Chapitre IV
Du lexique à la syntaxe : les dynamiques iconiques
p. 101-122
Texte intégral
1Nous avons présenté dans le chapitre III les constituants permettant la formation des signes de la lsf. Nous reviendrons ici sur l’emplacement, le mouvement et la forme de main. Nous avons déjà vu qu’ils peuvent se constituer, à un niveau phonologique, en paramètres de formation du signe et devenir des unités sublexicales en supportant un sème de signification : ils glissent ainsi du statut de phonème à un statut d’unité sémique qui se rapproche de celui d’un morphème – ce qui peut rappeler ce que l’on nomme « morpho-phonologie » dans les langues vocales.
2Voyons maintenant comment chacun de ces trois paramètres peut se transformer, en glissant encore, pour unifier, en lsf, les niveaux lexical et syntaxique. Ce sont ces glissements successifs vers des niveaux linguistiques différents qui fondent ce que nous appelons les dynamiques iconiques, modèle que nous présenterons tout d’abord de façon partielle pour chacun des éléments retenus, puis de façon globale à la fin du chapitre.
1. Emplacements : ancrage, spatialisation, locus
3Dans une langue gestuelle, et donc nécessairement spatiale, il n’est pas étonnant que tous les signes lexicaux exécutés lors d’un énoncé aient un emplacement. Les signes lexicaux sont en effet nécessairement distribués dans l’espace de signation à des places qui ne doivent rien au hasard comme nous le verrons dans le chapitre V consacré aux espaces en lsf. Mais ces emplacements n’ont pas tous la même valeur ni la même fonction linguistique. Il apparaît donc important de les différencier en distinguant entre ancrage, spatialisation et locus.
1.1. Ancrage (rappel)
4Nous avons vu que les éléments du lexique possédaient nécessairement un emplacement, soit dans un espace dit « neutre », soit sur le corps. Au niveau du lexique, on parlera donc plus volontiers d’ancrage du signe que d’emplacement, même si le terme « emplacement » reste très usité. Rappelons brièvement que l’ancrage est produit de façon non variante par des locuteurs auxquels on demanderait, par exemple, de traduire un mot français en lsf. Il s’agit donc d’un emplacement conventionnel tel qu’il est décrit dans les dictionnaires de lsf. Comme on l’a vu (III-2.3.2), on distingue deux types d’ancrage : l’ancrage neutre, effectué dans un espace juste devant le signeur à hauteur de buste – et quelquefois à hauteur de front – et l’ancrage corporel effectué sur différentes parties du corps. Cette distinction entre ancrage neutre et ancrage corporel est importante car les deux types d’éléments lexicaux n’ont pas, on l’a dit, le même comportement syntaxique. Les signes à ancrage neutre peuvent se spatialiser, les autres non.
1.2. Spatialisation
5Le procédé de spatialisation consiste à placer un signe dans un espace qui n’est pas celui de son ancrage lexical, mais qui correspond à des impératifs sémantiques et/ou syntaxiques liés à son insertion dans un énoncé. La spatialisation est au cœur de la grammaire spatiale. Tous les signes à ancrage neutre vont ainsi pouvoir être placés à différents endroits en fonction du rôle sémantico-syntaxique qu’ils tiendront dans la phrase. Ainsi, dans les trois exemples suivants, le signe [maison] va être déplacé en trois emplacements différents. Dans l’exemple (4a), le signe [maison] est dans l’espace de son ancrage lexical, puisqu’il s’agit d’un signe isolé, tel qu’il peut apparaître dans un dictionnaire, ce que l’on nomme « forme de citation ». Il s’agit de la forme non marquée du signe.
(4a) | [maison] |
espaceN |
6Dans l’exemple (4b), le signe [maison] est intégré dans une structure de phrase où il représente un complément lié au verbe ; il trouvera alors place dans un espace spécifique dédié au lieu, situé à gauche du signeur à hauteur d’épaule – noté epsL ce qui sera explicité en (V-2). Il s’agit là d’une spatialisation du signe qui présente ce qu’on appelle une forme marquée du signe par rapport à la forme de citation.
7Toujours avec le signe [maison], on peut donner un autre exemple de forme marquée par spatialisation, cette fois-ci pour l’expression d’une donnée temporelle (4c). Le signe [maison] est déplacé dans un espace marquant le passé proche, pratiquement à hauteur d’épaule. On note d’ailleurs que dans cet exemple, la configuration manuelle ‘main plate’ est maintenue tout au long de l’énoncé. Il est plus économique de ne pas l’enlever – les signes [oublier] et [clé] s’exécutant à une main – pour arriver à la structure finale où elle est nécessaire, en valeur de proforme (2.3), pour l’expression de la relation locative traduite par « à la maison ».
8Cependant, les signes ancrés sur le corps ne peuvent se spatialiser et vont engendrer des structures phrastiques différentes de celles générées par les signes ancrés spatialement. Par exemple, un verbe comme [dormir], parce qu’il est ancré sur le corps, ne peut pas être spatialisé dans les espaces de troisième personne pour exprimer « Il dort » ; il n’y aura donc pas d’autre moyen que de pointer dans la zone dévolue aux agents pour la troisième personne.
9Ainsi, les signes ancrés sur le corps autorisent des structures plus linéaires que les signes ancrés spatialement. La phrase « Il dort » contraste donc avec la phrase « Il lui donne1 », le verbe [donner] étant un verbe ancré spatialement, et permettant, à ce titre, de générer une trajectoire qui va de l’agent au bénéficiaire.
10Dans l’instance de récit (V-4), la spatialisation des signes aboutit souvent à la création d’un locus.
1.3. Locus
11Cette notion centrale sera approfondie en (V-4.3). Disons déjà brièvement qu’il s’agit de portions d’espace rendues pertinentes pour assurer la référence et donc la cohérence textuelle.
12Par exemple, dans une narration qui met en scène un personnage se promenant et apercevant des fleurs, on va pouvoir créer un locus pour renvoyer à l’élément fleur.
13Le signe [fleur] étant ancré sur le corps, la création de locus nécessitera un pointage soit manuel soit par le regard. C’est ensuite à partir de ce locus que le signeur pourra exprimer que le personnage cueille des fleurs, comme on le voit dans l’exemple (5) également illustré.
14On peut noter que pour une même expression, d’autres structures, plus « appuyées » peuvent être employées, comme dans l’exemple (5b) où le locus est à la fois regardé et pointé manuellement.
1.4. Dynamiques iconiques des emplacements
15On voit donc bien comment les emplacements se redéfinissent et changent de statut selon qu’ils ne sont qu’un simple ancrage lexical ou qu’ils apportent des informations sémantico-syntaxiques spécifiques lorsqu’ils sont des spatialisations, ou encore qu’ils deviennent des espaces syntaxiques à visée référentielle propres à assurer la cohérence phrastique dans le cas des locus. Le tableau suivant résume les glissements iconiques de l’emplacement dans des niveaux linguistiques différents – on intègre dans cette synthèse le statut sublexical vu au chapitre précédent (III-4.2.1).
2. Formes de mains : configuration, spécificateurs de taille et de forme (stf), proformes manuelles
16Au plan lexical, comme on l’a vu, la forme de main est dite le plus souvent « configuration manuelle ». Cela dit, comme pour les emplacements, les formes de mains peuvent acquérir d’autres statuts.
2.1. Configurations (rappel)
17On a donné un inventaire – parmi d’autres possibles – de ces configurations dans le précédent chapitre (synth. graph. 5). L’étude et le recensement de ces configurations relèvent des recherches en « phonologie de la lsf », dont elles constituent le noyau dur2. Or, au niveau lexical, ce niveau strictement phonologique – comme c’est le cas pour le constituant formel ‘emplacement’ – peut glisser, comme on l’a vu, vers un statut sémique et constituer un trait sublexical dans le cadre de la structuration lexicale en lsf. Ainsi, nous avons pu observer que la configuration en ‘V’ assure la cohérence de la famille lexicale de [regarder], en véhiculant le sème /regard/ dans toute une série de signes que cette configuration réunit sémantiquement (synth. graph. 12). Ces formes de mains, peuvent de plus acquérir un statut de signe autonome quand elles interviennent dans la formation de ce que l’on appellera spécificateur de taille et de forme (stf)3.
2.2. Spécificateurs de taille et de forme (stf)
18Les spécificateurs de taille et de forme sont des éléments situés à la frontière entre le lexique et la morphologie4. Il s’agit de formes de mains utilisées pour décrire la forme et/ou la taille des objets auxquels le discours fait référence5. Les spécificateurs de taille et de forme sont en général traités de façon propre par les chercheurs en langues signées, car ils ont la particularité d’être purement descriptifs. Ainsi, la forme de main ‘pince ronde’ référera à des formes rondes, petites et plates, que l’on pourra traduire de bien des façons en français selon les contextes.
‘Pince ronde’ | – [robe] [stf rond, plat] X5 sur l’espace créé par [robe] – robe à pois |
– [pierre] [stf rond, plat] X5 dans l’espace neutre – des galets | |
– [bague] [stf rond, plat] balayage de l’espace neutre – des bagues en rangée |
19Dans ces utilisations de la configuration ‘pince ronde’, le spécificateur de taille et de forme a clairement une valeur adjectivale : comme un adjectif, il modifie le nom et leur sens est éminemment contextuel, ce qui explique qu’il doit recevoir des traductions très diverses en français.
2.2.1. Lexicalisation
20Un certain nombre de ces spécificateurs de taille et de forme se sont lexicalisés, et, de ce fait fonctionnent clairement comme des noms en lsf. Ils peuvent, dès lors, recevoir une traduction centrale en langue française. C’est le cas par exemple des signes [ballon] ou [bol].
21Dans ces deux signes, les formes de mains renvoient à la forme d’un ballon et à celle d’un bol, néanmoins si l’on demande une traduction de /ballon/ ou /bol/ à un locuteur de lsf, ces deux signes seront produits. Il s’agit donc de stf parfaitement lexicalisés6. C’est également le cas d’un signe comme [nid] qui figure la forme d’un nid, et qui, comme elle est très proche de celle d’un bol, génère une forme d’homonymie – liée à l’iconicité – que, comme toute homonymie, le contexte lèvera.
2.2.2. Concaténation, morphème descriptif ou valeur adjectivale ?
22Comme pour toutes les classes lexicales, les spécificateurs de taille et de forme sont une classe ouverte : le signeur crée la forme dont il a besoin pour sa description. Bras7 en donne un bon exemple dans la description ré-illustrée (ill. 22) que fait un locuteur du toit d’une maison chinoise.
23Ainsi, les spécificateurs de taille et de forme représentent, au moyen des mains, des formes d’objets. Quand les descriptions sont plus complexes et incluent des volumes, les mains tracent les formes dans l’espace de signation, au moyen, par exemple, de la forme de main ‘C’ pour tous les objets cylindriques, le mouvement permettant de décrire les contours du volume. On trouve aussi la possibilité de signifier des volumes au moyen d’un changement interne de configurations. C’est le cas dans le signe lexicalisé [banane], le mouvement manuel interne du signe passant de ‘3’ à ‘bec de canard’.
24C’est alors la trace mémorielle, laissée par ces tracés et sauvegardée par la mémoire du récepteur du message, qui porte la signification8.
2.3. Proformes manuelles
25Sur un plan syntaxique, les formes de mains, peuvent reprendre, parce qu’elles seront maintenues, des éléments lexicaux. Elles ont alors une valeur pronominale et se constituent comme proformes manuelles. Ces proformes manuelles sont des outils puissants de la cohérence syntaxique portée par les dynamiques iconiques. Elles permettent, en gardant la configuration manuelle d’un élément lexical, de conférer à la forme de main un statut syntaxique. C’est spécialement le cas dans les structures impliquant un rapport de localisation (X-3.2). Par exemple, pour exprimer /un ballon est sur la table/, il conviendra en lsf d’exprimer tout d’abord les deux éléments nominaux impliqués dans la relation de localisation – à savoir [ballon] et [table], puis de les reprendre par des proformes manuelles permettant d’exprimer le rapport de localisation /sur/, comme le décrit l’exemple (6).
26La forme de main en proforme [table] viendra se positionner légèrement avant la proforme [ballon], ce qui fait que même si la structure finale pourrait éventuellement signifier tout autant « Le ballon est sur la table » et « La table est sous le ballon » – conceptualisation assez peu probable – il n’y a, de ce point de vue, aucune ambiguïté.
27Cette séquentialité avérée du positionnement des deux formes manuelles, nous amène à penser que les notions de main dominante et main dominée n’ont pas de pertinence au niveau syntaxique9. Si elles sont utiles pour une description formelle du lexique (III-6.1.2), elles paraissent troubler la description syntaxique, puisque les mains, dans le schéma syntaxique, se rejoignent pour signifier une localisation et pour indiquer le sens de la lecture de cette signification.
28On retiendra donc que deux proformes ne sont pas dans un rapport de domination d’une main par rapport à l’autre. Par exemple dans le signe lexical [plonger] on peut reconnaître que la main droite – chez un droitier – en configuration ‘V’ est dominante. Cependant, dans une séquence narrative, où la main gauche figurerait un endroit d’où l’on plonge, la proforme [pr-lieu du plongeon] ne saurait être considérée comme main dominée. En effet, elle est exécutée en référence à un élément nommé avant – une terrasse, un rocher, une montagne – avec des formes de mains variables, pour supporter ce que l’on pourra appeler la « racine lexicale » en forme de ‘V’ du signe lexical, comme le montre l’illustration (24).
2.4. Dynamiques iconiques des formes de mains
29On le voit, tout comme les emplacements, les formes de mains acquièrent des statuts différents selon les niveaux linguistiques dans lesquels elles s’insèrent. Même si elles présentent une permanence de leurs formes, leurs fonctions varient assurant, une fois encore, la cohérence de l’ensemble de l’énoncé. Ces changements de statut linguistique, liés à l’iconicité et à la spatialité, peuvent se formaliser sous la forme d’un nouveau tableau exemplifié.
3. Mouvements : transitions, trajectoires, pointés et pointages
30La question du mouvement dans les langues gestuelles est complexe et bien des recherches doivent encore lui être consacrées. La difficulté réside dans le fait que le mouvement est un élément continu, au contraire par exemple des configurations manuelles qui sont des éléments discrets. Ainsi, tout au long d’un énoncé en lsf, il va y avoir, en continu, du mouvement, mais certains mouvements vont être purement articulatoires, permettant de passer d’un signe à un autre, tandis que d’autres vont être linguistiquement pertinents.
3.1. Mouvements transitoires
31Dans l’illustration (20), eps3a[donner]eps3b, tout le mouvement est pertinent linguistiquement, car c’est dans ce mouvement même que s’exprime la notion de /donner/ et que se distribuent les rôles sémantiques agent/bénéficiaire. Si nous ajoutons un complément à cette structure, par exemple [livre], la structure devient :
(7) [livre] eps3a[pr-livre – donner]eps3b – Il lui donne un livre.
32Pour passer de [livre] qui s’exécute dans l’espace neutre, au point de départ du verbe [donner] qui s’exécute dans un espace un peu plus bas que l’espace neutre à droite du signeur, il faut un mouvement qui fera passer la main de [livre] à [donner]. Ce mouvement n’est pas linguistique, il n’est qu’une contrainte articulatoire qui permet les transitions d’un signe à l’autre, c’est pourquoi nous le nommons « mouvement transitoire10 ». Parce qu’ils ne sont pas linguistiques, ces mouvements transitoires ne sont jamais notés dans les grilles d’annotations ou les systèmes de transcription des énoncés en lsf.
3.2. Mouvements liés au lexique : articulateurs, internes, iconiques (rappel)
33Nous reprendrons ici brièvement ce que nous avons développé dans le chapitre précédent (III-4.1).
3.2.1. Mouvements strictement articulateurs et mouvements internes
34Tout signe lexical comporte un mouvement qui permet d’en actualiser le sens. Ce mouvement dit « strictement articulateur » est en général bref, répété deux fois comme dans [travailler] ou unique plus lent comme dans [punir] qui ne se distingue de [travailler] que par ce paramètre ‘mouvement’. Dans d’autres signes, c’est ce que nous avons appelé « mouvement manuel interne » du signe qui articule le geste et le sens, ce mouvement interne consistant en un changement de configuration durant l’exécution du signe, comme c’est le cas dans [eau] ou [fleur].
3.2.2. Mouvements iconiques et supports de flexions iconiques
35Certains mouvements des signes lexicaux, sont iconiques et à ce titre peuvent devenir les supports de flexions iconiques, ces flexions permettant de créer des familles lexicales, comme c’est le cas dans l’exemple [bateau-avancer pour un bateau] (III-4.2.2).
3.3. Mouvements syntaxiques : trajectoires verbales et pointés
36Il existe en lsf un certain nombre de verbes – souvent nommés dans la littérature « verbes directionnels » – qui permettent que leur mouvement crée une trajectoire à même de distribuer les relations actancielles.
37La trajectoire d’un verbe se déploie d’un locus à un autre locus. Il s’agit de rendre compte, de façon iconique, de la valence verbale, c’est-à-dire du nombre d’actants liés au procès – autrement dit, les personnes et les objets impliqués par le sémantisme du verbe11. Ainsi, un verbe comme [dormir] n’implique qu’un seul actant : celui qui dort. Il n’est dès lors pas étonnant que ce verbe ne puisse, comme on l’a vu plus haut, se spatialiser et déployer une trajectoire. La structure syntaxique générée par ce verbe est conforme à la sémantique du verbe. D’autres verbes incluent dans leur structure sémantique plusieurs actants ; c’est le cas par exemple du verbe [prêter] qui implique trois actants, un agent, un bénéficiaire et un objet (parfois nommé « but ») ; son schéma actanciel que l’on définira par la formule abstraite [quelqu’un prête quelque chose à quelqu’un], peut être figuré de la façon suivante.
38En lsf, ce verbe générera une structure syntaxique à trajectoire. La trajectoire permettra d’identifier l’agent et le bénéficiaire en reliant des locus spécifiques, comme le montre le schéma suivant. Les points de départ et d’arrivée du verbe réalisent en fait des « pointés » sur des portions d’espace dédiées à des rôles sémantiques.
39Ainsi, la trajectoire des verbes trouve ses fondements dans la sémantique profonde du verbe – qui est stable d’une langue à l’autre – et distribue les rôles sémantiques dans une syntaxe spatiale. Ces questions sont approfondies au chapitre suivant. L’intrication profonde des niveaux sémantique et syntaxique, d’une part, et l’ancrage profondément sémantique des structures verbales, d’autre part, nous amènent à considérer que la structure de la lsf est d’essence sémantico-syntaxique.
40Les mouvements concernant les autres articulateurs de la lsf – tête, buste et épaules – seront abordés dans le dernier chapitre de cette partie.
3.4. Mouvements et pointages
41Le pointage est un outil puissant de la gestualité humaine et, en lsf, il est fondamental pour la syntaxe, spécialement, pour assurer la référence. Il a, dans la littérature internationale, été très débattu12 car il pose de nombreuses questions que nous ne saurions ici traiter dans le détail. Des typologies ou des descriptions ont pu en être proposées13, nous proposerons, quant à nous, en fin de section, une simple typologie formelle des manières de pointer.
3.4.1. Deux types de pointages différents
42Nous considérons qu’il existe deux formes formellement identiques, mais fonctionnellement différentes, de pointages. La première, que nous expliciterons plus loin, constitue le pointage en véritable signe qu’il ait une valeur de pronom (IX), de joncteur ou qu’il intervienne dans des formes de relativisation (XII-2.2). Il est dans ce cas, en lien avec un autre signe ou non, porteur d’une signification propre.
43La seconde, décrite ici, limite la fonction du pointage à la monstration ou à la création ou l’activation d’un locus. Dans ce cas, de notre point de vue, le pointage est essentiellement du mouvement, puisque la signification est portée par l’objet ou le locus pointé14, ce qui explique que, dans nos transcriptions nous notons [pté-voiture] ou [pté-loc1]. Ainsi, dans la glose, on note le sens et donc le « pointé ». Dans l’explication, en revanche, on analyse plutôt le pointage c’est-à-dire l’opération gestuelle. « Pointé » et « pointage » ne sont donc pas synonymes, car ils diffèrent selon le point de vue d’analyse : selon qu’il s’agit du sens ou de la forme. On retient ici deux types de pointages qui sont examinés du point de vue formel et sont nommés « pointage exophorique » et « pointage endophorique ».
3.4.2. Pointage exophorique
44D’une manière générale, dans la gestualité humaine, le pointage est un mouvement qui permet de montrer un objet présent dans une situation de communication, en dirigeant l’index vers l’objet. Il s’agit alors d’un marqueur exophorique, c’est-à-dire référant à une entité extérieure au discours. Par exemple, les jeunes enfants, utilisent souvent le pointage exophorique en lieu et place du vocabulaire. Un petit enfant peut ainsi montrer une voiture en disant « papa », pour signifier que c’est /la voiture de papa/. Ce type de pointage exophorique existe aussi dans le cadre d’un énoncé en lsf. Dans ce cas, le pointage, en général accompagné du regard, excède très largement l’espace de signation. La signification du pointage est l’objet désigné dans la situation de communication. Le statut de ce pointage exophorique en lsf reste controversé, s’agit-il ou non d’un élément linguistique, n’est-ce pas un élément gestuel co-verbal15 ? Comme il fonctionne globalement comme les pointages endophoriques, que nous allons envisager maintenant, nous dirons que, dans bien des cas, il est un mouvement syntaxique à valeur pronominale exophorique (IX-2.1).
3.4.3. Pointage endophorique
45En lsf, le pointage peut être également endophorique, c’est-à-dire fonctionnant à l’intérieur du discours. Dans ce cas, il permet de créer des locus, ou d’activer des locus déjà référencés dans le discours.
46La création de locus par pointage intervient avant l’élément nominal ; on parle alors de cataphore, comme c’est le cas dans l’exemple (5a) donné plus haut « J’aperçois une fleur, je la cueille ».
47Dans le cas d’une activation de locus, le pointage intervient après que le signe nominal a été produit ; on parle alors d’anaphore comme c’est le cas dans l’exemple illustré suivant.
48On notera que la structure peut se réaliser sans pointages, avec de simples localisations des signes qui permettent d’exprimer, grosso modo, la même chose, de façon plus synthétique. Il s’agit ici, selon nous, de variations stylistiques, dont témoigne l’illustration (25).
49On remarque dans cet exemple que l’ensemble des pointages et/ou des spatialisations est accompagné du regard du locuteur, car nous sommes dans une instance de récit16. Dans l’exemple (8), il convient de souligner que le pointage sur un doigt de la configuration manuelle de [pr-arbre] permet, d’une part, de réactiver l’iconicité de [arbre] en en spécifiant ici une partie, à savoir la branche, et que, d’autre part, il assure une localisation pour le signe [nid] qui suit. Selon nous, la signification « en haut » n’est pas portée par le pointage, mais par une forme de spatialisation marquée par le point d’arrivée du pointage, qui crée également un locus pour accueillir le signe [nid]. D’ailleurs, la variante donnée dans l’illustration (25) montre que les localisations, peuvent, à elles seules, dans un style qu’on pourrait qualifier de « plus fluide », assurer la transmission du sens des prépositions françaises « en haut » et « dans ». Pour le dernier pointage, [prM-nid – pté/dedans/], il nous apparaît plutôt être un signe qu’un simple mouvement, « dedans » étant régulièrement rendu par ce type de pointage, éventuellement exécuté avec une configuration ‘main plate’ ; il est donc, selon nous, plus en lien avec des phénomènes de relativisation ou de jonction.
3.4.4. Différentes manières de pointer
50Si, en lsf, l’archétype du pointage est bien ce mouvement manuel qui vise à pointer avec l’index un locus – le corps du signeur pouvant s’instancier en locus –, il se manifeste aussi par les autres articulateurs corporels que sont les épaules et le regard. On parlera alors soit de « pointage manuel » soit de « pointage par le regard », soit de « pointage par l’épaule » qui impliquent de légers mouvements de la tête et/ou des épaules. Par ailleurs, concernant le pointage manuel, il est nécessaire, pour une description plus fine, de distinguer entre le pointage par l’index, qui constitue un véritable pointage manuel, et le pointage par les configurations manuelles d’un verbe, aboutissant à un pointé sur un locus comme on vient de le voir. Par exemple, le verbe [demander] comporte une forme de pointage vers celui à qui l’on pose une question. Ce pointage par configuration est si nécessaire que la forme du verbe [demander], pour des raisons strictement articulatoires, se retourne lorsque l’on passe de /je lui demande/ à /il me demande/.
51De plus, il est également utile de qualifier le pointage. En effet, l’observation fine des énoncés en lsf laisse apparaître des pointages que l’on nommera « effleurés », où, dans la dynamique du mouvement transitoire qui permet de passer d’un signe à l’autre, l’index ne fera qu’effleurer le corps du signeur ou paraître anticiper la configuration manuelle du verbe, comme c’est le cas dans l’exemple suivant où le pointage manuel se fond très vite dans l’exécution du signe [aller].
(9) | mmq ‘indéfini’ | |
[ville] | [pté1-effleuré] [aller]epsL – Je suis allé dans une ville. | |
epsL |
52On peut résumer l’ensemble des façons de pointer, dont la signification sera le pointé comme suit.
3.5. Dynamiques iconiques des mouvements
53Nous sommes maintenant en mesure, comme nous l’avons fait pour les deux autres paramètres, de proposer le schéma des dynamiques iconiques propres au mouvement.
4. Corps du signeur, proforme corporelle
54Les langues gestuelles sont actuellement définies comme des langues visuo-corporelles par opposition aux langues vocales (I-3). Si les premières recherches s’étaient focalisées sur les mouvements manuels, en s’attachant d’abord principalement à décrire le niveau phonologique ainsi que le lexique puis l’utilisation de l’espace17, peu à peu, l’attention s’est portée sur l’ensemble du corps, qui est signifiant à des degrés divers selon les structures.
4.1. Corps du signeur et expression du « je »
55Comme dans toute interaction, le corps du signeur est engagé dans la conversation. Mais, alors que lorsque la conversation est menée en langue vocale le corps s’investit dans le langage de façon non linguistique, dans une forme de communication dite « non verbale » ou « co-verbale », dans une conversation en langue gestuelle le corps devient partie prenante de l’expression linguistique.
56Aucun auteur s’intéressant aux langues gestuelles ne peut faire l’impasse sur la question du corps du signeur, et nombre d’entre eux s’interrogent sur le statut linguistique du corps qui est la matérialité du « je ». Il y a ainsi en lsf, comme dans toutes les langues gestuelles, pour l’expression de la première personne, une proximité matérielle, physique et incarnée entre le sujet de l’énonciation – le locuteur qui produit un discours – et le sujet de l’énoncé – le « je18 ». Pour l’expression du « tu », cette proximité se joue sur le corps de l’interlocuteur. Ce qui trouble en fait, c’est que le corps du signeur est à la fois dans l’espace réel de l’interaction et dans le discours19.
57Le corps du signeur, en instance de dialogue, sert ainsi à l’expression du « je ». On a souvent dit que l’expression du « je » nécessitait un pointage manuel sur le corps du signeur – voire que le « je » de la lsf était ce pointage –, mais l’ensemble de nos corpus montre que ce pointage est assez rare et constitue une forme d’insistance, que l’on pourrait traduire en français par « c’est moi qui20 » (IX-3.1.3). De même, si le regard, lors de l’expression de ce « je », est nécessairement posé sur l’interlocuteur, ce regard n’est pas nécessairement lié à l’expression du « je », mais constitue plutôt l’instanciation du « tu », qui ne nécessite pas non plus de pointage manuel systématique, selon nos observations.
58Par ailleurs, le corps du signeur, et particulièrement le visage au travers de la mimique, permet, entre autres, au locuteur de donner, un peu à la manière de l’intonation dans les langues vocales, son avis sur ce qu’il dit, autrement dit, de modaliser les énoncés. Ce niveau énonciatif, spécialement pour ce qui concerne les modalités des phrases – assertion, interrogation, doute, etc., – se grammaticalise en lsf (VI-3). On peut donc dire que lors d’un discours en lsf, le corps du signeur devient un corps linguistique.
59Ainsi, il faut bien admettre que la particularité des langues gestuelles est cet investissement corporel dans le discours même, investissement, qui, en instance de récit, va se transformer en ce que l’on a coutume d’appeler « prise de rôle21 » et que nous nommons « proforme corporelle », car, à l’instar des proformes manuelles, les proformes corporelles ont une fonction pronominale.
4.2. Proforme corporelle et point de vue du personnage
60Si, en théorie, les récits – ou discours narratifs – peuvent se faire en lsf, de façon distanciée (V-4.2), dans les narrations longues – c’est-à-dire ne s’immisçant pas ponctuellement dans une interaction dialogique – la règle est que le narrateur s’efface et que le locuteur épouse le point de vue du personnage en l’incorporant littéralement.
61De ce point de vue, les récits en lsf commencent le plus souvent par présenter lexicalement, en instance de dialogue – donc regard posé sur l’interlocuteur – le protagoniste. Le personnage est ensuite repris par une proforme corporelle, comme c’est le cas dans l’exemple illustré suivant situé au tout début de l’histoire d’un chien rencontrant un papillon.
[forêt] [chien] […] [prC-chien ; prM-pattes – marcher] – Dans la/une forêt, un chien marche/se promène.
62Dans cette courte séquence qui ouvre la narration, le signeur thématise le lieu et le protagoniste de l’histoire puis reprend le nominal [chien] par une proforme corporelle à laquelle s’adjoignent les deux proformes manuelles renvoyant à /pattes de chien/ qui s’insèrent au signe [marcher-pour un chien]. Dans toute la suite du récit, le signe [chien] n’aura pas besoin d’être employé, la proforme corporelle, en fonction pronominale, rendant la référence non ambiguë.
63Dans la suite de l’histoire, vers la fin, le chien rencontre un papillon qui vient se poser sur son épaule, ce que montre l’illustration (27).
64Tout d’abord, le signe [papillon] est présenté, et repris en proforme corporelle tout de suite après, le regard posé sur un locus référant au chien. Le regard toujours sur le locus chien, le corps toujours en proforme corporelle, les mains continuant d’exprimer le signe [papillon] s’avancent vers le locus et aboutissent, en fin de phrase, sur le corps du signeur reconfiguré en proforme corporelle référant au chien. La dernière image correspond donc à une « proforme double », les mains renvoyant à un personnage (le papillon) et le corps du signeur à un autre (le chien). Ces structures linguistiques propres au récit seront détaillées en fin de partie III (IX-5), mais on peut déjà voir ici que proformes manuelles et proformes corporelles ainsi que leur combinaison sont des outils puissants de cohérence textuelle assurée par l’iconicité. Ces proformes, qu’elles soient manuelles ou corporelles, participent des dynamiques iconiques que nous avons décrites partiellement jusqu’ici et dont nous donnons maintenant le tableau synthétique complet.
5. Dynamiques iconiques : synthèse
65On a donc vu que, au plan lexical, les dynamiques iconiques permettent d’en assurer la structuration dans une logique de maintien ou de variations sur un paramètre. À partir du lexique donné en forme de citation, les dynamiques iconiques s’appuient à la fois sur une identité formelle, sur une combinatoire paramétrique et sur une potentialité « ré-interprétative » – facilitée sans doute par l’iconicité – du ou des paramètres en jeu, pour intégrer un niveau sublexical (base dérivationnelle). Ces paramètres peuvent également investir un niveau syntaxique (proformes et locus). La permanence visuelle d’un élément – spécialement les formes de mains et les emplacements – assoit ainsi une continuité lexicale et référentielle et permet au paramètre de devenir le nœud de la fluidité syntaxique reliant visuellement lexique et syntaxe.
66Le mouvement, quant à lui, en devenant trajectoire sémantico-syntaxique assure les correspondances entre ces différents éléments et ces différents niveaux linguistiques.
67Concernant les énoncés et le discours, cette dynamique iconique inclut une dynamique corporelle due au fait que le corps du signeur sert de support signifiant à la langue, pouvant incarner le « je », ou le « il » d’un personnage dont on adopterait le point de vue – une narration en « je », obligatoire en quelque sorte.
68Nous pouvons schématiser l’ensemble de ces dynamiques iconiques dans une figure rendant compte de ces glissements fonctionnels des éléments formels de la lsf22.
69Ce schéma rend compte de la façon dont les éléments formels peuvent assumer des fonctions différentes dans les discours en lsf. Leur statut peut être cénémique – c’est-à-dire vide de sens – ou au contraire plérémique – c’est-à-dire porteur de significations. Tous les éléments de ces dynamiques, quel que soit le niveau linguistique dans lequel ils s’intègrent, se trouvent entremêlés en discours. C’est à la lumière de ce modèle des dynamiques iconiques que nous avons conduit toutes les descriptions de phénomènes plus spécifiques qui sont présentés dans les troisième et quatrième parties de cet ouvrage. En effet, tous ces éléments généraux sous-tendront nos analyses, qui, menées dans une optique de linguistique générale, viseront à déterminer les catégories et les fonctions ainsi que les syntagmes et les structures phrastiques de la lsf.
70Il s’agit pour nous de dire et de décrire tout à la fois la cohérence fonctionnelle et syntaxique de la langue en l’inscrivant dans ce principe majeur de « glissement » des paramètres du signe lexical et du corps du signeur – glissement autorisé par l’iconicité fondamentale de la langue.
71Cette synthèse graphique (22) représente en quelque sorte le cœur de notre logique descriptive et c’est pourquoi nous avons choisi d’utiliser des termes différents pour référer, à chaque niveau linguistique, à des éléments formellement identiques.
72En tout état de cause, il s’agit d’une hypothèse forte pour forger une compréhension unifiée de la langue qui se fonde tout à la fois sur les mécanismes linguistiques exploitant l’iconicité, le corps et la spatialité ainsi que sur leurs interactions dans les structures phrastiques et les discours.
Notes de bas de page
1 Nous considérons que, dans leur forme de citation, les verbes dits « directionnels », tel [donner], sont ancrés dans l’espace neutre.
2 Il n’existe à notre connaissance que peu d’études sur les autres paramètres de formation du signe, sachant que les « emplacements » des signes lexicaux ont été décrits dès le début et qu’on en trouve des illustrations dans Moody, 1983, p. 58-59.
3 Au tout début, à la suite de la publication de la première grammaire de la lsf (Moody, 1983) c’est le terme « classificateur » qui s’est imposé. Il était d’ailleurs bien présent dans la littérature internationale (« classifier », en anglais), entre autres Emmorey, 2003, et particulièrement, dans cet ouvrage, l’article de Schembri, 2003, qui revisite les terminologies. Nous avons nous-même utilisé ce terme « classificateur » dans nos premiers travaux ; il nous est cependant vite apparu assez imprécis. En nous inspirant des nombreux travaux anglo-saxons utilisant aussi, et depuis les premiers travaux de Suppala, l’expression « shape and size specifiers » (sass), nous avons, alors proposé celle de « spécificateur de taille et de forme » (stf), qui s’est peu à peu imposée. C. Cuxac, quant à lui, parle plus volontiers de « transferts de taille » et de « transferts de forme ». Meurant, 2008, p. 97-128, utilise pour sa part « classificateur » qu’elle considère comme « un fragment d’unité ». Voghel, 2016, emploie également l’expression « verbe à classificateur » dans le titre de sa thèse sur la lsq.
4 Risler estime que « Les stf sont vraiment à la charnière entre noms, verbes, et déterminants, en accord avec leur morphologie iconique de délimitation. Ils peuvent avoir un emploi adjectival, nominal (quand ils sont conventionnalisés), ou verbal (intégrant une composante modale de temps-mode-aspect). Chaque emploi est caractérisé par des marques spécifiques : regardé (caractérisant), localisé (quantificateur), non regardé et non localisé (nominal), temporalisé (verbe). » (Risler, 2007, p. 116.)
5 Ce phénomène existe aussi dans les langues vocales, où l’on peut adjoindre des éléments – que les spécialistes ont nommés « classificateurs » – référant à des formes d’objets (voir, entre autres, Grinevald, 1999, 2007).
6 Cette appréciation de la lexicalisation, qui mérite d’être rendue plus robuste par des recherches additionnelles, est importante pour l’analyse, car certaines théories, en particulier la théorie sémiologique de Cuxac, considèrent qu’il s’agit là non de lexique, mais d’« unités de transfert ».
7 Bras, 1999, p. 175, considère qu’on a dans ce cas affaire à « des syntagmes lexicalisant sous la forme d’agglutinations spatiales ».
8 Cuxac donne une description assez précise de l’utilisation des formes de main pour ce qu’il nomme les « transferts de taille » et les « transferts de formes ». Sous ces étiquettes, il décrit bien ce que nous appelons « spécificateurs de taille et de forme ». Mais, d’une part, il semble inclure dans ses descriptions les signes lexicalisés, et, d’autre part, il ne distingue pas entre spécificateur de taille et de forme et proforme comme nous le faisons. Cependant, la description faite a le mérite d’être relativement exhaustive, la nôtre ne se concentrant que sur le procédé illustré par quelques exemples : Cuxac, 2000a, p. 97-130 (chap. 3. « Inventaire des structures de grande iconicité ; classement par configuration »).
9 Elles ont pu, bien sûr, être caractérisées sémantiquement. Par exemple, dans les structures locatives, la main dominée représente le « locatif stable » ; voir, entre autres, Garcia, 2016.
10 Ils sont parfois appelés « mouvements de co-articulation », spécialement dans le domaine de la traduction automatique des langues ; par exemple chez Gonzalez & Collet, 2012.
11 Le concept de « valence verbale », très utilisé en linguistique générale, a été développé par Tesnière, 1988. C’est dans ce cadre que l’on parle de schéma ou de structure actancielle liée à un verbe. Nous y reviendrons dans la quatrième partie consacrée aux verbes et aux phrases.
12 Voir à ce sujet, Garcia, Sallandre & coll., 2011.
13 Entre autres exemples : Cuxac, 2000a, p. 282-286, pour la lsf ; Liddell, 2003, pour l’asl.
14 Bras, Millet & Risler différenciaient, en 2004, pointage, pointeur et pointé en ces termes : « nous distinguerons le pointage (opération), le pointeur (opérateur ; ex. : index, [là-là], …), et le pointé (locus, seul ayant une valeur pronominale dans cette opération) ». Nous avons depuis abandonné la distinction entre pointage et pointeur, en spécifiant le type de pointage – par exemple « pointage manuel », « pointage par le regard », etc. On note que dans la littérature, certains auteurs, par exemple Blondel, Tuller & Lecourt, 2004, utilisent le terme « pointé » dans le sens où nous utilisons celui de « pointage ».
15 Pizzuto, 2007, considère clairement qu’il s’agit de gestualité co-verbale, elle nomme ces pointages exophoriques « pointage-geste » qu’elle oppose à « pointage-signe » référant aux pointages endophoriques. Ben Mlouka, 2014, quant à elle, assimile tous les pointages à du co-verbal.
16 Nous sommes sur ce point d’accord avec Garcia, Sallandre & coll., 2011, p. 109, lorsqu’elles écrivent que les pointages « en eux-mêmes formellement identiques aux pointages de la gestualité dite co-verbale, […] remplissent cependant des fonctions linguistiques clés en ls, notamment par la dynamique de leur couplage avec le regard ». Cela est très largement vrai de façon générale, mais impératif en instance de récit.
17 On songe ici aux recherches pionnières de Stokoe, 1960, sur la phonologie de l’asl et à celles de Klima & Bellugi, 1979a, qui ouvraient la voie des recherches ultérieures sur les dimensions spatiales et corporelles pertinentes linguistiquement à partir des descriptions de l’asl également. En France, pour ce qui est de la lsf les dimensions corporelles ont été prises en compte d’entrée de jeu par les travaux pionniers de Jouison rassemblés par Garcia en 1995, et de Cuxac autour de l’iconicité.
18 Ainsi, entre autres chercheurs, Blondel, 2009, parle de « contiguïté physique possible entre sujets de l’énoncé et de l’énonciation ».
19 À ce propos, Liddell, 1995, 1998, 2000, 2003, développe une théorie très particulière et assez complexe autour des notions de « blended spaces » et de « surrogate ». Sans entrer dans le détail de sa théorie complexe, on peut dire que Liddell distingue par exemple entre le corps du signeur et son « fantôme » (« surrogate »), les deux s’articulant dans deux types d’espaces différents.
20 Morgenstern note très justement que « L’emploi simultané d’un pointage qui renvoie au référent, du regard sur l’autre qui montre que l’on est dans une activité dialogique et de la mimique faciale qui modalise l’énoncé, marquera la présence ou le retrait de l’énonciateur à l’intérieur de son énoncé. » (Morgenstern, 1997, p. 119.)
21 « Role shift », dans la littérature anglo-saxonne, « transfert personnel » dans le modèle sémiologique de Cuxac.
22 Ce schéma a fait l’objet d’une présentation moins aboutie, publiée en anglais dans Millet, Niederberger & Blondel, 2015, p. 287.
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