Chapitre 8
Le déplacement de l’ironie dans « On Murder, Considered as One of the Fine Arts »
p. 213-250
Texte intégral
1Les deux textes intitulés « On Murder, Considered as one of the Fine Arts » et leur Post-scriptum ont un statut particulier dans l’œuvre de De Quincey. Les deux premiers articles font partie de ses rares écrits ironiques et humoristiques à l’être du début à la fin. Comme les Confessions, « On Murder » a valeur d’écrit fondateur dans la carrière de De Quincey : « Cet essai est reconnu comme l’un de ses meilleurs textes et a fondé sa réputation d’humoriste1 ». Ces articles constituent d’ailleurs, juste après les Confessions, son travail le plus connu et le plus apprécié. De plus, comme ses écrits autobiographiques, les articles sur le meurtre couvrent l’ensemble de sa carrière : De Quincey commence à prendre des notes en 1823, le premier article paraît en 1827, le « Deuxième article » 12 ans après (1839), et après encore 15 années d’intervalle, le « Postscript », en 1854, à l’occasion de leur réédition au sein des œuvres complètes.
2Tout comme les sujets sensibles des écrits autobiographiques font l’objet d’un double récit, l’un amusant, l’autre pathétique, l’esthétique du meurtre fait l’objet d’un double traitement : grotesque dans les articles, puis sérieux dans le « Postscript », qui offre une des expressions les plus extensives du sublime de l’horreur. À première vue très éloignés tant de la problématique autobiographique que de l’épuisement du Romantisme, ces articles les rejoignent par une constante oscillation entre fantaisie et subversion qui démontre que De Quincey demeure un ironiste réticent.
Une mosaïque de parodies
3De Quincey pose le postulat provocateur selon lequel, l’appréciation esthétique étant indépendante du jugement moral, le meurtre peut s’étudier comme une œuvre d’art :
We dry up our tears, and have the satisfaction perhaps to discover, that a transaction, which, morally considered, was shocking, and without a leg to stand upon, when tried by principles of Taste, turns out to be a very meritorious performance2.
Il justifie ensuite son postulat par l’application absurde de théories esthétiques, et une accumulation désordonnée et disparate de parodies d’auteurs et de genres. La parodie la plus extensive concerne le genre gothique, désigné couramment à l’époque sous le nom de « roman allemand » ou « drame allemand » : « it may also be treated aesthetically, as the Germans call it – that is, in relation to good taste3. ». Cette remarque est ironique à double titre : par l’association incongrue entre meurtre et esthétique, et parce que le gothique est censé incarner le mauvais goût d’une sensibilité dégénérée. De Quincey a peut-être aussi une arrière-pensée pour Goethe, dont il critique la vulgarité dans Wilhelm Meister avec virulence. Les articles reprennent un grand nombre de clichés gothiques : le texte authentique arrivé par hasard entre les mains de l’éditeur, la société secrète, l’exploration de pulsions taboues, des personnages outrés, l’horreur, l’excès, l’humour noir, une structure chaotique, le suspense, la diabolisation de l’étranger, et le goût du sensationnalisme :
[…] as to old women, and the mob of newspaper readers, they are pleased with anything, provided it is bloody enough. […] The world in general, gentlemen, are very bloody-minded; and all they want in a murder is a copious effusion of blood; gaudy display is enough for them4.
L’épisode de la Terreur, dont on a supposé qu’il avait contribué à un désir toujours plus grand de toujours plus de sensationnel, et donc au développement d’un gothique toujours plus sanglant, se voit ici attribuer la responsabilité d’une décadence de l’art du meurtre : « the French Revolution […] having been the great cause of degeneration in murder ». L’ironie se mêle aussi d’autodérision, puisque, grand lecteur de romans gothiques, De Quincey en a lui-même écrit un, et avait imaginé de faire mourir de peur quelques lectrices avec les Confessions d’un meurtrier :
One night in high summer, when I lay tossing and sleepless for want of opium, – I amused myself with composing the imaginary Confessions of a Murderer; which, I think, might be made a true German bit of horror; the subject being exquisitely diabolical; and, if I do not flatter myself, some few dozens of useless old women I could frighten out of their wits and this wicked world5.
Parmi les classiques de la littérature, De Quincey ne pouvait manquer de parodier la Poétique d’Aristote et la célèbre théorie de la catharsis : « the final purpose of murder, considered as one of the fine arts, is precisely the same as that of Tragedy in Aristotle’s account of it: viz. “to cleanse the heart by means of pity and terror”6. ». De plus, la victime idéale doit être un homme bon, ou au moins honnête : le spectacle de deux meurtriers s’entre-déchirant ne nous inspirerait aucune pitié. De Quincey pousse l’idée jusqu’au cliché mélodramatique : « the subject chosen ought also to have a family of young children wholly dependent on his exertions, by way of deepening the pathos ». L’ironie est ici renforcée par l’insistance sur le bon goût : « severe good taste unquestionably demands it7. ». De Quincey adapte aussi un passage humoristique de Shakespeare (« First then, let us speak of the kind of person who is adapted to the purpose of the murderer; secondly, the place where; thirdly, of the time when8 ») : il est question dans la comédie d’un simple flirt, mais « obscène et ridicule ». Il imite enfin les dernières modes littéraires : la rubrique des potins mondains (« a public character is in the habit of giving dinners, “with every delicacy of the season9” »), et l’argot des matches de boxe10 qu’il affectionne particulièrement. Dans plusieurs articles, il utilise l’expression « ugly customer » pour désigner un adversaire redoutable, dans le cadre d’une lutte tant physique, que morale ou politique11.
4Mais la première esthétique parodiée par De Quincey est la sienne, puisque le cadre de l’essai est une auto-parodie. Dans la préface, signée X.Y.Z. (le premier pseudonyme utilisé par De Quincey), l’auteur sape sa propre autorité par sa morale pompeuse : « Advertisement of a Man Morbidly Virtuous. […] For my intense virtue will not put up with such things in a Christian land ». Ensuite, le narrateur de l’essai est un conférencier pédant, qui fait la démonstration de son savoir par de nombreuses citations grecques et latines, ainsi que par une longue digression sur la vie des philosophes : « I shall here read an excursus on that subject, chiefly by way of showing my own learning12 ». Le rôle de conférencier, expert parmi les experts mais aussi vulgarisateur, est une des postures favorites de De Quincey, en particulier dans un contexte ironique ou humoristique ; on le retrouve notamment dans les Confessions : « And therefore, worthy doctors, […] stand aside, and allow me to come forward and lecture on this matter13 ». De Quincey fait aussi allusion à sa distinction entre littérature du savoir et littérature de puissance : « the impression of awe, and the sense of power left behind, by the strength of conception manifested in this murder14 ». Comme les autres arts enfin, le meurtre connaît une alternance cyclique de flamboyance et de périodes creuses : « Assassination […] has flourished by fits15. ».
5De Quincey parodie ensuite l’esthétique de Wordsworth, en particulier ses théories sur l’éducation du goût et la capacité de l’art à régénérer la sensibilité ; et il les reformule de façon à suggérer un commentaire direct du poète sur le meurtrier :
Like Aeschylus or Milton in poetry, like Michael Angelo in painting, he has carried his art to a point of colossal sublimity, and, as Mr Wordsworth observes, has in a manner “created the taste by which he is to be enjoyed”.
[…] from our art, as from all the liberal arts when thoroughly cultivated, the result is, to improve and to humanise the heart16.
6Il renforce ce dernier point par une citation d’Ovide : « Avoir appris les arts assidûment/ Raffine les mœurs et leur évite la grossièreté17. ». De l’esthétique romantique, De Quincey reprend également :
- la créativité : « no artist can ever be sure of carrying through his own fine preconception ».
- le culte du génie : « so greatly was natural genius exalted and sublimed by the genial presence of his murderer », « the blaze of [the murderer’s] genius absolutely dazzled the eye of criminal justice ».
- l’art du fragment : « the fragments and first bold outlines of original artists have often a felicity about them which is apt to vanish in the management of the details ».
- la régénération de la sensibilité du public : « the diffusion of a just taste », « [he] would have died but for this regeneration of art ».
- la singularité de toute œuvre d’art : « each work has its own characteristics – each in and for itself is incomparable18 ».
7Robert Morrison suggère également une source possible dans les Noctes de Wilson19. Il paraît néanmoins vraisemblable que De Quincey soit, au contraire, la source de Wilson, même s’il n’a pas été le premier à publier, car le postulat apparaît dans deux écrits antérieurs aux Noctes, dans « On the Knocking at the Gate in Macbeth », et dans une lettre à son éditeur datée du 19 novembre 1823, en réaction au jugement du meurtrier John Thurtell :
The Murder is a good one, as you observe, and truly gratifying to every man of correct taste: yet it might have been better; if he would have thrown in a few improvements that I could have suggested. – I speak aesthetically, as the Germ. say, of course: morally, it is a damnable concern. You must allow me to look at these things in 2 lights. Perhaps it is yet too recent to be looked at by the aesthetic critic20.
Après l’esthétique, l’ironie de « On Murder » s’en prend à la philosophie. Le meurtre esthétique devient le prétexte à une longue digression : une série d’anecdotes biographiques, plus ou moins romancées et fantaisistes. De Quincey implique alors Coleridge comme théoricien de l’appréciation esthétique des incendies. Il reprend encore Aristote, cette fois pour son traité de métaphysique, dont il cite l’expression de « parfait voleur » : Aristote critique par là un usage abusif de l’adjectif « parfait », mais en omettant le contexte, De Quincey détourne la parole du philosophe pour en faire une louange du voleur. Il saisit l’occasion d’étendre sa parodie au discours médical, déconnecté des souffrances des malades et abordant avec enthousiasme les manifestations cliniques d’une maladie : « he makes no scruple to talk with admiration of a certain ulcer which he had seen, and which he styles “a beautiful ulcer21” ».
8De Quincey se moque ensuite de Descartes, et surtout de ses commentateurs, dont les propos sont aussi ineptes que prolifiques : « we should have no Cartesian philosophy; and how we could have done without that, considering the worlds of books it has produced, I leave to any respectable trunk-maker to declare22. ». À noter que la philosophie cartésienne est indirectement critiquée, puisque sa seule valeur est d’avoir suscité lesdits commentaires.
9Enfin, il suggère de corriger Hobbes comme un écolier pris en faute : « a man deserved a cudgelling for writing Leviathan ». Le titre de cet ouvrage lui procure un excellent surnom pour le philosophe. Jugeant le Léviathan excessivement cynique, De Quincey ne manque pas l’occasion d’en retourner le contenu contre son auteur :
[…] and (what is very funny) he had no right to make the least resistance; for, according to himself, irresistible power creates the very highest species of right, so that it is rebellion of the blackest dye to refuse to be murdered, when a competent force appears to murder you23.
En dehors de ces deux grandes catégories, l’esthétique et la philosophie, dans un esprit de provocation, De Quincey lance quelques piques satiriques contre la société moralisatrice dont il eut surtout à souffrir à travers le regard de sa mère et son amie, l’évangéliste Hannah More. En introduction, De Quincey parodie les noms de deux associations pour la promotion de la morale : « the Society for the Promotion of Christian Knowledge » devient « Society for the Promotion of Vice », et « The Society for the Promotion of Religion and Virtue and the Suppression of Vice » devient « The Society for the Suppression of Virtue ». Il applique le même principe d’inversion dans son énumération allant du crime à la procrastination : « For if once a man indulges himself in murder, very soon he comes to think little of robbing; and from robbing he comes next to drinking and Sabbath-breaking, and from that to incivility and procrastination24. ». De Quincey étant lui-même coupable quotidiennement de procrastination, l’ironie lui permet de reconnaître sa criminelle responsabilité tout en évacuant sa culpabilité par le rire. L’introduction met à mal l’hypocrisie morale bien-pensante et la vertu aux principes froidement intellectuels. Pour finir, De Quincey aime taquiner le bon sens populaire en détournant des dictons : « Everything in this word has two handles. Murder, for instance, may be laid hold of by its moral handle […] or it may also be treated aesthetically25. ».
10Toutes ces remarques parodiques et humoristiques sont juxtaposées sans souci de cohérence ou de système. De Quincey suit sa « fantaisie », passant indifféremment d’une théorie à un autre, d’un genre à un autre, et de clichés à des références personnelles, s’adonnant avec jubilation à son goût de l’absurde. Il n’est donc pas surprenant que les critères de ce qui rend un meurtre esthétique soient contradictoires : l’abondance de sang est une marque de raffinement chez Milton, mais une preuve de vulgarité chez les modernes. Le deuxième article, qui met en œuvre l’atmosphère « d’hilarité générale » promise dans le premier article, a quelque chose de carnavalesque, et l’évocation récurrente d’un meurtre commis par un membre éminent de l’assemblée provoque systématiquement un rire général, accompagné d’un refrain en vers latin et en musique. La dimension ludique est clairement prépondérante dans cette joyeuse mosaïque. Ces articles ne seraient-ils donc rien de plus que ce que De Quincey en dit dans le « Postscript » : une « extravagance », une « bagatelle », une « bulle de gaieté », c’est-à-dire une pure distraction ? La reconnaissance obtenue par ces textes, et la reprise du même thème à trois reprises et à des années d’écart, nous laissent penser qu’une lecture plus riche est possible.
La présence-absence de Kant
11Joel Black sembla trouver la clé des trois articles en avançant l’idée d’une parodie de la philosophie kantienne (ce qui conforterait aussi la parodie gothique, genre où le méchant est toujours étranger). Comme Wordsworth, Kant a été à la fois une influence majeure dans la vie intellectuelle de De Quincey, et une grande déception. Durant toute sa carrière il a rendu hommage au génie du philosophe, et pourtant quelques articles contiennent la condamnation la plus violente :
[Kant’s] intellect was essentially destructive. He was the Gog and he was the Magog of Hunnish desolation to the existing schemes of philosophy. […] he had no love, no faith, no self-distrust, no humility […] Who can read without indignation of Kant, that, at his own table, in social sincerity and confidential talk, let him say what he would in his books, he exulted in the prospect of absolute and ultimate annihilation; that he planted his glory in the grave, and was ambitious of rotting forever? […] he has applied himself to the destruction of Christian hope26.
Cette attitude relève de l’émotion plutôt que de l’argument rationnel, si l’on applique à De Quincey lui-même son jugement à l’encontre de Kant (affirmant que le philosophe estimait malgré lui la Chrétienté qu’il essayait par ailleurs de discréditer) :
[…] let a man persuade himself that he has reasons for despising in one view what forces his homage in another, and a struggle will inevitably take place between the two opposite impulses, such as will always terminate in a lively state of anger and irritation27.
Kant est accusé d’athéisme parce qu’il n’y a pas de place dans sa philosophie pour l’émotion, l’intuition, pour tout ce qui est de l’ordre de la foi et de la révélation, et qui pour De Quincey est indissociable de l’expérience du sublime et du sentiment religieux. Il regrette d’ailleurs que Kant n’ait pas été un mystique : « Kant – the unrelenting and almost persecuting enemy of mysticism […] Would to God, he had been a mystic28! ».
12Ces sentiments ambivalents sont particulièrement propices à l’ironie et à la parodie. Selon Joel Black, « De Quincey poussa le concept kantien du sublime naturel à sa conclusion “logique29” ». Selon Kant, le jugement esthétique, ou « jugement de goût », se doit d’être purement désintéressé, c’est-à-dire détaché de toute finalité, y compris morale : le jugement esthétique du Beau se trouve alors détaché des considérations morales. Quant au Sublime, il est d’autant plus sublime qu’il fait violence à l’imagination confrontée à un spectacle horrible. L’un comme l’autre sont purement subjectifs, et ne dépendent donc aucunement de la nature de l’objet contemplé. Dans ces conditions, le meurtre n’est-il pas susceptible de devenir esthétique ?
13De plus, le « Postscript » contient une critique explicite de Kant. De Quincey y dénonce un paradoxe de la morale kantienne, qui pousse ses « exigences de vérité inconditionnelle » (« demands of unconditional veracity ») de façon si « extravagante » qu’on se doit de révéler à un meurtrier l’endroit où se cache sa victime : « aiding and abetting him by pointing out his victim’s hiding place, as a great moralist of Germany declared it to be every good man’s duty to do30. ». Il s’agit d’une des anecdotes préférées de De Quincey, qui la mentionne plusieurs fois. Un homme vertueux sera complice d’un meurtre : « l’extravagance » kantienne fait écho à « l’extravagance » revendiquée des articles sur le meurtre, et à l’hypocrisie du conférencier, qui proclame haut et fort sa moralité impeccable, et prêche contre le meurtre tout en admirant ses effets esthétiques.
14Dans le même sens, Lindop souligne la parution simultanée du premier article « On Murder » et de « Last Days of Immanuel Kant », consacré à la dégradation du philosophe à la fin de sa vie, dans le même numéro de Blackwood’s Magazine et sous des pseudonymes transparents : « X.Y.Z. » et « Le Mangeur d’opium anglais31 ». De Quincey aurait sélectionné, en traduisant la biographie naïve d’un proche de Kant, les anecdotes qui mettent le plus en avant les « petites manies séniles » du vieux philosophe, récupérant volontairement un effet « burlesque » involontaire dans le texte original32.
15Le rapprochement entre l’esthétique kantienne et le postulat du meurtre esthétique est très convaincant. Pourtant, l’esthétique kantienne n’est présente que de façon très superficielle, en creux ; elle constitue une source incontournable des articles, mais n’en est jamais l’objet, si bien que la parodie suggérée devient presque une illusion d’optique.
16Tout d’abord, la parodie peut sembler un peu trop discrète. Le texte ne fait jamais apparaître clairement d’intention parodique : pas de clin d’œil appuyé, pas de doigt pointé vers le système kantien. Sans marqueurs linguistiques, l’ironie devient invisible, et accessible uniquement aux lecteurs bien informés et attentifs. Or, à cette époque, en Grande-Bretagne, une ironie subtile devrait surmonter l’indéniable obscurité de Kant, et plus globalement de la philosophie et la littérature allemandes33. C’est particulièrement vrai au moment du premier article, mais même à la publication du « Postscript » les Britanniques ne savaient presque rien de Kant, si ce n’est qu’il avait la réputation d’être un philosophe abscons. L’ouvrage de Kant le plus lu par les contemporains de De Quincey était Vers la Paix Perpétuelle, qui ne porte pas sur l’esthétique. De Quincey lui-même deplore cette obscurité :
[…] the works of Kant are not regarded with the same interest which has gathered about his name; and this may be attributed to three causes – first, to the language in which they are written; secondly, to the supposed obscurity of the philosophy which they teach, whether intrinsic or due to Kant’s particular mode of expounding it; thirdly, to the unpopularity of all speculative philosophy34.
Par ailleurs, tout au long de sa carrière, De Quincey a répété que Kant avait les plus grandes difficultés à exprimer sa pensée de façon claire et simple, ce qui rendait ses écrits particulièrement obscurs. L’influence de Kant peut donc sembler évidente à présent, mais elle ne l’était pas pour les contemporains de De Quincey ; elle a d’ailleurs longtemps échappé à la critique.
17Dans un tel contexte, une allusion non explicitée n’est plus une parodie mais une plaisanterie entre initiés (private joke), dont un des rares bénéficiaires serait Coleridge, qui déclarait dans Biographia Literaria que l’œuvre de Kant l’avait « saisi comme la main d’un géant35. ». On rejoint la sphère privée des familiers de Grasmere. Cette interprétation semble une motivation insuffisante pour rédiger plus de quelques lignes, et plus encore pour trois textes si éloignés les uns des autres dans le temps. D’une part, De Quincey craint de ne pas être compris par ses lecteurs : de plus en plus, fort de son rôle de critique pédagogue, il traduit ses citations et explicite ses références. Il prend la peine d’informer le lecteur sur la morale kantienne : s’il avait voulu discréditer le jugement de goût, n’aurait-il pas accompagné ses propos d’une explication similaire ?
18D’autre part, si parodie il y a, elle est d’une discrétion inégalée dans le reste de son œuvre (hors remarque ponctuelle susceptible d’échapper à l’attention du lecteur) : s’il reconnaît les vertus d’une telle discrétion, il ne l’applique pas pour autant. Ainsi, dans « Sketch From Childhood », De Quincey cite ce principe de Cicéron : pour dénoncer les propos de nos ennemis, il suffit d’en faire une citation judicieusement choisie (de leur propre bouche seras-tu condamné). Dans ce cas précis, cependant, la citation de Cicéron vient souligner l’incongruité des propos dénoncés : « “he has met with some who have acknowledged the fact of their having come from the dead” – habes confidentem rem36 ». Elle constitue en elle-même un commentaire, ou un clin d’œil appuyé au lecteur. Quand De Quincey a souhaité alléger son texte (repris dans ses œuvres complètes), il s’est contenté de déplacer la citation latine en note de bas de page. On peut faire le même constat dans sa critique du « Wilhelm Meister » de Goethe. De Quincey commence par décliner le rôle du censeur pour celui de l’ironiste effacé :
To be an eidoloclast is not a pleasant office, because an invidious one. Whenever that can be effected therefore, it is prudent to decline the odium of such an office upon the idol himself. Let the object of the false worship always, if possible, be made his own eidoloclast.
19Il annonce donc une critique purement objective pour que le lecteur se fasse seul sa propre opinion : « the very passages of Goethe, will be their own sufficient review and Mr Goethe’s best exposure37 ». En réalité, De Quincey pourrait difficilement être plus explicite ou plus direct : « We on our part are no less ready to take our stand on this as the most unequivocal evidence of depraved taste and defective sensibility38 ». Ses commentaires comportent tous les marqueurs de l'ironie la plus évidente, le sarcasme (ponctuation, contradictions, emphase exagérée ou décalée) : « most philanthropic Philina – thou lover of all mankind39 ! ». Si bien qu’il semble vraiment de mauvaise foi quand il minimise encore sa propre intervention :
Thus we have made Mr von Goethe’s novel speak for itself. And, whatever impression it may leave on the reader’s mind, let it be charged upon the composer. […] we have but arranged the concert, and led in the orchestra40.
Quand De Quincey se moque de Kant dans « Kant in his Miscellaneous Essays », c’est dans le même style outré qui ne laisse aucun doute sur ses intentions : « Forth stalks a transcendental pedant […] poor Mr Kant », « speculating in a transcendental closet41 ». De Quincey se refuse obstinément à laisser le lecteur juger par lui-même, et fournit quatre longues notes explicatives qui s’étendent sur deux pages, après avoir annoncé présenter au lecteur le texte brut : « I […] shall give the whole of what he says, without bestowing one syllable of reply upon it42 ». Il semble donc très improbable que De Quincey ait pu faire une parodie de l’esthétique kantienne, à trois reprises, tout au long de trois articles distincts, sans la désigner clairement à un moment ou un autre.
20De fait, dans tous ses textes, De Quincey désigne toujours la victime de ses attaques, soit en la nommant directement, soit par le biais d’une citation reconnaissable, même quand elle n’est pas identifiée comme telle par des guillemets. Les seules occurrences ironiques qui ne fassent pas l’objet d’un commentaire direct systématique concernent les exploits de son frère William dans Sketch From Childhood), mais le commentaire est rendu explicite par le contexte, que ce soit par l’ironie des autres personnages, ou par le recul humoristique du narrateur adulte sur ces frasques enfantines.
21Il en va de même pour « The Last Days of Immanuel Kant ». Ce texte est considéré comme ironique, unanimement semble-t-il, parce que la décrépitude d’un vieil homme y contraste fortement avec son génie intellectuel passé. Le contraste, cependant, ne suffit pas à établir un ton ironique : si De Quincey rit intérieurement, rien dans l’article ne permet de l’affirmer avec certitude, car il se contente de traduire. S’il donne des détails un peu trop précis sur le corps malade et diminué de Kant, il faut se rappeler que De Quincey ne craint pas pour lui-même de donner des détails sur son estomac43. Il semble plutôt s’identifier au patient, à qui il recommande l’opium : « For Kant’s particular complaint, as described by other biographers, a quarter of grain of opium, every 12 hours, would have been the best remedy, perhaps a perfect remedy44 ». Il est à cet égard très significatif que les deux maux principaux qui affligent Kant concernent son estomac et sa tête ; deux parties du corps dont De Quincey lui-même a souffert, et qui ont dans son œuvre une portée très symbolique : ses maux d’estomac seraient à l’origine de sa dépendance à l’opium, tandis que les maux de tête trouvent toujours un écho, même lointain, avec le traumatisme de la mort de sa sœur par hydrocéphalie ; De Quincey raconte avoir éprouvé dans son enfance « une peur panique » à l’idée de toute maladie affectant sa propre tête. Enfin, Kant a souffert de terribles cauchemars, qui ne peuvent qu’évoquer ceux du Mangeur d’Opium ; comme chez De Quincey, les cauchemars semblent liés aux maux d’estomac, et constituent une forme de « persécution » :
The morbid affection of the stomach began now to be more and more distressing […] His dreadful dreams became continually more appalling: single scenes, or passages in these dreams, were sufficient to compose the whole course of mighty tragedies, the impression from which was so profound as to stretch far into his waking hours45.
Il adoucit même en certains points le portrait de Wasianski : « This last feature of his temperament is here expressed much too harshly46. ». Bien entendu, le portrait de Kant glissant dans la sénilité peut sembler ridicule ; sans doute, De Quincey pourrait décrire ainsi le vieux couple de Gallois dont il a fui l’austérité peu amène lors de ses pérégrinations au Pays de Galles. Mais parce qu’il se rapporte à un grand homme, ce portrait rappelle son analyse de la mort de Falstaff :
Why must we laugh? Because we find a grotesque assembly of noble and ignoble qualities. Very well; but why then must we weep? Because this assemblage is found actually existing in an eminent man of genius47.
Dans ce mélange de comique et de pathos, c’est ce dernier qui prédomine : si les derniers jours de Kant peuvent paraître grotesques, ils peuvent aussi être ressentis comme poignants ; et d’autant plus poignants que l’ancien génie devient un vieillard sénile et capricieux. Le ressenti des contemporains de De Quincey va d’ailleurs dans ce sens : « ces “Derniers jours de Kant”, comme ils sont émouvants, et de bout en bout, dans chaque ligne et chaque pensée […] on sent toujours à quel point [De Quincey] est de bout en bout un complet gentleman ainsi qu’un grand écrivain »48. De Quincey lui-même parle du texte sur la fin de vie de Kant comme propice à susciter le respect :
A good deal therefore remains to be done (or rather I should say – everything is yet to be done) for Kant’s philosophy by delivering it in English words and in an intelligible form. But, as a still better way of preparing the nation to study Kant, by forcing them to respect him, I wish that you could see reason for offering me a reasonable consideration for a volume of “Essays Miscellaneous and Philosophical by Imman. Kant. With an Introduction and copious Notes”. An account of his Life, especially of his latter life when he had partially outlived his intellectual faculties, which I once digested from a number of German authorities, and which Mr Blackwood (who published it) did not like, but which many others did, might be prefixed with propriety49.
La perspective du déclin des grands auteurs romantiques, sombrant dans la stérilité ou la folie, renforce la pertinence d’une lecture pathétique de « Last Days of Immanuel Kant ». Le déclin d’un homme de génie, ou simplement de grand talent, est une tragédie. De Quincey aime les tragédies, et la dissolution d’un grand homme correspond à son goût pour les mélanges de pathos et de grandeur. Rappelons sa critique acerbe contre « les hurlements de joie vulgaire » de Johnson se moquant de Milton :
I therefore, on my part, call on the reader to observe that in Dr Johnson’s opinion, if a great man, the glory of his race, should happen through human frailty to suffer a momentary eclipse of his grandeur, the proper and becoming utterance of our impressions as to such a collapse would not be by silence and sadness, but by vulgar yells of merriment50.
Même chez le gens ordinaires, l’infirmité humaine n’est pas un sujet qui prête à rire pour De Quincey : l’histoire des deux sœurs idiotes de son enfance ne lui inspire qu’un peu d’autodérision et beaucoup de pitié pour ces « enfants parias »51.
22Il paraît enfin peu vraisemblable que De Quincey ait tenté de ridiculiser, et donc de discréditer, l’auteur dont il a toujours recommandé la lecture, au moment même où il en fait le plus activement la promotion dans « Letters to a Young Man Whose Education Has Been Neglected », et où il en propose à son éditeur plusieurs traductions, dont trois seraient publiées en 1824 : « Kant on National Character, in relation to the Sense of the Sublime and Beautiful », « Abstract of Swedenborgianism by Immanuel Kant », « Idea of a Universal History on Cosmo-Political Plan, by Immanuel Kant ». La troisième de ces traductions est évoquée dans la lettre à Fraser comme propre à susciter un sentiment de révérence envers Kant : « it was this paper which first impressed that gentleman, who hates all Metaphysics and all Metaphysicians, with feelings of reverence for Kant52 » ; avec pour objectif d’en faire, grâce à une sélection de textes judicieuse, un auteur « populaire » (« popular work »).
23Au-delà de l’intention de l’auteur, toujours douteuse, l’esthétique des articles met-elle vraiment en œuvre l’esthétique kantienne ? La notion de crime « désintéressé » est souvent citée comme fournissant la clé d’une parodie kantienne : « a murder of pure voluptuousness, entirely disinterested53. ». Mais aucun des meurtres commis n’est vraiment gratuit dans « On Murder » : l’argent est le seul mobile. Dans le « Postscript », le « désintéressement » de Williams est en réalité une monstrueuse soif de sang, et le seul meurtre ne rapportant rien, celui d’un nourrisson, ne se prête pas à des considérations esthétiques, mais au contraire à une condamnation de la « boucherie inutile » (« useless butchery of the infant54. »). En ce qui concerne les esthètes, ils expriment leur admiration de loin, sans être capables d’agir eux-mêmes. La démarche de De Quincey va finalement à l’encontre de celle de Kant :
Kant partait du principe d’une continuité entre l’éthique et l’esthétique humaines – même dans le cas du sublime, qui en révélant les insuffisances de la faculté d’imaginer, faisait prendre conscience de sa provenance morale “supérieure” – De Quincey tirait une opposition radicale […] entre le monde de l’action éthique et le monde de l’expérience esthétique, entre le domaine terne de la réalité quotidienne et un royaume supérieur d’intuition intensifiée55.
24Le sublime nous révèle à la fois notre finitude et la nature divine de notre esprit. De plus, le jugement de goût est libre, mais non arbitraire : par son fonctionnement il est à l’image de la raison. Le goût est donc régulé par la raison, même s’il n’aboutit pas à un jugement de goût objectif. Ainsi, ni le jugement de goût ni le sublime selon Kant ne sont amoraux, au contraire. De Quincey, à qui de nombreux critiques ont reproché de n’avoir pas vraiment compris la philosophie de Kant (ce qu’il reprochait, pour sa part, à tous les autres critiques) ne pouvait cependant ignorer cet aspect, puisque l’idée apparaît dans une traduction : « Kant on National Character, in Relation to the Sense of the Beautiful », en 1824. Dans ce texte, l’esthétique kantienne trouve de nombreux échos avec les théories de Wordsworth : elle est notamment critique du gothique et admirative de la nature (« the romantic or barbaresque taste […] distorts nature itself, which is the universal prototype of the noble and the beautiful », « a peculiar form of corrupt taste which is styled the Gothic »), et le rôle de l’art est de régénérer la morale : « so as to raise betimes the moral sensibilities […] to efficient and operative feelings56 ».
25Kant y aborde la sensibilité des nations au Beau et au sublime sous l’angle de la morale :
The national mind is in any case best expounded by the direction of its moral feelings: I shall therefore next consider the feelings of different nations in relation to the Sublime and Beautiful from this point of view57.
D’ailleurs le texte ne parle pas d’art, mais dresse un portrait moral des nations européennes. Le goût est finalement une des expressions de la morale, c’est-à-dire des qualités et défauts prédominants dans chaque nation, et aboutit au « décorum » : « taste does not easily degenerate on one side without giving clear indications of corruption in every thing else that is connected with the finer feelings58 ». Kant vante la sagesse anglaise et décrit la sensibilité anglaise comme prédisposée à apprécier et produire le sublime, la noblesse, et la « profondeur » de l’épopée et de la tragédie ; toutes considérations auxquelles De Quincey ne trouve évidemment rien à redire. Ce même texte dénonce enfin « l’homme frivole et vain » dont le portrait pourrait s’appliquer parfaitement au conférencier désinvolte de « On Murder » :
Finally, the vain and frivolous man is always without any powerful feeling for the Sublime: his religion therefore is unimpassioned and generally an affair of fashion which he goes through with the utmost good-breeding and entire cold-heartedness59.
D’ailleurs, loin de chercher une caution dans la philosophie kantienne, le conférencier prend soin de se distinguer des excès de morale ou de vertu qui rendaient Kant complice du meurtrier, pour maintenir le plus complet détachement. Si Kant était la cible principale des articles, ne serait-il pas au contraire cité avec une admiration exagérée ? Pour finir, Frederick Burwick voit dans « Kant on National Character, in Relation to the Sense of the Beautiful » une dénonciation implicite de Kant, parce que les derniers paragraphes accumulent des clichés racistes60 : mais il suffit de relire le portrait du Malais dans les Confessions pour se rappeler qu’en la matière, De Quincey partageait les préjugés de son époque.
26Mettre en avant une parodie qui discrédite la philosophie kantienne, c’est aussi affirmer que De Quincey parle de meurtre pour parler d’autre chose, et donc escamoter le thème principal. Tout au long de sa carrière, son œuvre témoigne d’une fascination pour le meurtre qui ne cesse de surprendre ses biographes, au vu de sa personnalité et de son horreur de toute violence61. Dans son premier emploi comme éditeur de 1818 à 1820, De Quincey donnait même tellement d’importance aux affaires criminelles, qu’il était régulièrement contraint de repousser la parution d’autres articles, pour lesquelles il n’y avait plus de place dans le numéro en cours ; les affaires choisies étaient souvent particulièrement « mystérieuses et révoltantes62 ». De Quincey n’a jamais envisagé sérieusement d’écrire les Confessions d’un meurtrier, mais le postulat de « On Murder » qui apparaît dans une lettre à son éditeur du 19 novembre 1823 est la première d’une longue série d’allusions au meurtre esthétique dans les articles les plus divers : quatorze occurrences distinctes, sur une période de trente ans (1823-1854)63. Les articles dénoncent aussi le déni et l’hypocrisie qui accompagnent « la curiosité morbide » de pulsions voyeuristes universelles64. Derrière la fantaisie et l’absurdité de « On Murder », se dessinent des sentiments ambivalents. Plus que jamais, l’ironie et l’humour servent un art de la séduction, de la persuasion, et de l’ambiguïté, pour dissimuler, et peut-être se dissimuler à soi-même, un malaise profond.
L’opposition entre les deux articles et le « Postscript »
27De Quincey est un auteur notoirement dilettante, digressif, et qui n’a jamais fait de traitement systématique de son sujet en dehors de son petit traité d’économie en hommage à Ricardo (« Logic of Political Economy »). Pourtant il est parvenu à convaincre la critique dans son ensemble de « traiter ses textes comme un système », parce que ses textes parviennent à nous mettre « dans une position de complicité65 ». Dans les domaines les plus divers (philosophie, orientalisme, religion, politique), de plus en plus de voix s’élèvent pour critiquer le monolithisme de l’ensemble de la critique et la mettre en garde contre son propre désir de cohérence : « De Quincey est un manipulateur assidu et intelligent de ses propres textes » qui dissimule habilement ses propres contradictions66.
28L’étude de la trilogie « On Murder » a par ailleurs été biaisée par l’édition Masson, trop longtemps seule référence, qui publie le tout comme un seul et même article. Les critiques qui se sont penchés sur ces trois textes les ont donc étudiés comme une continuité, parlant de « l’article sur le meurtre » comme s’il n’y en avait qu’un, alors que leurs analyses portent principalement (parfois même exclusivement) sur le « Postscript », ce qui les amène à des conclusions qui ne sont valides que partiellement. Même Lindop, évoquant la modernité des trois articles et leur caractère novateur en tant que « point de départ d’une fascination [populaire] ambivalente pour le meurtre en série67 », donne un argument qui vaut surtout pour le « Postscript » (qui raconte en détail le massacre de deux familles par le même meurtrier). Les deux premiers articles expriment certainement la « fascination » qu’éprouve De Quincey, mais ils n’abordent que des meurtres isolés.
29Il existe une série de contrastes significatifs entre d’un côté les deux articles, de l’autre le « Postscript ». Le plus évident concerne la tonalité et le traitement narratif. Les deux premiers articles sont humoristiques de bout en bout, et le caractère fictif et fantaisiste de tout ce qui est dit, y compris le détournement de faits historiques et biographiques, ne fait aucun doute. Le thème macabre est traité sur le mode du burlesque, sans jamais donner de détails dérangeants ou sanglants, ce qui est cohérent avec la distanciation constante. Dans le « Postscript » en revanche, De Quincey abandonne très vite la légèreté pour l’horreur et le suspense, créant une atmosphère cauchemardesque ; il fait un récit factuel très détaillé de trois meurtres, correspondant à trois faits réels, tout en cherchant à captiver le lecteur. Dans le même temps, De Quincey passe d’un corpus éclaté et digressif à un corpus beaucoup plus unifié. Passées les premières pages, le « Postscript » se concentre sur le récit de l’affaire Williams, dont l’affaire McKeans n’est finalement que le prolongement ou le contrepoint ; alors que les deux articles sont harmonisés superficiellement par la tonalité humoristique et passent d’une idée à une autre, d’une parodie à une autre, les thèmes s’enchaînant au fil de la plume. L’affaire Williams est mentionnée dans les deux premiers articles comme une sorte de fil conducteur, mais en réalité son lien avec eux est assez ténu et allusif. Dans le premier article, l’affaire n’occupe qu’un paragraphe, dans lequel De Quincey ne parle pas des meurtres eux-mêmes, mais seulement du déroulement de l’enquête. Le narrateur refuse ensuite d’aborder l’affaire, au prétexte que les notes de la conférence ont été perdues. La mention de Williams comme l’artiste par excellence tient donc surtout du name-dropping provocateur ; d’autant plus que le meurtre esthétique des articles est entièrement théorique. De Quincey se contente de déplacer le thème du meurtre dans le contexte d’une conférence érudite par un critique d’art, et file la métaphore. Il énonce ensuite des considérations abstraites sur la forme des arts picturaux, et des principes tout aussi généraux sur la nature de l’art. L’esthétique du meurtre repose donc ici exclusivement sur un déplacement rhétorique et le goût de la provocation.
30En revanche, le récit des meurtres présentés dans le « Postscript » répond indéniablement à des exigences artistiques. On serait tenté de dire que De Quincey met en pratique sa théorie, mais l’esthétique du « Postscript » est bien différente de ce qui précède. Alors que les articles s’intéressent surtout aux arts picturaux, le « Postscript » prend modèle sur le théâtre : « dramatic features of thrilling interest », « the bloody drama », « again rise the curtain », « the gathering spectators of this piteous tragedy68 ». Il n’est plus question de qualités plastiques, mais de mise en scène et d’effets de surprise. Il est significatif que la première allusion à l’affaire Williams et à l’idée de meurtre esthétique à avoir été publiée soit apparue dans une lecture critique de Macbeth ; De Quincey fait d’ailleurs référence à la pièce dans le « Postscript » : « something of the same freezing effect as belongs to the two assassins in “Macbeth69” ».
31À cette division pictural / verbal se superpose la dualité entre le Beau et le Sublime : les articles utilisent le lexique consacré au Beau (fine, picturesque, connoisseur, amateur, [good] taste, merit, luxury, beautiful, delighted, improvement, talent, etc.), tandis que le sublime est réservé au récit de l’affaire Williams ; d’un côté, le détachement de l’esthète, de l’autre, l’emprise d’un récit haletant.
32La cohérence des trois articles n’est pas à chercher dans une continuité, mais bien dans une mise en opposition des deux articles et du « Postscript ». On peut même dire que l’un contredit les autres : après avoir tourné en ridicule l’association entre meurtre et esthétique, De Quincey sublime les actes du meurtrier par une fiction haletante. Ainsi le « Postscript » démontre par son existence même la théorie scandaleuse que les essais burlesques se contentent d’énoncer : le meurtre peut réellement faire l’objet d’un regard esthétique. Le « Postscript » est d’ailleurs considéré comme l’un des meilleurs textes de De Quincey pour sa qualité littéraire. Si le « Postscript » démontre réellement ce qui semblait n’être qu’une posture absurde, il ne semble pas excessif d’en conclure que le « Postscript » prend au sérieux l’alliance problématique entre meurtre et esthétique.
33L’esthétique résulte du seul récit de l’affaire Williams, alors dans les deux premiers articles, ce n’était qu’un mot vidé de sa substance, un jeu rhétorique. Le premier article s’achève avec deux citations : l’une est extraite de The Pleasure of Imagination, ce qui suggère que tout l’article est une célébration de l’imagination fantasque ; l’autre nous oriente vers une satire, mais comme nous l’avons vu, c’est pour mieux disqualifier le conférencier dont elle souligne la grandiloquence et le ridicule. Ici comme dans les commentaires du « Postscript », De Quincey nous encourage à ne voir dans les deux articles qu’un divertissement. Cette stratégie peut sembler trop superficielle : « si la plaisanterie avait reposé sur la seule incongruité de considérer le meurtre comme une forme d’art, elle se serait rapidement épuisée70 ». Or c’est précisément ce qui se passe dans les deux articles : De Quincey épuise rapidement son matériau, et peine à se renouveler. Lui qui aime développer et disséquer le moindre détail, passe ici rapidement d’une idée à une autre. En fin de compte, il atteint vingt-et-une pages dans l’article original grâce à une longue digression (six pages et demie) sur les philosophes paranoïaques, et seulement onze pages pour le deuxième. Il vaut la peine de mentionner qu’une première suite à « On Murder » a été rejetée par l’éditeur Blackwood71. Le « Postscript », ajouté comme une arrière-pensée, est finalement plus long que les deux articles réunis, avec trente-huit pages.
34Le simple fait que les analyses critiques portent très largement sur le « Postscript » confirme que ce dernier est bien plus riche que les articles. C’est également le seul des trois textes dont le thème principal est le meurtre, traité pour lui-même, et non comme prétexte à parodier autre chose. Il n’est pas innocent non plus que le « Postscript » soit un écrit de fin de vie : avec le récit de l’affaire Williams, De Quincey cherche à exprimer quelque chose qui est resté dans le non-dit pendant presque toute sa carrière : et même alors, il ne s’exprime pas clairement et directement, mais dans l’ambivalence et la confusion. La lecture du « Postscript » modifie rétrospectivement notre réaction aux deux premiers articles ; à l’inverse, la connaissance des articles contamine nos impressions sur le « Postscript » ; et cette confusion est largement induite par le texte. Le récit final explicite la référence à Williams dans les deux premiers articles ; il est précédé d’un rappel substantiel de ces articles ; le ton et le vocabulaire parodiques font enfin irruption dans une scène pleine de suspense. Les choix narratifs de De Quincey aboutissent à un brouillage du texte, et défient le lecteur : oserons-nous une lecture au premier degré ? La question est de décider si l’humour du « Postscript » existe par écho, parce que le lecteur se souvient de ce qui précède, ou si De Quincey réendosse le rôle de l’humoriste – comme il le fait indéniablement, explicitement, au cœur du récit des meurtres. L’ambivalence semble notre seule certitude : « une exploitation délibérée, joyeuse, d’une incongruité qui reste finalement ambiguë72 ».
35Mêlant un discours léger et un discours sérieux, le « Postscript » juxtapose des passages qui, à l’évidence, sont à prendre au premier degré, avec des affirmations fantaisistes ou provocatrices. Les premières pages, censées articuler le traitement burlesque et l’affaire Williams, sont particulièrement ambigües. La référence à l’essai de Swift, « A Modest Proposal », est en fait une réponse à une note éditoriale ajoutée au premier article qui en dissipait l’ambiguïté73. Après l’avoir supprimée de la réédition de Selections Grave and Gay, De Quincey récupère la note pour réintroduire l’ambiguïté dans son texte, au moyen d’un raisonnement contradictoire :
- La plaisanterie de Swift est excellente parce que personne ne peut croire à son postulat (manger les enfants pour éradiquer la pauvreté en Irlande)
- Celle de De Quincey est meilleure parce que tout le monde peut croire à son postulat (la possibilité d’un regard esthétique sur le meurtre) :
Nobody can pretend, for a moment, on behalf of the Dean, that there is any ordinary and natural tendency in human thoughts, which could ever turn to infants as articles of diet […] But, on the other hand, the tendency to a critical or aesthetic valuation of fires and murders is universal […] I, therefore, for my extravagance, claim an inevitable and perpetual ground in the spontaneous tendencies of the human mind when left to itself. But no one will pretend that any corresponding plea can be advanced on behalf of Swift74.
36Par la suite, tout ce que De Quincey affirme est contaminé par un ton instable, car il est impossible de fixer un sens définitif. L’introduction s’annonce comme une justification sérieuse des articles, une explicitation du point de vue de l’auteur ; cependant les arguments sont exactement les mêmes que dans les articles humoristiques. De Quincey développe la même comparaison avec l’appréciation d’un incendie, changeant simplement de ton. La déception des esthètes devant l’incendie imaginaire d’un fabriquant de pianos, fait place à l’admiration fascinée des londoniens devant l’incendie du théâtre de Drury Lane, dont De Quincey a lui-même été témoin: il en fait le récit détaillé dans une lettre aux Wordsworth datée du 5 au 7 mars 1809, dans laquelle son appréciation purement esthétique du spectacle ne fait aucun doute : « a very fine spectacle […] [the fire] had a very sublime effect – seeming to be literally up in the clouds and carousing and exulting over the whole desolation75 ». Quant à la destruction du théâtre, De Quincey n’a pas un mot pour la déplorer. L’argument sur l’esthétique des incendies peut donc parfaitement être pris au pied de la lettre. Plus loin, la référence à Coleridge passe de même du comique au sérieux : De Quincey supprime une parodie de Socrate entouré de ses disciples (« we were all imbibing a dissertation on Plotinus from the attic lips of S.T.C.76. »), pour rapporter les réflexions de Coleridge sur la puissance que le meurtrier s’approprie en s’affranchissant des contraintes de la morale.
37De Quincey souffle le chaud et le froid, en alternant interprétations fantaisistes et faits réels, et en nous incitant à lire les trois textes dans une continuité. D’un côté, il n’est pas question de dire que le meurtre est beau, encore moins que le meurtrier est admirable ; d’un autre côté, la violence des sentiments suscités chez le lecteur rend le meurtre esthétiquement intéressant, en le rapprochant de l’expérience du sublime. Le premier texte évoque les textes des plus grands poètes : Milton, Chaucer, Shakespeare, etc. Sans le formuler explicitement, De Quincey soulève ce dilemme : comment justifier que la représentation du meurtre puisse être esthétique, sans prêter à l’acte lui-même une caution esthétique ?
38À travers l’affirmation caricaturale du citoyen vertueux (« barely to be a spectator involves us in one common guilt with the perpetrator77. »), s’exprime à mots couverts l’idée que l’artiste est un intermédiaire entre le meurtrier et le public, et que (au-delà de l’encouragement de pulsions voyeuristes et du goût du sensationnel) l’artiste donne au meurtrier un statut, sinon héroïque, en tout cas esthétique. Le meurtre esthétique pose donc la question de la légitimité de l’œuvre d’art et de l’artiste, qui saisit le potentiel esthétique dans le fait réel, ainsi que De Quincey lui-même l’a fait en rapprochant Macbeth de l’affaire Williams : si le meurtre peut être le sujet d’une œuvre d’art, c’est qu’il est susceptible d’un regard artistique78.
39La narration dramatique dans le « Postscript » vient désavouer l’innocence apparente de l’humoriste. Les échos humoristiques permettent à De Quincey de glisser dans un récit qui, de fait, sublime le meurtre et le meurtrier, sans que ses choix esthétiques puissent être mis en cause. Graduellement le lecteur est pris par le récit, et, comme dans l’expérience du sublime décrite par Burke, la fascination exercée sur le lecteur le rend incapable de raisonner, et donc de condamner : « L’esprit est si complètement absorbé de son objet, qu’il ne peut en contempler aucun autre, ni, par conséquent, raisonner sur l’objet qui l’emploie79. ». Le risque est de substituer à la condamnation morale une pulsion voyeuriste, mais De Quincey ne fait jamais de descriptions crues, et il n’est plus question de choquer à ce moment du récit. Au contraire, le lecteur ou spectateur doit éprouver de la fascination pour le meurtrier, et même de l’empathie : « [the poet] must throw the interest on the murderer: our sympathy must be with him80. ». Ainsi le public fera la rencontre du sublime dans des scènes non seulement de terreur mais d’horreur : un sublime cauchemardesque, comme celui des visions d’opium.
40De Quincey lui-même est au cœur du problème. L’humour et l’ironie des articles sur le meurtre sont le symptôme, à l’instar d’autres articles, de sentiments profondément ambivalents sur soi, et particulièrement en tant qu’auteur. Les articles sur le meurtre esthétique contiennent d’ailleurs une bonne dose d’autodérision, et quelques références autobiographiques. Ainsi, le classement par ordre d’importance des crimes part du meurtre et aboutit à la procrastination :
For, if once a man indulges himself in murder, very soon he comes to think little of robbing; and from robbing he comes next to drinking and Sabbath-breaking, and from that to incivility and procrastination81.
De Quincey exprime une préoccupation réelle derrière le raisonnement par l’absurde : la procrastination, pour laquelle il était célèbre, constitue à ses yeux une faute impardonnable, et certainement, un crime contre lui-même et contre la famille à sa charge. L’extravagance affichée permet d’exprimer de façon détournée sa culpabilité tout en la désamorçant.
41Dans les articles, le détachement de l’esthète n’est pas seulement moral, il est aussi émotionnel. Or, le « jugement de goût » kantien ne détache pas l’esthétique de la morale, mais de la sensation et de l’émotion. Pour Kant, tout jugement authentique, qu’il soit esthétique ou moral, doit être déterminé a priori, indépendamment de l’expérience sensible, et repose donc sur la raison. L’esprit juge de la même façon de la validité d’un théorème mathématique ou de la beauté d’un tableau. Pour De Quincey, au contraire, en matière de goût la raison doit suivre les sentiments, comme dans l’analyse de la scène dans Macbeth : « my understanding said positively that it could not produce any effect. But I knew better: I felt that it did82. ». Si parodie de Kant il y a, elle ne disqualifie pas l’amoralité de son esthétique, mais la prépondérance de la raison sur les sentiments83.
42Si l’on essayait d’apprécier l’art dans un complet détachement, il ne serait plus possible de distinguer le grotesque du sublime. Une approche qui se passerait de l’émotion est vouée à la stérilité et au ridicule, et « On Murder » en est une parfaite démonstration. Les « amateurs » sont grandiloquents, incompétents et impuissants, à commencer par le conférencier : pédant et vaniteux, il se couvre de ridicule en se vantant d’avoir assassiné un chat – déplorant par surcroît que ses intentions esthétiques louables aient été détournées en meurtre patriotique quelconque. Ses collègues ne valent pas mieux. Le meurtre d’un boulanger se transforme en match de boxe burlesque, pendant lequel l’amateur, totalement incompétent, manque de se faire lui-même assassiner ; et dans le deuxième article, les esthètes raffinés se révèlent être une bande de potaches totalement ivres et incontrôlables. Ils sont aussi et surtout incapables d’une appréciation esthétique authentique. La dégénérescence de leur sensibilité se manifeste par cette même quête perpétuelle de stimulation violente que critiquait Wordsworth, à travers les excès d’alcool et l’évocation de meurtres de plus en plus spectaculaires, et la démence leur tient lieu d’inspiration : « in a rapture of creative art […] went mad upon the spot […] in consequence of which he was put into a strait waistcoat84. ». En fait, ils sont en quête d’émotion sans le savoir : plus ils sont détachés, et plus ils recherchent ce qui peut briser leur détachement, comme les amateurs de romans gothiques en quête de sensations.
43Contrairement à la critique de l’esthétique, cette parodie est rendue visible dans le texte par des signes explicites de moquerie. Kant est tourné en ridicule à travers la caricature d’un homme desséché, physiquement et moralement : « an old, arid and adust metaphysician; […] the man could not possibly look more like a mummy when dead, then he had done alive85. ». Et quand il affirme que l’obligation de dire la vérité l’obligerait à livrer à un meurtrier sa victime, quand bien même elle ferait partie de sa famille, sa morale est viciée par son manque de cœur. L’affection a sa propre morale et ses droits légitimes.
44Avec le « Postscript », l’émotion reprend ses droits. Le sublime est l’antithèse du détachement : il saisit le spectateur, l’emporte, le possède. L’absence d’émotion des esthètes trouve son pendant dans l’excès d’émotion du narrateur, du lecteur, et des personnages du récit ; et grâce à l’émotion, le meurtre devient esthétique. Le meurtre esthétique est possible, non pas à cause de Kant, mais précisément parce qu’il a tort ; d’ailleurs le sublime était très problématique pour le philosophe, et l’a obligé à réintroduire l’émotion à travers l’idée de violence faite à l’imagination. Le détachement émotionnel met en échec le jugement de goût kantien, mais son appréciation du sublime s’accorde parfaitement à celui du « Postscript » car le sublime kantien et le sublime romantique ont la même source : les théories d’Edmund Burke.
45Le détachement émotionnel qui disqualifie le jugement de goût kantien est incompatible avec le récit du « Postscript », qui réintroduit à la fois l’émotion et un regard esthétique sur une affaire de meurtre. Mais la parodie de Kant se fait principalement en creux, comme dans le refus de se confronter à l’esthétique kantienne, en réalité à son propre dilemme : De Quincey ne peut mettre en avant sa critique sans impliquer sa propre esthétique et celle de Wordsworth. La fantaisie de « On Murder », en grossissant le trait jusqu’à l’absurde, parvient à détourner notre regard de ce que De Quincey nous met pourtant sous les yeux : « la violence inhérente à l’expérience esthétique86 ». Les esthètes du meurtre, si grotesque soient-ils, soulèvent une vraie question : « la subversion esthétique du beau par le sublime, et plus généralement, la subversion philosophique de l’éthique par l’esthétique87 ».
46Tout se passe donc comme si les deux articles humoristiques servaient de caution au scandale du « Postscript » : un meurtre peut réellement susciter une émotion esthétique. Grâce à l’ironie, De Quincey entretient une confusion des genres qui lui permet de dire sans le dire ce qu’il redoute de croire : dans quelle mesure sa propre esthétique est sujette à caution, et compromet l’esthétique romantique dans sa quête du sublime.
La violence du sublime, ou l’esthétique romantique du meurtre
47Quelques mois avant de publier le premier article de la trilogie, De Quincey traduisait et commentait un extrait du Laocoon. Lessing s’y intéresse à la différence entre la poésie et la peinture : il l’illustre à travers la représentation des passions et de la souffrance dans l’antiquité, dont le portrait de la meurtrière Médée ; et conclut, en ce qui concerne les arts picturaux, que les passions en général, et la souffrance en particulier, ne peuvent faire l’objet d’une représentation réaliste qui serait laide (visages déformés, par exemple) ; pour obtenir une représentation esthétique, les passions doivent donc être tempérées par le stoïcisme du personnage. Par ailleurs l’artiste doit ménager un espace pour l’imagination du spectateur, et seulement suggérer le moment le plus intense des passions, qui serait trop pénible à observer, à travers les moments qui précèdent immédiatement. Pour Lessing, le sculpteur rencontre des limites et des obstacles qui n’existent pas en poésie : « effects are within its power unattainable to painting ». Il se contente d’une allusion au « privilège exclusif » du poète de « peindre par traits négatifs88. ». Jusqu’où va ce privilège ? La dualité entre les articles « On Murder » et leur « Postscriptum » l’illustre bien : la représentation du meurtre selon des critères picturaux suscite soit le rejet hystérique des parangons de vertu, soit l’adhésion grotesque des autres personnages. En revanche tout est possible dans une représentation verbale, où la représentation se fait dans l’imagination du lecteur : la narration de l’affaire Williams est alors possible.
48De Quincey affirme aussi que l’artiste peut trouver la beauté n’importe où : « pursuing and unveiling it under a cloud of deformity. […] meanness and deformity even […] have their modes of beauty89. ». Les exemples qu’il donne à ce moment-là ne sont cependant pas concluants en ce qui concerne une possible beauté de la difformité physique ou morale.
49Plusieurs auteurs romantiques avaient fait le lien avant De Quincey entre leurs préoccupations esthétiques et la représentation du meurtre, notamment un de ses auteurs favoris, Schiller, qui affirme dans ses « Réflections sur l’usage du vulgaire et du bas dans les œuvres d’art » (1802) que le meurtre peut avoir un effet esthétique susceptible de racheter la bassesse d’une action90. Cependant, le sublime théorisé par Edmund Burke semble être le seul véritable facteur d’unification des articles et du « Postscript » : sous forme de parodie dans les premiers, mis en œuvre dans la narration. L’explication du sublime burkien dans A Philosophical Enquiry into our Ideas of the Beautiful and the Sublime est bien connue : le spectacle du danger, à une distance, suscite à la fois la peur et un sentiment de sécurité, ce qui procure une jouissance d’ordre esthétique. On peut donc imaginer que face un meurtre, ou sa représentation, le spectateur fasse par procuration l’expérience de tuer et d’être tué. Burke mentionne une émotion esthétique à la vue d’un incendie et du meurtre de Scipion ; à l’inverse de Lessing, il insiste sur la nécessité de faire une représentation réaliste, et poursuit en évoquant l’expérience par empathie d’une « calamité » non définie mais bien réelle ; on retrouve enfin la même dualité entre une sympathie avec la victime, qui nous pousse à l’aider, et une pulsion voyeuriste agréable :
La terreur est une passion qui produit toujours le Plaisir quand elle ne nous affecte pas trop fortement. […] il n’y a pas de spectacle que nous recherchions si avidement, que celui d’une calamité extraordinaire et bouleversante. […]. Le plaisir que nous donnent de telles choses nous empêche de fuir les scènes de misère ; et la douleur que nous ressentons nous pousse à nous soulager nous-mêmes en soulageant ceux qui souffrent.
Plus il nous rapproche de la réalité, et plus il nous éloigne de l’idée de fiction, plus sa puissance est parfaite. […] Que l’on rapporte qu’un criminel de haut rang est sur le point d’être exécuté sur la place toute proche ; en un instant le vide du théâtre démontrerait la faiblesse comparative des arts d’imitation, et proclamerait le triomphe de la vraie compassion. […] Cette noble capitale, la fierté de l’Angleterre et de l’Europe, je ne crois pas qu’aucun homme soit si étrangement méchant au point de désirer la voir détruite par un incendie ou un tremblement de terre, même s’il s’était éloigné très loin du danger. Mais supposons qu’un tel accident fatal fût arrivé, quelle foule se presserait de toute part pour contempler les ruines91 !
Ces exemples qui semblent outranciers dans les articles « On Murder » grossissent à peine le trait tant l’original se prête à l’ambivalence. Dans le « Postscript », les critères principaux du sublime reprennent les catégories de Burke : la terreur, le mystère, et la puissance. De Quincey est sous une double influence : il reprend la célèbre « modification de puissance » de Burke, mais aussi son application chez Wordsworth, dans Le Prélude et la Préface de 1815. Le terme power est chez De Quincey si fortement lié à l’esthétique que quand il l’emploie, c’est presque systématiquement avec une allusion au sublime, quel que soit le contexte. Bien qu’il n’ait pas créé de toutes pièces l’opposition entre une littérature didactique « de la connaissance » (literature of knowledge) et une littérature qui soit une forme d’art distincte, dite « littérature de la puissance » (literature of power), De Quincey est célèbre pour l’avoir formulée. Le mot de puissance est fréquemment associé à Williams et définit sa capacité à captiver l’imagination du public ou du passant : « the poor vanquished imagination sank powerless before the fascinating rattlesnake eye of the murderer92. ». De Quincey insiste beaucoup sur l’emprise ou la fascination que Williams exerce sur le public, par sa simple présence physique, et il le compare même à la mythologique Méduse (Medusa)93 : la permanence de cette fascination est liée au personnage, et le personnage ici est défini par le meurtre : Williams ne devient pas un meurtrier, il l’est par essence. Cette fascination est renforcée par le mystère qui entoure Williams : « the man of mystery », « whom all hearts were yearning to decipher94 ». L’esthétique du meurtre n’est plus une théorie décalée et parodiée, mais bien une esthétique romantique : celle de De Quincey et de Wordsworth. Les passages les plus esthétiques de l’affaire Williams sont indubitablement ceux où le temps est dilaté par le suspense, et où les événements suivent le tempo ralenti du cauchemar.
50En revanche, De Quincey ne revendique pas le sublime pour l’affaire McKeans, mais seulement des circonstances pittoresques : « the dreadful picturesqueness of some two or three amongst its circumstances95. ». Le récit est beaucoup plus factuel, et les deux frères McKeans n’ont pas le mystère de Williams, ni son inhumanité : leurs motivations et leurs sentiments sont très clairs, et ils souhaitent limiter l’effusion de sang. Ils n’exercent aucun pouvoir de fascination, mais le subissent : quand une servante, la gorge tranchée, se relève et marche sur plusieurs mètres avant de s’effondrer définitivement, cette résurrection éphémère fascine le meurtrier et le détourne de sa victime suivante.
51L’esthétique romantique du meurtre n’a plus l’excuse d’une suspension du jugement moral, au contraire. L’appréciation artistique du « Postscript » est proportionnelle à l’horreur inspirée par les faits, donc à un sentiment moral, absent du jugement de goût trop intellectualisé. Notre rejet du meurtrier intensifie l’expérience du sublime en tant que violence faite à notre imagination.
52Malgré l’audace apparente de son postulat, De Quincey conserve ce jugement moral. Les meurtriers ne sont pas des érudits raffinés, mais des marginaux : des figures institutionnalisées du paria (Caïn, les Juifs), des étrangers (notamment un Italien), de dangereux réformistes irlandais, des hommes de peu de religion (« miscreants »), un misanthrope psychopathe et autres personnages peu recommandables (« an improper line of conduct – very improper […] very incorrect ways of thinking, and truly inaccurate principles ») : autant de clichés du roman gothique96. Mais le plus caricatural de tous ces meurtriers est encore celui qui s’inspire de la réalité : le personnage de Williams. Il est appelé « démon » et « monstre » à plusieurs reprises, et son portrait est des plus sommaires : « a stranger, of sinister appearance […] this repulsive stranger, with his cadaverous ghastliness, extraordinary hair, and glazed eyes97. ». Conformément à la répulsion qu’inspire sa figure (ou plutôt qu’elle devrait inspirer, car De Quincey déclare que ses manières doucereuses suffisaient à mettre en confiance les jeunes filles), Williams se révèle une brute assoiffée de sang. Les « considérations purement esthétiques » de Williams sont en réalité de la cruauté : « pure fiendishness […] for the luxurious purpose of basking and revelling in the anguish of dying despair »98. Le plaisir de tuer de Williams ne relève pas de l’inspiration artistique ou d’un plaisir esthétique, mais d’une passion destructrice, ou d’un désir animal. Pour le seul moment, très court, où De Quincey nous donne un aperçu des pensées du meurtrier, il réutilise une tonalité humoristique qui déréalise, et déshumanise encore Williams, réduit à sa fonction dans le récit :
Murderer is working hard in the parlour […] Murderer is almost joyous; and if any creature is still living in this house, […] with that creature he would be happy, before cutting the creature’s throat, to drink a glass of something99.
Son apparence hors du commun et sa soif de sang monstrueuse évoquent moins un homme qu’un vampire, et De Quincey affirme qu’à sa mort Williams fut enterré sous un carrefour avec un pieu dans le cœur100. Williams est tellement inhumain qu’il finit par échapper à la morale des hommes comme il échappe à leur justice, De Quincey décrivant son suicide comme un auto-meurtre :
And in that case, precisely at the hour when, fourteen days before, he had been spreading horror and desolation through the quiet family of poor Marr, now was he forced into drinking of the same cup, presented to his lips by the same accursed hands101.
Si le spectacle du meurtre suscite une réaction esthétique, pour autant, le meurtrier n’est pas un artiste. De Quincey ne s’identifie en aucun cas à la figure du meurtrier, bien au contraire : au-delà de la condamnation morale, le portrait manichéen de Williams équivaut à une revendication d’altérité absolue. Comme Wordsworth, De Quincey ne dissocie jamais vraiment la dimension morale de l’esthétique : « [ses] descriptions demeurent rattachées à une compréhension humaniste des responsabilités morales et sociales de l’individu102 ». Il en va de même ici, et le meurtre esthétique demeure, en fin de compte, totalement virtuel. Dans les articles, le discours se dilue tout d’abord dans les digressions, puis dans la farce, sans être allé jusqu’à sa conclusion, en d’autres termes sans jamais décrire le meurtre lui-même, mais seulement la théorie et les circonstances du meurtre. Quand le deuxième article inverse brièvement la moralité pour louer le meurtrier « respectable », il s’agit là d’une figure de style classique pour tout ironiste, quasiment un cliché. Bref, comme pour les Confessions, le titre est plus provocateur que les articles eux-mêmes. Le lecteur qui s’attendrait ici à des détails scabreux serait bien déçu, car la conférence demeure largement théorique et allusive, et aucun des meurtres évoqués n’est décrit au-delà de la périphrase suivante : « “It may be presumed that you accomplished your purpose.” – “You are right,” he said mildly, “I did103” ». Même dans le « Postscript », le meurtre esthétique reste un fantasme, un mirage : « grazing the brink of horror104 ». Seuls sont racontés (et esthétisés) les meurtres qui ont échoué, ceux dont la victime parvient à s’échapper : la servante que Williams guette à travers la porte ; le travailleur journalier qui s’enfuit par la fenêtre ; l’enfant endormi à l’étage et que le meurtrier n’aura pas le temps d’atteindre. Dès qu’un meurtre a réellement lieu, il est décrit après coup, de manière factuelle et journalistique. Seul le meurtre potentiel est esthétique ; ou plutôt, pour reprendre un mot que nous avons employés pour décrire une créativité cauchemardesque et douloureuse, le meurtre imminent.
53Une scène fait exception : la scène « pittoresque » de la servante égorgée et momentanément ressuscitée ; peut-être a-t-elle la caution des récits gothiques, où elle ne dépareillerait pas ; et elle ne concerne pas le sublime, qui s’attache à Williams. Qu’est-ce qui fait de Williams un vecteur du sublime ? Il incarne le mal dans son essence, et en cela il est un mystère : ce mystère, cette nature excessive, sont la source de son sublime, plutôt que ses actes. Comme le recommande Lessing, De Quincey esquive la description du passage à l’acte :
Meantime, at this point, let us leave the murderer alone with his victims. For fifty minutes let him work his pleasure. […] Let us, therefore, in vision, attach ourselves to Mary; and when all is over, let us come back with her, again raise the curtain, and read the dreadful record of all that has passed in her absence105.
La mise à distance résulte d’abord d’une stratégie d’écriture attachée au suspense, mais elle correspond aussi à la faillite de la « vision » de l’artiste, car « quand tout est fini », les corps ne sont plus discernables dans l’horreur globale : « [he] there beheld the carnage of the night stretched out on the floor, and the narrow premises so floated with gore, that it was hardly possible to escape the pollution of blood ». De Quincey a beau placer le meurtre sur une scène de théâtre (« the soul-harrowing spectacle […] the tragic drama »), lors de la reconstitution minutieuse des faits et gestes du meurtrier, le récit visionnaire cède la place au ton journalistique, avec un regard purement extérieur et rétrospectif106. Ce changement de point de vue est un abandon du regard esthétique, qui nécessite l’identification au meurtrier, et le refus (ou l’incapacité) de s’approprier le moment du passage à l’acte. La scène du meurtre demeure obscène, au sens psychanalytique de la scène qui doit nous rester interdite, sous peine de mort ; et De Quincey reste avec Mary, du bon côté de la porte, jusqu’au départ du monstre. Il entretient en cela le mystère qui entoure Williams ; et atteint ses propres limites dans l’esthétique (le sublime) du meurtre, qui doit rester subie, contrainte.
54Pourtant De Quincey prête brièvement à Williams des velléités artistiques, un désir de « mise en scène » et de « raffinement » :
[…] our present murderer is fastidiously finical in his exactions – a sort of martinet in the scenical grouping and draping of the circumstances in his murders – […] refinements of preparation […] in a murder of pure voluptuousness, entirely disinterested107.
Le portrait de Williams comme artiste est en contradiction avec le reste du texte sur deux points importants. D’abord il suppose que De Quincey s’identifie à Williams, en dépit d’un rejet qui n’est pas une simple caution morale, mais une composante de l’expérience du sublime. Ensuite, il prend la forme d’un retour à la tonalité légère des premiers articles. Pourquoi cette distanciation au point culminant du suspense, au moment précis où De Quincey cherche à captiver le lecteur ? À travers ce retour aux articles, il désamorce l’esthétique de l’affaire Williams. D’une part, en rappelant la fantaisie des premiers articles, le portrait du meurtrier artiste déréalise Williams, le ramène parmi les esthètes impuissants et nie la puissance esthétique du mal. D’autre part, il nie à Williams la possibilité d’une transe comme celle de Macbeth :
[…] the transitory vision […] the complete suspension and pause in ordinary human concerns […] the world of ordinary life is suddenly arrested – laid asleep – tranced – racked into a dread armistice: time must be annihilated; relation to things without abolished; and all must pass self-withdrawn into a deep syncope and suspension of earthly passion. […] the awful parenthesis108.
Cette transe dont Macbeth est tiré, et dont le spectateur prend conscience, au moment du « Heurt à la porte », assimile le meurtrier à l’artiste transporté hors de lui-même par l’inspiration. Même ainsi, le meurtre n’est pas un geste inspiré mais prémédité, et le fruit de passions dégradantes : le meurtrier suit ses appétits, qu’ils soient monstrueux ou simplement vénaux. Mais contrairement à Williams, Macbeth est partiellement racheté aux yeux du spectateur par sa dimension psychologique : « a sympathy by which we enter into his feelings […] some great storm of passion […] into his hell we are made to look109. ». L’ironie contribue au contraire à aliéner Williams.
55Enfin, grâce à l’ironie, De Quincey recouvre la maîtrise du récit et réaffirme son autorité par une virtuosité rassurante : c’est l’auteur qui contrôle l’esthétique du récit, même lorsque sa créativité basée sur une inspiration irrépressible lui impose une vision cauchemardesque. L’ambivalence du récit resurgit néanmoins, car c’est le meurtrier qui incarne le contrôle : parfaitement maître de lui-même, s’emparant de ceux qu’il approche, et décidant de qui doit vivre ou mourir. Le portrait de Williams en artiste participe aussi d’un fantasme de contrôle absolu de la création.
56La dimension fantasmatique des articles renvoie De Quincey à lui-même et à sa propre conscience du lien troublant entre l’horreur du meurtre et le sublime de sa représentation. En s’appropriant le pouvoir de Williams pour l’exercer lui-même sur le lecteur par le biais du récit, il flirte avec les limites de la morale et avec la transe démoniaque. À la lecture de « On Murder », certains critiques ont d’ailleurs imaginé De Quincey en meurtrier du lecteur110 (dont il fait, par ailleurs, un double à son image à force de références communes, qu’il se doit donc de tuer), mais ne serait-il pas plutôt le meurtrier du Romantisme, dont il offre une version sombre, voire décadente, notamment en sublimant l’horreur ? Il en assassine en tout cas, symboliquement, les deux figures tutélaires : Coleridge (désigné comme la victime idéale du meurtre esthétique) et Wordsworth (assimilé par métaphore interposée à l’une des victimes).
57Le meurtrier artiste tend à De Quincey un miroir fantasmatique. Si la transe est refusée à Williams, Macbeth est transporté hors du règne humain, « transfiguré » par un acte essentiellement inhumain, qui fait de lui un démon : « conformed to the image of devils111. », parallèlement à l’affirmation biblique qui fait de l’homme l’image de Dieu. Le meurtrier serait donc la version démoniaque de l’artiste : De Quincey, torturé par ces visions sublimes, vit une version cauchemardesque et décadente de l’accès au divin. Les meurtres de Williams sont sublimes parce qu’ils suscitent la même révulsion de l’esprit que l’expérience de la transcendance ; finalement, le scandale de l’article n’est pas dans l’esthétique du meurtre, mais dans l’horreur éprouvée au contact du divin, et répétée dans l’expérience esthétique romantique : un double scandale pour la foi protestante et wordsworthienne de De Quincey.
58L’ironie des écrits sur le meurtre est l’expression indirecte d’un malaise en tant que créateur, et s’inscrit aux confins de la subversion et de l’autodérision. De Quincey y met en jeu une esthétique étonnement moderne, car ouverte sur la laideur, par le biais de l’horreur. Il a d’ailleurs été mentionné comme précurseur de mouvement de l’Art pour l’art et des Décadents. Cependant, sa modernité est pour lui une source de culpabilité. Face au problème de la sublimation du mal, il réprime sa créativité qui ne s’exprime qu’avec parcimonie : retardée en fin d’article pour les Confessions, « Suspiria de Profundis » , ou « The English Mail-Coach », et dans le cas de « On Murder », en fin de vie, sur une trentaine de pages : libérée par le rêve pour les premiers, et par la parodie pour le dernier ; et toujours par la sublimation artistique qui procure peut-être une forme d’absolution, ou permet du moins de créer une parenthèse, qu’on l’appelle willing suspension of disbelief ou transe extatique, et dont la fonction la plus importante pourrait être, en détachant l’esthétique et l’imagination dans un monde à part, autonome, de nous en protéger.
59Si l’artiste qui maîtrise son œuvre est un meurtrier, il assassine, en l’occurrence, l’esthétique romantique. De Quincey exprime sa culpabilité indirectement, dans les creux de son œuvre, comme à son insu. Le fantasme de meurtre du Romantisme reflète à la fois son angoisse devant la disparition de cette sensibilité, et la peur d’y contribuer. L’ironie et l’humour des articles constituent à la fois un exorcisme, un exutoire et une caution à l’esthétique de l’horreur, qui dévoie le sublime romantique vers une admiration ambivalente du mal. L’artiste raille pour détourner notre attention (et peut-être la sienne) du potentiel subversif de sa propre esthétique, qui est aussi largement inspirée de Wordsworth. De fait, le « Postscript » est d’autant plus subversif qu’il est moins ironique et met réellement en œuvre une représentation esthétique de l’horreur.
Notes de bas de page
1 A.S. Plumtree, « The Artist as Murderer: De Quincey’s Essay on Murder Considered as One of the Fine Arts », Snyder, 140.
2 « Nous séchons nos larmes, et nous avons la satisfaction de découvrir, peut-être, qu’une transaction, qui du point de vue moral, était choquante, et sans une once de justification, quand on la confronte aux principes du Goût, s’avère être une prestation très méritante » (VI OM 116).
3 « On peut le traiter de façon esthétique, comme disent les Allemands – c’est-à-dire, en lien au bon goût » (VI OM 114)
4 « […] en ce qui concerne les vieilles femmes et la foule des lecteurs de journaux, ils sont satisfaits de n’importe quoi, du moment que c’est assez sanglant […] Le monde en général, messieurs, est obstinément sanguinaire ; et tout ce qu’il veut dans un meurtre est une effusion de sang copieuse ; à leurs yeux un tableau criard suffit » (VI OM 131-132).
5 « Une nuit au beau milieu de l’été, tandis que je m’agitais sans pouvoir dormir à cause du manque d’opium, – je m’amusai à composer les Confessions imaginaires d’un Meurtrier ; qui, je pense, pourrait constituer un bon petit récit d’horreur gothique ; le sujet était d’un diabolique exquis ; et, si je ne m’abuse, je pourrais épouvanter quelques douzaines de vieilles femmes inutiles au point de leur faire perdre la tête et rendre l’âme » Lettre du 24 octobre 1822. « De Quincey and his Publishers », B. Symonds, 155.
6 « Le but final de l’assassinat, considéré comme l’un des beaux-arts, est exactement de même que celui de la Tragédie dans l’exposé d’Aristote : à savoir, de “purifier le cœur au moyen de la pitié et de la terreur” » (VI OM 131)
7 « Le sujet choisi devrait aussi avoir une famille de jeunes enfants totalement dépendants de ses efforts, de façon à accroître le pathos. […] le strict bon goût l’exige incontestablement » (VI OM 132)
8 « D’abord donc, parlons du genre de personne qui est adaptée au dessein du meurtrier ; deuxièmement, le lieu ; troisièmement, le moment » (VI OM 131). Adapté de Love’ Labour’s Lost I.1.231.
9 « Un personnage public habitué à donner des dîners, “avec toutes les délicatesses de saison” » (OM VI 132).
10 Cf. Note des éditeurs VI OM 111, note 353.
11 Par exemple XIII « Modern Greece » 194.
12 « Avertissement d’un homme morbidement vertueux […] Car mon sens aigu de la vertu ne supportera pas de telles choses sur une terre chrétienne » (VI OM 408 : 111.1-17]) ; « Je vais lire ici un excursus [dissertation digressive] sur le sujet, principalement afin d’exposer ma propre érudition » (118).
13 « Et ainsi, dignes docteurs, […] écartez-vous, et permettez-moi de m’avancer pour faire un discours sur la question » (II C1 44 / C2 219).
14 « L’impression d’effroi, et le sentiment de puissance laissé par la force de conception manifestée dans ce meurtre » (VI OM 126).
15 « L’assassinat […] a fleuri par à-coups » (VI OM 117-118)
16 « Comme Eschyle ou Milton en poésie, comme Michel-Ange en peinture, il a amené son art à un sommet de sublime colossal, et, comme l’observe Mr Wordsworth, a en quelque sorte “créé le goût qui permet d’en jouir” » ; « notre art, comme tout art libéral cultivé à la perfection, a pour résultat d’améliorer et d’humaniser le cœur » (VI OM 113, 132).
17 VI OM 132. Traduction latine de l’éditeur
18 « aucun artiste ne peut jamais être assuré de mener à bien la finesse de ce qu’il a imaginé » (VI OM 127) ; « tant son génie naturel avait été exalté et sublimé par l’aimable présence de son meurtrier » (VI OM 129) ; « l’éclat de son génie éblouit totalement l’œil de la justice criminelle » (VI OM 130) ; « les fragments et les premiers contours audacieux des artistes originaux ont souvent une félicité qui tend à s’évanouir lors de la mise en œuvre des détails » (VI OM 131) ; « la diffusion d’un goût juste », « [il] serait mort sans cette régénération de l’art » (XI OM 398) ; « chaque œuvre a ses propres caractéristiques – chacune, par et pour elle-même, incomparable » (XI OM 402).
19 R. Morrison, The English Opium-Eater: A Biography of Thomas De Quincey, 253.
20 « Ce meurtre est bon, comme vous le faites remarquer, et vraiment gratifiant pour tout homme de bon gout : pourtant il aurait pu être meilleur, s’il avait ajouté quelques améliorations que j’aurais pu lui suggérer – je parle du point de vue esthétique, comme disent les All., bien sûr : moralement, c’est une affaire pendable. Vous devez me permettre de regarder cela sous deux angles. Il est peut-être encore trop récent pour être observé par le critique esthétique » (« De Quincey and his Publishers », B. Symonds, 233).
21 « Il n’a aucun scrupule à parler avec admiration d’un certain ulcère qu’il avait vu, et qu’il qualifie de “magnifique ulcère” » (VI OM 115).
22 « Nous n’aurions pas de philosophie cartésienne ; et comment nous aurions pu nous passer de cela, quand on pense aux innombrables livres qu’elle a produits, c’est ce que je laisse à tout fabriquant de malle respectable le soin de nous dire » (VI OM 119)
23 « Tout homme mériterait une bonne correction pour avoir écrit le Léviathan » (VI OM 122) ; « […] et (ce qui est très drôle) il n’aurait pas le droit d’opposer la moindre résistance ; car, d’après lui, un pouvoir irrésistible crée un droit de la plus haute espèce, si bien que c’est une rébellion des plus noires que de refuser d’être assassiné, quand une force compétente surgit pour vous assassiner » (VI OM 121).
24 « Société pour la Promotion de la Connaissance Chrétienne », « Société pour la promotion du vice », « Société pour la promotion de la religion et de la vertu et la suppression du vice », « Société pour la suppression de la vertu ». « Car si un homme se laisser aller une seule fois à commettre un meurtre, très vite il commence à trouver normal de voler ; et du vol, il passe à la boisson, cesse de respecter le jour du Seigneur, et de là se livre à l’incivilité et la procrastination » (XI OM [second paper] 400)
25 « Chaque chose en ce monde peut être abordée sous deux angles. Le meurtre, par exemple, peut être saisi sous son angle moral […] ou bien on peut le traiter sous l’angle esthétique » (VI OM 114)
26 « L’intelligence [de Kant] était essentiellement destructrice. Il était le Gog et le Magog des Huns, répandant la désolation dans les systèmes philosophiques existants. […] il n’avait ni amour, ni foi, ni doute de soi, ni humilité […] Qui peut lire sans indignation au sujet de Kant, que, à sa propre table, dans la sincérité des rapports sociaux et en confidence, quoi qu’il dise dans ses livres, il exultait à la perspective de l’absolue annihilation ultime ; qu’il basait sa gloire dans la tombe, et avait l’ambition de pourrir pour toujours ? […] il s’est appliqué à la destruction de l’espoir Chrétien » (XIX AS 313-314).
27 « […] qu’un homme se persuade qu’il a des raisons de mépriser d’un certain point de vue ce qui force son admiration d’un autre, et une lutte suivra inévitablement entre les deux impulsions opposées, tel qu’il se terminera toujours dans un état de vive colère et d’irritation » (VII « Kant in His Miscellaneous Essays » 54). Cf. S. Proctor, T. De Quincey’s Theory of Literature, 28-42.
28 « Kant – l’ennemi acharné et presque le persécuteur de tout mysticisme […] Si seulement il avait été un mystique ! » (I « Immanuel Kant and John Gottfried Herder » 286).
29 J. Black, The Aesthetics of Murder, 15.
30 « De devenir son complice en lui montrant la cachette de sa victime, ce qu’un grand moraliste allemand a déclaré être du devoir de tout homme de bien » (VI OM 113-114)
31 Introduction de l’éditeur, VI OM 73.
32 A. Goldman, The Mine and the Mint, 73-74.
33 V. Dunn, « Thomas De Quincey’s Relation to German Literature and Philosophy », 9.
34 « […] les œuvres de Kant ne sont pas considérées avec le même intérêt que celui qui s’est accumulé autour de son nom ; et on peut l’attribuer à trois causes – d’abord, le langage dans lequel elles sont écrites ; deuxièmement, l’obscurité supposée de la philosophie qu’elles enseignent ; troisièmement, l’impopularité de toute philosophie spéculative » (VI « Gallery of the German Prose Classics. Kant » 74).
35 Collected Works of Samuel Taylor Coleridge, tome 7, 145
36 « “il en avait rencontrés qui avaient reconnu le fait qu’ils revenaient d’entre les morts” – de leur propre bouche seras-tu condamné » (XVII SFC 79 / XIX AS [note] 28).
37 « Être un iconoclaste n’est pas une tâche plaisante, parce qu’elle est peu enviable. À chaque fois que possible, donc, il est plus prudent de décliner et reporter l’aversion d’une telle tâche sur l’idole elle-même. Laissons toujours l’objet de la fausse adoration, si possible, devenir son propre iconoclaste […] les propres passages de Goethe, seront suffisamment leur propre critique et la meilleure dénonciation de Mr Goethe » (IV « Goethe » 180).
38 « De notre côté, nous ne sommes pas moins prêts à prendre position sur ce texte comme la preuve la plus univoque d’un goût dépravé et d’une sensibilité défectueuse » (IV « Goethe » 195).
39 « Philina, ô combien philanthrope – toi qui aime tous les hommes ! » (IV « Goethe » 194).
40 « Ainsi avons-nous fait parler le roman de Mr von Goethe pour lui-même. Et, quelle que soit l’impression qu’il a pu laisser sur l’esprit du lecteur, qu’elle soit attribuée au compositeur. […] nous n’avons fait qu’arranger le concert, et diriger l’orchestre » (IV « Goethe » 202).
41 « Voici que s’avance un pédant transcendantal […] le pauvre Mr Kant », « spéculant dans un cabinet transcendantal » (VII 68, [note†] 71).
42 « Je […] donnerai la totalité de ce qu’il a dit, sans y ajouter une syllabe de réponse » (VII 68).
43 Cet apparent manque de délicatesse est en réalité un fait culturel, dû aux préoccupations de l’époque en matière de santé : « Les problèmes d’indigestion étaient une obsession nationale, et d’innombrables livres furent écrits sur le sujet » (S. Wilson, « De Quincey’s Gastric Fantastic », n. pag.).
44 « Pour le mal particulier de Kant, tel que d’autres biographes le décrivent, un quart de grain d’opium, toutes les 12 heures, aurait été le meilleur remède, peut-être un remède parfait » (VI « Gallery of the German Prose Classics. Kant » [note] 95).
45 « L’affection morbide de l’estomac commençait maintenant à être de plus en plus perturbante […] Ses terribles rêves devenaient continûment de plus en plus effroyables : des scènes isolées, ou des passages de ces rêves, suffisaient à composer le déroulement complet de puissantes tragédies, dont l’impression était si profonde qu’elle gagnait ses heures de veille » (VI « Gallery of the German Prose Classics. Kant » 95).
46 « Ce dernier trait de son tempérament est ici exprimé bien trop durement » (VI « Gallery of the German Prose Classics. Kant » [note] 81)
47 « Pourquoi devons-nous rire ? Parce que nous trouvons un assemblage de qualités nobles et ignobles. Très bien ; mais pourquoi devons-nous pleurer alors ? Parce que cet assemblage se trouve de fait exister chez un éminent homme de génie » (XIII « Pope » 271).
48 Lettre de Miss Mitford. J. T. Fields, Yesterday with Authors, 329.
49 « Il reste beaucoup à faire (je devrais plutôt dire, tout reste à faire) pour la philosophie de Kant en l’exprimant en anglais et sous forme intelligible. Mais j’aimerais, ce qui serait une manière encore meilleure de préparer la nation à étudier Kant, en la forçant à le respecter, que vous soyez d’accord pour m’accorder de considérer un volume “d’essais divers et philosophiques par Emmanuel Kant. Avec une introduction et de copieuses notes”. Un récit de sa vie, en particulier de la dernière partie quand il avait survécu en partie à ses capacités intellectuelles, que j’ai un jour résumé d’après un certain nombre d’auteurs allemands, et que Mr Blackwood (qui l’a publié) n’a pas aimé, mais que beaucoup d’autres ont aimé, serait très convenable en préface » (Lettre à James Fraser, 25 juillet 1832), « De Quincey and his Publishers », B. Symonds, 447-448.
50 (XX « Prefatory Memoranda to Critical Suggestions on Style and Rhetoric, with German Tales, and Other Narrative Papers » 115).
51 XVII SFC 122-124.
52 « Ce fut ce texte qui impressionna ce gentleman, qui déteste toute métaphysique et tous les métaphysiciens, et suscita en lui un sentiment de révérence envers Kant »
53 « Un meurtre de pure volupté, entièrement désintéressé » (XX « Postscript » 65)
54 XX 54
55 J. Black, Aesthetics of Murder, 50.
56 « Le goût romantique ou barbare […] déforme la nature même, qui est le prototype universel du noble et du beau » (IV 151), « une forme curieuse de goût corrompu qu’on dénomme le Gothique » (IV 159), « afin d’élever tôt les sensibilités morales […] à des sentiments efficaces et opérationnels » (IV 159).
57 « L’esprit national est, dans tous les cas, expliqué au mieux par la direction que prennent ses sentiments moraux : je considérerai donc ensuite les sentiments des différentes nations en rapport au sublime et au beau de ce point de vue » (IV 151).
58 « Le goût ne dégénère pas facilement d’un côté sans donner des indications claires de corruption dans tout ce qui est par ailleurs en lien aux sentiments plus raffinés » (IV 158-159).
59 « Finalement, l’homme vain et frivole n’a jamais aucun sentiment puissant du Sublime : sa religion est donc sans passion et, en général, une affaire de mode, à laquelle il s’adonne avec le plus grand savoir-vivre et une totale insensibilité » (IV 156).
60 Cf. introduction à « Kant on National Character » (IV 149).
61 H.A. Eaton, Thomas De Quincey: A Biography, 317.
62 C. Pollitt, De Quincey’s Editorship of the Westmorland Gazette: July 1818 to November 1819, Kendal, Atkinson and Pollitt, 1890, 12.
63 Cf. C. Lochot, L’ironie chez Thomas De Quincey, annexe 3.
64 F. Burwick, « De Quincey and the Aesthetics of Violence », 85.
65 D. O’Quinn, « Murder, Hospitality, Philosophy: De Quincey and the Complicitous Grounds of National Identity », 135, 137.
66 R. Morrison, D. S. Roberts (éd.), Thomas De Quincey: new theoretical and critical directions, 37, 58.
67 I General Introduction xiii.
68 « Ses traits dramatiques palpitants » (XX « Postscript » 55) ; « le drame sanglant » (47) ; « à nouveau le rideau se lève » (48) ; « les spectateurs de plus en plus nombreux de cette pitoyable tragédie » (53).
69 « Le même genre de sentiment glacé que celui des deux assassins dans “Macbeth” » (XX « Postscript » 56).
70 F. Burwick, « De Quincey and the Aesthetics of Violence », 78.
71 R. Morrison, The English Opium-Eater: A Biography of Thomas De Quincey, 259.
72 J. E. Jordan, « “Grazing the Brink”: De Quincey’s Ironies », 203.
73 D. Stewart, Romantic Magazines and Metropolitan Literary Culture, 204-205.
74 « Personne ne peut prétendre, un seul instant, en faveur du doyen, qu’il y ait la moindre tendance ordinaire et naturelle dans l’esprit humain, qui pourrait jamais se tourner vers les nourrissons en tant qu’articles alimentaires […] Mais, d’un autre côté, la tendance à accorder une valeur critique ou esthétique aux incendies et aux meurtres est universelle […] Pour ma part, donc, je réclame pour mon extravagance, une base inévitable et perpétuelle en la tendance spontanée de l’esprit humain livré à lui-même. Mais personne ne prétendra qu’une excuse similaire puisse être avancée en faveur de Swift » (XX « Postscript » 38-39).
75 « Un très beau spectacle […] [le feu] avait un effet vraiment sublime – semblant littéralement présent dans les nuages, festoyant et exultant au-dessus de la désolation globale ». J. E. Jordan, De Quincey to Wordsworth, 102, 104.
76 « Nous absorbions tous un exposé sur Plotin des lèvres attiques de S.T.C. »VI OM 114)
77 « Le simple fait d’être spectateur nous rend aussi coupable que l’auteur du meurtre » (VI OM 112)
78 H. S. Davies, Thomas De Quincey, 22.
79 E. Burke, A Philosophical Enquiry, Part II, Section I : « Of the Passions caused by the sublime », 53
80 « [Le poète] doit projeter l’intérêt sur le meurtrier : notre sympathie doit l’accompagner, lui » (III « On the Knocking at the Gate in Macbeth » 152)
81 XI OM 2 400.
82 « Mon entendement me disait formellement que cela ne pouvait pas produire d’effet. Mais je savais bien que si : je sentais que c’était le cas » (III « On the Knocking at the Gate in Macbeth » 151)
83 F. Burwick, « De Quincey and the Aesthetics of Violence », 85.
84 « Dans un moment d’extase créative […] il devint fou sur le champ […] en conséquence de quoi on le mit dans une camisole » XI « OM II » 403)
85 « Un vieux métaphysicien aride et poussiéreux ; […] l’homme ne pouvait pas ressembler davantage à une momie, une fois mort, que pendant qu’il était en vie » (VI OM 125)
86 J. Black, Aesthetics of Murder, 55.
87 Ibid., 14.
88 « Il peut réaliser des effets hors de portée de la peinture » (VI « Gallery of the German Prose Classics. Lessing » 55) ; Ibid., 57
89 « La poursuivant et la dévoilant sous un nuage de difformité […] la méchanceté et la difformité elles-mêmes […] ont leur forme de beauté » (VI « Gallery of the German Prose Classics. Lessing » 68, 70-71)
90 « De Quincey’s revision of Kant’s aesthetics – namely, his insight into the inherent violence of aesthetic experience », Aesthetics of Murder, 55.
91 E. Burke, Philosophical Enquiry, Part I: section XIV-XV, 42-44.
92 « La pauvre imagination vaincue s’affaissait, impuissante, devant l’œil fascinant du meurtrier, comme devant un serpent à sonnettes » (XX « Postscript » 50)
93 XX « Postscript » 58.
94 « Plus encore que le chasseur de chamois alpin » (55) ; « Comme une avalanche alpine » (61) ; « l’homme du mystère » (66) ; « que tous les cœurs désiraient déchiffrer » (99).
95 « Le pittoresque terrible de deux ou trois de ses circonstances » (XX « Postscript » 70)
96 « Mécréants », « une ligne de conduite indécente – extrêmement indécente […] une façon de penser très incorrecte, et des principes franchement erronés » (VI OM 113).
97 « Un étranger, d’apparence sinistre […] cet étranger repoussant, avec sa pâleur cadavérique, ses cheveux extraordinaires, et ses yeux vitreux » (XX 62, 56)
98 « La pure monstruosité […] dans le but voluptueux de savourer et se délecter de l’angoisse du désespoir agonisant » (XX « Postscript » [note] 65).
99 « Meurtrier travaille dur dans le petit salon […] Meurtrier est presque joyeux ; et s’il subsiste la moindre créature vivante dans cette maison […] avec cette créature il serait heureux, avant de lui couper la gorge, de boire un verre de quelque chose » (XX « Postscript » 62).
100 Un acte plus banal, cependant, qu’on pourrait le penser : il s’appliquait aux meurtriers et aux suicidés. G. Dart, « Chambers of Horror: De Quincey’s “Postscript” to “On Murder considered as One of the Fine Arts” » dans Thomas De Quincey: new theoretical and critical directions. R. Morrison, D. S. Roberts, 187.
101 « Et dans ce cas, à l’heure exacte où, quatorze jours plus tôt, il avait répandu l’horreur et la désolation dans la paisible famille du pauvre Marr, maintenant était-il forcé de boire à la même coupe, présenté à ses lèvres par les mêmes mains maudites » (XX « Postscript » 70).
102 S. Copley, J. Whale (éd.), Beyond Romanticism: New Approaches to Texts and Contexts, 1780-1832, 166.
103 « “On peut présumer que vous avez accompli votre but” – “Vous avez raison” dit-il doucement, “je l’ai fait” » (VI OM 129).
104 « Effleurer le rebord de l’horreur » (XX « Postscript » 38).
105 « Pendant ce temps, à ce point du récit, laissons le meurtrier seul avec ses victimes. Pendant cinquante minutes laissons-le travailler tout à loisir […] Ainsi donc, en vision, attachons-nous à Mary ; et quand tout est fini, revenons avec elle, levons le rideau à nouveau, et lisons le terrible récit de tout ce qui s’est passé en son absence » (XX « Postscript » 48).
106 « [il] aperçut là le carnage de la nuit étendu sur le sol, et les lieux étroits si inondés de sang, qu’il était quasiment impossible d’en éviter le contact […] le spectacle déchirant […] le drame tragique » (XX « Postscript » 51).
107 « […] notre meurtrier présent est méticuleusement tatillon dans ses exigences, une sorte de tyran de la mise en scène et du drapé des circonstances de ses meurtres – […] des préparatifs raffinés […] dans un meurtre de pure volupté, entièrement désintéressé » (XX « Postscript » 64-65).
108 « […] la vision fugace […] la pause et la mise en suspens complets des préoccupations humaines ordinaires […] le monde de la vie ordinaire est soudain arrêté ; mis en sommeil – en transe – torturé jusqu’à passer dans un armistice redoutable : le temps doit être annihilé ; les relations aux choses extérieures abolies ; et tout doit aller s’abstraire en une profonde syncope, dans le suspens des passions terrestres […] la terrible parenthèse » (III « On the Knocking at the Gate in Macbeth » 152-153).
109 « Une compassion par laquelle nous prenons connaissance de ses sentiments […] une grande tempête de passion […] dans cet enfer on nous fait regarder »
110 J. Malkan, « Aggressive Text: Murder and the Fine Arts Revisited », 101-114.
111 « Conforme à l’image des démons » (III « On the Knocking at the Gate in Macbeth » 153)
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