Chapitre II
L’écriture carnétiste* de Coleridge : origine, forme et fonction
p. 57-85
Texte intégral
*Ce terme nous a été suggéré par M. Marc Porée lors de notre soutenance de thèse, et nous l’en remercions.
1Les Carnets de Coleridge ont été publiés grâce aux travaux de recherche d’une universitaire canadienne, Kathleen Coburn. Les 72 carnets du poète, qui représentent environ 800 pages de notes et 7 000 entrées, sont regroupés dans cinq volumes, et chaque tome de texte est accompagné d’un tome explicatif qui retrace les sources des citations, traduit les passages écrits dans une langue étrangère (grec, latin, français, italien, allemand) et décode les passages cryptés. Les carnets sont, pour la majeure partie, conservés aujourd’hui à la British Library (St Pancras) de Londres1. Un journal manuscrit, non publié encore, dont la forme diffère des Carnets, est conservé à la New York Public Library. Hormis pour quelques carnets (les 21, 21 ½ et 22), Coleridge privilégiait le format de poche pour pouvoir les emporter avec lui lors de ses excursions et voyages. L’annexe 2, à la fin de cet ouvrage, indique, pour chacun des carnets regroupés dans les deux premiers volumes, le format, le nombre de pages, la période d’utilisation et sa fonction. Il est à noter que les premiers carnets sont essentiellement des carnets de marche et de voyage, privilégiant les descriptions du monde naturel.
2Les 72 carnets de Coleridge ont été regroupés dans cinq volumes selon une logique chronologique. Le premier est constitué des carnets de l’année 1794 à janvier 1804, date de son départ à Malte. Le deuxième englobe les carnets de son voyage à Malte et ceux de son retour en Angleterre jusqu’en 1808. Les carnets du volume 3 sont essentiellement sédentaires : Coleridge réside alors à Londres où il donne des conférences littéraires et philosophiques (1808 à 1819). Nous avons choisi de ne pas inclure dans notre étude les carnets des volumes 4 et 5 car la fonction d’écriture qui est l’objet de notre recherche, à savoir l’écriture de soi, de l’autre et du monde sensible, se raréfie dans les carnets de 1819 à 1834. En effet, le volume 4 est essentiellement constitué de notes de lectures scientifiques et de fragments d’essais en vue de la publication de Aids to Reflection, et les carnets du volume 5 (1827 à 1834) sont principalement dévolus à une exégèse biblique2.
L’histoire des Carnets de Coleridge
3Pendant près d’un siècle, ces 72 carnets ont été soigneusement conservés, à l’abri des regards, respectant ainsi l’intimité de cet espace que Coleridge ne souhaitait pas dévoiler. Néanmoins, du vivant de l’écrivain, quelques fragments ont été livrés au regard du public dans une œuvre publiée par Longman en 1812, Omniana, or Horae Otosiores3, co-écrite par Coleridge et Southey. Les quelques notes glissées dans cette œuvre n’apparaissent cependant pas telles qu’elles avaient été rédigées dans les Carnets, mais ont bien souvent fait l’objet d’amendements par Coleridge lui-même. Avant sa mort, Coleridge avait pris soin de mentionner dans son testament qu’il autorisait son exécuteur testamentaire à publier tout texte, jugé opportun à la publication, parmi ses livres, manuscrits, essais ou écrits épistolaires4. Ainsi, en 1836, Henry Nelson Coleridge, neveu de l’écrivain, publiait les Literary Remains (4 volumes, 1836-1839) en intégrant dans le premier volume des Omniana, enrichis d’une cinquantaine de fragments extraits des carnets 21 ½ et 22, ainsi que d’un carnet non numéroté. James Gillman, physicien auprès de qui l’écrivain trouva refuge à Highgate à la fin de sa vie, puisa abondamment dans les carnets pour rédiger les mémoires de Coleridge, The Life of Samuel Taylor Coleridge (1838). Dans un fragment daté de 1823, Coleridge déplore le manque de temps et les difficultés rencontrées pour compiler ses carnets en un index qui lui permettrait ainsi de classer ses réflexions et fragments d’essais philosophiques en diverses rubriques :
When shall I find time and ease to reduce my Pocket-books and Memorandums to an Index or Memoriae Memorandorum. If – aye! and alas! – if I could see the last sheet of my Assertio Fidei Christianae, et Eterni temporizantis; having previously beheld my Elements of Discourse, Logic, Dialectic, & Noetic, or Canon, Criterion, and Organon, with the philosophic Glossary – in one printed volume, & the Exercises in Reasoning as another – if – what then? Why, then I would publish all that remained unused, Travels and all, under the Title – of Excursions abroad & at Home, what I have seen and what I have thought
andwith a little of what I have felt, in the words in which I told and talked them to my Pocketbooks, the Confidantes who have not betrayed me, the Friends whose silence was not detraction, and the Inmates before whom I was not ashamed to complain, to yearn, to weep – or even to pray!5
4D’emblée nous notons le rôle crucial et paradoxal des carnets dans la vie de l’écrivain. Trente ans d’écriture de soi octroient à ces écrits personnels une place et un rôle privilégiés dans la construction du sujet écrivant. Ses carnets sont élevés au rang de confident auprès duquel il peut partager la solitude de son espace d’écriture et se confier. C’est en effet sur le mode du dialogue que Coleridge envisage son rapport aux carnets ; la transcription du vécu et des pensées est avant tout une parole que la plume met en mot. Le fragment, cité précédemment, figure en exergue du premier ouvrage, Anima Poetae, dédié uniquement aux Carnets. En 1895, Ernest H. Coleridge, petit-fils de Coleridge, souhaitait présenter au public un échantillon plus large des « aphorismes, réflexions, confessions et soliloques6 » de son grand-père afin de mieux appréhender un esprit complexe, bouillonnant, tourné vers la contemplation du mystère de l’être et du monde. Il souligne néanmoins dans la préface qu’une publication complète n’était que peu souhaitable eu égard au caractère intime et privé de ces écrits7. Anima Poetae, recueil abrégé des carnets de Coleridge, fut pendant plus de soixante ans l’ouvrage de référence pour toute personne qui souhaitait approcher de plus près les écrits privés de Coleridge. La disposition des fragments y respecte l’ordre chronologique lorsque la datation est présente. Les fragments ne sont pas numérotés mais parfois regroupés lorsqu’une thématique commune le permet. Cette volonté d’ordonner le chaos des carnets se retrouve aussi dans la sélection des notes. Même si Ernest H. Coleridge conserve dans son choix de fragments l’hétérogénéité des sujets abordés pour permettre au lecteur d’être au plus près de la pensée du poète, l’ouvrage prend davantage la forme d’un recueil d’aphorismes et de réflexions. De plus, les notes sont parfois amendées par le petit-fils de l’auteur pour améliorer la lisibilité et la compréhension. De ce fait, cette sélection et les modifications apportées polissent le texte et en modifient la substance dans son intégralité ainsi que la lecture qui s’ensuit.
5Publier les carnets in extenso, même si, comme nous allons le voir, se pose également le problème de l’agencement des notes, semblait être l’unique façon de rendre compte d’une écriture atypique, quasi indéfinissable, qui reflète le mouvement d’une pensée qui n’a de cesse d’observer, de contempler et d’analyser, de saisir des sensations sur le vif, de forger des concepts et des images. Dans le désordre apparent des fragments se lit en creux un agencement propre à un esprit complexe qui fabrique à partir du matériau du visible et de l’invisible sa propre matière poétique. De ce fait, ôter une partie du texte revient non seulement à modifier le tempo de l’écriture, mais également à masquer l’alchimie qui s’opère dans les carnets entre chaque fragment.
6Il faudra attendre 35 ans pour qu’une universitaire canadienne entreprenne un travail d’une incroyable minutie sur les quelque 70 carnets de Coleridge en vue d’une publication intégrale. Kathleen Coburn, étudiante à l’université de Toronto, obtient son MA en 1930, ainsi qu’une bourse lui permettant d’engager à St Hugh’s College, Oxford, des travaux de recherche sur l’aspect philosophique de l’œuvre de Coleridge. Ces travaux aboutiront à une thèse intitulée Samuel Taylor Coleridge’s Marginalia on W. G. Tennemann’s Geschichte Der Philosophie. En 1930, elle se rend à Ottery St Mary, dans le Devon, dans l’espoir de pouvoir consulter les archives et manuscrits conservés soigneusement par lord Geoffrey Coleridge. Cependant, un quiproquo donne une tournure cocasse à leur première rencontre : lord Coleridge est en effet persuadé que l’intérêt de Kathleen Coburn porte sur la maison et les meubles, et non sur les écrits de son ancêtre. Lorsqu’elle lui fait part de l’intention réelle de sa visite, ce dernier ne peut s’empêcher de s’exclamer :
Old Sam was only a poet, you know, never did anything practical that was any good to anybody, actually not thought much of in the family, a bit of a disgrace in fact, taking drugs and not looking after his wife and children. […] why a young girl like you should spend your time on the old reprobate, I can’t think!8
7Cette réplique reflète assez bien non pas le mépris mais l’incompréhension qu’inspiraient les textes de Coleridge à l’époque où Kathleen Coburn démarrait ces travaux de recherche. Que ce soit à Toronto ou à Oxford, peu de professeurs souhaitaient la suivre sur des travaux de recherche portant sur la pensée philosophique de Coleridge, l’encourageant plutôt à se tourner vers Wordsworth. Avec une persévérance néanmoins sans faille, Kathleen Coburn se plonge dans la lecture et l’étude des 55 carnets, des 200 ouvrages annotés et de la correspondance familiale conservés dans la bibliothèque de lord Coleridge, dans l’espoir d’établir une corrélation entre la pensée philosophique de Coleridge et celle des philosophes allemands du xviiie siècle, tout particulièrement Tennemann.
8Ses pérégrinations de chercheuse la mènent en 1933 à Leatherhead, chez le révérend G. H. B. Coleridge, arrière-petit-fils du poète et détenteur des droits de publication. Elle découvre au fin fond de sa bibliothèque le manuscrit tant recherché des Philosophical Lectures, la transcription des 14 conférences données par Coleridge de décembre 1818 à mars 1819 sur l’histoire de la philosophie. L’entreprise de publication de cette collection de manuscrits nécessite néanmoins l’utilisation d’une partie du carnet 25 dans lequel Coleridge rédigeait ses notes de discours. Lord Coleridge accepte alors que les pages en rapport avec le travail de recherche de Kathleen Coburn soient photographiées en deux exemplaires dont l’un serait archivé au British Museum, l’autre copie étant conservée par Kathleen Coburn à des fins académiques.
9En 1936, lord Coleridge, peu versé dans les écrits de son arrière-arrière-grand-oncle et, de surcroît, profondément agacé par les demandes incessantes des universitaires pour avoir accès aux manuscrits, accepte finalement, sur les conseils de Kathleen Coburn que l’intégralité des 55 carnets soit photographiée et mise à la disposition des étudiants et chercheurs au British Museum. Lorsque Kathleen Coburn esquisse cette suggestion, il lui vient alors l’idée de publier les Carnets. Lors de sa visite chez le révérend Coleridge, elle avait recensé tous les manuscrits de Coleridge et ainsi repéré la présence d’une dizaine de carnets. Le révérend accepte non seulement de les lui prêter pour qu’ils soient photographiés, mais autorise également leur publication, rejoignant ainsi l’opinion de Henry Nelson Coleridge pour qui la publication de tous les écrits de Coleridge ne ferait qu’accroître et renforcer sa notoriété.
10Dix ans plus tard, la crainte de voir les manuscrits se détériorer incite lord Coleridge à accepter l’offre d’achat du Pilgrim Trust, une fondation philanthropique américaine agissant pour la préservation des objets culturels de valeur en Grande-Bretagne. Le Pilgrim Trust offrira 10 200 livres sterling à lord Coleridge pour que les précieux carnets de Coleridge puissent être mis en sécurité au British Museum. Les manuscrits sont cependant dispersés entre le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis. Ainsi, la Victoria College Library de l’université de Toronto possède 12 carnets que Coleridge utilisa principalement dans les années 1809 à 1814. Le carnet no 29, tenu de 1814 à 1825, se trouve à la Berg Collection de la New York Public Library. Ces quêtes de manuscrits, menées avec méthode et persévérance, ne sont pourtant que les prémices d’un travail monumental de lecture, voire bien souvent de décryptage, et de recherche qui nécessite de la part de Kathleen Coburn une quasi-omniscience au vu de l’étendue des connaissances que Coleridge livre dans ses Carnets9. La publication des cinq volumes des Carnets, connue sous le nom de Bollingen Edition, s’est effectuée sur près de 50 ans, de 1957 à 2002, mais le travail en amont, de lecture, de classement, de datation et de recherche, a nécessité près de 20 ans de labeur et une correspondance conséquente avec les plus grands spécialistes de Coleridge10.
11L’étude des Carnets s’est accompagnée d’un important travail de réflexion qui a retardé leur parution. Le souci majeur de Kathleen Coburn était de pouvoir offrir un texte lisible à un public non spécialiste. Se posait alors la question du choix de regroupement des fragments. Fallait-il être fidèle à l’entité textuelle de chaque carnet et reproduire dans ce cas l’aléatoire de leur utilisation ? En effet, Coleridge n’avait pas pour habitude de se servir d’un carnet de bout en bout. Il lui arrivait parfois d’en refermer un déjà entamé pour en commencer un autre, revenant des mois, voire des années plus tard au précédent. Des blancs étaient laissés lorsqu’un sujet méritait d’être détaillé, et ces blancs étaient parfois complétés bien plus tard sur un sujet tout autre. Dès lors, pour Kathleen Coburn, une édition reproduisant fidèlement le « chaos » de chaque carnet n’était que peu envisageable si ce texte devait faire par la suite l’objet d’une étude11.
12Peu de temps avant sa mort, Coleridge déclarait :
After all you can say, I still think the chronological order the best for arranging a poet’s works. All your divisions are in particular instances inadequate, and they destroy the interest which arises from watching the progress, maturity, and even the decay of genius.12
13Ces paroles, figées par son neveu dans les fameux Table Talks, reflètent d’une part les raisons du choix de regroupement adopté par l’éditeur, mais également les habitudes d’écriture de Coleridge. Il avait envisagé, en octobre 1798, lors de son voyage en Allemagne avec les Wordsworth, de diviser ses carnets en sections pour constituer un lexique allemand/anglais sur des thèmes ou concepts en lien avec sa création poétique, mais il y renonça très rapidement et l’écriture du carnet 3 ½ retrouva quelques pages plus loin sa forme erratique. Ce type d’agencement systématique, peu utilisé au demeurant dans les écrits intimes en général, a été dans une certaine mesure adopté par Ernest Hartley Coleridge qui avait tenté de modeler le texte des Carnets de façon chronologique, mais également thématique, avec, de ce fait, une imprécision inévitable quant au moment d’écriture. Faire le choix d’une publication des écrits intimes en ayant recours à une division par sujet enlève au texte son intérêt majeur si bien formulé par Coleridge : voir et pouvoir appréhender de si près le mouvement, la maturation et les vicissitudes d’une pensée dans le temps.
14L’histoire d’un esprit et la maturation d’une pensée s’adossent à une expérience du temps non pas calendaire – l’écriture intime est paradoxalement un moyen d’y échapper – mais rythmée par le flux de l’existence. Le sujet percevant livre dans une suite de sensations, d’expériences et de réflexions un écho du flux de sa conscience. Dans un ouvrage qui tente de définir une poétique du journal personnel13, Michel Braud souligne les deux caractéristiques fondamentales permettant la transcription de cette musique de l’existence, à savoir l’enchaînement chronologique et la fragmentation. Seul le choix de l’ordre chronologique permet la représentation de ce tempo irrégulier et sinueux de l’existence dont l’écriture des Carnets serait en un sens la stylisation. Il est à noter cependant que les dates inscrites par le poète lui-même dans ses carnets sont relativement éparses et parfois inexactes. Kathleen Coburn s’est retrouvée confrontée à un problème majeur, celui de reconstituer l’ordre chronologique des fragments tout en respectant leur forme. Elle a, dans un premier temps, numéroté chaque entrée des carnets. Le carnet 21, par exemple, est composé de 399 entrées, datées de décembre 1797 à novembre 1803. Chaque fragment possède ainsi un numéro d’entrée – noté « 21.1 », « 21.2 »… « 21.399 » – qui suit l’ordre dans lequel ils apparaissent dans les carnets. Cette indication figure pour chaque entrée dans la marge de l’édition Bollingen, et la table chronologique à la fin du tome de notes permet de reconstituer aisément le contenu exact d’un carnet. Ce double ancrage dans le temps historique et dans la matérialité du texte vise ainsi à pallier cet écueil du temps dans l’agencement des fragments en texte.
15La datation des fragments a certainement été l’un des points les plus délicats à traiter puisque la forme des carnets ne possède pas les signes distinctifs du journal intime : l’écriture quotidienne (ou presque) et la datation systématique. Au fil de son travail d’étude, Coburn a dégagé des habitudes d’écriture lui permettant de dater – avec une marge d’erreur inévitable – l’ensemble des fragments. Quand cette marge est trop importante, elle le précise dans la note explicative. Coleridge a lui-même inscrit dans le temps un certain nombre de ses fragments. Une constante se dégage assez nettement dans ses premiers carnets : les passages non autobiographiques, où la présence du soi est bien plus diffuse (les images, métaphores, citations, proverbes, bribes de poèmes, sujets d’œuvre), ont très rarement une référence temporelle, contrairement aux entrées plus personnelles dans lesquelles figure explicitement le sujet écrivant, en tant qu’actant ou observateur14. Ainsi, les passages événementiels, les descriptions du monde naturel et les fragments évoquant l’intériorité sont souvent introduits ou clos par une indication temporelle. Lorsque Coleridge mêle la description du monde intérieur à celle du paysage nocturne, la datation est en général d’une extrême précision :
The moon setting over the
Swinside Burn MountainsMountain pale – the Sky very dim & marbled or water stained as blue Marine Canopy – and in the blue Interspaces the Stars all dim & lustreless <& until I looked steadily at them, one only of all the Stars twinkled.> – […] Tuesday Midnight – it wants 15 minutes of One o’clock. Oct. 25.15
16Coleridge avait toutefois pour habitude d’écrire ses notes à la suite, ce qui a ainsi donné une base de travail solide à Kathleen Coburn. La difficulté pour l’éditrice résidait dans l’ancrage temporel des passages réflexifs insérés dans les blancs des carnets déjà terminés. Cependant, ces fragments, qui viennent combler un espace vide, sont facilement repérables car l’écriture y devient de plus en plus serrée pour s’insérer dans le blanc de la page. Dans ce travail de datation intervient inévitablement un certain nombre de conjectures qu’elle ne manque pas de souligner dans les notes explicatives. La fourchette de datation peut alors être très large, une année par exemple, ou plus précise, selon les sources permettant la définition du moment d’écriture16. Les notes qui n’ont pu être datées qu’au mois ou à l’année figurent dans l’édition de Coburn après les entrées dotées d’un indice temporel plus précis. Une ligne du temps sur laquelle s’inscrivent les fragments des Carnets a ainsi pu être élaborée grâce à ces indices biographiques, historiques ou littéraires, mais il reste à souligner que cette ligne est fragile, parfois floue, et qu’elle confère au corpus d’étude des zones d’ombre et des incertitudes. Seule une appréhension chronologique des Carnets nous permettrait une analyse du mouvement rythmique du texte, visant à dégager un tempo d’écriture constitutif de la poétique du carnet. C’est par le rythme, comme le rappelle Michel Braud, « que se manifeste le rapport du diariste à lui-même et au monde, au long du flux temporel17 ».
Un entrelacs de lignes
17Les écritures privées et intimes sont longtemps restées en marge du champ des œuvres littéraires. Mis à l’écart par la critique française et anglaise, les carnets et journaux étaient davantage perçus comme des témoignages de désœuvrement, étant dotés d’une forme allant à l’encontre de tous les codes textuels qui fondent l’œuvre. L’écriture journalière intime qui égrène et disperse des idées et sensations, le caractère secret et clos des fragments, rarement destinés à la publication, et le ressassement inévitable de cette forme fragmentaire traduisent à première vue l’impuissance d’un individu face au temps et à l’histoire qui lui échappent. Balbutiements d’œuvre, confidences à soi-même, vagabondage de l’esprit, les écritures intimes empruntent des chemins divers et variés, et constituent, selon la critique structuraliste des années soixante-dix, un genre impur. Maurice Blanchot n’y voit qu’un lieu de contre-production empêchant l’avènement de l’œuvre qui implique un dessaisissement de soi18. Roland Barthes assimile l’écriture par fragments à un « petit univers en miettes19 » dénué de centre, et il ne voit dans la composition du journal qu’une contemplation narcissique de ses propres déchets.
18La thèse de Michèle Leleu20, publiée en 1952, a amorcé les travaux d’étude consacrés uniquement aux journaux et carnets, mais la critique littéraire en la matière n’a jamais été abondante. En 1963, Alain Girard publie une thèse qui s’interroge sur le statut du journal intime comme nouveau genre littéraire21. Dans une communication donnée l’année suivante, il conclut sur la nécessité pour l’écrivain d’arrêter à un point l’écriture de son journal qui ne constitue pas une œuvre mais « un cri », d’» arrêter le flot confus du langage intérieur, pour sortir de soi et affronter les autres, et, si l’on est artiste, pour forger résolument une œuvre étrangère à soi22 ». Il rejoint ainsi la perspective de Maurice Blanchot sur l’impossibilité du journal intime de s’ériger en œuvre dans la mesure où la matière du journal, à l’image de celle de la pensée, est informe et victime de cette même indétermination qui caractérise la pensée vagabonde. Béatrice Didier propose dans un ouvrage de référence une approche historique, sociologique, psychanalytique et littéraire du journal intime qu’elle érige en œuvre si, et seulement si, le texte émane d’un écrivain et s’il se pose comme substrat d’une œuvre littéraire. Selon elle, le journal tend, chez de nombreux écrivains, vers deux directions antinomiques : celle d’un repli sur soi, parfois si intense qu’il entraîne un sentiment d’étouffement ; et celle d’un élan créatif faisant du journal un laboratoire d’écriture, « un lieu de préparation où s’élaborent des œuvres philosophiques, poèmes et romans23 ». Il faudra attendre quelques décennies pour que soit décelée dans l’écriture des journaux et des carnets une poétique particulière qui leur consacre ainsi une place à part dans la littérature. Selon Michel Braud, le journal s’est peu à peu imposé comme genre à une époque où le récit ne fait plus sens.
[Le journal porte] la crise du récit, […] il met en scène un individu totalement quelconque, ne représente pas rétrospectivement son combat contre les puissances du temps, mais il réduit le récit au mouvement du temps […] et ne conserve de la valeur exemplaire du récit que ce que peut offrir le point de vue unique et morcelé du sujet sur sa propre existence24.
19Cet aperçu de quelques ouvrages de référence consacrés au journal intime met en relief un paradoxe essentiel constitutif des journaux et carnets d’écrivains : ces ouvrages n’aspirent jamais du vivant de leur auteur au statut d’œuvre. Malgré cela, l’essence même de l’imagination poétique d’un écrivain figure bien souvent dans ces textes chaotiques et protéiformes. Comme Drieu La Rochelle le souligne à propos du Journal de Gide :
C’est une grande faiblesse que de tenir son journal au lieu d’écrire des œuvres. Quel aveu chez Gide qui y a concentré peut-être le meilleur de lui faute de trouver en lui-même quelque chose de meilleur que ce meilleur pour en faire des romans ou des pièces25.
20Les écrits de Coleridge, à notre sens, n’échappent pas à ce paradoxe, et son rapport à ses écrits est bien souvent ambivalent, oscillant entre fascination et dégoût. Les brûler ou les publier ?
21Kathleen Coburn souligne l’emploi très sporadique des carnets chez Coleridge lors des périodes intenses de création littéraire, notamment pendant l’annus mirabilis, de mars 1797 à septembre 1798, et pendant la rédaction de la Biographia Literaria. Selon elle, les carnets font, en quelque sorte, figure de substitut d’œuvre lorsque l’énergie créatrice s’épuise chez le poète26. Et pourtant les carnets sont bien souvent le lieu de résonances étranges avec les poèmes rédigés à la même période, un lieu où s’entrelacent des fragments d’observation du réel, des éclats poétiques, des aphorismes méditatifs, des bribes de lecture d’ouvrages divers. Du fait de cet inextricable enchevêtrement de fragments, la relation entre les carnets et l’œuvre semble bien plus complexe et indissociable qu’il n’y paraît. Ce qui est frappant, à la première lecture des Carnets, c’est l’extrême dispersion non seulement des sujets et des thèmes abordés mais également des voix et des instances, une forme qui rend difficile l’étude de ces textes fragmentaires. L’étymologie du mot « texte » nous renvoie à l’idée d’un tissu, et c’est dans ce sens que sera abordé le texte des Carnets dans cette étude. Non comme un tissu derrière lequel se cache un sens, mais comme une texture, voire une tessiture27, qui évoque tout à la fois l’idée de l’objet et du geste fabriquant cet objet. Roland Barthes l’explique ainsi dans Le Plaisir du texte :
Texte veut dire Tissu ; mais alors que jusqu’ici on a toujours pris ce tissu pour un produit, un voile tout fait, derrière lequel se tient, plus ou moins caché, le sens (la vérité), nous accentuons maintenant, dans le tissu, l’idée générative que le texte se fait, se travaille à travers un entrelacs perpétuel ; perdu dans ce tissu – cette texture – le sujet s’y défait, telle une araignée qui se dissoudrait elle-même dans les sécrétions constructives de sa toile28.
22Dans ce travail de tissage permanent, où l’écriture est avant tout un geste physique, celui d’un corps qui vient tracer sur une surface un entrelacs de lignes, les carnets esquissent le déploiement d’une pensée, la naissance d’un concept, d’un symbole, le frémissement d’un monde intérieur grâce à une prodigieuse acuité pour les mouvements les plus infimes de la nature, et à un type de support et d’écriture permettant de saisir l’idée naissante à la vitesse de l’éclair. Dans une belle réflexion sur les lignes, Tim Ingold voit dans le texte « un entrelacs de fils avant d’être une inscription de traces […] une étoffe délicatement tissée composée d’une myriade de fils entrelacés29 ». Le texte publié fait disparaître le ductus, le tracé comme reflet du mouvement de la main sur la surface, ou la manière dont la main se promène sur la page, et ne nous livre finalement qu’un assemblage d’éléments graphiques déconnectés. S’appuyant sur les travaux de généticiens et d’anthropologues, cette étude s’efforce de revenir à une conception du texte comme entrelacs de fils, où la lettre s’appréhende comme une ligne dessinée, une ligne en mouvement :
La forme et la ligne d’une lettre est aussi sensible et expressive que la qualité d’une ligne dans un dessin, et aussi personnelle que l’interprétation de la couleur, de la lumière et de la nuance pour un peintre30.
23Notre approche de l’écriture sera tout autant poétique que graphique. Si l’écriture produit un texte, elle est avant tout un geste physique et émotionnel, celui d’un corps en mouvement, de sens éveillés, d’affects engagés, et seule la page du manuscrit nous livre ces « lignes terribles » qu’évoque John Ruskin. Ce dernier, dans un traité intitulé The Elements of Drawing, conseillait aux dessinateurs novices de capter dans les lignes du paysage le passé et le potentiel futur des objets du monde naturel, et de reproduire par la ligne non pas l’objet figé mais toute l’intensité du mouvement qu’il porte en lui :
Le cancre pense qu’elles sont immobiles, et les dessine toutes figées ; le sage perçoit le changement ou ce qui change en elles, et les dessine ainsi – l’animal en mouvement, l’arbre en train de croître, le nuage dans sa course, la montagne en train de s’éroder. Lorsque vous regardez une forme, essayez toujours de voir ses lignes, celles qui ont influé sur sa destinée passée et auront une influence sur son avenir. Ce sont ses lignes terribles ; assurez-vous de les saisir, même si vous manquez le reste31.
24Ce mouvement naît d’une certaine disposition de l’esprit, comme Coleridge l’explique dans son essai « On Poesy or Art », qui implique une désappropriation du soi pour pouvoir « humaniser la nature » : « infusing the thoughts and passions of man into everything which is the object of his contemplation32 ». Le vrai travail de l’artiste ne consiste pas à reproduire la forme mais à suggérer le principe actif qui travaille toute chose :
The artist must imitate that which is within the thing, that which is active through form and figure, and discourses to us by symbols – the Natur-geist, or spirit of nature […]33.
25Fin contemplateur des mouvements du monde naturel, Coleridge avait l’habitude de reproduire dans ses carnets, lors de ses marches et excursions, les lignes des paysages. L’esquisse vient bien souvent se substituer au mot dans cette tentative de reproduire le mouvement inhérent à chaque objet naturel ; l’écriture se mue alors en dessin, et nous serions plutôt enclin à envisager l’écriture, dans ces extraits de manuscrits qui entremêlent l’écrit et le dessin, comme le dessin de lignes et la représentation d’un mouvement, celui de la pensée se saisissant de l’objet, et non comme une volonté de produire un texte et du sens.
26Uniques en leur genre, les Carnets de Coleridge témoignent donc de ses « lignes terribles » qui s’efforcent également de donner une forme aux éclairs de perception parfois à la limite de l’hallucination, aux images convoquées dans les rêves ou par la pensée sous emprise. La plume des Carnets fait jaillir l’éclat de cette pensée non pas formée et signifiante mais bégayante, avec ses bords et ses ratures, ses suspens et ses silences : une parole syncopée. Georges Gusdorf qualifie les cahiers de Valéry et des jeunes romantiques allemands de « vérité éclatée en brèves fulgurations34 ». Il s’agit en effet de pensées livrées à l’état brut, affleurant à l’esprit, et figées par l’écriture, sans canaux creusés « pour assurer la circulation entre les unes et les autres35 ». Joseph Joubert, auteur d’une œuvre unique, Les Carnets, interroge sans cesse la validité de l’écriture fragmentaire et voit dans les fragments des « gouttes de lumières », des « pensées qui nous viennent subitement, mais qui ne sont pas encore à nous36 ». Coleridge appelait ses carnets des « Fly-catchers37 », et il dépeint dans « The Eolian Harp » la naissance de ces pensées informes et éphémères : « Bubbles that glitter as they rise and break38 ». Ces termes mettent en relief le caractère précaire, fugitif, voire évanescent du fragment. Pensée saisie au vol par le langage, elle s’inscrit sur la page, en attente, en suspens. Le fragment fait vaciller le principe de construction et d’ordre. Coleridge avait en projet d’écrire une œuvre totalisante qui lui permettrait, par le langage, de réduire la diversité du monde en un tout harmonieux. Magnum Opus, dont quelques fragments apparaissent dans les Carnets, avait pour ambition de bâtir un système de pensée exhaustif et unique. Le fragment semble ainsi s’opposer à la totalité et témoigner de l’impossibilité de construire cet édifice littéraire qui serait l’aboutissement de la somme des lectures, réflexions et méditations d’une vie. Cependant, si le fragment vient signifier l’échec de l’œuvre ultime du poète romantique, quelle place pouvons-nous lui octroyer ? Si Kathleen Coburn souligne l’utilisation plus fréquente des carnets en période de faible production littéraire, doit-on nécessairement voir dans le fragment un espace où s’exile « l’échec d’une volonté de l’écriture39 » ?
27Les termes que nous avons cités pour désigner les fragments suggèrent, certes, une fragilité et évanescence de la forme, mais ils évoquent également l’idée d’un scintillement, d’un rayonnement ou d’un éclat qui confère au fragment une certaine forme de plénitude. De nombreux carnets, et particulièrement le Gutch Notebook, sont composés en partie de fragments poétiques non datés. L’absence de date, la forme de la brisure et le caractère bien souvent énigmatique, voire cryptique, des fragments contribuent, par un effet de détemporalisation, à libérer le texte de toute illusion référentielle, et à l’installer sur une autre scène poétique qui oscille perpétuellement entre le particulier et l’universel, l’esquisse et l’absolu, l’éphémère et l’infini. Les blancs qui circonscrivent le fragment font éclater le signifiant dans l’infini de ses signifiés et tendent alors à gommer le moi comme centre du texte. La figure du « je » dans les Carnets semble ainsi se placer en marge pour observer les mouvements de la pensée. Il n’y a pas de logique qui préside à l’écriture fragmentaire : ni lien, ni structure, ni articulation. Chaque fragment est réduit à l’essentiel. C’est ce que souligne Maurice Blanchot :
La parole de fragment ignore les contradictions, même lorsqu’elle contredit. Deux textes fragmentaires peuvent s’opposer, ils se posent seulement l’un après l’autre, l’un rapporté à l’autre par ce blanc indéterminé qui ne les sépare pas, ne les réunit pas, les porte à la limite qu’ils désignent et qui serait leur sens, si précisément ils n’échappaient là, hyperboliquement, à une parole de signification40.
28Pour Maurice Blanchot, l’ère romantique a signé l’avènement d’une véritable conversion de l’écriture, une liberté d’être et non plus une obligation de figurer, de circonscrire, de former un tout cohérent :
[…] le pouvoir, pour l’œuvre, d’être et non plus de représenter, d’être tout, mais sans contenu ou avec des contenus presque indifférents et ainsi d’affirmer ensemble l’absolu et le fragmentaire, la totalité, mais dans une forme qui, étant toutes formes, c’est-à-dire à la limite n’étant aucune, ne réalise pas le tout mais le signifie en le suspendant, voire en le brisant41.
29Selon nous, Coleridge a représenté dans ses Carnets ce concept d’une totalité « brisée » par le symbole de l’arc-en-ciel :
A Rainbow strangely preserving its form on broken clouds, with here a bit out, here a bit in, & yet still a rainbow even as you might place bits of colored ribbons at distances so as still to preserve the form of a Bow to the mind.42
The stedfast rainbow in the fast-moving, hurrying, hail-mist! What a congregation of Images & Feelings, of fantastic Permanence amidst the rapid Change of Tempest – quietness the Daughter of Storm. –43
30C’est par l’image que Coleridge parvient à rendre compte du rapport ambivalent qui lie le fragment au tout. Comme le souligne Mircea Eliade :
Si l’esprit utilise des images pour saisir la réalité ultime des choses, c’est parce que cette réalité se manifeste d’une manière contradictoire, et par conséquent qu’elle ne saurait être exprimée par des concepts44.
31Dans l’image qu’utilise Coleridge, l’idée de l’arc-en-ciel est bien présente dans l’esprit du spectateur, même si, sous ses yeux, des nuages assombrissent certaines parties. Ainsi, seul est offert au regard un ensemble morcelé et disparate de tissus colorés. Les Carnets, support graphique d’un processus de maturation de l’esprit tendant vers un absolu, ne peuvent prétendre qu’à une forme discontinue, brisée, parcellaire, mais chaque brisure renvoie, par tout un jeu de couleurs et de reflets, à l’idée de cette quête aporétique. Dans son Éloge de l’imparfait, Pierre Garrigues postule que le « vif du fragment » se situe « dans l’imperfection qui se dénonce comme aspiration à une perfection absente, illusoire, indicible ou en retrait45 ».
32Examinons ces quelques fragments du Gutch Memorandum Notebook, bel exemple de « l’association torrentielle des idées46 » du poète, rédigés de façon consécutive entre septembre et octobre 1796 :
There is not a new or strange opinion –
Truth returned from banishment –
a river run under ground –
fire beneath embers –47
Men anxious for this world – Owls that wake all night to catch mice48
Smooth, shining, & deceitful as thin Ice –49
33Ces fragments, nés de la lecture des sermons de Jeremy Taylor, instaurent tout un jeu de résonances poétiques et historiques qu’il est impossible de circonscrire. Chaque fragment semble disséminer des signes et des images, et établir un réseau de significations qui s’étend à toute sa pensée poético-philosophique. La lecture de ces fragments convoque, par la thématique du bannissement et de l’exil, les figures poétiques de Cain (dans « The Wanderings of Cain ») et du vieux marin. La rivière souterraine fait également naitre dans l’imaginaire du lecteur le paysage fantasmé de « Kubla Khan50 », mais elle évoque également le flux perpétuel de la vérité qui parvient toujours à sourdre même si elle doit être masquée pendant un temps51. Il y a également une référence à la Révolution française puisque l’image de la rivière souterraine figure dans une œuvre que Coleridge lisait à l’époque : The History of the Revolution of France translated from the French of M. Rabaut de Saint-Étienne (1792). Cet ouvrage, traduit par James White, associe la rivière souterraine aux institutions qui ne peuvent parfois continuer à exister que de façon dissimulée. Ce concept de l’occultation temporaire de la vérité est également imagé par la lueur persistante du feu sous les braises, et cette image renvoie le lecteur au poème « Frost at Midnight » :
With all the numberless goings-on of life,
Inaudible as dreams! the thin blue flame
Lies on my low-burnt fire, and quivers not;
Only that film, which fluttered on the grate,
Still flutters there, the sole unquiet thing.52
34Cette image est récurrente dans l’œuvre poétique et dans l’écriture privée de Coleridge. Dans le monde de silence qu’il évoque ici, cette lueur offre un reflet à la fois bienveillant et étranger par lequel l’esprit peut s’échapper et errer librement pour retrouver ses racines.
35Le premier fragment est plus énigmatique mais il entre en résonance avec l’incipit de ce même poème :
The Frost performs its secret ministry,
Unhelped by any wind. The owlet’s cry
Came loud – and hark, again! loud as before.53
36Dans « Frost at Midnight », le silence et l’immobilité de la nuit ne sont rompus que par le « cri » inquiétant de la chouette. Le poète fige le monde extérieur par le travail du gel pour faire naître un état de conscience nocturne, propice à la réminiscence et à la méditation. Le gel évoque, selon Denis Bonnecase, « un engourdissement intérieur54 » qui permet l’avènement de la « nuit de la stase coleridgienne55 ». Le décor, planté dans les premiers vers, d’une nature cristallisée par le gel offre un espace en marge, un espace de solitude et de recueillement qui va permettre une sortie de soi et une reconnaissance du désir du rapport à l’autre. L’image de la glace et de sa nature ambivalente, réversible, est évoquée dans le troisième fragment cité : « Smooth, shining, & deceitful as thin Ice ». Schème ambivalent dans l’œuvre poétique de Coleridge, la glace est à la fois source de création poétique (« Frost at Midnight ») et force pétrifiante et mortifère (« The Rime »56).
37Ces quelques fragments évoquent ainsi tout un jeu d’images et de symboles réinvestis dans les poèmes de l’annus mirabilis. Ils déclinent un infini de possibles, et leur caractère énigmatique, souvent obscur, ne permet à aucune signification stable et définitive d’émerger. Dans les multiples facettes de ces éclats de pensées, livrés à l’état brut, sans travail de polissage par le style et la rhétorique, jaillit, de façon fulgurante, toute la richesse, la complexité et l’ambiguïté d’un univers poétique façonné au fil de l’écriture des Carnets.
La stultitia ou l’agitation des pensées
38Les Carnets nous livrent ainsi une véritable mosaïque de descriptions, de croquis, d’images, de citations, de fragments poétiques, de mémoires, d’aphorismes. Kathleen Coburn ayant fait le choix d’une publication respectant l’ordre chronologique a ainsi quelque peu domestiqué le chaos de cette écriture. Cependant, les manuscrits reflètent plutôt un espace où l’esprit s’autorise un lâcher-prise, espace qui doit permettre de saisir sur le vif toute réflexion ou pensée fugitive, de nature évanescente, avant qu’elle ne s’évanouisse. Quel rôle dès lors assigner à l’écriture des Carnets ? N’est-elle que simple recueil d’images et de pensées ? Ou témoigne-t-elle également de cette nécessité vitale chez Coleridge d’unir le divers ? Un fragment rédigé lors de son voyage à Malte en mai 1804 rend compte, par une belle métaphore florale et organique, de la richesse et de la beauté des images qui surgissent dans son esprit, et de la volonté de les unir pour en conserver une trace. Néanmoins, cette capacité de création est immédiatement sapée par l’aveu de la perte du pouvoir combinatoire (« the effective Will ») ou de ce que Coleridge nommait également l’imagination créatrice :
I have many thoughts, many images; large Stores of the unwrought materials; scarcely a day passes but something new in fact or in illustration, rises up in me, like Herbs and Flowers in a Garden in early Spring; but the combining Power, the power to do, the manly effective Will, that is dead or slumbers most diseasedly –57
39Coleridge était également hanté par l’idée d’une possible emprise de l’esprit par « les cortèges de Pensées oubliées » :
O Heaven, when I think how perishable Things, how imperishable Thoughts seem to be! – For what is Forgetfulness? Renew the state of affection or bodily Feeling, same or similar – sometimes dimly similar / and instantly the trains of forgotten Thought rise from their living catacombs! – Old Men, & Infancy / and Opium, probably by its narcotic effect on the whole seminal organization, in a large Dose, or after long use, produces the same effect on the visual, & passive memory.58
40La réminiscence de certaines pensées est, selon lui, étroitement liée à la conscience corporelle et à l’affect. Telle une drogue, l’état affectif paralyse l’esprit et, comme par une dissociation du regard et de l’esprit, le « je » ne peut qu’assister de façon passive, avec une certaine jouissance morbide, à ces armées de pensées qui rejaillissent de manière inconsciente, ou du moins involontaire, et qui entraînent le poète dans les entrailles d’une architecture dantesque. Coleridge a poétisé cet « effet narcotique » de l’affect dans « The Pains of Sleep », ce sentiment d’errance et de terreur d’un autre, indéterminé et innommable, que fait naître une culpabilité indéfinissable :
But yester-night I prayed aloud
In anguish and in agony,
Up-starting from the fiendish crowd
Of shapes and thoughts that tortured me:
A lurid light, a trampling throng,
Sense of intolerable wrong
And whom I scorned, those only strong!59
41Rédigée au terme d’une marche éprouvante de 263 miles au cours de laquelle il sillonne les Highlands, se sépare brutalement des Wordsworth, est emprisonné à Fort Augustus, suspecté de jacobinisme, ce fragment de poème est inséré dans une lettre à Robert Southey datée du 11 septembre 1803. Coleridge lui confie le sentiment de terreur qui l’assaille la nuit dans son sommeil60. À cette même époque, il note également dans ses Carnets ce sentiment indéfinissable de culpabilité :
I slept again with dreams of sorrow & pain, tho’ not of downright Fright & prostration / I was worsted but not conquered – in sorrows and in sadness & in sore & angry Struggles – but not trampled down / but this will all come again, if I do not take care.61
42Un « quelque chose » crée un sentiment d’effroi, mais celui-ci, par l’emploi de la voix passive, n’est jamais nommé. La structure de la phrase ralentit le rythme (« in sorrows and in sadness & in sore & angry Struggles ») et traduit le sentiment d’écrasement du rêveur face à cette chose effacée par la syntaxe de la phrase. Après avoir écrit à Southey, il rédige à son épouse une longue lettre dans laquelle il qualifie son expédition écossaise de « mélancolique62 ». La confusion est parfois si intense que seule l’écriture s’offre comme une sorte d’enceinte pour se protéger de l’invasion et de l’agression des pensées dont il est victime dans ses cauchemars. L’écriture de soi semble alors se faire ascétique, au sens que lui donne Michel Foucault dans son essai sur « L’écriture de soi63 », une manière de discipliner les pensées et les actions. L’état d’esprit dans lequel Coleridge se dépeint dans les différents fragments que nous avons cités évoque ce que Foucault nomme la « stultitia64 », une notion qu’il reprend des écrits de Sénèque. Le sujet est victime de l’agitation, du grouillement des pensées, et se perçoit alors comme un objet soumis aux forces du monde extérieur. Les pensées s’insinuent, pénètrent par force dans l’esprit et se mêlent à une multitude d’autres images, pensées et représentations. Le sujet se retrouve balloté au cœur de toutes ces représentations contradictoires et ambivalentes qui lui ôtent toute capacité de volonté et toute maîtrise de soi. Le poème « The Pains of Sleep » décrit très précisément cet état mental où le poète ne peut plus faire face aux turpitudes des pensées qui saisissent son esprit et réduisent sa volonté à néant.
43La lettre, le carnet et le poème offrent ainsi une sorte d’exutoire par lequel le poète peut tenter de se libérer de cette stultitia pour se rassembler et se reconstruire. La lettre et le poème impliquent néanmoins un processus plus élaboré de construction : le poème par la versification, et la lettre par la conscience du regard d’autrui. En témoignent ainsi les deux lettres citées ci-dessus, celle à Southey, empreinte d’une profonde mélancolie, et celle à sa femme Sara, teintée d’un certain espoir. Reste le carnet qui joue également le rôle d’un compagnon, d’un confident, mais qui permet une décharge plus immédiate des affects et des sentiments. Une note rédigée en mai 1808 décrit ce grouillement de pensées moribondes lorsque le poète se place dans un état de passivité:
If one thought leads to another, so often does it blot out another. – This I find, when having lain musing on my Sopha, a number of interesting Thoughts having suggested themselves, I conquer my bodily indolence & rise to record them in these books, alas! my only Confidants. – The first Thought leads me on indeed to new ones; but nothing but the faint memory of having had them remains of the others, which had been even more interesting to me. – I do not know, whether this be an idiosyncracy, a peculiar disease, of my particular memory – but so it is with me – My Thoughts crowd each other to death.65
44Dans cet état d’indolence, l’esprit ne se fixe sur rien et les pensées s’évanouissent comme des bulles de savon, pour reprendre la métaphore de Coleridge. Idiosyncrasie ou affection de l’esprit, Coleridge a toujours combattu par l’écriture cette atonie de la pensée qu’il nomme également fancy. Michel Foucault évoque l’utilisation des hupomnêmata à l’époque de Sénèque. Il s’agissait de carnets de notes qui permettaient de mettre en place une pratique d’écriture destinée à contrer la stultitia qui « tourne l’esprit vers l’avenir et l’empêche de se donner un point fixe dans la possession d’une vérité acquise66 ». Ainsi, par l’exercice de la raison et par une pratique du rassemblement, le sujet peut tendre vers la constitution d’une identité stable. Ce terme est intéressant dans notre étude des Carnets car il est possible de repérer un certain nombre de similitudes entre les carnets de Coleridge et les hupomnêmata. Selon Michel Foucault, trois points essentiels caractérisent ces carnets de notes qui, selon lui, constituent un véritable « guide de conduite67 » pour dissiper les ombres dans le combat spirituel que livre l’individu : l’écriture comme recueil des lectures, la pratique du disparate et l’unification.
45La formation de soi est un exercice de raison qui doit passer par la lecture et le recueillement qu’elle engendre. Coleridge était un avide lecteur (« a library cormorant68 », comme il se désignait lui-même), et les Carnets sont constellés de citations d’ouvrages couvrant de vastes domaines, théologique, philosophique, scientifique ou littéraire, ne possédant aucun ancrage particulier dans une époque, un lieu ou une langue. Dans une note rédigée après 1808, il se range dans la catégorie des lecteurs qu’il qualifie de « Great-Moguls Diamond Sieves », ceux qui sont à même de filtrer les joyaux de l’écriture et de laisser s’écouler l’impur69. Ce réservoir de citations offre ainsi une « mémoire matérielle70 » pour un recueillement et une méditation régulière. L’écriture constitue par là même un corpus de lecture et aide la raison à se forger des points d’ancrage et de référence.
46D’autre part, l’écriture de la note est avant tout une « pratique réglée et volontaire du disparate71 ». Sans volonté d’établir un système cohérent, elle implique néanmoins un choix, une sélection des matériaux et des passages qui constituent une vérité ou une formulation appropriée dans l’instant de notation. Cet exercice de raison doit permettre à l’esprit de retrouver cette capacité à déterminer (et non plus à être déterminée). Enfin, Sénèque souligne la nécessité de ne pas demeurer dans l’hétérogène et le disparate, mais de tendre, par « l’absorption » de ses lectures, à la constitution d’une identité au sein de laquelle s’inscrirait en filigrane ce corps de lecture :
Le rôle de l’écriture est de constituer, avec tout ce que la lecture a constitué, un « corps ». Et ce corps, il faut le comprendre non pas comme un corps de doctrine, mais bien […] comme le corps même de celui qui, en transcrivant ses lectures, se les a appropriées et a fait sienne leur vérité : l’écriture transforme la chose vue ou entendue « en force et en sang72 ».
47Il serait tentant de voir les Carnets de Coleridge comme une forme d’avatar des hupomnêmata. N’en possèdent-ils pas les différents constituants ? Les Carnets sont en effet émaillés de citations qui constituent le substrat de son œuvre poético-philosophique. John Livingston Lowes a mené une étude très poussée73 sur les différentes sources qui alimentent sa création poétique, en décortiquant les citations des ouvrages de découverte et d’exploration des xviie et xviiie siècles figurant dans le Gutch Notebook et en montrant comment cette somme de lectures resurgit dans les poèmes « Kubla Khan » et « The Rime of the Ancient Mariner ». Coleridge s’efforçait de convertir en énergie d’écriture ses fréquentes crises d’anxiété ou de stultitia, énergie qui lui permettait de faire converger ses lectures en un principe d’unité. Ainsi, cette note rédigée en 1808 évoque la notion d’emprunt d’une science à une autre, la chimie pouvant nourrir la connaissance de l’esprit humain et celle du langage, et suggère que, selon la formulation de Michel Serres, « du cognitif rôde dans la vie et la matière74 » :
Mem. – I am persuaded that the chemical technology, as far as it was borrowed from Life & Intelligence, half-metaphorically, half-mystically, may be brought back again (as when a man borrows of another a sum which the latter had really previously borrowed of him, because he is too polite to remind him of a Debt) to the use of psychology in many instances – & above all, in the philosophy of Language –75
48Les Carnets ont certes de nombreuses fonctions qu’il serait vain de tenter de lister ici. Ils ont, sans conteste, joué un temps le rôle de recueil de citations, d’impressions ou d’images, propre aux hupomnêmata évoqués par Michel Foucault. Il serait néanmoins réducteur de n’y voir que cette fonction. Outre les fonctions littéraires de recueil de matériaux, de travail sur les langues et les phonétiques, d’observations empiriques, de réflexions métaphysiques ou de méditations ontologiques, nous pourrions également voir dans les Carnets un espace de dégorgement tel que Sainte-Beuve l’envisageait, un refuge matriciel, un espace d’exégèse du monde, de l’autre et de soi. Les carnets remplissent à la fois toutes ces fonctions mais ne se limitent à aucune d’entre elles. Comme nous l’avons dit, nous ne sommes pas dans le registre du journal intime. Nous touchons à l’intériorité mais dans un rapport complexe avec le dehors et l’autre. Certes, les carnets s’offrent parfois comme espace de repli, mais aucune dynamique centripète ne gouverne l’écriture des Carnets. L’écriture se veut exploratoire, innovante. Rappelons-le, l’écriture diaristique avait pour le poète une fonction méliorative qui devait lui permettre de cheminer vers cette vérité d’essence spirituelle : « processes of a mind working toward truth ». Dans ce méta-discours, on lit davantage l’idée d’une dynamique vers l’avant, d’une quête tâtonnante de vérité, que celle d’un réservoir posant les bases d’une vérité déjà acquise.
If I should die without having destroyed this & my other Memorandum Books, I trust, that these Hints & first Thoughts, often too cogitabilia rather than actual cogitata a me, may not be understood as my fixed opinions – but merely as the suggestions of the disquisition; & acts of obedience to the apostolic command of Try
ingall things: hold fast that which is good.76
49Le principe unifiant de l’œuvre de Coleridge est la réconciliation des opposés. Dans une entrée datée de décembre 1803, il octroie à son carnet de notes le rôle de réservoir de toutes les images, réflexions ou observations qui lui permettraient d’établir le fondement de ce principe.
I have repeatedly said, that I could have made a Volume, if only I had noted down, as they occurred to my Recollection or Observations, the instances of the Proverb, Extremes Meet / – This Night, Sunday, Dec. 11, 1803, ½ past 11, I have determined to devote the last 9 pages of my Pocket[book] to the collection of the same.
Extremes meet
The parching Air
Burns frore, and Cold performs the Effect of Fire.
Par. Lost, Book 2. 594.
Insects by their smallness, the Mammoth by its hugeness, terrible.
Sameness in a Waterfall, in the foam Islands of a fiercely boiling Pool at the bottom of the Waterfall, from infinite Change.
[…] Dark with excess of Light.
Self-absorption & Wordly-mindedness.
[…] Nothing & intensest absolutest Being.
Despotism and ochlocracy.77
50Les Carnets prennent ici cette fonction bien particulière de recueil de citations, d’observations sociales et politiques, d’images, sans classification particulière, comme elles viennent à l’esprit ou au regard. Ainsi se mêlent l’insecte face au mammouth, l’obscurité et l’excès de luminosité, le despotisme et la gouvernance du peuple, le rien et l’être dans son absolu le plus intense. Toutes les notes qu’il décline après l’oxymore emprunté à Milton, et placé en exergue de son présupposé idéologique et philosophique, suivent un même fil conducteur. L’image de la cascade et des tourbillons d’eau qu’il évoque dans la liste d’union des contraires est singulièrement représentative du mouvement d’ensemble des Carnets, et cette image rejaillit régulièrement au fil de l’écriture78. Ce langage naturel est pour Coleridge la plus belle représentation non seulement d’une vision organique du temps mais également d’une possible recomposition d’une unité perdue. Il explicite cette vision lors de son voyage à Malte :
The quiet circle in which Change and Permanence co-exist, not by combination or juxtaposition, but by an absolute annihilation of difference / column of smoke, the fountains before St Peter’s, waterfalls / god! – Change without loss – change by a perpetual growth, that <once constitutes & annihilates change> the past, & the future included in the Present // oh! It is aweful.79
51Georges Poulet souligne la prégnance du motif du cercle chez les romantiques et particulièrement dans l’écriture coleridgienne qui serait, selon lui, la parfaite représentation des pouvoirs de l’imagination. L’image de la fontaine, de la cascade ou du tourbillon d’eau montre la possible « coexistence » de l’idée du changement et de celle de l’immuabilité. Au centre du cercle ou du tourbillon se trouve l’imagination qui irradie, rayonne et embrasse ainsi, cercle après cercle, « la variété périphérique » :
Au contraire de la fantaisie, sa diffusion est la projection d’une force unificatrice. Dans la masse désordonnée et évanescente elle introduit le principe agrégateur indispensable à la transformation de la pluralité en la beauté80.
52Coleridge interroge ici la possibilité de voir dans le rapport qui se noue entre les choses et objets du monde et le soi, non pas une simple fonction imageante – le monde naturel comme reflet, miroir ou corrélat des rouages de la pensée – où l’esprit doit triompher de la matière naturelle, mais un véritable processus dynamique d’échange et de brassage. La matière est envisagée comme vivante et dotée de facultés qui ne sont pas étrangères à l’esprit humain. Comme Ruskin, précédemment cité, l’affirme, la matière porte en elle la mémoire d’un passé, par les strates et couches successives qui constituent l’objet naturel, et le potentiel de son devenir. Dans ses carnets, Coleridge se refusait d’y figer des formes, ayant recours à l’esquisse et à la ligne pour traduire cette porosité des frontières entre la chair du soi et celle du monde, porosité née d’une intense contemplation du monde naturel :
The rocks and Stones
seemed to liveput on a vital semblance; and Life itself thereby seemed to forego its restlessness, to anticipate in its own nature an infinite repose, and to become, as it were, compatible with Immoveability.81
53L’union des contraires, qui fonde le principe d’Être, ne naît plus dans l’objet et uniquement par l’objet, mais dans un rapport à l’objet qui engage la force inhérente organique de l’objet (« rocks and Stones ») et celle de l’Être (« Life »)82. Comme Michel Serres l’écrit : « N’existe-il donc pas, dans les choses du monde, des fonctions que nous croyons exclusives de l’entendement humain ? » Et d’ajouter :
La connaissance, dont le préfixe associe, en sa genèse, les sujets aux qualités intimes des objets, prend sa place dans nos actes symbiotiques83.
54Les carnets de Coleridge seraient ainsi un acte de connaissance tel que le définit Michel Serres, acte qui s’inscrit dans le mouvement permanent et le rapport complexe du soi à une matière envisagée comme fluide, vivante et fortifiante. Acte symbiotique également, qui s’inscrit par ces lignes et fils d’écriture qui semblent se ramifier à l’infini.
Notes de bas de page
1 Quelques carnets sont conservés à la Victoria College Library de l’université de Toronto. La Berg Collection de la New York Public Library et la Huntington Library, en Californie, sont également en possession d’un manuscrit.
2 Voir la thèse publiée de Suzanne Webster, consacrée aux carnets des volumes 4 et 5 : Body and Soul in Coleridge’s Notebooks, 1827-1834: “What is Life?”, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010.
3 S. Perry (éd.), « About Everything, or Leisure Hours », dans Coleridge’s Notebooks. A Selection, 2002, p. xi.
4 LR1, p. vii.
5 NB, vol. 1, t. Text, p. xviii-xix. (« Quand trouverai-je le temps et la capacité de réduire mes Carnets de poche et Mémorandums en un Index ou Memoriae Memorandorum. Si – mais hélas ! – si je pouvais voir la dernière feuille de mon “Assertio Fidei Christianae” et “Eterni temporizantis” ; ayant précédemment vu mes “Elements of Discourse, Logic, Dialectic, et Noetic” ou “Canon, Criterion, and Organon”, avec le Glossaire philosophique – dans une édition, et les “Exercises in Reasoning” dans une autre – si – et ensuite ? Et bien, je publierais tout ce qui demeure inutilisé, les Voyages et autres, sous le Titre : Excursions à l’étranger et au Pays, ce que j’ai vu et ce que j’ai pensé et avec un peu de ce que j’ai ressenti, tel que je l’ai dit et exprimé à mes Carnets de poche, les Confidents qui ne m’ont pas trahi, les Amis dont le silence n’était point dénigration, et les Proches devant qui je ne ressentais aucune honte à me lamenter, à me languir, à pleurer – ou même à prier ! »)
6 E. H. Coleridge, Anima Poetae. From the Unpublished Notebooks of S. T. Coleridge, 1895, p. vi.
7 Ibid., p. ix.
8 K. Coburn, In Pursuit of Coleridge, 1977, p. 27. (« Vous savez, ce vieux Sam n’était qu’un poète, il n’a jamais rien fait de bien utile pour personne. En fait, nous n’avons que peu d’estime pour lui, il a plutôt déshonoré la famille en consommant de la drogue et en s’occupant si mal de sa femme et de ses enfants. […] j’ai du mal à concevoir pourquoi une jeune fille comme vous devrait perdre son temps avec ce vieux dépravé ! »)
9 Ibid., p. 62. Kathleen Coburn relate ce travail d’une vie avec beaucoup d’humour dans ses mémoires intitulés In Pursuit of Coleridge.
10 Pour n’en citer que quelques-uns, mentionnons : le professeur John L. Lowes, dont l’importante étude The Road to Xanadu: A Study in the Ways of the Imagination (1927) avait nécessité l’utilisation du Gutch Memorandum Notebook, un des tout premiers carnets de Coleridge ; le professeur John H. Muirhead ; Elizabeth Schneider ; les professeurs R. C. Bald et Earl Leslie Griggs. Kathleen Coburn a collaboré également avec un certain nombre de linguistes pour les passages rédigés dans une langue étrangère. Pour une compréhension plus juste et plus fine de certains passages écrits lors des nombreux déplacements de Coleridge, l’universitaire a également souhaité suivre les traces du poète de l’Allemagne à Malte, en passant par la Sicile et l’Italie.
11 NB, vol. 1, t. Text, p. xxi.
12 « Landor’s Poetry, Beauty, Chronological Arrangement of Works », dans Specimens of the Table Talks of S. T. Coleridge, Projet Gutenberg, en ligne : <https://www.gutenberg.org/files/8489/8489-8.txt> (consulté le 30 janvier 2017). (« Malgré tous vos arguments, je pense que l’ordre chronologique est le meilleur agencement qu’il soit pour l’œuvre d’un poète. En l’occurrence, toutes vos divisions sont inadéquates, et elles mettent à mal l’intérêt que fait naître la contemplation du cheminement, de la maturation et même de la déchéance du génie. »)
13 M. Braud, La Forme des jours. Pour une poétique du journal personnel, 2006.
14 Nous reprendrons ici la terminologie de Michel Braud, ibid., p. 166. Il distingue l’entrée de la note, l’entrée étant un fragment daté à l’inverse de la note qui n’a pas d’indication temporelle et marque donc « un acte d’énonciation autonome ».
15 NB1, 1614. (« Lever de lune sur la Montagne pâle – le Ciel très indistinct et marbré ou tâché d’eau comme un Dais bleu Marine – et dans les Intervalles bleus les Étoiles toutes faibles, et sans lustre (avant que je ne les regarde fixement, une seule de toutes les Étoiles scintillait) – […] Mardi Minuit – minuit trois quarts. 25 Octobre. » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
16 La vaste correspondance de Coleridge a été une aide précieuse pour ancrer les fragments dans le temps ainsi que ses annotations de livres, les « marginalia », très souvent datées. Son œuvre poétique a également permis de fournir des clés de datation en partant du postulat qu’un fragment poétique des Carnets ne pouvait avoir été écrit après la date de composition d’un poème, les Carnets servant en quelque sorte de laboratoire d’écriture pour sa création poétique.
17 M. Braud, La Forme des jours. Pour une poétique du journal personnel, 2006, p. 167.
18 M. Blanchot, L’Espace littéraire, 1955, p. 24.
19 R. Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, 1975, p. 89.
20 M. Leleu, Les Journaux intimes, 1952.
21 A. Girard, Le Journal intime et la notion de personne, 1963.
22 A. Girard, « Le journal intime, un nouveau genre littéraire ? », 1965, p. 109.
23 B. Didier, Le Journal intime, 1976, p. 190.
24 M. Braud, La Forme des jours. Pour une poétique du journal personnel, 2006, p. 281.
25 Cité par M. Braud, ibid.
26 NB, vol. 1, t. Notes, p. xlii : « It is noticeable, and in a way regrettable, that the annus mirabilis is so bare of notebook entries, but the fact is significant for the relation between the notebooks and Coleridge’s finished works. As later notebooks will, I think, show also, in the periods of drive and confidence, of “strength” as well as “power” (to use his own words) when the Ancient Mariner or Biographia Literaria was being written, he had little recourse to notebooks. N 21 shows clearly, or so I believe, that the notebooks were to some extent a substitute for more sustained works. » (« Il est remarquable, et dans une certaine mesure regrettable, que les fragments des carnets soient si absents de l’annus mirabilis, mais ce fait jette un éclairage sur le rapport entre les carnets et les travaux publiés de Coleridge. Les carnets à venir montreront aussi, je pense, que dans les périodes où il était mû par une énergie et une assurance, les périodes de “force” et de “pouvoir” (pour utiliser ses propres termes) pendant lesquelles Le Dit du vieux marin ou la Biographia Literaria ont vu le jour, il n’utilisait que peu ses carnets. Le carnet 21 montre clairement, du moins je le pense, que les carnets étaient, dans une certaine mesure, le substitut d’œuvres plus consistantes. »)
27 Terme emprunt à l’italien tessitura qui signifie à la fois « tissage » et « objet tissé » (voir : <www.cnrtl.fr/etymologie/tessiture>, consulté le 30 janvier 2017).
28 R. Barthes, Le Plaisir du texte, 1973, p. 101. Les mots « texte » et « textile » sont tous deux dérivés du verbe textere signifiant « tisser ».
29 T. Ingold, Une brève histoire des lignes, traduction de S. Renaut, Bruxelles, Zones sensibles, 2013, p. 84.
30 R. Sassoon, The Art and Science of Handwriting, Bristol, Intellect Books, 2000, p. 179.
31 J. Ruskin, The Elements of Drawing, cité par T. Ingold, Une brève histoire des lignes, ouvr. cité, p. 169.
32 J. Shawcross (éd.), S. T. Coleridge, « On Poesy or Art », dans Biographia Literaria, 2 vol., Oxford, OUP, 1907, vol. 2, p. 253 (« instiller les pensées et passions de l’homme dans toute chose qui est l’objet de sa contemplation »).
33 Ibid., p. 259. (« L’artiste doit imiter ce qui est à l’intérieur de la chose, ce qui est actif à travers la forme et la figure, et nous parle par symboles – la Natur-geist, ou esprit de la nature […]. »)
34 G. Gusdorf, Auto-bio-graphie, 1991, p. 168.
35 Ibid.
36 J. Joubert, Les Carnets, 1938, vol. 2, respectivement p. 885 et 476.
37 NB5, 6450.
38 PW, p. 102, v. 56 (« Des bulles qui scintillent alors qu’elles s’élèvent et éclatent »).
39 F. Susini-Anastopoulos, « Fragment », 1994.
40 M. Blanchot, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 517.
41 Ibid., p. 518.
42 NB2, 2371. (« Un Arc-en-ciel préservant étrangement sa forme à travers des nuages effilochés, ici et là des morceaux qui apparaissent ou disparaissent, et néanmoins toujours un arc-en-ciel ; comme si vous placiez à quelque distance des bouts de rubans colorés pour garder à l’esprit la forme d’un Arc. »)
43 NB1, 1246. (« L’arc-en-ciel constant au sein de cette brume mêlée de grêle qui se déplace si vite, si précipitamment ! Quelle constellation d’Images et de Sentiments, fantastique Permanence au sein du rapide Changement de la Tempête – le calme, Fille de l’Orage. – »)
44 M. Eliade, Images et symboles, 1979, p. 17.
45 P. Garrigues, Éloge de l’imparfait, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 7.
46 Carnets, traduction de P. Leyris, ouvr. cité, p. 28.
47 NB1, 177 (« Il n’y a pas d’opinion nouvelle ou étrange – / laVérité de retour d’exil – / une rivière coule sous la terre – / le feu sous les braises – »).
48 NB1, 178 (« Les Hommes pleins de solicitude pour ce monde – les Hiboux éveillés toute la nuit pour attraper des souris »).
49 NB1, 179 (« Lisse, luisant et trompeur comme une fine couche de Glace – »).
50 PW, p. 297, v. 26-28 : « Through wood and dale the sacred river ran, / Then reached the caverns measureless to man, / And sank in tumult to a lifeless ocean; » (« À travers bois et val se lançait l’eau sacrée, / Qui, gagnant les abîmes à l’homme insondables, / En tumulte sombrait vers un océan mort ; » traduction de H. Parisot, 1975).
51 Voir également F1, p. 65.
52 PW, p. 240, v. 12-16. (« L’innombrable foule des actes de la vie, / Purs rêves inaudibles ! La petite flamme bleue / À mon feu, très bas, repose sans trembler ; / N’y palpite, seul témoin d’inquiétude, / Que la mince pellicule qui dansait sur la grille. » Traduction de J. Darras, ouvr. cité.)
53 PW, p. 240, v. 1-3. (« Le gel poursuit son ministère secret / Sans l’agence du vent. La chouette hulule / Long et fort – deuxième cri, non moins fort, écoutez ! » Traduction J. Darras, ouvr. cité.)
54 D. Bonnecase, S. T. Coleridge : poèmes de l’expérience vive, 1992, p. 159.
55 Ibid.
56 La terre de glace est ainsi décrite dans la glose marginale du poème (PW, p. 189) : « The land of ice, and of fearful sounds where no living things was to be seen. » (« La région des glaces et des bruits effrayants, où l’on ne voyait rien de vivant. » Traduction de H. Parisot, 1975.)
57 NB2, 2086. (« J’ai beaucoup de pensées, beaucoup d’images ; de larges Magasins de matériaux non travaillés ; il se passe à peine un jour sans que quelque chose de neuf, fait ou illustration, se lève en moi, comme les Herbes et les Fleurs dans un Jardin au début du Printemps ; mais le Pouvoir combinatoire, le pouvoir de faire, le viril, l’effectif Vouloir, cela est mort ou sommeille de la façon la plus morbide. » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
58 NB1, 1575. (« Ô Ciel, quand je pense combien les Choses sont périssables, combien impérissables semblent être les Pensées ! – Car qu’est-ce que l’Oubli ? Renouvelez l’état affectif ou la Sensation corporelle, pareil ou similaire – quelquefois confusément similaire / et instantanément les cortèges de Pensées oubliées surgissent de leurs vivantes catacombes ! – Les Vieillards et la Petite Enfance / et l’Opium, probablement du fait de son effet narcotique sur tout le système séminal, en large Dose, ou après un long usage, produit le même effet sur la mémoire visuelle et passive. » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
59 PW, p. 389, v. 14-20. (« Hier au soir, c’est à voix haute / Que j’ai prié dans ma douleur, / Aux démons m’arrachant, formes et / Pensées, dont la foule me torture : / Lumières blessantes, piétinements, / Intolérable sens d’être en tort, / De mépriser qui ? les plus forts ! » Traduction de J. Darras, ouvr. cité.)
60 CL2, p. 435 : « I do not know how I came to scribble down these verses to you – my heart was aching, my head all confused – but they are, dogrels as they may be, a true portrait of my nights. » (« Je ne sais pas comment j’en suis venu à gribouiller ces vers dans cette lettre – mon cœur souffre, ma tête est confuse – mais aussi absurdes soient-ils, ils sont un fidèle portrait de mes nuits. ») Voir, à ce sujet, la lecture et l’interprétation de Tim Fulford qui s’appuie sur les liens entre poétique et politique, et qui replace l’écriture de ce poème dans le contexte des révoltes jacobines et de l’intense climat de suspicion de l’époque. Davantage le produit d’un inconscient politique refoulé que d’une prise excessive d’opium, ce poème fait, selon lui, ample usage de stratégies d’« obfuscations rhétoriques » lui permettant à la fois de dire et de masquer son passé de révolutionnaire jacobin (« Coleridge’s Visions of 1816: The Political Unconscious and the Poetic Fragment », Coleridge Bulletin, new series no 42, winter 2013, p. 1-14).
61 NB1, 1577. (« À nouveau, mon sommeil était accompagné de rêves de peines et de douleurs, mais non pas de pure Terreur et prostration / j’avais le dessous mais je n’étais pas vaincu – en peines et en tristesse et en douleur et en Lutte animée par la colère – mais je n’étais pas piétiné / mais ceci rejaillira, si je ne suis pas vigilant. »)
62 CL2, p. 517 : « It has been an instructive tho’ melancholy Tour. » (« Cette Expédition a été édifiante mais néanmoins mélancolique. »)
63 M. Foucault, « Le gouvernement de soi et des autres », 2004.
64 Ibid., p. 829.
65 NB3, 3342. (« Si une pensée mène à une autre, bien souvent elle peut également en effacer une. – Je m’en rends compte quand, allongé sur mon Sofa pour songer, un certain nombre de Pensées intéressantes traversent mon esprit, je conquiers alors mon Indolence corporelle et me lève pour les noter dans mes carnets, hélas ! mes seuls Confidents. – La première Pensée me mène à de nouvelles pensées ; mais seul un vague souvenir de les avoir eues demeure des autres, qui étaient selon moi plus intéressantes encore. – Je ne sais pas si c’est une idiosyncrasie, une maladie spécifique, de ma mémoire en particulier – mais c’est ainsi avec moi – Mes Pensées se bousculent les unes les autres jusqu’à en mourir. »)
66 M. Foucault, « Le gouvernement de soi et des autres », 2004, p. 829.
67 Ibid., p. 826.
68 CL1, p. 261 : « un cormoran de bibliothèque ».
69 NB3, 3243 : « and lastly, the Great-Moguls Diamond Sieves – […] who assuredly retain the good, & while the superfluous or impure passes away & leaves no trace / » (« et enfin, les Grands Tamiseurs en Chef de Diamants – […] qui asssurément retiennent le pur, et pendant que le superflu et l’impur s’en vont, ne laissant aucune trace / »).
70 M. Foucault, « Le gouvernement de soi et des autres », 2004, p. 829.
71 Ibid., p. 830.
72 Ibid., p. 832-833.
73 J. L. Lowes, The Road to Xanadu: A Study in the Ways of the Imagination, 1927.
74 M. Serres, L’Incandescent, Paris, Le Pommier, 2003, p. 66.
75 NB3, 3312 (« N. B. – Je suis persuadé que la technologie chimique, puisque empruntée à la Vie et à l’Intelligence, mi-métaphoriquement, mi-mystiquement, peut être à nouveau ramenée (comme lorsqu’un homme emprunte à un autre une somme d’argent que ce dernier lui avait précédemment empruntée, car il est trop poli pour lui rappeler cette Dette) à la psychologie dans de nombreux cas – et par-dessus tout, à la philosophie du Langage – »).
76 NB3, 3881. (« Si je dois mourir avant d’avoir eu le temps de détruire ceci et mes autres Mémorandums, j’ai confiance que ces Indices et Pensées premières, plus souvent des pensées en devenir que des pensées déterminées, ne seront pas appréhendées comme mes opinions figées – mais seulement comme des suggestions nées de cette recherche par l’Esprit ; et comme des vœux d’obéissance à l’ordre apostolique d’Essayer toute chose : tenir fermement ce qui est bon. »)
77 NB1, 1725. (« J’ai dit de manière répétée que j’aurais pu faire un Volume si seulement j’avais noté, à mesure qu’ils s’offraient à mes Souvenirs et à mes Observations, les exemples du Proverbe Les Extrêmes se Touchent / – Cette Nuit, Dimanche 11 Décembre 1803, à 11 h ½, j’ai résolu de consacrer les 9 dernières pages de mon Calepin à les collecter. // les extrêmes se touchent // L’Air torride / Brûle glacé, et le Froid produit l’Effet du Feu. / Par. Perdu, Livre 2, 594. // Les Insectes terribles par leur petitesse, le Mammouth par son énormité. / Similitude dans une Cascade, dans les Îles d’écume du Bassin qui bouillonne furieusement au pied de la Cascade, du fait d’un Changement sans fin. / […] Obscur par excès de Lumière. / Absorption en soi et Souci des Mots. / […] 10. Rien et l’Être le plus intense et le plus absolu. / 11. Le Despotisme et l’ochlocratie. » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
78 Voir NB1, 1154, 1158, 1426, 1589, 1725 et 1778.
79 NB2, 2832. (« Le Cercle tranquille dans lequel le Changement et la Permanence coexistent non par combinaison ou juxtaposition, mais par une annihilation absolue de la différence / colonne de fumée, les fontaines devant St-Pierre, les Cascades / dieu ! – Changement sans perte – changement par une perpétuelle croissance qui < à la fois constitue et annihile le changement > le passé, et le futur inclus dans le Présent // oh ! c’est redoutable. » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
80 G. Poulet, Les Métamorphoses du cercle, 1999, p. 9-10.
81 NB1, 1189. (« Les rochers et les Pierres prenaient semblance de vie ; et la Vie elle-même semblait répudier son agitation, pour anticiper dans sa propre nature un repos infini, et devenir, en quelque sorte, compatible avec l’Immuabilité. » Traduction de P. Leyris, ouvr. cité.)
82 Voir, à ce sujet, K. Page-Jones, « “One travels along with the Lines of a mountain”: Lines in Motion and Thoughts in Act in the early Notebooks of S. T. Coleridge », Coleridge Bulletin, new series no 44, winter 2014.
83 M. Serres, L’Incandescent, 2003, respectivement p. 64 et 67.
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