Chapitre XIII. Robin des Bois et Allen a Dale
p. 321-331
Texte intégral
Introduction
1L’idée d’associer Robin avec les codes de l’amour n’est pas nouvelle et a déjà été exploitée dans Belle Marianne, il s’agit toutefois ici d’attribuer à Robin le rôle d’entremetteur et d’associer cette caractéristique à son aura de justicier. De fait, après de nombreuses ballades mettant en scène la rencontre entre Robin des Bois et un étranger qu’il ne parvient pas à vaincre en duel, les événements d’Allen a Dale ont certainement offert au public un peu de fraîcheur. En effet, ce texte est un exemple unique de récit associant plusieurs motifs centraux à la légende de Robin des Bois : outre le topique du déguisement (il prend ici l’apparence d’un ménestrel), Robin et ses compagnons se jouent également d’un ecclésiastique et vengent un jeune homme bafoué.
2Si Robin des Bois et Allen a Dale a survécu grâce à des textes datant du xviie siècle, il n’a hélas jamais été édité dans une anthologie, contrairement aux autres textes de cet ouvrage. L’impopularité d’Allen a Dale est certainement responsable de cet oubli, qui n’a été rectifié que vers 1750. Néanmoins, l’origine même du récit est plus ancienne. L’auteur du manuscrit Sloane (MS 780), qui nous proposait par exemple vers 1600 les grandes lignes de la vie de Robin des Bois, connaissait déjà cette histoire, bien que ce soit alors Will l’Écarlate plutôt que Allen qui incarnait le rôle de l’amant malheureux.
Robin Hood and Allen a Dale
3Robin Hood and Allen a Dale: or, the Manner of Robin Hood’s rescuing a young Lady from an old Knight, to whom she was going to be married, and restoring her to Allen a Dale. Tune of Robin Hood in the Green woode stood.
¶ 1 Come listen to me, you gallants so free,
All you that love mirth for to hear,
And I will tell you of a bold outlaw,
That lived in Nottinghamshire,
That lived in Nottinghamshire.
¶ 2 As Robin Hood in the green forest stood,
All under the green wood tree,
There he was aware of a brave young man,
As fine as fine might be.
¶ 3 The youngster was cloathed in scarlet red,
In scarlet fine and gay,
And he did frisk it over the plain,
And chanted a round de la.
¶ 4 As Robin Hood next morning stood,
Amongst the leaves so gay,
There did he ‘spy the same young man
Come drooping along the way.
¶ 5 The scarlet he wore the day before,
It was clean cast away;
And every step he fetch’d a sigh,
‘Alack and well a day!’
¶ 6 Then stepped forth brave Little John,
And Midge the miller’s son,
Which made the young man bend his bow,
When as he see them come.
¶ 7 ‘Stand off, stand off,’ the young man said,
‘What is your will with me?’
‘You must come before our master strait,
Under yon greenwood tree.’
¶ 8 And when he came bold Robin before,
Robin ask’d him courteously,
‘O hast thou any money to spare
For my merry men and me?’
¶ 9 ‘I have no money,’ the young man said,
‘But five shillings and a ring;
And that I have kept this seven long years,
To have it at my wedding.
¶ 10 ‘Yesterday I should have married a maid,
But she from me was ta’en,
And chosen to be an old knight’s delight,
Whereby my poor heart is slain.’
¶ 11 ‘What is thy name?’ then said Robin Hood,
‘Come tell to me, without any fail.’
‘By the faith of my body,’ then said the young man,
‘My name it is Allen a Dale.’
¶ 12 ‘What wilt thou give me,’ said Robin Hood,
‘In ready gold or fee,
To help thee to thy true love again,
And deliver her unto thee?’
¶ 13 ‘I have no money,’ then said the young man,
‘No ready gold or fee,
But I will swear upon a book
Thy true servant to be.’
¶ 14 ‘How many miles is it to thy tru love?
Come tell me without any guile.’
‘By the faith of my body,’ then said the young man,
‘It is but five little miles.’
¶ 15 Then Robin he hasted over the plain,
He did neither stint nor lin,
Until he came unto the church
Where Allen should keep his wedding.
¶ 16 ‘What dost thou hear [sic]?’ the bishop then said,
‘I prithee now tell me.’
‘I am a bold harper,’ quoth Robin Hood,
‘And the best in the north country.’
¶ 17 ‘O welcome, O welcome,’ the bishop then said,
‘That musick best pleaseth me.’
‘You shall have no musick,’ quoth Robin Hood,
‘Till the bride and the bridegroom I see.’
¶ 18 With that came in a wealthy knight,
Which was both grave and old,
And after him a finikin lass,
Did shine like the glittering gold.
¶ 19 ‘This is not a fit match,’ quoth bold Robin Hood,
‘That you do seem to make here;
For since we are come into the church,
The bride she shall chuse her own dear.’
¶ 20 Then Robin Hood put his horn to his mouth,
And blew blasts two or three;
The four and twenty bowmen bold
Came leaping over the lee.
¶ 21 And when they came into the churchyard,
Marching all on a row,
The first man was Allen a Dale,
To give bold Robin his bow.
¶ 22 ‘This is thy true-love,’ Robin he said,
‘Young Allen, as I hear say;
And you shall be married at the same time,
Before we depart away.’
¶ 23 ‘That may not be,’ the bishop he said,
‘For thy word shall not stand;
They shall be three times ask’d in the church,
As is the law of our land.’
¶ 24 Robin Hood pull’d of the bishop’s coat,
And put it upon Little John;
‘By the faith of my body,’ then Robin said,
‘This cloth doth make the a man.’
¶ 25 When Little John went to the choir,
The people began to laugh;
He ask’d them seven times in the church,
Lest three times should not be enough.
¶ 26 ‘Who gives this maid,’ said Little John;
Quoth Robin Hood, ‘That do I;
And he that doth take her from Allen a Dale
Full dearly he shall her buy.’
¶ 27 And thus having ended this merry wedding,
The bride she look’d like a queen,
And so they return’d to the merry greenwood,
Amongst the leaves so green.
Robin des Bois et Allen a Dale
4Robin des Bois et Allen a Dale : ou comment Robin des Bois sauva une jeune demoiselle d’un vieux chevalier, à qui elle devait être mariée, et la restitua à Allen a Dale. Sur la mélodie de Robin des Bois se tenait dans la verte forêt.
¶ 1 Venez écouter, mes si nobles galants, vous qui aimez entendre des joyeusetés, et je vous parlerai d’un preux hors-la-loi, vivant dans le Nottinghamshire, vivant dans le Nottinghamshire.
¶ 2 Tandis que Robin des Bois se tenait sous l’arbre de bois vert, dans la verte forêt, il s’avisa d’un brave jeune homme, aussi bon et beau qu’on puisse l’être.
¶ 3 Le garçon était vêtu de rouge écarlate1, d’un rouge beau et gai, et il gambadait par-delà la plaine en chantant un rondel2.
¶ 4 Le matin suivant, alors que Robin des Bois se tenait sous les feuilles si gaies, il aperçut ce même jeune homme, avançant la mine défaite.
¶ 5 L’écarlate portée un jour plus tôt avait été ôtée, et à chaque pas il soupirait et disait : « Hélas, quelle journée ! »
¶ 6 Le brave Petit Jean et Much, le fils du meunier, s’approchèrent alors, ce qui força le jeune homme à bander son arc en les apercevant.
¶ 7 « Écartez-vous, écartez-vous, dit le jeune homme.
Que me voulez-vous ?
– Il te faut te présenter céans devant notre maître, sous l’arbre de bois vert. »
¶ 8 Et en arrivant devant le preux Robin des Bois, Robin lui demanda courtoisement : « Oh, as-tu quelque argent de trop pour mes joyeux compagnons et moi ?
¶ 9 – Je n’ai aucun argent, dit le jeune homme, si ce n’est cinq shillings et un anneau, conservé sept années durant, afin de le porter à mon mariage.
¶ 10 J’eusse dû épouser hier une jeune fille, mais elle me fut enlevée et choisie pour le plaisir d’un vieux chevalier, voilà pourquoi mon cœur est brisé.
¶ 11 – Quel est ton nom ? dit alors Robin des Bois. Allons, dis-le-moi sans hésiter.
– Par la foi de mon corps, répondit le jeune homme, mon nom est Allen a Dale.
¶ 12 – Que me donneras-tu, dit Robin des Bois, en pièces d’or ou fief, pour te réunir à ton véritable amour et te la restituer ?
¶ 13 – Je n’ai aucun argent, dit alors le jeune homme, nulles pièces d’or ou fief, mais je jurerai sur un livre saint d’être votre fidèle serviteur3.
¶ 14 – À combien de milles se trouve ton véritable amour ? Allons, parle sans fourberie.
– Par la foi de mon corps, dit alors le jeune homme, elle n’est qu’à cinq petits milles d’ici. »
¶ 15 Robin se hâta dès lors de parcourir la plaine, ne souffrant ni pause ni délai, jusqu’à avoir atteint l’église où Allen aurait dû se marier.
¶ 16 « Que fais-tu ici ? demanda alors l’évêque. Je te prie, dis-le-moi.
– Je suis un vaillant harpiste, dit Robin des Bois, et le meilleur dans le nord du pays.
¶ 17 – Oh, bienvenue, oh, bienvenue, dit alors l’évêque, voilà la musique qui me ravit le plus !
– Vous n’aurez nulle musique, dit Robin des Bois, tant que je n’aurai vu l’épouse et le futur marié. »
¶ 18 C’est alors qu’apparut un riche chevalier, à la fois grave et vieux, suivi d’une bien belle jeune fille, étincelante comme l’or brillant.
¶ 19 « Ce couple que vous semblez unir ici, dit le preux Robin des Bois, ne convient guère. Or, puisque nous voilà dans une église, l’épouse choisira elle-même son ami. »
¶ 20 Robin des Bois porta ensuite sa corne à la bouche et souffla deux ou trois fois : vingt-quatre valeureux archers jaillirent à découvert.
¶ 21 Et quand ils entrèrent dans l’église, marchant tous en rang, le premier de ces hommes fut Allen a Dale, qui tendit son arc à Robin.
¶ 22 « J’ai ouï dire, jeune Allen, que voici ton véritable amour, dit Robin, et vous serez mariés en cet instant, avant que nous ne partions.
¶ 23 – Cela est impossible, dit l’évêque, car tes mots n’auront aucune valeur : ils doivent être annoncés trois fois à l’église, comme le veut la loi de notre terre4. »
¶ 24 Robin des Bois retira son manteau à l’évêque et le fit porter à Petit Jean : « Par la foi de mon corps, dit alors Robin, cette tenue te donne l’allure d’un homme ! »
¶ 25 Quand Petit Jean s’avança dans le chœur, les gens se mirent à rire. Il leur annonça sept fois le mariage, de peur que trois fois ne suffisent pas.
¶ 26 « Qui présente cette jeune fille ? dit Petit Jean.
– C’est moi, dit Robin des Bois. Et quiconque l’ôtera à Allen a Dale devra le payer chèrement. »
¶ 27 Ainsi s’acheva cet heureux mariage : l’épouse semblait être une reine, et ils s’en retournèrent donc dans le joyeux bois vert, parmi les feuilles si vertes.
Bibliographie
Source
Robin Hood’s Garland, being a complete History of all the Notable and Merry Exploits Perform’d by him and his Men on divers occasions, c. 1750, York, Printed and sold by J. Jackson in Peter-gate, York Minster Library, B.8.
Autres éditions
Child James Francis (éd.), 1882-1898, English and Scottish Popular Ballads, 5 vol., Boston, Houghton Mifflin & Company, vol. III, p. 173-174.
Dobson Richard Barrie et Taylor John (éd.), 1976, Rymes of Robin Hoode: An Introduction to the English Outlaw, Londres, William Heinemann, p. 172-175.
Evans Thomas (éd.), 1810 [1777], Old Ballads, Historical and Narrative, 2 vol., Londres, T. Evans, vol. I, p. 126.
Gutch John Mathew (éd.), 1847, A Lytell Geste of Robin Hode, with other Ancient and Modern Ballads and Songs, 2 vol., Londres, Longman, Brown, Green & Longmans, vol. II, p. 259-263.
Knight Stephen et Ohlgren Thomas H. (éd.), 1997, Robin Hood and Other Outlaw Tales, Kalamazoo (MI), Medieval Institute Publications, en ligne : http://d.lib.rochester.edu/teams/text/robin-hood-and-allin-a-dale [consulté le 25 avril 2017].
Leach MacEdward (éd.), 1955, The Ballad Book, New York, Barnes, p. 397-400.
Quiller-Couch Arthur, 1910, The Oxford Book of Ballads, Oxford, Clarendon, p. 616-620.
Ritson Joseph (éd.), 1795, Robin Hood: A Collection of all the Ancient Poems, Songs, and Ballads, now Extant, Relative to that Celebrated English Outlaw, 2 vol., Londres, T. Egerton, Whitehall, & J. Johnson, St. Pauls-Church-Yard, vol. II, p. 46-51.
Notes de bas de page
1 Will l’Écarlate et Allen a Dale sont souvent confondus dans la légende de Robin des Bois, sans doute en partie à cause de leur association avec la couleur écarlate.
2 Le rondel est un poème court à forme fixe, constitué de treize vers articulés autour de deux rimes et un refrain.
3 Robin des Bois prouve une fois encore que la fidélité a, pour lui, autant de valeur que l’or. Il avait déjà accepté en paiement l’amitié et la loyauté du chevalier dans Une geste de Robin des Bois.
4 L’évêque fait référence à la traditionnelle publication des bans, qui permet qu’un mariage soit annoncé dans une paroisse à trois reprises, en principe sur une période de trois semaines. Robin et Petit Jean s’empresse de rectifier la situation et nous offre une nouvelle parodie des convenances religieuses.
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Arthur, Gauvain et Mériadoc
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