Chapitre XI. Le Joyeux Garde-fourrière de Wakefield
p. 291-299
Texte intégral
Introduction
1Le lecteur attentif aura remarqué que les ballades post-médiévales sont toutes plus ou moins basées sur le même motif, à savoir la rencontre de Robin avec un étranger qu’il défie, avant d’être vaincu et de l’inviter à rejoindre le rang de ses joyeux compagnons. Cela a été le cas avec Petit Jean, Belle Marianne, Le Frère troussé, et Le Joyeux Garde-fourrière de Wakefield ne fait évidemment pas exception à la règle. Cependant, ce dernier récit est l’un des plus anciens de cette série et demeure de même l’un des plus populaires avec Le frère troussé.
2Nous ne reviendrons pas plus en détail sur la datation du Folio de Percy ou des manuscrits de Wood (xviie siècle), qui nous offrent, une fois encore, deux versions légèrement différentes de ce poème. Mais en dépit de cette présence sur des manuscrits du xviie siècle, la base même du récit remonte au moins au siècle précédent, puisqu’une entrée du Registre des Libraires au nom de maître John Wallye et maîtresse Toye, datée de 1557-1558, fait état d’un « ballett of Wakefyld and a grene ».
3Il est également intéressant de revenir sur la fonction même de l’antagoniste dans ce récit. Le texte anglais nous parle d’un « pinder », à savoir une personne chargée de la collecte des animaux errants et de leur mise en fourrière. Ce terme a donc été traduit par « garde-fourrière » dans la mesure où il ne connaît pas d’équivalent en français. Quelle que soit l’évolution du terme « fourrière » dans notre langue, il demeure le seul à même de désigner le lieu où sont enfermés les animaux errants. En effet, au xiiie siècle, l’ancien français foriere était alors synonyme d’écurie mais a ensuite graduellement pris un sens plus précis, désignant finalement un lieu où sont retenus les animaux errants ou ceux saisis par suite de contraventions. Le garde-fourrière de cette ballade semble néanmoins plus qu’un simple agent de mise en fourrière. Il protège véritablement la ville de Wakefield d’éventuels rôdeurs et s’impose comme le défenseur de ses habitants. Le garde-fourrière de Wakefield a donc sans doute subi le même sort que le frère troussé/Tuck : il s’agissait vraisemblablement d’un personnage populaire progressivement intégré à l’univers de Robin des Bois. Mais là où le frère permettait aux récits de jouer sur la satire religieuse et de rappeler parfois les fêtes de mai, la confrontation entre Robin et le garde-fourrière renvoie inévitablement le héros de Sherwood à sa condition de hors-la-loi forestier. Il n’est guère question ici (comme cela a souvent été le cas durant le xviie siècle) d’embourgeoisement du personnage, perdant progressivement ses origines de yeoman pour devenir Robert de Locksley, comte de Huntington. Au contraire, Robin fait face à un représentant direct du pouvoir en place, l’affronte et parvient à le convaincre de tourner le dos à la couronne et de rejoindre le rang des hors-la-loi.
4Contrairement au texte constituant notre chapitre précédent, le Folio de Percy est ici trop endommagé et lacunaire pour fournir une version complète du récit. Là où certains éditeurs, comme Knight et Ohlgren, ont choisi de proposer une version composite de la ballade, constituée d’éléments empruntés aux différentes versions, il a été décidé, au contraire, de proposer ici comme texte principal la ballade du manuscrit Wood, complétée par la conclusion du Folio.
The Jolly Pinder of Wakefield
A. The Jolly Pinder of Wakefield
¶ 1 In Wakefield there lives a jolly pinder,
In Wakefield, all on a green,
In Wakefield, all on a green;
‘There is neither knight nor squire’ said the pinder,
‘Nor baron that is so bold,
Nor baron that is so bold,
Dare make a trespasse to the town of Wakefield,
But his pledge goes to the pinfold,
But his pledge goes to the pinfold.’
¶ 2 All this beheard three witty young men,
‘Twas Robin Hood, Scarlet and John;
With that they spyed the jolly pinder,
As he sate under a thorn.
¶ 3 ‘Now turn again, turn again,’ said the pinder,
‘For a wrong way have you gone;
For you have forsaken the king his highway,
And made a path over the corn.’
¶ 4 ‘O that were great shame,’ said jolly Robin,
‘We being three, and thou but one.’
The pinder leapt back then thirty good foot,
’T was thirty good foot and one.
¶ 5 He leaned his back fast unto a thorn,
And his foot unto a stone,
And there he fought a long summer’s day,
A summer’s day so long,
Till that their swords, on their broad bucklers,
Were broken fast unto their hands.
¶ 6 ‘Hold thy hand, hold thy hand,’ said Robin Hood,
‘And my merry men every one;
For this is one of the best pinders
That ever I try’d with sword.
¶ 7 ‘And wilt thou forsake thy pinder his craft,
And live in the green wood with me?’
‘At Michaelmas next my covnant comes out,
When every man gathers his fee;
¶ 8 ‘I’le take my blew blade all in my hand,
And plod to the green wood with thee.’
‘Hast thou either meat or drink,’ said Robin Hood,
For my merry men and me?
¶ 9 ‘I have both bread and beef,’ seid the pinder,
‘And good ale of the best;’
‘And that is meat good enough,’ said Robin Hood,
‘For such unbidden guest.
¶ 10 ‘O wilt thou forsake the pinder his craft,
And go to the green wood with me?
Thou shalt have a livery twice in the year,
The one green, the other brown.’
¶ 11 ‘If Michaelmas day were once come and gone
And my master had paid me my fee,
Then would I set as little by him,
As my master doth set by me.’
B. Conclusion de la version du Percy Folio
¶ 12 ‘For this [is] one of the best pindars
That ever I saw with mine eye.
But hast thou any meat, thou jolly pindar,
For my merry men and me?’
¶ 13 ‘But I have bread and cheese,’ sayde the pindar,
‘And ale all on the best.’
‘That’s cheere good enoughe,’ said Robin,
‘For any such unbidden guests.
¶ 14 ‘But wilt be my man?’ said good Robin,
‘And come and dwell with me?
And twise in a yeere thy clothing be changed
If my man thou wilt bee.
¶ 15 ‘The tone shall be of light Lincolne greene,
The tother of Picklory.’
‘Att Michallmass comes a well good time,
When men have gotten in their ffee.
¶ 16 I’le sett as litle by my master
As he now setts by me,
I’le take my benbowe in my hande,
And come into the greenwoode to thee.’
Le Joyeux Garde-fourrière de Wakefield
Texte A : Le Joyeux Garde-fourrière de Wakefield
¶ 1 À Wakefield vit un joyeux garde-fourrière,
Dans un enclos de Wakefield,
Dans un enclos de Wakefield.
« Il n’est nul chevalier ou écuyer, dit le garde-fourrière,
Ni baron si brave soit-il,
Ni baron si brave soit-il,
Qui oserait s’introduire dans la ville de Wakefield,
Sans laisser sa sûreté à la fourrière,
Sans laisser sa sûreté à la fourrière. »
¶ 2 Trois jeunes gens eurent vent de ceci, Robin des Bois, l’Écarlate et Jean, et épièrent ainsi le joyeux garde-fourrière, assis près d’un buisson épineux.
¶ 3 « Allons, demi-tour, demi-tour, dit le garde-fourrière, car vous empruntez là un mauvais chemin : vous avez laissé la grand-route du roi et traversez un champ de blé.
¶ 4 – Oh, voilà qui serait dommageable, dit le joyeux Robin, nous sommes trois et tu es seul. » Le garde-fourrière bondit alors en arrière de trente bons pieds, de trente et un bons pieds.
¶ 5 Il s’adossa contre un buisson épineux et cala son pied sur une pierre, et là il combattit une longue journée d’été, une journée d’été si longue, jusqu’à ce que leurs épées se brisèrent à la garde contre leurs larges boucliers.
¶ 6 « Retiens ta main, retiens ta main, dit Robin des Bois, et vous aussi mes joyeux compagnons car voilà un des meilleurs garde-fourrières que j’ai jamais éprouvés de l’épée !
¶ 7 Oublieras-tu ton métier de garde-fourrière pour vivre dans la verte forêt avec moi ?
– La prochaine Saint-Michel, où chaque homme est payé, verra la fin de mon engagement.
¶ 8 Je prendrai en main mon excellente lame et marcherai vers la verte forêt avec toi.
– As-tu quelques vivres ou boissons, dit Robin des Bois, pour mes joyeux compagnons et moi ?
¶ 9 – J’ai du pain et du bœuf, dit le garde-fourrière, et la meilleure des bières.
– C’est là chère assez bonne, dit Robin des Bois, pour des hôtes si inattendus.
¶ 10 Oh, oublieras-tu ton métier de garde-fourrière pour vivre dans la verte forêt avec moi ? Tu auras une livrée deux fois l’an, l’une verte, l’autre brune.
¶ 11 – Fût-ce le jour de la Saint-Michel passé et mon dû payé par mon maître, alors son sort m’importerait autant que le mien importe à mon maître. »
Texte B : conclusion de la version du Folio de Percy
¶ 12 « Voilà un des meilleurs garde-fourrières que j’ai jamais vus de mes propres yeux. Mais as-tu quelques vivres, heureux garde-fourrière, pour mes joyeux compagnons et moi ?
¶ 13 – J’ai du pain et du fromage, dit le garde-fourrière, et la meilleure des bières.
– C’est là chère assez bonne, dit Robin, pour des hôtes si inattendus.
¶ 14 Mais seras-tu mon homme ? dit le bon Robin. Et viendras-tu vivre avec moi ? Et ta tenue sera changée deux fois l’an, si tu fais partie de mes gens.
¶ 15 Une sera d’un léger vert de Lincoln1, l’autre de Picklory.
– À la Saint-Michel vient une bien belle époque durant laquelle chaque homme reçoit son dû.
¶ 16 Le sort de mon maître m’importera autant que le mien lui importe à présent. Je prendrai alors mon arc en main et je te retrouverai dans la verte forêt. »
Bibliographie
Source
Texte A
Bodleian Library, Oxford, Wood, MS 402, f. 42.
Texte B
Folio de l’évêque Thomas Percy, British Library, Add MS 27, 879, f. 6r.
Autres éditions
Texte A
Child James Francis (éd.), 1882-1898, English and Scottish Popular Ballads, 5 vol., Boston, Houghton Mifflin & Company, vol. III, p. 131.
Dobson Richard Barrie et Taylor John (éd.), 1976, Rymes of Robin Hoode: An Introduction to the English Outlaw, Londres, William Heinemann, p. 146-148.
EvansThomas (éd.), 1810 [1777], Old Ballads, Historical and Narrative, 2 vol., Londres, T. Evans, vol. I, p. 99.
Gutch John Mathew (éd.), 1847, A Lytell Geste of Robin Hode, with other Ancient and Modern Ballads and Songs, 2 vol., Londres, Longman, Brown, Green & Longmans, vol. II, p. 144-146.
Leach MacEdward (éd.), 1955, The Ballad Book, New York, Barnes, p. 365-366.
Ritson Joseph (éd.), 1795, Robin Hood: A Collection of all the Ancient Poems, Songs, and Ballads, now Extant, Relative to that Celebrated English Outlaw, 2 vol., Londres, T. Egerton, Whitehall, & J. Johnson, St. Pauls-Church-Yard, vol. II, p. 16-18.
Texte B
Child James Francis (éd.), 1882-1898, English and Scottish Popular Ballads, 5 vol., Boston, Houghton Mifflin & Company, vol. III, p. 131-132.
HalesJohn W. et Furnivall Frederick James (éd.), 1867-1868, Bishop Percy’s Folio Manuscript. Ballads and Romances, 3 vol., Londres, N. Trübner & Co., vol. I, p. 34-36.
Notes de bas de page
1 Le vert de Lincoln est la couleur de prédilection de la tunique de Robin des Bois et de ses joyeux compagnons.
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