Chapitre IX. Robin des Bois et Belle Marianne
p. 261-269
Texte intégral
Introduction
1Robin des Bois et Belle Marianne est loin d’être le texte le plus populaire ou le plus abouti artistiquement de tout notre corpus. Il ne mérite pas pour autant d’être oublié et écarté, dans la mesure où il donne au personnage de Marianne un récit qui lui est propre, une indépendance nouvelle, et lui permet d’être plus qu’une simple compagne ou objet de conquête lors des fêtes de mai.
2Le texte n’a survécu que dans la collection d’Anthony Wood, datant du xviie siècle, et est signé « S.S. », sans doute les initiales de l’auteur du poème. Mais il est possible de dater avec plus de précision ce récit, puisqu’il possède les mêmes caractéristiques que Robin des Bois et Petit Jean : outre le fait qu’il s’agisse d’une préquelle, le poète fait ici aussi usage de la rime interne dans le troisième vers de chaque strophe (« With finger in eye, shee often did cry », str. 7), ce qui associe Robin des Bois et Belle Marianne à un mouvement littéraire que nous avons précédemment daté de la fin du xviie siècle.
3Ce poème n’a pas été particulièrement populaire au fil des siècles, peut-être parce qu’il tente d’associer le topique du combat face à un adversaire inconnu à une histoire d’amour, et a de fait été complètement oublié jusqu’à ce que Joseph Ritson le publie à nouveau en 1795. Pourtant, cette image d’une femme guerrière parvenant à rivaliser avec Robin des Bois n’est pas anecdotique et justifie à elle seule sa présence dans le présent ouvrage.
Robin Hood and Maid Marian
4A famous Battle between Robin Hood and Maid Marian, declaring their Love, Life, and Liberty. Tune, Robin Hood Reviv’d.
¶ 1 A bonny fine maid of a noble degree,
With a hey down down a down down,
Maid Marian call’d by name,
Did live in the North, of excellent worth,
For shee was a gallant dame.
¶ 2 For favour and face, and beauty most rare,
Queen Hellen shee did excell:
For Marian the was prais’d of all men
That did in the country dwell.
¶ 3 ‘Twas neither Rosamond nor Jane Shore,
Whose beauty was clear and bright,
That could surpass this country lass,
Beloved of lord and knight.
¶ 4 The Earl of Huntington, noble born,
That came of noble blood,
To Marian went, with a good intent,
By the name of Robin Hood.
¶ 5 With kisses sweet their red lips meet,
For shee and the earl did agree.
In every place, they kindly imbrace,
With love and sweet unity.
¶ 6 But fortune bearing these lovers a spight,
That soon they were forced to part;
To the merry green wood then went Robin Hood,
With a sad and sorrowfull heart.
¶ 7 And Marian, poor soul, was troubled in mind,
For the absence of her friend;
With finger in eye, shee often did cry,
And his person did much comend.
¶ 8 Perplexed and vexed, and troubled in mind,
Shee drest her self like a page,
And ranged the wood to find Robin Hood,
The bravest of men in that age.
¶ 9 With quiver and bow, sword, buckler, and all,
Thus armed was Marian most bold,
Still wandering about to find Robin out,
Whose person was better than gold.
¶ 10 But Robin Hood, hee himself had disguis’d,
And Marian was strangly attir’d,
That they prov’d foes, and so fell to blowes,
Whose vallour bold Robin admir’d.
¶ 11 They drew out their swords, and to cutting they went,
At least an hour or more,
That the blood ran apace from bold Robins face,
And Marian was wounded sore.
¶ 12 ‘O hold thy hand, hold thy hand,’ said Robin Hood,
‘And thou shalt be on of my string,
To range in the wood with bold Robin Hood,
And hear the sweet nightingall sing.’
¶ 13 When Marian did hear the voice of her love,
Her self shee did quickly discover,
And with kisses sweet she did him greet,
Like to a most loyall lover.
¶ 14 When bold Robin Hood his Marian did see,
Good lord, what clipping was there!
With kind imbraces, and jobbing of faces,
Providing of gallant cheer.
¶ 15 For Little John took his bow in his hand,
And wandring in the wood,
To kill the deer, and make good chear,
For Marian and Robin Hood.
The Second Parte
¶ 16 A stately banquet they had full soon,
All in a shaded bower,
Where venison sweet they had to eat,
And were merry that present hour.
¶ 17 Great flaggons of wine were set on the board,
And merrily they drunk round
Their boules of sack, to strengthen the back,
Whilst their knees did touch the ground.
¶ 18 First Robin Hood began a health
To Marian his onely dear,
And his yeomen all, both comly and tall,
Did quickly bring up the rear.
¶ 19 For in a brave vente they tost off the bouls,
Whilst thus they did remain,
And every cup, as they drunk up,
They filled with speed again.
¶ 20 At last they ended their merryment,
And went to walk in the wood,
Where Little John and Maid Marian
Attended on bold Robin Hood.
¶ 21 In sollid content together they liv’d,
With all their yeomen gay;
They liv’d by their hands, without any lands,
And so they did many a day.
¶ 22 But now to conclude, an end I will make
In time, as I think it good,
For the people that dwell in the North can tell
Of Marian and bold Robin Hood.
Robin des Bois et Belle Marianne
5Une fameuse bataille entre Robin des Bois et Belle Marianne, déclarant leur amour, vie et liberté. Mélodie de Robin des Bois revisitée.
¶ 1 Une bien belle jeune fille de noble lignée, ah derry dondaine, derry dondaine, nommée Belle Marianne, vivait dans le Nord, elle était d’excellente valeur car c’était une galante dame.
¶ 2 Par sa faveur, son visage et la rareté de sa beauté, elle surpassait la reine Hélène1 : tous les hommes demeurant dans le pays faisaient les louanges de Marianne.
¶ 3 Ni Rosemonde, ou encore Jane Shore2, dont la beauté était claire et brillante, ne surpassèrent jamais cette fille de province, aimée des seigneurs et chevaliers.
¶ 4 Le comte de Huntington3, issu d’une noble naissance et d’une noble lignée, se présenta devant Marianne, doté des meilleures intentions, sous le nom de Robin des Bois.
¶ 5 Leurs lèvres vermeilles se lièrent dans de doux baisers, car elle et le comte s’aimaient de concert. Ils s’embrassaient gentiment en tous lieux par amour et douce unité.
¶ 6 Mais la fortune se mit à honnir ces amants, qui furent bientôt contraints à se séparer. Ainsi, Robin des Bois gagna l’heureux bois vert, le cœur triste et affligé.
¶ 7 Et la pauvre Marianne fut fort affligée par l’absence de son ami : elle pleurait souvent, se cachant les yeux, louant grandement sa personne.
¶ 8 Soucieuse, affligée et fort attristée, elle revêtit une tenue de page et s’en alla parcourir la forêt en quête de Robin des Bois, le plus brave des hommes de ce temps.
¶ 9 Ainsi armée de carquois et de flèches, épée, bouclier et autres, Marianne fut bien vaillante, errant toujours pour débusquer Robin, dont l’être valait plus que l’or.
¶ 10 Mais Robin des Bois s’était de même costumé, et Marianne était étrangement vêtue, si bien qu’ils se crurent ennemis et en vinrent aux mains, et le vaillant Robin admira sa valeur.
¶ 11 Ils tirèrent leurs épées et frappèrent de la taille durant au moins une heure ou plus : le sang coula alors sur le visage du brave Robin et Marianne fut grandement blessée.
¶ 12 « Oh, retiens ta main, retiens ta main, dit Robin des Bois, et tu seras l’une des cordes de mon arc, sillonnant la forêt avec le preux Robin des Bois, et écoutant le chant des doux rossignols. »
¶ 13 Quand Marianne entendit la voix de son amour, elle se découvrit rapidement et l’accueillit de doux baisers comme le plus loyal des amants.
¶ 14 Quand le preux Robin des Bois vit Marianne, Seigneur, combien ils s’embrassèrent ! Tout ne fut qu’enlacements et visages perdus l’un dans l’autre, causant une galante joie.
¶ 15 Petit Jean prit alors son arc en main et partit dans le bois tuer un cerf afin que Robin des Bois et Marianne fassent bonne chère.
Seconde partie
¶ 16 Un sublime banquet fut bientôt tenu sous une charmille ombragée, où ils eurent à manger de la douce venaison et furent pour l’heure bien heureux.
¶ 17 De grandes cruches de vin furent placées sur la table et ils burent joyeusement leurs bols de vin blanc, fortifiant le dos, tandis que leurs genoux reposaient au sol4.
¶ 18 Robin des Bois but d’abord à la santé de Marianne, son unique amie, et conclut en buvant à celle de ses yeomen, tous beaux et grands.
¶ 19 Ils burent alors leurs bols, l’esprit enjoué, tandis qu’ils le pouvaient, et remplirent bientôt à nouveau chaque coupe à peine l’eurent-ils vidée.
¶ 20 Leurs joyeusetés s’achevèrent finalement, et ils allèrent marcher dans les bois où Petit Jean et Belle Marianne tenaient compagnie au preux Robin des Bois.
¶ 21 Ils vécurent ensemble d’un bonheur constant, avec leurs joyeux yeomen. Ils vécurent de leurs mains, sans jamais posséder la moindre terre5, et ce, durant de longues années.
¶ 22 À présent, pour conclure, je dois vous conter une fin que je pense plaisante, car tous ceux vivants dans le Nord parlent encore de Marianne et du preux Robin des Bois.
Bibliographie
Source
Bodleian Library, Oxford, Wood, MS 401, f. 21v - 22r.
Autres éditions
Child James Francis (éd.), 1882-1898, English and Scottish Popular Ballads, 5 vol., Boston, Houghton Mifflin & Company, vol. III, p. 218-219.
Dobson Richard Barrie et Taylor John (éd.), 1976, Rymes of Robin Hoode: An Introduction to the English Outlaw, Londres, William Heinemann, p. 176-178.
Evans Thomas (éd.), 1810 [1777], Old Ballads, Historical and Narrative, 2 vol., Londres, T. Evans, vol. II, p. 240-244.
Gutch John Mathew (éd.), 1847, A Lytell Geste of Robin Hode, with other Ancient and Modern Ballads and Songs, 2 vol., Londres, Longman, Brown, Green & Longmans, vol. II, p. 303-306.
Knight Stephen et Ohlgren Thomas H. (éd.), 1997, Robin Hood and Other Outlaw Tales, Kalamazoo (MI), Medieval Institute Publications, en ligne : http://d.lib.rochester.edu/teams/text/robin-hood-and-maid-marian [consulté le 14 avril 2017].
Leach MacEdward (éd.), 1955, The Ballad Book, New York, Barnes, p. 423-425.
Ritson Joseph (éd.), 1795, Robin Hood: A Collection of all the Ancient Poems, Songs, and Ballads, now Extant, Relative to that Celebrated English Outlaw, 2 vol., Londres, T. Egerton, Whitehall, & J. Johnson, St. Pauls-Church-Yard, vol. II, p. 157-161.
Notes de bas de page
1 Hélène, reine de Sparte, dont la beauté lança un millier de navires dans la guerre de Troie. Ce passage évoque le Doctor Faustus de Christopher Marlowe (représenté pour la première fois en 1592) dans lequel Faust demande, en voyant entrer Hélène, reine de Sparte (sc. xiii) : « Was this the face that launched a thousand ships / And burnt the topless towers of Ilium? » « Voilà donc le visage pour qui furent lancés mille vaisseaux, / et brûlées les tours d’Ilion ? »
2 Le poète fait ici référence à deux standards de beauté médiévaux, à savoir « la Belle Rosemonde » Clifford, maîtresse de Henri II (xiie siècle), et Jane Shore, maîtresse d’Édouard IV (xve siècle).
3 C’est là l’une des rares mentions du lignage de Robin des Bois, preuve de la « gentrification », ou embourgeoisement, progressif du mythe au fil des siècles.
4 Les hors-la-loi mangent assis à même le sol, leurs viandes et boissons reposant sur une planche de bois. Ici, le vin blanc fortifié (« sack ») sert donc, non sans humour, à leur fortifier le dos.
5 Dans sa conclusion, la ballade renoue avec les origines du mythe et s’écarte de l’embourgeoisement de Robin des Bois. Lui et Marianne vivent comme des hors-la-loi, loin de la ville et de leur héritage.
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