Chapitre VII. Robin des Bois et le potier
p. 233-243
Texte intégral
Introduction
1Ce fragment, intitulé Robin des Bois et le potier, forme la seconde partie de la pièce publiée par William Copland vers 1560. Bien qu’elle suive dans le texte d’origine la pièce précédente sans aucune interruption, il s’agit de toute évidence d’une saynète différente, et l’introduction de Robin ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agisse d’une nouvelle aventure. Tout comme pour Robin des Bois et le frère, la pièce semble avoir été retravaillée sans grande finesse poétique à partir d’une œuvre préexistante, sans doute pour répondre aux attentes d’un public élisabéthain friand des aventures du hors-la-loi.
2La relation de cette pièce avec le poème du même nom est très intéressante puisque, dans ce cas précis, le poème précède sa version dramatique de près de soixante ans, là où Robin des Bois et le frère précédait, quant à elle, la ballade du frère troussé de près d’un siècle. De fait, ce texte nous donne une occasion unique d’apercevoir le processus de transformation d’un récit oral vers un texte dramatique destiné à l’impression. La pièce paraphrase ainsi par moment des dialogues du poème (« Il n’a jamais été homme assez courtois pour payer un penny de péage. »/ « [Il] ne fut jamais potier assez courtois pour payer un penny de péage. ») tout en dramatisant considérablement les événements. Toutefois, il semble improbable que la pièce soit une adaptation de la version du poème qui nous est parvenue, sans quoi les emprunts seraient beaucoup plus nombreux, le montant du pari engagé entre Robin et Petit Jean ne serait pas si différent (quarante shillings dans un cas, vingt livres dans l’autre), et le dramaturge n’introduirait pas un nouveau personnage (Jack) dans ce qui est censé être une simplification dramatique d’un récit poétique complexe. Il semble donc que la saynète se base sur l’histoire de la rencontre entre Robin et le potier, mais sur une version différente et qui nous est inconnue.
3La pièce est par ailleurs incomplète, ce qui ne permet pas de juger de la relation du reste du récit avec le poème, dans la mesure où Copland a publié un texte s’arrêtant net après le début du combat opposant Robin, Petit Jean et le potier. Comme le suggèrent Dobson et Taylor, il est possible que Copland (qui ne signale aucunement pourquoi le texte s’arrête) ait imprimé une copie d’une édition, ayant peut-être été en sa possession, et dont il avait égaré une ou plusieurs pages (1976, p. 216). Quelle qu’ait été la fin de la saynète, il est probable qu’elle se soit achevée sur une danse Morris.
The Play of Robin Hood and the Potter
Robyn Hode:
Lysten to [me] my mery men all
And harke what I shall say
Of an adventure I shall you tell
That befell this other daye.
With a proude potter I met;
And a rose garlande on his head,
The floures of it shone marvaylous freshe.
This seven yere and more he hath used this waye,
Yet was he never so curteyse a potter
As one penny passage to paye.
Is there any of my mery men all
That dare be so bolde
To make the potter paie passage either silver or golde?
Lytell John:
Not I, master, for twenty pound redy tolde.
For there is not among us al one
That dare medle with that potter man for man.
I felt his handes not long agone,
But I had lever have ben here by the.
Therefore I knowe what he is;
Mete hem when ye wil or mete him whan ye shal
He is as propre a man as ever you medle[d] withal.
Robyn Hode:
I will lai with the, Litel John, twenti pound so read,
If I wyth that potter mete,
I wil make him pay passage, maugre his head.
Lettell John:
I consente therto, so eate I bread;
If he pay passage, maugre his head,
Twenti pound shall ye have of me for your mede.
[Exit Robin Hood’s merry men. Enter the Potter’s boy, Jack]
Jacke:
Out alas that ever I sawe this daye!
For I am clene out of my waye
From Notygham towne.
If I hye me not the faster,
Or I come there the market wel be done.
Robyn Hode:
Let me se, are the pottes hole and sounde?
[Robin Hood throws one of the pots to the ground]
Jacke:
Yea, meister, but they will not breake the ground.
Robyn Hode:
I wil them breke for the cuckold thi maister’s sake;
And if they will breake the grounde,
Thou shalt have thre pence for a pound.
[Robin Hood breaks other pots]
Jacke:
Out alas! what have ye done?
If my maister come, he will breke your crown.
[Enter the Potter]
The Potter:
Why, thou horeson, art thou here yet?
Thou shouldest have bene at market.
Jacke:
I met with Robin Hode, a good yeman;
He hath broken my pottes,
And called you kuckolde by your name.
The Potter:
Thou mayst be a gentylman, so God me save,
But thou semest a naughty knave.
Thou callest me cuckolde by my name,
And I swere by God and Seynt John,
Wyfe had I never none:
This cannot I denye.
But if thou be a good felowe,
I wil sel mi horse, mi harneis, pottes and paniers to,
Thou shalt have the one halfe, and I wil have the other.
If thou be not so content,
Thou shalt have stripes, if thou were my brother.
Robyn Hode:
Harke, potter, what I shall say;
This seven yere and more thou hast used this way,
Yet were thou never so curteous to me
As one peny passage to paye.
The Potter:
Why should I paye passage to thee?
Robyn Hode:
For I am Robyn Hode, chiefe governoure
Under the grene woode tree.
The Potter:
This seven yere have I used this way up and downe,
Yet payed I passage to no man;
Nor now I wyl not beginne, to do the worst thou can.
Robyn Hode:
Passage shalt thou pai, here under the grene wode tre,
Or els thou shalt leve a wedded with me.
The Potter :
If thou be a good felowe, as men do the call,
Laye away thy bowe,
And take thy sword and buckeler in thy hande,
And se what shall befall.
Robyn Hode :
Lyttle John, where art thou?
[Enter Little John]
Lytell John :
Here, mayster, I make God avowe.
I told you, mayster, so God me save,
That you should fynde the potter a knave.
Holde your buckeler [fast in your hand],
And I wyll styfly by you stande,
Ready for to fyghte ;
Be the knave never so stoute,
I shall rappe him on the snoute,
And put hym to flyghte.
[They fight]
[End of the text]
Thus endeth the play of Robyn Hode
La pièce de Robin des Bois et le potier
Robin des Bois. – Écoutez-moi, mes joyeux compagnons, et prêtez l’oreille à ce que je vais dire.
Je vais vous parler d’une aventure qui m’est survenue l’autre jour : je rencontrai un fier potier portant sur la tête une guirlande de roses1, dont les fleurs luisaient avec une merveilleuse fraîcheur. Depuis sept ans et plus, il emprunte ce chemin, mais ne fut jamais potier assez courtois pour payer un penny de péage.
L’un de mes joyeux compagnons sera-t-il assez hardi pour faire payer le péage à ce potier, en argent ou en or ?
Petit Jean. – Moi non, maître, pas même pour vingt livres sonnantes et trébuchantes. Car aucun d’entre nous n’oserait défier ce potier d’homme à homme. J’ai senti la force de ses mains il y a peu et j’aurais préféré être ici à vos côtés. Voilà comment je le connais ; rencontrez-le quand bon vous semblera, c’est un homme aussi fort qu’aucun que vous eussiez affronté.
Robin des Bois. – Je parierai avec toi, Petit Jean, vingt livres bien rouges2 que si je rencontre ce potier, je lui ferai payer le péage, contre son gré.
Petit Jean. – J’y consens donc, aussi vrai que je mange du pain. S’il paie le péage contre son gré, je vous donnerai vingt livres de récompense.
[Les joyeux compagnons sortent. Jack, le garçon du potier, entre.]
Jack. – Hélas, quelle journée de malheur ! Car me voilà bien loin de la ville de Nottingham, et à moins de me presser, je n’arriverai qu’une fois le marché fini.
Robin des Bois. – Voyons voir, ces pots sont-ils bien solides ?
[Robin des Bois jette un pot par terre.]
Jack. – Oui, messire, mais ils ne briseront pas le sol.
Robin des Bois. – Je les briserai par égard pour ton cornard de maître, et s’ils brisent le sol, tu recevras une monnaie de trois pence pour chaque livre.
[Robin des Bois casse d’autres pots.]
Jack. – Malheur ! Qu’avez-vous fait ? Si mon maître vient, il vous brisera le crâne.
[Le potier entre.]
Le potier. – Pourquoi es-tu encore ici, bâtard ? Tu devrais déjà être au marché !
Jack. – J’ai rencontré Robin des Bois, un bon yeoman. Il a brisé mes pots et vous a appelé « cornard » de nom.
Le potier. – Tu pourrais bien être un gentilhomme, que Dieu me préserve, mais tu sembles être un vilain gredin. Tu m’appelles « cornard » de nom, alors que je jure par Dieu et saint Jean que je n’eus jamais de femme : cela, je ne peux le nier. Mais si tu es un bon compagnon, je te vendrai mon cheval, mon harnais, mes pots et paniers : tu en auras une moitié, je conserverai l’autre. Si cela ne te sied pas, fus-tu mon propre frère, tu seras corrigé.
Robin des Bois. – Écoute, potier, ce que j’ai à dire : voilà sept ans et plus que tu empruntes ce chemin, pourtant tu ne fus jamais assez courtois envers moi pour payer un penny de péage.
Le potier. – Pourquoi devrais-je te payer le péage ?
Robin des Bois. – Car je suis Robin des Bois, gouverneur en chef sous l’arbre de bois vert.
Le potier. – Voilà sept ans que je monte et descends ce chemin sans pourtant payer de péage à quiconque, et je ne commencerai pas maintenant ; tu peux donc faire au pire.
Robin des Bois. – Tu paieras le péage, ici sous l’arbre de bois vert, ou bien tu me laisseras un dédit.
Le potier. – Si tu es aussi bon compagnon que les hommes le disent, pose donc ton arc, prends en mains ton épée et ton bocle, et nous verrons ce qu’il adviendra.
Robin des Bois. – Petit Jean, où es-tu ?
[Petit Jean entre.]
Petit Jean. – Ici, maître, je le jure devant Dieu. Je vous avais prévenu, maître, que Dieu me préserve, que ce potier ne serait qu’une canaille. Tenez votre bocle [fermement en main3], et je serai à vos côtés, prêt à combattre. Fasse que ce gredin ne soit pas si vaillant, je le cognerai sur le groin et je le ferai fuir.
[Ils se battent.]
[Fin du texte.]
Ainsi s’achève la pièce de Robin des Bois.
Bibliographie
Source
Copland William (éd.), c. 1560, « A mery geste of Robyn Hoode and of hys lyfe, wyth a new playe for to be played in Maye games very plesaunte and full of pastyme », Londres, Three Cranes Wharf, sigs. H 4v - I 2v, British Library, C.21. C.63.
Autres éditions
Child James Francis (éd.), 1882-1898, English and Scottish Popular Ballads, 5 vol., Boston, Houghton Mifflin & Company, vol. III, p. 114-115.
Dobson Richard Barrie et Taylor John (éd.), 1976, Rymes of Robin Hoode: An Introduction to the English Outlaw, Londres, William Heinemann, p. 215-219.
Greg walter Wilson (éd.), 1908, « A Play of Robin Hood for May-games from the Edition by William Copland, c. 1560 », dans Collections, vol. I, t. II, Oxford, Malone Society Publications, p. 132-136.
Gutch John Mathew (éd.), 1847, A Lytell Geste of Robin Hode, with other Ancient and Modern Ballads and Songs, 2 vol., Londres, Longman, Brown, Green & Longmans, vol. II, p. 57-60.
Knight Stephen et Ohlgren Thomas H. (éd.), 1997, Robin Hood and Other Outlaw Tales, Kalamazoo (MI), Medieval Institute Publications, en ligne : http://d.lib.rochester.edu/teams/text/robin-hood-and-the-friar-and-robin-hood-and-the-potter [consulté le 12 avril 2017].
Manly John Matthews (éd.), 1897, Specimens of the Pre-Shakespearean Drama, 2 vol., Boston et Londres, Ginn & Company, vol. I, p. 285-288.
Ritson Joseph (éd.), 1795, Robin Hood: A Collection of all the Ancient Poems, Songs, and Ballads, now Extant, Relative to that Celebrated English Outlaw, 2 vol., Londres, T. Egerton, Whitehall, & J. Johnson, St. Pauls-Church-Yard, vol. II, p. 199-203.
White Edward (éd.), c. 1590, « A Merry Iest of Robin Hood, and of his life, With a newe play to be plaied in May-games. Very pleasant and full of pastime », Londres [Oxford, Bodleian Library, Z.3. Art. Seld].
Notes de bas de page
1 À noter que cette couronne de fleurs vaut mention calendaire, en particulier dans le contexte des fêtes de mai. Voir, à ce sujet, notre introduction, ainsi que Walter, 1989, p. 265-269.
2 C’est une allusion à la couleur de l’or. Il est intéressant de noter que le montant du pari est passé de quarante shillings dans le poème (str. 7) à vingt livres.
3 Ces mots sont pratiquement effacés dans le texte édité par Copland et proviennent de l’édition de White de 1590.
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Arthur, Gauvain et Mériadoc
Récits arthuriens latins du xiiie siècle
Philippe Walter (dir.) Jean-Charles Berthet, Martine Furno, Claudine Marc et al. (trad.)
2007
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2013
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Rhétorique des états de la société dans l'Espagne médiévale
Vincent Serverat
1997
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Merlin, Lailoken, Suibhne — Textes et études
Philippe Walter (dir.) Jean-Charles Berthet, Nathalie Stalmans, Philippe Walter et al. (trad.)
1999
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