant, j’ai vu dans ce bois un grand nombre de gens faits comme nous montés sur de grands animaux, et de cela j’en suis sûr. Ils couraient plus vite que ne volent les oiseaux. Comparés aux nôtres, leurs vêtements sont éblouissants. À présent, prépare-toi, mère, car, je te l’assure, je pars à la découverte de tout ce monde. »
2121.
Voyant sa détermination, sa mère prit ses bijoux et ses vêtements, qui étaient, sans mentir, en peaux de bêtes ; elle prit sa fortune, ses perles et son argenterie, et ils sortirent de cette forêt sans hésiter. Ils marchèrent tant à leur gré que, en traversant bois et forêts, villages et routes, ils arrivèrent aux portes d’une grande ville.
2222.
Là, sa mère le garda caché en attendant qu’il fût vêtu et paré comme il convenait à pareil damoiseau. Elle lui acheta des armes et un cheval. Quand elle l’eut vêtu, elle lui recommanda de pratiquer le monde. Il se mit alors à le fréquenter, ses deux épieux pointus à la main.
2323.
Carduino allait à travers la ville, se mettant à rencontrer les jeunes gens. Qui il était, il ne l’affichait pas. Sa mère ne voulut pas révéler son identité. Quand il le souhaitait, il montait à cheval avec les jeunes nobles du pays. Jamais il ne partait sans ses deux épieux, il les avait toujours avec lui, où qu’il se rendît.
2424.
Les gens disaient à Carduino : « Carduino, quel idiot et quel fou tu fais ! Va-t’en à la cour du puissant roi Arthur, là où vont tous les vaillants barons. Si tu réussis à te faire remarquer, tu gagneras sa faveur. Si tu te montres hardi, il te fera grand honneur en sa demeure. »
2525.
Jour après jour, Carduino entendait et écoutait attentivement ces paroles. Tout un chacun disait de ce roi Arthur qu’il tenait cour plénière tout au long de l’année. Il appela sa mère et il lui dit ceci : « Ma mère, tout le monde me parle du roi Arthur. Je souhaite le connaître du fond de mon cœur, puisque c’est un seigneur d’une grande vertu.
2626.
Je veux partir en quête d’aventures ; je veux servir ce roi Arthur de toutes mes forces et de toute ma vigueur. Je le servirai de toute ma hardiesse. S’il m’accepte parmi ses barons, je deviendrai chevalier, sans faute. » Alors sa mère lui répondit : « Mon fils, y aller c’est peut-être ce qu’il y a de mieux pour toi.
2727.
Si tu y vas, mon enfant, il te faut le servir comme tu sers ma personne et lui obéir, mon enfant, sans rechigner, car il faut que tu saches que c’est lui qui possède la seigneurie sur toute la Bretagne. À présent, va, mon enfant ! Mets-toi en route ! Si tu deviens un loyal sujet, tu vengeras ton père naturel. »
2828.
Dès qu’il entendit parler de son père, il répondit brusquement : « Pendant longtemps tu as voulu m’abuser : en disant qu’il n’y avait plus personne au monde, tu m’as fait renier mon père et tu m’as gardé, en me trompant, dans la forêt. Dis-moi qui fut mon père et qui le tua. » Sa mère lui répondit ainsi :
2929.
« Mon fils, ton père avait pour nom Dondinel2, ainsi l’appelaient les gens ; il était le plus puissant et celui que le roi distinguait le plus parmi ses barons. En vérité, le sournois et cruel Mordred et ses frères3 l’ont assassiné : par eux il fut empoisonné. Ainsi mourut ton père, homme réputé. »
30[Lacune du manuscrit : 8 strophes.]
3130.
Le roi Arthur l’écouta parler et s’empressa de le prendre chaleureusement par la main. Il le fit asseoir à côté de lui, puis il lui posa plusieurs questions de suite : « À présent dis-moi la vérité et ne me la cache pas : qui fut ton père, excellent damoiseau ? D’où viens-tu ? Parle-moi de ton pays, de ta mère et de ton lignage. »
3231.
Et Carduino répondit sans tarder : « Je ne sais pas qui fut mon père, noble seigneur, mais ma mère est d’une humble condition et elle m’envoie vaillamment vers vous, afin que je vous serve et que je vous montre obéissance. Mon plus cher désir est de vous servir. » Le roi commanda alors à ses barons qu’il fût servi et traité comme il convenait.
3332.
Pendant ce temps, les tables furent dressées pour le repas et on amena l’eau pour se laver les mains. Arthur le plaça à côté de lui (oui, vous avez bien entendu !) et lui manifesta de grands égards. L’ambiance à table est bien agréable, mais Carduino ne parle pas et ne pense qu’à manger, et tout ce qu’il mange aurait suffi pour satisfaire six barons et même plus.
3433.
Tous les barons s’étonnent en voyant sa taille gigantesque. De l’un à l’autre, ils se chuchotent qu’il a mangé plus que six barons réunis. Face à la table, s’avance alors une dame habillée de vermeil et accompagnée d’un nain. La frêle demoiselle et le nain étaient montés jusqu’à la grande salle.
3534.
Ils s’agenouillèrent devant le roi et la jeune fille prit la parole : « Dieu te protège, roi des grands États. Je viens demander ta miséricorde pour de beaux pays à l’abandon. Je sais que vous avez déjà entendu parler de la cité ensorcelée et des gens qui y vivent tourmentés par la douleur.
3635.
Vous savez bien, noble sire, que la cité, bien qu’ensorcelée, vous appartient, c’est certain. Vous devez savoir qu’elle vous a toujours été fidèle, c’est certain. Envoyez-y au plus vite un bon chevalier qui soit hardi et puissant, pour la défendre contre celui qui l’a ensorcelée, qui a semé la ruine et causé la perte d’un si grand nombre d’hommes. »
Seconde romance
371.
Miséricorde, Notre Père très bon, par la pitié que nous t’avons inspirée, toi qui, pour nous ouvrir les portes de ton royaume, vins au monde avant d’y mourir ; tourne ton regard, Seigneur, vers tant de misères, comme tu le tournas en direction de tes adversaires quand tu chassas l’orgueil et l’avarice et rétablis ton intègre justice.
382.
Quant à moi, je vous ai quittés sur le puissant baron Carduino qui se présentait au roi. Il étonna tout le monde lorsqu’il se trouva à table pour manger. Je vous ai parlé aussi de la belle jeune fille et du sage nain qui s’agenouillèrent tous deux. La demoiselle pleurait beaucoup, ce qui émut tous les gens de la cour.
393.
« Monseigneur, dit la demoiselle, je vous prie d’avoir pitié de ma chère et noble sœur, qui vit dans une grande adversité. Il n’y a pas au monde de dame plus belle, et je veux vous dire ce qui est bien cruel : ma sœur demeure enchaînée4. Par un maléfice, un homme l’a réduite à cet état.
404.
Un traître la voulait pour femme, il y de cela au moins deux cents ans. Elle n’entendit pas satisfaire son désir, c’est pourquoi il l’a jetée dans d’affreux tourments et par ses sortilèges nous cause les plus grands maux. Je ne saurais vous conter ses graves méfaits ; il a transformé les gens en bêtes sauvages. S’il vous plaît, dépêchez un baron qui m’accompagnera.
415.
Qu’il soit valeureux et sage, qu’il se batte contre ce sorcier ! Le nain lui dira ce qu’il devra faire pourvu qu’il soit de grande vertu, en fait d’armes. » Le roi répondit : « Je suis fort affligé que ta sœur Béatrice au teint de rose soit réduite à une telle situation, je vais te donner un hardi chevalier. »
426.
Tous les barons s’offraient pour partir à l’aventure avec la jeune fille et le nain qui l’accompagnait : la dame était une noble créature. Le roi Arthur se tourna alors vers Carduino et lui dit : « Tu es un bel homme ; à présent, je t’en prie, montre ta valeur ; je veux que tu y ailles par amour pour moi. »
437.
Alors le nain parla ainsi : « Roi Arthur, qui est donc celui dont je viens d’entendre parler ? Ce ne doit pas être quelqu’un d’une grande vertu, car il me semble que c’est un homme sauvage. Vous nous en avez envoyé cent et plus qui ne purent soutenir le combat contre le sortilège. » Le roi répondit : « Prends celui que je te donne, celui-ci sera un baron hardi et bon. »
448.
Le nain et Carduino s’éloignèrent de la ville, si mon récit ne s’égare pas. Le second portait toujours, c’est la vérité, ses épieux, l’un à son côté, l’autre sur son épaule. La jeune femme les suivit sur la route. Le soir même, en entrant dans une vallée ; ils arrivèrent devant un fier et beau château entre deux montagnes.
459.
Ce château appartenait à une jeune duchesse, belle et pimpante qui avait déjà mis en danger un grand nombre de personnes, car c’était une magicienne confirmée. Tous les barons en armes, à leur arrivée au château, devaient dormir avec elle. Tous les chevaliers qui parvenaient là-bas étaient hébergés par la noble dame.
4610.
Le soir, après leur arrivée, la duchesse reconnut le nain. Elle lui fit un grand honneur durant le repas puis, en toute simplicité, l’interrogea ouvertement en ces termes : « À présent, dis-moi la vérité, nain, mon maître. » Et elle lui demanda – sauf erreur de ma part – s’il partait conquérir la ville ensorcelée.
4711.
« Noble dame, le roi Arthur m’a donné ce chevalier de sa cour, qui pense prendre la cité ensorcelée ; il est hardi, valeureux et fort. » Et la jeune femme dit : « Tu connais ma coutume de toujours et il faut la suivre, puisque vous vous trouvez chez moi : je veux qu’il dorme avec moi cette nuit. »
4812.
Puis, après le repas, vint le moment d’aller dormir. La jeune femme, après avoir appelé Carduino, se mit à lui parler ainsi : « À présent, écoute-moi, chevalier prestigieux, je ne veux te donner que joie et désir ; je veux que tu dormes avec moi dans mon lit ; de moi tu n’auras que grande joie et grand plaisir. »
4913.
Carduino répondit : « Volontiers. » La dame dit : « Maintenant, tu vas m’écouter. Si je te dis d’entrer, ne viens pas. Si je te dis “ne viens pas”, alors viens. Écoute-moi bien et ne te trompe pas : de tout ce que je dis, tu feras le contraire. » Mais s’il avait su ce qui l’attendait, il n’y serait pas allé pour tout l’or du monde.
5014.
Il a grande hâte de se trouver avec la dame ; elle s’en va tenant en main un chandelier ; elle entre dans la chambre bien apprêtée et dit : « Maintenant, entre, chevalier ! » Carduino n’hésita pas. Il alla vers elle vite en besogne et dès qu’il voulut entrer dans la chambre, la femme se mit à mugir très fort.
5115.
Jamais la mer ne mugit de la sorte par temps d’orage dans la tempête, quand elle est déchaînée par le vent pèlerin qui la harcèle en gonflant ses grandes vagues. Carduino s’arrête sur le seuil, et son cœur est saisi d’une grande frayeur. Il cherche partout dans la chambre, mais il ne voit plus ni la demeure ni ses murs.
5216.
À peine eut-il avancé de quelques pas, qu’un fleuve apparut devant lui. Le chandelier se consuma et s’éteignit. Le fleuve était gros et impétueux. Quatre géants surgirent sur la berge et le capturèrent. Ainsi était la coutume : ils le pendirent à un gibet à l’aide des épieux qu’il emportait avec lui.
5317.
Le gibet est haut perché sur l’eau. Carduino était pendu par les bras et touchait l’eau de la pointe de ses pieds, il restait en silence sans parler. Ainsi, prisonnier de cet étrange ouvrage, il se balançait, comme je viens de le dire. Il resta ainsi toute la nuit jusqu’à l’aube : le sortilège prit fin avec le jour.
5418.
Le nain et la demoiselle se levèrent dès que le jour apparut sur terre ; ils trouvèrent Carduino seul, en proie à l’angoisse. Le nain parla à Carduino et lui dit : « Écoute ce que j’ai décidé : nous devons tout de suite monter en selle et partir d’ici au plus vite sans tarder. »
5519.
Il lui répondit : « Très volontiers, comme il vous plaira, puisque vous êtes mon maître. Mais cette nuit, j’ai été tourmenté et, dans ce grand danger, j’ai beaucoup souffert. » Le nain rit de ses aventures et dit : « Mon cher seigneur, ce malheur est déjà advenu à de nombreuses personnes, puisque cette dame est une savante magicienne. »
5620.
Et ils s’éloignèrent soucieux ; aussitôt ils prirent la route pour s’en aller tous les trois ensemble vers la cité ensorcelée. Carduino regarda attentivement et vit un chevalier qui venait vers eux. Mais celui-là, qui était-il ? Je vous dirai tout à son sujet.
5721.
Gaheriet était son nom, c’était le frère de messire Gauvain ; c’était lui le criminel qui avait vilainement trahi le sire Dondinel, père de notre Carduino, en lui envoyant le chapon empoisonné qui causa sa mort. Ils se rencontrent donc sur le chemin.
5822.
Gaheriet vit la demoiselle ; il pensa la ravir par la force à Carduino, car il la trouva bien élégante et bien belle. Il prit la parole en ces termes : « Écarte-toi vite, dit-il à Carduino, car je veux me rendre maître de cette dame. Si tu ne me la laisses pas et si tu ne pars pas sur-le-champ, je te trancherai la tête avec mon épée. »
5923.
Carduino, en entendant un tel langage, ne prit pas la peine de répondre : il empoigna aussitôt un de ses épieux et le lança sans hésiter dans la poitrine de son adversaire. L’armure ne sauva pas la vie à Gaheriet : transpercé, de son destrier il tomba à terre, raide mort. Voilà un défi chèrement payé !
6024.
Le nain dit : « Hélas ! Qu’as-tu fait ? C’est le neveu du roi Arthur ! Mais en matière de trahison, il était doué, il employait toutes ses facultés pour trahir. Et je veux te raconter, à ce propos, ce qu’il a fait une fois : il fit empoisonner un chevalier qui se faisait appeler Dondinel. »
6125.
Et Carduino de répondre : « Je rends grâce à Dieu. » Sans rien ajouter, il pensa en son cœur : « C’est celui qui tua mon père, ma mère m’a raconté de quelle façon. » Le pieux baron ne répondit rien d’autre, sinon ceci : « Ce traître voulait s’emparer de cette demoiselle, mais je le lui ai fait payer cher. »
6226.
Et maintenant Carduino, le nain et la noble demoiselle courtoise reprennent leur chevauchée. Ils passèrent la journée en parcourant à cheval la plaine et ils arrivèrent le soir dans une forêt menaçante. Ensuite, la demoiselle sortit de ses affaires un riche pavillon et, sans attendre, ils dressèrent ce pavillon fort apprécié sur l’herbe d’un pré fleuri.
6327.
Ils sortirent l’amorce avec le briquet et allumèrent un feu à l’intérieur du pavillon pour se réchauffer, à l’heure où le soir tombait et où il restait peu de lumière. La demoiselle au cœur noble dit : « Restons ici, puisque nous avons trouvé un endroit. » Ils se préparaient pour dîner quand ils entendirent une voix gémir.
6428.
La voix disait : « Oh, Vierge glorieuse, garde-moi, mère, de ces cruels tourments, que je ne meure pas dans cette peine, que je ne perde pas ma virginité ! » Carduino, l’esprit joyeux, dit au nain : « De grâce, dis-moi, quelle est cette voix que j’entends crier ? » Et il répondit : « Pour l’amour de Dieu, tais-toi. »
6529.
« Éteignons le feu, pour l’amour de Dieu, tais-toi ! Hélas, nous frôlons la mort, car si tu étais entendu par les géants, nous ne pourrions pas nous en sortir pour tout l’or du monde ! Deux grands géants hantent les lieux, déterminés à se servir de leur force horrible et de leur grande puissance. » La voix s’éleva une fois de plus, et Carduino écouta ce qu’elle disait.
6630.
« Vierge, mère de Dieu, aide-moi maintenant. Envoie-moi ton ange pour qu’il me défende. » Carduino entend ces mots et cette voix semble lui fendre le cœur ; il dit au nain : « Quitte à perdre ma vie, il faut que je défende celle qui parle ainsi. » Il prit ses épieux sur-le-champ et courut vers le bois sans tarder.
6731.
Dès qu’il fut au cœur de la forêt, il regarda et il vit un énorme géant qui faisait rôtir sur un grand feu une biche ayant encore sa peau et ses pattes. Il vit une jeune fille un peu plus loin ; un autre géant la maintenait devant lui. Voilà pourquoi la demoiselle se lamentait ; on dit qu’elle avait quinze ans.
6832
La demoiselle était originaire de ces contrées, c’était la fille d’un comte très valeureux. Les deux géants l’avaient ravie à son père pour lui faire violence et la déshonorer. L’un d’eux – celui qui s’occupait vaillamment du rôti – constatant ce qui se passait, se releva brusquement pour frapper Carduino qui était devant lui.
6933.
Il se redressa brusquement brandissant son rôti, qu’il leva tout haut pour frapper Carduino, qui était devant lui ; Carduino l’esquiva, puis il lança un de ses épieux avec fureur : il blessa le géant en pleine poitrine en lui transperçant d’un coup la poitrine et le cœur.
7034.
Le géant s’écroula raide mort. Puis Carduino alla vers celui qui tenait devant lui la demoiselle dans ses bras et qui la déposa à terre. Carduino s’adressa au géant et lui parla en ces termes : « Félon, traître ! Ne déshonore pas cette demoiselle ! »
7135.
Et le géant comprit que ce n’était pas un jeu : il se leva et aussitôt attrapa un énorme tison de chêne qui se consumait dans le feu ; le traître félon le brandit bien haut et Carduino, qui ne s’en souciait guère, esquiva le coup. Dès qu’il eut échappé à ce rude coup, il saisit son autre épieu par le milieu.
7236.
Carduino brandit son épieu, il atteignit le géant au milieu des côtes. L’épieu avait jailli de son bras puissant et le fer avait transpercé le géant de part en part, en le frappant en plein cœur, ainsi qu’il était arrivé à celui qui faisait tourner le rôti. Une fois le géant mort, la noble demoiselle, qui était si belle, fut à Carduino.
7337.
Carduino entreprit de lui demander d’où elle venait et qui étaient ses parents ; elle lui répondit pendant qu’il ramassait rapidement ses épieux. Il chargea la biche qui était cuite à point sur une de ses épaules, et sur l’autre il mit les épieux et la demoiselle : ils retournèrent ainsi vers le pavillon5.
7438.
Le nain fut grandement étonné quand il vit Carduino avec la jeune fille. Ils dînèrent ensuite tous ensemble joyeusement de cette bonne biche qui était d’une belle taille. Le nain demanda courtoisement à la jeune fille qui était son père. Elle lui raconta toute son histoire et le nain lui fit grand honneur.
7539.
Le nain, voyant la vaillance de Carduino, le servit de bon cœur, plus généreusement qu’auparavant. La nuit passa et ensuite vint le jour. Carduino, qui était sans égal, se mit en route avec les deux demoiselles et le nain, sage et aimable. Ils chevauchèrent sans répit pendant plusieurs jours, si bien qu’ils arrivèrent devant la ville ensorcelée.
7640.
Une fois arrivé aux portes de la ville, le nain dit à Carduino : « C’est maintenant qu’il faut mettre ta valeur à l’épreuve. Maintenant il te faut être paladin. En vérité, voici la ville. » Carduino dit : « Parfait seigneur, que dites-vous ? Moi, je ne vois rien. » Et le nain lui répondit sur-le-champ.
7741.
Le nain disait : « Vois-tu ces rocs si hauts et si imposants dans cette vallée étroite ? Ce sont les tours et ce sont les palais et les maisons du peuple de la ville. C’est à cause du maléfice que tu les vois si rétrécis (il lui disait tout cela pour lui éviter de se tromper), et ces sentiers au milieu sont les rues où les gens passaient jour et nuit.
7842.
Et vois-tu ces deux beaux rocs ? C’est l’une des portes de cette ville où seigneurs, dames et damoiseaux entraient et sortaient en grand nombre. Il faut que tu fasses comme les oiseaux. » Et Carduino répondit : « En vérité, je ferai bien mes preuves avec mes arguments. » Des dragons et des serpents vinrent à sa rencontre.
7943.
Et Carduino se mit à fuir en disant au nain : « Que vois-je ? Des dragons et des serpents venir sur moi ! J’ai bien peur de rencontrer pire encore ! » Le nain alors commença à lui dire : « Tu iras parmi les lions en troupeaux, parmi les dragons et les serpents et les loups trompeurs, parmi les couleuvres, les léopards et les ours voraces.
8044.
Dès que tu rencontreras les dragons, avance encore et n’aie aucune hésitation : ce ne sont pas des dragons, mais les barons de cette dame que tu devras conquérir. Tu trouveras ensuite beaucoup de lions : ce sont tous des chevaliers en armes ; et les ours et les sangliers, qui sont si gros, ce sont des juges et des notaires.
8145.
Et les cerfs, les léopards et les chevreuils, ce sont les gens ordinaires de cette ville ; les lièvres, les lapins et les faons, ce sont tous des enfants, j’en suis sûr, et tu ne t’inquièteras pas de tout cela. (Il lui dit tout à propos de cet endroit). Et ces bêtes blanches, si belles, ce sont toutes des dames et de superbes demoiselles.
8246.
Toutes t’exposeront leurs souffrances. Avance encore et tu trouveras le palais et ses hautes tours érigées avec art. Alors, tu t’arrêteras sur l’esplanade et tu crieras à haute voix : “Montre-toi, traître, toi qui maintiens cette ville dans cette farce maléfique.” Alors sortira un chevalier paré de toutes ses armes et monté sur son destrier.
8347.
Il viendra sur toi farouchement et il voudra te frapper de son épée. Montre-toi hardi et puissant, car c’est lui qui maintient cette ville et tous ses gens dans un tel état, et tout cela parce que la dame ne voulait pas l’aimer. Il est aussi grand et gros qu’un géant : il fondra sur toi farouchement.
8448.
S’il s’enfuit, n’entre pas par la même porte que lui, si du moins tu tiens à la vie, car cette personne pleine de fiel s’enfuira par un passage avant de ressortir et elle t’écrasera la tête avec une massue en gagnant le duel ; n’entre pas dans le palais, car tu tomberais dans du feu.
8549.
Si tu le fais chuter de son destrier, ne lui laisse la vie sauve pour rien au monde : tue-le sans hésiter, cherche dans sa ceinture et brise sur-le-champ ce que tu y trouveras. Quand tu seras de retour, mon chevalier, tu t’approcheras de la grande vouivre que tu verras alors sur l’esplanade et tu lui donneras un baiser sur la bouche.
8650.
À présent, va, je te recommande à Dieu, qu’il te donne la grâce de pouvoir t’en sortir ! Moi, je ne peux pas entrer dans cette ville, car je ne veux pas être transformé en bête sauvage ; jamais personne n’y alla, pieux baron, qui pût en revenir. » Carduino répondit sagement : « Que Dieu m’aide ! » Et ainsi, il franchit la porte.
8751.
Dès qu’il eut franchi la porte et fut à l’intérieur, les rugissements des lions et les sifflements des serpents firent monter dans la ville un vacarme auprès duquel le bruit de la terre tombant tumultueusement dans les abîmes n’était rien. Dragons et serpents venaient si nombreux que pour un peu il aurait fait marche arrière.
8852.
Alignés, les lions vinrent d’abord devant Carduino, puis vinrent les dragons aux gueules affreuses, qui poussaient des mugissements. De la même façon, les ours et les léopards se présentèrent devant lui. Ils observaient Carduino et son destrier, apparemment avec plaisir.
8953.
Son cheval hésitait en voyant venir tant de lions ; affolé, il se serait arrêté plus d’une fois s’il n’avait pas senti les éperons. Carduino dut surmonter à plusieurs reprises cette difficulté avant de parvenir à la porte montée sur de gros blocs de pierre. Que Dieu lui accorde de ne pas parler, au risque de mourir et de ne pouvoir en réchapper !
9054.
Quand il fut au cœur de la cité, Carduino s’arrêta et réfléchit. Sur l’esplanade il vit une grande bête, admirablement constituée. Elle ne cessait de regarder le baron et elle était d’aspect fort plaisant. Avec trois chaînes d’argent autour de son cou, elle faisait grand bruit et se plaignait beaucoup.
9155.
La vouivre courait autour de l’esplanade, retenue par ces longues chaînes ; elle se dressait sur le bout de sa queue, allait en s’affolant vers Carduino montrant sa volonté de parler à travers la forme dans laquelle elle apparaissait. Elle arriva cependant à transmettre à Carduino un message, qui disait : « Baron, sois hardi et sagace. »
9256.
Carduino ne répondit rien, si ce n’est qu’il cria : « Sors de chez toi, félon ! » Alors, d’un palais de marbre resplendissant, s’élança un noble baron tout en armes sur un destrier au galop. Il porta tout de suite la main à sa ceinture, en retira une somptueuse épée et il se rua sur Carduino en éperonnant vigoureusement.
9357.
Il vint vers lui férocement : ainsi s’avançait le baron ensorceleur. Cet homme retors voulait lui donner la mort. Alors Carduino, le puissant baron, lui lança un de ses épieux et il transperça son bouclier. Blessé, il s’enfuit en franchissant la porte. Carduino, en homme avisé, s’arrêta.
9458.
Ce chevalier, qui était donc blessé, croyait pouvoir affaiblir Carduino au moyen de ses ruses ; il ressortit par l’autre porte armé d’une hache, et c’est ainsi qu’il comptait le blesser. Carduino, chevalier hardi, lança sans faillir son autre épieu. Il lui transperça son bouclier et son haubert, le faisant tomber à terre raide mort.
9559.
Carduino mit pied à terre et il lui trancha la tête ; ensuite, l’excellent chevalier fouilla dans la ceinture dont le nain lui avait parlé. Ainsi que le nain le lui avait dit, en cherchant avec soin, il trouva un riche anneau d’or étincelant : dès qu’il l’eut trouvé, il le brisa sur-le-champ.
9660.
Dès que cet anneau fut brisé, toutes les bêtes sauvages de la ville se rassemblèrent brusquement autour du cadavre, et là, elles montrèrent toute leur cruauté. Chacune le mord et le piétine, aucune ne lui témoigne la moindre pitié : les lions et les dragons, sans attendre, l’encerclent et le dévorent.
9761.
Carduino, après avoir regardé un bon moment ce grand carnage, se remit en selle et monta sur l’esplanade où se tenait la vouivre accablée. Quand elle le vit, elle se leva d’un coup et se précipita dans sa direction par bonds, comme l’aigle6 qui fonce sur la proie. C’est ainsi que la vouivre procédait, en vérité.
9862.
Carduino, qui n’osait pas s’approcher, fit arrêter son cheval ; la vouivre l’affolait et le cheval paniquait, mais les éperons le forcèrent à reprendre sa marche. Le valeureux chevalier ne savait que faire ; il se disait : « Je ne veux pas lui donner un baiser. » Il avait peur et ne savait que faire.
9963.
Cependant, il descendit de cheval et se rappela les paroles du nain ; l’excellent chevalier, son épée à la main, s’approcha de la vouivre. De sa main droite, il avait saisi son épée : la vouivre demeurait humble et coite et Carduino lui donna un baiser sur la bouche. Écoutez ce qu’il advint dès qu’il la toucha.
10064.
Allons ! Écoutez ici un nouveau prodige, car dès que le serpent reçut le baiser, il se transforma en une jeune fille toute gracieuse, élégante et angélique ; elle semblait sortie du Paradis, parée de toutes les beautés. Et les dragons et les lions et les serpents de se transformer et de reprendre aussi leur forme humaine comme auparavant.
10165.
Lorsque la dame retrouva son aspect, retentit sur la terre une rumeur comme un éclair quand il déchire le ciel, car le sortilège était consommé et détruit. Elle remercia le Christ Sauveur, tandis que Carduino ne s’éloignait pas d’elle. Elle tenait Carduino par le bras, en disant : « Tu seras mon parfait ami ! »
10266.
À présent, qui pourrait conter l’allégresse qu’on témoigna à Carduino durant cet instant ? Même si l’on était plongé dans la plus profonde tristesse, on l’oublierait face à ce dénouement si glorieux. En entendant le signe qui confirmait la réussite de l’aventure, le nain entra sans tarder dans la ville, avec la demoiselle qui l’accompagnait. En ville, grande fut la fête.
10367.
La nouvelle se propagea dans la région et le roi Arthur apprit la libération de cette ville. Tout le monde ne parle plus que de cela et de la valeur de Carduino. Mais Carduino dit aux gens qu’il ne voulait pas rentrer à la cour avant d’avoir vengé son père.
10468.
Quand le roi Arthur sut qui il était, il lui envoya des messagers pour le prier de revenir, par amour pour lui, car il voulait lui faire don d’une grande seigneurie et lui demander de faire la paix à tout prix : qu’il la fasse par amour pour lui et pour les grands barons, puisqu’il avait tué le meurtrier de son père.
10569.
Dès qu’il entendit les messagers parler, Carduino, par amour pour le roi, quitta le pays et mit fin à la guerre contre les meurtriers de son père. Les messagers montèrent en selle avec lui et vinrent aussitôt à la cour. Il fit appeler tout de suite sa mère et celle-ci vint à la cour sans nulle crainte.
10670.
Messire Gauvin et tous ses frères s’agenouillèrent devant Carduino et l’implorèrent de pardonner à Gaheriet bien qu’il ait tué Dondinel. Mais Carduino l’avait massacré : comme je l’ai dit, il avait tué Gaheriet. Dondinel était donc vengé et Carduino leur pardonna.
10771.
Le roi Arthur fit de lui un conseiller et un chevalier de sa maison, lui donna la demoiselle comme épouse et le fit champion de la cité ensorcelée. Il renvoya sagement chez son père la belle jeune fille. Carduino revint à la cité avec sa mère et beaucoup d’autres gens, barons et damoiseaux.
10872.
Ils furent, par la suite, plus sages que Merlin, d’après ce que disent les écrits. En peu de temps, il leur naquit un enfant. Personne ne porta mieux les armes que lui. Le roi Arthur aimait le paladin qui fut, parmi ses chevaliers errants, le plus brave et le plus fort de la cour. Que Dieu vous protège tous de la mort infâme !
109Fin. Amen.
Notes de bas de page
1 Comme on l’a dit dans l’introduction, le terme damigello (« jeune homme de noble origine qui n’est pas encore chevalier ») est tout à fait cohérent avec la condition de Carduino, mais contraste néanmoins avec sa sauvagerie. Il ne faut pas exclure une intention ironique du conteur, qui exploite à fond les traits de l’image du sauvage : non seulement le protagoniste est hirsute et habillé de peaux d’animaux, mais sa croissance accélérée évoque un géant. En outre, même quand il sera chevalier, il gardera un appétit démesuré et n’adoptera jamais les armes propres à la chevalerie.
2 Un armorial arthurien décrit ainsi Dondinel, personnage secondaire de la cour qui apparaît régulièrement dans les romans depuis le Lancelot en prose : « Cy devise de Dodinel le Sauvage. Dodinel le Sauvage estoit d’Escosse et estoit grant homme aucques gras, le visage eust ung peu trop couloré et moult estoit gros de tous ses membres et n’eust guieres cheveulx. Fort homme estoit a desmesure et si bon chevalier que c’estoit merveilles, moult estoit a craindre quant il se courroussoit et congnoissoit bien le fait de la guerre. Tousjours queroit avantures estranges. Moult mangeoit et buvoit fort. Loyal homme fut a merveilles et le roy Artus se fioit fort a luy. Et portoit en ses armes d’argent a une aigle d’asur membree d’asur. » (Ms. BnF 12597, fol. 37r.) Voir R. Trachsler, « Compléter la Table Ronde. Le lignage de Guiron vu par les armoriaux arthuriens », Cahiers de Recherches médiévales et humanistes, 14, 2007, p. 101-114.
3 La mère de Carduino accuse les fils du roi Lot du meurtre de Dondinel en mettant Mordred au premier plan. Dans la suite (II, 21), on affirmera que l’assassin est Gaheriet (qui va être tué par Carduino : II, 24), version confirmée par Gauvain et ses frères (II, 70).
4 Vraisemblablement « prisonnière en chaînes » (voir II, 54-55), mais aussi « ensorcelée ». Toutefois, comme on l’a dit dans l’introduction, rien n’annonce la métamorphose en vouivre.
5 On remarquera la veine comique de la scène : d’abord les armes des trois combattants sont tout à fait non conventionnelles, ensuite Carduino n’oublie pas de ramasser le rôti et part rejoindre ses compagnons avec son butin chargé sur les épaules, la jeune fille d’un côté, la biche de l’autre. Son image est le reflet spéculaire de celle des géants qu’il vient d’abattre et l’épisode se termine par un joyeux banquet.
6 Aguglia peut aussi désigner un poisson, l’« aiguille de mer », mais il n’existe qu’une seule attestation du mot (voir TLIO).
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