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Notes sur les textes

p. 135-163


Texte intégral

1V. 1 : « ritter » implique en principe une ascendance noble et la liberté, ce n’est sans doute pas le cas de Hartmann puisqu’il ajoute être « ministérial à Aue ». Ceci signifie qu’il n’est pas libre, mais attaché au service d’un seigneur. L’évocation d’une appartenance à la chevalerie se rapporte donc sans doute en premier lieu à l’exercice du métier des armes et à la possession d’un cheval. En second lieu, il est permis d’imaginer que Hartmann vise un rehaussement de son statut social et aspire, par son service et ses qualités d’écrivain, à être intégré à la noblesse. Il faut noter l’association de l’idée de chevalerie à celle d’érudition exprimée par « geleret ».

2V. 8-15 : Le propre de tout texte médiéval est l’association de l’idée de divertissement (delectatio) et de celle d’édification (utilitas). Hartmann cherche ainsi à plaire aux hommes et à Dieu. Parallèlement, la composition littéraire apparaît comme une activité secondaire qui permet essentiellement au poète de soulager ses heures d’ennui ou de tristesse. Peut-être était-ce un loisir réservé aux jours d’hiver. L’idée d’ascension sociale semble poindre également à travers le souhait de plaire aux gens.

3V. 16 et suiv. : On notera ici l’emploi du verbe « diuten » qui implique une interprétation, une exégèse d’un texte que le poète aurait lu dans un manuscrit (voir en introduction de cet ouvrage). Cette source est sans doute fictive et permet ici au poète de donner une légitimité à son récit. D’emblée, l’auteur souligne la portée allégorique de l’œuvre qu’il s’apprête à conter. Le recours régulier à des figures relevant de la métonymie, comme l’antonomase, s’inscrit dans ce projet.

4V 18-28 : Contrairement au prologue d’Iwein, dans lequel Hartmann indique son nom sans autre justification, il ajoute ici une formule d’humilité qui convient parfaitement au message religieux du récit : il se nomme afin que l’on puisse prier pour son âme1. L’idée selon laquelle chacun recevra son propre salaire après le labeur est biblique (1Cor, 3, 8).

5V. 30 : « herre » désigne un noble et est l’équivalent de l’ancien français « seigneur » ou « sire ».

6V. 31 : Il convient de noter ici l’évocation de la Souabe. Il s’agit sans doute de la région d’où Hartmann est originaire et à laquelle il paraît très attaché. Il ne précise toutefois pas s’il fait allusion au duché de Souabe soumis à l’autorité des Zähringen ou du duché oriental qui, depuis la fin du xie siècle, appartient aux Hohenstaufen.

7V. 39-47 : L’auteur semble vouloir mettre en relation les notions de puissance, de richesse (« richeit », « rich »), et le nom du protagoniste dont la dernière syllabe évoque la même idée : Hein-rich.

8V. 45 : Henri est à la fois riche et de haute naissance.

9V. 46 : « ere » désigne au Moyen Âge la reconnaissance sociale dont jouit un individu.

10V. 48 et suiv. : Une parenté semble être suggérée ici entre Henri d’Aue et l’auteur. Rien ne nous permet de savoir si elle est fictive ou si Hartmann fait ici référence à l’un de ses ancêtres. Cela signifierait qu’il est d’ascendance noble mais que sa famille est tombée en déchéance. Ces cas de déchéance n’étaient pas rares et pouvaient être dus à des mésalliances, à des guerres ou à un appauvrissement de la famille. Dans Érec et Énide, Chrétien de Troyes nous en donne un exemple à travers le père d’Énide qui, à cause des nombreuses guerres qu’il a menées, a tout perdu et ne vit guère mieux qu’un paysan libre.

11Le jeune seigneur Henri réunit toutes les qualités courtoises qui font de lui un parfait chevalier et aussi un bon seigneur. L’auteur souligne même qu’il a le sens de la justice, protégeant ses parents ainsi que les personnes démunies, ceux que l’Église appelle les pauperes et qui, traditionnellement, sont victimes des exactions des seigneurs. Henri se distingue par sa sagesse et son sens de l’équité. Sa seule faute est de négliger Dieu, ce qui recouvre à la fois le péché d’orgueil (superbia) et celui d’acédie (acedia). Même s’il fait le bien, ce bien ne semble pas venir de Dieu, mais correspond essentiellement à des attentes ou des conventions sociales. Hartmann ne va donc pas dénoncer un tempérament violent, colérique ou tyrannique, autant de travers souvent mis au pilori par les clercs lorsqu’ils évoquent les puissants. Le seul aspect qui l’intéresse ici est celui du rapport entre le chrétien et Dieu, la problématique sera donc essentiellement religieuse.

12V. 50 : Il faut noter ici la mention du « cœur » (« herce » ou « herze »). À ce stade du récit, cet organe n’est encore que le garant de l’honnêteté et de la droiture. Il apparaîtra plus tard comme le réceptacle de la grâce divine. Dans la tradition chrétienne, il est considéré comme la porte d’entrée du Saint-Esprit : « Heureux sont ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ! » (« Beati mundo corde quoniam ipsi Deum videbunt », Mat, 5, 8 ; voir également Rm, 5, 5, et Ep, 1, 18).

13V. 51 : « torperheit » ou « dorpheit » désigne un comportement propre au vilain, au paysan (törper ou dörper), et implique le plus souvent la bassesse et la perfidie (voir « valsch » : « fausseté »). Ce terme est le pendant allemand de « vilenie ».

14V. 56 : « wunsch » se rapporte à la perfection, au plus haut degré que l’on puisse atteindre dans un domaine. Cette perfection est souvent un don de Dieu. Henri dispose donc de tous les honneurs imaginables.

15V. 57 : Tout ce passage souligne l’importance qu’Henri accorde au « monde » (welt, voir v. 61, 73, 79 et 87), et sous-entend qu’il néglige le salut de son âme et le service de Dieu. Hartmann prend soin d’énoncer toutes les qualités courtoises et mondaines dont jouit Henri sans en oublier aucune. Ceci ne suffira cependant pas pour le sauver devant Dieu.

16V. 60-66 : On notera l’organisation chiastique des qualités qui distinguent le héros. Ceci est impossible à rendre dans une traduction française. La métaphore de la fleur employée au v. 60 : (« bluome ») est délibérément ambiguë, car elle renvoie à quelque chose de beau, mais aussi de fragile et éphémère. Elle résume à elle seule le bonheur que connaît pour l’instant le héros.

17V. 67 : Henri respecte l’une des vertus courtoises essentielles qui est celle de la juste mesure.

18V. 61 : « frœide » ou « vreude » désigne la joie, l’allégresse qui marque une société courtoise harmonieuse et idéale. Les fêtes organisées par Arthur sont traditionnellement placées sous le signe de la freude (voir Iwein, v. 59-72). La joie, l’amour et la prodigalité sont autant de qualités courtoises qui se rapportent au « monde » et non à Dieu.

19V. 62 : Il faut noter ici l’association de « loyauté », « truwe », et de « constance », « stete ». Ces deux termes constitueront un leitmotiv dans la suite du récit. Néanmoins, leur sens est pour l’instant uniquement laïc et correspond aux attentes de la société féodale basée sur la loyauté entre le seigneur et ses vassaux ou parents.

20V. 63 : « zuht » désigne l’éducation courtoise, la bienséance, et inclut le respect de la juste mesure.

21V. 66 : La libéralité n’est pas ici une vertu chrétienne, mais se rapporte à un comportement propre à la société féodale. Cette générosité permet aux puissants de s’assurer les services et la loyauté de leurs vassaux ou de nouveaux alliés. La distribution de richesses sert aussi à montrer sa puissance et à impressionner. L’optique est donc toujours laïque.

22V. 70 : Littéralement « un pont pour le conseil ». Le terme « conseil » (rat) apparaît ici pour la première fois. Il constituera un concept essentiel à la fin du texte. Pour l’instant, la perspective demeure profane : Henri assume sans doute la fonction de conciliateur lors de conflits ou lorsqu’il tient un plaid, une cour de justice. Là encore, cette sagesse n’est pas d’origine divine mais répond à des attentes sociales.

23V. 74 B : Il y a une sorte de surenchère dans l’évocation des qualités dans B. La beauté et la sagesse sont considérées au Moyen Âge comme les fruits d’une naissance noble et s’opposent à la laideur et à la stupidité censées être propres aux vilains. La sagesse est la qualité essentielle du bon souverain, par opposition au tyran qui se laisse aveugler par ses passions.

24V. 78b B : Littéralement : « il naviguait dans cette douceur ». En ce qui concerne le sens de sweben, on se reportera au v. 95.

25V. 79 : Il faut noter l’importance des plaisirs mondains auxquels succombe Henri.

26 V. 82 : « hoher muot » est synonyme de vreude et désigne ici l’allégresse. Cependant, l’autre sens de hoher muot (« orgueil ») semble ici sous-entendu. Hartmann joue de cette ambivalence.

27V. 84 : Première occurrence du verbe erzœigen (voir v. 1366) : le destin de ce jeune seigneur a valeur d’exemple. À travers lui, l’auteur dénonce les vanités terrestres.

28V. 85 : Absalon, fils de David, est réputé pour être l’homme le plus beau d’Israël et a une chevelure magnifique qu’il rase une fois par an (2S, 14, 25-26). Bien qu’il ne soit pas destiné à régner, il fomente une révolte contre son père. Cependant, l’armée d’Absalon est défaite par celle de son père lors d’une bataille se déroulant dans la forêt d’Éphraïm. Alors que ses hommes se sont éparpillés dans la forêt, Absalon, qui monte un mulet, reste accroché par les cheveux aux branches d’un chêne. Il est alors tué par Joab et ses écuyers (2S, 18, 9-15).

29L’image d’Absalon suggère que tout est éphémère, la gloire comme la beauté. Ses cheveux, dont il est si fier, lui sont fatals. Tandis qu’il pense parvenir au faîte de la gloire et de la puissance, il est abattu par ses ennemis. En ce sens, un parallèle peut être opéré avec la situation d’Henri, frappé par le malheur alors qu’il goûte à tous les plaisirs du monde.

30Le texte B est fautif : Absalon n’a jamais été frappé par un mal honteux.

31V. 87 : Il faut noter ici la première occurrence dans A de « sueze », « la douceur » (le même mot apparaît dans B au v. 78b). Le terme est toutefois négatif, car il se rapporte aux plaisirs mondains et éphémères qui éloignent de Dieu. À l’instar des concepts de « cœur » et de « conseil », qui n’ont pour l’instant qu’une valeur profane, l’idée de « douceur » sera reprise par la suite pour être christianisée. La douceur, vertu apostolique, sera la qualité première de la pucelle et le reflet de la douceur de Dieu. Les valeurs éphémères du monde feront place aux valeurs éternelles.

32V. 90 : L’image de la couronne, symbole de gloire, d’orgueil ou de plaisirs mondains, et de son caractère éphémère, est empruntée à la Bible (Jb, 19, 9 ; Es, 28, 1-3 ; Lm, 5, 16).

33V. 91 B : B manque de clarté, la référence à la Bible est sous-entendue.

34V. 92 et suiv. : Il s’agit ici d’une erreur de Hartmann. Ces deux vers ne sont pas dans la Bible mais constituent le début d’un chant grégorien attribué à Notker le Bègue, moine de l’abbaye de Saint-Gall (840-912), et qui lui est toutefois sans doute antérieur. Il est probable que, pour l’avoir entendu lors d’une messe, Hartmann ait cru qu’il s’agissait d’un texte biblique. Le thème de la vanité des choses terrestres sera au cœur des paroles que la jeune fille tiendra à ses parents.

35V. 95 : Littéralement : « que nous naviguons dans la mort ». Le verbe « sweben » (« naviguer », « flotter ») renvoie à une allégorie maritime répandue au Moyen Âge dans l’imagerie monastique : la vie humaine est comparée à une navigation sur une mer semée d’écueils, tandis que la mort est le port qui attend le navigateur au terme de son voyage. Pour les moines, seul le cloître peut, sur terre, offrir un lieu de paix et de sérénité. Dans une lettre adressée à saint Augustin, Paulin de Nole (353-431) compare le monde à un naufrage dont on s’échappe nu, c’est-à-dire en renonçant aux biens matériels2. L’image sera reprise au vie siècle par le sous-diacre Arator dans une lettre adressée au pape Vigile3, puis, au viie siècle, par Grégoire le Grand qui, dans la lettre-dédicace de ses Morales sur Job4, compare sa vie dans le monde à un naufrage dont il a réchappé nu pour gagner le bon port, havre de paix, qu’est le monastère (« portum monestarii »). Il assimile son activité dans la société des hommes à la dérive d’un navire arraché par la tempête à la baie qui l’abritait, et rejeté « dans l’océan des affaires temporelles5 ». La vie dans le monde n’est donc qu’un naufrage sans fin. C’est cette même idée qui semble suggérée dans ce vers de Hartmann.

36V. 98 : Reprise négative du thème de la constance (« stete ») et évocation de la fausse constance du monde. Hartmann accumule dans ce passage les symboles de la caducité de l’existence terrestre, notamment à travers l’image de la chandelle qui se consume.

37V. 105 : Littéralement : « nous sommes constitués de matière fragile ».

38V. 108 A : Autre évocation de la « sueze », de cette fausse douceur éphémère, associée aux plaisirs du monde. Elle débouche nécessairement sur l’amertume du fiel, métaphore de la mort.

39V. 112 : C’est la dernière fois avant l’irruption de la maladie qu’Henri est désigné par son titre seigneurial, « her heinrich ». Le lecteur peut remarquer ici l’utilisation d’une formulation propre à l’exemplum : « an hern heinrich wart wol schin », littéralement : « cela fut bien montré sur le seigneur Henri » (voir l’emploi du verbe erzœigen au v. 84). Il devient l’allégorie du sort qui attend l’orgueilleux. À partir du v. 133, il sera le Pauvre Henri, « der arme heinrich » : la misère évoquée par l’adjectif contraste avec la dernière syllabe du prénom qui, nous l’avons dit, renvoie à la richesse. Le tout forme une sorte d’oxymore : Henri est l’archétype du pécheur puissant et orgueilleux, oublieux de Dieu et frappé par la misère physique et morale.

40V. 115-118 : L’annominatio (« versmehete »/ « versmeheliches ») utilisée par Hartmann ne peut être rendue dans une traduction française : le mal abject, repoussant (v. 118), devient le signe distinctif d’Henri qualifié de « méprisable devant Dieu » (v. 115). Le texte suggère ici qu’Henri a perdu la grâce de Dieu : il n’est pas seulement repoussé par les hommes mais aussi par Dieu. Cependant, la suite du récit viendra démentir cette impression.

41 V. 119 : En ce qui concerne la lèpre et sa signification symbolique, on se reportera à l’introduction de cet ouvrage.

42V. 120 : « zuht » a ici le sens de punition, châtiment.

43V. 126a-b E : L’image de l’herbe sèche symbolisant le caractère éphémère de la jeunesse, de la beauté et des honneurs trouve son origine dans la Bible (Ps, 102, 15-16 ; Es, 40, 6-7). Dans le commentaire qu’il fait du psaume 102, saint Augustin reprend cette métaphore et compare les honneurs, la puissance, la richesse et l’orgueil à une fleur fanée6.

44V. 128 : Henri est comparé à Job qui, mis à l’épreuve par Dieu, perd tous ses biens, ses enfants, et est frappé d’un ulcère malin de la plante des pieds au sommet de la tête (Jb, 1-2). Le personnage biblique, après une réaction de révolte et différentes discussions, se soumet à Yahvé et accepte sa déchéance (voir Jb, 1, 21, qui résume la position atteinte au terme cette évolution). Pour l’instant, Henri refuse la sentence divine et va tout entreprendre pour guérir.

45V. 137 : La souffrance (« leit ») d’Henri est liée à son état de relégation. Le verbe liden apparaît au prétérit (« leit ») aux v. 139 et 144, mais il se rapporte au fait que Job supporte sans regimber les humiliations imposées par Dieu.

46V. 139 : Job est qualifié de bon (« guot ») justement parce qu’il supporte avec patience la mise à l’épreuve imposée par Dieu. Le parcours d’Henri sera long avant qu’il mérite à son tour ce qualificatif (voir v. 1373). Cette qualité deviendra, avec l’apparition de la pucelle, l’un des leitmotivs du récit.

47V. 145 : Le personnage de Job, tel qu’il est présenté ici, évoque également le fou paulinien qui, pour suivre le Christ, accepte mainte humiliation (1Co, 4, 10-13).

48V. 149-150 : Reprise de la métaphore de la navigation déjà évoquée au v. 95. Cette fois, l’idée est exprimée beaucoup plus nettement à travers les verbes sweben et swimen ; l’image du naufrage apparaît dans B aux v. 151-152, littéralement : « sa joie, qui flottait, s’évanouit ; son cœur, qui naviguait, sombra ». La vie terrestre est une fois de plus assimilée à un naufrage.

49V. 150a-b B : Ces vers sont absents de A mais présents dans le fragment E, même s’ils sont placés un peu plus tôt (v. 126a-b). Le premier vers ne pose pas de problème de compréhension et renvoie au caractère éphémère des plaisirs du monde. Le deuxième est plus complexe : E donne « vanre », variante de venre, qui désigne le porte-bannière de l’ost médiéval. Henri portait donc la bannière du monde. La leçon de B est incompréhensible, le copiste de Bb a tenté de redonner du sens au texte et introduit l’idée de feu : « feure ». Nous traduisons ici d’après Bb. La leçon la plus pertinente, émanant peut-être de Hartmann lui-même, est celle de E.

50V. 156a B : L’étoile du matin est une métaphore qui, traditionnellement, désigne le Christ (Ap, 22, 16) ou Marie (l’hymne acathiste composé vers 626 est sans doute le premier texte liturgique à associer la Vierge à l’étoile qui annonce le lever du soleil). B suggère que la Grâce a abandonné Henri, A ne va pas aussi loin.

51V. 157 : Le verbe sich senen exprime la souffrance. Dans les romans courtois, cette souffrance est liée à la perte d’un amour, ici elle est due au défaut de reconnaissance sociale dont souffre Henri.

52V. 168-199 : L’espoir de guérison nourri par Henri est exprimé à travers la reprise de « genislich »/ « genisbere » (« guérissable »), « genist » (« guérison ») et « genesen » (« guérir »). Le médecin, quant à lui, a recours à un oxymore afin de mettre en évidence la situation à la fois paradoxale et désespérée d’Henri : « genislich »/ « doch iemer ungenesen » (« guérissable »/ « et pourtant incurable à jamais »).

53V. 175 et 180 : Les villes de Montpellier et de Salerne disposent chacune d’une faculté de médecine célèbre dans tout l’Occident médiéval. Depuis le ixe siècle, Salerne a une école de médecine tenue par des praticiens dont les compétences sont reconnues et qui vont préparer l’entrée de la médecine en France, notamment à Paris et Montpellier. À Montpellier, la présence d’une école de médecine est attestée dès le début du xiie siècle. Elle se verra octroyée des statuts universitaires en 12207.

54V. 185 : Littéralement : « Il lui fit la réponse suivante ».

55V. 204 : Le médecin semble avoir déjà compris ce qui échappe toujours à Henri : seul Dieu peut le guérir. Ce motif se retrouve dans de nombreux récits hagiographiques, il est par exemple récurrent dans La Vie de saint Gilles de Guillaume de Berneville (2003).

56V. 209 : « reht » apparaît ici pour la première fois et désigne le statut du médecin et les devoirs liés à cet état. Dans d’autres contextes reht signifie « droit », « devoir », « coutume ».

57V. 207-212 : Henri, toujours prisonnier du monde, continue à miser sur sa fortune et ses biens pour espérer se rétablir.

58V. 225 : Les manuscrits et fragments divergent sur la qualité qui doit distinguer la vierge (maget) prête au sacrifice. A indique qu’elle doit être « erbere » (littéralement : « honorable ») et semble faire allusion à sa noblesse morale. La volonté de la jeune femme est évoquée dès le vers suivant. E précise qu’elle doit être « pleinement nubile » (« volle manbere »). B met l’accent sur son âge et son état : elle doit être « vriebere », c’est-à-dire à la fois nubile et agissant librement. Une enfant ne peut donc prétendre à un tel sacrifice. B suggère ainsi l’importance du libre arbitre de la jeune femme : elle doit être capable de décider seule. L’importance du libre consentement de la pucelle est mentionnée dès le v. 226. Au v. 447, A emploie l’adjectif « manbere » (« nubile »), tandis que B revient sur la volonté de la jeune fille (« willen »). Il est donc fort possible que l’adjectif « erbere » ne soit pas du fait de Hartmann, mais dû à l’erreur ou à l’émendation d’un copiste. La leçon la plus plausible nous semble être celle du fragment E. Peut-être s’agit-il ici d’une réminiscence d’un vers de l’Énéide de Virgile relatif à Lavinia : « iam plenis nubilis annis » (chant VII, 53).

59V. 231 B : Le cœur est l’organe essentiel autour duquel gravite tout le texte : siège des sentiments, de la volonté, et aussi organe du sacrifice qui évoque le Christ et sa blessure au flanc. L’auteur de B semble l’avoir parfaitement compris, l’idée apparaît plus tard dans A (v. 450)

60V. 233 : Henri effectue ici un premier pas vers sa future conversion au bien et reconnaît (A : « erkant » ; E : « erkande » : « reconnut ») qu’il ne peut être guéri par des moyens humains. B ne reprend pas le verbe erkennen, mais se montre finalement plus explicite que A puisqu’Henri convient que seul Dieu peut être son médecin (v. 236b).

61V. 236b-c B : Il faut noter la clairvoyance dont le héros fait preuve dans B : dès l’épisode de Salerne, il est conscient que seul Dieu peut le sauver.

62V. 242 : « herze sere » désigne une douleur (« sere ») particulièrement profonde qui affecte le cœur (« herze »).

63V. 246-259 : Henri progresse sur le chemin de la guérison spirituelle : il se défait de tous les biens qui le rattachent au monde et fuit la société des hommes. Sa générosité ne s’inscrit plus dans le cadre féodal mais elle est le résultat de sa fuite du monde. Le texte insiste sur la sagesse dont il fait preuve. En effet, il se tourne vers Dieu afin que celui-ci prenne son âme en pitié.

64V. 259 et suiv. : La fuite dans la forêt rappelle celle d’Iwein qui, après son accès de folie, survit dans une forêt et trouve refuge dans un essart (« geriute ») où vit un ermite (Iwein, v. 3251-3343). Dans les deux œuvres, le séjour en un lieu sauvage, à l’écart de la société, précède la renaissance spirituelle et éthique du héros. Hartmann est cependant plus explicite dans Iwein où il précise que Dieu n’a pas retiré Sa grâce au chevalier (v. 3255-3260). On comprend qu’il en va de même pour Henri au moment où il est guéri de sa maladie par la grâce divine.

65V. 269 : On notera que ce paysan est libre, il ne s’agit donc pas d’un serf. Le copiste de A n’emploie qu’une fois le terme « gebure » (v. 276, « vilain ») pour le désigner et semble préférer « buman » (« laboureur ») ou « meiger » (« métayer »), deux substantifs plus neutres et moins péjoratifs. Dans B, « gebouren » ne se rapporte qu’à d’autres paysans, le métayer est quant à lui toujours désigné par « bouman ». Il vit donc, avec sa famille, sur des terres qui ne lui appartiennent pas en propre mais sont le domaine d’Henri. L’expression « ein frier buman » (« un libre laboureur ») sera ensuite appliquée au Christ (v. 775).

66V. 269-284 : Le texte revient ici sur les qualités humaines dont Henri a fait preuve jusque-là : il est un seigneur juste et pacifique, se gardant de toute violence envers les paysans. Il n’est pas non plus tyrannique ou cupide, se contentant de ce que le métayer lui donne. Ce dernier profite d’une protection dont le texte souligne le caractère exceptionnel. Il n’est pas à exclure que Hartmann propose ici un modèle de conduite à tenir envers les humbles. La perspective est chrétienne et édifiante.

67Au xiie siècle, ce sont souvent les seigneurs qui sont à l’initiative des travaux de défrichement. Afin d’attirer la main-d’œuvre, ils accordent aux paysans, notamment s’il s’agit de serfs, qui se chargent de ces chantiers très éprouvants certains privilèges comme la liberté individuelle et l’exemption de certaines taxes seigneuriales. Ce dernier avantage apparaît ici en creux à travers l’allusion aux mauvais seigneurs qui accablent leurs paysans de taxes. Le paysan qui travaille dans un essart, s’il est libre du point de vue de sa personne, est toujours attaché à la terre qu’il exploite. Ce n’est qu’à la fin du récit que les parents de la pucelle recevront cette terre en propre.

68V. 282 : On retrouve le thème de la richesse, appliqué cette fois au paysan.

69V. 285-294 : Ce passage introduit le thème de la reconnaissance, qui permet également de comprendre pourquoi le couple de paysans accepte le sacrifice de leur fille. Le motif de la reconnaissance est au centre d’Iwein.

70V. 296 : « aht » se rapporte à l’état, au statut de paysan. La beauté des enfants de ce paysan sont sans doute le reflet de la noblesse d’âme de leurs parents.

71V. 302 : L’héroïne n’a pas d’identité propre, elle est désignée le plus souvent par l’antonomase « maget ». Cette lexie désigne la « pucelle », la « vierge », nous la traduisons par « jeune fille » ou « jeune femme ».

72V. 303 : On notera que la pucelle a huit ans dans A et douze ans dans B. Dans A, elle n’est qu’une enfant, et la sagesse dont elle fait preuve, notamment lors de la discussion avec ses parents, ne peut lui être inspirée que par Dieu. Nouvelle antonomase pour désigner la jeune fille : « kint » (« enfant »).

73V. 304 et suiv. : « gebaren » renvoie au comportement habituel de la jeune fille. Ce comportement est marqué par la bonté (« guetlichen »), qualité éminemment divine (voir v. 310 : « guetlichen pflege »). L’idée de bonté (bonitas, guete/güte), associée à la pureté de l’enfant, est reprise au v. 322, « Mit reiner kindes guete », et préfigure la « pure bonté de Dieu » évoquée auv. 1039 (« reine gottes guete »). Elle réapparaît au v. 342 : « die guote maget » (« la pucelle pleine de bonté »). Au v. 466, la bonté de l’enfant sera également explicitement assimilée à celle des anges : « der engel güte ». Cette image valorisante de l’enfance ne va pas toujours de soi au Moyen Âge, mais elle est le propre des vies de saints.

74V. 308 et suiv. : Le terme « hulde » (« faveurs », « grâce », « amour ») est emprunté à la poésie courtoise et désigne traditionnellement la grâce d’une dame lointaine et inaccessible (voir Iwein, v. 1614). Dans une perspective semblable, le verbe dienen (« servir ») constitue une allusion au service que le chevalier doit à sa dame, c’est-à-dire au vasselage d’amour. Il en va de même pour « gruos » qui se rapporte au salut accordé par la dame au chevalier qui la sert. Les termes sont détournés de leur sens et de leur fonction originels pour être appliqués ici à la pucelle au service d’Henri. Cette inversion permet de mettre en exergue la relation très particulière qui s’instaure entre les deux êtres et le dévouement sans condition de l’enfant.

75 V. 311-314 : Concernant la beauté extraordinaire de la jeune fille, on pourra se reporter à l’introduction de cet ouvrage. L’adverbe « wetlich » désigne ce qui est relatif à la beauté.

76V. 322 : Les notions d’enfance, de pureté et de bonté sont associées.

77V. 325 : L’image de la jeune fille aux pieds du Pauvre Henri a une double fonction : elle symbolise le dévouement et la soumission au lépreux en même temps qu’elle préfigure l’allusion à Marie-Madeleine (voir v. 478-523).

78V. 326 : Nouvelle antonomase utilisée pour désigner la pucelle : « die sueze », elle incarne donc également la douceur.

79V. 330-337 : Accumulation de mots relatifs à l’enfance dans A : « kinden », « kintlichen », « kint ». De manière tout à fait cohérente, ces occurrences – à l’exception de l’adjectif se rapportant aux jeux – sont supprimées dans B, où l’enfant devient la jeune fille, la pucelle (« meide »).

80Les cadeaux qu’offre Henri à la jeune fille sont dignes d’une demoiselle de haut rang, notamment les rubans et le miroir. La ceinture et l’anneau sont des symboles érotiques renvoyant à la défloration et préfigurant, du moins dans A, la fin du texte. La distribution dans A, associant le miroir et les rubans puis la ceinture et l’anneau, est plus logique que dans B qui les dissocie.

81V. 339 : « mit dienste », littéralement « par son service » : nouvelle allusion au vasselage d’amour, néanmoins cette fois c’est Henri qui sert la jeune femme.

82V. 341 : Concernant l’emploi et la signification de « gemahel », on se reportera à l’introduction de cet ouvrage.

83V. 342 : L’emploi de l’adjectif épithète « guote » (« bon »/ « bonne ») pour caractériser la pucelle rappelle certains vers d’Iwein où cet adjectif s’applique à Dieu : « got der guote » (Iwein, v. 1606, 3255 et 5959).

84V. 344 : Aux yeux de la jeune fille, Henri est toujours pur, elle ne s’arrête donc pas à l’aspect extérieur et repoussant du jeune homme, mais semble, à l’instar de Dieu, savoir lire dans son cœur (voir : 1S, 16, 7 ; Ga, 2, 6 ; He, 4, 13).

85V. 348 et suiv. : Le sens de ce passage est explicite : la bonté et la douceur de la demoiselle sont un don de Dieu. Une telle douceur est source de salut pour le pécheur.

86V. 349 : Les frères Grimm marquent ici le début d’un paragraphe, cependant leur découpage du texte paraît arbitraire et ne correspond pas à celui de Myller qui semble plus fidèle au manuscrit de Strasbourg. Nous suivons ici Myller.

87V. 351 : La jeune fille a donc désormais onze ans dans A et quinze ans dans B. L’âge de nubilité au Moyen Âge est, pour une fille, traditionnellement de douze ans révolus (tandis que l’âge matrimonial est fixé à quatorze ans pour les garçons)8. Cet âge est défini par le droit romain et sera repris par le droit canonique au xive siècle, même si les théologiens conseillent d’attendre plusieurs années au-delà de la limite des douze ans avant que le mariage soit conclu et consommé.

88 V. 379-382 : Le cœur joue une fois de plus un rôle important : Henri soupire de tout son cœur. Les paroles qu’il va prononcer lui sont donc inspirées par ce même cœur. Les termes employés renvoient à la sincérité de ses propos : la lexie « ruwe » (« tristesse ») est mentionnée une fois, tandis que le terme siufz (« soupirs », « sanglots ») est répété deux fois. Ces mots sont empruntés au vocabulaire propre à la pénitence : Henri confesse ses péchés au métayer et à sa famille. B renforce d’ailleurs l’idée de sincérité : « ane lougen » (v. 380b ; « sans mentir »).

89Ce passage marque donc une nouvelle étape importante qu’Henri accomplit ici sur le chemin qui le mène au Salut. Il a compris pourquoi Dieu l’a puni et reconnaît ouvertement ses erreurs. Il est accablé de douleur et les sanglots lui brisent littéralement la voix (« zerbrach ») .

90V. 383 et suiv. : L’interprétation que donne Henri des fautes qu’il a commises semble bien correspondre au sens du texte : il s’est laissé aveugler par les plaisirs mondains et a oublié Dieu. On notera que B rajoute aux joies terrestres, qui ont perdu Henri, l’amour immodéré des femmes (v. 391 B). Cependant, les conséquences qu’il en tire, à partir du v. 404, sont erronées, car il se croit à jamais exclu de la grâce divine.

91V. 391 B : La vie de débauche de l’ancien pécheur s’oppose à la chasteté prônée à la fin du récit.

92V. 392-403 : Ces vers font écho à la fin du premier roman arthurien de Hartmann : Erec, devenu roi, n’oublie pas qu’il doit son bonheur, sa dignité royale et son pouvoir à Dieu et non à sa propre valeur et à sa bravoure (Erec, v. 10089-10096).

93V. 404-407 : Dieu est assimilé à un portier. Cette antonomase est sans doute empruntée à l’Évangile de Jean qui compare Dieu à une porte, symbole de Salut : celui qui passe par cette porte sera sauvé (Jn, 10, 9). Irrité par l’orgueil (hoher muot) dont s’est rendu coupable Henri, il lui aurait fermé à jamais les portes de la félicité (selde). Sa conception de Dieu semble être celle héritée de l’Ancien Testament, celle d’un Dieu vengeur et inflexible9, à moins qu’il ne se rende coupable du péché d’acedia en désespérant de la grâce divine.

94V. 411 : Autre erreur d’Henri qui se croit définitivement incurable : seul Dieu peut le délivrer de sa maladie. Il reconnaît bien les erreurs passées, mais ne prend pas encore conscience que le Salut ne peut venir que d’en haut et nullement des hommes.

95V. 412 : « die bœsen » se rapportent à ceux qui sont de basse extraction et qui, parallèlement, ont une âme vile. Il faut souligner la reprise de bœse aux v. 414 et 415. Henri se voit comme un réprouvé, plus vil que le plus vil des hommes. Cette prise de conscience sera essentielle lors de la scène de la conversion du héros.

96V. 413 : « die biderben » désigne ceux qui sont honnêtes, probes, sages et, le plus souvent, de haute naissance. L’adjectif biderbe s’applique à un homme de bien, à un honnête homme. L’expression biderbe man correspond à l’ancien français « preudomme » se rapportant à un homme de valeur.

97V. 418 : On retrouve ici une expression verbale très proche de celle déjà rencontrée au v. 112 : « nu schinet […] an dir » (« démontrer »). Le comportement du métayer est également exemplaire, car il incarne la loyauté et la gratitude.

98V. 419 : « truwe » recouvre plusieurs sens ; cette lexie désigne la loyauté dont le métayer fait preuve envers son seigneur, mais elle se rapporte aussi à sa sollicitude envers le malade, à la charité chrétienne mue par l’amour du prochain (caritas). Cette qualité va bientôt caractériser la pucelle.

99V. 422-424 : Il faut noter ici le recours à l’anaphore ; les trois vers commencent par la concessive « swie » (« bien que »). Henri est parfaitement conscient de l’affection que lui porte le métayer.

100V. 428 et suiv. : Image traditionnelle de la chute ; le puissant peut tout perdre à tout moment si Dieu en décide ainsi. Le sens littéral de « dürftige » est « humble », « misérable », « pauvre ». Henri, autrefois seigneur puissant, dépend maintenant d’un simple métayer.

101V. 443 : La présence du terme « welte » (« monde ») n’est pas anodine et montre qu’Henri n’a pas encore dépassé totalement ce stade. Voir v. 411.

102V. 447 : Voir v. 225.

103V. 450-452 : Dans les autres légendes relatant la guérison d’un lépreux par le sang d’un innocent, le cœur de la victime n’est pas mentionné (concernant le motif du sang, on se reportera à l’introduction de cet ouvrage). Cet organe, symbole de bonté et de sacrifice, est au centre du récit de Hartmann. Le traitement de ce motif reflète l’évolution d’Henri. B, qui a déjà insisté sur la fonction du cœur lors du sacrifice (voir v. 231 B), ne l’évoque plus ici.

104460-466 : Le texte insiste ici sur la pureté et la douceur de l’enfant, et l’assimile à Marie-Madeleine dont le culte connaît un essor aux xie et xiie siècles.

105V. 469 : littéralement : « elles ne lui sortirent pas du cœur ». La nouvelle mention du cœur (herz) concerne cette fois la jeune fille. C’est du cœur que vient la bonté de l’enfant : cet organe, permettant la relation avec Dieu, est celui de l’empathie (voir v. 475 et 513). Il est le siège des sentiments, de la volonté guidée par Dieu (du moins dans la version A) et de la décision spirituelle. Il remplira la même fonction pour Henri à la fin du texte : celui-ci n’écoutera que son cœur et prendra la décision d’épouser la pucelle. Le cœur pur apparaît comme la source du Bien, reflet de la volonté divine.

106V. 470 : On notera ici l’importance que revêt la nuit. On se souvient que, dans la légende de Constantin, les apôtres Pierre et Paul lui apparaissent de nuit, pendant un songe. D’autres légendes rapportent que Constantin, s’apprêtant à combattre le tyran Maxence, vit en songe une croix flamboyante et qu’un ange lui dit : « Par ce signe tu vaincras »10. La nuit peut être le moment de la tentation diabolique ou, comme ici, celui de la révélation divine.

107V. 477 : « ruwe » signifie ici « chagrin », « tristesse ». Voir v. 379.

108V. 478-523 : L’image de Marie-Madeleine est renforcée par le rôle attribué aux larmes (voir Lc, 7, 38 : elle arrose les pieds du Christ de larmes). Comme Marie-Madeleine, la jeune fille pleure sur les pieds de l’autorité qu’incarnent les parents. Les larmes de Marie-Madeleine vont de pair avec la source de miséricorde qu’est le Christ :

[…] c’est la source des larmes qui permet à la Madeleine d’en venir à la source de miséricorde qu’est le Christ ; à l’inverse c’est la source de miséricorde qui lui donne la source des larmes11.

109La différence est toutefois que la jeune fille incarne le contraire de la pécheresse. On notera l’association à la rime de « fueze » et « sueze » (« pieds »/ « douceur ») aux v. 479-480.

110Le don des larmes s’inscrit ici dans la dimension christique du texte ; voir le verset des Béatitudes : « Bienheureux vous qui pleurez maintenant, car vous plus tard vous serez consolés » (« Beati qui lugent quoniam ipsi consolabuntur » ; Mt, 5, 5 ; voir également Lc, 6, 21). Les larmes sont considérées au Moyen Âge, notamment lors du repentir lié à la pénitence, comme le signe visible de la sincérité du cœur. Par ailleurs, elles sont un don de Dieu, une grâce. Elles deviennent même chez certains cisterciens le signe d’une relation particulière à Dieu12. L’amour de Dieu doit se traduire par une surabondance de larmes : on pleure sur les malheurs des autres comme sur le sacrifice du Christ.

111Il semble que le bain de larmes évoqué à plusieurs reprises dans le texte de Hartmann remplisse plusieurs fonctions. Ces larmes abondantes sont tout d’abord le signe de la compassion que la jeune fille éprouve envers Henri et ses parents. Le texte suggère que cette miséricorde lui vient de Dieu. Cette idée du don de Dieu sera renforcée par l’importance de la sagesse extraordinaire de l’enfant, elle aussi sans doute insufflée par Dieu. Il s’agit aussi de larmes d’amour qui, à l’instar de Marie-Madeleine, préfigurent la chaste union avec le Christ et le thème de la Sponsa Dei, largement développé dans la suite des propos de la jeune fille. Enfin, les larmes lavent du péché, de la souillure. Elles s’inscrivent dans le motif de l’imitatio Christi et, préfigurant le sang qu’il faut verser pour sauver Henri, annoncent le sacrifice que l’enfant est prête à faire. Elles sont le reflet et l’expression de la bonté intrinsèque de la pucelle.

112On notera dans B l’utilisation du pronom réfléchi « ir » : « Si hatte ir aber ein bat bereit » (v. 518), littéralement : « elle s’était préparé un bain à elle-même ». Elle est passée des larmes qui lavaient les pieds de ses parents à celles qui la lavent elle-même. C’est bien aussi de son propre salut qu’il est question ici. L’auteur change ainsi de perspective et sous-entend les deux aspects du sacrifice : sauver autrui et se sauver soi-même.

113Il faut noter l’emploi que l’enfant sait faire de ses larmes pour toucher ses parents et les convaincre. Au Moyen Âge, les gestes et les émotions contribuent à l’expression de sentiments tout autant, et sans doute même davantage, que le discours.

114V. 480 : La jeune fille n’est plus désignée ici que par « die sueze », littéralement : « la douce ».

115V. 490-498 : L’argumentation développée par la pucelle lors de cette première nuit est d’ordre terrestre : la disparition de leur seigneur risque d’avoir des conséquences néfastes pour la famille, tant sur le plan économique qu’humain. La jeune fille, qui incarne la bonté et la candeur, regrette la disparition prochaine d’un « seigneur si bon » (v. 497).

116V. 513 : Nouvelle occurrence relative au cœur de la pucelle.

117V. 520-524 : La bonté de la pucelle est mise en relation avec son âge tendre et l’innocence qu’elle incarne dans ce passage du texte. B supprime l’une des deux occurrences relatives à l’enfance (v. 523 B).

118V. 550-554 : À noter ici le contraste entre la punition (« straffen ») infligée par les parents et la douceur de la jeune fille, celle-ci étant désignée uniquement par la formule antonomastique « die suezen ».

119V. 574 : « truwe » se rapporte ici à la charité chrétienne, à la sollicitude que la jeune fille éprouve pour autrui, au dévouement dont elle est prête à faire preuve. Cette vertu va de pair avec sa bonté et sa douceur. Dans son discours, la pucelle insiste sur la valeur rédemptrice de son sacrifice : il ne profiterait pas seulement à ses parents et à Henri, mais lui permettrait également de gagner le paradis. Le schéma est celui de l’imitatio Christi.

120V. 578 : Afin de dissuader sa fille de se sacrifier, le père personnifie la mort, littéralement : « Tu n’as pas vu la mort. »

121V. 588 : Les paroles prononcées par le père sont assez crues, il menace de frapper sa fille si elle persiste à vouloir se sacrifier (« dine hut » : « ta peau »).

122V. 593 : « tump » désigne ici le manque d’expérience de la jeune fille, sa simplicité et sa candeur. Il ne doit pas être compris de manière négative et n’équivaut pas à « alwere » (v. 545, « sotte »). À cette naïveté la jeune fille oppose sa sagesse (witze).

123V. 598-610 : L’argumentation de la jeune fille relève cette fois du registre religieux et du contemptus mundi : la pucelle y dénonce les vanités de ce monde (voir en introduction de cet ouvrage).

124V. 607-610 : L’idée selon laquelle l’âge de l’enfance est exempt de péchés est répandue au Moyen Âge (voir en introduction de cet ouvrage). Pour Jean Gerson, chancelier de l’université de Paris, qui écrit son traité sur Les Sept Âges de la vie à la fin du xive siècle :

[…] c’est justement entre 10 et 12 ans que les enfants doivent être investis d’une responsabilité morale. Il reprend l’opinion de Philippe de Novarre affirmant que « les enfants en qui Dieu a mis loquance et raison, et qui ont sens et entendement et connaissance de trier le bien et le mal en plusieurs choses, au moins depuis qu’ils ont passé dix ans, ils ont franc arbitre de bien faire ou mal »13.

125Dans la version A, la pucelle est donc juste à l’âge qui constitue la limite entre l’enfance et l’âge adulte. Elle peut donc espérer, à juste titre, accéder au paradis par son sacrifice.

126V. 611-628 : Deuxième partie de l’argumentation : en se sacrifiant, elle sauve ses parents de la déchéance sociale et économique.

127V. 640-646 : Ce passage mêle l’amour que les parents portent à leur fille aux préceptes bibliques. La mère rappelle à sa fille le quatrième commandement (Ex, 20, 12) et le devoir qui incombe aux enfants de veiller sur leurs parents.

128V. 656 : Reprise de la métaphore de la « fleur », voir v. 60.

129V. 663-856 : Ce long monologue de quasiment 200 vers constitue le point culminant de l’argumentation de la pucelle. Il comprend trois parties : du v. 663 à 680, la jeune fille rend grâce à ses parents et à Dieu de lui avoir donné un si beau corps et une âme. Puis elle reprend et développe le thème du contemptus mundi (v. 681-772). L’évocation du mariage permet la transition avec un autre thème : celui du mariage mystique avec le Christ (v. 773-856).

130V. 663 et suiv. : À noter l’emploi répétitif du terme gnade (v. 665, 670, 676, 683) par la jeune fille : elle doit sa vie et sa beauté à la « grâce » accordée par ses parents et, en premier lieu, par Dieu. Elle affirme qu’elle se conformera à la volonté de ses parents, mais semble sous-entendre qu’elle n’est que l’instrument de Dieu. Sa beauté extraordinaire est le reflet d’une grâce particulière, surtout chez une fille de paysan. Contrairement à Henri, elle n’oublie pas qu’elle doit tout à Dieu.

131V. 678-680 n B : Vers qui prolongent l’argumentation développée dans A. La pucelle se soumet à la volonté de Dieu et songe en même temps au salut de son âme en quittant ce monde avant d’avoir sombré dans le péché. Il n’y a pour elle aucune contradiction entre la volonté de Dieu et le sacrifice qu’elle envisage. B est ici plus explicite que A : la pucelle ne fait pas comme si elle était prête à obéir à ses parents. Ces vers n’apparaissent que plus tard dans A : v. 813-830.

132V. 690-704 : Elle ne veut pas succomber aux plaisirs mondains qui ont causé la perte d’Henri.

133V. 701-703 : Image intraduisible qui renvoie à la chute ; le monde a retiré ce qui se trouve sous les pieds du pécheur entraînant donc sa chute.

134V. 709-712 : Il faut noter ici le recours régulier aux oxymores pour dénoncer les vanités terrestres et souligner le caractère inéluctable de la mort : « liep »/ « herzeleit » ; « süzer lon »/ « bitter not » ; « lang leben »/ « geher tot ». La douceur du monde est assimilée à une amère détresse. Cet oxymore l’oppose à la douceur divine et présente le monde comme un piège fatal.

135V. 715 et suiv. : La rime « tot » (« mort ») / « not » (« détresse »), caractéristique de ce contemptus mundi, avait déjà été employée aux v. 711 et suiv., et le sera à nouveau aux v. 749 et suiv., 756 et suiv., 765 et suiv.

136V. 718 : « hoher muot » (littéralement : « esprit élevé ») ne saurait se rapporter, dans ce contexte, à un comportement orgueilleux. De toute évidence, la valeur de cette expression ne peut être que positive afin de contraster avec la mort qui emporte tout (voir B : « wiser mut » : « esprit sage », « sagesse »). Cela désigne une âme élevée par son allégresse ou sa noblesse.

137V. 723 : Le terme « nebel » (« brume », « brouillard », « fumée ») est une métaphore fréquemment employée pour désigner les vanités terrestres susceptibles de s’évaporer à tout instant. Le mot vanitas, tel qu’il apparaît dans le Livre de l’Ecclésiaste de la Vulgate, est d’ailleurs une traduction du mot hébreu hévèl ( לבה ) qui désigne un souffle léger, une buée, une vapeur. Les métaphores employées par Hartmann (comme celle de la feuille ou de la poussière) suggèrent cette idée d’existence éphémère, prête à s’envoler (voir Sg, 2, 2-5). Au xviie siècle, la poésie baroque allemande aura fréquemment recours à ces mêmes images empruntées à la Bible.

138V. 737 : « truwe » ici dans le sens de « loyauté », de « devoir » que la mère doit à sa fille.

139V. 742 : « bider », voir v. 413.

140V. 765 et suiv. : Le parallélisme (hypozeuxe) et l’emploi d’oxymores permettent de mettre en évidence l’impasse dans laquelle la jeune fille pense se trouver si elle se lie à un époux terrestre.

141V. 767-773 : Les vers évoquant les souffrances propres aux femmes rappellent la Genèse (Gn, 3, 16) et permettent de faire la transition avec l’évocation du paradis : la pucelle aspire au paradis perdu.

142V. 773 : L’union mystique avec Dieu, vers laquelle tend la jeune fille, reprend en les inversant les motifs du contemptus mundi. Aux vanités et aux souffrances terrestres se substituent la félicité éternelle et les trésors célestes (voir Mt, 6, 19). En ce qui concerne les métaphores paysannes appliquées au Christ, on se reportera à l’introduction de cet ouvrage.

143Le thème du refus d’un époux terrestre au profit de l’Époux céleste est un topos des légendes hagiographiques ; l’exemple le plus connu est celui de sainte Agnès14.

144Le refus du monde et l’aspiration à une vie céleste se trouvent aux antipodes du comportement passé et peccamineux d’Henri. Selon certains critiques15, l’attitude de la jeune fille constitue avant tout le pendant de celui d’Henri et ne reflète pas le point de vue de Hartmann. En ce sens, cette aspiration à la mort et le désir de fuir le monde vont à l’encontre de la volonté de Dieu. Ce n’est sans doute pas faux, mais rien dans le texte ne condamne explicitement la conduite de la jeune fille. Elle est nécessaire pour permettre la conversion et la guérison d’Henri, elle s’inscrit donc pleinement dans le plan divin. Le mariage de la jeune fille et d’Henri, à la fin du récit, viendra toutefois corriger cette attitude escapiste.

145V. 780-788 : La différence entre la vie sur terre et l’idéal représenté par la ferme céleste est marquée par la reprise anaphorique de l’adverbe « do » (« là »).

146V. 782 : müegen est une variante de müejen (« accabler », « importuner »).

147V. 811 B : littéralement, « un amour aussi bon ».

148V. 812 : L’image de la reine fait écho à la beauté extraordinaire de la jeune fille, digne d’un roi (v. 313). Au paradis, les barrières sociales n’existent plus (voir en introduction de cet ouvrage).

149V. 820 : « truwe », ici dans le sens de « devoir », voir définition au v. 419.

150V. 852-856 : Dans la perspective de la jeune fille, sa mort sauvera Henri et ses parents de l’enfer. Le modèle est toujours christique : son sacrifice permettra de vaincre la mort (v. 855) et d’apporter à tous la félicité éternelle. On notera que B renonce à ces vers, peut-être que cette assimilation au Christ pouvait être perçue comme un signe d’orgueil.

151V. 859-871 : La sagesse (« wisliche »/ « wisheit ») extraordinaire de l’enfant est un topos hagiographique et explique la comparaison avec saint Nicolas de Myre (né vers 270, mort en 345) qui, dès son plus jeune âge, fait preuve de générosité pour venir en aide à autrui (voir en introduction de cet ouvrage). Les parents reconnaissent que cette sagesse ne peut être due qu’à l’intervention du Saint-Esprit qui s’exprime à travers la pucelle. Celle-ci apparaît donc bien comme l’instrument de Dieu, ce qui n’a rien de surprenant dans l’œuvre de Hartmann : de la même façon, Iwein, dans le roman du même nom, apparaît explicitement comme l’instrument armé de la justice divine sur terre.

152En faisant preuve de charité, la jeune fille se conforme à la volonté divine, laisse Dieu agir à travers elle et prépare ainsi son salut. Son argumentation et la justification de son sacrifice semblent s’inspirer de l’épître aux Philippiens (Ph, 2, 12-18).

153V. 860 : « menslich reht zerbrach » signifie littéralement « brisa le droit humain », « l’ordre humain », « le droit lié au statut d’une personne ». Il s’agit des limites imposées à l’homme par sa nature humaine. Le motif utilisé ici est celui du puer senex : l’enfant dépasse les limites que la condition humaine fixe d’ordinaire à l’entendement de quelqu’un de si jeune. Ce motif est fréquent dans les récits hagiographiques ; on le retrouve, par exemple, dans l’histoire de sainte Agnès qui n’est qu’une enfant, mais « déjà fort âgée quant à l’esprit », ou dans celle de sainte Catherine d’Alexandrie « en qui parle l’Esprit de Dieu »16.

154 Ce « droit humain » s’oppose également à l’ordre divin évoqué par la jeune fille lors de sa description du paradis.

155V. 871 : Cette bonté enfantine est commune à la pucelle et à saint Nicolas. Elle est un don de Dieu au même titre que la sagesse évoquée plus haut.

156V. 873-876 : Les parents font également preuve de sagesse en se conformant à la volonté de Dieu.

157V. 878-893 : L’affliction éprouvée par les parents et l’amour qu’ils portent à leur fille les exemptent de toute faute. On notera avec intérêt les gestes et expressions qui reflètent leurs émotions : le silence des deux époux, puis les convulsions (« gegihte » : « spasmes ») qui s’emparent de la mère17.

158V. 894-904 : À la volonté de Dieu viennent s’ajouter désormais des arguments dictés par la raison.

159V. 917 : Littéralement : « aucun autre remède ».

160V. 928 : Lunete emploie la même phrase dans Iwein et tente d’empêcher Iwein de mettre sa vie en jeu pour elle (Iwein, v. 7377). Cette affirmation ne renvoie pas seulement à la conscience que l’héroïne a de son rang social, inférieur à celui d’Iwein ou d’Henri, mais elle souligne surtout l’altruisme dont elle fait preuve.

161V. 929-932 : On notera une nouvelle fois le rôle des larmes : elles demeurent toutefois secrètes, et marquent l’empathie et la reconnaissance sincères éprouvées par Henri. Elles sont le signe de sa bonté et préfigurent sans doute sa future conversion.

162V. 939 et suiv. : Henri reconnaît la bonté et la douceur intrinsèques de la jeune fille sans toutefois comprendre que ses qualités viennent de Dieu et s’inscrivent dans un plan qui vise à le sauver.

163V. 942 B : Il faut remarquer ici l’emploi de l’adresse « vrowe » (« dame ») pour désigner la jeune fille. Elle est assimilée de facto à une dame noble par Henri. On retrouve la même apostrophe au v. 965.

164V. 946-950 : Pour l’instant, ce qui semble empêcher Henri d’accepter la proposition de la demoiselle est surtout la honte dont il craint d’être victime en cas d’échec.

165V. 951-961 : La vision que donne Henri de l’enfance est courante au Moyen Âge, mais ne correspond pas à la fonction que cet âge revêt dans le texte. Il y voit l’âge de la sottise et de la précipitation irréfléchie. Cette fois encore il se trompe et ne perçoit pas que la jeunesse et la pureté de la pucelle font d’elle un instrument de la Providence. Contrairement aux parents, il ne distingue aucune sagesse merveilleuse dans les paroles de la jeune fille. S’il accepte finalement l’offre qu’elle lui fait, ce n’est donc pas pour se conformer au plan divin, mais uniquement pour sauver sa vie.

166 V. 973 : La plupart des éditions procèdent ici à une émendation (transformant arbitrairement ce vers en : « sus sprach ze ir er guoter ») et rapportent « der guoter » à Henri : « C’est ainsi que cet homme bon s’adressa à elle. » Cela ne correspond pas au sens du texte, l’adjectif guot ne s’appliquera à Henri qu’après sa conversion. De toute évidence « der guoter » est un datif féminin qui se rapporte à la pucelle, incarnation de la bonté.

167V. 979 : Les parents semblent bien avoir perçu que cette bonté est le reflet de la volonté de Dieu.

168V. 980a-b B : Ces vers propres à B mettent l’accent sur la maturité intellectuelle de la jeune fille. Elle a pris sa décision en toute connaissance de cause.

169V. 983 : À noter ici l’importance du nombre « trois », allusion sans doute à la Sainte-Trinité. La jeune fille prépare ses parents à son sacrifice pendant trois nuits. Le voyage à Salerne a lieu trois ans après l’arrivée d’Henri chez le métayer et durera trois jours. Ce nombre sacré réapparaîtra à la fin du texte.

170V. 987 : Paroles lourdes de sens, même si les parents l’entendent ici de manière littérale. C’est bien par leur fille que se manifestera le Salut.

171V. 989-1012 : Ces vers sont intéressants pour l’étude des émotions au Moyen Âge, il est en effet très rare que l’auteur d’un texte fictif distingue entre différents types de larmes et en donne l’explication. Les larmes des parents sont des larmes d’amour et de chagrin à l’idée de perdre leur fille. Celles d’Henri sont l’expression de sa reconnaissance et de son empathie pour l’enfant. Enfin, celles de la jeune fille sont motivées par la peur de voir son plan échouer. Contrairement aux larmes de béatitude exprimées aux v. 478-523, il ne s’agit ici, dans les trois cas, que de larmes de tristesse visant à mettre en relief une union dans la douleur, même si les causes sont chaque fois différentes. Cette scène préfigure en l’inversant la scène finale où les quatre personnages seront réunis dans la joie. On retrouvera d’ailleurs lors de ces retrouvailles l’importance du nombre trois.

172L’évocation des pleurs (« weinen », « weinendens », « weinte ») est sciemment gommée dans B qui se focalise sur le comportement d’Henri et sur les égards dont il fait preuve envers la demoiselle. La communion dans les larmes a disparu.

173V. 1004a-d : Ajout de B qui annonce l’évolution d’Henri propre à cette version. Le héros de B s’ouvre davantage à autrui que celui de A (voir en introduction de cet ouvrage). L’oxymore « suzez leit » (« douce souffrance »), emprunté au Minnesang, traduit les doutes qui assaillent le héros. L’idée de douceur, qualité d’origine divine, semble venir du héros lui-même.

174V. 1017 : On retrouve ici les concepts de truwe et de guot, mais Henri ne peut encore les comprendre que dans un sens laïc et social.

175V. 1020 et suiv. : Il est remarquable que dans A ce soit Henri qui se prépare le plus rapidement possible pour partir à Salerne, alors que dans B le sujet est au pluriel (« sie »). Là encore, B atténue l’égoïsme d’Henri et évoque une volonté commune aux deux personnages.

176 V. 1022-1028 : Tout ce que l’on donne à la jeune fille est digne d’une dame de l’aristocratie. Une telle richesse correspond à sa noblesse d’âme et à sa beauté, cela expliquera également la méprise commise par le médecin qui la prend pour une noble.

177V. 1034-1050 : Nouvelle intervention de la « pure bonté de Dieu » (« reine gottes guete ») qui adoucit le malheur des parents et transforme leur affliction en joie. Pour lever toute ambiguïté sur les motivations de la jeune fille, le texte souligne à nouveau que sa volonté de sacrifice lui est inspirée par cette même bonté divine. Les parents sont quant à eux une nouvelle fois exemptés de toute responsabilité. Cette scène d’adieux est déjà empreinte d’une atmosphère miraculeuse et préfigure la scène du sacrifice à Salerne.

178V. 1043 : « rat » signifie littéralement « conseil », « proposition ». Ce terme va désormais devenir un leitmotiv : le bon conseil doit venir du cœur, c’est-à-dire être inspiré par Dieu.

179V. 1055-1056 B : L’auteur de B établit un parallèle entre la longueur du chemin menant à Salerne (« so lanc ») et l’impatience de la jeune fille à qui il pèse de devoir vivre encore si longtemps (« solange »).

180V. 1056a-r : Ces vers constituent l’une des différences essentielles entre A et B (voir en introduction de cet ouvrage).

181V. 1056a : « velt » désigne l’espace dégagé et sans relief qui s’offre devant une ville, la « plaine » au sens étymologique du terme.

182V. 1056b : Dans B, Henri lui-même s’adresse à Dieu et lui demande de le tirer de ce mauvais pas.

183V. 1059 : « meister » désigne le maître en médecine.

184V. 1060-1063 B : Incohérence grammaticale. Le pronom « in » est un datif pluriel, qui désigne sans doute l’assemblée des gens à qui s’adresse Henri, tandis qu’au v. 1063, le pronom « er » est un nominatif singulier et se rapporte au médecin. Littéralement : « il leur affirma qu’il avait amené une jeune femme telle qu’il lui avait demandé d’en trouver une ».

185V. 1061 B : B gomme la joie qu’éprouve Henri lors de la rencontre avec le médecin et supprime l’adverbe « frœlich » (« joyeusement »).

186V. 1071 : « rete », littéralement « les conseils ». Ceci lui est donc conseillé par son cœur, c’est-à-dire par Dieu ; voir v. 1450-1502. Le verbe sich beraten (v. 1079 ; « réfléchir à », « chercher conseil ») fait partie du même champ lexical.

187V. 1085-1095 : Ces paroles du médecin, visant à effrayer la jeune fille, s’inscrivent dans la perspective de l’imitatio Christi (voir en introduction de cet ouvrage).

188V. 1096 : Seule occurrence du terme frowelin (« demoiselle ») qui vient remplacer maget (« pucelle »). Le médecin la prend pour une jeune noble.

189V. 1102-1108 : L’extrême prudence du médecin ne s’explique pas seulement par la pitié qu’il éprouve pour la jeune fille et sa répugnance à la sacrifier, mais aussi par le fait que, si elle n’agit pas de son plein gré, son sacrifice aura été vain.

190V. 1109 : Le rire de la demoiselle rappelle celui d’Erec lors de son combat contre Mabonagrin (Erec, v. 8029). Ce rire, loin d’être une marque d’orgueil, est le signe d’une confiance absolue en Dieu et en la Providence. L’indifférence de la jeune fille face à la mort s’explique par sa volonté de quitter le monde, et rappelle la détermination et la constance avec lesquelles les saints affrontent leur martyre.

191V. 1120 et suiv. : On notera le courage viril dont fait preuve la jeune femme. Le modèle de la sainte courageuse est un motif topique des récits hagiographiques et la fait apparaître comme un athlète de Dieu. Un exemple en est donné par sainte Apollonie qui, selon Eusèbe de Césarée, s’est elle-même précipitée dans le bûcher sur lequel les païens menaçaient de la brûler18.

192V. 1132f-1132n B : La justification du sacrifice de la jeune fille, apparaissant ici dans B est formulée un plus loin dans A (v. 1160-1166). Le thème de la récompense qui attend celui qui sert Dieu et se conforme à Sa volonté est biblique : Lc, 6, 35 ; He, 6, 10 ; He, 10, 35-36.

193 B insiste ici sur l’idée du martyre accompli au nom de Dieu, ce qui vient compléter très logiquement l’image de la sainte au courage viril.

194V. 1144 : Le motif de la danse renvoie implicitement à celui des noces avec l’Époux céleste.

195V. 1168 : L’oxymore présentant la mort comme une douce souffrance (« sueze not ») suggère l’idée de martyre librement consenti.

196V. 1173 : Le rappel de l’origine humble de la pucelle est gommé dans B qui tend à l’assimiler à une dame.

197V. 1174 B : La leçon de B est sans doute fautive ; « wandelbere » signifie que la jeune fille est inconstante. Une traduction aurait pu être : « Le maître comprit alors qu’elle avait véritablement changé ». Toutefois, même cette solution n’est pas très convaincante dans le contexte.

198V. 1189 : kemenate désigne le plus souvent une chambre, un espace doté d’une cheminée. Il s’agit ici du cabinet privé du médecin, dans lequel il opère ses patients.

199V. 1191 : arzenie se rapporte à tout ce dont le médecin a besoin pour exercer son art, donc aussi bien à ses instruments qu’à ses remèdes.

200V. 1194-1198 : Il convient de souligner la joie qui emplit la jeune fille au moment du sacrifice, nouveau signe de sa confiance absolue en Dieu et en la rédemption. Ceci s’accompagne d’une absence de toute honte qui renvoie à son innocence (voir en introduction de cet ouvrage). B accentue la précipitation et le désir de mourir de la pucelle (voir v. 1208a-b). Cette joie, propre à celui qui se prépare au martyre, rappelle celle que saint Sylvestre éprouve au moment où il croit que Constantin l’a convoqué pour le mettre à mort (voir, à la fin de cet ouvrage, « Textes complémentaires »).

201V. 1199-1206 : La beauté extraordinaire de la jeune fille apparaît ici encore comme le reflet de sa bonté d’origine divine (v. 1206 : « die guote maget »). Elle est une « créature », reflet de Celui qui l’a faite et symbole de perfection (voir Rm, 1, 20). Le premier à être touché par cette bonté est le médecin qui, avant Henri, éprouve une profonde miséricorde pour elle et se trouve sur le point de renoncer. On notera à nouveau l’importance du « cœur » (v. 1200 et 1204) du médecin en tant que réceptacle de la grâce divine. Le texte associe le cœur et l’entendement du médecin (« daz herze und der sin »), ce qui n’est sans doute pas anodin, voir la parabole du semeur (Mt, 13, 18-23 ; Lc, 8, 11-15).

202V. 1209-1223 : La compassion du médecin s’exprime de manière surprenante : il aiguise le couteau afin d’infliger le moins de souffrance possible à la jeune fille. Cette compassion semble elle aussi s’inscrire dans le dessein de Dieu : d’une part parce qu’elle permet de retarder la mort de la pucelle, d’autre part parce que le bruit de la pierre est à l’origine, dans A, de la conversion subite d’Henri. À travers les gestes du médecin et sa volonté de ne pas faire souffrir la pucelle, c’est bien le plan divin qui s’accomplit. Le fait que la jeune fille soit attachée et la présence du couteau rappellent indéniablement la scène biblique lors de laquelle Abraham s’apprête à tuer son fils (Gn, 22, 9) : dans les deux cas, Dieu met l’homme à l’épreuve sans lui demander d’aller jusqu’au bout du sacrifice.

203V. 1223-1280 : Pour l’interprétation de ce passage, on se reportera à l’introduction de cet ouvrage.

204V. 1227 : C’est maintenant au tour d’Henri d’éprouver de la compassion : pour la première fois, le verbe erbarmen est appliqué au héros. Il s’agit pour lui de quelque chose de nouveau. La même capacité à ressentir de la miséricorde pour autrui caractérise Iwein après l’épisode de l’ensauvagement et sa renaissance au monde.

205V. 1234 : Elle est, comme le Christ sur la croix, nue et attachée.

206V. 1235 : « minnenclich », littéralement : « digne d’être aimé », « aimable ». Contrairement aux apparences, il ne semble pas que le terme recèle ici une connotation érotique ou l’expression d’un désir sexuel : c’est la beauté de la créature divine qui provoque la conversion d’Henri, et ce corps aimable est le reflet de l’amour que Dieu porte à Henri (dans les textes mystiques comme dans les chansons de croisade, le terme minne sert également à désigner l’amour de Dieu pour les hommes). Le vers est d’ailleurs supprimé à cet endroit dans B et reporté au v. 1282a : pour l’auteur de B, ce vers de A fait bien partie de la conversion du héros.

207V. 1235-1242 : Scène de la conversion : essentielle dans A, supprimée dans B (voir en introduction de cet ouvrage). Cette conversion entraîne une renaissance spirituelle du héros qui est touché par « une bonté nouvelle ». Il devient donc semblable à la pucelle et ouvre son cœur à la bonté de Dieu. Dans les deux romans arthuriens de Hartmann, le réveil d’Erec comme celui d’Iwein ont une même fonction allégorique très proche de celle que remplit cette scène.

208V. 1237 : littéralement : « acquit un esprit nouveau ».

209V. 1245-1248 : La conséquence logique de cette conversion est aussi la soumission à la volonté de Dieu et l’acceptation du châtiment divin. L’adjectif tump (signifiant ici « sot », « stupide ») avait déjà été utilisé par Henri lorsqu’il avait reconnu, face au métayer, qu’il avait offensé Dieu par son comportement (voir v. 400 et 408).

210V. 1256 et suiv. : Cette fois, l’attitude d’Henri est semblable à celle de Job.

211V. 1258 : La décision d’Henri rappelle celle de Constantin dans la légende de saint Sylvestre.

212V. 1275 : « wunnenclich » recouvre dans le contexte le même sens que « minnenclich » (v. 1235). Le terme constitue toutefois une variante intéressante. En effet, le substantif wunne sert souvent chez Hartmann à désigner les plaisirs mondains, les délices terrestres qui constituent autant de pièges pour les hommes. Or en l’appliquant à cette jeune fille, qui est le reflet de la beauté de Dieu, l’auteur montre qu’Henri n’est plus prisonnier des choses terrestres et qu’il sait désormais déceler les vrais délices.

213V. 1282 : Le manuscrit A donne : « Wir sult ». Le pronom « wir » est sans doute une correction du copiste qui inclut Henri. Le copiste aura toutefois omis de conjuguer le verbe à la bonne forme et l’aura laissé à la 2e personne du pluriel. Le texte d’origine avait donc sans doute « Ir sult » (« Vous devez »), comme dans B. Comme nous ne disposons plus d’aucun manuscrit remontant à l’époque de Hartmann, nous choisissons de nous en tenir au manuscrit et de respecter le choix du copiste, d’autant plus qu’il présente une variante intéressante qui, en conjuguant le verbe, est la suivante : « Wir sullen » (« Nous devons »).

214Le verbe suln suggère qu’Henri et le médecin se conforment à une volonté supérieure.

215V. 1282a-1282v : La version B insiste sur la volonté de chaque personnage et sur la décision d’Henri, qui ne lui est pas inspirée par Dieu, de laisser vivre la jeune fille. Le médecin souligne la sollicitude dont fait montre le héros et l’incite à agir dans ce sens. On remarquera l’importance du verbe wollen (« vouloir », v. 1282e et 1282f) et du substantif « wille » (v. 1282h : « volonté »). La soumission à la volonté de Dieu n’occupe plus quant à elle qu’un seul vers (v. 1282d).

216V. 1282p : Le pronom « Er » se rapporte de toute évidence au médecin, heureux à l’idée de ne pas devoir tuer la jeune femme. La même idée est exprimée plus clairement dans les vers supplémentaires du fragment D.

217V. 1286 et suiv. : Cette scène fait écho à un passage d’Iwein. Le héros, répudié par Laudine, perd la raison, arrache ses habits et trouve refuge dans la forêt où, tel un animal sauvage, il tente de survivre en mangeant du gibier cru : « er brach sine site unde sine zuht / unde zart abe sin gewant / daz er wart bloz sam ein hant » (Iwein, v. 3218-3220 : « il oublia toute convenance et sa bonne éducation, déchira ses vêtements et s’en dépouilla de telle sorte qu’il se retrouva complètement nu »).

218Le verbe zern (prétérit : zart ou zarte) s’emploie chez Hartmann essentiellement pour des vêtements (v. 1195). Il n’est toutefois suivi ici d’aucun complément d’objet désignant les habits de la pucelle. Le seul complément est rendu par le pronom réfléchi « sich » : elle se déchirait elle-même, c’est-à-dire qu’elle se lacérait la peau. Cette interprétation est confirmée par B qui emploie le verbe sich cratzen ; ce verbe est toutefois moins fort et signifie « se griffer ». Cette scène rappelle la douleur exprimée par Laudine lors de l’enterrement d’Esclados le Roux : « et fiert son pis et esgratine » (Le Chevalier au lion, v. 1491 ; « et frappe et égratigne sa poitrine »). Le comportement de la pucelle et ses exclamations de désespoir sont en effet propres au deuil : elle considère que sa vie sur terre équivaut à la mort véritable, la privant de l’union avec l’Époux céleste. Cependant, le vocabulaire employé donne une image négative de la pucelle qui a perdu tout contrôle sur elle-même et est aveuglée par la colère (« Zuo grime ») ainsi que par le désespoir de ne pas pouvoir mourir. En effet, elle ne comprend pas qu’elle a rempli sa fonction et que la volonté de Dieu continue à s’accomplir, cette fois sans elle.

219V. 1300 : « eren » (« honneurs ») se rapportent aux honneurs célestes qui attendaient la pucelle, tandis que pour Henri, ce terme renvoie à la réintégration sociale du héros guéri de sa maladie.

220V. 1306 B : Il convient de noter la présence de l’adjectif « heilic », « saint(e) ».

221V. 1311-1334 : Aux paroles de désespoir succèdent celles de colère. La jeune fille s’égare totalement et s’emporte contre le chevalier, le traitant de lâche.

222V. 1314 B : La version B n’est pas cohérente ici, il semble que les copistes aient oublié la négation : « Les gens ne m’ont pas dit la vérité ».

223V. 1322 : « welt zage », littéralement : « couard du monde », c’est-à-dire le plus grand couard au monde. Hartmann avait déjà utilisé cette tournure à propos du sénéchal Key dans Erec (v. 4657).

224V. 1334a-1334l : Ajout intéressant de B : la pucelle considère que la charité dont fait preuve Henri va à l’encontre de la volonté de Dieu et ne saurait être récompensée. Là encore, son aveuglement est total.

225V. 1339-1343 : La courtoisie et la maîtrise de soi d’Henri s’opposent aux imprécations et à l’emportement déraisonné de la jeune fille.

226V. 1344 : L’adjectif « gnadelos » pourrait suggérer qu’Henri est abandonné par la grâce de Dieu, or la suite du récit va démontrer le contraire. Sans doute ce vers anticipe-t-il plutôt ce qui suit : Henri craint les moqueries lors de son retour. Cette grâce, dont il craint d’être privé, n’est pas celle de Dieu, mais celle des hommes.

227V. 1354 : Reprise du thème de Job : Henri s’en remet entièrement à Dieu. En plus de la pitié qu’il a éprouvée pour la pucelle, c’est l’une des conséquences essentielles de sa conversion.

228V. 1355 : La pucelle s’est rassérénée et semble avoir renoncé à sa colère, elle est à nouveau qualifiée de « guote ». Sa bonté prépare l’irruption du miracle divin.

229V. 1359 : « Cordis speculator » : Dieu sait lire dans les cœurs (voir v. 344). Il s’agit là d’un topos biblique (voir, par exemple : Mc, 2, 8 ; Mt, 9, 4 ; Lc, 16, 15 ; Rm, 8, 27) souvent repris dans les textes liturgiques médiévaux. Ainsi, la version G d’une litanie, datant du dernier quart du xiie siècle et attribuée à un certain Henri de Seckau, s’ouvre sur ce motif : « Hercen scowære / vor dem des muotis sagirære / siniu tougen niene mach versperren (Ms 1501, 70r ; « Toi qui lis dans les cœurs, pour qui le sanctuaire de l’âme ne peut cacher ses secrets »).

230V. 1362 : « sinen süzen list », littéralement : « son doux dessein » (« list » signifie « ruse », « sagesse », « dessein »).

231V. 1363 B : Le texte de B est fautif ; il suggère que seule la pucelle a été mise à l’épreuve (« An ir » : datif féminin se rapportant uniquement à la jeune fille) et la compare à Job.

232V. 1364-1366 : Le verbe versuohen (« tenter ») et l’allusion à Job sont essentiels pour l’interprétation du texte : il s’agissait bien d’une mise à l’épreuve, jamais Dieu n’avait définitivement retiré Sa grâce à Henri.

233V. 1366a-f D et E : Ces vers propres aux fragments D et E ont sans doute été ajoutés par des copistes. Ils sont redondants et visent à renforcer le parallèle existant entre les parcours d’Henri et de la jeune femme. Ils dédouanent la pucelle de toute faute et mettent l’accent sur la charité dont les deux personnages ont fait montre.

234V. 1367 : Le verbe erzœigen implique qu’il s’agit d’une révélation. À travers Henri et la pucelle, Dieu démontre l’importance qu’Il accorde à certaines vertus.

235V. 1368 : « triuwe und erbermde » (« charité et miséricorde ») : la charité est la qualité essentielle de la pucelle depuis le début du récit, tandis qu’Henri devient miséricordieux lors de sa conversion (voir v. 1227).

236V. 1370-1372 : Ces vers marquent la fin de la mise à l’épreuve imposée aux deux personnages.

237V. 1374 : Le héros est devenu l’égal de la pucelle : il n’est plus le Pauvre Henri mais le « bon seigneur Henri » (dans B : au v. 1379g). Il bénéficie donc à nouveau de la grâce divine et participe de la bonté qui vient de Dieu. En outre, il faut noter que « guote » ne signifie pas seulement « bon » mais aussi « noble », simultanément le texte préfigure la réintégration sociale d’Henri.

238V. 1379 : Henri retrouve la peau d’un jeune enfant, symbole de guérison et d’une pureté retrouvée, signe visible de la renovatio spirituelle. Le même motif se trouve dans la légende de saint Sylvestre (une fois guéri Constantin a une peau de nouveau-né) ainsi que dans le Livre de Job : la chair de Job retrouve une fraîcheur juvénile et il revient aux jours de son adolescence (Jb, 33, 25).

239V. 1383 : La félicité (« selden ») et la bonté (« guete ») s’étendent à tout le pays. La grâce de Dieu profite à tous.

240V. 1389 : « friunt » désigne à la fois les parents et les amis, tous ceux qui font partie du clan, de la familia au sens large. Nous traduisons par « proches ».

241V. 1389-1420 : Le retour d’Henri est marqué par le nombre trois : ses proches chevauchent trois jours à sa rencontre, le métayer et sa femme donnent trois baisers à leur fille (v. 1420). L’auteur de B a bien senti la portée symbolique de ce nombre, qui renvoie à la Trinité, à la sainte Famille et à l’idée de perfection, et ajoute que leur joie était triple : « mit drivalder vreude » (v. 1415 B). La hâte et la joie affichées par les parents et amis d’Henri reflètent une harmonie idéale, une cohésion parfaite au sein de la société féodale.

242V. 1396 et suiv. : Le corps guéri du jeune seigneur est la marque visible de la grâce divine qui le touche.

243V. 1400 : Littéralement : « à moins qu’on ne veuille les dépouiller de leur droit ». Il est difficile de cerner avec précision de quel droit il s’agit. Sans doute le narrateur veut-il évoquer le devoir qui incombe au métayer et à sa femme d’aller accueillir leur seigneur, ou peut-être fait-il allusion à leur rôle de parents.

244V. 1416 et suiv. : Il s’agit ici de la dernière mention des larmes, larmes de bonheur cette fois-ci.

245V. 1418a-d E : Les deux derniers vers de E semblent souhaiter que les deux personnages servent d’exemple au lecteur et le conduisent à la félicité (« ze selden »).

246V. 1421-1429 : L’adjectif « gewilleclich »/ « willichlich » revêt ici une dimension politique qui n’est pas négligeable. L’adhésion qui lie le seigneur à ses vassaux et à ses sujets est rendue dans les œuvres épiques et romanesques du Moyen Âge par le terme wille (A, v. 1427). Cela désigne une forme d’amour, de solidarité à la fois familiale et tribale : il s’agit de la bienveillance réciproque qui est établie entre celui qui règne, avec justice et sagesse, et ceux qui se soumettent loyalement et de bon gré à son autorité. Le salut que les Souabes adressent à leur seigneur est marqué par cette volonté de servir, par leur bonne disposition envers leur seigneur. La grâce de Dieu ne se limite donc pas à la guérison d’Henri, mais assure la cohésion au sein du groupe et le bonheur de ceux qui sont gouvernés par ce seigneur, ce qui équivaudrait pour un royaume à la notion de felicitas regni. En effet, l’arrivée d’Henri est caractérisée par la restauration de la « joie » (v. 1403 et 1408 : « frœide »), et il est remarquable que la bienveillance affichée par les sujets soit remplacée dans B par cette même joie (v. 1427 B : « vreude »), expression manifeste de la felicitas regni, du bonheur dû à un bon seigneur et à son juste gouvernement. Il est intéressant de noter que Hartmann, lui-même Souabe, présente la relation existant entre les Souabes et leur seigneur comme exemplaire.

247Le retour d’Henri auprès des siens rappelle fortement celui d’Erec dans son royaume de Karnant, retrouvailles placées sous le signe de la joie, de la justice et d’une parfaite cohésion au sein du groupe (Erec, v. 10003-10135). Comme Erec, Henri est conscient qu’il doit sa puissance et sa richesse à Dieu (v. 1432-1436). Le texte revêt ici une dimension de « miroir des princes ».

248Dans B, la reconnaissance dont Henri fait preuve envers Dieu pour tous les bienfaits dont il jouit sur terre est également caractérisée par l’adverbe « willichlichen » (v. 1435, « de bon gré ») qui semble renvoyer à ce même rapport d’adhésion envers un seigneur juste et puissant.

249V. 1432 et suiv. : Voir Jb, 42, 10-12.

250V. 1444-1447 : Le couple acquiert donc une terre et les droits sur les gens qui y habitent. Ils ne sont plus de simples paysans, ils ne sont toutefois pas intégrés à la classe des guerriers et des nobles. Leur statut est sans doute proche de celui des ministériaux qui occupent cet état intermédiaire entre la paysannerie libre et la noblesse.

251V. 1448-1451 : La pucelle est désormais aussi riche qu’une dame noble (frowe). Cette nouvelle richesse est le reflet de la noblesse intérieure de la demoiselle et montre simultanément qu’Henri a été capable de la percevoir. Ces vers préfigurent le mariage entre les deux personnages : elle est « sa fiancée » (v. 1448), « sa dame » (v. 1451). On notera que la version B gomme les termes présentant la demoiselle comme « sa fiancée » et renonce à l’emploi de l’adjectif possessif, évoquant simplement « une dame ».

252V. 1452 : Littéralement : « le droit » ; nouvel emploi du terme « reht » qui se rapporte ici au droit naturel, c’est-à-dire divin, et à l’idée d’une égalité fondamentale entre les êtres humains. Dieu a fait toutes ses créatures libres et égales, seul le péché originel a instauré une rupture dans cet ordre idéal qui sera rétabli au paradis, ce que montrait d’ailleurs l’évocation de ce lieu par la pucelle19.

253V. 1453-1503 : Henri, à l’inverse d’un seigneur tyrannique, prend conseil auprès de ses barons. Laudine agit de la même façon avant d’épouser Iwein : le mariage est, pour les puissants, une affaire d’État qui doit être discutée et décidée en public. Ce passage est marqué par la répétition de termes liés au champ lexical du conseil, comme rat ou le verbe raten. Dans ses œuvres, Hartmann a souvent recours à la répétition d’un terme lorsqu’il veut souligner l’importance d’une idée ou d’une valeur morale, comme celle de la souffrance (kuomber) dans Iwein. Il convient d’opposer les conseils dispensés par les barons, marqués par la dissension et l’indécision, au conseil qui vient du cœur et finalement de Dieu. Tandis que les proches d’Henri ne parviennent à aucun jugement unanime (v. 1472, « Dirre riet her, der ander riet hin »), le jeune seigneur regarde sa fiancée « avec beaucoup de bonté » (v. 1493, « vil guetlich ») et se laisse inspirer par son cœur pour finalement imposer, certes avec une certaine diplomatie, son union avec la jeune femme. Cette scène, loin de correspondre à l’usage féodal, qui veut que le suzerain se rallie aux conseils de ses barons, montre la supériorité du cœur et du droit divin sur les usages de la société féodale. En écoutant son cœur, Henri écoute Dieu : son amour propre, tel qu’il apparaissait au début du texte, a fait place à l’amour de Dieu.

254V. 1455 : « elich hirat », littéralement « mariage légitime ». L’adjectif elich, dont la racine « e » désigne la loi, souligne le caractère légal de l’union.

255V. 1456 : « ungesament was der rat » : l’expression est ambigüe et peut signifier que le conseil n’est pas encore entièrement réuni ou que les avis ne sont pas unanimes. Le doublon présent dans A aux v. 1474a et b nous renseigne sur le sens à donner à cette expression, car ce doublon, reprenant la même expression, ne peut signifier qu’une chose : le conseil n’a pas d’avis unanime au sujet du mariage. De plus, ce qui est au centre du passage est que les avis des parents et des vassaux sont divergents et qu’aucune décision ne s’impose. Il semble qu’Henri s’adresse dans un premier temps à un cercle de proches (les meilleurs amis et parents qui l’ont accueilli) et que, ne parvenant à aucun accord, il convoque ensuite tous ses parents et vassaux.

256V. 1460 : « rede » (littéralement : « paroles ») désigne ici l’affaire dont on débat, l’accord que l’on cherche à conclure ; voir v. 1467.

257V. 1466 : Henri fait appel à ses parents (« mage ») et à ses vassaux (« man »). B évoque les amis, parents et ministériaux. Dans les deux cas, on retrouve la familia au sens large.

258V. 1476 : L’utilisation de l’adjectif « Pauvre » pour désigner Henri est surprenante à ce stade du récit. Il s’agit sans doute de l’erreur d’un copiste, d’ailleurs corrigée dans B qui évoque le « seigneur Henri ».

259V. 1477-1488 : Le discours que tient Henri à ses parents et vassaux est habile et permet d’orienter, à leur insu, la réponse qu’il leur demande. En effet, il sait qu’ils vont lui conseiller d’être très reconnaissant envers la personne grâce à qui il a été guéri. C’est effectivement ce qui se produit, puisqu’ils lui demandent de lui consacrer sa personne et ses biens. Dès lors, le meilleur moyen de consacrer sa personne à la jeune fille est de l’épouser. Henri fait preuve ici de la même intelligence astucieuse que Lunete qui, dans Iwein, manipule habilement sa maîtresse afin qu’elle épouse Iwein ou, à la fin du roman, qu’elle lui redonne sa grâce.

260V. 1493 : Il faut noter ici l’importance de l’adverbe « guetlich » (« avec bonté ») dans A.

261V. 1499 et suiv. : La liberté dont parle Henri ici est celle du droit naturel, elle est octroyée par Dieu à chaque baptisé. C’est le cœur d’Henri qui parle et qui tranche le débat.

262V. 1501 B : Littéralement : « pour dame ».

263V. 1504 : Henri ne laisse en réalité guère le choix à ses parents et vassaux. En effet, il menace, en cas de refus, de ne pas prendre femme et donc de ne pas avoir de descendance. Cette perspective et la vacance de pouvoir qu’elle implique ne peuvent qu’effrayer l’assistance. Ceci est également évoqué dans B, mais ne joue plus aucun rôle puisqu’Henri et son épouse renoncent à la vie dans le monde.

264V. 1511 : « alle geliche » peut vouloir dire : « tous autant qu’ils étaient » ou « tous, d’une seule voix ». Nous choisissons la deuxième solution qui nous paraît correspondre au sens global du passage : Dieu s’étant exprimé à travers le cœur d’Henri, toute dissension a disparu, faisant place à l’unanimité.

265V. 1515a-m : Ces vers constituent une différence fondamentale entre les versions A et B (voir en introduction de cet ouvrage).

266V. 1515h-j : Les vers de B contiennent une erreur qui n’a pas été corrigée par le scribe de Bb. En effet, le pronom réfléchi « sich » se rapporte à chaque fois à Henri. Or il s’agit de deux actions distinctes : entrer dans un monastère d’une part, d’autre part se consacrer à la Vierge dans un chapitre cathédral. Dans l’édition qu’il établit du récit en 1845 à partir des copies de Myller et Grimm, Wackernagel propose deux conjectures concernant les v. 1515h et i20 :

Vor gote sichs (manuscrit: er sichez) getroster Er tet sie (manuscrit: sich) in ein kloster.

267La première conjecture est purement syntaxique : elle permet de rétablir la rime sans changer le sens de la phrase. La seconde est plus problématique, car le sens littéral du manuscrit signifie : « il se mit dans un monastère », c’est-à-dire « il rentra dans un monastère ». Wackernagel propose de changer le pronom réfléchi « sich » en pronom accusatif « sie » désignant la jeune femme : « il la mit dans un monastère », c’est-à-dire « il la fit entrer dans un monastère ». Dans un article de 2012, Hammer et Kössinger songent à une autre émendation qui toucherait le v. 1515j, et proposent de changer « und bevalch sich » par « und bevalch sie » : « il entra dans un monastère et la confia à la Sainte Vierge mère de Dieu, au sein d’un chapitre cathédral ». Selon eux, l’expression « sich in ein kloster tuon » correspond à des moines, monachari21. La jeune femme serait donc une chanoinesse tenue à une vie communautaire et vivant sous l’autorité de l’évêque. Ceci correspond d’autant plus au sens de B, qui assimile la pucelle à une dame, que les religieuses faisant partie d’un chapitre canonial sont le plus souvent issues de la noblesse. Quoi qu’il en soit, on s’accorde sur l’idée d’une émendation, car le parallèle entre Henri et la jeune femme est maintenu jusqu’à la fin du texte, si bien que tous deux gagnent le royaume des cieux. Il est néanmoins impossible de savoir avec certitude si cette correction doit porter sur le premier ou le second sich. Nous optons pour l’émendation proposée par Hammer et Kössinger.

268V. 1516-1518 : Cette fin heureuse, qui proclame le salut des époux après la mort, rappelle l’épilogue d’Erec.

Notes de bas de page

1 Voir Hartmann von Aue, Gregorius, Der arme Heinrich, Iwein, 2004, p. 904.

2 « […] de hoc mundo quasi de naufragio nudus evadam. » (Epistola, 4, 3, PL 61, col. 166)

3 « Ecclesiam subeo dimissa naufragus aula ; / Perfida mundani desero vela freti. » (Epistola ad Vigilium, PL 68, col. 76, § 22) (« Naufragé, je quitte la cour pour l’Église, je déserte le navire qui fait voile sur la mer perfide du monde. »)

4 « ex huius vitae naufragio nudus evasi » (Grégoire le Grand, Morales sur Job (livres I et II), 1952, p. 114).

5 « in causarum sæcularium pelago » (ibid., p. 115).

6 Ennarratio in Psalmos, PL 37, col. 1333, § 22 ; voir aussi V. Mertens, « Noch einmal : Das Heu im Armen Heinrich », 1975.

7 Voir M. G. Grmek et B. Fantini (dir.), Histoire de la pensée médicale en Occident, 1995, p. 182-186.

8 Voir J. Gaudemet, Le Mariage en Occident, 1997, p. 197.

9 Voir C. Dahlgrün, Hoc fac, et vives (Lk 1028) - vor allen dingen minne got. Theologische Reflexionen eines Laien im Gregorius und in Der arme Heinrich Hartmanns von Aue, 1991, p. 141 et suiv.

10 Voir Otto von Freising, Chronica sive historia de duabus civitatibus / Chronik oder die Geschichte der zwei Staaten, 1961, p. 300.

11 P. Nagy, Le Don des larmes au Moyen Âge, 2000, p. 262.

12 Ibid ., p. 296.

13 D. Alexandre-Bidon, « Seconde enfance et jeunesse dans la théorie des “âges de la vie” et le vécu familial (xiiie - début xvie siècle) », 2003, p. 167.

14 Jacques de Voragine, La Légende dorée, 2004, p. 139-143.

15 Voir C. Dahlgrün, Hoc fac, et vives (Lk 1028) – vor allen dingen minne got. Theologische Reflexionen eines Laien im Gregorius und in Der arme Heinrich Hartmanns von Aue, 1991, p. 143.

16 Jacques de Voragine, La Légende dorée, 2004, respectivement p. 139 et 979.

17 Au sujet de la vie affective au Moyen Âge, on pourra consulter D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l’Occident médiéval, 2015.

18 Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique. Livres V-VIII, 1911, livre VI, chap. xli, 7.

19 Voir H. Freytag, « Ständisches, Theologisches, Poetologisches. Zu Hartmanns Konzeption des Armen Heinrich », 1987, p. 247-251.

20 Der arme Heinrich Herrn Hartmanns von Aue und zwei jüngere Prosalegenden verwandten Inhaltes, 1855, p. 78.

21 A. Hammer et N. Kössinger, « Die drei Erzählschlüsse des Armen Heinrichs Hartmanns von Aue », 2012, p. 150, note 33.

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