Elinoure et Juga
p. 74-76
Texte intégral
1La Rudborne, un ruisseau près de la ville de Saint Albans, dans le Hertfordshire. Là encore, dialogue de deux amantes déplorant la mort de leurs chevaliers partis combattre dans la guerre des Deux Roses : la rose rouge pour York, la rose blanche pour Lancastre. Ce fut une guerre de querelle dynastique, chacune de ces deux maisons ayant des droits et des prétentions au trône. La guerre dura environ de 1459 jusqu’à la bataille de Bosworth, en 1485, où le roi Richard III trouva la mort. La fin du règne et la mort de Richard III sont évoquées dans la pièce historique de William Shakespeare, Richard III. Ce fut la victoire d’Henry Richmond qui se fit couronner sous le nom de Henry VII. Cette guerre décima la chevalerie anglaise, dont les deux personnages masculins sont les représentants. Chatterton joue ici sur le nom du ruisseau, « Rud » pour red, l’eau se teintant du sang des chevaliers.
2Sur la rive de la Rudborne, deux jeunes filles en peine,
Leurs larmes coulant fort vers l’onde claire ;
Chacune pleurant l’absence de son compagnon,
Qui à Saint Albans maniait la mortelle lance.
La brune Elinour à la blonde Juga
Parlait à voix basse, l’œil languissant,
Telles des gouttes de rosée nacrée, brillaient les larmes tremblantes.
3Elin
Ô douce Juga ! Écoute ma triste complainte,
Pour combattre avec York mon amour s’est vêtu d’acier ;
Ô que nulle tache de sang ne peigne la rose blanche,
Que le bon saint Cuthbert veille bien sur sir Robert ;
Bien plus que la mort en imagination je ressens ;
Vois, vois : sur le sol il gît, baignant dans son sang ;
Qu’on lui donne quelque potion de vie, ou mon cher amour se meurt.
4Juga
Sœurs en chagrin, sur cette rive couverte de pâquerettes,
Où règne la mélancolie, nous pleurerons ;
Serons mouillées de rosée matinale, et même transies ;
Comme chênes foudroyés l’un vers l’autre penchés,
Ou comme des salles de gaîté désertées,
Dont les horribles ruines mènent le train de l’effroi,
Où croassent sinistres les corbeaux et veillent les effraies la nuit.
5Elin
Jamais plus la cornemuse n’éveillera le matin,
La danse du ménestrel, la joie, et les danses populaires ;
Jamais plus le palefroi allant l’amble, et le cor
Du buisson ne chasseront le renard ;
Tout au long du jour je chercherai la forêt :
Toute la nuit parmi les tombes du cimetière j’errerai,
Et aux esprits qui passent mon malheur conterai.
6Juga
Quand de noires nues pendent aux rayons
De la lune décroissante, de son manteau d’argent vêtue ;
Les fées qui dansent tissent le rêve doré
Du bonheur, qui s’enfuit avec la nuit ;
Alors (mais qu’à Dieu ne plaise !) si à un esprit
La forme de sir Richard est abandonnée, j’étreindrai, dans ma folie,
Son cadavre saignant, froid comme argile, et chaque jour mourrai en pensée.
7Elin
Ah ! mots qui déplorent le malheur ! Quelles paroles peuvent peindre ?
Toi, rivière luisante, sur ta rive peuvent saigner
Des champions, dont le sang à tes eaux se mêleront,
Et la Rudborne sera le fleuve d’eau rouge en effet !
Hâte-toi, douce Juga, traverse la prairie,
Pour savoir si nous devons pleurer encore,
Ou si à nos chevaliers défunts nous mêler sur la plaine.
Parlant ainsi, comme deux arbres foudroyés,
Ou deux nuages porteurs de pluie d’orage ;
Elles progressaient doucement vers les prés mouillés de rosée,
Vers le lieu où reposent les autels sacrés de Saint Albans.
Là elles virent que les deux chevaliers étaient occis,
Dans leur folie, elles errèrent jusqu’à la rive de la Ruderborne,
Crièrent leur propre glas, sombrèrent dans l’onde et moururent.
8Également composé en mai 1769, en strophes de sept vers rimant ababbcc, en pentamètres iambiques, selon le schéma dit de rime royale, avec un alexandrin final.
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