Chapitre XIV
Schèmes de la pensée mélancolique
p. 305-340
Texte intégral
1La langue carnétiste des Carnets se ferait ainsi le redoublement sémantique et graphique de cette errance de la pensée qui oscille sans cesse entre langueur et manie, culpabilité et fuite, désir et perte. William Hazlitt rapporte ainsi les propos du poète qui définit le principe de l’imagination par l’image du glissement ondoyant du serpent :
The principle of the imagination resembles the emblem of the serpent, by which the ancients typified wisdom and the universe, with undulating folds, for ever varying and for ever flowing into itself, – circular, and without beginning or end. The definite, the fixed, is death: the principle of life is the indefinite, the growing, the moving, the continuous.1
2Nous pouvons noter la présence d’éléments qui sont des signes distinctifs de l’image coleridgienne mais également de l’écriture des Carnets : le mouvant, l’indéterminé, la structure « polypienne » et spiralesque, signe de la réversibilité d’une pensée qui est à la fois élan (« for ever varying ») et involution (« for ever flowing into itself »). Coleridge nous livre en effet dans les Carnets une écriture du ressassement, nourrie par la spirale du désir, de la culpabilité et de l’obsession, une écriture qui tente de saisir un objet irréel qui demeure hors de portée. D’une écriture du lieu à une écriture sans habitation, les Carnets de Coleridge ont, à notre sens, confronté l’angoisse pour l’écrire. Existerait-il alors une résilience mélancolique qui permettrait d’aller au-delà du processus de dé-figuration pour signifier un être-au-monde privé d’unité ? Ces bouts et morceaux que sont les Carnets ne seraient-ils pas en quelque sorte un levier poétique permettant au poète de surmonter l’apathie qui menace l’être mélancolique et de « capter l’incandescence du soleil noir2 », pour reprendre les termes de Julia Kristeva ? Texte lacunaire, discontinu, fragmentaire, l’écriture des Carnets semble parfois mettre en scène l’impossible figuration de soi. Ne pourrait-on, dès lors, envisager les Carnets comme une tentative d’objectiver la mélancolie par le signe et de donner corps à cet insaisissable objet que seul le symbolique peut circonscrire ?
Le langage comme « chose vivante »
3Dans un carnet, Coleridge évoque le projet de rédaction d’un traité philosophique sur l’organicité du langage3, qui, comme bien d’autres projets, ne verra pas le jour. Néanmoins, un manuscrit, Logic4, publié en 1981, expose une théorie du langage qui consacre à la structure lexicale et grammaticale du discours une place prépondérante5. Ces catégories, selon le poète, seraient innées chez l’être humain et donc déterminantes dans notre appréhension de la réalité. En d’autres termes, l’activité de pensée serait essentiellement constituée par l’acte de langage6 : « Language & all symbols give outness to thoughts / & this the philosophical essence & purpose of Language.7 » Dans la lignée de sa pensée ontologique, Coleridge réfutait le caractère arbitraire du mot : « […] words have a tendency to confound themselves & co-adunate with the things [they signify] – Berkeley’s system thence only unbelievable.8 » Le principe de co-adunation, principe unifiant à l’œuvre dans le processus d’imagination9, sous-tend également le rapport du mot à l’objet. Retrouver cette connexion vitale du mot à la chose (« Words as things10 ») constitue l’essence de la poétique.
4Dans « The Nightingale11 », Coleridge évoque l’acte de création poétique comme un geste d’abandon aux rythmes et aux voix de la nature et non comme un acte d’édification. Par l’épure des formes, l’éveil des sens et de la passion, l’acte poétique permet une mise en présence du divin dans l’esprit du poète. L’écriture pérégrine, celle qui tout à la fois chemine et désensualise l’œil pour faire advenir la « one Life », serait apte à tracer ce sillage qui révèle l’intuition du divin dans le cœur de l’homme. Coleridge était intimement convaincu de la présence d’un langage primordial et symbolique qui serait à même de révéler les mystères de la nature humaine. Dans les Carnets, nombre de fragments témoignent d’un vif intérêt pour le rapport que l’enfant entretient avec sa mère et avec la nature qui est, pour Coleridge, à la source de ce langage symbolique perdu. L’enfant a un rapport pur, transparent, émerveillé à la nature, car ce rapport est en deçà de la conscience et n’engage pas le verbe. Le génie du poète résiderait alors dans cette capacité à réinsuffler chez l’adulte, à travers les mots, l’enchantement que ressent l’enfant au contact du livre de la nature :
To carry on the feelings of childhood into the powers of manhood, to combine the child’s sense of wonder and novelty with the appearances which every day for perhaps forty years had rendered familiar […] this is the character and privilege of genius.12
5Le regard de l’enfant serait donc le symbole de cette relation au monde qui ose l’émerveillement, une relation d’intense proximité avec la nature qui se constitue par une contemplation des formes et une écoute silencieuse des voix13.
6Coleridge avait forgé le concept de « dé-synonymisation14 » pour permettre au mot d’être une « chose vivante » et à la langue d’avoir cette structure rhyzomatique propre à la pensée coleridgienne. Néanmoins, cette conception logocentrique du langage trouve un écho bien différent dans certains fragments des Carnets. Dans ses nombreuses descriptions de paysages, le poète déplore bien souvent l’inaptitude du langage à représenter la scène : « Silly words I am vexed with you.15 » La lourdeur du phrasé, l’inexactitude des comparaisons ou les interruptions syntaxiques viennent inverser la fonction première du langage poétique qui est de faire disparaître les mots pour faire apparaître l’objet. Dans ce fragment, le sommet du Ben Nevis, en tant qu’objet, s’éclipse derrière le texte : « […] for it is impossible that this misery of words can give to you, that which it may yet perhaps be able to recall to me.16 » Dans son rapport à l’essence de l’Être, Yves Bonnefoy note :
[…] les mots ne font qu’extraire aspect après aspect – apparence fossilisée – de la carrière de l’Être, et ne nous proposent donc, de ce qui est qu’une idée, une image, qui nous privent de sa présence17.
7Les nombreux croquis des carnets tentent alors de pallier l’insuffisance du langage : « Without Drawing, I feel myself but half invested with Language –18 ». Les Carnets font l’expérience de ce hiatus entre une écriture descriptive, inévitablement prolixe, et un langage éternel et divin que murmurent les bruits des objets naturels. La connivence du mot au sentiment est dénoncée comme pure utopie :
– ah!
how mightierwhat are Words but air? & impulses of air? O who has deeply felt, deeply, deeply! & not fretted & grown impatient at the inadequacy [of Words to Feeling,] of the symbol to the Being? – Words – what are they but a subtle matter? and the meanness of Matter must they have, & the Soul must pine in them, even as the Lover who can press kisses onlyon his thisthe garment of one indeed beloved /19
8Ce fragment établit un parallèle intéressant entre le rapport du mot au sentiment et la relation chaste de l’être avec sa bien-aimée. Nous verrons comment Sara, en tant qu’être de chair, est l’impossible objet d’amour du poète. De même, le mot, envisagé dans sa matérialité pure semble n’être qu’une trace invisible (« impulses of air »), le signe d’une impossibilité à dire le sentiment d’être. Le mot serait une sorte de tissu venant s’interposer entre le sujet écrivant et l’être, une parole « qui tisse le voile (l’impossibilité de communiquer)20 » tout en énonçant la transparence, cette « existence délivrée du voile qui transparaît, le temps seulement d’une éclaircie – hors du temps21 ».
9Quelles sont dès lors les modalités et structures sous-jacentes à cette « mauvaise » écriture qui vient pervertir l’idéal poétique, cette écriture qui tente de donner corps à l’expérience mélancolique ? Quelles sont les spécificités d’une écriture qui inverserait la dynamique de création ? Il est intéressant de rappeler que, selon Tilottama Rajan, le texte romantique serait toujours constitué d’un sous-texte qui vient subvertir le texte officiel. Elle situe en effet le texte romantique au confluent de deux écoles, celle des théoriciens de l’organicité (M. H. Abrams, N. Frye) et celle des penseurs de la déconstruction (notamment J. Derrida et le concept du langage comme produit de la « différance »)22. Tilottama Rajan met donc en relief la nature janusienne du discours romantique, cette étrange coexistence de deux discours contradictoires. Elle cite ainsi « The Rime of the Ancient Mariner » et la tension sous-jacente entre le texte poétique et les gloses qui revendiquent la nature transcendantale du langage. Ce pouvoir est néanmoins sans cesse remis en question par l’acte d’énonciation lui-même qui est, selon elle :
[…] an act of disclosure and not of idealization: a retelling in which the Mariner must return obsessively into the very core of darkness he is supposed to have mastered.23
10Rajan maintient ainsi le texte romantique entre la tradition logocentrique (le langage à même de signifier la Vérité) et la pensée déconstructiviste. Elle n’envisage pas la poésie des romantiques dans un esprit purement déconstructiviste qui ferait du langage une « poétique de l’absence ». Le geste d’écrire chez les romantiques se nourrit tout autant d’une aspiration vers l’Idéal du verbe poétique que d’une force subversive qui vient mettre en échec toute possibilité d’accomplissement de cette quête. Ou, pour reprendre les termes de Derrida, la « bonne » et la « mauvaise » écriture sont implicitement à l’œuvre dans le texte romantique, ce que nous démontre l’écriture réflexive des Carnets. Nous avons souligné que le « Tout » et le « Rien » sont inextricablement liés dans la pensée de Coleridge ; l’écriture des Carnets opère sans cesse un glissement entre la plénitude et l’absence, entre l’opacité et la transparence.
11Tout au long de notre lecture des Carnets, nous avons pu mettre en évidence la disjonction qui s’opère progressivement entre le sujet, le monde naturel et le spirituel, et le glissement du monde du dehors vers celui de l’intériorité. L’écriture des Carnets semble en effet tâtonner vers cette langue primordiale et symbolique que Coleridge évoque dans le fragment de Malte. Néanmoins, cette langue insaisissable est aussi un retour constant vers ce point de douleur, « something within me », évoqué si souvent en l’absence d’Asra. Ce « quelque chose » semble en effet se transmuer dans les Carnets en « la Chose », dépossédée de tout lien avec la nature. Entre le « something within me » et « the Thing », l’écriture vient buter sur une double absence : celle de l’Idéal, dont la révélation se double toujours d’un aveuglement, et celle de l’objet mélancolique, ce blanc psychique dans la constitution du sujet. Les Carnets constitueraient ainsi le lieu d’un conflit entre deux écritures : l’une qui répondrait au projet organiciste du « Tout », et l’autre qui serait l’envers de l’idéal coleridgien, une écriture mue par le désir et la fancy.
La réversibilité de l’image coleridgienne
12Le sujet mélancolique est en quête d’un objet perdu dont les contours ne sont jamais nettement dessinés. La célèbre figure de la mélancolie de Dürer donne à voir le regard mélancolique tourné vers un point de fuite malgré la multitude d’objets qui l’entoure (voir annexe 7). Commentant l’être mélancolique dans la gravure de Dürer, Jean Clair souligne une tension entre le réel qui se déploie sous ses yeux et une réalité autre, plus riche, mais insaisissable :
Cette pratique, en confinant l’esprit dans le monde fini de la grandeur, de la quantité, du mesurable, fait soupçonner à son auteur, au-delà de l’univers du quantifiable, du mesurable, du repérable ou du nommable, l’existence d’une sphère métaphysique dont l’inaccessibilité même le remplira de tristesse24.
13Entre le désordre du sensible, dénué d’unité et de sens, et l’inaccessibilité d’un au-delà, le mélancolique est une figure de l’impossibilité. Le regard se détourne alors du tangible pour tenter de dessiner les contours de ce qui fait défaut. Pour reprendre les termes de Giorgio Agamben, la mélancolie est une « fuite de…, mais aussi une fuite vers…, qui communique avec son objet sur le mode de la négation et de la carence25 ». Défini sur le mode de la privation, l’objet va conditionner l’essor d’une image poétique qui cherche à dire, non ce qui est sous les yeux du sujet, mais ce qui est perdu. Les Carnets de Coleridge, et plus spécifiquement les carnets du troisième volume qui se désengagent du monde sensible, posent les prémices d’une véritable réflexion sur le statut de l’objet et de son image.
14Selon Mircea Eliade, l’image, comme le mythe et le symbole, n’est pas une « création irresponsable de la psyché » mais répond au besoin vital du sujet de « mettre à nu les plus secrètes modalités de l’être26 ». C’est dans ce sens que Coleridge lit le paysage nocturne à travers la fenêtre embuée de sa chambre à Malte. Les objets naturels qui s’offrent à ses yeux, la lune et le mouvement des nuages, sont lus comme une représentation symbolique d’une intuition intime :
In looking at objects of Nature while I am thinking, as at yonder moon dim-glimmering thro’ the dewy window-pane, I seem rather to be seeking, as it were asking, a symbolical language for something within me that already and forever exists […].27
15Comme analysé précédemment, le topos de la fenêtre opère une première distanciation qui permet au poète de se soustraire à la contingence du monde réel. Le processus de création des images permet à l’artiste de se projeter « dans un monde spirituel infiniment plus riche que le monde clos de son “moment historique”28 ». Néanmoins, dans le fragment cité, l’objet naturel est posé par Coleridge comme le substrat nécessaire à la révélation de la vérité intérieure. À une époque où le monde naturel ne semble plus offrir de réconfort, ce fragment témoigne encore d’un nécessaire ancrage du regard dans l’objet naturel, même si cet ancrage est plus ténu et plus ambivalent. Le regard (« In looking ») se mêle à la pensée (« while I am thinking ») dans la recherche du langage symbolique. Toutefois, avant l’avènement de ce langage symbolique se trouve l’image. Elle est implicitement évoquée dans ce fragment par l’adjectif « dim-glimmering » qui traduit l’appréhension de l’objet par la conscience du sujet. Cet adjectif évoque une saisie ambivalente de l’objet dans la mesure où il réunit deux adjectifs aux sens contraires. L’adjectif dim définit une lueur difficile à discerner – « not shining brightly or clearly29 » –, mais également quelque chose d’enfoui qui revient difficilement à la mémoire : « not clearly recalled or formulated in the mind30 ». L’adjectif glimmering évoque également une lueur pâle qui, contrairement à l’adjectif dim, ne reste pas dans l’obscurité mais cherche à percer : « shine faintly with a wavering light31 ». Les deux adjectifs sont soudés par un tiret pour qualifier par un seul terme l’image ambivalente de la lune, entre assombrissement et scintillement. Le paradoxe de l’image coleridgienne est ainsi posé par cet oxymore qui trahit la tension entre deux pôles, deux trajectoires opposées qui traversent l’image et l’écriture de soi. L’image se doit de révéler, mais n’est-elle pas plutôt enfouissement ? L’image poétique se positionne aux confins du saisissable : elle est l’aboutissement du processus d’imagination, ce « pouvoir magique et synthétique […] qui se révèle dans l’équilibre ou la réconciliation de qualités opposés ou discordantes32 ».
16Cependant, dans la mesure où l’image est une représentation à la fois d’un insaisissable et d’une déchirure, quelle stabilité peut-elle offrir au poète ? Et quel rapport peut-elle entretenir avec l’objet naturel si elle tend vers une réalité autre et indicible ? Le mélancolique est, par définition, un être d’impossibilité, tourné vers une réalité autre et s’efforçant de réunir les contraires. Cette mélancolie travaille également l’image poétique car elle est l’expression de la quête impossible du poète romantique. Jean Starobinski a insisté sur l’importance des objets analogiques et symboliques, « emblématiques de l’éphémère33 », dans le dire mélancolique. Toutefois, la femme mélancolique de la gravure de Dürer, le visage dans l’ombre, posé sur sa main, ne regarde pas les objets qui jonchent le sol autour d’elle. Son regard est ailleurs, comme posé sur le vide.
17Paul De Man a étudié le statut paradoxal de l’image romantique qui oscille perpétuellement entre plénitude et perte, transparence et opacité, révélation et enfouissement. Selon lui, l’objet naturel est caractérisé par sa permanence, par la stabilité de son identité. En effet, dans l’imaginaire romantique, l’objet naturel incarne une entité originelle. La fleur, par exemple, en tant qu’objet naturel, ne se réfère pas à son occurrence dans le sensible mais à l’idée de fleur. L’imagination romantique conçoit l’objet naturel dans son origine et adopte ainsi une trajectoire ascensionnelle pour retrouver l’essence de l’objet naturel qui renvoie à l’essence de l’Être, ce que De Man nomme l’épiphanie : « It is a rediscovery of a permanent presence which has chosen to hide itself from us – unless it is we who have the power to hide from it.34 »
18C’est également cette fonction de révélateur qu’évoque Coleridge lorsqu’il parle de ce « quelque chose en lui qui existe déjà et pour toujours » dans le fragment de Malte. Paul De Man souligne la veine nostalgique qui traverse cette perception de l’image, car l’objet se fait la trace d’une présence enfouie et indécelable : la présence du divin dans la pensée de l’homme35. L’image naturelle ne parvient jamais à rejoindre ce qu’elle cherche à exprimer. Au contraire de l’objet naturel, caractérisé par la permanence et la stabilité de son identité, le verbe poétique désire quelque chose mais cette quête est toujours vouée à l’échec. L’image naturelle a simplement la capacité de tenter de dire et de redire ce qu’elle ne peut atteindre. Et De Man d’évoquer le principe fondateur de l’écriture mélancolique qui ne peut survivre que dans la répétition de ces tentatives du dire poétique :
Poetic language can do nothing but originate anew over and over again; it is always constitutive, able to posit regardless of presence but, by the same token, unable to give a foundation to what it posits except as an intent of consciousness. The word is always a free presence to the mind, the means by which the permanence of natural entities can be put into question and thus negated, time and again, in the endlessly widening spiral of the dialectic.36
19L’artiste romantique est sans cesse menacé par cette pensée coupée de son substrat naturel et livrée à l’aléatoire de l’image sans référent.
20Au fil de l’écriture, l’image subit de profondes mutations. Si le paysage sensible s’absente des Carnets des années 1808 à 1819, l’image demeure. Toutefois, sa fonction n’est plus de rendre présent l’objet naturel par le travail de l’imagination, comme Coleridge l’explicite dans un fragment théorique qui décrit le « Pouvoir poétique » :
Instances of the poetic Power of making every thing present to the Imagination / both the forms, & the passions that modify these forms […] in which inanimate objects, or objects unimpassioned themselves, are seen by the mind in moments of strong excitement.37
21Dans ces fragments, l’image poétique revêt une fonction double puisqu’elle est à la fois une représentation de la forme mais surtout un éloge des pouvoirs de l’imagination qui anime le regard du poète. Faire apparaître dans la fulguration de l’éclair l’Éclat du Divin (« a Spark of the Divinity38 »), tel est le dessein du poète. Dans un poème rédigé en 1802, « Hymn before Sun-rise, in the vale of Chamouni », l’ambivalence entre la saisie des objets naturels et l’image poétique semble être poussée à son paroxysme. En effet, comme le souligne Marc Porée39, l’hymne au massif du Mont-Blanc est écrit non de la vallée de Chamonix, comme indiqué dans le titre du poème, mais du haut de la montagne Scafell. Le poète fait donc l’éloge d’un paysage qui se situe non dans l’espace de son regard, mais dans celui de son imagination. Ceci est d’autant plus surprenant que le poème a été rédigé lors de sa randonnée dans la région des Lacs, au terme de laquelle il écrit à Robert Southey : « of all earthly things which I have beheld, the view of Sea’ fell & from Sca’ Fell, […] is the most heart-exciting40 ». La création poétique semble faire fi de l’expérience vécue du lieu au profit d’une image abstraite :
O dread and silent Mount! I gazed upon thee,
Till thou, still present to the bodily sense,
Didst vanish from my thought: entranced in prayer
I worshipped the Invisible alone.41
22Ce qui vient s’abîmer dans la transparence (« the Invisible alone ») est donc déjà de l’ordre de l’insubstantiel. Marc Porée parle d’un hymne dédié avant tout aux pouvoirs de l’imagination42, qui est aussi une reconnaissance de l’image poétique comme abstraction pure. Ce poème opère un véritable bouleversement de la configuration de l’espace car le lieu semble doublement perdu dans ce glissement vers un paysage rêvé (et non vécu) puis vers le symbole du divin (« the Invisible alone »). Si l’écriture pérégrine opère une fusion, grâce au mouvement et à l’entrelacs, entre le lieu réel (place ou location) et l’espace de représentation, le poème « Hymn before Sun-rise in the Vale of Chamouni » semble donc ne consacrer que l’espace imaginaire.
23D’une certaine façon, les Carnets s’articulent autour d’une dialectique similaire qui lie la saisie éphémère à la perte. Le voyage à Malte serait en un sens le moment épiphanique de la quête d’harmonie primordiale, ce que met en relief la rythmanalyse par le déploiement simultané de l’écriture descriptive et de celle de l’intériorité à bord du Speedwell. Les carnets de l’après Malte n’auront de cesse de tenter de faire revivre (« Could I revive within me ») cette plénitude contemplée et aussitôt perdue, de redessiner les contours de l’image évanescente. À travers l’étude de quatre images des Carnets, le tourbillon, la brume, le vol d’étourneaux et Asra, nous souhaitons à présent examiner la fonction profondément ambivalente et réversible de l’imagination, le processus créateur de l’image, et la nature instable et vacillante de son rapport à l’objet, au spirituel et à l’intime.
Le tourbillon
24Comme nous l’avons vu dans notre partie précédent, l’eau, qu’elle soit ruisseau, rivière, cascade, lac ou océan, est révélatrice des métamorphoses de la perception du poète. Elle est aussi l’élément naturel qui se rapproche le plus de la mélancolie. Pour Gaston Bachelard, l’eau, par sa capacité de dissolution, est « l’élément mélancolisant43 » par excellence. En effet, avant que le concept ne se charge de toute une tradition philosophique, astrale et esthétique, le flux est à l’origine de la mélancolie, c’est une eau « mêlée de nuit44 ». Dans l’approche humorale, elle est causée par une instabilité des flux corporels. Le mélancolique souffre en effet d’un excès de bile noire et, selon Aristote, le refroidissement ou l’échauffement de cette bile va conditionner l’état d’apathie ou de mania, les deux pôles entre lesquels le mélancolique oscille sans cesse45. Si Aristote, tout comme Hippocrate, envisage l’excès de bile noire comme un danger permanent pour le mélancolique, elle est avant tout une condition fondatrice du génie46.
C’est l’oscillation constante entre les deux qui crée l’équilibre, lequel permet la réalisation de grandes œuvres et l’accomplissement d’actions grandioses ; mais cette oscillation rend inévitable la transgression constante des limites, sans laquelle il ne saurait y avoir de grandes œuvres47.
25La bile noire de la tradition antique évoque l’idée d’un flux inhérent à la constitution de l’homme, qui serait porteuse à la fois de l’excellence intellectuelle et de la noirceur de l’âme. La mélancolie n’est donc pas présentée comme extérieure à l’être. Bien au contraire, elle est de l’ordre du physiologique, elle circule dans l’organisme. Appartenant à l’homme, elle ne peut être invoquée comme menace divine ou possession surnaturelle. Mais si les autres humeurs (le sang, la flegme et la bile jaune) sont décelables dans le corps et peuvent s’évacuer, la bile noire, elle, entourée d’une aura de mystère, ne trouve aucune issue hors du corps. Ce flux, qui a son siège dans la rate, ne peut être libéré par le corps ou par la médecine. Pour Jean Starobinski, la bile noire est « l’image d’une intériorité contrainte48 ». Rien ne peut venir chasser cette noirceur qui envahit le corps et l’esprit, et se projette sur le dehors. Elle « colore d’obscurité nos idées et notre paysage49 ». La combinaison de l’eau et de la nuit évoque ainsi les origines de la mélancolie.
26Le regard mélancolique qui se perd dans le flux de l’eau évoque aussi une tentation de la dispersion liquide : « Et que suis-je autre chose que le fleuve quand je regarde mélancoliquement ses flots et que mes pensées se perdent dans son cours50 ? » S’adressant à Sara, Coleridge évoque ce désir de dissolution dans la mort : « Alas! my Asra! […] what is left? if this Soul of mine did not dissolve into Tears – I should dissolve into death!51 » Synonyme du désancrage, de la perte de repère du mélancolique, cette tentation est évoquée dans un fragment qui oppose la solidité du pont au « néant substantiel52 » de l’eau :
As he who passes over a bridge of slippery uneven Stones placed at unequal distances, at the foot of an enormous waterfall, is lost, if he suffer his Soul to be whirled away by its diffused every where nowhereness of Sound / but must condense his Life to the one anxiety of not Slipping, so will Virtue in certain Whirlwinds of Temptations.53
27L’eau, et plus particulièrement l’image de son mouvement tourbillonesque, évoque toute la richesse et l’ambiguïté de la pensée mélancolique, une pensée à la fois attirée par le néant mais qui, par l’écriture, vient signifier cette volonté de surpasser l’angoisse du vide pour faire accéder à la parole le point obscur de l’être. Dans ce fragment, Coleridge fait référence non pas à l’image de l’eau mais à la qualité sonore de la cascade (« every where nowhereness of Sound »). Le verbe « whirled away » exprime la menace de l’absorption du sujet dans une spirale qui fonctionne en creux. Le fragment s’articule autour d’une dialectique qui représente la situation fragile du sujet mélancolique entre diffusion et condensation (« diffused », « condense »), entre glissement et ancrage. Georges Poulet a souligné l’ambiguïté du concept de diffusion dans la pensée coleridgienne. Celle-ci est nécessaire pour « participer à la vie de l’univers54 » et ainsi faire accéder la pensée au divin, mais elle ouvre également un espace sans bornes, livrant la pensée à un jeu infini de combinaisons, à la déliaison et à l’atomisation des images. Cette menace se matérialise dans le fragment précédemment cité par l’indistinct du sonore, ce quelque chose qui ne peut faire sens. À son retour d’Écosse, Coleridge arpente de nouveau la région des Lacs en compagnie de William Wordsworth. Lorsqu’il contemple le lac de Grasmere, il prête une attention particulière au bruit de l’eau et semble happé par ce tourbillon sonore :
The waterfall at the head of the vale, white, steadfast, silent from Distance – the River belonging to it, smooth, full, silent – the Lake into which it empties also silent / yet the noise of waters everywhere / Something distant / something near. ‘Tis far off, & yet everywhere / […].55
28Le regard suit le cours de l’eau : de la cascade à la rivière puis au lac. La répétition du terme « silent » qui vient clore chaque syntagme descriptif évoque la qualité sonore du paysage. Ce dernier semble englouti par le silence : « the lake into which it empties also silent ». Pourtant, la description va faire resurgir le bruit de l’eau qui vient emplir l’espace (« the noise of waters everywhere »), son à la fois diffus et lointain, qui vient se substituer à l’appréhension visuelle du paysage. L’isotopie de l’indistinct envahit peu à peu l’espace descriptif (« everywhere », « something », « something », « everywhere ») pour signifier en creux ce tourbillon qui aspire l’être vers le néant. L’entrecroisement du diffus et de l’indéterminé par le chiasme, et la disparition progressive des shifters qui enracinent le sujet dans l’ici et le maintenant du projet descriptif font jaillir un espace indéterminable où la vie semble rejoindre la mort. Chez Coleridge, la tentation est toujours forte de se perdre dans l’indistinct de ce « quelque chose » du sonore ou de l’élément liquide. Plusieurs autres fragments rédigés lors de ses excursions avec Wordsworth en hiver 1803 et 1804, avant son départ à Malte, témoignent également du caractère sombre et indéterminé des images liquides :
the indistinct Shadows in the Lake are all eloquent of Silence56
water – black under Ice57
Shadows in Snow weather on the Lake / I have observed indistinct58
29L’eau, pour reprendre les mots de Bachelard, se « stymphalise59 », se charge de cette « matière nocturne60 » entrevue à la fenêtre de Greta Hall. Elle se mêle à l’ombre pour faire naître cet espace de l’indicible, cette « intériorité contrainte » évoquée par Starobinski, que le mélancolique affronte dans la solitude et le silence : ce « quelque chose, en nous, [qui] se tourne contre nous61 ». Dans « The Dungeon », Coleridge poétise également la réversibilité de l’élément liquide qui, dès lors qu’il n’est plus un flux, se retourne contre le sujet et devient une eau stagnante, un poison :
His energies roll back upon his heart.
And stagnate and corrupt; till chang’d to poison.
They break out on him, like a loathsome plague spot.62
30L’imagerie de l’eau, et plus spécifiquement du tourbillon, opère donc un glissement vers l’indéterminé, vers un espace sans consistance dans lequel le sujet est aspiré. La portée symbolique du tourbillon est extrêmement ambivalente dans les Carnets : « Derwent eddying, half-willingly, half by force of the gust – driven backward, struggling forward, and shouting his little hymn of joy.63 »
31Kathleen Coburn et Ivor A. Richards notent la prégnance de l’image du tourbillon dans la poétique et la pensée de Coleridge, mais, pour les deux critiques, elle est avant tout une image poétique de la réconciliation des opposés64. Néanmoins, les Carnets explorent un domaine que le corpus poétique ne fait qu’effleurer : la sensation de vide, « d’être-en-creux65 », qui confère à cette image une portée symbolique autre. L’image du tourbillon évoque tout autant l’idée de permanence dans le changement66 que celle d’une menace de dissolution dans le néant :
As if we were in some great sea-vortex, every moment we perceive our ruin more clearly, every moment we are impelled towards it with greater force.67
32La construction syntaxique de la phrase vient signifier l’aspect spéculaire et mortifère du vortex marin (« we perceive our ruin more clearly ») et la force d’attraction qu’elle opère sur le sujet (« we are impelled towards it with greater force »). L’absence de liaison entre les deux propositions, simplement séparées par une virgule, et l’anaphore de « every moment » intensifient le caractère inéluctable du processus d’aspiration du sujet. Malgré la lucidité dont le sujet fait preuve, il ne peut lutter contre la force qui l’attire vers le néant.
33Sans tamiser les Carnets par une démarche psychanalytique, nous souhaitons néanmoins souligner le caractère précurseur de ces fragments sur la mélancolie. En effet, ils préfigurent, à notre sens, ce trou psychique qu’évoque Freud dans ses écrits sur la mélancolie, un trou qui n’est pas simplement une béance mais qui produit un effet d’appel et dans lequel s’abîme le mélancolique. Marie-Claude Lambotte note l’importance de ce motif, le « tourbillon qui creuse », dans l’analyse freudienne de la mélancolie. S’appuyant sur le manuscrit G (ou Lettre à Fliess) de Freud, elle note :
Dans ce manuscrit G, manuscrit relatif à la mélancolie, Freud nous donne une explication de la mélancolie comme une perte d’excitation du groupe sexuel psychique – il parle d’un groupe sexuel psychique qui lui fera dire déjà que la mélancolie signifiera, rendra compte de quelque chose qui sera de l’ordre du trou […].
J’insiste sur ce trou dans le psychique parce que, dès ce manuscrit G, on voit l’annonce d’une topologie de la mélancolie qui est celle du trou, du tourbillon et même du tourbillon qui creuse. C’est une figure qui date du début du xixe dans la psychiatrie allemande : celle de la spirale qui fonctionne comme cela en creux […].
Chez Freud, on voit donc, dès 1895, le trou, et le trou pas simplement là, statique, mais un trou qui produit une aspiration, un effet d’appel, dans le manuscrit G. Donc quelque chose qui, pour reprendre la comparaison de Freud, produit un effet de pompe, quelque chose qui aspire68.
34Le tourbillon est une image de l’intériorité rêvée (eddy) ou contrainte (vortex) qui met ainsi en relief le caractère « janusien69 » de la pensée coleridgienne, tendue à la fois vers l’imagination (le pouvoir poétique d’unir le multiple) mais également vers la pensée fantaisiste qui disjoint et disperse.
La brume
35Nous avons précédemment évoqué le motif de la harpe éolienne comme symbole de la philosophie de la « one Life ». Néanmoins, comme le tourbillon, la frontière est extrêmement ténue entre le symbole d’unité et son envers sombre : livrer sa pensée à la harpe éolienne de la nature signifie accepter la passivité de l’esprit, le contingent et la déliaison70. Lorsque Coleridge se nourrit de la pensée mélancolique, il évoque ce monde irréel de la rêverie : « I now melancholizing by myself, or else indulging those daydreams of fancy that make realities more gloomy.71 » Une deuxième image qui hante également les Carnets évoque cette tentation de la dispersion qui permettrait au sujet de ne plus habiter le monde dans sa matérialité mais de l’appréhender comme mode d’accès à une connaissance supérieure. À plusieurs reprises, Coleridge prend note de visions de colonnes de lumière voilée. Du fait de sa configuration, cette image convoque également le schème de la spirale (eddy) comme « modèle mélioratif de la perfectibilité de l’âme72 ». Néanmoins, par sa charge symbolique, la dimension spirituelle est bien plus marquée que dans les images d’eau :
[…] slanting pillars of misty light moved along under the Sun hid by clouds.73
the Sun set with slant columns of misty light74
[…] Fine columns of misty sunshine sailing slowly over the crags.75
[…] great columns of misty Sunshine travelling along the lake.76
36Cette image imprègne le système descriptif des Carnets jusqu’à son départ à Malte. La récurrence des termes liés à la forme (« pillars », « columns »), à l’axe (« slanting », « slanted », « slant ») et au mouvement (« moved », « sailing », « travelling ») modèle dans le texte un espace de représentation chargé d’une valeur symbolique. Ce réseau d’images apporte une consistance spirituelle au texte car il est difficile de ne pas y lire une évocation de l’appréhension platonicienne du monde : « the universal mist not dissipated but attenuated77 ». Le voile, qu’il soit créé par la brume, la fumée ou les vapeurs d’eau, est une composante majeure du paysage, car il vient atténuer les contours des objets naturels pour les unir en un tout78 : « Dimness in sight to the eye; mist &c gives magnitude /79 ».
37L’image du voile est également une constante des premiers poèmes80. Elle instaure une corrélation intime entre l’existence de l’être et l’essence de Dieu. Dans une lettre à Crabb Robinson, Coleridge établit clairement le lien entre l’image du voilement et l’intuition du divin :
The sun calls up the vapour – attenuates, lifts it – it becomes a cloud – and now it is the Veil of the Divinity – the Divinity transpiercing it at once hides and declares its presence. We see, we are conscious of Light alone, but it is Light embodied in the earthly nature, which that Light itself awoke and sublimated.81
38Liée au néoplatonicisme dont sont fortement imprégnés les premiers poèmes, la vérité divine se révèle à l’être à travers le voile. Dans La Formation de la pensée de Coleridge, Paul Deschamps place au cœur de la pensée du poète sa croyance « en l’existence d’un monde spirituel, supra-sensible, plus beau et plus réel que le monde visible82 ». La place nous fait ici défaut pour analyser la complexité de la pensée spirituelle de Coleridge et sa trajectoire philosophique et religieuse83. Pour Thomas McFarland, la pensée coleridgienne est essentiellement constituée par deux courants qu’il tente de réconcilier, la pensée de Kant et celle de Platon. C’est également cette thèse que soutient James Vigus dans son ouvrage Platonic Coleridge84. L’image de la colonne de lumière voilée se fait le corrélat d’un processus au cœur de la doctrine coleridgienne : l’ascension de l’âme vers le monde supra-sensible.
I feel myself not the Slave of Nature, in the sense in which animals are. Not only my Thoughts, Affections extend to Objects transnatural, as Truth, Virtue, God; […] but I can do what Nature “per se” cannot – I engraft, I raise
aheavy bodies above the clouds, and guide my course over Ocean & thro’ Air – I alone am Lord of Fire & of Light.85
39Dans de nombreux fragments, Coleridge exprime ce désengagement des objets naturels, selon lui nécessaire pour pouvoir accéder au « transnaturel » qui se définit par une appréhension conceptuelle au monde. Mais cette dévotion aux valeurs essentielles n’est-elle pas à l’origine de cette parole « où le moi ne s’affirmerait que pour disparaître dans une transparence impersonnelle », pour reprendre les termes précédemment cités de Jean Starobinski ? Les images de brume viendraient dès lors signifier ce mouvement de spiritualisation de la perception dans l’acte de contemplation des objets naturels86. Toutefois, le voile de la brume, de la fumée ou de la tempête, qui montre et dissimule, évoque certes l’élan spirituel vers l’intelligible, mais nourrit également une image qui se charge au fil du temps d’une valeur plus intime et plus sombre. Les deux premiers fragments suivants ont été rédigés en novembre 1799 à Grasmere :
The sunny mist, the luminous gloom of Plato.87
Mist as from volcano –
Waterfall rolled after long looking like a segment of a Wheel
– the rock gleaming thro’it –
Amid the roar of noise as of innumerable grasshoppers or of spinning wheels –88
40Puis repris en octobre 1803 à Greta Hall :
The sunny mist, the luminous Gloom, of Plato. –89
Mist steaming up from the deep chasms or intervals of the mountains, as from a huge Caldron. – Waterfall, I gazing long & stedfastly, rolled like the segment of a wheel, the black rock gleaming thro’ it – amid the roar a noise as of innumerable Grasshoppers.90
41Il n’était pas rare que Coleridge relise et réécrive certains fragments, parfois en les étoffant. En 1803, à la fenêtre de Greta Hall, il reprend ainsi une image purement mentale, perçue quatre ans plus tôt. La simple comparaison (« Mist as from volcano ») prend une consistance plus sombre dans le deuxième fragment. Le volcan fait place à un immense chaudron, et le brouillard s’élève des abîmes (« the deep chasms »). Dans les deux fragments, la brume n’évoque pas un « mouvement vers… », une trajectoire ascensionnelle qui caractérise les fragments précédemment cités, mais un « mouvement de… » : « Mist as from volcano », « Mist steaming up from the deep chasms ». L’image s’attache aux profondeurs et aux origines. La brume, tout comme le tourbillon, prend une dimension plus instable et mystérieuse. Comme Meyer H. Abrams le souligne dans sa lecture de « The Rime of the Ancient Mariner »91, les éléments naturels chargés d’eau et de nuit (la lune, le nocturne, la brume, les nuages, par exemple) ont souvent été interprétés en opposition au monde diurne de la clarté et de l’entendement. L’albatros est lié à ce réseau symbolique car il est l’oiseau qui attire le brouillard et la brume92. Le meurtre de l’oiseau est alors perçu comme un crime non seulement contre l’ordre divin, mais également contre l’imagination. Dès lors, le vieux marin pénètre un monde aride (« that silent sea ») qui serait celui de l’inconscient. Meyer H. Abrams souligne néanmoins les limites de cette interprétation. Selon lui, ces images ne peuvent se limiter au domaine de l’imagination poétique. Elles évoquent certes le processus créatif, mais leur portée s’étend aux vicissitudes de la vie intérieure et à ces faits de l’esprit qui passionnaient Coleridge93.
42Le caractère protéiforme des images (qui ne peuvent jamais être rattachées à un seul concept ou à une seule idée) transparaît clairement dans les Carnets. Nous l’avons vu dans notre étude du tourbillon qui peut être une spirale englobante (eddy) ou une spirale qui fonctionne en creux (vortex). Toute la versatilité de ce que Georges Poulet nomme « la pensée diffuse » chez Coleridge est poétisée dans ces deux images. Elles sont à la fois une représentation symbolique de l’instance créatrice chez le poète (l’imagination ou le « pouvoir ésemplatique94 » qui unit les contraires), mais elles sont également et simultanément cette force quasi démoniaque que Coleridge nommait la « Fancy » :
The shifting current in the shoreless chaos of the fancy in which the streaming continuum of passive association is broken into zig-zag by sensations from within and without.95
43Les Carnets expriment ce besoin de saisir dans le monde sensible des objets permettant de lire le paysage comme trace du spirituel, et pourtant, ces images semblent échapper systématiquement à leur portée symbolique.
Le vol d’étourneaux
44Une autre image, associée à l’écran de fumée et à la brume, évoque la dimension protéiforme, toujours changeante et instable des images. Lorsqu’il se rend de Sockburn à Londres, fin 1799, il prend note dans ses carnets du mouvement d’un vol d’étourneaux :
Starlings in vast flights drove along like smoke, mist, or anything misty [without] volition – now a circular area inclined [in an] arc – now a globe – [now from a complete orb into an] elipse & oblong – [now] a balloon with the [car suspend]ed, now a concaved [sem]icircle & [still] it expands & condenses, some [moments] glimmering & shivering, dim & shadowy, now thickening, deepening, blackening! –96
45Ce passage a parfois été interprété comme la définition de l’imagination créatrice. Notons également que ce passage fait usage des figures et tournures spécifiques à l’écriture pérégrine : l’emploi du shifter « now » et la profusion de verbes en [-ing], par exemple. Toutefois, les figures du morcellement et de l’effacement, tant sémantique que graphique, s’inscrivent également au cœur du texte et confèrent au passage une tonalité plus sombre. Kathleen Coburn note en effet que le passage est difficilement lisible, et les segments entre crochets sont des conjectures. Cette dimension du texte vient redoubler le sens de l’indéterminé que véhicule le passage. De surcroît, le texte semble se fragmenter jusqu’à dissolution (« blackening ») par l’emploi excessif du shifter « now ». L’agent lui-même semble disparaître dans la suite de formes et de verbes. Entre expansion et condensation, diffusion et opacité, cette image du mouvement traduit bien l’extrême ambiguïté à la fois de la pensée et de l’écriture, jamais fixées, sans cesse menacées par la réversibilité du sens. L’image du vol d’étourneaux est à la fois la représentation d’une pensée libre, sans attaches, mais elle évoque également cet espace menaçant, sans bornes, ce trou noir dans lequel s’abîme la pensée du mélancolique : « […] now thickening, deepening, blackening! »
46Un passage rédigé quatre ans plus tard, en octobre 1803, reprend le fragment en y insérant toutefois un détail remarquable : « Starlings in vast Flights, borne along like smoke, mist – like a body unindued with voluntary Power /97 ». Les images se forment et se déforment d’elles-mêmes en l’absence de la volonté du sujet. Seamus Perry a noté la prégnance de ce symbole dans la pensée coleridgienne. Il voit dans cette image la représentation du postulat ontologique du poète, la possibilité d’une fusion du multiple dans l’un98. Néanmoins, l’image, par son caractère protéique et par l’absence de toute volonté, nous semble bien plus équivoque. Cette image, livrée à elle-même, va à l’encontre du principe fondateur du multiple dans l’un qui doit être accompli dans la maîtrise de la volonté (« the Will ») et de la raison (« the Eye of the Lord99 »). Le même mouvement d’expansion et de condensation, de dispersion et d’assombrissement, est évoqué à plusieurs reprises par le biais du voile et par la succession des verbes de mouvement au participe présent :
[…] we see a moving pillar of clouds, flame & smoke, rising, bending, arching, and in swift motion.100
[…] the white mists floating away from the Mountains, & thinning off along their Breasts – gathering again – again thinning – all in motion – giving phantoms of motion even to the Hills.101
47Cette invocation d’un mouvement à la fois libre mais soumis à la dérive du vent resurgit dans une note rédigée dans un moment d’accablement :
Slanting Pillars of Light, like Ladders up to Heaven, their base always a field of vivid green Sunshine / – This is Oct. 19. 1803. Wed. Morn. tomorrow my Birth Day, 31 years of age! – O me! my very heart dies! – This year has been one painful Dream / I have done nothing! – […]
Oct. 19. 1803. The general Fast Day […] the Sun in slanting pillars, or illuminated small parcels of mist, or single spots of softest greyish Light, now racing, now slowly gliding, now stationary / […] O [Sara Sara] why am I not happy!102
48Il est intéressant de noter que cette entrée propose deux descriptions du même phénomène des colonnes de lumière. La première description, par laquelle le fragment est introduit, s’organise autour de l’axe ascensionnel d’une vision plotinienne qui relie le sensible (« a field of vivid green Sunshine ») à la réalité intelligible (« Slanting Pillars of Light, like Ladders up to Heaven »). La résonance théologique est bien évidemment décelable par la comparaison qui associe le pilier de lumière à l’échelle divine de Jacob, mais également par l’attribution d’une majuscule à chaque terme. Ce passage poético-spirituel est néanmoins mis à mal par l’aveu d’une souffrance intolérable (« my very heart dies! ») et le constat d’une stérilité d’écriture (« I have done nothing! »). Coleridge réinscrit alors la date une deuxième fois, comme dans une volonté de réécrire le moment, sans néanmoins effacer ou biffer le précédent. La même image resurgit, mais elle semble cette fois ancrée uniquement dans la perception du sujet et non dans un désir d’y déceler un symbole d’élévation. Les majuscules ont disparu, ramenant ainsi l’image à la réalité de la perception qui s’offre à ses yeux. La comparaison fait place à l’indéterminé (« or… or ») et au mouvement fantaisiste (« racing », « slowly gliding », « stationary ») ancré dans l’immanence du moment par le shifter « now », mouvement qui convoque le vol d’étourneaux.
49Dans cette image de la colonne de lumière s’affrontent en quelque sorte deux regards : une vision qui serait intuitive, et dont l’axe est vertical ; et une perception poétique bien plus diffuse, protéiforme et fantaisiste, ne s’organisant, à l’image du vol d’étourneaux, autour d’aucun axe ou centre. Cette image est marquée de toute l’ambiguïté du schème de la spirale, qui fonctionne à la fois comme schème mélioratif mais également comme trou aspirant. Elle est à notre sens une image méta-poétique qui dit l’impossibilité de lier l’image à son objet naturel et l’instabilité inévitable de la poïétique qui échappe à son créateur. Dans une lettre rédigée à Sara Hutchinson le 6 août 1802, lors de son ascension du Scafell, il évoque la terreur que font naître les images disloquées et incohérentes du rêveur :
When the Reason and the Will are away, what remain to us but darkness and dimness and a bewildering shame, and pain that is utterly lord over us, or fantastic pleasure, that draws the soul along swimming through the air in many shapes, even as a flight of starlings in a wind.103
50Ce passage est éloquent sur le revers plus sombre de l’image du vol d’étourneaux. L’expression « fantastic pleasure » évoque le plaisir momentané ressenti par le rêveur, plaisir fondé sur de l’éphémère et de l’illusion104. Le sujet s’abandonne ou se laisse prendre au piège d’une pensée de l’informe et de la déliaison, une pensée décentrée et décentrante qui pulvérise l’image en une multitude d’images (« many shapes »). Là encore, nous retrouvons cette même tentation de la dissolution évoquée dans notre étude de l’imagerie de l’eau qui pose le statut éminemment ambivalent de l’image romantique et de l’acte de voir :
Les images – les choses visuelles – sont toujours déjà des lieux : elles n’apparaissent que comme des paradoxes en acte où les coordonnées spatiales se déchirent, s’ouvrent à nous et finissent par s’ouvrir en nous, pour nous ouvrir et en cela même nous incorporer105.
51Le vol d’oiseaux, la brume et toutes les lumières incertaines qui constellent les fragments poétiques, descriptifs et intimes de Coleridge interrogent donc le statut de l’image dans la pensée coleridgienne et le lien ténu, instable et ambigu qu’elle entretient avec son objet, mais également avec le spirituel et l’intime de l’être. De nombreuses études des poèmes de Coleridge ont tenté d’attribuer une signification à une image et, ainsi, de constituer une constellation de symboles offrant une sorte de grille de lecture du corpus poétique. Coleridge, lui-même, souhaitait lire les objets du sensible comme un langage symbolique. Toutefois, la lecture des Carnets octroie à notre sens une perspective bien plus complexe à l’image, une perspective qui se fait le reflet d’une impossibilité de fixer le sens ou d’octroyer une valeur morale ou religieuse aux objets du sensible. Ce « double-bind » des images anéantit son système de pensée tourné vers l’unité et évoque la dimension plus sombre d’une pensée janusienne pressentie par De Quincey :
[…] the exuberant and riotous prodigality of life naturally forces the mind more powerfully upon the antagonist thought of death, and the wintry sterility of the grave. For it may be observed, generally, that wherever two thoughts stand related to each other by a law of antagonism, and exist, as it were, by mutual repulsion, they are apt to suggest each other.106
52Nous ne sommes pas ici dans une volonté de concilier les contraires, mais ce sont les contraires eux-mêmes qui viennent s’imposer à l’esprit. Chez Coleridge, les images symboliques échappent toujours à l’idée spirituelle qu’elles représentent. Dans sa pensée poético-spirituelle, la lumière voilée renvoie ainsi à la réalité intelligible et infinie, mais la plume des Carnets la fait progressivement glisser vers ce que le poète tient à distance : l’angoisse de penser.
Sara et Asra
53La quatrième image que nous nous proposons d’étudier, la figure d’Asra, est certainement l’image la plus prégnante et la plus douloureuse des Carnets. Certes, l’image d’Asra diffère des autres images précédemment étudiées car elle se réfère à un être, Sara Hutchinson. Nous verrons néanmoins comment le poète l’élève au statut d’idée, instaurant un rapport ambivalent entre Sara (en tant que personne) et Asra (son image). Coleridge rencontre Sara Hutchinson à son retour d’Allemagne en 1799. Séduit par la chaleur du foyer des Hutchinson, le poète se prend à rêver un amour impossible avec la sœur de l’épouse de William Wordsworth. Cette vie rêvée s’offre ainsi en contrepoint à la triste réalité de sa vie conjugale avec sa femme, Sara Fricker, évoquée dans ses carnets pour sa froideur et sa dépendance à l’égard du regard d’autrui, « Sara […] the willing Slave of the Ears & Eyes of others […] cold & calm as a deep Frost107 ». Les Carnets, néanmoins, ne mentionnent jamais l’existence d’une relation bien réelle avec Sara Hutchinson, un seul baiser est suggéré dans un fragment – « The long entrancement of a true love’s kiss » – qui sera repris dans son poème « The Keepsake108 ». Cette évocation d’un baiser de conte de fées place d’emblée leur relation dans le domaine du ravissement et de l’irréel, comme le souligne Eric G. Wilson109. Sara est sans cesse convoquée dans les Carnets sur le mode oblique de la réminiscence par une pensée profondément mélancolique. Peu à peu, les traits du visage et de la silhouette de Sara Hutchinson disparaissent sous l’image d’Asra. De Sara à Asra, l’image compose une nouvelle fois avec l’absence dans une tentative de s’approprier ce quelque chose perdu ou enfoui, obéissant à la même dialectique que le tourbillon ou la brume qui mène la pensée du poète de l’objet naturel à l’idée spirituelle, puis vers les profondeurs de l’intime.
54Dans Coleridge and the Abyssian Maid (1967), Geoffrey Yarlott se demande quelle aurait été la vie littéraire du poète s’il n’avait pas épousé Sara Fricker mais Marie Evans ou Sara Hutchinson. Nous pensons que cette question n’a pas de pertinence dans la mesure où elle envisage les deux femmes, Marie et Asra, en tant qu’êtres de chair. Coleridge se définit lui-même dans les Carnets comme « melancholy mad with the Ideal110 » ; en effet, le regard mélancolique ne s’éprend pas du réel mais de l’Idée. Pour Coleridge, l’être aimé ne doit pas être profané dans sa chair. Sara Hutchinson s’offre ainsi, dès le début de leur relation, comme un objet d’élection, elle est l’Idée de l’Amour purifiée du désir et du corporel :
Is not true Love of higher price,
Than outward Form, though fair to see111
55Son image offre pour un temps la résolution du conflit entre le désir et l’amour, entre l’impulsion du sensuel et la vertu, puisqu’il évacue, grâce à l’Idée de l’Amour qu’elle incarne, le besoin de vouloir posséder la femme désirée. L’image d’Asra lui permet de mettre hors d’atteinte la femme Sara. Le processus d’imagination qui effectue cette transfiguration de l’objet élu en une image pure est en quelque sorte ce que Giorgo Agamben nomme une « perversion de la volonté » puisqu’elle « veut l’objet, mais non la voie qui y conduit112 », celle du désir. Les carnets, et tout particuièrement ceux du troisième volume, mettent à nu ce processus d’appropriation d’un objet par l’image, appropriation qui ne sera jamais possession car l’objet est d’emblée présenté comme perdu.
56Dès le début de leur rencontre, le poète fait en effet le constat du caractère périssable de l’objet qu’il oppose à la permanence de l’Idée : « how perishable Things, how imperishable Ideas […] – What is forgetfulness?113 ». Les traits de la femme aimée doivent ainsi se soustraire au domaine du contingent et du périssable. De plus, Sara, en tant qu’objet naturel, appartient au domaine du corporel et fait naître le désir qui, dans sa réalisation, serait profanation :
[…] even a painful inconsistency of Desire with that form, in consequence of its association with the meaner object – / – Who ever deeply loved, & has not at times felt a sickening pang at past excesses.114
57Denise Degrois souligne le rôle de l’image d’Asra dans les manifestations complexes et ambiguës de l’éros dans les Carnets. Asra est toujours convoquée comme une figure « absente, lointaine » :
[…] surtout elle devient présence inconsciente d’un interdit personnel […] d’une censure qui semble bien correspondre au deuxième volet de la définition freudienne de la frustration : refus, par le sujet lui-même, de la satisfaction offerte ou possible115.
58Cette tension entre le désir nié, c’est-à-dire la voie vers l’objet, et la vertu est un combat constant que l’image des Carnets s’efforce de résoudre : « Virtue consist in the mastery over the sensuous and sensual Impulses116 ». Pour maîtriser la pulsion, le poète doit barrer la route au désir, et l’image d’Asra endosse ce rôle. Le visage de Sara, en tant qu’être de chair, s’évanouit progressivement pour faire advenir l’image d’Asra, qui appartient au domaine du spirituel, de ce qui ne peut être profané. L’image d’Asra obéit à la même logique mise en relief par Paul De Man117, le passage du terrestre au céleste, de la chose concrète à la chose pensée. Le nom de Sara disparaît ainsi progressivement des Carnets, le poète fait référence à l’être aimé par l’anagramme « Asra » ou encore par l’encodage de son prénom, comme s’il voulait préserver son image de l’objet référentiel, Sara118. Asra devient une vision salvatrice (ou une voie perverse ?) qui permet au poète de préserver sa chair de toute tentation :
[…] on the very brink of being surprized into by the prejudices of the shame of sex, as much as by the force of its ordinary Impulses – and I was saved by that vision, wholly & exclusively by it […] to have some one spot of cloudless and fixed Sunshine in the memory of Conscience.119
59L’image d’Asra est à la fois rêve de transparence et rêve de complétude. Elle est la lumière pure du soleil et ce à quoi tend le poète : l’intuition du divin dans l’Être. Cette image spiritualisée permet ainsi de faire obstacle au désir qui détournerait le poète de sa quête exprimée dans le fragment suivant, rédigé en 1807 :
Rais’d by her love the Earthly of my nature rose, like an exhalation that springs aloft, a pillared form, at the first full face of the rising Sun, & intercepting full his slant rays burns like a self-fed fire, & wide around on the open Plain spreads its own splendor & now I sink at once into the depths as of a Sea of life intense – pure, perfect, as an element of unmixt, a sky beneath the sky – yet with the sense of weight of water, pressing me all around […] –120
60Dans ce fragment, la trajectoire est double : un premier mouvement ascensionnel élève le poète vers la sphère du spirituel. Les images du voile et du souffle, images de l’incorporel, traduisent ce désengagement du sensible et du charnel. L’isotopie de l’éclat vient signifier l’intuition d’un monde transnaturel qui est lumière pure. Mais ce mouvement d’élevation se double d’un autre mouvement de chute, qui est présenté dans une quasi-simultanéité (« & now I sink »), une plongée vers les profondeurs de l’intime, vers ce « quelque chose en moi qui existe déjà et pour toujours ». L’image d’Asra appartient à ce langage symbolique, évoqué à Malte, qui permet au poète d’entrevoir, dans la fulgurance de l’éclat, l’intuition de l’intime. C’est une véritable descente dans les profondeurs d’un au-deçà de la conscience qu’offre l’amour d’Asra. La représentation de l’intime mêle à fois des images de lévitation, de flottement dans les airs, et des images d’immersion dans l’eau. L’élément liquide (« a Sea of Life intense ») lui permet de maintenir ce sens de complétude menacé par la transparence de l’air qui serait pur effacement de soi. L’Idée de l’Amour que fait naître l’image d’Asra renvoie ainsi à sa propre expérience de l’intériorité ; Asra est ainsi tour à tour vision, image ou symbole pour « mettre à nu les plus secrètes modalités de l’être121 ».
61Cette élévation de l’objet par un processus de sublimation implique une rupture avec le monde des formes ; ce mouvement est poétisé dans un fragment rédigé à Malte en 1805 :
All look and likeness caught from Earth,
All accident of Kin and Birth,
Had pass’d away: there was no trace
Of aught upon her brighten’d face,
Uprais’d beneath that rifted Stone,
But of one Image – all her own!
She, She alone, and only She,
Shone thro’ her body visibly. –122
62Ce fragment poétique est une remarquable expression à la fois du processus de création de l’image et du rapport bien ténu que l’image entretient avec l’objet. Ni miroir ni reflet, l’image, en tant que pur éclat, efface toute ressemblance, toute trace engendrée par le vécu corporel et historique du sujet. L’image d’Asra ne compose pas tant avec l’absence qu’elle ne l’engendre et la nourrit. En ce sens, cette spiritualisation de l’image n’est-elle pas aussi un désir de dissolution du soi ? Par l’imagination ou par le processus de symbolisation, le regard mélancolique s’approprie donc l’autre pour recouvrer l’idée d’une totalité, d’une plénitude perdue :
Love unutterable fills my whole Spirit, so that every fibre of my Heart, nay, of my wholeframe seems to tremble under its perpetual touch and sweet pressure, like the string of a Lute – with a sense of vibratory Pain distinct from all other sensations, a Pain that seems to shiver and tremble on the threshold of some Joy, that cannot be entered into while I am embodied – a pain of yearning which all the Pleasure on earth could not induce me to relinquish […] and yet it is a pain, an aking that spreads even into the eyes,
andthat have a look as if they were asking [a what and a where] even of Vacancy – yea, even when the Beloved is present, seeming to look thro’ her and asking for her very Self within or even beyond her apparent Form.123
63Dans ce fragment, l’absence se dit sur le mode de la douleur. La répétition et l’amplification à partir du terme « pain » trahissent l’impossibilité de circonscrire cette perte. La souffrance est évoquée par la sensation (« vibratory », « shiver and tremble »), puis par le désir (« yearning ») et enfin par l’aveuglement pour ne révéler finalement qu’un blanc (« a Vacancy »). Le regard mélancolique va au-delà de la présence du sujet, la transperce toujours en quête de ce quelque chose enfoui ou perdu. Nécessaire disparition de l’objet, rendu translucide, pour faire advenir le lieu de l’épiphanie. L’impossible coïncidence de l’idée et du mot, qui reste captif de la matière, met ainsi en échec l’image poétique qui est l’aboutissement du processus créateur de l’imagination :
The very sound would break the union, and separate you – me into you and me. […] a harmonious Imagery of Forms distinct on the still substance of one deep Feeling, Love & Joy – A Lake – or if a stream, yet flowing so softly, so unwrinkled, that its flow is Life not Change –124
64Le mot, dans les fragments des Carnets, est investi d’une veine mélancolique car il est ce qui vient rompre la parfaite plénitude de l’image, l’union des contraires, évoquée dans ce fragment. L’image serait ainsi condamnée à ne pouvoir être dite sous peine de la voir s’évanouir. Néanmoins, si la quête de complétude semble vouée à l’échec par l’impossibilité d’une mise en parole de l’image, il demeure la persistance d’une trace, d’une ombre qui vient dire la perte : « O Σapa! Σapa! – What have you done in deceiving him […] it always became a symbol of you – I played with them, as with your shadow –125 ». En 1815, Coleridge évoque de nouveau la nécessaire dissolution de la matière et des formes pour que puisse advenir cette ombre, signe d’une absence, d’une totalité perdue ou voilée : « Substances dissolve into the Universal, yet their Figures or Shadows remain – like Rainbows on fast-sailing Clouds –.126 »
65L’étude de l’image d’Asra nous a donc permis de mettre en relief la trajectoire paradoxale de l’image poétique, soulignée par Paul De Man. Elle semble devoir s’élever vers le spirituel, le monde supra-sensible des Idées, pour pouvoir faire advenir le langage symbolique et restaurer la plénitude de soi. Cependant, ce processus, qui est celui de l’imagination, n’engendre-t-il pas un repli sur soi, une certaine forme de solipsisme ? Ne répond-il pas à ce que Giorgio Agamben nomme « l’immuabilité de la constellation mélancolique », à savoir « le retrait de l’objet et le repli sur soi de l’intention contemplative127 » ? L’Idée de l’Amour engendre son revers sombre, la souffrance, la carence et le vide. La présence de l’autre est nécessairement vécue sur le mode de la transparence qui efface l’autre, et renvoie de surcroît au mélancolique le reflet de sa propre insuffisance. Dans un fragment, Coleridge semble projeter ce processus de la pensée mélancolique sur Sara : « O my Heart was transparent to you as a Dewdrop which you saw thro’ & thro’, and wherever you fixed your eye, beheld the image of yourself.128 » Ne faudrait-il pas lire dans ce fragment poétique le reflet de son propre regard mélancolique : « wherever [I] fixed [my] eye, beheld the image of [myself] » ? Comme le dit Jean Starobinski :
[…] le sentiment mélancolique n’a de cesse qu’il ne trouve un objet auquel appliquer son travail, fixant le sens de la perte sur toute image qui accepte de lui renvoyer la justification de son propre deuil129.
66L’image d’Asra, et finalement Sara Hutchinson elle-même, répond peut-être à ce travail de la mélancolie évoqué par Freud dans son essai « Deuil et Mélancolie ». Tandis que le travail du deuil identifie clairement l’objet perdu, celui de la mélancolie n’est pas défini par l’objet. En effet, ce qui a été perdu par le mélancolique est présenté par Freud comme difficilement identifiable :
Cela nous amènerait à rapporter d’une façon ou d’une autre la mélancolie à une perte de l’objet qui est soustraite à la conscience, à la différence du deuil dans lequel rien de ce qui concerne la personne n’est inconscient130.
67L’objet perdu est indiscernable car il appartient, selon Freud, au domaine de l’inconscient. Puisque le mélancolique ne sait pas ce qui a été perdu, il s’ensuit un transfert de la libido non sur un autre objet mais sur le moi lui-même, une identification du moi avec l’objet perdu. La perte de l’objet se transforme alors en une « perte du moi », ce qui explique, selon lui, « la diminution extraordinaire du sentiment d’estime du moi, un immense appauvrissement du moi131 » : « Dans le deuil le monde est devenu pauvre et vide, dans la mélancolie c’est le moi lui-même132. » L’asthénie, la souffrance indicible, la transparence, la béance du moi, tels sont bien les signes de la mélancolie que nous avons pu lire dans les fragments d’Asra. À notre sens, l’image d’Asra vient dire l’impossibilité de faire advenir le langage symbolique qui fonde la quête du poète romantique. Si l’image d’Asra disparaît peu à peu des Carnets, le sentiment de vide persiste. Dans un fragment rédigé bien plus tard, précédemment cité, le poète convoque à nouveau cette béance : « Ah but even in boyhood there was a cold hollow spot, an aching in that Heart, when I said my prayers – that prevented my entire union with God –133 ». Elle n’est associée ici à aucune image, à aucun objet naturel. Ressenti dès son plus jeune âge, ce vide est ce qui le sépare du divin dans la prière. Comme nous avons tenté de le démontrer, l’image est paradoxalement constitutive de ce vide. Elle ouvre cette béance. Le tourbillon, d’abord image de la complétude, se métamorphose en vortex engloutissant. Le voile, trace du spirituel, ouvre sur les abîmes de l’être. Asra, sa moitié symbolique, devient transparence pure. L’imagination poétique ne serait-elle pas, en un sens, constitutive de cette mélancolie ? N’est-elle pas également créatrice de cette absence qui n’a de cesse de re-convoquer ce quelque chose perdu ? L’image poétique renverrait ainsi le poète à son propre vide existentiel. Le sentiment de malaise qu’il éprouvait dans sa relation avec le monde sensible, substrat de la création poétique, ne trouve-t-il pas son origine dans cette ambivalence de l’image et de son rapport à l’objet naturel ?
68Toute l’ambiguïté du processus de l’imagination chez Coleridge se trouve inscrite dans ce blanc, cette vacuité, qui resurgit à travers l’image, ou plutôt à travers la transparence de l’image. Marie-Claude Lambotte voit dans les images de la vacuité qui peuplent le discours mélancolique non pas la trace de la perte d’un objet « soustrait à la conscience du sujet », mais la trace d’un non-lieu psychique, d’un blanc, dans la constitution du sujet que celui-ci s’efforce de circonscrire. Le sujet mélancolique ne souffre pas d’un événement traumatisant qui referait surface, mais bien plutôt de quelque chose qui ne se serait pas passé, d’un regard qui l’aurait traversé sans le circonscrire et rendu de ce fait transparent. Le mélancolique porte alors en lui ce point inaccessible que Coleridge tente de mettre en mot dans les Carnets : « blank heart », « cold hollow spot », « pang », « yearning », « vacancy ». Il interroge inlassablement ce vide car il croit « qu’à le rejoindre, il en recouvrera son image134 ».
69Si l’image est condamnée à l’évanescence, les mots inscrits sur les pages des Carnets sont des traces visibles et permanentes de cette descente vertigineuse dans les abîmes de l’être. L’écriture des Carnets s’offre alors comme seul contrepoint à la vacuité du sujet qui menace de s’étendre à tout l’être. L’écriture ne serait-elle pas, dès lors, une manière de sublimer les pulsions destructrices évoquées dans le désir de transparence pure ? L’écriture des Carnets serait alors le lieu d’un étrange paradoxe : elle aurait une fonction salvatrice en s’offrant comme mode d’exploration du vide, mais, de ce fait, jouerait elle-même avec la perte et l’absence. Tout se passe comme si le mélancolique avait besoin de ressasser la perte, de reconvoquer l’objet pour le déclarer perdu135. Nous souhaiterions dès lors tenter de mieux cerner les spécificités d’une écriture qui se nourrit de la cruauté mélancolique. Est-il possible de déceler dans les Carnets une poétique qui se structure autour de cette figure de l’absence ?
O Elpizomene! When shall I have time to write a letter to you with no other Sorrow to communicate, than that absence from you, which writing itself implies?136
Notes de bas de page
1 WHazlitt, A View of the English Stage, 1818, p. 197. (« Le principe de l’imagination ressemble à l’emblème du serpent, par lequel les anciens signifiaient la sagesse et l’univers, avec ces plis ondoyants, sans cesse changeant et sans cesse s’enroulant sur lui-même, – circulaire, sans commencement et sans fin. Le défini, le figé, c’est la mort : le principe de la vie, c’est l’indéfini, le croissant, le mouvant, le continu. »)
2 J. Kristeva, Soleil noir. Dépression et mélancolie, 1987, p. 172.
3 NB1, 1646.
4 S. T. Coleridge, Logic, 1981.
5 L’intérêt de Coleridge pour le langage et les langues, dans leur dimension scripturale, sonore, lexicale, grammaticale et combinatoire, occupe une place non négligeable dans les Carnets. Voir, par exemple, NB2, 2431, 2512, 2730, 2812, 2864 et 2964.
6 Voir, à ce propos, l’ouvrage de J. McKusick, Coleridge’s Philosophy of Language, 1985, qui retrace à travers Logic, Biographia Literaria et Aids to Reflection ses conférences philosophiques et littéraires, mais également sa correspondance et ses carnets, une philosophie du langage étroitement corrélée à l’esprit et à la nature.
7 NB1, 1387. (« Le langage et tous les symboles confèrent de l’extériorité aux pensées / et ceci est l’essence philosophique et l’intention du Langage. »)
8 NB3, 3542. (« […] les mots tendent à se confondre et à co-aduner avec les choses [qu’ils signifient] – Le système de Berkeley est ainsi invraisemblable. »)
9 F3, p. 148 : « For thought and imagination (and we may add passion) are, in their essence, the first connective, the latter co-adunative […]. » (« Car la pensée et l’imagination (et nous pourrions ajouter la passion) sont, par essence, conjonctive pour la première, co-adunative pour la dernière […]. »)
10 NB3, 3762.
11 PW, p. 264–265, v. 24–30.
12 F1, p. 68. (« Pour prolonger les sentiments de l’enfance dans les facultés de l’homme adulte, pour combiner le sentiment d’émerveillement et de nouveauté de l’enfant avec les apparences que chaque jour qui passe, depuis près de quarante ans, avaient rendu familières […] ceci est le signe et privilège du génie. »)
13 Voir notamment l’adresse à son fils Hartley dans « Frost at Midnight », dans PW, p. 242, v. 54-64.
14 Coleridge utilisera ce terme dans la BL (p. 82), mais il apparaît pour la première fois dans ses Carnets (NB1, 1336) : « Jan. 17. 1803 – [Property, Propriety – curious instance of Desynonimization /] ».
15 NB1, 1489. (« Imbéciles de mots vous faites mon tourment. » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
16 CL1, p. 510. (« […] car c’est impossible que cette misère de mots vous livre ce qu’elle pourrait peut-être évoquer pour moi. »)
17 Y. Bonnefoy, « La mélancolie, la folie, le génie – la poésie », 2005, p. 180.
18 NB1, 1554. (« Sans le Dessin, je ne me sens qu’à moitié doué de Langage – » traduction de P. Leyris, ouvr. cité).
19 NB2, 2998 (« – ah ! combien puissants que sont les Mots mais de l’air ? et de l’impulsion d’air ? Ô qui n’a jamais profondément ressenti, profondément, profondément ! et n’a pas tremblé et n’a pas été irrité par l’inadéquation [des Mots aux Sentiments,] du symbole à l’Être ? – les Mots – que sont-ils mais matière subtile ? et la pauvreté de la Matière ils ont, et l’Esprit doit les désirer et s’en saisir, comme l’Amant qui ne peut embrasser que sur son ce le vêtement d’une amante / »).
20 J. Starobinski, Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle, 1971, p. 316.
21 Ibid.
22 T. Rajan, The Dark Interpreter. The Discourse of Romanticism, 1980, p. 21.
23 Ibid., p. 23. (« […] un acte de révélation et non pas d’idéalisation : une narration nouvelle par laquelle le vieux marin doit revenir de manière obsessionnelle au cœur même des ténèbres qu’il est supposé avoir maîtrisées. »)
24 J. Clair, « Machinisme et mélancolie », 2005.
25 G. Agamben, Stanze, 1998, p. 28.
26 M. Eliade, Images et symboles, 1979, p. 14.
27 NB2, 2546. (« En regardant des objets de la Nature tandis que je réfléchis, comme cette lune là-bas qui luit confusément à travers la vitre emperlée, il semble que je cherche, que je demande en quelque sorte un langage symbolique pour quelque chose en moi qui existe déjà et pour toujours […]. » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
28 M. Eliade, Images et symboles, 1979, p. 15.
29 New Oxford Dictionary of English, J. Pearsall (éd.), Oxford, OUP, 2001.
30 Ibid.
31 Ibid.
32 Traduction de la définition de l’imagination dans Biographia Literaria par C. Berthin, « Quête et perte de l’image dans le poème romantique : la poétique de l’oxymore dans le Kubla Khan de Coleridge et le Prométhée délivré de Shelley », 1985, p. 25.
33 Ibid., p. 50.
34 P. De Man, The Rhetoric of Romanticism, 1984, p. 6. (« C’est la redécouverte d’une présence permanente qui a choisi de se dissimuler à nous – à moins que ce ne soit nous-mêmes qui avons le pouvoir de nous soustraire à elle. »)
35 Ibid. (« The existence of the poetic image is itself a sign of a divine absence, and the conscious use of poetic imagery is itself an admission of this absence. » « L’existence de l’image poétique est en elle-même un signe de l’absence du divin, et l’utilisation consciente de l’imagerie poétique est en elle-même un aveu de cette absence. »)
36 Ibid. (« Le langage poétique ne peut que créer encore et encore ; il est toujours une force constituante capable de postuler sans nécessité de présence mais, conjointement, il ne peut donner de fondation à ce qu’il postule hormis comme acte d’intention de la conscience. Le mot est pour l’esprit une présence libre, le moyen par lequel la permanence des objets naturels peut être remise en question et ainsi niée, encore et encore, dans cette spirale sans fin de la dialectique. »)
37 NB3, 3246. (« Exemples du Pouvoir poétique de rendre présent à l’Imagination chaque chose / à la fois les formes, et les passions qui ont modifié ces formes […] où les objets inanimés, ou les objets sans passions en eux-mêmes, sont perçus par l’esprit dans des moments d’intense excitation. »)
38 NB2, 2208.
39 M. Porée, « More than Mounts the Eye: Coleridge, Byron, De Quincey », 2008.
40 CL2, p. 845 (« de toutes les choses terrestres que j’ai pu voir, la vue de Sea’ Fell du sommet de Sca’ Fell […] est la plus réjouissante »).
41 PW, p. 377, v. 13-16. (« Grandiose Mont silencieux ! Je t’ai tant admiré / Que, malgré ta présence à mes sens corporels, / Tu as disparu à ma conscience : la prière / M’a ravi, m’a fait vénérer l’Invisible seul. » Traduction de J. Darras, ouvr. cité.)
42 M. Porée, « More than Mounts the Eye: Coleridge, Byron, De Quincey », 2008, p. 56.
43 G. Bachelard, L’Eau et les Rêves, 1971, p. 123.
44 Ibid., p. 139.
45 Aristote, « Problème XXX », 955 a 30 : « Les mélancoliques sont inconstants à cause de l’inconstance de la bile noire. »
46 Citons ici le célèbre problème qui adosse le génie et la mélancolie : « Pourquoi tous les hommes qui sont devenus exceptionnels en philosophie, en politique, en poésie ou dans les arts apparaissent comme étant des mélancoliques : certains au point même d’être saisis par des maladies en rapport avec une bile noire ? » (« Problème XXX », 953 a 11.)
47 L. F. Földényi, Mélancolie, essai sur l’âme occidentale, 2012, p. 21.
48 J. Starobinski, « L’encre de la mélancolie », 1963, p. 411.
49 Ibid., p. 24.
50 Novalis cité par V. Pomarède, « La volupté de la mélancolie : le paysage comme état d’âme », 2005, p. 320.
51 NB3, 3319. (« Hélas ! mon Asra ! […] que reste-il ? si mon Esprit ne devait se dissoudre en Larmes – je devrais me dissoudre dans la mort ! »)
52 G. Bachelard, L’Eau et les Rêves, 1971, p. 125.
53 NB1, 1706. (« Tel celui qui traverse un pont de Pierres glissantes et irrégulières, placées à d’inégales distances au pied d’une gigantesque chute d’eau, est perdu s’il laisse son Âme être emportée par ce Son diffus à la fois partout et nulle part / mais il doit concentrer son Être dans la seule angoisse de ne pas Glisser, ainsi la Vertu dans certains Tourbillons de Tentations. »)
54 G. Poulet, Les Métamorphoses du cercle, 1999, p. 187.
55 NB1, 1784. (« La chute d’eau au pied de la vallée, blanche, constante, silencieuse car Lointaine – la Rivière lui appartenant, régulière, abondante, silencieuse – le Lac dans lequel elle se déverse, également silencieux / cependant partout le bruit des eaux / Quelque chose de lointain / quelque chose de proche. Si loin, et néanmoins partout / […]. »)
56 NB1, 1784 (« les ombres indistinctes dans le Lac parlent toutes de Silence »).
57 NB1, 1800 (« l’eau – noire sous la Glace »).
58 NB1, 1821 (« Les Ombres en temps de Neige sur le Lac / je les vois indistinctes »).
59 G. Bachelard, L’Eau et les Rêves, 1971, p. 137.
60 Ibid.
61 J. Starobinski, « L’encre de la mélancolie », 1963, p. 411.
62 PW, p. 185, v. 8-10. (« Ses énergies refluent vers son cœur, / Et stagnent et se corrompent ; jusqu’à être changées en poison. / Elles éclatent en lui, comme une répugnante région infestée par la peste. »)
63 CL2, p. 871. (« Derwent tourbillonant, partiellement de lui-même, partiellement par la force des rafales de vent – ramené en arrière, luttant pour aller de l’avant, et criant son petit hymne de joie. »)
64 I. A. Richards, Coleridge on Imagination, 1960, p. 152. Voir aussi NB3, 3766n.
65 D. Degrois, « De la conscience hallucinée à la conscience créatrice », 1983, p. 267.
66 NB1, 1725.
67 CL2, p. 768. (« Comme si nous étions prisonniers d’un immense vortex marin, à chaque moment nous percevons notre fin plus clairement, à chaque moment nous y sommes amenés par une force plus grande. »)
68 M.-C. Lambotte, « De la dépression au sentiment du triomphe de moi ».
69 Le psychiatre Albert Rothenberg a développé la théorie de la pensée janusienne qui permet d’appréhender de façon concomitante des contraires lors du processus de création. Voir, à ce propos, A. Rothenberg, The Creativity Question, 1996. Il cite dans son ouvrage la célèbre distinction que Coleridge fait entre « fancy » et « imagination ». L’imagination est pour lui cette instance de la pensée qui permet de forcer les contraires en une seule et même idée.
70 P. Magnuson, Coleridge’s Nightmare Poetry, 1974, p. 3.
71 BE, p. 47. (« À présent, je me noie dans ma mélancolie, ou cède à ces rêveries fantaistes qui rendent la réalité plus sombre. »)
72 D. Bonnecase, S. T. Coleridge : poèmes de l’expérience vive, 1992, p. 49.
73 NB1, 713. (« […] des colonnes obliques de lumière brumeuse voyageaient sous le Soleil caché par des nuages. »)
74 NB1, 781 (« le coucher de Soleil avec des colonnes obliques de brumeuse lumière »).
75 NB1, 798. (« […] de Belles colonnes de lumière brumeuse naviguant doucement au-dessus des roches escarpées. »)
76 NB1, 1252. (« […] de grandes colonnes de Lumière brumeuse voyageant le long du lac. »)
77 NB1, 808 (« la brume universelle non pas dissipée mais atténuée »).
78 Voir, par exemple, NB1, 791, 808, 833, 1108, 1689, 1844, 1483, 1485 et 1487.
79 NB1, 1297 (« L’imprécision de la vue ; brume etc. confère de la grandeur / »).
80 Voir, dans PW, « Religious Musings » p. 124, v. 398-401, « This Lime-Tree Bower my Prison », p. 180, v. 41-43. Voir également « The Destiny of Nations » et le rôle central de la brume (« the mist and fog ») dans « The Rime of the Ancient Mariner ». Voir, à ce propos, l’article d’E. B. Gose, « Coleridge and the Luminous Gloom: An Analysis of the “Symbolical Language” in “The Rime of the Ancient Mariner” », 1960.
81 E. L. Griggs (éd.), Unpublished Letters of S. T. Coleridge, 1933, p. 46-47. (« Le soleil fait monter la vapeur d’eau – l’atténue, la soulève – elle devient un nuage – et maintenant elle est le Voile de la Divinité – la Divinité qui la transperce tout à la fois cache et révèle sa présence. Nous voyons, nous sommes conscients de la Lumière seule, mais c’est la Lumière incarnée dans la nature terrestre, que la Lumière elle-même réveille et sublime. »)
82 P. Deschamps, La Formation de la pensée de Coleridge (1772-1804), 1964, p. 161.
83 Nous renvoyons le lecteur à la thèse de Paul Deschamps qui analyse les courants de pensée qui traversent et modèlent la pensée coleridgienne (ibid.). Denis Bonnecase parle, sans connotation péjorative, de « “bricolage” ontologique ». Le poète, inspiré à la fois par Schelling et la Naturphilosophen, la doctrine panthéiste de Spinoza, mais également par la philosophie transcendantale des néoplatoniciens, se livrerait à un « amalgame » qui n’échappe pas aux contradictions : « […] ayant indiqué que l’âme s’élève (car elle est tout aile pour Platon et les néoplatoniciens) pour accéder à la Lumière, il suggère par la suite une problématique de type panthéiste régie par une co-extensivité statique. Cette contradiction est d’ailleurs au cœur du romantisme qui intègre la philosophie spinoziste tout en réaffirmant la présence du Dieu vivant transcendant. […] // Un tel syncrétisme relève du travail d’une conscience inquiète qui, à la recherche d’un équilibre, objective les différentes étapes de sa démarche exploratoire. » (S. T. Coleridge. Poèmes de l’expérience vive, 1992, p. 45-46.) Voir également l’analyse de Steven Prickett (Coleridge and Wordsworth. The Poetry of Growth, 1980) qui ne rompt jamais le lien qui unit le poète, la nature et le divin. Seamus Perry (Coleridge and the Uses of Division, 1999) met en avant dans sa théorie du « muddle » coleridgien les obstacles du monde naturel auxquels se heurte le poète dans sa quête d’accès à la transparence. Voir également les essais réunis par R. Gravil et M. Lefebure, The Coleridge Connection: Essays for Thomas McFarland, 2007. Pour Elliott B. Gose, les deux approches spirituelles (panthéiste et idéaliste) ne sont pas contradictoires mais se subordonnent l’une à l’autre (« Coleridge and the Luminous Gloom: An Analysis of the “Symbolical Language” in “The Rime of the Ancient Mariner” », 1960.
84 J. Vigus, Platonic Coleridge, 2009, p. 1.
85 NB3, 4060. (« Je ne me sens pas l’Esclave de la Nature, dans le sens où les animaux le sont. Non seulement mes Pensées, Sentiments s’étendent aux Objets transnaturels comme la Vérité, la Vertu, Dieu ; […] mais je peux réaliser ce que la Nature en elle-même ne peut – Je me greffe, je soulève les corps lourds au-delà des nuages, et guide ma course au-dessus des Océans et à travers l’Air – Moi seul suis Maître de Feu et de Lumière. »)
86 Si la pensée de Platon est manifeste dans les écrits poétiques de Coleridge, l’influence de Plotin nous semble bien plus prégnante dans les écrits privés et sous-tend l’idée du sublime chez Coleridge. Le sublime naît de cette intuition du spirituel dans l’âme humaine que seul l’homme de la nature peut ressentir par l’acte contemplatif qui le libère de ses attaches avec le monde sensuel. L’écriture du voyage à Malte et l’observation du ciel nocturne, de la brume et des lumières incertaines offrent au poète la possibilité de mener une réflexion approfondie sur la « Lumière intérieure » de Plotin. Voir NB1, 1678.
87 NB1, 528. (« La brume ensoleillée, la mélancolie lumineuse de Platon. »)
88 NB1, 529. (« La brume comme d’un volcan – / La cascade longtemps regardée a roulé comme un segment de Roue / – la roche luisant au travers – / Au milieu du tintamarre un bruit comme d’innombrables sauterelles ou de rouets – » traduction de P. Leyris, ouvr. cité).
89 NB1, 1558. (« La brume ensoleillée, la Mélancolie lumineuse, de Platon. – »)
90 NB1, 1559. (« Brouillard montant en vapeur des profondes fissures ou solutions de continuité des montagnes comme d’un énorme Chaudron. – Cascade, que je regarde longuement et de manière soutenue, roulée comme un segment de roue, la roche noire luisant au travers – parmi le vacarme un bruit comme d’innombrables sauterelles […]. » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
91 M. H. Abrams, English Romantic Poets. Modern Essays in Criticism, 1980.
92 PW, p. 190, v. 99-100.
93 M. H. Abrams, English Romantic Poets. Modern Essays in Criticism, 1980, p. 237.
94 Titre du chapitre xiii de Biographia Literaria. Coleridge avait façonné le terme « ésemplatique » du grec pour mettre l’emphase sur le principe unificateur de l’imagination : « I constructed it myself from the Greek word εı̧ Vεn πλα ́ττειn, i.e. to shape into one. »
95 BL, p. 225-226. (« Le courant changeant dans le chaos sans rivage de la fantaisie dans laquelle le flot continu de l’asssociation passive est brisé en zig-zag par des sensations du dedans et du dehors. »)
96 NB1, 582. (« Les étourneaux en vols immmenses dérivent comme la fumée, le brouillard ou n’importe quoi de vaporeux [sans] volition – tantôt une surface circulaire qui s’infléchit [en] arc, tantôt un globe – [tantôt une] ellipse oblongue – [tantôt] un ballon avec sa [nacelle suspen]due, tantôt un demi-cercle concave et cela s’épand et se condense sans cesse, parfois miroitant et frissonant, indistinct et ombreux, parfois s’épanouissant, s’approfondissant, s’enténébrant ! – » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
97 NB1, 1589. (« Vols d’Étourneaux, flottant et dérivant comme une fumée, comme un brouillard – tel un corps que n’habiterait aucun Pouvoir volontaire / » traduction de P. Leyris, ouvr. cité).
98 S. Perry, Coleridge and the Uses of Division, 1999, p. 30.
99 NB2, 2600.
100 NB1, 781. (« […] nous voyons naviguer un pilier de nuages, flamme et fumée, naviguant, s’élevant, se courbant, se voûtant, et ce en un mouvement rapide. »)
101 NB1, 1485. (« […] les brumes blanches, flottant et s’éloignant des Montagnes, et se dispersant le long des Flancs – se réunissant de nouveau – et de nouveau se dispersant – tout en mouvement – conférant même aux Collines des fantômes de mouvement. »)
102 NB1, 1577. (« Colonnes de Lumière inclinées, comme des Échelles montant au Ciel, leur base toujours un champ Ensoleillé vert vif / – C’est le 19 Oct. 1803, Mercr. Mat. Demain mon Anniversaire, 31 ans d’âge ! – Ô pauvre de moi ! Mon cœur même se meurt ! – Cette année n’a été qu’un Rêve douloureux / Je n’ai rien fait ! – […] // 19 Oct. 1803. Le Jour de Jeûne général – […] le Soleil en piliers obliques ou en petites parcelles de brume illuminée, ou en taches isolées de la plus douce Lumière grisâtre, tantôt faisant la course, tantôt glissant lentement, tantôt stationnaires / […] Ô [Sara Sara] pourquoi ne suis-je pas heureux ! » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
103 CL2, p. 841. (« Lorsque la Raison et la Volonté ont disparu, que nous reste-t-il hormis les ténèbres et l’obscurité, et un sentiment bouleversant de honte, et une douleur qui nous domine totalement, ou un plaisir fantastique, qui mène l’esprit vagabondant dans l’air sous diverses formes, comme un vol d’étourneaux dans le vent. »)
104 Voir aussi NB2, 2839.
105 G. Didi-Hubermann, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1992, p. 194.
106 T. De Quincey, Confessions of an English Opium-Eater, 2013, p. 75. (« […] la prodigalité exubérante et tapageuse de la vie contraint plus intensément l’esprit vers la pensée antagoniste de la mort, et la stérilité glaciale de la tombe. Car l’on peut généralement observer que lorsque deux pensées sont liées par une loi d’antagonisme, et existent, pour ainsi dire, par répulsion mutuelle, elles sont susceptibles de se suggérer mutuellement. »)
107 NB1, 979 (« Sara […] l’Esclave consentante des Oreilles et des Yeux d’autrui […] froide et calme comme un Gel profond »).
108 PW, p. 345-346 (« Le long ravissement d’un vrai baiser d’amour »).
109 E. G. Wilson, Coleridge’s Melancholia. An Anatomy of Limbo, 2004, p. 96.
110 NB1, 1306.
111 PW, « Separation », p. 398, v. 9-10 (« Le véritable Amour n’est-il pas plus précieux / Que la Forme extérieure, certes belle à voir »).
112 G. Agamben, Stanze, 1998, p. 26.
113 NB1, 576 (« quand je pense combien périssables sont les choses combien impérissables les idées – […] qu’est-ce que l’Oubli ? », traduction de P. Leyris, ouvr. cité).
114 NB3, 3746. (« […] même la douleur d’un Désir capricieux éprouvé pour cette forme, en raison de son association avec le vil objet – / – Qui n’a jamais profondément aimé, et n’a ressenti par moment une écœurante douleur à l’idée des excès du passé. »)
115 D. Degrois, « Présence et conscience de l’Éros dans les écrits en prose de S. T. Coleridge », 1982, p. 62.
116 NB2, 2556 (« la Vertu réside dans la maîtrise des Pulsions sensuelles et sexuelles »).
117 P. De Man, The Rhetoric of Romanticism, 1984, p. 13.
118 Voir ainsi NB3, 3303 et 3307.
119 NB3, 3404. (« […] sur le point d’être happé par les préjugés de la honte du sexe, autant que par la force de ces Impulsions ordinaires – et j’ai été sauvé par cette vision, uniquement et entièrement par cette vision […] avoir ce point lumineux, perpétuel et sans nuage, dans la mémoire de la Conscience. »)
120 NB2, 3222 (« Élevé par son amour, le Tangible de ma nature s’est élevé, comme un souffle qui jaillit dans l’air, une forme de colonne qui, lorsque le Soleil se lève pleinement à l’aube, intercepte ses rayons obliques et brûle comme un feu qui se nourrit par lui-même, et propage autour d’elle sur la Plaine qui s’étend sa splendeur et, à présent, je plonge tout à coup dans les profondeurs comme celles d’une Mer de vie intense-pure, parfaite, comme un élément sans alliage, un ciel en deçà du ciel – avec pourtant la sensation du poids de l’eau tout autour de moi […] – »).
121 M. Eliade, Images et symboles, 1979, p. 14.
122 NB3, 3291. (« Toute apparence et similitude provenant du Terrestre / Tout accident de Parenté ou de Naissance / Avait disparu. Il n’y avait plus trace / De rien sur ce visage illuminé, / Élevé de sous la roche fendue / Seulement d’une image – tout à elle ! / Elle, Elle-même et seulement Elle, / Rayonnait visiblement à travers son corps. – »)
123 NB3, 3370. (« L’Amour indicible emplit mon Esprit tout entier, et ainsi chaque fibre de mon Cœur, non de tout mon corps, semble trembler au contact de son toucher perpétuel et de sa douce pression, comme la corde d’un Luth – avec l’impression d’une Douleur vibratoire, distincte de toute autre sensation, une Douleur qui semble frissonner et trembler, au seuil de quelque Joie, à laquelle je ne peux accéder tant que je suis incarné – une douleur de manque que tous les Plaisirs de la terre ne pourraient m’inciter à abandonner […] et pourtant c’est bien une douleur, un besoin qui s’étend même aux yeux, et qui a un regard comme si elle demandait [un quoi et un lieu] même un Vide – oui, même lorsque mon Aimée est présente, regardant à travers elle et cherchant son vrai Soi à l’intérieur ou même au-delà de sa Forme apparente. »)
124 NB3, 3705. (« La parole même briserait l’union, et séparerait toi – moi en toi et moi. […] une Imagerie harmonieuse de Formes distinctes sur la substance paisible d’un Sentiment profond, Amour et Joie – Un Lac – ou si un cours d’eau, s’écoulant alors si doucement et sans ridules, que ce flux serait Vie et non Changement. »)
125 NB3, 3303 (« Ô Σapa! Σapa! – Qu’as-tu fait en le décevant […] il devenait toujours un symbole de toi – Je jouais avec eux, comme avec ton ombre – »).
126 NB3, 4306. (« Les substances se dissolvent dans l’Universel, cependant leurs silhouettes ou ombres demeurent – comme des Arcs-en-Ciel sur des Nuages voyageant toutes voiles dehors. »)
127 G. Agamben, Stanze, 1998, p. 46-47.
128 NB3, 3626. (« Ô mon Cœur était à toi transparent comme une goutte de Rosée, à travers laquelle tu voyais, et où ton regard se fixait, tu y voyais ta propre image. »)
129 J. Starobinski, La Mélancolie au miroir. Trois lectures de Baudelaire, 1989, p. 64.
130 S. Freud, « Deuil et Mélancolie », 1969, p. 151.
131 Ibid., p. 152.
132 Ibid., p. 150.
133 NB4, 5275 (« Ah mais même dans mon enfance, il y avait un point vide et froid, une douleur dans ce Cœur, lorsque je disais mes prières – qui empêchait mon union toute entière à Dieu – »).
134 M.-C. Lambotte, Le Discours mélancolique. De la phénoménologie à la métapsychologie, 1993, p. 236.
135 Josiane Paccaud-Hughet insiste également sur le lien indissoluble qui existe entre le mélancolique et la Chose (the “Thing”). Voir l’article « The Moment of Being and the Voice of Melancholy in Virginia Woolf’s The Waves », E-rea, Revue électronique d’études sur le monde anglophone, no 4.1, 2006, « Discourses of Melancholy », en ligne : <https://erea.revues.org/362> (consulté le 16 février 2017).
136 NB2, 2938. (« Ô Elpizomene ! Quand aurai-je le temps de t’écrire une lettre sans autre Plainte à te communiquer, que ton absence, que l’écriture nourrit ? »)
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