Intercompréhension et production, formation des adultes et professionnelle
p. 267-271
Texte intégral
1Dans cette quatrième et dernière partie qui compte cinq chapitres, nous avons regroupé les contributions qui abordent l’insertion de l’IC dans la formation professionnelle et/ou la formation des adultes. Comme on le verra, ces contributions entretiennent par ailleurs un lien avec l’activité langagière de production.
2Filomena Capucho nous amène, dans le premier chapitre, à considérer des données tirées du projet de formation professionnelle international CINCO encourageant l’interaction plurilingue en ligne mais aussi et surtout en présentiel et à l’oral. L’AIC mise en œuvre est ainsi insérée dans un contexte de coopération dialogique et sa fonction est pleinement immersive mais aussi instrumentale compte tenu des objectifs spécifiques du projet : développer par l’IC réceptive et interactive en cinq langues (espagnol, français, italien, portugais, roumain) et à travers un scénario de formation hybride, les compétences langagières et communicatives de salariés d’associations de volontariat social et culturel de cinq pays romanophones. L’auteure rend compte de la pluralité de situations d’interaction plurilingue suscitée par le projet et esquisse une typologie des paramètres de caractérisation : finalités de l’interaction, situation sociale, relations interpersonnelles existantes ou à construire, langues connues par les intervenants (répertoires langagiers en production et en compréhension), formation antérieure en IC, etc. Les stratégies de négociation et de co-construction collective du sens (choix des langues – y compris de l’anglais –, alternances codiques et insertions, mobilisation de savoirs linguistiques, etc.) sont identifiées à partir de l’analyse d’un extrait de corpus correspondant à « une situation de communication interpersonnelle dans un contexte professionnel de travail collaboratif » et mobilisant quatre personnes et trois langues romanes (portugais, espagnol, italien) plus l’anglais. Une interaction qualifiée par Filomena Capucho d’« atypique » car, à une exception près, « aucun des interlocuteurs n’utilise sa langue maternelle ». La description des processus de production et d’interaction est ainsi conduite, ce qui amène l’auteure à mettre en avant la notion d’interproduction. Plus largement, comme dans d’autres contributions de cet ouvrage (De Carlo et Hidalgo, Manole, Fonseca, Deransart et al.), il ressort de cette analyse qu’il semble bien y avoir un lien étroit entre IC et collaboration ou coopération : l’une semble bénéficier à l’autre et réciproquement. Les conclusions de cette analyse permettent ainsi de saisir les enjeux de l’IC interactive dans la mesure où la réflexion basée sur l’analyse empirique de corpus d’interactions plurilingues authentiques est essentielle aux fondements théoriques d’AIC adaptées aux nouveaux besoins d’apprentissage.
3Comme Filomena Capucho dans le chapitre précédent, Anne Deransart, Sylvie Sesma et Bernadette Thomas s’intéressent aux développements des AIC dans la formation professionnelle. Actrices du projet PREFIC, elles proposent ici de rendre compte de l’expérimentation d’un itinéraire de formation hybride et actionnel en direction des professionnels des cités des métiers (des conseillers pour la réalisation d’objectifs professionnels) de quatre pays (Italie, Espagne, Portugal, France) afin d’en apprécier l’impact. Après un tour d’horizon des initiatives pédagogiques en IC concernant la formation professionnelle, les auteures présentent le projet PREFIC, son origine – en particulier le fait que l’usage du seul anglais ne donnait pas satisfaction dans les rencontres internationales –, ses objectifs et les attentes des différents acteurs concernés. L’enjeu du recours à l’IC dans ce projet est de contribuer à la collaboration et en particulier à la résolution d’une problématique concrète inhérente à leurs activités professionnelles en plaçant les participants sur un pied d’égalité linguistique. Ainsi la tâche choisie par les formés eux-mêmes lors de la « formation action » ici présentée était de concevoir les outils permettant d’introduire la pratique de l’IC lors des rencontres présentielles du réseau : des procédures d’usage de l’IC pour une communication réussie, notamment à l’oral (aussi qualifiées de « stratégies » de « production croisée en contexte plurilingue ou d’interproduction » par les auteures), des objets à produire (résumé et diaporama dans une autre langue que la langue de présentation orale par exemple), la définition d’un rôle de médiateur IC et de ses fonctions. Une évaluation des résultats de la session de formation concernée est ensuite présentée. Le rôle central de l’effort linguistique et communicatif au cœur des pratiques intercompréhensives pour favoriser la coopération y est souligné. Plus généralement, les résultats obtenus par questionnaire et entretiens permettent de dresser un bilan très positif de l’expérience et de ses apports, conformes aux objectifs visés bien que favorisée par un certain nombre de variables intrinsèques, et de tirer des enseignements pour envisager de réitérer et diffuser ce type de formation à l’IC, dont la fonction, comme pour le projet CINCO évoqué dans le chapitre précédent, est à la fois immersive et instrumentale.
4Dans le troisième chapitre, Delphine Chazot aborde l’IC sous un angle différent de celui des chapitres précédents consacrés pour leur part à l’IC interactive en ligne ou en face-à-face. Il s’agit ici de voir comment des interactions prédéfinies dans le cadre du jeu sérieux Limbo, invitant à la découverte de l’espagnol et du portugais et pratiqué avec des adultes et des étudiants en contexte non formel, peuvent bénéficier au développement de la compétence stratégique. Pour autant, le rattachement de ce chapitre aux travaux consacrés à l’IC réceptive ou à l’IC interactive ne va pas de soi. L’auteure soutient qu’il s’agit plus d’IC réceptive. Il est vrai qu’il s’agit avant tout, du point de vue du joueur, de comprendre ce que se disent les personnages du jeu. Néanmoins l’activité langagière de référence du genre textuel à comprendre reste bien l’interaction. En outre, l’usager doit bien interagir avec les personnages du jeu et la fonction de l’IC est plus immersive qu’instrumentale. Delphine Chazot nous livre ici les résultats d’une expérience d’utilisation de ce jeu avec trois groupes, l’un composé d’hispanophones, un autre de lusophones et un troisième de francophones. Son objectif est de recueillir la perception du jeu par les usagers et d’identifier les stratégies d’apprentissage au moyen d’une observation participante. Les résultats obtenus montrent que les facteurs qui ont pu influencer l’usage des stratégies « sont principalement les tâches du jeu, l’attitude des apprenants et le profil langagier » et que les stratégies les plus stimulées sont de type cognitif et métacognitif tout en montrant également les faiblesses qui sont directement imputables au jeu lui-même. À partir de là, des pistes pour une expérimentation et des recherches à venir autour d’un scénario basé sur le jeu sérieux et l’IC sont esquissées.
5C’est vers une pratique intercompréhensive spécifique que nous amène le chapitre de Noëlle Mathis. Pour la première fois à notre connaissance, un atelier d’écriture plurilingue – une pratique se diffusant actuellement – est abordé sous l’angle de l’IC. L’atelier d’écriture plurilingue est nécessairement lié à l’activité langagière de production, mais la question de l’IC se pose néanmoins ici à deux niveaux :
- s’agissant d’écrire au sujet d’une rencontre (fictive) entre deux personnes qui parlent des langues différentes, l’auteur doit nécessairement se poser des questions liées à l’IC, à l’oral et à l’écrit, par exemple autour de la vraisemblance et de la pertinence des échanges rédigés ou des phénomènes dialogiques rapportés ;
- pour la réception du texte bilingue ou plurilingue par le destinataire (comme dans la production de dialogues pour le théâtre).
6Proposé à des sujets plurilingues adultes dans le cadre d’un cours de FLE, l’atelier leur permet, à la fois d’exprimer leur identité d’acteur social plurilingue muni de son expérience de l’échange exolingue, et d’interroger leurs représentations sur les situations de contacts de langues. Introduit au moyen d’un texte de Jean Tardieu rendant compte d’un dialogue entre deux personnes n’achevant aucun de leurs énoncés et dont on constate surtout que l’interprétation n’en est pas empêchée, l’atelier invite ensuite les participants à écrire un dialogue « à la façon de Tardieu » entre deux personnes parlant des langues différentes.
7Les données recueillies sont les échanges autour du processus d’écriture et le produit lui-même (on trouvera deux dialogues en annexe). Les interactions en classe sont examinées en distinguant quatre phases (deux avant l’écriture, deux après) : la négociation de la proposition, la vérification des choix de langues possibles, la négociation des choix d’écriture, la réflexivité suite à l’écriture. Puis l’auteure mène à bien l’analyse de plusieurs séquences d’échanges où elle se centre sur les questions que se posent les participants comme faire parler les personnages en LE avec des fautes ou non, en quelles langues faire s’exprimer les personnages tout en s’assurant que l’IC soit possible, traduire ou ne pas traduire. Elle constate ainsi que, même pour un locuteur plurilingue dont l’expérience quotidienne est d’utiliser les langues de son répertoire dans des situations diverses, la tâche demandée ne va pas de soi, soulevant un nombre important d’interrogations et de prises de conscience. C’est en ce sens que l’on peut dire que l’IC assume ici une fonction médiatrice, entre l’identité et le vécu du sujet et son objectivation, à savoir un passage de l’état de donnée intérieure à celui d’une manifestation verbalisée correspondante.
8Dans le dernier chapitre de cet ouvrage, Christian Ollivier nous invite à revenir sur les questions définitoires posées dans le chapitre d’introduction et abordées au fil des contributions, notamment les rapports entre le concept d’intercompréhension et les champs respectifs de l’IC réceptive et de l’IC interactive. L’auteur commence par faire un tour d’horizon épistémologique de plusieurs notions connexes du champ. Puis, considérant que dans l’IC interactive – ou « interaction exoplurilingue propiolinguale » dans la typologie présentée dans le chapitre d’introduction –, les processus et stratégies d’ajustement/adaptation verbaux et non verbaux de leurs productions par les énonciateurs sont essentiels, il s’emploie à argumenter en faveur de l’utilisation du terme « interproduction » (déjà employé ici même par Capucho et Deransart et al.) pour désigner ce type d’échange. D’autant que la production compréhensible peut être de nature monologale et non dialogale.
9Christian Ollivier s’efforce surtout de situer la notion d’« interproduction », en examinant les définitions qui en sont données et en en considérant les spécificités et les apports effectifs et potentiels. Une analyse comparée est menée sur les rapports entre interproduction et foreigner talk, pour en pointer les points communs et dégager les différences. Pour ce faire, différentes sources d’information sont considérées, par exemple les recommandations figurant dans deux projets (EU & I et Intermar) au sujet des stratégies d’adaptation pour réaliser une production monologale intercompréhensible. Si, dans un premier temps, l’auteur conclut par une faible spécificité d’une notion par rapport à l’autre (une seule stratégie en plus dans l’interproduction : la traduction d’un mot clé opaque), l’examen de projets centrés sur l’IC interactive et des pratiques concernant la production dialogale intercompréhensible l’amène à réviser ce résultat car, dans le projet Galanet, explique-t-il, l’approche se démarque nettement du foreigner talk par la prise en compte de la part de l’énonciateur, des connaissances et compétences préalables de l’interlocuteur dans la langue de production mais aussi dans d’autres langues. En d’autres termes, dans une interaction exo-plurilingue propiolinguale, chacun doit nécessairement tenir compte du répertoire langagier et culturel de son/ses interlocuteur(s). Comme l’écrit Christian Ollivier, l’interproduction c’est, « à la différence du foreigner talk, considérer l’autre, non pas dans son déficit, mais comme un partenaire connaissant et capable de compréhension » pour « produire un discours permettant la meilleure co-construction de sens possible avec les autres personnes impliquées », ou, en d’autres termes, « produire, c’est écouter ce que l’autre peut comprendre », qu’il s’agisse d’IC inhérente ou d’IC acquise.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Écrire dans l’enseignement supérieur
Des apports de la recherche aux outils pédagogiques
Françoise Boch et Catherine Frier (dir.)
2015
Le temps de l’écriture
Écritures de la variation, écritures de la réception
François Le Goff et Véronique Larrivé
2018
Itinéraires pédagogiques de l'alternance des langues
L'intercompréhension
Christian Degache et Sandra Garbarino (dir.)
2017
Ces lycéens en difficulté avec l’écriture et avec l’école
Marie-Cécile Guernier, Christine Barré-De Miniac, Catherine Brissaud et al.
2017
Le sujet lecteur-scripteur de l'école à l'université
Variété des dispositifs, diversité des élèves
Jean-François Massol (dir.)
2017
La lettre enseignée
Perspective historique et comparaison européenne
Nathalie Denizot et Christophe Ronveaux (dir.)
2019