Présentation
p. 5-25
Texte intégral
1Heinrich Wilhelm von Gerstenberg est né le 3 janvier 1737 à Tondern, dans le Schleswig, province alors administrée par le Danemark. Son père était officier dans l’armée danoise. Il fait ses études primaires et secondaires à Husum, puis à Altona, aujourd’hui un quartier de Hambourg.
2En 1757 il entame des études de droit à Iéna et participe aux activités intellectuelles et artistiques de la « Société allemande », qui rassemble, comme souvent dans l’Allemagne éclatée du XVIIIe siècle, les milieux cultivés de cette petite ville universitaire. Il fait alors la connaissance d’un des grands écrivains allemands de l’époque, Christian Fürchtegott Gellert (1715-1769), auteur de fables et de comédies et professeur de morale et d’éloquence à l’université de Leipzig. Dès cette époque, Gerstenberg fait ses premières armes de critique dans l’une des plus importantes revues de l’Aufklàrung1, et en 1759 il publie un recueil de poésies anacréontiques.2 Avec Gellert, Wieland, Lessing, Klopstock et surtout le Suisse Gessner, Gerstenberg est l’un des auteurs dont les œuvres communiquent vers 1760 aux Français un « frisson allemand » encore bien sage.3
3En juillet 1760, Gerstenberg, qui a quitté Iéna depuis plus d’un an, devient officier dans la cavalerie danoise. Il collabore en 1762 à Der Hypochondrist4, une revue littéraire et morale qui paraît dans la petite ville de Schleswig et dont il dirige seul la réédition augmentée en 1771. Il publie la même année des Kriegslieder5 dans le goût patriotique de l’époque de la guerre de Sept Ans. En 1763, après avoir obtenu un poste dans l’administration militaire, il s’établit à Copenhague et rejoint ainsi la société littéraire allemande qui gravite autour de Friedrich Gottlob Klopstock (1724-1803), l’auteur de la Messiade, célèbre dans toute l’Europe. Gerstenberg épouse Margrethe Trochmann, jeune fille issue d’une bonne famille de Schleswig, dont il aura huit enfants. A Copenhague, Gerstenberg est en mesure de se consacrer pleinement à ses activités littéraires. Il collabore à diverses revues allemandes, publie en 1766 le Gedicht eines Skalden6, en 1767 la cantate Ariadne auf Naxos, dont une version remaniée connaît les honneurs de la scène française en 1781.7
4En 1766-1767, il dirige le périodique Briefe über Merkwiirdigkeiten der Litteratur8, connu dans l’historiographie littéraire allemande sous le titre de Schleswigische Briefe9, d’après le lieu d’édition. Gerstenberg soutient le combat que mènent depuis plus de dix ans Gotthold Ephraïm Lessing (1729-1781) et ses amis contre l’esthétique normative en partie inspirée du classicisme français, telle que Johann Christoph Gottsched (1704-1766), professeur de philosophie à l’université de Leipzig, a voulu l’imposer depuis quelques décennies à cette littérature de langue allemande dont l’irrégularité et le manque de goût s’attirent le mépris des Français et des princes allemands. Les grands modèles de Gerstenberg ne sont pas les classiques français, mais Homère et la poésie nordique, Cervantès. Calderon ou l’Arioste — et surtout Shakespeare, dont Gerstenberg définit les pièces comme des « tableaux vivants de la nature humaine ».10 Se refusant à prescrire de nouvelles normes esthétiques, Gerstenberg préfère parler d’une règle interne, inhérente à toute œuvre originale. Avec lui s’annonce le Sturm und Orang11, ce mouvement de jeunes poètes allemands de la décennie 1770-1780 qui met en avant l’originalité individuelle d’un génie créant librement son univers et ses propres valeurs, et celle d’une littérature nationale, création d’un génie collectif qu’on ne saurait juger selon des critères définis à d’autres époques par d’autres nations. Le manifeste du Sturm und Drang publié par Johann Gottfried Herder (1744-1803) en 1772 sous le titre Von deutscher Art und Kunst12 n’est-il pas à l’origine une continuation des Schleswigische Briefe de Gerstenberg ? La tragédie Ugolino13 paraît anonymement en 1768 et illustre bien ce nouvel état d’esprit, qui, en apparence du moins, reconnaît que l’art suit ses propres lois. Ces lois ne sont pas nécessairement celles du bon goût, de la décence ou de la morale commune.
5En 1768 la carrière de Gerstenberg est compromise par le départ de son protecteur, le comte Saint-Germain. Gerstenberg entre dans l’administration civile en 1771, devient représentant du Danemark à Lubeck en 1775. Il vend cette charge en 1785, après plusieurs déceptions professionnelles dues en partie à son indolence. Il ne retrouve un emploi qu’en 1789, comme co-directeur de la loterie à Altona. Veuf depuis 1785, il se remarie en 1796. Après 1768 l’écrivain ne publie guère. Le mélodrame Minona (1785) est perçu comme une œuvre mineure. L’étude intensive de Kant lui inspire quelques écrits et lui vaut l’amitié de Charles de Villers, dont il influence en 1801 la Philosophie de Kant. Gerstenberg fréquente les milieux intellectuels de Hambourg, d’Altona et de Lubeck. Il reste fidèle à l’Aufklärung, condamne l’irrationalisme du premier romantisme allemand. Ses différents écrits recueillis, et parfois remaniés, dans les Vermischte Schriften (1815) et le titre de docteur honoris causa décerné la même année par l’université de Kiel ne parviennent pas à le tirer de l’oubli. Gerstenberg meurt le 1er novembre 1823 à Altona.
6Dans son roman autobiographique Anton Reiser (1786-1790), Karl Philipp Moritz rapporte, non sans ironie, l’effet de la lecture de la tragédie Ugolino sur l’adolescent qui dépense son dernier argent pour des livres au lieu de s’alimenter correctement. Affamé, et s’identifiant d’autant mieux aux personnages de Gerstenberg, Anton passe là ses moments de solitude les plus heureux.14 Des quinzes pièces citées par Karl Philipp Moritz dans ce roman, qui est aussi un précieux témoignage sur l’horizon d’un jeune intellectuel allemand de la fin du XVIIIe siècle, onze furent présentées à l’époque au public français, en version intégrale ou dans une traduction analytique. Ugolino n’est pas du nombre.
7Dante (1265-1321) a relaté la tragique mort d’Ugolino et de ses enfants et petits-enfants dans les chants XXXII et XXXIII de l’Enfer, qu’il publie en 1314, un quart de siècle après les faits. En 1289, Dante participait à la guerre que menaient les guelfes contre Pise. Abordant Antenora, dans le neuvième cercle de l’enfer, Virgile et Dante aperçoivent deux personnages gelés dans un trou, l’un plongeant ses dents dans la tête de l’autre. Il s’agit du comte Ugolino della Gherardesca qui dévore le crâne de son ennemi Ruggieri. Après s’être essuyé la bouche aux cheveux de la tête entamée, Ugolino relate le sort cruel que lui réserva son ennemi.
8Dante rapporte des faits dont il a été le contemporain. Le comte Ugolino Delia Gherardesca est élu podestá de Pise en 1284, alors que cette cité, favorable aux gibelins, vient de subir une lourde défaite contre Gênes et que les villes guelfes coalisées, Florence, Lucques, Sienne, la menacent. Le comte Ugolino mène des négociations secrètes avec les puissances ennemies et leur cède des châteaux-forts pour les apaiser. Ceux qui plus tard ont prétexté de ces concessions pour l’accuser de trahison étaient de mauvaise foi, car Ugolino agissait dans l’intérêt de sa cité. Son petit-fils Nino, du parti des guelfes, conteste son pouvoir. Cette querelle entretient des troubles à Pise, jusqu’à ce que grand-père et petit-fils s’entendent pour s’emparer du pouvoir. Entre temps, les cités gibelines ont amélioré leur position, et le parti gibelin de Pise est renforcé. En 1288, Ugolino, constatant cette évolution du rapport de forces, se retire provisoirement à la campagne, et abandonne son petit-fils Nino, qui doit s’enfuir. L’archevêque de Pise, Ruggieri degli Ubaldini, demande à Ugolino de rentrer à Pise. Celui-ci revient, accompagné de centaines d’hommes armés, dans l’intention de reprendre le pouvoir. Les chefs gibelins soulèvent le peuple de Pise contre l’ambitieux. Ugolino est capturé et enfermé avec deux fils et deux petits-fils, et condamné à mourir de faim avec eux par le comte Guido da Montefeltro, le successeur de l’archevêque Ruggieri.15 Il meurt en mars 1289, dans les conditions rapportées par Dante, dans la tour des Gualandi, appelée depuis tour de la Faim.16
9C’est au XVIIIe siècle que s’amorce l’engouement universel pour l’œuvre de Dante. Si l’on excepte les Contes de Cantorbéty de Chaucer, vers 1387, et une tragédie latine de 1675, ce sont les traductions et adaptations de Dante, et surtout la tragédie de Gerstenberg, qui ont popularisé l’épisode d’Ugolino en Allemagne.17 On sait par ailleurs qu’Ugolino inspire au XIXe siècle, entre autres artistes, Gustave Doré, Jean-Baptiste Carpeaux et Auguste Rodin, ainsi que d’innombrables auteurs en Europe. Il a paru intéressant de confronter le lecteur français à une réception littéraire antérieure à ces grandes œuvres.
10L’intention avouée de Dante est de dénoncer le crime de Ruggieri et de jeter l’opprobre sur la cité gibeline de Pise. La deuxième zone du neuvième cercle de l’enfer, où se trouvent Ugolino et Ruggieri, est destinée à ceux qui ont trahi leur patrie : Dante reprend à son compte la thèse des ennemis d’Ugolino, mais en fait c’est Ruggieri qui subit un sort encore plus cruel et plus grotesque que sa victime, à cause du traitement ignoble qu’il a réservé aux enfants innocents d’Ugolino. Ugolino a sans doute commis une faute, par ambition, mais ce sont les gibelins et la ville de Pise qui doivent exciter l’horreur du lecteur.
11Dante présente une vision systématique et hiérarchisée d’un univers qui est soumis à l’ordre divin. Son texte a cependant suscité des interprétations diverses. Johann Nikolaus Meinhard publie en 1763 la première partie d’un essai sur la littérature italienne18 et y insère une traduction allemande de l’épisode d’Ugolino, qui est sans doute à l’origine de la composition dramatique de Gerstenberg, comme du reste l’ouvrage de Meinhard représente l’une des principales sources de la culture italienne de Gerstenberg. Meinhard rend de manière univoque le fameux vers de Dante sur les derniers moments d’Ugolino, après la mort de ses enfants :
Poscia, piú che l dolor, poté l digiuno.19
Und dann gab mir der Hunger den Tod, den mir der
Schmerz nicht hatte geben können.20
12Meinhard, très clairement, exclut qu’Ugolino ait pu dévorer ses enfants. Pourtant, dès le XVIIIe siècle, certains ont interprété ce vers comme l’aveu d’un acte devant lequel reculait le père malheureux, mais qu’accomplit l’homme affamé.21 Les artistes du XIXe siècle insistent sur la représentation d’un père dévorant ses enfants, conformément à une interprétation du passage qui s’impose de plus en plus, alors que les sources historiques permettent de la contester.22 Auguste Rodin, s’inspirant de Doré, finit par montrer Ugolino dans une position bestiale, à quatre pattes au-dessus d’un enfant, telle une hyène : l’ambiguïté (supposée) du texte de Dante est abolie dans l’image atroce de ce père puissant, charognard, dépouillé de toute humanité. Des enfants qui partagent le sort de leur père aux enfants qui se font dévorer par leur père il y a un pas que Gerstenberg ne franchit pas. Gerstenberg fait certes allusion au cannibalisme dans son texte, conformément au chant de Dante, dans lequel les enfants prient leur père de leur « enlever les chairs dont il les a vêtus ». La déshumanisation, la bestialisation affleurent par moments, mais ne l’emportent pas sur l’humanité. La réflexion sur le renouvellement de l’art dramatique aboutit à une mise en cause des conventions morales et religieuses dominantes, non à leur négation absolue.
13La tragédie Ugolino amplifie les effets recherchés par les genres dramatiques en vogue dans la décennie 1760-1770. La pièce recèle certains éléments du tableau de famille, ce genre nouveau inspiré des tragédies bourgeoises anglaises et allemandes et du genre intermédiaire prôné par Diderot en France. Mais c’est un tableau de famille d’un genre particulier, puisque l’action se déroule dans une geôle qui se referme à jamais sur ses occupants, et qui confronte, dans une situation extrême, un père coupable et ses enfants innocents.
14À la suite de Richardson, de Diderot, de Gessner et de beaucoup d’auteurs « sensibles », Gerstenberg vise à faire ressortir dans toutes leurs nuances les liens qui unissent les êtres au sein d’une famille. Gianetta, la mère, que Dante ne mentionne même pas, est évoquée avec amour par les enfants et surtout par Ugolino lui-même. Ruggieri l’a perfidement assassinée, en faisant imprégner de poison la lettre qu’Ugolino lui adressait de sa prison. Le cercueil qui renferme son cadavre est apporté dans la tour.
15Gerstenberg s’est efforcé de donner à chaque personnage une langue conforme à son âge. Le fait mérite d’être noté, car cette langue « enfantine », qui semble bien artificielle de nos jours, est l’un des traits caractéristiques de la littérature allemande qui, au XVIIIe siècle, est en grande partie à l’origine de l’essor international du genre « intentionnel » de la littérature d’enfance et de jeunesse. Gaddo, qui n’a que six ans, est celui qui souffre sans doute le plus cruellement de la faim et qui a le plus grand mal à prendre la mesure de sa situation, confondant ses rêves avec la réalité. C’est le personnage le plus émouvant de la tragédie, tant son innocence contraste avec son sort cruel.
16Anselmo, âgé de treize ans, parle la langue pédante des collégiens. Il invoque à tout propos la mythologie et l’histoire de la Grèce antique, et cite même les dernières paroles que prononce Ajax dans la tragédie de Sophocle (IV). Adolescent, il se querelle encore comme un enfant avec Gaddo, tout en prétendant se comporter comme un adulte. Il ne parvient pas à être « plus fort que son âge », comme il l’a promis à son frère aîné mourant. Surpris en train de s’attaquer au corps de sa mère, en proie à une nouvelle hallucination, il est assommé par Ugolino. Sa nature double d’adolescent s’exprime jusque dans l’horreur de ses derniers instants : il prie son père de le manger, mais est horrifié à l’idée qu’Ugolino le mange vif.
17À vingt ans, Francesco est le personnage positif de la pièce. Courage, fermeté, noblesse d’âme et piété filiale caractérisent son attitude.
18Ugolino souffre d’avoir causé le malheur des siens par ambition et naïveté. Toutes ses entreprises échouent, jusqu’à sa tentative de soulever des familles alliées contre Ruggieri, qui profite de l’occasion pour faire empoisonner son épouse. En vain, il interdit à Francesco de sauter du haut de la tour. Injustement, il accuse Francesco de l’avoir trahi. Caractère violent, il provoque la mort de son fils Anselmo, qu’il prend pour Ruggieri. Ce n’est qu’à la fin de la tragédie qu’il parvient à se maîtriser et à se confier humblement à Dieu, pardonnant à ses meurtriers qui l’ont rapproché de Dieu.
19Ugolino présente aussi certains traits du genre de la tragédie chrétienne, auquel au XVIIIe siècle les auteurs de l’Allemagne protestante tentaient de donner une tournure plus psychologique, plus individualisée. Klopstock avait traité le sujet du père coupable dans sa tragédie biblique en prose Der Τod Adams (1757)23, en exposant longuement la dernière journée du patriarche qui fut aussi le premier mortel à affronter consciemment la mort. Mais la tristesse d’Adam est tempérée par le spectacle de sa descendance qui perpétuera la vie humaine et son souvenir sur terre. Gerstenberg traite un sujet autrement désespéré et insiste sur l’idée de l’immortalité de l’âme en insérant des paroles d’espoir chantées par Francesco et Anselmo. Ugolino n’est pas pour autant une tragédie chrétienne. Certes, le protestant Gerstenberg oppose la cruauté et l’hypocrisie de l’archevêque Ruggieri à la foi naïve des enfants du héros de la pièce, à une certaine religiosité sentimentale, proche des courants piétistes. Mais Francesco agit moins en chrétien qu’en patricien fier de son nom et de son rang et en homme libre, parce que doué de raison, et les personnages de la pièce sont trop absorbés par les péripéties, leurs souvenirs et les conflits qui les opposent pour qu’on puisse voir dans la pièce un vade-mecum dramatique du chrétien se préparant à mourir. Avant de mourir, Francesco recommande à son frère Anselmo de « veiller sur sa raison ».
20Ugolino n’est pas non plus une tragédie politique. Il est sans doute licite de présenter la pièce comme une critique de l’arbitraire des sociétés d’Ancien Régime, comme on l’a fait en RDA24, mais le cadre d’une cité italienne du Moyen Âge n’est pas celui qui permet le mieux de dénoncer l’ordre qui règne dans les principautés et les villes libres du Saint-Empire au XVIIIe siècle. Ugolino, décrit au mépris des faits historiques par Anselmo comme le « libérateur de Pise », comme le vainqueur d’un tyran, ne représente pas un principe politique opposé à celui de son ennemi.
21La pièce, écrite en neuf jours, est restée la seule tragédie publiée par l’auteur. D’un point de vue formel, Gerstenberg respecte la règle des trois unités. Il divise la tragédie en cinq actes, en supprimant toutefois le traditionnel découpage en scènes. Cette dernière liberté n’étonne pas, venant d’un admirateur du théâtre grec opposé aux normes françaises. L’appréhension de l’espace scénique est cependant très influencée par la tragédie française. La pièce dans laquelle se déroule l’action n’est qu’un élément de la vaste prison que représente la tour : ainsi, l’auteur peut introduire un mouvement sur la scène, par la sortie et l’entrée des personnages, et, au début du troisième acte, on voit même des personnages muets déposer deux cercueils. C’est avant tout à l’unité stylistique et à la bienséance, à cette timidité que les Allemands reprochent aux tragiques français que Gerstenberg contrevient. La « naïveté » poignante de Gaddo, le pédantisme d’Anselmo, les querelles de Gaddo et d’Anselmo, qui en soi relèveraient d’un code comique, sont destinés ici à renforcer l’effet tragique. L’insertion de chants « populaires » ou religieux annonce la création et la vogue du Volkslied dans l’œuvre de Herder et des auteurs du Sturm und Drang de la décennie 1770-1780. La présence lugubre des cercueils au troisième acte, puis celle des corps inanimés, parfois sanglants, la mise en scène des agonies sont autant de manquements au bon goût de la haute tragédie. Que dire de la tentation du cannibalisme ?
22L’essentiel n’est pas dans ces provocations formelles. Pour Gerstenberg, il s’agit avant tout de créer une ambiance, celle de la décomposition d’une famille exposée à une situation sans issue. L’horreur réside dans le fait que ce sont des enfants innocents qui sont condamnés à une mort lente et d’autant plus cruelle qu’aucun espoir de vengeance, qu’aucune perspective de rédemption ne viennent adoucir leur tourment. Pris au piège de la tour de la Faim, les personnages se confrontent, se heurtent et tournent la violence qu’on leur fait contre eux-mêmes. Seul Francesco tente en vain de s’extraire de cette situation : empoisonné par Ruggieri, il aura au moins la récompense d’une mort plus digne et plus rapide, évitant ainsi les crises qui frappent Anselmo et son père. Les explosions de fureur ou de folie, les hallucinations, traditionnellement réservées à des personnages coupables dans la tragédie héroïque et dans la tragédie bourgeoise, sont le fait de victimes innocentes. La folie est « dérationalisée » : elle n’est plus la conséquence d’une conduite profondément déraisonnable, mais une façon d’être qui se manifeste dès que le masque (trompeur) de l’homme policé et maître de soi tombe. Le Mal, qui ne saurait être réduit à la dimension de la perfidie d’un Ruggieri, est l’expression de la déréliction. De la tragédie de Gerstenberg sourd une angoisse profonde. Cette angoisse est tempérée par plusieurs éléments. La mère et surtout Francesco signalent la présence d’une humanité aimante et forte. Ugolino se raccroche aux souvenirs d’une vie familiale heureuse, traçant ainsi la perspective d’un repli dans la vie privée, d’un renoncement à l’ambition politique qui garantirait le bonheur. Et à la fin de la tragédie, Ugolino accepte d’attendre sereinement la mort, comme Adam dans la pièce de Klopstock.
23Il faut voir dans la tragédie de Gerstenberg l’œuvre d’un critique qui, s’inspirant de Shakespeare, joue de nombreux registres pour créer un tragique moderne, ouvrant ainsi la voie aux œuvres dramatiques des jeunes auteurs du Sturm und Drang, notamment à Goetz von Berlichingen (1773) de Goethe et aux pièces de Lenz. Traitant des sujets tirés de l’histoire allemande ou de l’observation de la société allemande contemporaine et rejetant l’esthétique aristotélicienne, ces jeunes auteurs atteignent l’objectif que le critique Gerstenberg assigne à un théâtre vivant, et que le tragique Gerstenberg a en grande partie manqué. Car Gerstenberg reste un tragique abstrait.25
24Sa position reflète bien une certaine impuissance de l’homme de lettres allemand du XVIIIe siècle à qui sa dépendance matérielle vis-à-vis du pouvoir et son éducation intellectuelle et religieuse interdisent de dépeindre les contradictions de la société de son temps. Il est probable que Gerstenberg a été conscient de cette situation. Shakespeare contrevient à l’esthétique aristotélicienne, dit-il dans les Schleswigische Briefe. Alors que reste-t-il de lui ? « L’homme ! Le monde ! Tout ! » Le génie selon Gerstenberg rejette les règles pré-établies et crée un univers aussi varié que l’univers réel, à partir d’un point de vue situé dans le temps et dans un espace déterminé. Encore faut-il que l’époque et le lieu se prêtent à l’éclosion de tels génies. C’est de Goldoni, et non d’un auteur allemand, que Gerstenberg trace en 1768 ce portrait, et ce qu’il dit d’un auteur comique pourrait sans difficulté être appliqué à tous les auteurs dramatiques :
Jamais peut-être n’a vécu un poète réunissant autant de qualités comiques que Goldoni. Une imagination extraordinairement fertile ; une intime connaissance de la vie sociale ; le don d’extraire des effets comiques des situations les plus communes ; la distinction des différents caractères par un seul trait ; des niveaux de langue conformes aux différentes conditions et les dialogues les plus admirables.26
25Peut-être n’est-ce pas solliciter exagérément Ugolino que d’y voir une parabole de la situation de l’intellectuel allemand de la fin du XVIIIe siècle, et plus généralement, une description de la frustration de tout Allemand créatif, actif, ambitieux, sensible, et ressentant d’autant plus cruellement le cadre étroit de la société d’Ancien Régime. Ugolino porte à un point extrême la description de la révolte et de l’impuissance des hommes contre une violence subie et que l’on finit par retourner contre soi. En cela, Gerstenberg a pu à bon droit se défendre contre ceux qui lui reprochaient de substituer à l’imitation des Français celle de Shakespeare27 : l’ambiance oppressante de son drame n’a rien du foisonnement de l’Anglais.
26Dans une lettre du 25 février 1768 publiée par Goethe en 180528, Lessing reprocha à Gerstenberg la passivité de ses personnages et la disproportion entre leurs souffrances et leur innocence, ou leur faute dans le cas d’Ugolino. On voit que Lessing reproche à Gerstenberg de rompre avec un certain didactisme qui voudrait que le théâtre décrive des conduites humaines qui ont un sens moral communicable au public. En 1815 Gerstenberg modifie la fin de sa tragédie : dans un geste viril, Ugolino saisit un improbable poignard et se suicide, se dérobant ainsi librement à la mort ignoble à laquelle le destine son ennemi. L’auteur a-t-il fini par céder à une suggestion de Lessing, formulée un demi-siècle auparavant ? Il est permis d’en douter. Le kantien Gerstenberg a voulu amender le pessimisme de son propos de 1768, à la lumière des évolutions de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle qui ont entraîné au plan philosophique et politique une percée de l’idée de liberté individuelle.
27Dans son traité d’esthétique Laokoon (1766), Lessing avait cité Ugolino pour montrer comment Dante ne cherche pas à communiquer directement à son lecteur l’horreur de la faim, mais en donne un équivalent esthétique saisissant en décrivant deux situations révoltantes : Ugolino mordant le crâne de son ennemi, ses enfants s’offrant à lui en pâture.29 L’horreur de la faim se réduit au choc de deux images fortes et lourdes de sens. Au contraire, dit Lessing dans sa lettre à Gerstenberg, le lecteur du drame partage longuement les souffrances des personnages sans en tirer d’autre signification que la souffrance elle-même. La pitié, ressort esthétique de la tragédie selon Lessing, n’est plus qu’une sensation douloureuse, primaire, au lieu d’être l’expression du point de vue vertueux face au malheur des hommes. Lessing condamne ainsi dans la pièce ce qui touche le plus le lecteur d’aujourd’hui, l’attente d’une mort qui menace d’ôter toute signification à l’existence, un existentialisme avant la lettre, et qui n’est pas mené jusqu’à son ultime conséquence, puisque jusqu’au bout les personnages manifestent leur solidarité (familiale) et leur foi. Les murailles de la tour de la Faim ne sont pas Le Mur. Gerstenberg ne fait d’ailleurs pas là une concession volontaire au goût de son temps, car son propos est de présenter 1 absurdité comme une menace qui pèse sur l’existence et non comme sa vérité. Ce faisant, il a tout de même rompu avec le moralisme de l’Aufklärung sensible de l’école de Lessing, même si le ton parfois déclamatoire de sa tragédie en est représentatif.
28Herder, le théoricien du Sturm und Drang, a saisi la faiblesse d’Ugolino30 : l’emphase, les longueurs, les péripéties, en particulier l’invraisemblable tentative d’évasion de Francesco. Il en a également relevé la force : les nuances dans la peinture de l’âme enfantine, dans la caractérisation des personnages. Mais, comme Lessing, il reproche à Gerstenberg de n’avoir pas suffisamment introduit de contraste dans les situations : il faudrait que les personnages espèrent et non que la catastrophe s’annonce dès le premier acte. Face à la longue attente de la mort et à la décomposition psychologique des personnages, Herder exprime le même malaise que Lessing : comment Gerstenberg a-t-il pu montrer un père aussi violent contre ses enfants ? Pour Shakespeare, poursuit Herder, les explosions de violence sont un moyen mis en œuvre en vue de faire progresser l’ensemble du drame, alors que la tragédie de Gerstenberg se termine sur la terrible mort d’Anselmo, tué par son père.
29La pièce est représentée en 1769 à Berlin et disparaît ensuite du répertoire allemand, si l’on excepte une représentation à Hambourg, à l’occasion du centenaire de la mort de Gerstenberg, en janvier 1924. Le vieil écrivain suisse Bodmer publie une parodie en 1770 : Ugolino, qui vient de dévorer ses enfants, est délivré par son gendre ! Le sujet est repris et développé par de nombreux auteurs mineurs jusqu’au XXe siècle. Gerstenberg doit une certaine renommée à cette tragédie qui a fait date. Schiller reconnaît une portée morale à Ugolino, drame qui attendrit d’abord le spectateur et exerce sur lui un effet salutaire, lui donnant plus de courage et d’expérience.31 Le 13 mars 1801, concédant dans une lettre à Goethe que cette tragédie n’est pas de bon goût, Schiller persiste à admirer sa vérité et ses traits géniaux. Goethe est plus réservé. Dans ses mémoires, il parle de Gerstenberg comme d’un talent « beau et bizarre » — et « qui ne plaît point ».32 En 1805, rendant compte dans les termes les plus sévères de la tragédie d’un certain Böhlendorff intitulée Ugolino Gherardesca, il rappelle le passage de Dante, dont le « laconisme » lui semble indépassable. À cette occasion, Goethe rappelle que Gerstenberg a tenté l’impossible en dramatisant ce sujet, non sans adresse.33 Peu après, Goethe annonce la publication de la lettre de Lessing à Gerstenberg.
30On a souvent présenté Gerstenberg comme le protagoniste malheureux d’une époque de transition, entre l’Auflilarung sensible et rationaliste et le Sturm und Drang créatif et flamboyant.34 En 1960, Klaus Gerth, analysant l’œuvre critique de Gerstenberg entre 1760 et 1770, a au contraire insisté sur le fait que c’est Gerstenberg qui lance le mouvement du Sturm und Orang.35 Ces discussions peuvent paraître formelles, car les ruptures ne sont jamais aussi nettes que les historiens de la littérature veulent bien le dire. Ce qui est vraiment nouveau dans le Sturm und Drang, c’est une appréhension aiguë des contradictions de la vie, entre le savoir et faction, entre le dogme et la foi, entre l’idéal et le réel, entre les différentes classes sociales, entre les familles, entre les membres d’une famille. La tragédie de Gerstenberg n’ignore pas ces contradictions : n’est-ce pas l’ambition politique qui a détruit le bonheur privé d’Ugolino ? C’est cependant la progression de la douleur provoquée par la faim et l’angoisse que Gerstenberg a voulu peindre. La tempête (Sturm) fait place à une musique céleste, mais l’image finale d’un Ugolino trouvant une certaine sérénité ne parvient pas à effacer l’horreur des pages qui précèdent.
31Ce qui a heurté les critiques du XVIIIe et du XIXe siècle, ce sont les failles d’un discours religieux et moral qui laissent entrevoir un profond désespoir face à une mort cruelle et dénuée de sens. Plus que par ses audaces formelles, c’est par ce désespoir, qui transparaît à travers la situation traitée, que la pièce de Gerstenberg a marqué l’évolution de la pensée et des lettres allemandes. Gerstenberg reste l’homme d’un sujet qu’il a eu l’audace de ne pas traiter de façon tout à fait édifiante.36
Notes de bas de page
1 Il s’agit de la Νeue Bibliothek der schönen Wissenschaften und der freyen Künste (Nouvelle Bibliothèque des sciences et des beaux-arts).
2 Tändeleyen (Bagatelles).
3 Certaines poésies de Gerstenberg sont traduites dans le Journal étranger (1760-1762), et adaptées plus tard par Arnaud Berquin (Idylles. 1775 ; Romances, 1776).
4 L’Hypocondriaque.
5 Poésies guerrières.
6 Poème d’un scalde. Le scalde est l’équivalent Scandinave du barde, que l’on considérait alors comme l’authentique interprète d’une poésie populaire, germanique ou celte.
7 Le 20 juillet 1781, le mélodrame Ariane abandonnée du Tchèque Georges Benda est représenté en présence du compositeur sur la scène de la Comédie italienne. Le livret allemand de Brandes et Gotten adapté de Gerstenberg, est traduit par Cuinet-Dorbeil.
8 Lettres sur des écrits intéressants.
9 Lettres de Schleswig.
10 « ... lebendige Bilder der sittlichen Natur », XVe Lettre de Schleswig.
11 Le nom donné au mouvement par l’historiographie littéraire allemande du XIXe siècle est pris d’un drame de Friedrich Maximilian Klinger (1776). Inspiré de l’allitération anglaise Storm and Stress, il signifie littéralement « tempête et poussée ».
12 De la manière et de l’art des Allemands.
13 Comme Gerstenberg et les traducteurs français d’aujourd’hui, nous ne francisons pas le nom d’Ugolino.
14 Karl Philipp Moritz. dnron Reiser, Stuttgart, Reclam, 1972, p. 202.
15 Voir Paget Τoynbee, A Dictionary of Proper Names and Notable Matters in the Works of Dante, revised by Charles S. Singleton, Oxford, Clarendon Press, 1968, p. 626-628.
16 La torre dei Gualandi, appelée aussi torre della Muda ou della Fame, a été encastrée au début du XVIIe siècle dans le palais de l’Horloge (palazzo dell’Oroloflio). Son existence a été mise en évidence en 1976 lors de travaux d’aménagements.
17 Voir Elisabeth Frenzel, Stoffe der Weltliteratur. Ein Lexikon dichtungsgeschichtlicher Längsschnitte, Stuttgart, Kroner, 8e éd. 1988, p. 770 et suiv.
18 Johann Nikolaus Meinhard, Versuch über den Charakter und die Werke der besten italienischen Dichter, Leipzig, 1763.
19 « Et puis ce que la douleur ne put, la faim le put. » Traduction de Jacqueline Risset : Dante, La Divine Comédie. L’Enfer. Inferno, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, p. 299.
20 « Alors la faim me donna cette mort que la douleur n’avait pu me donner. » Le texte de Meinhard est reproduit par Christoph Siegrist dans son édition d’Ugolino, Stuttgart, Reclam, 1993, p. 72-74. Les traducteurs du XX siècle ont traduit différemment, par exemple Hermann Gmelin : « Dann war der Hunger starker als die Trauer » (« Alors la faim l’emporta sur le deuil »), Dante, Die göttliche Komödie, Stuttgart, Reclam, 1977 (1re éd. 1954).
21 Ainsi J.-R Ducis dans sa tragédie Roméo et Juliette (1772).
22 Voir Paget Toynbee, op. cit. p. 626, qui rejette cette interprétation après l’avoir confrontée aux témoignages contemporains qui ne font pas allusion à l’anthropophagie d’Ugolino.
23 La Mort d’Adam.
24 Voir Fritz Böttger, « Ugolino », dans Werkanalysen zum Sturm und Drang (1956), repris dans Sturm und Drang. Erläuterungen zur deutschen Literatur, Berlin, Volk und Wissen, 5e éd. 1978, p. 137 et suiv.
25 Gerstenberg commet quelques erreurs dans sa volonté de faire « couleur locale ». Si l’on peut à la rigueur admettre que les fils d’une grande famille citadine pensent à tort que les anchois (Sardellen), poissons marins, vivent dans un lac, il est en revanche invraisemblable que de jeunes Pisans évoquent les gondoles, qui sont vénitiennes (II). Il semble aussi que l’auteur commette un anachronisme en faisant allusion à l’ordre des chevaliers de Saint-Étienne, créé en 1561 par Cosme Ier de Médicis, et qui établit peu après son palais et son église à Pise (IV).
26 Compte rendu d’une traduction des comédies de Goldoni, 5 mai 1768. Cité par Christoph Siegrist, op. cit., p. 135 et suiv.
27 Lettre de Gerstenberg à Gleim, citée par Albert Malte Wagner, Heinrich Wilhelm von Gerstenberg und der Sturm und Drang, tome 2 : « Gerstenberg als Typus des Übergangszeit », Heidelberg, Carl Winter, 1924, Ρ · 314 ·
28 Jenaische Allgemeine Zeitung, 25 mai 1805.
29 G. E. Lessing, « Laokoon oder über die Grenzen der Malerei und Poesie » (« Laocoon ou des frontières de la peinture et de la poésie »), Werke, Berlin, Weimar, Aufbau, 1975, t. 3, p. 303.
30 Compte rendu de l’Allgemeine Deutsche Bibliothek, 1770. Cité par Christoph Siegrist, op. cit., p. 74 et suiv.
31 J. F. von Schiller, « Die Schaubühne als eine moralische Anstalt betrachtet » (1802), Gesammelte Werke in fünf Bänden, Gütersloh, Bertelsmann, s. d „ t. 5, p. 73. La référence à Ugolino apparaît dès la première version de cet essai : « Was kann eine gute stehende Schaubühne wirken ? » (1784). Schiller range la tragédie de Gerstenberg dans la même catégorie morale que sa pièce Maria Stuart et Ariadne auf Naxos de Brandes, dont nous avons vu que c’est une pièce inspirée de... Gerstenberg. Voir ci-dessus note 7.
32 J. W. von Goethe, « Dichtung und Wahrheit », livre 7, Sämtliche Werke, Hambourg, dtv, 1977, t. 10, p. 297.
33 Jenaische Allgemeine Zeitung, 14 février 1805. Cette tragédie de Böhlendorff paraît en 1801 à Dresde.
34 Tel est le jugement de l’historiographie littéraire du XIXe siècle, amplifié au début du XXe siècle dans l’imposante étude d’Albert Malte Wagner, op. cit., qui est centrée sur l’idée que Gerstenberg est le représentant d’une époque de transition.
35 Klaus Gerth, Studien zu Gerstenbergs Poetik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1960.
36 Dans notre traduction, nous avons conservé les noms des personnages au lieu de les franciser. Notre objectif est de restituer le « ton » du texte original, dont le sentimentalisme et l’emphase annoncent les drames du Sturm und Drang... et aussi les mélodrames allemands des Iffland et des Kotzebue, qui connurent vers 1800 un grand succès international, notamment en France.
Auteur
Professeur de littérature allemande à l'Université Stendhal de Grenoble
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