Chapitre 9
Invention d’un espace textuel et littéraire
p. 221-243
Texte intégral
1Comprendre les choix formels dans l’œuvre de Kipling nécessite de les envisager en lien avec les motifs qui structurent les espaces représentés dans les récits. Les nombreux termes de critique littéraire empruntés au vocabulaire géographique suggèrent eux-mêmes ce pont entre une présentation avant tout géographique d’un monde de fiction et un intérêt topographique pour l’espace textuel qui le crée, comme le souligne Jean-Marie Grassin :
Chaque langue a sa manière de construire et de répartir l’espace, d’avoir ou de ne pas avoir de vocable central qui lui permettra de se représenter l’étendue de son lieu. Au plan existentiel, cette relation à l’espace qui transforme le sujet s’exerce par la parole. C’est dire que la littérature qui joue avec les codes et conventions de la langue est le lieu de l’imaginaire de l’espace. « Le lieu de l’imaginaire », « construire », « répartir », « course », « foyer du symbolique », « champ de l’imaginaire », « émergence de mondes », « recouvrir », « limiter », « terrain », « géographie » : en l’espace de quelques lignes (ai-je dit : espace ?), dans un discours théorique abstrait par définition, je viens de puiser abondamment dans la mine des métaphores spatiales. Et je ne puis m’empêcher de continuer. C’est dire que je ne puis conceptualiser sans me situer symboliquement, à cause de la langue, en relation dynamique avec les objets spatiaux de mon imagination1.
2Il s’agit de faire pleinement apparaître l’origine géographique de la terminologie critique littéraire : l’espace est la métaphore obsédante des études littéraires. La dimension métanarrative des textes de Kipling reste le plus souvent discrète et dissimulée sous la surface du récit, mais son étude fait apparaître des effets de miroir créés par Kipling entre espace représenté et espace représentant.
3La grande diversité thématique de l’œuvre cache à première vue les principes d’unification et les motifs structurants sont souvent issus d’une conception impériale du monde, c’est-à-dire d’une vision des espaces sous leur forme géographique, cartographique ou stratégique. Il apparaît que ces motifs qui dessinent l’espace représenté par Kipling informent aussi l’espace représentant, l’espace littéraire mis en œuvre par l’écriture. L’expérimentation formelle est placée chez Kipling sous le signe du jeu davantage que dans une perspective théorique. S’il partage avec les modernistes la recherche des limites du texte, il invente en propre des moyens différents de la mener à bien. Borges voit dans le traitement de la technique par Kipling l’indice de cette parenté : « les dernières nouvelles qu’il publia – celles de Limits and Renewals –, [sont] aussi expérimentales, aussi ésotériques, aussi injustifiables et incompréhensibles pour le lecteur non initié que les jeux les plus secrets de Joyce ou ceux de Don Luis de Góngora2 ».
4Nous avons déjà mentionné l’intérêt de Kipling pour le dessin et la façon dont il l’intègre aux Histoires comme ça mais, plus généralement, ses récits expriment un questionnement sur le lieu du texte littéraire et son organisation dans l’espace. Les grandes particularités formelles de l’œuvre de Kipling sont l’oralité qui trace les contours d’un espace linguistique complexe et la mise en réseau des textes courts créant un monde cohérent.
Les contours incertains de l’oralité : dialogue, conversation et narration imbriquée
5Si les questions idéologiques ont une résonance si forte sur les écrits de Kipling, c’est en grande partie parce qu’il semble s’exprimer en son nom propre dans tous les récits où apparaît le fameux narrateur anonyme, journaliste, aux origines anglo-indiennes et aux opinions conservatrices. Ses prises de position sont teintées de marques d’oralité qui entretiennent une confusion entre narrateur et auteur, entre récit et discours. L’oralité permet ici un effet de réel et le dialogue s’impose alors comme mode d’expression et de narration favori, apportant avec lui une modulation du point de vue et une incertitude quant au message transmis. Certains critiques ont identifié dans cette pratique de l’oralité une ressemblance entre les textes des modernistes et les expérimentations de Kipling, qui jouent sur les multiples modes expressifs de l’oralité : ses textes finissent par atteindre les limites de l’expressivité dans l’écriture romanesque et par empiéter sur d’autres genres pour réaliser cette ambition de faire entendre les personnages à son lecteur.
6Kipling définit linguistiquement avec une extrême précision le lieu depuis lequel parlent ses personnages, même si cette impression d’exactitude repose sur une illusion, un trompe-l’œil qui trompe l’oreille. Pour créer une illusion linguistique réaliste, Kipling joue sur l’élasticité du style, tour à tour imitant, singeant, traduisant, citant et inventant les parlers des personnages. Dès les Simples Contes des montagnes, Kipling laisse ses personnages principaux parler en leur nom propre, au discours direct. Les trois soldats Mulvaney, Ortheris et Learoyd, figures récurrentes, s’affirment dès « Les Trois Mousquetaires » comme inventeurs d’histoires, menteurs et maîtres du langage et des langues. Kipling joue à la fois sur la prononciation, l’intonation, le rythme, le lexique et la syntaxe pour oraliser les dialogues. Ici, la mise en œuvre de moyens linguistiques de caractérisation semble presque excessive car Kipling superpose les accents régionaux – cockney, du Yorkshire ou irlandais selon le personnage – au dialecte anglo-indien le plus dense :
J’ai couru après une ekka, et j’ai dit au bougre qui conduisait : « Dis donc, face de nègre, y a un sahib qu’arrive pour monter dans ta carriole. Y veut aller jildi au Padsahi Jhil » – à environ deux milles de là – « pour tirer la bécassine – chirria. Tu fonces Jehannum ke marfik, mallum ? Un train d’enfer. Pas la peine de bukkin avec le sahib, vu qu’y samjao pas ton jargon. S’il bolos quelque chose, tu choop et tu chel, rien d’autre. Dekker ? Va arsty pendant l’premier demi-mille après l’casernement. Après ça, tu chel, Shaitan ke marfik, et plus tu choop et plus tu chel jildi, plus le sahib sera kooshy. Tiens, v’là une roupie pour ta peine. » (Pléiade 1, p. 55)
7La grammaire reste anglaise et les mots étrangers s’intègrent dans la phrase grâce aux inflexions qui leur sont ajoutées, par exemple « the chooper you choops and the jildier you chels ». La difficulté de compréhension réside autant dans le vocabulaire étranger (« jildi » signifie « rapidement » en hindoustani) que dans la prononciation du personnage (« tu moiles » pour « two miles ») et ses erreurs de conjugaison (« you chels », où le -s de troisième personne est utilisé pour la deuxième). Les dialogues abondent en dialectes et idiolectes car ils sont utilisés comme procédés de caractérisation. Ils font aussi office de caution réaliste, au détriment du confort de la lecture pour le lecteur qui ne parle pas la langue employée, mais il en retire un dépaysement linguistique radical.
8L’accent des personnages correspond généralement à leur origine géographique même si des critères sociaux entrent aussi en compte. « “Dans l’intérêt de nos frères” » présente la loge Foi et Œuvres 5837 qui accueille les francs-maçons venant du monde entier, de passage à Londres à l’issue de la Première Guerre mondiale. Le narrateur, simple observateur, fait ainsi un tour du monde auditif, simplement grâce à cette diversité d’accents. Les caractères physiques sont peu pris en compte, tous les corps étant transformés par la guerre. L’identification passe par les noms de lieux d’origine et la façon de les prononcer. Janet Montefiore souligne le rôle important de ces imitations d’accents dans la construction de la problématique impériale :
L’imitation proto-moderniste a partie liée avec la thématique impériale de Kipling dans la façon dont son écriture « empile » l’anglais standard par-dessus les langues vernaculaires orales et vivantes : l’accent irlandais et le cockney théâtral parlés par ses soldats (transformés plus tard dans une autre optique, moderniste, par T. S. Eliot et Bertolt Brecht) ainsi que l’anglais riche et archaïsé qui, selon Kipling, rend compte du mélange vernaculaire indien de l’ourdou et de l’hindi, tel qu’il était parlé dans le nord de l’Inde au xixe et au xxe siècles (et dans divers contextes : le pendjabi, le sanskrit, le pashto et la langue des animaux)3.
9S’il pousse à son comble cette diversité d’origines, c’est que Kipling cherche à représenter l’Empire en miniature dans la loge, comme un microcosme. Les personnages, caractérisés et différenciés par leurs langues et langages, représentent par métonymie leurs pays et régions d’origine, procédé similaire à celui du cartographe en cela qu’il permet de rassembler en un espace réduit le monde entier. Certaines nouvelles se présentent de façon assez traditionnelle comme des traductions fictives en laissant apparents les procédés de traduction, comme dans « L’Un de l’autre ennemis » où des parenthèses signalent par exemples les étoffements.
10Kipling propose le plus souvent des fictions de traduction : dans Kim, les dialogues rapportés au discours direct ne se passent que rarement en anglais dans la diégèse. Le texte va au-delà de la traduction : sans avant-texte en hindi ou ourdou qu’il traduirait véritablement, sans même maîtriser les langues vernaculaires que Kim parle, Kipling rend compte de la spécificité de ces langues uniquement grâce à l’anglais. L’appropriation des langues vernaculaires est visible bien avant Kim, comme le souligne Salman Rushdie :
Dans Trois Hommes de troupe, les mots en hindi ou en ourdou sont simplement saupoudrés sur le texte, comme du curry en poudre. Les récits de Dessins en noir et blanc entreprennent quelque chose de plus ambitieux. Ici, ce sont les Indiens à qui une voix est donnée et puisque, dans de nombreux cas, il se trouve qu’ils ne parleraient pas anglais, c’est tout un idiolecte qui a dû être inventé4.
11Dans le roman, l’idiolecte identifié par Salman Rushdie prend toute son ampleur car il est associé et comparé à l’anglais parlé par les Anglo-Indiens. Kipling invente une syntaxe et un rythme pour chaque fiction de traduction, il traduit de l’anglais vers un anglais imaginaire traduit de l’ourdou, dans une circularité presque parfaite. Ce procédé permet de passer de façon imaginaire d’une langue à une autre.
12Toutefois, le texte anglais est capable de nous faire comprendre que la langue parlée est l’hindi ou l’ourdou, de faire la différence entre les deux sans les traduire réellement, ni utiliser la langue en question : cette technique pose les questions de l’imitation, de la caricature et de l’imaginaire lié aux langues. Après quelques pages, c’est simplement le style qui indique le passage d’une langue à une autre : « De toute façon je me dépêche de te rejoindre dès que j’en ai assez. Mais ne quitte pas la Rajputni, autrement je perdrai ta trace… Oah oui, fit le gamin, je lui ai dit tout ce que vous m’avez demandé de dire. » (Pléiade 3, p. 97-98) Ici, la dernière phrase est dite en anglais par Kim qui le parle sans aisance. Dans les deux premières, l’anglais qui rend compte de l’aparté en ourdou entre Kim et le lama est au contraire parfaitement maîtrisé. L’ourdou est considéré comme une langue plus littéraire que l’hindoustani et l’anglais5, ce qui se manifeste notamment par des archaïsmes de construction. On peut le percevoir dans le discours lyrique et imagé du lama :
« Je suis resté ainsi en méditation deux jours et deux nuits, afin de détacher mon esprit ; aspirant et expirant de la manière requise… La seconde nuit – si grande a été ma récompense –, l’Âme sage s’est dégagée du Corps stupide, enfin libérée. Jamais je n’étais parvenu à ce résultat, bien qu’il me soit arrivé d’en atteindre le seuil. Vois donc, n’est-ce pas merveille ? » (Pléiade 3, p. 309-310)
13Pour le lama, originaire du Népal, l’ourdou est une langue étrangère. L’étrangeté de ses tournures, visible dans l’emploi des majuscules, des archaïsmes ou encore de l’antéposition du complément d’objet, rappelle constamment au lecteur la marginalité du lama dans le roman, y compris du point de vue linguistique. À l’opposé, le colonel Creighton, nouvelle apparition d’un espion talentueux après Strickland, est remarqué pour sa capacité à parler parfaitement l’ourdou, ce qui le qualifie pour être un agent central dans le Grand Jeu : « Nul ne pouvait être un imbécile qui connaissait la langue ainsi à fond, dont les mouvements étaient si doux et silencieux, et les yeux si différents des gros yeux ternes des autres sahibs » (Pléiade 3, p. 127).
14Le portrait linguistique que le roman fait de l’Inde et, par métonymie, du personnage de Kim, donne une impression de fragmentation qui représente à la fois une richesse intrinsèque et un manque de centralité communs au territoire et au héros. Janet Montefiore voit dans l’enjeu linguistique davantage la révélation de la fragilité de la suprématie anglophone en Inde qu’une volonté subversive similaire à celle des modernistes de miner les fondements de la langue dominante :
Il est certainement faux d’affirmer que son écriture tend à subvertir l’ordre et les règles linguistiques, par opposition à une simple prise de conscience de leur fragilité. La « langue indigène vernaculaire » dans la fiction indienne de Kipling est peut-être attirante, puissante et subversive – ce qui explique pourquoi elle doit être tenue en respect par l’hégémonie du cadre de l’anglais standard6.
15La tension entre la langue dominante et les multiples langues marginales est sensible dans le roman, mais Kim reste entièrement écrit en anglais et a été lu à la fois par les Britanniques et les Indiens comme l’un des monuments de l’Empire. La fragmentation linguistique mise en évidence par le texte ne remet pas – encore – en cause l’anglophonie des pouvoirs politique et narratif.
16Dans ses récits les plus réussis, Kipling dépasse l’écueil de l’impossible perfection mimétique, créant de toutes pièces une langue qui donne l’impression de s’inspirer de la réalité : ses lecteurs contemporains vantent le réalisme de son écriture. Dans le cas particulier du parler des soldats, cette langue largement fictive acquit rapidement une incarnation réelle grâce au succès immédiat des récits anglo-indiens et des recueils poétiques de la même période. Harold Orel fait allusion à cette imitation de l’art par la vie : « Plus d’un historien militaire a noté que les soldats britanniques ont appris à parler comme Tommy Atkins après avoir lu les Chansons de la chambrée, les Chants des divers services, les Simples Contes des montagnes et Trois Hommes de troupe7. » Ses poèmes et nouvelles étant devenus populaires dans les milieux spécialisés qu’il décrit avec grande affection, le processus d’identification a fonctionné à plein. Ici encore, Kipling semble devancer l’imaginaire borgésien. Ce phénomène rare fait penser à celui imaginé dans « Tlön, Uqbar, Orbis Tertium », du recueil Fictions, où l’imaginaire littéraire promu par un petit groupe d’hommes exceptionnels et tenus au secret vient transformer le monde réel. À la fin du texte de Borges, l’humanité s’est laissée enchanter par un monde fictif si rigoureusement conçu qu’il est étudié comme s’il était réel et qui, finalement, est imité par ses admirateurs.
17L’oralité de l’écriture de Kipling définit un espace linguistique propre à chaque personnage, mais aussi un espace commun de la conversation. Dans les Simples Contes des montagnes, les Anglo-Indiennes comme Mme Hauksbee cherchent à imiter la sociabilité très codifiée des salons du xviiie siècle, sans vrai succès. Plus généralement, les dialogues jouent un rôle considérable dans les récits de Kipling, non seulement en créant une langue particulière, mais aussi, plus simplement, dans le déploiement de la narration sur un mode dramatique. Comme au théâtre et au music-hall, le dialogue est mis en scène et rythmé. Il s’exprime sous la forme d’une conversation entre deux narrateurs au moins : la narration imbriquée est sa marque de fabrique et elle fait jouer les codes du théâtre et du récit à plein, définissant dans la conversation un lieu narratif qui semble propre à Kipling.
18« L’Histoire des Gadsby » est l’exemple le plus évident d’une écriture théâtrale du dialogue : dans cette série de récits anglo-indiens, Kipling choisit de respecter les codes formels de l’écriture théâtrale, le texte comprenant uniquement des répliques et des didascalies. Chaque récit de ce cycle est organisé comme une scène faisant partie d’un tout narratif. Le ton est changeant, s’inspirant tantôt du dialogue de mélodrame, pour l’expressivité individuelle des personnages, l’avancement de l’action et la construction antithétique des rapports entre personnages, tantôt de la conversation, pour l’effet de réel apporté par les hésitations, corrections, silences et interruptions dans les répliques. Les échanges entre les personnages sont à la frontière du dialogue de théâtre et de la simple conversation. Jean-Pierre Ryngaert définit ainsi ces deux types d’échange :
Les définitions courantes évoquent un dialogue de théâtre qui serait ordonné, construit, exprimerait des pensées et poursuivrait un projet faisant sens. La conversation, elle, serait décousue, imprévisible, dénuée de tout autre ambition que d’occuper l’état de vacance de ceux qu’elle rassemble, et son issue ne devrait fâcher ni léser qui que ce soit. Au dialogue serait réservé le conflit, ou en tout cas le face-à-face, l’agôn ; à la conversation les échanges banals faits des petits riens et des préoccupations quotidiennes8.
19Comme pour compenser la banalité de nombreux échanges, les apartés introduisent une ébauche de dialogue entre le personnage et le public, dialogue dont le contenu est cette fois identifiable et intéressant. L’espace créé par le dialogue est ici double : l’espace de la diégèse, représenté sur scène, est doublé d’un espace conversationnel incluant les personnages, le public et, en sous-main, l’auteur. Le ton très particulier du cycle des Gadsby tient à une alternance fréquente entre ces deux espaces, soit entre un mode mélodramatique sérieux et un mode comique ironique. Kipling joue ainsi sur les codes de l’écriture théâtrale pour créer un double dialogue qui ressemble dans son fonctionnement à son mode narratif favori, la narration imbriquée.
20Les narrateurs kiplingiens sont des conteurs : l’oralité est le mode de transmission favori des personnages chargés de mener à bien la narration. La critique tient Kipling avant tout pour un story-teller : reste à définir ce que l’on entend par ce terme. Kipling lui-même utilise le mot story dans certains titres ainsi que dans sa célèbre formule « mais c’est une autre histoire » ; le mot est à la fois banal et très significatif. Les récits associent étroitement des éléments tirés de traditions orales diverses, mais une impression de cohérence résulte de ce mélange. Une lecture cursive ne fait pas apparaître de délimitations ou de coutures ; l’œuvre est unifiée par l’impression d’oralité qui se dégage des textes. Des contes traditionnels, des fables, des chansons folkloriques, Kipling retient tout particulièrement un mode de transmission populaire qu’il met directement en scène dans les nouvelles où le narrateur écoute le récit fait par un autre personnage. Même Kim, que l’on désigne habituellement comme un roman, peut à la limite faire partie du genre de la story. Alexis Tadié parle du « roman d’un conteur », soulignant notamment l’importance de l’oralité : « Même s’il est mis en forme par l’écrit, l’oral domine dans Kim, et la variété des voix renvoie à la même tradition, du parler babu de Hurree à la voix plus anglaise des personnages de la métropole, de la voix du conteur aux mots hindi9 ». L’art de conter organise profondément la diégèse ; les grands fils narratifs du livre que sont le Grand Jeu, la quête identitaire de Kim et la quête mystique du lama reposent chacun sur un ou plusieurs récits fondateurs transmis oralement : le pedigree de l’étalon, le taureau rouge et la rivière sacrée.
21L’oralité des stories s’inspire aussi de l’écriture théâtrale, même dans les textes qui n’utilisent pas ces codes aussi directement que le cycle des Gadsby. Arthur Conan Doyle évoquait ainsi en 1907 les qualités qu’il considérait les plus remarquables chez Kipling : « sa puissance, sa concision, son sens dramatique, sa façon de soudain s’embraser10 ». Des qualités dramatiques apparaissent certes dans les dialogues au discours direct, mais aussi dans la construction même des nouvelles où des principes dérivés de l’écriture théâtrale sont appliqués, en particulier le climax et le fait de provoquer chez le lecteur crainte et pitié comme dans les tragédies antiques. Avec « L’homme qui voulut être roi », on pense notamment à Œdipe Roi de Sophocle : un roi fautif et illégitime doit être sacrifié ; la mutilation des yeux de Carnehan est un élément concret tiré du mythe.
22La narration imbriquée est, dès les débuts de Kipling, une caractéristique formelle récurrente : un narrateur anonyme et extradiégétique, largement inspiré de l’auteur lui-même, s’adresse à un narrateur intradiégétique qui lui raconte l’histoire enchâssée sur le ton de la confidence. Les narrations-cadres mettent en scène la situation d’énonciation comme s’il s’agissait de planter un décor de théâtre, le narrateur se met en scène dans le cadre narratif où vient s’imbriquer le récit central. Guy Larroux explore cette image du cadre, en lien avec les notions d’incipit et de clôture du texte :
Si l’on veut prendre au sérieux cette image [du cadre], il faut, se rappelant qu’un cadre est aussi un plein, trouver à ce dernier, en plus d’une bordure externe, une bordure interne : celle qui précisément dans le texte pourrait s’identifier à la clausule. On trouve dans certains textes d’intéressantes confirmations d’iconicité : par exemple, lorsque la figure du tracé, de la frontière au sens propre apparaît en séquence conclusive, comme c’est le cas à la fin de Combray11.
23La bordure du récit joue un rôle particulièrement important chez les auteurs dits réalistes, car elle noue dans l’incipit le lien avec le lecteur, permettant le fonctionnement de la mimesis, puis dénoue ce lien à la fin en ouvrant le récit sur le monde du lecteur. Ces nouvelles sont des « récits de paroles » sous leur forme réaliste : par le témoignage d’un narrateur principal en qui l’on reconnaît l’autorité narrative, elles nous livrent le discours du narrateur second tel qu’il est censé avoir été prononcé.
24Dans « Le Taureau pensant » le narrateur raconte dans le récit-cadre sa rencontre avec M. Voiron, le narrateur second qui lui conte l’histoire d’un taureau exceptionnel. L’incipit met en place le cadre du récit :
À l’ouest d’une ville située dans le delta du Rhône s’étend une route d’une telle rectitude mathématique et d’une telle platitude barométrique qu’elle compte parmi les meilleures pistes de vitesse du monde et que les automobilistes viennent y battre des records.
J’avais déjà tenté plusieurs fois d’y battre mon record du mille, mais je m’étais toujours heurté au mistral ou au bétail redoutable qui se déplace dans la région. Mais, une fois, venant de l’est et fonçant sur un coucher de soleil grandiose, un peu à l’égyptienne, survint une nuit qu’il eût été criminel de laisser passer. Une nuit adoucie par une brise d’été précoce et si bien éclairée par la lune que l’ombre de chaque petit caillou rond et de chaque cime pointue de cyprès brise-vent reposait, massive, sur cette vaste étendue plate ; et mon brave M. Leggatt, qui était sorti pour s’en assurer, vint me dire que la surface de la route était parfaite.
« À présent, suggéra-t-il, on va peut-être voir comment elle se comporte dans des conditions de route optimales. Elle a avancé comme le Bleu de Luxe toute la journée. Ou je ne m’y connais pas, ou c’est son soir de sortie. »
Nous décidâmes de faire l’essai après dîner – trente kilomètres à un rien près, dont vingt-deux sans même un passage à niveau.
J’eus à côté de moi, à la table d’hôte, un Français barbu d’un certain âge, qui arborait une rosette de la Légion d’honneur – assurément pas du grade le plus bas – et qui était arrivé dans une Citroën caquetante. Je crus comprendre qu’il avait passé une grande partie de sa vie dans l’administration coloniale française en Annam et au Tonkin. Au début de la guerre, comme son âge lui interdisait d’aller au front, il avait dirigé les travaux de bûcherons chinois qui défrichaient, à coups de hache et de dynamite, les forêts du Centre de la France pour fabriquer des étais de tranchée. Il avait appris par mon chauffeur que j’envisageais de procéder à une expérience. (Pléiade 4, p. 464-465)
25Comme Guy Larroux le remarquait à propos d’autres textes, les figures de frontières et de délimitations abondent dans le récit-cadre. Le paysage est représenté de façon géométrique, le plan de la Camargue étant divisé par une route parfaitement rectiligne et sans aucune aspérité ; dans la biographie du narrateur secondaire, M. Voiron, est mentionnée sa participation à la création des tranchées pendant la guerre, précision qui fait apparaître cette autre expression explicite du principe démarcatif qu’est la tranchée. En nous présentant le paysage camarguais, l’incipit définit aussi le cadre du récit imbriqué, « cadre » étant pris ici en son sens le plus simple : il définit le lieu et le décor dans lesquels se déroulera l’action. Le lecteur s’insère dans ce milieu à la fois grâce à une description du paysage et en s’identifiant au narrateur principal qui découvre la région et la parcourt au volant de son automobile.
26Dans cette nouvelle, le motif du voyage partage avec le processus de lecture des caractéristiques communes. La linéarité du trajet est signifiée par celle de la route sur laquelle a lieu la rencontre des deux narrateurs : de même, le lecteur suit le fil du texte et découvre en le traversant le monde qui englobe le récit. La route n’est qu’une ligne dans un espace aux contours vaguement définis ; le récit proposé n’est qu’une possibilité parmi d’autres de donner à voir le territoire qui lui sert de cadre. Le reste du monde est évoqué par contraste, du centre de la France à l’Indochine, mais le récit est concentré sur l’espace limité de la Camargue, à la fois dans le cadre et la majeure partie du récit imbriqué, malgré un détour par l’Espagne.
27Après la prouesse mécanique, les narrateurs s’assoient à une table, éclairée d’une seule lampe, et boivent un vin de champagne très rare, créant une atmosphère à la fois de convivialité et de secret – la nuit est tombée, les clients du restaurant sont partis et les volets sont fermés. La transition entre le récit-cadre et l’histoire centrale se fait très directement, le récit de Voiron vient en paiement de la démonstration technique. Le narrateur principal s’efface alors, hormis dans la restitution oralisée de l’anglais parlé par le Français, notamment à travers des gallicismes car Voiron abuse notamment du parfait, calqué sur le passé composé français, et traduit certaines expressions françaises comme dans la phrase « when cattle think – I have seen what arrives », ce qui est bien sûr invisible en traduction : « quand le bétail pense, j’ai vu ce qui arrive » (ibid.). Tout au long de la narration de Voiron, de courtes interruptions rappellent au lecteur la situation d’énonciation, notamment par des références au champagne bu par les deux narrateurs. C’est encore par le liquide que la transition se fait à la fin de l’histoire centrale vers le récit-cadre :
Ils ouvrirent – j’ai souvent mal jugé les Espagnols, en mon temps ! –, les portes s’ouvrirent devant l’homme et le taureau, et se refermèrent derrière eux. Et ensuite ? Du maire à la garde civile, tout le public fut en délire pendant cinq minutes, puis les trompettes retentirent et le cinquième taureau se rua dans l’arène – un taureau andalou noir, qui, lui, ne pensait pas ; je suppose qu’il fut mis à mort. Mon ami, mon très cher ami à qui j’ai ouvert mon cœur, j’avoue que je n’ai pas regardé. Christophe et moi pleurions tous deux, comme deux enfants de la même mère. Et si nous buvions à sa santé ? (Pléiade 4, p. 480)
28À l’issue de la corrida, le taureau et le matador se sont laissé la vie sauve et ont tous deux brillé. Le combat se transforme ici en représentation artistique offerte au public ; deux artistes s’allient pour donner un spectacle total et gratuit, que rien ne peut forcer ni limiter. Alors que le matador a une réputation médiocre et que le taureau est connu pour ses attaques vicieuses, alors que l’un devrait terminer sa carrière par un échec et l’autre être abattu parce qu’il est trop dangereux, leur rencontre crée les conditions d’une ouverture. Le matador retrouve la grâce de ses premiers exploits et le taureau est gracié, du moins pour le temps de la représentation. Ils sortent ensemble de l’arène : l’image des portes qui s’ouvrent et se ferment figure encore une fois le principe démarcatif déjà identifié dans l’incipit, il s’agit bien d’un seuil, d’un passage entre deux modes narratifs. L’ouverture est reprise sémantiquement dans l’expression « j’ai ouvert mon cœur » et physiologiquement dans les pleurs de Voiron et de Christophe. Le passage des larmes au champagne s’effectue alors avec fluidité dans la dernière phrase, l’ouverture du récit donnant lieu à divers épanchements et écoulements, dans une série d’images liquides.
29Même si l’espace laissé au récit-cadre est extrêmement étroit à la fin, la nouvelle se termine en refermant le cadre. Il convient de noter que la porosité des limites est respectée, aux deux extrémités du texte. L’espace défini par la conversation tient de cette dernière des limites poreuses car le mode dialogique et conversationnel implique un échange toujours renouvelé et une ouverture au moins partielle à un point de vue extérieur à celui du narrateur ou locuteur. Comme on le voit dans l’exemple du « Taureau qui pensait », la relation qui se noue entre les deux narrateurs dans le récit-cadre, de rivalité et de fraternité, indique au lecteur que le texte se donne plusieurs autorités concurrentes et conjointes qui produisent une mise en relief du récit.
Fragmentation, intertexte et réseau : forme courte, forme maximale
30L’importance de l’oralité dans la narration signale que Kipling postule toujours un lecteur. Le personnage du narrateur, à cause de son anonymat et de sa ressemblance a minima avec l’auteur, fait office de coquille vide dans laquelle chaque lecteur peut se projeter. S’il avait été doté de caractères biographiques, psychologiques ou même physiques le rattachant à Kipling, il serait un simple porte-parole de l’auteur. Ce manque de précisions lui permet de figurer un « Lecteur Modèle » au sens où l’entend Umberto Eco dans Les limites de l’interprétation, cette instance lectrice qui interagit avec le texte pour lui donner sens et accepte avec bonne volonté les informations qu’on lui présente :
Pour pouvoir délinéer un monde narratif dans lequel nombre de choses doivent être considérées comme acquises et beaucoup d’autres doivent être acceptées même si elles sont peu crédibles, un texte semble dire à son Lecteur Modèle : « Fais-moi confiance. Ne sois pas trop subtil et prends ce que je te dis comme si c’était vrai. » En ce sens, un texte narratif a une nature performative12.
31Umberto Eco signale que cet assentiment s’effectue au fil de la lecture, dans la linéarité du texte, tout comme l’élaboration de son interprétation. Chez Kipling, le lecteur aborde certes chaque texte de façon linéaire, avec une bonne volonté renouvelée, mais il subit aussi au fil des publications un entraînement à un certain mode de lecture, car les mondes créés se rejoignent au sein d’un réseau plus vaste. Kipling a créé de petits mondes à l’échelle d’un court récit, mais aussi des mondes plus vastes définis au fil de plusieurs textes, appartenant parfois au même recueil, parfois dispersés dans des livres publiés à plusieurs années d’intervalle. La nouvelle dépasse alors les limites strictes qu’elle semble se donner, devenant l’outil par lequel la fiction prolifère et non celui qui la limiterait en un point unique. La forme courte n’est pas chez Kipling une limitation mais une ouverture.
32L’intertextualité est le premier moyen de créer ce réseau et Kipling, grand lecteur, en use notamment par le biais de l’imitation. Il reprend la forme du monologue dramatique à la Browning dans Dessins en noir et blanc. Ann Matlack Weygandt postule que les runes mentionnées dans « L’Épée de Weland » seraient une imitation de Beowulf13. Lorsqu’il intitule un recueil Traffics and Discoveries (Périples et découvertes), il s’inspire directement des récits de voyage de Hakluyt, The Principal Navigations Voyages Traffiques & Discoveries of the English Nation14. Les exemples sont innombrables et d’une grande variété en termes d’époque, de genre ou de sujet.
33John Lee identifie dans plusieurs nouvelles une fascination pour Shakespeare, à travers des indices stylistiques ou thématiques15. Dans « Proofs of Holy Writ », il est question de façon à la fois très pointue et comique d’attribuer ou non des écrits à Shakespeare, par exemple certains passages de la King James Bible. Plus fréquemment, les personnages de Kipling qui ont lu Shakespeare le citent ou se comparent à ses personnages, de manière plus populaire. Par exemple, Mulvaney se présente comme un spécialiste d’Hamlet dans « Comment Mulvaney prit femme ». Lorsque Kipling reprend le personnage de Puck, il s’adresse à un public très vaste : Le Songe d’une nuit d’été est la pièce de Shakespeare la plus jouée, notamment par les amateurs. Puck fait aussi partie d’un folklore préexistant au texte de Shakespeare : en le choisissant plutôt qu’un autre, Kipling fait appel à une culture populaire et typiquement anglaise. La référence est d’autant plus identifiable que la première nouvelle de Puck de la colline au lutin montre les enfants en train de répéter la comédie de Shakespeare. Les emprunts à la culture populaire ne se limitent pas au domaine du théâtre : les deux personnages principaux de « Bêê bêê, brebis galeuse », deux enfants, se nomment Punch et Judy.
34La réécriture de Puck par Kipling conserve les caractéristiques principales du personnage tel que le connaît le lecteur de Shakespeare, notamment sa capacité à tromper les humains en faisant passer pour un rêve ce qui est réel : Puck est pris au mot par Kipling lorsqu’il suggère dans le monologue final que la pièce n’est qu’un rêve du spectateur. Chez Kipling, Puck joue avec la mémoire de Dan et Una en les convainquant qu’ils ont rêvé leurs rencontres avec des personnages du passé. L’emprunt de ce personnage signale comme point de cristallisation thématique dans Puck de la colline au lutin et Adieu, les fées la question de la vérité et du rêve, et non uniquement la représentation de l’histoire de l’Angleterre.
35Afin d’affirmer l’aspect réaliste du monde de fiction créé dans ses récits, Kipling ne se contente pas de faire appel à des personnages déjà familiers pour ses lecteurs, il crée aussi son propre hypotexte au fur et à mesure de la construction de l’œuvre. Les lignes narratives se prolongent au-delà des limites du récit particulier et le narrateur précise des liens entre les textes. La linéarité narrative est dépassée par le système de récurrence des personnages qui prend des proportions plus ou moins importantes, certains réseaux ne comportant que quelques textes, d’autres s’étendant d’un recueil à plusieurs autres. Ces apparitions répétées donnent son épaisseur à chaque récit ainsi qu’à l’œuvre plus généralement, en dotant les personnages d’une biographie fictive réaliste qui laisse penser qu’ils continuent à évoluer entre les textes. En ce sens, le système de personnages de Kipling est comparable à celui de Balzac tel que le décrit Vincent Descombes :
[Balzac] veut faire une « combinaison habile » par laquelle ses personnages se présenteront à nous, non comme des personnages de roman dont on nous raconte l’histoire de la naissance à la fin, mais comme les personnes que nous rencontrons dans « le monde social », sans savoir toujours d’avance leurs antécédents. […] L’ordre de la narration ne peut pas et, selon Balzac, ne doit pas être chronologique16.
36Le foisonnement de personnages ainsi que le mélange de personnages inventés et de personnages empruntés aboutissent à une impression générale de réalisme : le romancier joue sur l’idée que les hommes vivant à une époque précise dans le monde réel n’existent que de façon contingente. Ainsi, ses personnages inventés, puisqu’ils respectent les codes d’un monde de fiction qui ressemble au monde réel, sont des individus possibles. La coexistence de Rastignac et de Napoléon dans le cadre de la fiction créée par Balzac, ou de Strickland, Lord Curzon et la reine Victoria dans celle de Kipling, porte le lecteur à apprécier le poids réaliste du personnage du fait des références à l’Histoire qui lui est contemporaine.
37Dans le cas de Kipling, l’œuvre n’est pas un vaste labyrinthe entièrement relié, mais elle en comporte plusieurs, de dimensions plus modestes. Pour classer les nombreux textes de Kipling à la fois logiquement et en prenant en compte l’époque de composition des textes, Francis Léaud parle de « cycles17 ». Le terme de réseau semble mieux convenir pour aborder l’œuvre : le fait de lier entre eux des récits signale une ouverture plutôt qu’une fermeture cyclique, et nous ferons ainsi référence aux réseaux de textes centrés sur certains personnages récurrents comme Mowgli, Strickland ou Lispeth. Kipling crée ses propres personnages de référence, qui gagnent en épaisseur réaliste et étoffent leur biographie fictive à chaque apparition. Le narrateur anonyme revient sous sa forme première dans des recueils tardifs : dans « Garm, le chien otage », on retrouve l’Anglo-Indien de Trois Hommes de troupe, cette fois empreint de nostalgie.
38Le réseau de Lispeth concerne seulement la nouvelle « Lispeth » et Kim, où le personnage réapparaît sous une autre identité, « la Femme de Shamlegh ». Il s’agit bien du même personnage, elle est associée au même lieu dans les deux cas, les collines proches du village de Kotgarh. Dans le roman, on retrouve son histoire d’amour déçu, fondatrice. La même histoire était racontée par le narrateur dans « Lispeth », mais c’est ici Lispeth elle-même qui la narre à Kim, soulignant les ressemblances entre Kim et son premier amour anglais :
« Autrefois, il y a longtemps, si tu peux le croire, j’ai trouvé grâce aux yeux d’un sahib. Autrefois, il y a longtemps, j’étais vêtue à l’européenne, là-bas à la mission. » Elle tendit le bras vers Kotgarh. « Autrefois, il y a longtemps, j’étais ker-lis-ti-enne et je parlais anglais – comme les sahibs. Mon sahib disait qu’il reviendrait m’épouser… oui, m’épouser. Il est parti – je l’avais soigné quand il était malade – mais il n’est jamais revenu. Alors j’ai compris que les dieux des Kerlistiens mentaient, et je suis retournée auprès des miens… » (Pléiade 3, p. 283)
39Des variations importantes montrent toutefois que Kipling exploite des fils narratifs différents sans rechercher une cohérence absolue entre les deux récits. La destinée de Lispeth envisagée dans l’avenir de la nouvelle n’est pas celle vécue dans le roman. Dans la nouvelle, l’avenir est sombre pour Lispeth : « Elle ne tarda pas à épouser un bûcheron, qui la battit comme il est d’usage chez les paharis et sa beauté se fana rapidement ». (Pléaide 1, p. 7-8) Dans le roman, Lispeth est devenue le chef du village ; elle règne sur les hommes politiquement et sexuellement, au lieu d’en être la victime. Elle conserve sa féminité et son pouvoir de séduction mais s’est libérée des carcans d’une société d’hommes et refuse la maternité. Le contraste est encore accentué du fait qu’elle prend ici la parole directement et reste maîtresse de son histoire :
« Je suis la Femme de Shamlegh, et cela par la volonté du rajah. Je ne suis pas une porteuse de marmots ordinaire. […] » Elle se dirigea résolument vers les sommets, ses colliers d’argent cliquetant sur sa large poitrine, pour rencontrer le soleil matinal à quinze cent pieds au-dessus d’eux. (Pléiade 3, p. 275-276)
Elle appela d’une voix rauque, et l’on vit sortir d’un parc à bestiaux ses deux maris et trois autres villageois portant un dooli, cette litière indigène primitive, que l’on utilise dans les Montagnes pour le transport des malades, et les visites de cérémonie. « Ces individus » – elle ne daigna pas leur jeter un regard – « sont à ton service aussi longtemps que tu en auras besoin. » […] Ils obéirent promptement. (Pléiade 3, p. 285)
40La narration reste libre dans chaque texte et le réseau s’enrichit grâce à ces variations qui suggèrent un regard différent. À la compassion du narrateur des Simples Contes succède dans le roman la voix fière de Lispeth.
41Le réseau de Strickland s’étend sur une période plus longue : sa première apparition date de 1887 (« Le Sais de Mlle Youghal », Simples Contes des montagnes) et sa dernière de 1909 (« Une affaire de coton », Actions et Réactions). Il est aussi présent dans « La Marque de la bête » (Les Handicaps de la vie, 1891) et Kim (1901). Strickland évolue et vieillit au fil des textes mais sa biographie reste plus simple. Kipling dissémine les épisodes de cette vie dans plusieurs volumes, comme il le fait pour d’autres personnages, ce qui a donné à certains éditeurs l’idée de regrouper tous les textes concernant un personnage. L’apparition de Strickland dans un roman empêche largement une telle anthologie, mais il en existe une pour Stalky. Le recueil The Complete Stalky & Co18 ajoute les nouvelles « “Stalky” », « Regulus », « Les Idolâtres associés » et « La Propagation du savoir » au recueil original composé par Kipling, Stalky & Cie. Cette édition montre explicitement le fonctionnement du réseau Stalky qui existe dans divers recueils en rassemblant toutes les nouvelles concernant directement ce personnage. Kipling lui-même a tenté d’unifier certains réseaux. Avant les Livres de la jungle, Mowgli apparaissait déjà adulte en 1893 dans « Dans le “rukh” », dans le recueil Tours et détours. Les Livres de la jungle, dont le premier paraît l’année suivante, reprennent le personnage depuis sa petite enfance et lui donnent une biographie bien plus détaillée que la nouvelle initiale. Un document de l’archive Kipling conservée à l’université du Sussex montre comment Kipling a cherché a posteriori à étendre de façon plus cohérente le réseau de Mowgli : le texte de la nouvelle est annoté par Kipling de façon à expliciter le lien entre « Dans le “rukh” » et les nouvelles des Livres de la jungle. Une note cherche en particulier à expliquer pourquoi l’adulte ne fait pas référence au vécu de l’enfant qu’il est censé avoir été, en marge du passage suivant :
Cela s’est passé quand j’avais appris à manger de la viande cuite et à parler hardiment. Je suis allé de village en village, cœur de mon cœur, gardant les troupeaux, soignant les buffles, traquant le gibier, mais il ne s’est jamais trouvé un homme pour oser lever deux fois la main sur moi. (Pléiade 2, p. 178)
42Kipling annote ainsi : « On remarque que Mowgli ne fait ici aucune référence aux circonstances de la Randonnée de printemps ; toutefois, il est évident qu’il a vagabondé parmi les humains après son retour dans la hutte de Messua (voir le Second Livre de la jungle) – R. K.19 ».
43L’ambition d’unification des textes d’un même réseau bute sur des écarts factuels, montrant les failles d’un projet bien moins systématisé que celui de la Comédie humaine, mais ces failles sont exploitées par Kipling sur le mode ludique. La biographie fictive de ces personnages récurrents comporte plus d’épisodes que l’ensemble de leurs apparitions mises bout à bout, précisément parce que la cohérence n’est pas absolument respectée. Ce procédé amène Kipling à dépasser les limites textuelles pour laisser la fiction se déployer dans l’imagination de chaque lecteur.
44Le réseau n’est pas une arborescence où chaque nouvelle viendrait enrichir la structure complète, il fonctionne comme un ensemble en expansion libre. Les fils narratifs des nouvelles dessinent les contours du monde connu, mais les contradictions narratives et l’espace laissé libre entre les nouvelles figurent la possibilité de prolonger ces lignes. Même la dimension de la page n’est plus une frontière infranchissable, comme le montrent les annotations à « Dans le “rukh” » qui envahissent les marges. Il ne s’agit donc pas d’un circuit fermé, l’effet produit par l’emploi de personnages récurrents n’est pas tant d’accentuer le réalisme des récits que de faire croire à un monde que le lecteur sait fictif et de former ses capacités de lecture à la forme du récit kiplingien.
45Le récit court s’exprime sous diverses formes chez Kipling. La plus évidente est la nouvelle, à laquelle il consacre la plupart de son œuvre, mais ses romans jouent aussi sur la concision narrative à travers le procédé des micro récits, ces passages racontant en quelques lignes une histoire secondaire. Kim forme une unité, tout en contenant de nombreux micro récits qui relatent une histoire courte mais complète. Le rythme s’accélère alors et le fil principal est négligé au profit d’un fil secondaire, avant que l’association des deux fils fasse sens à nouveau et redessine un ensemble unifié. Au chapitre onze, ainsi, Kim rencontre dans un train l’espion E. 23, qui lui fait le récit de ses aventures pendant que Kim soigne ses blessures et le déguise pour le protéger de ses poursuivants :
« À présent, vite, ton histoire, frère, pendant que je récite une formule.
— Je viens du Sud, où j’avais affaire. L’un des nôtres a été tué sur le bord de la route. En as-tu entendu parler ? » […] « Ayant découvert certaine lettre qu’on m’avait envoyé chercher, je suis parti. Je me suis échappé de la ville, et j’ai filé jusqu’à Mhow, sans changer de visage, tellement j’étais sûr que personne ne savait. […] » (Pléiade 3, p. 215)
46Le fil de l’histoire est déroulé sur deux pages, avec de nombreux rebondissements qui font revenir l’analepse à son point de départ : l’espion demande l’aide de Kim pour faire aboutir sa mission et le sauver. La résolution de ce récit est intégrée dans l’histoire principale, les deux plans narratifs se rencontrant momentanément dans le compartiment d’un train, par hasard. Le micro récit semble d’abord ne pas concerner l’intrigue principale mais il participe de l’apprentissage par Kim du métier d’espion. Les récits qui semblent séparés fonctionnent en réalité comme les carreaux qui s’assemblent dans la mosaïque. Frédéric Regard souligne la double valeur de la fragmentation du roman :
C’est un récit réaliste qui ne fuit pas la fragmentation, mais qui fait de la fragmentation le prétexte même d’une totalisation. Le monde, et surtout le monde anglo-indien, est contradictoire […] ; et c’est bien pour cette raison que cette fausse « écriture du désastre » se met aussitôt au service d’un méta-récit, chargé de retrouver le secret d’un ciment capable de redonner sens au non-sens, capable de dépasser la fragmentation inhérente au monde grâce à un discours, certes littéraire et esthétique, mais aussi éminemment social, religieux, politique, idéologique20.
47La multiplication des rencontres au fil de la route correspond au modèle de l’initiation picaresque mais aussi à la construction de la personnalité du héros morceau par morceau, comme une accumulation d’expériences à la fois personnelles et par procuration. Kim absorbe chaque récit qui lui est fait et l’intègre à son stock de savoirs sur le monde. Il se construit autant par son expérience de la route qu’à travers les récits qu’il entend. Le premier micro récit du roman est une prédiction faite par son père et répétée par sa mère adoptive puis par Kim lui-même : « “Et un jour”, lui dit-elle, se souvenant confusément des prophéties d’O’Hara, “un grand taureau rouge en champ vert viendra te chercher, avec le colonel sur son grand cheval, oui, et puis […] neuf cent diables” » (Pléiade 3, p. 4). C’est le récit fondateur de l’identité et de l’ambition de Kim. L’accumulation de courts récits se poursuit tout au long du roman, jusqu’à ce que l’histoire même de Kim se voie transformée en micro récit par Hurree Mookerjee à la fin du texte. Chaque histoire étant susceptible de faire partie d’un ensemble plus vaste, même celle qui a rempli tout l’espace du livre peut se voir concentrée et condensée : « On passera de bons moments lorsqu’on racontera tous ensemble ton histoire là-haut chez M. Lurgan » (Pléiade 3, p. 303). Le texte semble alors se contracter et se densifier, pour faire de ce roman vagabond un récit compact, racontable, simplifiable.
48Le caractère compact du récit est remarquable dans les nouvelles du début de la carrière de Kipling. Le texte est ainsi condensé et libéré de tout ce qui ne porte pas le récit vers son but, attribuant une grande importance narrative et descriptive à l’implicite. Dans les recueils plus tardifs, les nouvelles sont moins nombreuses et plus longues. La concision des récits n’en est pas affectée, les intrigues sont plus complexes mais les incipit condensent souvent l’essentiel du récit, car les principes de la nouvelle y sont contenus avant d’être développés. Dans « La Maison des paroles magiques », l’incipit présente en moins de dix lignes le cadre du récit, mais aussi le ton et le langage du dialogue intime à venir entre les personnages narratrices intradiégétiques. La part du non-dit et de l’implicite est vaste car les personnages sont issus du même monde, donnant l’impression d’un surplus de sens. Le mal qui est magiquement transféré de la jambe de Harry à celle de Grace n’est jamais explicitement nommé, le pacte conclu entre Grace et la créature n’est scellé que tacitement, « la chose derrière la porte a poussé un soupir » (Pléiade 4, p. 416). L’image de la plaie ouverte sur un corps par ailleurs sain et entier est le stigmate qui révèle l’intensité sourde du désir, de l’inquiétude et de la haine, mais elle est aussi le signe de cette densité du texte, figurant la prolifération du sens sous une surface de simplicité.
49La pratique du récit court permet une accumulation de récits en un espace réduit, à tel point que le recueil donne une impression de prolifération, à la fois en juxtaposition et en réseau. Plutôt qu’une dissémination, l’effet produit est un foisonnement, un sentiment de ne jamais épuiser le stock narratif qui s’alimente lui-même. Selon la logique de l’accumulation plutôt que celle de la répartition, la fonction narrative est démultipliée dans les récits imbriqués, et non simplement partagée. Toujours dans Dettes et créances, le schéma narratif principal des « Disciples de Jane » est imbriqué à plusieurs niveaux, compliquant le déroulement du récit principal par l’intrusion de micro récits visant à remplir les blancs laissés par le narrateur intradiégétique dont la mémoire est mauvaise. Le narrateur anonyme rencontre ce narrateur second, Humberstall, par l’intermédiaire d’Anthony, dans la loge maçonnique Foi et Œuvres 5837, tous deux devenant narrateurs à l’intérieur du récit-cadre :
« — […] enfin, bref, j’ me suis présenté devant not’ commandant… l’ commandant… ah, encore un peu et j’ saurai plus comment j’ m’appelle… l’ commandant…
— Peu importe, interrompit Anthony. Continue ! Ça te reviendra en parlant.
— Minute ! J’ l’avais sur le bout de la langue. »
Humberstall laisse tomber son chiffon à reluire et fronça les sourcils à nouveau, absorbé dans ses pensées. Anthony se tourna vers moi et se mit à me raconter d’un ton enjoué comment son taxi était entré en collision avec un refuge à Marble Arch, après un dérapage sur trois yards, un jour où la chaussée était grasse.
« Beaucoup de dégâts ? demandai-je.
— Oh, non ! Tous les boulons, les vis et les écrous du châssis ont souffert, mais rien n’a cédé, vous entendez, et pas une éraflure sur la carrosserie. Vous auriez jamais deviné que quelque chose clochait avant de reprendre la voiture en main. Et parlez-moi d’un boucan : de plein fouet… comme ça ! » Et il allongea une claque sur son petit front d’homme plein de tact pour m’indiquer l’importance du choc.
« Ton commandant, il t’a passé un savon ? » poursuivit-il, la tête tournée vers Humberstall, qui sortit de sa rêverie en poussant un long soupir. (Pléiade 4, p. 426-427)
50Lorsque Humberstall faillit en tant que narrateur, Anthony comble le vide en intercalant un petit récit pour éviter au narrateur anonyme de se trouver en situation de pénurie d’histoires à écouter. Tout est mis en œuvre pour éviter cet écueil, aussi bien dans la diégèse que dans la forme : la plupart des personnages de narrateurs sont des personnages pleins, au sens où ils débordent d’expériences plutôt que d’être de simples témoins. Même le narrateur anonyme, dont on ne sait presque rien, se présente avant tout comme un grand voyageur par l’accumulation des récits le montrant dans des lieux différents. Le fait de choisir comme narrateurs des personnages à la biographie supposée foisonnante implique un débordement du texte : le récit effectivement raconté n’est qu’un des récits possibles et le lecteur est entretenu dans l’attente d’un surplus narratif.
51À la fin de « Son épouse légitime », le narrateur des Simples Contes des montagnes annonce : « Plus tard, je vous parlerai d’une affaire semblable à celle-ci, mais là, les ennuis sérieux éclipsent totalement l’élément facétieux » (Pléiade 1, p. 122). Chose promise, chose due : l’incipit de « Dans la fleur de sa jeunesse » reprend presque les mêmes termes : « Quand je vous ai raconté le tour joué par le Ver au doyen des lieutenants, je vous ai promis une histoire à peu près semblable, mais sans l’ombre d’une plaisanterie. Voici l’histoire en question. » (Pléiade 1, p. 159) Au-delà de l’exercice de style, Kipling crée un réseau narratif et ses nouvelles sont englobées dans un grand flux narratif qui n’est limité que par l’espace textuel. Le cadre des récits apparaît alors comme une contrainte, comme une frontière tracée dans un monde de fiction qui n’est raconté que par bribes. Dans les récits cadres, la voix du narrateur anonyme se fait d’autant plus autoritaire que le texte est court : les recueils de la période anglo-indienne ont des seuils très abrupts pour la plupart des nouvelles, tandis que des échos explicites suggèrent une matière anglo-indienne se prolongeant à l’infini.
Notes de bas de page
1 Jean-Marie Grassin, « Pour une science des espaces littéraires », introduction à La géocritique, mode d’emploi, Bertrand Westphal (dir.), Limoges, PULIM, 2000, p. iv.
2 Jorge Luis Borges, « Kipling et son autobiographie », Œuvres complètes, vol. 1, Paris, Gallimard « Pléiade », 1993, p. 1058.
3 Jan Montefiore, « Latin, arithmetic and mastery: a reading of two Kipling fictions », dans Modernism and Empire, Writing and British Coloniality, 1890-1940, Howard J. Booth and Nigel Rigby (dirs.), Manchester, Manchester University Press, 2000, p. 112. (Traduction de l’auteur)
4 Salman Rushdie, « Kipling », Imaginary Homelands, Essays and Criticism 1981-1991, London, Penguin Books, 1992, p. 77. (Traduction de l’auteur)
5 Hindi et ourdou sont similaires du point de vue grammatical, mais diffèrent notamment dans l’écriture et le vocabulaire. L’imaginaire linguistique de Kipling s’appuie en particulier sur le fait que l’ourdou, langue des camps militaires et de la cour, peut être d’un registre de langue très élevé si le locuteur choisit un vocabulaire issu du persan ou de l’arabe plutôt que du sanskrit. L’ourdou est ainsi à la fois une langue véhiculaire et savante.
6 Jan Montefiore, op. cit., p. 113. (Traduction de l’auteur)
7 Harold Orel, « Rudyard Kipling and the Establishment: a Humanistic Dilemma », Cahiers Victoriens et Édouardiens, no 18, novembre 1983, p. 25.
8 Jean-Pierre Ryngaert, « Dialogue et conversation », Nouveaux territoires du dialogue, Jean-Pierre Ryngaert, Joseph Danan et Sandrine Le Pors (dirs.), Arles, Actes-Sud-Papiers, 2005, p. 17.
9 Rudyard Kipling, Kim, Alexis Tadié (dir.), Louis Fabulet et Charles Fountaine Walker (trads.), Paris, Gallimard, « Folio Classique », 1993, p. 34.
10 Arthur Conan Doyle,« Kipling’s Best Story », Kipling: the Critical Heritage, Roger Lancelyn Green (dir.), London, Routledge & Kegan Paul Ltd, 1971, p. 302.
11 Guy Larroux, « Le cadre : un concept pour la poétique du récit », dans Alain Tassel (dir.), Narratologie, no 2.2, « Les frontières du récit », 1999, p. 15.
12 Umberto Eco, Les Limites de l’interprétation, Myriem Bouzaher (trad.), Paris, Grasset, 1992, p. 226.
13 Ann Matlack Weygandt, Kipling’s Reading and its Influence on his poetry, Diss. University of Philadelphia, 1939, p. 15. Voir ce travail encyclopédique pour davantage d’exemples d’imitation par Kipling.
14 Richard Hakluyt, The Principal Navigations Voyages Traffiques & Discoveries of the English Nation Made by Sea or Overland to the Remote & Farthest Distant Quarters of the Earth at Any Time Within the Compasse of These 1600 Years, Glasgow, J. Mac Lehose, 1903-1905.
15 John Lee, « Kipling’s Shakespearean Traffics and Discoveries », Kipling Journal, no 320, décembre 2006, p. 10-23.
16 Vincent Descombes, « Who’s who dans La Comédie humaine », Grammaire d’objets en tous genres, Paris, Éditions de Minuit, 1983, p. 252-253.
17 Francis Léaud, La poétique de Rudyard Kipling. Essai d’interprétation générale de son œuvre, Paris, Didier, « Études anglaises », c. 1952, p. 87.
18 Rudyard Kipling, The Complete Stalky & Co., Isabel Quigly (dir.), New York, Oxford University Press, 1987.
19 Sur le début de la nouvelle, Kipling note également : « Ce récit, publié dans Tours et détours (D. Appelton & Co.), 1893, fut le premier parmi mes histoires de Mowgli, bien qu’il concerne les derniers chapitres de sa carrière – à savoir, sa rencontre avec les blancs, son mariage et son entrée dans la civilisation, qui eurent lieu, comme on peut le déduire, deux ou trois ans après qu’il a finalement quitté ses amis de la jungle (voir « La Randonnée de printemps », Le Second Livre de la jungle). Ceux qui connaissent la géographie de l’Inde verront qu’il y a une grande distance entre Seeonee et la réserve forestière du nord ; mais bien qu’il soit sûrement arrivé beaucoup de choses étonnantes à Mowgli, nous n’avons pas de compte-rendu de ses aventures pendant ces vagabondages. Il y a, toutefois, des légendes. – Rudyard Kipling ». D’autres notes esquissent un double réseau autour de Mowgli et Buldeo, avec des références bibliographiques précises. Kipling Archive, University of Sussex Library. (Traduction de l’auteur)
20 Frédéric Regard, « Réalisme, fragmentation et roman de formation : l’épiphanie du sens chez Rudyard Kipling », dans Logiques de la fragmentation. Recherches sur la création contemporaine, Jean-Pierre Mourey (dir.), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1996, p. 30.
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