Goddwyn, tragédie par Thomas Rowley
p. 174-186
Texte intégral
Prologue, par Maître Canynge
1Jadis des historiens firent fort méchante réputation
Au nom de Godwin, comte de Kent,
Ainsi le privant de foi et de renommée ;
D’impitoyables clercs ont dit
Qu’il n’était connu pour aucune œuvre pie,
Mais toute sa faute fut de ne pas faire de dons à l’Église.
2L’auteur de la pièce que nous jouons,
Bien que membre du clergé, dira la vérité :
En dessinant les personnages l’esprit ne manquera pas ;
Même un roi peut être satisfait ce soir.
Écoutez et prêtez attention, les rôles à jouer,
Pour les bien interpréter, nous défions n’importe qui.
3Personnages interprétés par :
Harold, Th. Rowley, l’auteur ;
Godwyn, Jehan d’Iscam ;
Elwarde, sir Thibaut Gorges ;
Alstan, sir Alan de Vere ;
Le roi Édouard, Maître William Canynge.
D’autres, chevaliers et ménestrels.
4Godwin et Harold.
5Godwin
Harold ?
6Harold
Mon seigneur ?
7Godwin
Oh ! Je pleure d’y penser !
Quels ennemis se lèvent pour détruire le pays.
Ils prospèrent sur sa chair, boivent le sang de son cœur,
Et tout est distribué par la main du roi.
8Harold
Que tes doléances ne cessent point, demeurant inutiles :
Dois-je pleurer ? Ce sera en larmes de sang ;
Suis-je trahi ? Ma fureur brûlante
Dépeindra les torts envers celui de qui je les reçois.
9Godwin
Je connais bien ton âme, tu es noble,
Fort, terrible comme une armée sanglante ;
Mais souvent, je le crains, ton emportement a trop de place,
Et que souvent sur les conseils la force triomphe.
Quelles nouvelles du roi ?
10Harold
Ses Normands savent
Que je n’ai pas d’amis dans la suite chatoyante.
11Godwin
Ah ! Harold, c’est bien un spectacle de désolation,
De voir que ces Normands emportent toute la gloire.
Quelles nouvelles du peuple ?
12Harold
Murmurant toujours contre son sort, toujours jusqu’au roi
Il fait rouler ses malheurs, telle une mer qui se lève.
L’Angleterre a-t-elle donc une langue, mais pas d’aiguillon ?
Tous se plaindront-ils sans qu’aucun n’obtienne justice ?
13Godwin
Attends le moment où Dieu nous prêtera assistance.
14Harold
Non ! Nous devons tenter de nous aider par la force.
Quand Dieu nous donnera assistance ! C’est une noble prière.
Devons-nous ainsi rejeter l’heure de toute une vie ?
Nous croiser les bras et ne pas vivre dangereusement,
Sans armes, passifs et découragés ?
Loin de mon cœur que s’envole une idée aussi pénible,
Je délivrerai mon pays, ou mourrai au combat.
15Godwin
Mais attendons jusqu’à quelque moment propice.
Mes hommes du Kent, les tiens de Somerton, se soulèveront ;
La force ajoutée au vêtement de la pensée,
De nouveau le cheval argent dansera au ciel.
Oh, Harold, ici gisent le tourment et le désespoir.
Angleterre ! Angleterre ! Pour toi mon cœur saigne.
Tant qu’Édouard ne donnera mie à tes fils,
Si aucun de tes fils connaissait jamais le bonheur ;
Sur le trône je t’ai assis, j’ai tenu ta couronne,
Mais oh ! Ce serait un hommage que de te faire tomber maintenant.
16Tu as tout du prêtre, et rien du roi.
Tu es entièrement Normand, tu n’as rien de mon sang.
Sache qu’il ne te sied pas de chanter une messe ;
Servant tes sujets c’est Dieu que tu sers.
17Harold
Alors je vais rendre service au Ciel, aux cieux
Faire monter les plaintes quotidiennes du pays.
Les cris de la veuve, de l’orphelin et des serfs
Étouffent l’air sombre et étonnent le ciel.
C’est sur nous, gouverneurs, que compte le peuple ;
Les vilains de Normandie seront balayés de la terre ;
Comme une flamme rugissante, mon épée les consumera ;
Telles de douces gouttes de pluie tombantes, je les abattrai3 ;
Si nous attendons trop longtemps, notre projet échouera ;
Préparons cette entreprise hardie et réveillons aussitôt les champions.
18Godwin
Ta sœur…
19Harold
Je sais qu’elle est sa reine.
Cependant, si elle avait pour ses ennemis de belles paroles,
Je détruirais son beau visage
Et plongerais mon épée sanglante dans sa chevelure.
20Godwin
Apaise ta colère –
21Harold
Non, ordonne au lac fatal,
Enflé de vents cachés et de causes inconnues,
Ordonne-lui de se calmer ; ainsi paraîtra,
Avant qu’Harold cache son nom, l’ami de son pays.
La cotte de maille, la visière, tachées de gueule,
La mortelle et large épée feront triompher ma cause.
22Godwin
Harold, que vas-tu faire ?
23Harold
Que crois-tu ?
Vois, l’Angleterre gît, tous ses droits confisqués,
Vois les Normands la découpant en morceaux,
Interdisant à toutes les plantes locales de pousser.
Que ferais-je ? J’ai une furieuse envie de tous les occire,
D’une force légitime leur arracher le cœur sable ;
Leur mort serait pour moi le moyen de vivre,
Mon âme se délecterait fort du flot de leur sang.
Bientôt je montrerai au jour ma colère furieuse,
Et manierai l’épée de Dieu en mon ire ravageuse.
24Godwin
Que ferais-tu du roi ?
25Harold
Lui ôter sa couronne ;
Faire de lui la tête de quelque monastère ;
Installer quelqu’un plus digne que celui que j’aurai déposé ;
Et la Paix en Angleterre serait à nouveau installée.
26Godwin
Ne laissons point ce saint roi sanctifié régner,
Et que quelqu’un de plus avisé gouverne ce royaume négligé ;
Dans sa courtoisie le roi Édouard daignera
Céder les dépouilles, et porter seul le heaume :
Mais que de mon cœur il n’y ait nulle pensée de gain,
Je ne souhaite pas qu’il ordonne aucun des miens.
27Harold
Indique-moi les moyens, et je les exécute aussitôt ;
Ordonne-moi de me tuer, ce sera fait.
28Godwin
Je vais te révéler bientôt les moyens,
Par lesquels Harold tu prouveras que tu es mon fils.
Je vois depuis longtemps quelles souffrances s’endurent,
Quels griefs poussent en rameaux du tronc central ;
Le temps est venu où l’humide marais
Sera drainé de toutes ses vagues qui s’enflent ;
Mon remède est bon, nos hommes se soulèveront ;
Bientôt les Normands et nos griefs s’envoleront.
29Harold
Je vais au couchant, assembler tous mes chevaliers,
Aux hallebardes assoiffées de sang, et aux écus aussi larges
Que la lune en croissant, lorsque blanche elle couvre
Les terrains boisés ou la prairie au manteau humide ;
Aux mains dont la force peut faire saigner les plus vaillants,
Qui devant la dépouille d’ennemis se sont agenouillés souvent,
Qui de leurs pieds ont renversé un château fort,
Qui osent sur des rois se venger de leurs malheurs ;
Alors les hommes d’Angleterre salueront le jour
Où Godwin les mènera au légitime combat.
30Godwin
Mais appelons d’abord les seigneurs de l’ouest,
Les comtes de Mercie, de Coventry, et tous ;
Plus d’hommes nous gagnerons, plus la cause réussira,
Avec un tel nombre nous ne pouvons échouer.
31Harold
Soit ; nous ferons de notre mieux pour former la chaîne,
Et tous unirons d’un coup le royaume en expansion.
Nul champion croisé, le cœur mieux disposé
Ne donna l’ordre de trouver la sainte épée,
Que moi qui tente de débarrasser le pays de ses maux.
Godwin, que de gratitude nos efforts accumuleront !
Je vais mener mes hommes à la révolte dans la plaine sanglante ;
Je réveillerai l’honneur qui s’est endormi.
Quand les chefs se réuniront-ils dans ta salle de banquet,
Que d’une voix forte, là, je les appelle ?
32Godwin
Demain soir, mon fils.
33Harold
Allons, Angleterre, le moment est venu,
Où ta cause ou celle de tes ennemis mortels doit périr.
Tes griefs hors du commun ont atteint le sommet ;
Maintenant tes fils vont voler à ton secours.
Comme l’orage s’amassant dans le ciel,
Qui est chargé, et se précipite sur le sol desséché,
De même ma rage s’abattra sur les Normands,
Et tous leurs hommes puissants tomberont alentour.
C’est maintenant que tombent Harold ou l’oppression,
Plus jamais en vain les Anglais n’appelleront au secours.
34Le roi Édouard et sa reine.
35La reine
Mais, seigneurs, pourquoi autant de Normands rassemblés ?
Il me semble que nous ne sommes pas en terre anglaise.
Ces étrangers couverts de broderie sont toujours présents,
Ils vous séparent de votre trône, et s’assoient à votre droite.
36Le roi
Allons, allons, vous n’y entendez rien :
Ils m’ont donné la vie, et préservé ma personne ;
Ils m’ont fêté, et grandement logé ;
Mal les traiter serait laisser dormir ma bonté.
37La reine
Marcs d’argent vous avez en quantité, et leur distribuez ;
Vos liges sujets font force lamentations, que vous négligez.
38Le roi
Je ne vous demande point avis. Je connais mes amis,
Des saints tous prêts à m’aider.
Leur volonté est morte à toute fin égoïste ;
Nul doute en mon cœur à leur sujet n’habite :
Je dois aller prier ; entrez, vous ferez bien ;
Je ne dois perdre le devoir de ce jour ;
Entrez, entrez et cette vague d’azur voyez,
Je sais bien que point n’avez l’esprit à prier.
39La reine
Je vous laisse rendre hommage au ciel ;
Servir votre peuple lige aussi est rendre hommage là-haut.
40Le roi et sir Hughes.
41Le roi
Mon ami, sir Hughes, quelles nouvelles t’amènent ici ?
42Sir hughes
Il n’y a plus de marcs dans la bourse mon seigneur ;
Les dépenses de la maison sont impayées ;
Même les dernières rentrées sont maintenant dépensées.
43Le roi
Alors, impose l’ouest du pays.
44Sir hughes
Mon seigneur, j’ai parlé
Au puissant comte Harold de cette situation ;
Il a levé la main et m’a souffleté,
Disant de porter ce message au roi.
45Le roi
Dépouille-le de son pouvoir, par le verbe divin,
Plus jamais cet Harold ne portera d’épée comtale.
46Sir hughes
Au moment opportun mon seigneur, qu’il en soit ainsi ;
Mais en ce moment le peuple acclame fort son nom,
Tentant de l’abattre, c’est nous que nous abattons ;
Telle est la puissance de son grand renom.
47Le roi
Hughes, je ne te blâme pas de ce conseil,
Mais tu pourras trouver abondance de marcs en Kent.
48Sir hughes
Mon noble sire, Godwin est tout pareil ;
Il jure qu’il n’augmentera pas le trésor des Normands.
49Le roi
Ah ! le traître ! Mais je vais contenir ma colère,
Tu es Normand, Hughes, étranger sur ce sol.
50Tu sais comment ces comtes anglais ont
Une telle constance dans le malheur,
51Mais dans le bien ils hésitent, sont dans le doute,
Ne sachant s’il faut s’y attacher.
52Sir hughes
Indignes d’un roi si merveilleux !
Ô Édouard, tu mérites un hommage plus pur ;
A toi ils devraient apporter tous leurs marcs ;
Un signe positif de toi sauverait des hommes, un froncement en tuerait.
53Je ne suis pas flatteur ; je ne cherche aucune récompense,
Je dis ce qui est vérité, et ce que tous voient est bien.
54Le roi
Tu es un saint homme, je t’apprécie,
Viens, viens et écoute, aide-moi dans mes prières.
Vingt marcs je t’accorde
Et deux manoirs à toi et tes héritiers
Ainsi seront tous Normands de mon royaume nourris,
Eux seuls ont l’amour par qui leur pain est acquis.
55Le chœur
Quand Liberté, vêtue d’un manteau sanglant,
À tout chevalier de guerre a entonné le chant,
Sur sa tête des herbes sauvages étaient posées,
À son côté pendait une épée sanglante.
56Elle dansait sur la lande ;
Elle entendait la voix de la mort ;
57La terreur aux yeux pâles, au cœur de couleur argent,
En vain tenta de glacer sa poitrine ;
Elle entendit impavide la voix aiguë du malheur,
Et la tristesse avec la chouette secoue le vallon.
58Elle brandit la lance pointue,
Leva haut son bouclier,
Tous ses ennemis paraissent,
Et s’enfuient à travers champs.
59La force, le cou tendu jusqu’au ciel,
Sa lance, un rayon de soleil, et une étoile pour bouclier ;
Ses yeux roulent tels deux brillants météores,
Il frappe le sol de son pied de fer, et sonne la charge.
60Assise sur un roc
Elle se baisse devant sa lance,
Elle se relève du choc,
Maniant haut sa propre lance.
61Aussi forte que le tonnerre elle continue,
La volonté, bien couverte, le guide vers la couronne ;
Sa longue lance pointue, son large bouclier sont tombés,
Il chute, et dans sa chute entraîne des milliers.
62La guerre, au visage couvert de sang, qu’arme la jalousie, s’est levée,
Son terrible heaume s’inclinant au vent,
Dix flèches sanglantes dans son poing serré…
63Inachevé. Composé au mois de mai 1769. Encore un exemple de virtuosité prosodique. Alternance de groupes de six vers, avec variations ; les coupes nombreuses ne déterminent pas des strophes entières, sauf quand il s’agit de strophes de Rowley (dix vers). Au début, le schéma des rimes est ababbcbc, suivi de variations ; pour les groupes de six vers, ababcc. Le chœur est composé de quatrains : le premier est suivi d’une paire de trois pieds ; les suivants sont successivement de quatre, trois, quatre, trois et quatre pieds. Les trois derniers vers sont des pentamètres.
64On trouve là encore la note patriotique qui fait penser à la querelle entre Saxons et Normands si bien évoquée dans Ivanhoé de Walter Scott. Mais l’arrière-plan historique est plus précis que pour Ælla : le roi Édouard le Confesseur (de 1042 à 1066) fut le fils d’Éthelred II et d’Emma, fille du duc de Normandie, et le demi-frère d’Hardiknute (ou Hardicanute, suivant les graphies) et d’Edmond II Ironside (Côte de Fer). La couronne ayant été dévolue à Hardicanute, Édouard fut exilé et élevé en Normandie où il découvrit probablement la vanité de l’ambition, et où il fut très attiré par la religion. En 1035, Harold, fils illégitime de Canute, prit le pouvoir quand Hardicanute était au Danemark. À la mort de ce dernier, en 1042, Édouard fut acclamé roi et accepté par les Danois. Il épousa Editha, sœur de Godwin, pour se rallier ce comte saxon. Ce dernier, puissant propriétaire anglo-saxon, fut nommé comte du Wessex en 1042. Lui et son fils, Harold, comte d’East Anglia, eurent des ambitions. Ils combattirent l’influence de Robert de Jumièges, devenu archevêque de Cantorbéry, auprès du roi. Pour une question de politique intérieure du royaume, Ils furent contraints à l’exil. Comme le roi Édouard augmenta le nombre de ses conseillers normands, les Saxons furent inquiets et Godwin et son fils débarquèrent en 1052, obtinrent l’appui des citoyens de Londres, et ils forcèrent Édouard à renvoyer ses conseillers normands. Le conflit fut réglé avec prudence et sagesse sans effusion de sang, et son règne fut une époque de paix. Godwin récupéra ses possessions, et redevint le Saxon le plus puissant de l’époque. Il mourut à Winchester en 1053. Ici, Harold est le porte-parole du mécontentement saxon, et il traduit aussi l’ambition et la cupidité démesurée (réelle) de la famille de Godwin. Quelles qu’aient pu être les sources de Thomas Chatterton, le poète oppose ici la force à la réflexion, utilise les mêmes images de sang, et esquisse un portrait de roi favorable aux Normands en oubliant que ce roi est à moitié de sang saxon. On ne peut s’empêcher de penser également à certaines scènes de la pièce Richard II, de Shakespeare, avec en particulier celle du jardinier.
Notes de bas de page
3 Le sens de ces deux vers est clair quant à la volonté de destruction ; la construction des comparaisons l’est moins, et le Pr Taylor lit en substance : « Je les abattrai comme la pluie éteint la flamme ». Il faudrait alors traduire par : « Telles de douces gouttes de pluie tombant sur une flamme rugissante, mon épée les consumera, je les abattrai ». La lecture de Skeat ne va pas dans ce sens, et il semble difficile de forcer le texte.
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