Récit des songes des Académiciens Pèlerins 50
p. 66-79
Texte intégral
1Considération de l’homme : combien variés sont les imaginations, les fantaisies extravagantes et les hasards divers de ce monde.
Francesco tanneur et Michele bourrelier.
2 Francesco. Que les autres disent ce qu’ils veulent, mais être seul est une des plus grandes épreuves que l’on puisse rencontrer ; maladie, prison, vie d’ermite ou perte d’amis chers, de biens, de parents, il n’est rien qu’on puisse lui comparer, si ce n’est une solitude comme celle que j’ai vue en rêve.
3 Michele. Moi, je me moque de la solitude, même si je ne me rends pas très bien compte de ce que c’est. Racontez donc cette grande épreuve.
4 Francesco. Imaginez-vous de vous trouver en ce monde, sans personne d’autre que vous seul, seul, tout seul.
5 Michele. Je me donnerais du bon temps.
6 Francesco. Doucement ; écoutez. Je rêvais que j’étais seul dans une ville, sans savoir si les autres villes étaient toutes ainsi, et là je me mis à entasser des vêtements splendides, à réunir de l’argent, des bijoux, des bagues, des chaînettes, des médailles, de l’argenterie, des ouvrages d’un travail merveilleux, des choses qui me donnaient une joie et un contentement immenses ; je trouvais de quoi manger dans toutes les maisons ; dans toutes les boutiques, fruits confits, mets cuisinés, viande cuite, pâtés de toute sorte, le vin en barrique, le pain au four ; chaque nuit, j’allais dormir dans des lits toujours différents. Oh, les merveilleuses commodités que je découvrais partout ! Représentez-vous la chose ! Toutes les caisses étaient ouvertes, ainsi que tous les écrins, tous les coffres, toutes les maisons ; aussi arrivait-il que parfois, pour y admirer les choses étonnantes que j’y trouvais, je restais à flâner pendant deux ou trois jours dans une de ces maisons : chevaux superbes dans les écuries, chiens de chasse, oiseaux et maints autres animaux. Pendant cinq ou six jours, j’y crus intimement, et me considérais comme parfaitement heureux. C’est à ce moment-là que, dans les maisons, commencèrent à se corrompre une infinité de choses, les chevaux moururent, ainsi que les oiseaux et les autres bêtes, parce que je ne pouvais pas m’en occuper et n’y pensais même pas ; le pain sécha et moisit, les rats ainsi que d’autres animaux commencèrent à être les maîtres des maisons : j’avais trouvé de la farine et, tant bien que mal, je me mis à faire du pain et à le cuire. Pense au beau spectacle que c’était, un homme vêtu somptueusement, chargé de colliers et de bagues (car je m’étais entièrement paré) en train de cuire son pain ! Mais c’était du gâteau auprès de ce qui allait suivre. Au bout de deux mois, les animaux devinrent les maîtres et remplirent l’air, la terre, toutes les maisons, au point que je pouvais à peine rester dans une seule. Je commençai à mettre le feu aux villas, aux domaines, aux maisons. Oh, que de belles choses je brûlai alors ! C’était pour moi un crève-cœur, mais patience ! Et puis je mangeais, si j’avais de quoi, car bêtes et animaux devenus innombrables dévoraient tout : j’engloutis des choses que Dieu seul connaît. En dernier lieu, abandonnant les lieux civilisés, je me réfugiai dans la forêt avec quelques chiens, des vaches et des brebis et je vivais là de lait et de châtaignes ; mais les loups et les ours pullulèrent tant, ainsi que les renards, les serpents et d’autres bêtes, que mon troupeau avec les chiens alla à la male heure : à peine eus-je le temps de me sauver pour me protéger, tout en hurlant, en haut d’une grosse tour, avec un sac de marrons, et de là-haut, je regardais les bêtes maîtresses de la terre. C’est alors que j’appris que l’or, les perles, l’argenterie et les riches habits ne sont d’aucune utilité, sinon comme il paraît à celui qui en use ; et moi, si je ne m’étais éveillé, je serais mort de faim.
7Une autre fois, je rêvai que j’étais devenu un homme de bien : d’abord, je craignais Dieu, de sorte que jamais je n’aurais entrepris la moindre chose contre son honneur, ni commis de fraudes au détriment de mon prochain ; ensuite, je ne retenais, me semblait-il, que ce dont j’avais besoin pour mon existence et, pour le reste, je le distribuais à ceux qui étaient pauvres ; enfin, plutôt que de me quereller, j’aurais fait de grandes choses et aurais abandonné la moitié ou même la totalité de ce que je possédais plutôt que d’en arriver à une dispute. Ma bonté, si toutefois on peut parler de bonté et non de bêtise, fut remarquée par un valet méchant et rusé ; celui-ci fabriqua un écrit qui paraissait de ma main quoiqu’il ne le fût pas, et qui me faisait débiteur de dix écus ; en me l’apportant (imaginez la chose), il me réclama son dû. Après avoir bien réfléchi, je décidai de ne rien lui devoir ; il me menaça d’un procès, et moi, afin d’éviter une querelle, je choisis pour moindre mal de lui donner les dix ducats, et le priai de me faire une quittance pour toute cette affaire. Un autre gourmand, qui apprit ce paiement, me fit, lui aussi, parvenir une réclamation ; voyant l’escroquerie, je le priai de porter sa plainte auprès du premier qui avait reçu les ducats de ma main et, si l’autre était condamné pour escroquerie, il pourrait prendre l’argent. Il accepta cette solution et réussit à convaincre l’autre, en lui intentant un procès et, au moment où il voulut prendre l’argent pour lui, il me semblait, dans mon rêve, que le juge soupçonnait qu’il ne fût lui aussi un escroc ; vérification faite, il me faisait restituer mes dix écus.
8 Michele. La belle chose que voilà. Oh, l’admirable jugement ! Ç’eût été plus étonnant encore, s’il s’était agi d’une vision réelle et non d’un rêve. Qu’as-tu encore rêvé de beau ?
9 Francesco. Je rêvai ensuite que j’étais devenu poète et voulais dire tout le contraire des autres ; comme j’avais médit d’une femme, il me sembla qu’elle montait à califourchon sur le dos d’un renard et venait me tailler en pièces : il me fallut donc me défendre et je lui trouai sa robe comme un crible ;
10c’est ainsi que je triomphai d’elle et fis pour elle ce sonnet :
« Ma dame a les cheveux trop courts et argentés,
La face ridée et le sein noir et flétri ;
Ses lèvres sont pareilles aux lèvres d’un mort,
Elle a le front étroit et ample le menton ;
Ses sourcils drus sont joints, et son œil enfoncé,
Comme fenêtre qui se cache sous un toit ;
Quand elle regarde, elle voit tout autre objet
Que celui qu’attentive elle a l’air de fixer ;
Couleur de rouille sont ses dents, et inégales
L’une à l’autre, et aplaties et creuses ses joues
Qui sont larges et privées de toute couleur ;
Mais son gros nez qui s’égoutte entre les deux joues
Si somptueusement s’érige à l ’ extérieur
Qu’il heurte le passant qui en est tout souillé. »
11 Michele. Ç’a été une jolie trouvaille d’en dire du mal et de lui en faire ; mais ce n’est pas bien.
12 Francesco. Du mal, lequel ? Cette même nuit, je rêvai bien pis : il me semblait être devenu Momus 51.
13 Michele. Momus, n’était-ce pas celui qui disait du mal de tout le monde ?
14 Francesco. Momus était une espèce de plaisantin qui connaissait mieux ses propres affaires que celles d’autrui ; et moi je suis ainsi : c’est pourquoi je me suis mis à dire des autres tout le mal que j’entendais dire à propos de leurs affaires, ne trouvant pas tout seul à en dire du mal, mais écrivant ce qu’en disaient les autres.
15 Michele. Tu étais pour ainsi dire historiographe ?
16 Francesco. Copiste des paroles d’autrui.
17 Michele. Tu pourrais dire, en somme, que tu parlais comme les possédés.
18 Francesco. Je faisais par écrit ce que les autres font de bouche à oreille.
19 Michele. Montre-moi le brouillon.
20 Francesco. Le voici : c’était ma façon d’écrire. « Ne me demandez pas s’il a des lettres, car je n’y entends rien ; s’il est riche, je ne puis en dire davantage, parce que je pourrais me tromper grandement, certains ayant sur eux tout leur avoir et tout leur pouvoir. Voulez-vous un peu plus qu’une esquisse de ce qu’on raconte ? Certains, par la rumeur publique, veulent que le frère ne soit plus qu’une ombre qui marche ou un fantôme vaguant dans la nuit ; le pauvre diable figurerait mieux en tant que héraut de la faim qu’en tant qu’homme ; s’il venait à mourir entre vos bras, je crois que d’un seul coup d’œil on verrait toute son anatomie. Sa souillon de garce, pour avoir la langue bien pendue, se fait son interprète ; ce qui fait qu’à peine lui adresse-t-on la parole, que c’est elle qui répond pour lui, comme faisait le valet de frère Cipolla 52. En attendant, elle laisse entendre, avec sa langue de perroquet, qu’il l’a embabouinée de trois cents écus en lui vendant je ne sais quels lopins de terre aux Indes Pastenaques, ou si l’on préfère au Caire, ou encore au pays où il l’arracha aux honneurs du monde : pour un couple et une paire, en voilà deux bien assortis. Si j’étais peintre et désirais peindre la brume, c’est lui que je peindrais d’après nature ; je n’ai jamais vu créature plus embrumée ; que je meure, s’il ne ressemble pas à un étron moisi. À Florence, une chanson dit :
“Rouquin, funeste poil,
Qui crache son venin
Et de jour et de nuit,
Qui crache des crapauds.”
21Nous nous demandons si cet individu n’est pas la Maladie, tant il a une mine de constipé et de pestiféré ; il s’habille comme les peintures, toujours de la même façon ; s’il était un géant par sa taille, comme il l’est dans l’opinion du savoir, il conviendrait très bien à un cimetière de juifs et d’excommuniés. Ne lui donnez à manger que des cadavres de désespérés, d’empoisonnés ou de malandrins condamnés à la pendaison, car il m’a bien l’air d’un misérable estomac appartenant à cette engeance. Oh, quelle bête, vouloir devenir le chef d’une académie des plus beaux esprits d’Italie ! Nous voulons qu’un jour son canal charrie de l’eau de fleur d’oranger, tant nous voulons lui donner les étrivières. Il y a ici des témoins de bonne foi qui l’ont vu prêcher sur les places publiques ; d’autres pensent qu’il a été le premier saltimbanque de Cracovie, qu’on dit être sa patrie ; il n’est pas charlatan n’étant pas de Cerreto 53, ni non plus alchimiste, puisqu’il n’est pas encore enfumé : imaginez-le par vous-mêmes ; une possédée, le voyant à la fenêtre, l’appela Serpillière des prisons, comme si elle avait appris les pièges de sa fausse lettre destinée à dérober l’argent de ce monseigneur, les escroqueries des boutiques… Il a tous les signes que peut avoir un malfaisant : regard bovin, ni court ni louche, car on en trouve des bons, mais bovin, dont on n’en trouve aucun qui soit bon ; il reste la bouche béante, pour attendre la becquée ; il a été espion occulte et sbire public. Quant à son credo, nous avons décidé que le sien et celui des moscovites étaient le même. Tout ce qu’il peut avoir de bien, c’est qu’il jeûne souvent au pain et à l’eau, et quatre jours par semaine il va au lit sans souper ; il n’y a ici aucun vertueux pauvre qu’il n’ait enrichi en trois jours par ses fourberies, ni libraire qu’il n’ait trompé avec ses pièges, ni imprimeur qu’il n’ait soûlé de son caquet. Je ne veux pas dire qu’il n’y ait pas eu des gens enclins à lui donner des arrhes pour faire je ne sais quelles filouteries, rapetassages de légendes ou autres combines pédantesques ; mais parce que j’en fus la cause, je n’en soufflerai mot. J’en veux dire une : il voulait traduire en huit mois toutes les Istorie de Machiavel en latin 54, commenter la Bible en entier 55, refaire Boccace qu’il dit corrompu et enrichir sa langue, corriger le Furioso 56 en trente mille endroits qu’il montre comme ne convenant pas et où l’auteur, dans ses vers, ne savait pas ce qu’il disait, et il traduisait et expliquait les Commentaires de César 57 ; tout ce petit labeur, il le faisait pour cent livres et deux ducats et demi, et à peine avait-il commencé qu’il réclamait ses deniers. L’imprimeur, en homme de bonne foi, le faisait volontiers ; mais en voulant une garantie de sa part, comme on dit, il y laissa des plumes. Il ne prendrait pas vingt-cinq écus si on les lui donnait ; Sa Seigneurie en veut au moins mille. Voulez-vous d’autres témoignages ? Il est arrivé dans un pays où l’on fait de la farine avec du bon grain. Je ne vois pas de dernières cènes sans me souvenir de lui ; car tous ceux qui ont vendu le Christ ont les deux tiers de son faciès. Je veux être prophète : ou cet individu part en fumée avec le temps, ou il devient invisible, ou s’envole dans les airs, ou encore on l’enfouit dans un fond de muraille. Un noble esprit, à entendre ses menteries, lui dit : – Maître babillard, si vous apportez ne serait-ce qu’une seule preuve, je suis prêt à vous croire pour tout le reste. – À peine arrive-t-il dans une maison qu’on dit : – Un tel va partir aussitôt. – Et toujours il cite de grands personnages qui, bien loin de connaître Sa Seigneurie, ne connaissent pas même sa maison. Quand il vint à Vienne, il imagina une belle astuce : il feignit d’être malade et écrivit des billets à tous ceux qui avaient quelque renom, en leur disant qu’il désirait être le serviteur de leur vertueuse personne, qu’il leur offrait ses services partout où cela leur pourrait être agréable ; et aussi qu’il irait leur rendre visite, mais qu’on lui pardonne, car il était souffrant. Les gens demandèrent au porteur de billet : – Qui est-ce ? – Oh, répondait le valet, c’est un lettré plein de sagesse, docte in libris grecis, latris, ebraicis et castronagginis 58 ! – Aussi, pour ne pas paraître discourtois, nous allions lui rendre visite : et le voilà tout faraud, disant : – C’est pour mes vertus que l’on me courtise. – Il lui arriva même de dire un jour qu’il nous menait tous par le bout du nez comme des buffles. Enfin il est toujours dans sa robe et ses chausses qu’il n’a jamais quittées depuis près de trois ans ; je sais que ses draps ne lui rafraîchissent pas la peau ; à la mode érémitique, pèlerine et paillasse ; il avait une chape rabbinique et certains panneaux de lit, avec des cruches anciennes, sans grande valeur, des tapis pris en location qui ont rajeuni l’épouse, et des hardes de couleur verte qu’il arborait pour preuve de son arrogance et qu’il devra bientôt restituer. »
22 Michele. C’est assez pour ce style-là ; regarde si tu as fait quelque autre rêve.
23 Francesco. Il me semblait que j’étais devenu capitaine et que j’avais deux armées, l’une dans une ville aux bastions solides et puissants, l’autre tout autour, et je les faisais très souvent se battre ensemble : je les regardais, un grand étendard à la main, les poussant à ferrailler dans le but de faire mourir tout le monde.
24 Michele. Occupation qui n’était guère celle d’un homme de bien ; tu me convenais mieux lorsque tu rêvais que tu écrivais mal.
25 Francesco. Ç’eût été beaucoup mieux de bien écrire.
26 Michele. Fais en sorte que je voie ou entende ton style quand tu parles bien.
27 Francesco. Volontiers. Je me mis à vouloir écrire les vies des hommes, de quelques-uns, j’entends, en allant à l’origine du fin fond de leurs lignées. Eh bien, écoute, pour la première que j’ai écrite, comme j’y réussis bien.
28 Michele. Va, raconte, je ne bouge pas ; mais fais en sorte de te montrer meilleur écrivain que capitaine.
29 Francesco. « Au-dessus de tous les travaux humains et de toutes les actions que peut accomplir un homme en ce monde, il en est un que j’estime noble, honorable, excellent et des plus difficiles, et c’est celui qui consiste à reconquérir un honneur perdu, à ressusciter l’antique noblesse du sang, à illustrer par des vertus propres et acquises le siècle présent, confirmant ainsi, par la grâce de tous ces exploits, un renom fameux auprès des générations futures. De ces grandeurs, deux choses doivent porter témoignage : l’une, qui émane des princes, lesquels se doivent de récompenser ces hommes vertueux ainsi que leurs exploits illustres en les honorant ; l’autre, ce sont les œuvres ellesmêmes de celui qu’on honore pour tant de noblesse et de grandeur. Et de tels hommes méritent d’autant plus d’être exaltés et récompensés que c’est grâce à leurs vertus zélées et à leurs honorables travaux qu’ils confèrent davantage de profit et de plaisir à autrui. Je découvre que l’ancienne et noble maison des Baccelli a compté des hommes remarquables dans la cité de Campo, et qu’à cause des discordes civiles, elle fut décimée et pour ainsi dire détruite ; aussi les quelques membres qui survécurent se réfugièrent-ils dans les villages et les bourgs, perdant ainsi ressources, grandeurs et réputation. Cependant, comme cela se produit souvent, le Ciel ne permit pas une destruction si complète qu’il ne subsistât quelque peu de racine capable de faire en peu de temps un grand arbre, comme on l’a vu par les ouvrages de l’auteur de cet écrit insigne. Pour preuve de ce que j’écris, que les hommes aillent admirer la machine des flèches d’église, spectacle digne de l’étonnement et de l’honneur public, qu’ils considèrent la perfection du Laocoon, la douceur des figures et la divinité d’Apollon : ce que sont, et combien grandes, les perfections qu’on trouve dans ces ouvrages, je le laisserai au jugement des cœurs sains et des esprits dépourvus de passions ; enfin, pour ne pas trop m’étendre, si nombreux et si grands sont les ouvrages et projets divins, quoique la jalousie de beaucoup d’hommes, aveuglés par la malignité, ait souvent cherché, par de venimeuses morsures, à terrasser la vertu et la foi de quiconque agit vertueusement. Bien qu’il soit permis à ces gens-là de se taire plutôt que de répondre, puisqu’ils sont des bêtes privées de raison qui meurent complètement, cependant leur propre architecte répondit que les vices des venimeuses personnes, lesquelles très souvent s’estiment nobles, seront ensevelis en même temps que leur maison, faisant ainsi outrage aux nobles anciens. Quant à lui, ayant foi en ses qualités, il ressuscitera les anciens honneurs et rentrera en possession des dépouilles perdues. Mais dans mon esprit est bien ancré ce jugement que tout homme de vertu qui veut devenir parfait doit œuvrer en ce siècle, car toutes les bonnes actions et tous les effets vertueux s’y voient vitupérés par les envieux qui sont la majorité, et qui, s’ils le pouvaient, détruiraient les hommes en même temps que les œuvres : mais le soleil de la vérité (le soleil qui illumine les ténèbres et dissipe les brumes) a toujours dispensé sa lumière et sa vertu et toujours fait croître les plantes divines, de même qu’avec des prix, des dignités, des honneurs, avec son or et son argent, il a récompensé et élevé dans les grandeurs les hommes vertueux, comme manifestement et généralement on peut le voir dans maintes cités (ô antique noblesse, combien te voilà illustre !) et particulièrement, on le comprend, avec les Baccelli les plus fidèles à mère nature. En comparaison, aussi bien avec les hauts faits généraux qu’avec les coutumes et vertus particulières, se trouve le sagace intellect, qui reconduit les esprits rares et les divins génies épars en divers endroits au sein de son gouvernement et de sa direction avec l’offre de récompenses et d’honneurs égaux au mérite. Mais est-ce que j’espère, moi, faire connaître peut-être ce que les bouches et les langues, parmi les plus vertueuses et les plus honorables, font retentir partout avec vérité ? Et ses qualités propres, qui en ont fait un Dieu sur terre, est-ce que ma plume débile les passera sous silence ? Qu’il me soit permis de souhaiter que ces quelques mots énoncés à présent soient publiés, afin de montrer seulement que moi aussi, quoiqu’indigne, à l’ombre d’un arbre si divin, je respire et noblement en moi-même me glorifie, que l’auteur de cette œuvre pleine de mérite reçoive une glorieuse renommée de la part de ma maison, afin que, dans les siècles à venir, demeure pour ses enfants la digne mémoire d’un père si fameux qui, par ses actions, a su illustrer sa race et par sa foi s’exalter lui-même. »
30 Michele. Ne me laisse pas plus longtemps dans cette position inconfortable, car tes rêves sont plutôt longs.
31 Francesco. Tu as raison : il est l’heure d’aller dormir ; le restant de mes rêves, je te le raconterai demain soir ; oh, ce qu’ils vont être beaux !
32 Michele. S’ils ne sont pas mieux que ceux-là, tu ne m’y reprendras pas, à me faire rester ainsi planté comme un piquet.
33 Francesco. Ils seront bien mieux : aussi je vais t’attendre.
Notes de bas de page
50 I Marmi, t. 2, p. 69 à 77.
51 Momus : Hésiode le disait fils de la Nuit. Dieu des bons mots et de la raillerie, il était représenté levant son masque et tenant une marotte à la main. On comprend que ce soit déjà Momus qui inspirait le poète pour le portrait satirique de la femme laide. Voir à ce sujet l’étude de Serge Stolf, « La dérision et le risible dans le Momus de Leon Battista Alberti », Filigrana, De la dérision, 1re partie, HURBI, université Stendhal-Grenoble III, 1998-1999, p. 91 à 124.
52 La nouvelle de Boccace, Décaméron, 6 e journée, nouvelle 10, raconte comment frère Cipolla promit de montrer à la foule une plume de l’ange Gabriel mais, ayant trouvé des charbons à la place, dit qu’il s’agissait là de ceux qui avaient rôti saint Laurent. Outre quelques travers, le valet de frère Cipolla avait neuf défauts. L’allusion aux Indes Pastenaques (l’Inde du panais, du latin pastinaca) est empruntée à la même nouvelle et figure parmi les pays imaginaires visités par le moine.
53 Cerreto est un village d’Ombrie, dans la province de Spoleto. Ses habitants allaient vendre des drogues sur la place des villages. D’où la signification de Cerretano à la fois habitant de Cerreto et charlatan. Formation analogue à celle d’« orvietan », drogue inventée au XVIIe siècle par un habitant d’Orvieto. D’où l’emploi de marchand d’orvietan, charlatan.
54 Il s’agit des Istorie fiorentine, rédigées par Machiavel entre 1520 et 1525 et dédiées au pape Clément VII. Elles évoquent les vicissitudes de Florence depuis les origines jusqu’à la mort de Laurent le Magnifique.
55 L’allusion à un projet de commentaire de la Bible « en entier » n’est certainement pas anodine, à une époque où la Contre-Réforme était en marche et où, comme le rappelle Mireille Blanc, « les pères conciliaires venaient de proclamer que la traduction latine de l’Ancien et du Nouveau Testament établie par saint Jérôme – pourfendeur inlassable de toutes les hérésies – était le texte sacré, désormais intangible… ». Voir à ce sujet Mireille Blanc-Sanchez, « Francesco Sansovino et son Del Secretario », Filigrana, La Lettre, le secrétaire, le lettré, De Venise à la cour d’Henri III, I, HURBI, université Stendhal-Grenoble III, 2000-2001.
56 Allusion au Roland furieux (Orlando furioso) de l’Arioste.
57 Les Commentaires de César (101-44 av. J. C.) comportaient sept livres sur la guerre des Gaules et trois sur la guerre civile jusqu’à la mort de Pompée. Le terme de commentarii désigne un ensemble de notes constituant une documentation mise en forme sur des faits auxquels César a participé.
58 Énumération plaisante de livres en latin macaronique : docte en livres grecs, voleurs, hébraïques et crétins.
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