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L’Excellente Ballade de Charité, telle qu’écrite par le bon prêtre Thomas Rowley, 1464

p. 192-196


Texte intégral

1Le thème est bien connu, c’est celui de la parabole du bon Samaritain (Luc 10.32-36).

2Dans le signe de la Vierge brillait alors le soleil accablant,
Et sur les prés jetait ses rayons ardents ;
La pomme, de vert pâle, rougissait,
Et la douce poire faisait pencher le rameau feuillu ;
Le chardonneret bigarré chantait tout le long du jour ;
C’était alors l’orgueil, la fierté de l’année,
Et la terre était parée de sa robe la plus belle.

3Le soleil brillait au milieu du jour,
L’air immobile, de même le firmament bleu,
Lorsque de la mer se leva, en terrible vêture,
Un amas de nuages de triste teinte sable,
Qui fort rapidement gagna le bois,
Cachant aussitôt le beau visage du soleil,
La noire tempête s’enfla et se gonfla promptement.

4Sous une yeuse, tout près d’un chemin de campagne,
Qui menait au couvent de Saint Godwin,
Se tenait un malheureux pèlerin gémissant,
Pauvre d’aspect, mendiant d’après son vêtement,
Depuis longtemps accablé des malheurs du dénuement,
Où ce mendiant pouvait-il de la grêle s’abriter ?

5Il n’avait nul toit là, ni couvent à proximité.
Regardez son visage déprimé, lisez-y son âme ;
Écrasé sous le malheur, desséché, anéanti, diminué !
Hâte-toi vers la demeure dernière, infortuné !
Hâte-toi vers le cercueil, ton seul lit de repos.
Froids, comme l’argile qui poussera sur ta tête,
Sont Charité et Amour parmi les fées supérieures,
Chevaliers et Barons vivent pour leur plaisir et pour eux-mêmes.

6L’orage montant est prêt ; tombent de grosses gouttes ;
Les prairies brûlées fument, et boivent la pluie ;
La peur survient qui terrorise le bétail,
Et les troupeaux abondants fuient dans la plaine ;
Précipitées des nues, les eaux tombent à nouveau ;
Les cieux s’ouvrent ; l’éclair jaune vole,
Et les chaudes vapeurs en feu meurent dans les flammes.

7Écoute ! Maintenant le bruyant grondement du tonnerre
Se déplace lentement, et amplifié résonne,
Secoue le haut clocher, et perdu, dispersé, noyé,
S’accroche toujours à l’oreille apeurée dans la terreur ;
Les vents se lèvent ; les grands ormes s’agitent ;
À nouveau l’éclair, et le tonnerre se déversent,
Et les lourds nuages éclatent aussitôt en averses de grêle.

8Éperonnant son palefroi sur la plaine humide,
S’en vint l’abbé du couvent de Saint Godwin ;
Son chapeau était trempé de pluie,
Et sa ceinture peinte connut grande honte ;
Il dit et redit son chapelet ;
L’orage augmentait, et il prit de côté,
Près du mendiant pour sous l’orme s’abriter.

9Son manteau était de si beau drap de Lincoln,
À bouton en or attaché à sa chaîne ;
Son vêtement était bordé de tresse d’or,
La pointe de ses chausses aurait pu être celle d’un seigneur ;
Cela montrait bien qu’il ne voyait pas péché à la dépense :
Le harnais de son cheval lui plaisait à regarder,
Car de roses orna sa tête le bourrelier.

10L’aumône, messire prêtre ! dit le pèlerin, courbé,
Ô laissez-moi attendre à l’intérieur de votre couvent,
Jusqu’à ce que le soleil brille haut sur nos têtes,
Et que la bruyante tempête de l’air soit passée ;
Démuni et âgé comme je le suis, hélas, et pauvre,
Pas d’abri, pas d’ami, pas d’argent dans la bourse,
Tout ce qui est mien est cette croix d’argent.

11Vilain, répondit l’abbé, cesse ce bruit ;
Ce n’est pas le moment de faire aumônes et prières ;
Mon portier jamais n’admet de vagabond ;
Nul ne baise mon anneau qui ne vit en honneur.
Or le soleil luttait contre les noirs nuages,
Et comme il jetait ses rayons aveuglants au sol,
L’abbé éperonna sa monture, et s’éloigna aussitôt.

12Une fois encore le tonnerre gronda, le ciel se noircit ;
Courant vite dans la plaine un prêtre on vit ;
Nul orgueilleux habit, nul bouton en or ;
Ses manteau et surplis étaient gris, et tous deux propres ;
On vit qu’il était de l’ordre des frères gris mendiants7 ;
Et du chemin il se détourna vers le lieu
Où se tenait sous l’orme le pauvre mendiant.

13L’aumône, messire prêtre ! dit le pèlerin, courbé,
Pour l’amour de douce sainte Marie et de votre ordre.
Le frère alors les cordons de sa bourse desserra,
Et une pièce d’un sou d’argent en tira ;
Le pèlerin dans le besoin de joie trembla.
Tiens, prends cette pièce d’argent, elle peut adoucir ton besoin ;
Nous sommes tous intendants pour Dieu, ne portons rien qui soit nôtre.

14Mais malheureux pèlerin, de moi apprends
Rares sont ceux qui paient terme au propriétaire.
Tiens, prends mon vêtement ; tu es nu, je vois ;
Il est à toi ; les saints me récompenseront.
Il laissa le pèlerin et suivit son chemin.
Sainte Vierge, Saints, qui siégez en gloire,
Donnez de la bonne volonté aux riches, ou à l’homme bon du pouvoir.

15Composé entre juin et juillet 1770, c’est le dernier texte du Cycle de Rowley. C’est un des plus achevés sur le plan poétique. C’est encore le modèle de rime royale, six pentamètres et un alexandrin final rimant ababbcc. Le dernier vers de l’avant-dernière strophe rappelle aussi le court texte de Francis Bacon dans ses Essays (1625), « Of Riches », où l’on trouve les termes de « distribution », de « conservation [des richesses] ; ou le pouvoir de secourir et de donner ». Lorsqu’il envoya le manuscrit au rédacteur du magazine qui le publia, Chatterton prit soin d’y joindre un glossaire pour « rendre le langage intelligible ».

Notes de bas de page

6 Thomas Rowley, l’auteur, naquit à Norton Mal-reward dans le Somerset, fut élevé au couvent de Saint Kenna à Keynesham, et mourut à Westbury dans le Gloucestershire [note de Thomas Chatterton].

7 Le texte comporte le mot limitoure ; il semble impossible à traduire faute d’équivalent sur le continent. Ces prêtres étaient de l’ordre des Franciscains, donc mendiants, en habit gris, d’où leur nom en anglais, gray friars, ces limitoures mendiaient apparemment dans certaines limites géographiques, d’où leur nom anglais.

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