Chapitre 7. Stratégies lexicales d’intercompréhension pour l’apprentissage de l’anglais en IUT40
Chapitre 7. Estratégias lexicais de intercompreensão para a aprendizagem do inglês em institutos universitários de tecnologia (IUT)
p. 133-148
Résumé
Esta contribuição interessa-se pela expansão do conceito de intercompreensão (IC), mostrando como as estratégias de IC podem ser usadas entre o inglês e o francês. Analisamos o uso de estratégias lexicais – seleção de verdadeiros ou falsos cognatos, palavras-relé, opacas, partilhadas – por aprendentes de inglês, estudantes em multimídia (Vichy, IUT Allier, Universidade Blaise Pascal, Clermont 2), durante uma formação que ocoreu em 2012 em contexto universitário. Esses aprendentes deviam conceber um wiki em uma das áreas estudadas em multimídia (audiovisual, fotografia, webdesign), e selecionar hyperwords de acordo com a IC, remetendo a páginas que explicavam as estratégias escolhidas. Os resultados mostram a possibilidade de se realizar uma actividade de IC entre o francês e o inglês, e a sensibilização de os estudantes não-especialistas em linguas pela IC.
Texte intégral
Introduction
1Le présent chapitre s’intéresse à l’extensibilité du concept d’intercompréhension (IC) entre l’anglais et le français, via la mise en place de stratégies lexicales. Notre étude est motivée par le contexte particulier des formations universitaires et professionnalisantes en France, en institut universitaire de technologie notamment, qui incluent dans leurs cursus des enseignements portant sur les langues étrangères (L2), dont l’anglais. Ces cours s’adressent ainsi à des non-spécialistes de la langue, devant suivre un programme aux horaires déjà lourds. L’IC semble ouvrir des pistes intéressantes pour aider et motiver ce public, en lui proposant des stratégies favorisant l’apprentissage des L2, partant de leurs connaissances en français vers la ou les L2.
2Dans la première partie, nous introduisons le cadre théorique de notre recherche, axé sur les liens possibles entre l’anglais et le français et les stratégies lexicales d’IC (repérage de vrais ou faux-amis, mots relais, opaques, partagés). Puis nous présentons le dispositif sur lequel s’appuie notre étude. Cette formation, menée à l’université, visait l’utilisation des TICE et l’initiation à l’IC pour des apprenants d’anglais, étudiants en première année de communication et multimédia. Ces derniers devaient produire de manière collaborative un texte explicatif en L2 en lien avec les domaines abordés dans leur formation. Ils devaient finaliser leur travail sous forme de wiki, contenant des hypermots liés à des pages explicitant les stratégies d’IC appliquées. La troisième partie concerne l’analyse des données guidée par les questions de recherche suivantes :
Les apprenants, débutants en IC et non-spécialistes de la langue, ont-ils appliqué des stratégies lexicales d’IC ?
La formation a-t-elle permis de susciter chez les étudiants un intérêt pour l’IC ?
Cadre théorique
Extensibilité du concept : l’IC entre le français et l’anglais
3L’IC est généralement considérée comme une approche entre langues apparentées, et les études qui y sont consacrées concernent principalement les langues romanes. Toutefois, plusieurs auteurs ont montré que des rapprochements sont également possibles entre des langues appartenant à des familles différentes. L’étude de Klein (2008), basée sur la méthode des sept tamis d’EuroCom, démontre par exemple que l’anglais est adapté pour l’IC en langues romanes. Pour Castagne (2008), l’anglais et le français, langues proches, mais n’appartenant toutefois pas à la même sous-famille, présentent des caractéristiques qui en font des « alliées » en IC. Le contexte d’IC peut ainsi s’étendre à plusieurs langues, comme le suggère Doyé :
Le fait de se concentrer sur les processus d’IC au sein des trois grandes familles de langues ne signifie pas que les frontières entre ces familles sont insurmontables. De même, cela ne signifie pas que les langues appartenant à d’autres familles doivent être exclues (Doyé, 2005, p. 13).
4Cette extensibilité potentielle du concept d’IC ouvre des perspectives intéressantes en didactique des L2. Il s’agit alors de s’interroger sur le traitement stratégique de la similarité entre ces langues non apparentées pour en favoriser leur apprentissage.
Traitement stratégique de la similarité entre le français et l’anglais
5L’une des entrées possibles pour une intercompréhension entre le français et l’anglais concerne le repérage de certaines caractéristiques du vocabulaire. Nous supposons en effet qu’un ancrage lexical de ces stratégies peut être un point de départ vers une découverte de l’IC, sans toutefois prétendre constituer une méthode intercompréhensive globale (l’activité inférentielle en IC se produisant également à d’autres niveaux ; Castagne, 2004).
6Les rapprochements entre les unités lexicales (UL) peuvent se réaliser par le traitement de similarités ou non similarités, bien que cela soit subjectif (Castagne, 2007 ; Caure, 2009). Castagne et Chartier (2007) proposent de « mettre en relation les séquences transparentes entre langues » en tant que stratégie de compréhension de l’écrit, pour une L2 « proche de sa langue maternelle ou d’une langue étrangère connue ». Pour Castagne (2007)41, il est ainsi possible de repérer :
les UL directement transparentes, dont la forme et la signification sont presque identiques (« universidade/université ») ;
les UL semi-transparentes, dont le sens se déduit grâce à une UL relais (« umbrella/ombrelle/parapluie ») ;
les UL opaques, qui soit ne suggèrent aucune UL (« mela/pomme »), soit font penser à une UL en langue maternelle (LM) n’ayant pas la même signification – ou faux-amis (« alcune », signifiant en français « quelques », mais pouvant être interprété comme un synonyme d’« aucune »).
7Enfin, Doyé (2005), Reissner (2008), ou encore Meißner (2010) préconisent de faire prendre conscience aux apprenants qu’ils possèdent déjà du vocabulaire grâce au lexique international, premier tamis dans la méthode EuroCom (Stegmann, 2005) : « par le lexique international, les apprenants sont sensibilisés pour les traits et éléments communs des langues » (Reissner, 2008). Dans un contexte non romanophone, on permettra ainsi aux apprenants d’« activer le lexique “international” » dans leur LM (Meißner, 2010, p. 31). Pour notre part, nous proposons d’utiliser l’expression « vocabulaire partagé » (qui nous semble moins accentuer les différences ou mettre en avant certaines cultures) afin de désigner ces UL.
8À partir de ces travaux, nous identifions plusieurs stratégies lexicales d’IC : repérage de vrais-amis (UL transparentes), d’UL relais (permettant d’accéder au sens d’UL semi-transparentes), d’UL opaques, de faux-amis et d’UL partagées.
Étude menée
9Pour vérifier l’hypothèse de l’extensibilité du concept d’IC par le biais de stratégies lexicales, nous avons réalisé une étude de terrain en contexte universitaire.
Terrain d’étude
10La formation à l’IC a eu lieu de fin mars à mai 2012 au département Métiers du multimédia et de l’Internet (MMI), anciennement Services et réseaux de communication à Vichy (IUT d’Allier, université Blaise Pascal). Elle a été menée dans le cadre du projet Vocales (Vocabulaire en langue étrangère en services et réseaux de communication), qui s’intéresse à l’apprentissage du vocabulaire en L2 via les TICE.
11Ce terrain nous a semblé favorable à une étude portant sur l’IC en raison de trois caractéristiques de l’apprentissage des L2 pour le diplôme universitaire de technologie (DUT) MMI. Le premier point concerne l’importance des L2 dans la formation. Les étudiants suivent des cours d’anglais comme langue vivante 1 (LV1), dont le volume préconisé par le programme pédagogique national (PPN), ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), 2013) représente 120 heures sur les deux ans de la formation, et 60 heures de cours dans une autre langue (allemand, espagnol ou français langue étrangère à Vichy). Le volume total d’heures consacrées aux L2 équivaut à 10 % du volume total d’heures du DUT MMI (tableau I), ce qui n’est pas négligeable dans un cursus très volumineux en nombre de matières abordées et d’heures de formation. Le PPN encourage en effet la pratique intensive de deux L2, car « considérées comme des conditions majeures d’employabilité » (MESR, 2013, p. 9).
12Le deuxième point concerne le volume considérable de vocabulaire qu’entraînent les divers domaines abordés dans la formation. En effet, le DUT comprend des cours magistraux, travaux dirigés et pratiques en multimédia, audiovisuel, communication pratique et théorique, événementiel, infographie, droit, gestion de projet, mathématiques et informatique.
13Enfin, la formation vise des compétences académiques et professionnelles :
Formation technologique et professionnalisante, la spécialité MMI est également une formation universitaire dont l’objectif est d’apporter un socle solide et conséquent de compétences aux diplômés (MESR, 2013, p. 8).
14La L2 est dans ce contexte une langue d’action académique et professionnelle (LAAP) (Rodrigues, 2012). Il s’agit en effet d’acquérir des compétences dans une langue de spécialité (Challe, 2002) pour être capable de :
communiquer, à l’oral et à l’écrit, par exemple, rédiger un résumé de son rapport de stage en anglais (objectifs universitaires) ;
réaliser son stage de fin d’année en L2 à l’étranger, voire travailler dans les domaines de la communication à l’échelle internationale (objectifs professionnels).
Participants
15Dix-neuf étudiants de la promotion ont accepté de participer à notre étude. Il s’agit d’étudiants en formation continue, en première année du DUT, âgés de 18 à 23 ans en mars 2012, et ne connaissant pas l’IC. Le français est la LM de 18 d’entre eux (17 Français et 1 Gabonaise) ; 1 étudiant est chinois. Les niveaux en anglais sont assez variables (en raison notamment de l’admission possible de tous les baccalauréats dans ce DUT), allant de C1 (1 étudiant), à B2/C1 (1 étudiant) B1/B2 (11 étudiants), A2/B1 (5 étudiants), et A1 (1 étudiant).
16Ces étudiants sont tous motivés pour l’apprentissage de l’anglais en vue de leur vie professionnelle. Une majorité d’entre eux est également sensible à l’intérêt de la connaissance de cette L2 pour lire (15 étudiants) et comprendre les médias (14 étudiants). Certains pensent que l’anglais est important pour l’obtention de leur diplôme, et 10 d’entre eux s’y intéressent pour le plaisir (figure 1).
17Les étudiants ont bénéficié de trois formes d’encadrement. L’enseignante d’anglais du DUT les soutenait pour la rédaction en L2 et l’IC. Pour notre part, nous avons présenté les objectifs et le déroulement du projet, la production écrite finale attendue, et expliqué l’IC aux apprenants. Ce dispositif se complète avec l’intervention asynchrone et à distance de quatre tuteurs natifs, professionnels ou étudiants, futurs professionnels, via Facebook, pour aider les apprenants suivant leurs domaines de spécialité (audiovisuel, photographie et webdesign).
18Nous avons constitué cinq groupes d’apprenants (G1 à G5), composés de deux à quatre étudiants. Nous souhaitions un mode de travail collaboratif, afin de favoriser les interactions, domaine privilégié dans la recherche en IC (Melo et Araújo e Sá, 2007), et valorisant le rôle de l’apprenant (Alarcão et al., 2009). L’étudiant G6a (G6) a quant à lui travaillé seul car il n’a pas pu assister à toute la formation (tableau II).
Tâche demandée
19La macrotâche finale consistait en une production écrite en anglais, sous forme de wiki, décrivant l’un des domaines professionnels auxquels prépare le DUT. Les apprenants pouvaient recourir à diverses sources d’information (notes de cours, ouvrages ou sites Internet). Ils devaient utiliser un pad, c’est-à-dire un document d’écriture collaborative au format etherpad (Greenspan, Iba et Zamfirescu-Pereira, 2009), pour préparer le contenu de leur wiki. Ce format leur permettait d’accéder depuis plusieurs ordinateurs à une même page blanche virtuelle, et d’y écrire de manière synchrone. L’enseignante pouvait se connecter aux pads pour lire et commenter les productions. Les apprenants pouvaient également contacter les tuteurs dans un groupe Facebook42.
20Pour placer cette activité dans une perspective intercompréhensive (Degache et al., 2012), nous avons demandé aux apprenants d’appliquer des stratégies lexicales d’IC à leurs productions. Les apprenants devaient ainsi expliciter par écrit (en anglais, en français ou dans une autre langue) leurs déductions pour comprendre le sens des UL à partir du français et/ou d’autres langues.
21L’utilisation d’un wiki, « système informatique permettant à plusieurs personnes d’écrire ensemble un seul et même texte publié en ligne grâce à un éditeur d’utilisation assez simple » (Ollivier, 2007) nous a semblé pertinente dans cette formation. Le wiki permet en effet de sélectionner des UL dans le texte et de les convertir facilement en hypermots. L’explicitation des stratégies lexicales d’IC était ainsi rédigée sur des pages liées au texte de la page principale du wiki. De plus, les UL choisies suivant ces stratégies étaient présentées au sein du contenu textuel. Ceci favorise la « pression du contexte » (Stegmann, 2005), c’est-à-dire les stratégies de déduction de la signification grâce au contexte, qui ont un rôle important en IC (Castagne, 2002 ; Berthele et Lambelet, 2009) et qui s’additionnent ainsi aux stratégies lexicales d’IC.
22Nous soulignons que l’intégration des TICE dans une approche intercompréhensive est valorisée par diverses études (Degache et Tea, 2003 ; Ferrão Tavares, 2007). Par ailleurs, le choix de supports informatiques (pad et wiki) pour cette activité respecte la recommandation du PPN MMI suivant laquelle :
[…] deux langues sont obligatoires : l’anglais et une autre langue définie par chaque département en fonction du contexte local. Les technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement (TICE) sont mobilisées pour favoriser leur apprentissage (MESR, 2013, p. 9).
23Enfin, une approche par tâche (CECR, Conseil de l’Europe, 2001) nous a semblé adaptée à ce public, qui se prépare notamment à la réalisation de tâches professionnelles (Mourlhon-Dallies, 2008).
Organisation du dispositif
24Le dispositif a débuté fin mars 2012, date à laquelle nous avons distribué les formulaires de consentement et soumis les préquestionnaires, pour s’achever en mai 2012, avec l’envoi des postquestionnaires et la finalisation des wikis. Nous avons déterminé le calendrier et le contenu des activités (tableau III) suivant les séances en présentiel (J1 à J5), en nous basant sur les phases de l’activité d’écriture décrites par Hayes et Flower (1980).
25Lors de la première séance, chaque groupe présent a tiré au sort un sujet (audiovisuel, photographie, ou webdesign), choisi un sous-thème (tableau IV) et réalisé une activité de remue-méninges pour déterminer un champ lexical et des idées de développement de la production écrite. Pour cela, les apprenants pouvaient s’appuyer sur des sites Internet consultés à partir d’ordinateurs portables ou de smartphones, et sur des dictionnaires d’anglais.
Tableau IV – Thèmes et sous-thèmes des wikis par groupes.
Groupe | Thème | Nombre de mots contenus dans le wiki |
Gl | Photo : techniques de prise de vue | 2 175 |
G2 | Audiovisuel : postproduction | 1 060 |
G3 | Audiovisuel : effets spéciaux | 983 |
G4 | Audiovisuel : prise de vue | 652 |
G5 | Audiovisuel : postproduction | 1 538 |
G6 | Webdesign | (non connu) |
26Les séances suivantes se sont tenues en salle d’informatique. Elles étaient consacrées aux phases de mise en texte, de révision et de publication des productions écrites (tout d’abord dans les pads, puis dans les wikis).
27Les étudiants ont sélectionné les UL à convertir en hypermots au cours des séances 3 à 5. Ils pouvaient s’appuyer sur une fiche expliquant les stratégies lexicales d’IC, que nous avons élaborée avec l’enseignante, et sur les consignes données lors des séances. Nous avons notamment encouragé les apprenants à ne pas se limiter aux liens entre le français et l’anglais, mais à effectuer des rapprochements entre la L2 et une autre L2 connue pour découvrir un vocabulaire commun (Doyé, 2005), et à ajouter d’autres langues peu ou pas connues. Les productions finales (figure 2) ont été déposées une semaine après la séance 5.
Méthodologie de collecte d’analyse des données
28Lors de la formation, nous avons recueilli diverses données : enregistrement vidéo des séances en présentiel (à l’aide de caméras et de microphones), contenu des échanges sur Facebook et par courriel, productions écrites collaboratives des apprenants (pads et wikis43).
29Nous disposons également des réponses aux questionnaires préformation et postformation (mesurées par échelle de Likert, de « tout à fait d’accord » à « pas du tout d’accord », et de « très souvent » à « jamais »). Le questionnaire préformation a été envoyé sous forme électronique le 29 mars 2012. Il comporte seize questions fermées (chacune laissant la possibilité de s’exprimer plus longuement grâce à un champ « autre »), et une question ouverte. Il servait à recueillir l’opinion des étudiants sur leurs activités préférées ou supposées les plus efficaces pour apprendre dans et en dehors de la salle de cours, les stratégies d’IC, le vocabulaire de spécialité et l’utilisation du multimédia. Le questionnaire postformation est constitué de huit questions fermées et d’une question ouverte, portant sur l’opinion des apprenants au sujet de la formation et sur leurs stratégies d’intercompréhension lors de la réalisation de la tâche.
30Nous suivons une approche d’analyse qualitative (Huberman et Miles, 1991). Nous avons procédé à une observation par balayage (Degache, López Alonso et Séré, 2007 ; Dejean-Thircuir, 2008 ; Arismendi, 2011) afin de dégager des éléments exemplifiés représentatifs dans le corpus, en ayant anonymisé au préalable les données.
Analyse
Stratégies lexicales d’IC
31L’analyse des productions écrites finales montre tout d’abord que sur l’ensemble des wikis observés, 65 UL ont été sélectionnées suivant des stratégies lexicales d’IC anglais/français, et converties en hypermots. Ces UL ont été classées suivant les catégories proposées sur la fiche explicative des stratégies d’IC (figure 3). L’extrait suivant contient un exemple d’explication de stratégies lexicales d’IC liées à la transparence par les étudiants du groupe G2 :
En français, « shot listing » correspond au « découpage technique ». En le traduisant mot à mot, cela n’aboutit à rien. En considérant que la personne connaît le mot « shot », cela devient facile, le mot « listing » étant quasi transparent et faisant référence au mot « liste ». L’objectif premier du découpage technique est de recenser les différents plans à tourner. Il s’agit donc, entre autres, d’une « liste » de plans » (Extrait de wiki, G244).
32Nous relevons également que chaque groupe a choisi entre 3 et 5 catégories de liens entre les UL, variant ainsi les repérages lexicaux. De plus, nous constatons que les apprenants font référence aux liens avec 7 autres langues, en particulier, l’espagnol et l’allemand, LV2 de 18 participants (figure 4).
33Les extraits suivants montrent la réflexion des apprenants autour du vocabulaire suivant l’IC dans les wikis :
Camera se dit « appareil photo » en français, et non « une caméra ». Cela peut aussi signifier « chambre » en italien (Extrait de wiki, G1, n. t.)45. « Production » a la même signification et s’écrit exactement de la même manière en français et quasiment pareil pour l’espagnol : « producción », l’italien : « produzione », l’allemand et le danois : « produktion » (Extrait de wiki, G3).
34L’enregistrement des séances de travail en présentiel (J4) nous permet d’observer la manière dont les stratégies lexicales d’IC ont pu être appliquées. La séquence choisie montre deux étudiants (G3) lisant le contenu de leur wiki. Ils pointent sur l’écran les UL à convertir en hypermots, tout en consultant la fiche des stratégies pour vérifier l’explication concernant les UL partagées. Ils utilisent par ailleurs Google traduction sur Internet. Nous constatons que leur attention est plutôt portée sur les catégories à compléter que sur les stratégies elles-mêmes :
(G3a) On a trouvé des mots euh partagés
(G3b) T’as rajouté quoi là ?
(G3a) J’ai rajouté un mot en allemand en espagnol en italien
(G3b) Mais c’est chaud hein les mots partagés
(G3a) En fait ça c’est un mot transparent
(G3a) Mais nous on a mis que c’était pareil en allemand en français en italien en allemand en français en anglais
(G3b) On rajoute un mot transparent ou deux ça suffit ? (Extrait de la session G3-J4).
Effet des interventions tutorales sur l’approche intercompréhensive
35L’enseignante d’anglais est intervenue en temps réel dans les pads (comme on le voit dans la figure 5). Nous avons constaté que ses interventions correctives ont été prises en compte par les apprenants, dans le pad puis dans le wiki, mais n’ont pas été exploitées pour la réflexion sur l’IC.
36Les interventions tutorales des natifs, qui visaient l’explication du vocabulaire de spécialité, ont pu amener des apprenants à développer leur réflexion suivant l’IC. Par exemple, le wiki du groupe G3, contenant l’extrait « Credit est un faux-ami car sa définition en anglais est “générique (film…)” », a bénéficié de l’échange entre l’apprenant G3b et le tuteur T2 dans le groupe Facebook :
(G3b) Comment appelez-vous le texte de début/fin dans un film ?
(T2) Si vous voulez dire le texte qui énumère les acteurs et l’équipe du film, j’utiliserais le terme « credits, » si vous voulez dire le texte qui aide à décrire la scène, j’utiliserais le mot « inter-title » (n. t.)46
Cette utilisation est toutefois rare, notamment en raison du peu d’interactions produites sur Facebook.
Opinion des apprenants
37Les réponses des apprenants au postquestionnaire nous permettent de connaître leur opinion sur la formation et sur les stratégies d’IC. La formation (appréhendée de manière générale) a satisfait 47 % des étudiants (5 % tout à fait d’accord et 42 % d’accord, voir figure 6).
38Concernant les stratégies d’IC, 48 % des participants s’accordent sur l’intérêt de la recherche de liens entre les langues pour les comprendre (figure 7). Un tiers (37 %) pensent qu’ils réutiliseront des stratégies lexicales d’IC pour comprendre une personne ou un texte dans une langue peu ou pas connue.
39Enfin, 42 % des apprenants préfèrent la recherche de la signification des UL par des stratégies lexicales d’IC à la consultation du dictionnaire ; 47 % choisiraient tout de même le dictionnaire. En revanche, 58 % d’entre eux privilégient l’usage d’Internet dans ce but ; seuls 10 % ne sont pas d’accord ou pas du tout d’accord (figure 8).
Discussion
40Les résultats de notre analyse montrent que les apprenants ont appliqué et explicité des stratégies lexicales d’IC entre le français et l’anglais. En effet, ils ont identifié dans leurs productions écrites des relations entre ces langues, pourtant non apparentées, en suivant les stratégies suggérées. Toutefois, certains semblent vouloir uniquement faire correspondre des UL aux catégories proposées. Une solution, pour les amener à entrer dans une réelle démarche d’IC, consisterait à leur faire étudier des productions en L2, déduire des stratégies et constituer ainsi de manière collaborative leurs propres fiches sur l’IC.
41Par ailleurs, les apprenants ne se sont pas limités aux rapprochements entre l’anglais et le français, faisant notamment référence à leurs LV2 (espagnol et allemand). Ces résultats sont encourageants du point de vue de LAAP, dans cette formation qui donne une place importante aux langues.
42Plus généralement, la formation a permis de susciter un intérêt pour l’IC chez les apprenants : de nombreux étudiants sont satisfaits de la formation, et la moitié d’entre eux pense que les stratégies lexicales d’IC sont intéressantes pour comprendre les langues. Certains envisagent même de s’en servir de nouveau, et un peu moins de la moitié des participants préfèrent cette approche à la recherche de la signification des UL dans le dictionnaire. Ces résultats montrent un intérêt de la part de certains étudiants, pourtant non spécialistes en langues et sans connaissances de l’IC. Cependant, une partie d’entre eux reste indécise quant à l’IC, peut-être en raison d’un manque de motivation pour une approche uniquement axée sur le lexique dans la formation proposée.
43L’impact de l’IC est ainsi positif pour la didactique des langues en IUT, mais exige la mise en place d’activités variées. Celles-ci doivent favoriser une certaine autonomie de l’apprenant dans sa pratique intercompréhensive, ne se limitant pas à appliquer ce qui lui est suggéré.
Conclusion
44À l’issue de notre étude, nous suggérons plusieurs pistes pour l’IC anglais/français en contexte universitaire :
des séances en présentiel plus nombreuses, lorsque cela est possible, consacrées à l’IC, permettant également une réflexion sur les liens entre l’IC et la LAAP ;
l’étude de productions textuelles en L2, favorisant une activité de repérage lexical et de réflexion en IC ;
la constitution de fiches sur l’IC par les apprenants à partir de leur réflexion sur leurs propres stratégies, ne se limitant pas au vocabulaire, mais incluant les aspects culturels (Candelier, 2008), ou encore les correspondances phonologiques (Cilento, 2009) ;
la mise en place d’activités collaboratives avec d’autres apprenants, via les TICE, en prenant soin de ne pas se restreindre à un repérage lexical en raison des potentiels problèmes de compréhension lors de l’interaction (Hédiard, 2003) ;
la formation des enseignants de L2 à l’IC (Andrade et Pinho, 2003 ; Degache, 2008) et à l’utilisation des TICE dans cet objectif.
Notes de bas de page
40 Nous remercions les étudiants participants de première année de DUT SRC, promotion 2011-2012 et les tuteurs étudiants et professionnels, le département MMI Vichy, IUT d’Allier et le pôle universitaire Lardy, Campus Albert Londres, Cécile Dumas, Cyril Sodaigui, Christophe Rey, Élodie Soisson, le professeur J. Gray Cox, Grégory Lasne, ainsi que Sophie Blanchard (CréaTICE, université Clermont 2) qui ont permis la mise en place de la formation Vocales anglais 2012.
41 Les exemples de rapprochements ci-après sont extraits de cet article.
42 Sauf l’étudiant G6a qui correspondait par courriel avec la tutrice.
43 Wikis des groupes G1 à G5.
44 Les extraits d’interactions et de productions sont repris dans ce chapitre sans corrections de notre part ; nous avons traduit ce qui n’était pas en français.
45 « Camera is “un appareil photo” in french and not “Une camera”. It can also mean “chambre” in italian. »
46 – (G3b) How do you call beginning/end text in a movie?
– (T2) If you mean the text listing the actors and film-crew, I would use the term “credits,” if you mean text that in some way helps to describe the scene, I would use the term “inter-title”.
Auteur
Université Clermont 2
Christine.Rodrigues@univ-bpclermont.fr
Christine Rodrigues (Christine.Rodrigues@univ-bpclermont.fr) est maître de conférences à l’université Clermont 2 et membre du Laboratoire de recherche sur le langage. Ses travaux portent sur les dispositifs de formation en langues (Français langue étrangère et anglais) intégrant les TICE comme « Outils collaboratifs pour la production écrite en anglais », Les langues modernes, no 3, 2014 ; et l’apprentissage du vocabulaire en langues étrangère comme « L’aide à l’apprentissage du vocabulaire à distance : effets des outils de la CMO », RITPU, vol. 9, no 3, 2012.
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