Chapitre II
Mouvements rossiniens
p. 71-96
Texte intégral
Émotion et mouvement
1Étymologiquement parlant, l’émotion signifie le mouvement, voire le trouble ou le frisson de fièvre1. Dans la période charnière qui voit l’épanouissement du romantisme français, cette idée trouve une application particulièrement forte dans une œuvre originale : la Vie de Rossini de Stendhal, publiée en 1823. Rossini est un sujet délicat par excellence, puisque sa vie, de l’aveu même de son biographe, « ne laisse d’autres traces que le souvenir des sensations agréables dont il remplit tous les cœurs2 ». Dès la préface de l’œuvre, un premier obstacle de taille est pointé du doigt : la « vie », au-delà du travail habituel du biographe (recherche et analyse des sources, interrogation de témoins et de proches, etc.) aura pour objectif principal de transmettre par le papier des émotions musicales.
2Pour y parvenir, Stendhal va tenter de rendre sa biographie conforme au style de Rossini, principalement en se réappropriant l’une des caractéristiques fondamentales de ce style et de ses effets sur le public, du moins tels que le biographe les perçoit, c’est-à-dire en termes de mouvement. Peu présent dans l’œuvre, ce mot apparaît dans quatre commentaires théoriques de Stendhal à propos de l’importance du mouvement en musique, qui aurait selon lui une influence tout à la fois sur l’expression, le plaisir, l’élévation de l’âme et le goût du public. Au-delà de ces commentaires particuliers, sur lesquels nous reviendrons à la fin de ce chapitre, l’idée de mouvement est déclinée en une série de termes et d’images qui donnent à la Vie de Rossini toute sa spécificité. L’instabilité qui la caractérise se manifeste en premier lieu à travers le récit (et donc indirectement la structure de l’ouvrage), tant le biographe s’écarte régulièrement de son sujet ; deuxièmement dans l’approche et l’attitude du biographe par rapport à son projet biographique, du fait que l’émotion et l’analyse sont constamment en conflit ; et en troisième lieu dans la réception par le public des œuvres de Rossini, perçue en termes physiques et corporels (agitation, transports). Qui plus est, l’instabilité de l’œuvre fait écho au contexte historique de sa publication, époque en proie à des remous politiques, artistiques et littéraires, et enfin aux propres opinions fluctuantes de Stendhal sur Rossini.
« Vie » d’un homme vivant
3Gioachino Rossini (1792-1868) étant vivant au moment de la publication de sa biographie le 15 novembre 1823, la fin et les conclusions de la Vie de Rossini devaient nécessairement rester ouvertes. Mais voici un fait peu commun : écrire la « vie » d’un homme vivant. D’après les critères mis en avant par M. Fumaroli, dans la tradition une « vie » consacrait un homme défunt. Quant au fait d’écrire sur une personne vivante, au début du siècle Louis-Gabriel Michaud avait en effet intitulé l’un de ses recueils Biographie des hommes vivants, mais il s’agissait clairement là de biographies et non de « vies ». D’ailleurs, Michaud n’avait-il pas placé en exergue de ce volume cette phrase de Voltaire : « On doit des égards aux vivants ; on ne doit, aux morts, que la vérité. » Plus loin, nous aurons l’occasion de revenir sur ce que la biographie doit à d’autres genres proches tels que l’éloge, l’oraison funèbre, ou le panégyrique. Les xviiie et xixe siècles voient quant à eux l’émergence des notices et des portraits, placés en tête d’ouvrages collectifs ou d’éditions d’œuvres complètes. À chaque fois, il s’agissait pour le biographe d’écrire sur un sujet mort, seule condition nécessaire pour faire le bilan d’une vie. Mais Stendhal passe outre à cette idée et profite, en ce début de xixe siècle, d’un « véritable engouement », d’une « passion des lecteurs pour la biographie des contemporains3 ». Michel Winock, s’interrogeant sur la pratique de la biographie par les historiens, pose une question qui, dans le cadre de notre réflexion, est centrale : « [L]a biographie d’une personne vivante est-elle possible4 ? » Or Stendhal avait un rapport problématique à l’histoire, lui qui dans ses « vies » se dit plusieurs fois historien. Michel Winock poursuit en disant que « la biographie pouvait être une approche, un prisme à travers lequel ce n’était pas seulement la vie d’un individu qui était scrutée, mais un milieu, une époque, des mentalités à un moment donné5 ». C’est précisément la démarche pour laquelle Stendhal optera ici et qu’il appliquera à ses romans. Ainsi le titre complet d’Armance est Armance, ou Quelques scènes d’un salon parisien en 1827, et Le Rouge et le Noir aura pour sous-titre « Chronique de 1830 ». Partant, la Vie de Rossini est donc aussi, voire avant tout, une chronique de 1823.
Époque charnière, style romantique
4Les mots que Stendhal emploie pour qualifier le style de Rossini peuvent également servir à décrire cette « vie » si originale, car ils font fort justement ressortir la dynamique à l’œuvre tout au long de l’ouvrage (un parallèle s’établit alors entre le « jeune compositeur » et le jeune biographe) : « Le jeune compositeur jette à pleines mains les idées nouvelles ; tantôt il réussit, souvent il manque son objet. Tout est entassé, tout est pêle-mêle, tout est négligence ; c’est la profusion et l’insouciance de la richesse sans bornes6. » En bref : « Rossini nous a habitués à la surabondance des idées7. » La Vie de Rossini, à la fois de par son style et sa structure, révèle une surabondance comparable à celle qu’exsude le maestro italien : Stendhal joue de la surabondance, expérimente de nouvelles idées, fait fi des règles trop contraignantes des « littérateurs » (qui objecteraient que son livre n’en est pas un, comme il le rappelle en préface), fait preuve de négligence (parfois assumée), et souvent, en effet, manque son objet, laissant son lecteur dans une certaine forme de désarroi.
5L’année 1823 est une époque charnière, que l’on pense à la situation politique (Louis xviii mourra en 1824, laissant le trône à son frère Charles x) et artistique (première parution de La Muse française, le journal officiel des romantiques) de la France sous la Restauration, ou au fait que Stendhal, d’un point de vue littéraire, se cherche encore. À cette date, il a déjà publié les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase (1814) ainsi qu’une Histoire de la peinture en Italie (1818). Ses projets de pièces de théâtre de jeunesse n’ont pas abouti, et il faut attendre 1827 pour la publication de son premier roman, Armance. Le mouvement romantique, qui atteindra son pic de polémique vers la fin de la décennie, s’attaque aux conventions héritées de l’âge classique, à tout ce qui limite, enchaîne et contraint l’esprit et l’imagination. Stendhal n’est pas étranger à ces changements artistiques et littéraires, bien au contraire. Quelques mois avant la Vie de Rossini, il est devenu, avec son pamphlet « romanticiste » Racine et Shakespeare, le chef de file aîné d’une jeunesse romantique qui voit alors en lui un théoricien, un polémiste et un porte-parole à la hauteur de ses aspirations. Lui qui avouera en 1837 s’être jeté « à corps perdu dans la querelle des romantiques8 », prendra toutefois assez rapidement ses distances avec ce mouvement défendu avec passion, lorsqu’il se tournera vers le roman. Et bien que subsistent ici et là, dans ses œuvres postérieures, des traces de ce romantisme passé9, on peut dire que la Vie de Rossini et Racine et Shakespeare marquent le sommet et la fin d’un engagement que d’autres se donneront alors pour tâche de faire vivre. La préface de Cromwell de Victor Hugo, par exemple, a quelque peu éclipsé le pamphlet de Stendhal. Plus tard, la critique portera son attention sur les composantes psychologiques et réalistes, plutôt que purement romantiques, de son œuvre romanesque. Mais déjà dans Racine et Shakespeare, l’objectif était de revoir en profondeur la façon d’écrire des pièces de théâtre et de les jouer, de réévaluer les goûts actuels du public, et de donner toute sa place au présent, par opposition à un passé qui n’était plus compris. En somme, d’être moderne et en phase avec son époque, afin que disparût un décalage stérile. Au vu de ces éléments et de ce qu’il accomplira plus tard dans le roman, il n’est pas étonnant que Stendhal vienne également bousculer quelques vieilles habitudes dans le domaine de la biographie, un genre dont il fut toujours friand.
Structure de la « vie »
6Stendhal prend beaucoup de liberté par rapport à la chronologie, ce qui se reflète dans la structure du livre. Composée de quarante-six chapitres, cette « vie » suit l’ordre de parution des œuvres de Rossini et les commente une à une. Toutefois la présence d’une longue introduction s’ouvrant sur la mort de Cimarosa, ainsi que d’un appendice intitulé « Notice sur la vie et les ouvrages de Mozart », montre que la vie de Rossini s’inscrit dans une progression plus générale, et que le livre couvre un domaine bien plus vaste que le titre ne le laisse entendre. Un coup d’œil à la table placée à la fin de l’ouvrage révèle aussi des titres de chapitres surprenants pour un ouvrage censé porter sur un homme en particulier. L’introduction, longue d’une trentaine de pages, est destinée à situer Rossini par rapport à ses prédécesseurs européens. Il y est question de Cimarosa, Paisiello et Mozart, des différences entre musiques allemande et italienne, du concept de beau idéal en musique, de la période de transition entre Cimarosa et Rossini (1800-1812), de la réception de Mozart en Italie et de son style, et enfin de l’imagination comme élément essentiel du plaisir éprouvé en musique, par rapport à la mémoire. Le premier chapitre, « Ses premières années », amorce la vie du compositeur de manière classique, comme en témoigne l’entame : « Le 29 février 1792, Joachim Rossini naquit à Pesaro, jolie petite ville de l’État du pape, sur le golfe de Venise10. » Le reste de la « vie » se veut chronologique, mais les nombreuses digressions, sans être tout à fait hors sujet, trahissent l’étroitesse des cadres traditionnels de la biographie en ce premier quart du xixe siècle. Le format de la biographie, le mot « vie », masquent en fait une œuvre qui se propose d’aborder des considérations dépassant la simple vie de l’homme en question. Parmi ces chapitres qui s’écartent du sentier principal, on citera les suivants, chacun d’entre eux constituant à sa manière une rupture au sein du récit : chapitre vi, « L’impresario et son théâtre » ; chapitre vii, « Guerre de l’harmonie contre la mélodie » ; chapitre viii, « Irruption des cœurs secs — Idéologie de la musique » ; chapitre xvii, « Du public, relativement aux beaux-arts » ; chapitre xxiv, « De l’admiration en France, ou du grand Opéra » ; chapitre xxv, « Les deux amateurs » ; ou enfin le chapitre xxx, « Talent suranné en 1840 ». Tous renforcent l’idée d’instabilité qui traverse de part en part cette biographie, qui donne l’impression de vivre des méandres formés par ses différentes parties. C’est aussi ce qui fait dire à Stendhal dans sa préface que « le présent livre n’est pas un livre », bien que la remarque, qui s’adresse à ses détracteurs, c’est-à-dire les « critiques [qui] lui ont dit que quand on se mêlait d’écrire, il fallait employer les précautions oratoires, académiques, etc11. », soit ironique. C’est là une spécificité avant tout française dont il ne saurait s’embarrasser, ce qu’il clamera de nouveau haut et fort dans Souvenirs d’égotisme : « Les hommes de lettres disent : “Dans les pays étrangers, on peut avoir des pensées ingénieuses, on ne sait faire un livre qu’en France.” Oui, si le seul but d’un livre est de faire comprendre une idée ; non, s’il espère en même temps faire sentir, donner quelque nuance d’émotion. La règle française n’est bonne que pour un livre d’histoire, par exemple l’Histoire de la Régence, de M. Lemontey, dont j’admirais ce matin le style vraiment académique12. » Mais cette précieuse remarque sur le livre qui n’en est pas un a une portée autrement plus grande : appliquée au genre de la biographie, elle signifierait que celle-ci n’en est pas vraiment une.
Lignées et affinités
7Stendhal a pour habitude, dans ses « vies », de situer ses sujets dans des lignées de grands hommes, établissant ainsi des liens d’affinité entre eux, qu’ils soient artistes ou hommes politiques. Napoléon, par exemple, devient sous la plume de son biographe, « l’homme le plus étonnant qui ait paru depuis Alexandre13 ». La préface de la Vie de Rossini annonce que « [d]epuis la mort de Napoléon, il s’est trouvé un autre homme duquel on parle tous les jours à Moscou comme à Naples, à Londres comme à Vienne, à Paris comme à Calcutta14. » À la fin du chapitre iii, « L’Italiana in Algeri », démonstration est faite de la façon dont Rossini a adapté sa musique au patriotisme né de la présence de Bonaparte en Italie. Du moins Rossini a-t-il prolongé dans le domaine de la musique (selon Stendhal) ce que Bonaparte avait accompli sur le terrain politique et civilisationnel15.
8Pour situer Rossini, le biographe ne remonte pas loin dans le temps : il commence à la mort du grand compositeur italien Domenico Cimarosa, survenue en 1801, se propose ensuite d’analyser la « différence de la musique allemande et de la musique d’Italie », puis revient sur l’« Histoire de l’interrègne après Cimarosa et avant Rossini, de 1800 à 1812 ». Le choix du mot « interrègne » renforce l’idée de lignée ou de dynastie, chaque grand compositeur succédant à un autre. Quelques références à des œuvres de la fin du xviiie siècle sont toutefois faites dans cette partie. La quatrième sous-partie, « Mozart en Italie », rappelle que le grand Amadeus sert constamment à Stendhal de point de comparaison, en particulier dans l’opposition entre l’harmonie (caractéristique de l’Allemagne) et la mélodie (Italie), la mélancolie et la gaîté, ou encore la musique instrumentale et la musique vocale. Enfin, l’introduction se clôt sur « Du style de Mozart », comme pour mieux faire ressortir l’originalité de Rossini. L’introduction contextualise, mais elle vise aussi à établir d’entrée les contrastes sur lesquels le biographe s’appuiera tout au long de son livre.
Désordre, digressions et inexactitudes
9Quant à la courte préface qui précède cette longue introduction, elle est exactement ce fameux clin d’œil dont parle Paul Valéry : « Ses préfaces parlent au public devant le rideau, clignent de l’œil, font au lecteur des signes d’intelligence, le veulent convaincre qu’il est le moins niais dans l’auditoire, qu’il est dans le secret de la farce, que lui seul sent le fin du fin. “Il n’y a que vous et moi”, disent-elles16. » C’est dans la préface de la Vie de Rossini que Stendhal s’inscrit en faux par rapport à la bienséance rhétorique de son époque et s’amuse également des « inexactitudes » volontaires que sa biographie contient, espérant par là que Rossini en sera agacé et entreprendra alors la rédaction de ses propres Mémoires ! Stendhal, profondément admiratif du style de Pascal dans sa jeunesse, aurait pu placer cette pensée en tête de son ouvrage : « J’écrirai ici mes pensées sans ordre, et non pas peut-être dans une confusion sans dessein : c’est le véritable ordre, et qui marquera toujours mon objet par le désordre même. Je ferais trop d’honneur à mon sujet, si je le traitais avec ordre, puisque je veux montrer qu’il en est incapable17. » Effectivement, sans être à proprement parler le centre du livre, Rossini constitue un prétexte, un socle solide à partir duquel il sera possible d’aborder des sujets annexes et relatifs à la musique, et surtout chers à Stendhal : l’imagination, le plaisir, les goûts des nations italienne, française et allemande, le biographe lui-même.
10Toutefois, cela ne revient pas à dire que la Vie de Rossini est fondamentalement désordonnée. Toujours est-il que le nombre de digressions, ainsi que les excuses récurrentes de l’auteur à ce propos, montrent que bien des libertés ont été prises. Car comment aborder avec ordre la vie d’un homme en se fondant uniquement sur la marque laissée par les sensations que sa musique a pu faire naître ? Est-il possible d’ordonner ces choses-là ? Qui plus est, le biographe est conscient de la difficulté de sa tâche, et le reconnaît dans la préface : « Il est si difficile d’écrire l’histoire d’un homme vivant18 ! » Il ne renâcle pas devant l’effort, mais la structure de son travail met en lumière les obstacles qu’il a identifiés. L’œuvre se nourrit alors des digressions que chaque sujet engendre, comme nous le verrons plus bas, ainsi que des découvertes que l’auteur fait au fur et à mesure qu’il écrit.
Pluralité des voix
11Marquée par les digressions et les écarts faits quant à la linéarité du récit, l’œuvre se distingue aussi par la pluralité des points de vue, à une époque où le domaine de la musique n’échappe pas à la vague romantique. Selon Benjamin Walton, loin d’être le seul produit du je qui parle, la Vie de Rossini se compose en fait d’une multitude de voix, Stendhal empruntant à des critiques contemporains, donnant la parole aux adversaires de Rossini, faisant l’éloge et le blâme du compositeur tout à la fois, et entremêlant éléments biographiques, anecdotes, digressions, contradictions, esthétiques et théories plus ou moins scientifiques :
Au milieu de tout cela, on décèle aussi chez Stendhal les traces d’une quête d’un langage propre à la critique musicale, dans une période qu’il a traitée de façon répétée (à l’instar de beaucoup d’autres personnes) comme une révolution dans le goût musical français. En tant qu’amateur de musique (qui compte quelques plagiats musicologiques à son actif), son langage critique est quelquefois emprunté — à Dubos, Rousseau, Carpani et d’autres — mais jamais de manière naturelle. Situées entre la véritable non-existence de critique musicale dans la France impériale et, plus tard, l’adoption professionnelle et massive des lieux communs de la pensée romantique allemande, les tentatives linguistiques de Stendhal, en conflit avec l’obsession musicale contemporaine envers un compositeur destiné à souffrir des exigences contraignantes de l’esthétique idéaliste, retentissent de manière particulièrement intéressante, voire émouvante19.
12Ce n’est peut-être pas un hasard si le chapitre de Benjamin Walton se termine sur le mot « émouvant » (moving). Ce dernier insistera sur le balancement constant de Stendhal qui, en tant que critique musical, ne cesse d’osciller entre deux types de discours, les deux approches ayant chacune leurs mérites. L’alternance participe alors du mouvement de l’œuvre. Stendhal entend ne s’encombrer d’aucune règle fixe, car la complémentarité des points de vue et des approches, loin d’entraver le projet biographique, aide à mettre en lumière ce qui constitue, selon les mots de Rosa Ghigo-Bezzola, la « singularité » de cette vie20.
13En outre, l’alternance se retrouve au niveau des interventions (ou intrusions, pour reprendre le terme de Georges Blin) plus ou moins fréquentes de l’auteur au sein du texte. Cette présence, intermittente, trouve ses origines dans les deux types de critique musicale auxquels Stendhal a recours : la première critique, fondée sur les sensations, et que Benjamin Walton rattache à la fois à Rousseau, à Diderot et au romantisme allemand ; la seconde, centrée sur la raison, et héritée de Montesquieu et de Destutt de Tracy21. C’est le premier de ces deux types de critique musicale qui explique l’aspect personnel et autobiographique de la Vie de Rossini, malgré la précaution que prend parfois Stendhal de se cacher derrière une autre personne, fictionnelle ou réelle, afin de lui faire dire ce qu’il pense lui-même, par souci d’objectivité et de vérité. Ce genre de critique, nouveau pour l’époque, s’explique du fait que « la critique française novatrice de l’époque, celle des romantiques, […] semble être fondée sur des critères liés aux impressions et aux émotions22 ».
14Si toute tentative de méthode ou de régulation est délaissée au profit du résultat, lui-même censé reproduire une certaine forme d’émotion, on ne sera pas étonné de l’épigraphe de la Vie de Rossini (tirée des Nuées d’Aristophane), qui sonne d’emblée comme une libération : « Laissez aller votre pensée comme cet insecte qu’on lâche en l’air avec un fil à la patte23. » L’invitation à « laisser-aller », écho direct aux injonctions de Racine et Shakespeare, a ici des allures de credo : la « vie » qui va suivre doit être abordée avec un esprit ouvert et léger, voire volatil. Ce n’est pas une boutade de l’auteur, qui chercherait par là à excuser d’avance le côté désorganisé, et pour le moins innovant, de sa biographie : Stendhal réitère son invitation par deux fois, en des termes similaires. Cette attitude constitue un programme, la nouvelle règle du biographe, qui n’est plus à la recherche de la vérité à propos de son sujet, mais de sa propre vérité, dans ce qu’elle a de plus subjectif et de plus personnel : « Si vous voulez qu’on fasse des découvertes, laissez un peu courir au hasard24 vos vaisseaux sur les mers25. » Cette remarque intervient dans une petite conversation rapportée entre le biographe et son ami le poète italien Pellico. Alors que ce dernier relève des « fautes » dans le premier finale de Tancrède, Stendhal rétorque en insistant sur les bienfaits de l’étonnement de l’oreille en musique, étonnement qui conduit à l’innovation, à la découverte. D’où son image des vaisseaux qui courent au hasard sur les mers. Pour Stendhal, écrire d’un autre, c’est faire des découvertes sur cet autre autant que sur soi-même.
15Le biographe est alors en mesure de parler de lui-même de manière déguisée (« on », par exemple). Dans le passage suivant, qui survient quelques pages plus loin, il est question des « âmes sèches » et des « cœurs secs », sans cesse contraints de réfléchir aux effets de la musique au lieu d’en jouir. Le biographe saisit ainsi l’occasion de disserter sur son propre travail. Les coulisses de son laboratoire biographique s’ouvrent :
Rien n’est pénible comme d’examiner, de douter, quand on a des plaisirs. Plus ceux de la musique sont entraînants et voluptueux, et plus les doutes sont pénibles et odieux. Dans cette position de l’âme, la moindre théorie brillante séduit et entraîne. Comme en idéologie il faut savoir à chaque instant retenir notre intelligence qui veut courir ; de même, dans la théorie des arts, il faut retenir l’âme, qui sans cesse veut jouir et non examiner26.
16Un lien direct rattache l’épigraphe aux deux derniers passages cités, comme en un cycle, la fin rejoignant le début. Le « laissez aller votre pensée » fait écho au « laissez un peu courir au hasard vos vaisseaux sur les mers ». Cette métaphore amène l’« intelligence qui veut courir », qui à son tour introduit l’idée de « retenir l’âme », nous ramenant ainsi au « fil à la patte » de l’épigraphe. Jouir de la musique, c’est se laisser aller ; à l’opposé, en parler, analyser ses effets sur soi, c’est retenir son âme, donc se restreindre et nécessairement rejeter un pan de la vérité. Or Stendhal, en tant que biographe (il a eu et aura les mêmes difficultés dans la plupart de ses écrits), rechigne à trop sacrifier à l’analyse pure, qui n’est pas assez fidèle à la sensation vécue ; il cède cette tâche ingrate aux cœurs secs et aux personnes dont c’est le métier. Enfin, bien que l’image du fil à la patte de l’insecte implique une contrainte (notre imagination est liée par notre intellect, donc elle doit nécessairement y revenir si on souhaite l’exprimer de manière intelligible sur le papier), cette contrainte est somme toute limitée, comme en témoignent les libertés prises par le biographe sur les plans stylistique et structurel.
17Nous l’avons vu, il y a pluralité des voix, voix que Stendhal a en partie glanées au fil de ses lectures. Si, de son propre aveu, il s’est permis d’écrire sur le sujet, c’est qu’il s’est beaucoup déplacé : il « a fait des courses de cent milles pour se trouver à la première représentation de plusieurs [chefs-d’œuvre] », et suite à la chute de Napoléon, il s’est mis à « courir le monde27 ». Toutefois l’expérience personnelle, qui permet au biographe d’asseoir son autorité, ne saurait être suffisante. Stendhal emprunte alors sa matière ailleurs, oscillant une fois de plus entre impressions personnelles et témoignages extérieurs. Bien que dilettante avant tout, il prend au sérieux son « devoir d’historien » afin de « ne pas encourir le reproche d’être incomplet28 », et laisse filtrer de façon sporadique des renseignements quant à ses sources. On aurait pu s’attendre à trouver de telles déclarations, précisément, dans la préface, lieu idéal pour exposer les grands principes directeurs de l’ouvrage. La multiplicité des voix que mentionne Benjamin Walton aurait pu, voire dû, être annoncée dès le début, comme ce fut le cas pour la préface de la Vie de Napoléon, dans laquelle Stendhal avait précisé d’entrée que les auteurs de cette « vie » étaient légion, et que lui-même avait assuré le simple rôle de scribe. Ici le commentaire surgit de manière assez subite, vers la fin du long chapitre consacré à Tancrède, l’auteur craignant d’être trop long s’il se laisse aller au « plaisir » de commenter :
Je deviendrais infini, si je cédais au plaisir de dire ce que je pense de chacun des morceaux de Tancrède, ou plutôt ce qu’on en pensait à Naples, à Florence, à Brescia, où j’ai vu cet opéra : car je me méfie plus que personne des sentiments personnels ; ces sentiments, quand ils sont sincères, sont tout au monde pour qui les éprouve, mais fort indifférents et même ridicules aux yeux du voisin qui ne les partage pas. Je prie le lecteur de croire que le Je, dans cette brochure, n’est qu’une tournure qui pourrait être remplacée par : On disait à Naples, dans la société du marquis Berio… […] Le petit nombre de sentiments tout à fait personnels qui se rencontrent dans cette brochure sont présentés avec les formes dubitatives qui conviennent à l’auteur plus qu’à personne, et il avoue ici que pour faire cette Vie de Rossini, il a pris de toutes mains, et, par exemple, dans tous les journaux allemands et italiens les jugements sur ce grand homme et ses ouvrages29.
18En premier lieu, ce passage renforce l’idée selon laquelle la Vie de Rossini est une œuvre organique, croissant au gré des réflexions personnelles de l’auteur. L’argument de Stendhal, à savoir qu’il se méfie des sentiments personnels, doit être pris avec un grain de sel, puisque cette « vie » est truffée de remarques d’ordre personnel. Si le biographe se cache derrière des « on », des « il », des « on dit » et des « j’ai entendu », c’est peut-être pour ne pas être taxé d’une trop grande subjectivité.
19Deuxièmement, cette déclaration incarne l’exhortation énoncée à retenir notre âme, qui à cause du plaisir, auquel on « cède », veut courir. Voilà une concession faite au travail biographique : il faut savoir se fixer des limites, même si le plaisir doit en pâtir.
20Enfin, les remarques sur le je qui parle trahissent une certaine confusion que Stendhal, par souci historiographique, ne manque pas de relever. Cette équivalence entre il et on met en lumière la gymnastique mentale quasi constante que le lecteur doit effectuer : lit-il du Stendhal ou un compte rendu tiré d’un journal spécialisé ? Non que cela ait une importance majeure : « Tout ce qu’un autre a dit de bon m’appartient », rappelle Sénèque, citant Épicure. Toujours est-il que le brouillage des pistes participe de l’instabilité évoquée plus tôt, instabilité à laquelle vient s’ajouter une confusion plus générale sur la nature même de l’ouvrage : « Le présent livre n’est donc pas un livre30. »
Dénomination et règles de composition
21Mais qu’est-ce que ce livre, exactement ? Est-ce une « brochure », comme cela a été dit plus tôt au sein même de l’ouvrage31 (les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, à la fois dans leur préface et dans Souvenirs d’égotisme, avaient également été qualifiées ainsi32) ? Ou bien avons-nous affaire à un traité, comme il arrive à Stendhal d’en parler ? Une notice ? Une histoire ? Des Mémoires personnels sur la vie d’un autre homme, comme ce sera le cas avec Napoléon ? Un commentaire similaire à celui fait dans les Lettres sur Haydn embrouille un peu plus les pistes : « Rossini était trop jeune pour la sentir [une certaine nuance], ou, pour mieux dire, et ne pas prendre sitôt le ton du panégyrique, ce sentiment n’est peut-être jamais entré dans son âme33. » Stendhal a donc frôlé cet autre genre proche de la biographie qu’est le panégyrique, qui implique un éloge excessif (donc douteux) du sujet, ainsi que l’avaient martelé Johnson et Boswell au siècle précédent. S’il y a confusion dans les termes utilisés, le biographe se démarque néanmoins clairement de certaines formes, tendances ou effets de style. Ainsi, les exemples contraires, par un travail d’élimination, nous aident à mieux cerner ce qu’est réellement ce livre.
22Quant aux règles qui devraient guider ce livre qui n’en est pas un, Stendhal les rejette toutes, prenant Rossini en exemple. Sans le dire explicitement, il s’inspire indirectement de lui pour son propre projet, défendant par là la cause romantique, contre les pédants et les académies :
Les rigoristes de Bologne, célèbres en Italie, et qui jouent en musique à peu près le même rôle que les membres de l’Académie française pour les trois unités, lui reprochèrent [à Rossini] avec raison de faire quelquefois des fautes contre les règles de la composition34.
23Il cite ensuite un certain M. Gherardi, qui prit la défense de Rossini :
Qui a fait ces règles ? sont-ce des gens supérieurs en génie à l’auteur de Tancrède ? Une sottise, parce qu’elle est antique et que tous les maîtres d’école l’enseignent, cesse-t-elle d’être une sottise ? Examinons ces prétendues règles : et d’abord qu’est-ce que des règles que l’on peut enfreindre sans que le public s’en aperçoive et sans que ses plaisirs en soient le moins du monde diminués35 ?
24Stendhal conclut par un commentaire de son cru : « C’est comme si l’on faisait un crime à Voltaire de ne pas employer les mêmes coupes de phrase et les mêmes tours que La Bruyère et Montesquieu36. » Reprises à son compte, ces remarques sur les fautes et les règles, développées plus en détail dans Racine et Shakespeare, confirment l’engagement de Stendhal dans la querelle romantique et éclairent son approche du genre biographique, dont les « prétendues règles » n’ont pas lieu d’être. En redonnant toute leur place et leur originalité à ce que certains considèrent comme des fautes (nous avons vu plus tôt que ces « fautes » engendraient l’étonnement, qui est fécond, selon le biographe), Stendhal rompt avec une tradition : la biographie devient alors une expérience. D’où le choix de Rossini, parmi tous les autres, comme sujet digne d’une biographie. Philippe Roger, dans son analyse des Voyages en France, a soulevé une question essentielle : qu’est-ce qu’un grand homme selon Stendhal37 ? Rossini en est-il un ? Pour son biographe, la réponse est ambiguë, tant ses jugements sur lui ont varié. Il n’y a jamais eu d’admiration inconditionnelle de sa part. Néanmoins un sentiment d’identification allié à ce que l’on pourrait ironiquement qualifier de convergence des luttes semble justifier le choix de Rossini à cette époque précise : ce dernier est parvenu à faire en musique ce que Stendhal cherche à faire dans le théâtre. Leur combat, leur approche et leurs idées font face au même type de résistance.
Bienfaits de l’imagination
25Stendhal sait également fort bien que le plaisir du lecteur ne se trouvera pas diminué par les quelques libertés qu’il a prises, car le sujet du livre et le contexte littéraire de l’époque imposent une prise de distance par rapport aux conventions et aux règles communément acceptées. Rossini, encore relativement jeune au moment de la publication de sa « vie », n’est pas un sujet cliniquement mort dont on puisse faire l’anatomie et le bilan : c’est un sujet vivant et en mouvement, en pleine évolution, perpétuellement changeant. Le biographe doit tenir compte de cela.
26À défaut de pouvoir reproduire la musique de Rossini38, ou les sensations produites par elle, Stendhal doit faire jouer l’imagination du lecteur et la mettre en mouvement. L’imagination est un thème central de l’analyse stendhalienne, l’élément par rapport auquel toute appréciation de la musique, ainsi que toute analyse de cette appréciation, se définit. À tel point que Beyle écrivait dans son journal d’Italie en 1811 : « Si je perdais toute imagination, je perdrais peut-être en même temps mon goût pour la musique39. » D’autre part, l’imagination est intimement liée à l’idée de mouvement.
27L’ennemi principal de l’imagination est pointé du doigt dès l’introduction : il s’agit de la mémoire. Face à l’imagination (cette « folle de la maison », ainsi qu’elle est identifiée dans la préface de 1817 de Haydn, Mozart et Métastase40), la mémoire symbolise l’absence totale de mouvement, le contraire même de la vie. Le ton est donné dès les premiers paragraphes de l’introduction. Parlant de Cimarosa, Stendhal écrit :
Ces chants sont les plus beaux qu’il ait été donné à l’âme humaine de concevoir : remarquez cependant qu’ils sont réguliers, et d’une régularité que notre esprit peut saisir : c’est un grand mal ; dès qu’on en connaît plusieurs, on peut en quelque sorte prévoir la suite et le développement de ceux dont on entend le début. Tout le mal est dans ce mot prévoir, et c’est de là que nous verrons dans peu sortir le style et la gloire de Rossini41.
28L’imagination vit dans l’instant, puisqu’elle est le fruit des sensations provoquées par l’écoute de la musique. Contrairement à la mémoire qui agit tel un déjà-vu, elle naît dans le moment et varie au gré des émotions. C’est pour cette raison qu’il est « si difficile » pour Stendhal d’écrire la vie d’un homme vivant comme Rossini : le biographe doit contourner le piège de la mémoire, faire revivre sa propre imagination et transmettre ses émotions au lecteur. Or l’un des leitmotive stendhaliens par excellence est l’impossibilité de vivre l’instant présent et de l’analyser en même temps. L’analyse tue la sensation ; cela explique qu’elle vienne toujours en seconde position. Les journaux foisonnent d’exemples de ce type : « L’art d’écrire un journal est d’y conserver le dramatique de la vie ; ce qui en éloigne, c’est qu’on veut juger en racontant42. » « [L]a moindre chose m’émeut, me fait venir les larmes aux yeux, sans cesse la sensation l’emporte sur la perception, ce qui m’empêche de suivre le moindre projet43. » Au vu de ces remarques antérieures à la Vie de Rossini, on conçoit mieux que Stendhal ait trouvé sa tâche ardue ; il a néanmoins « suivi » et mené à bien son projet.
29Si le mot « mal » revient par deux fois pour qualifier la régularité et le fait de pouvoir prévoir, c’est pour mieux faire ressortir l’aspect profondément bon et fécond de l’imagination, qui elle aussi est un « laisser-aller », un mouvement : « La musique ne peut, ce me semble, avoir d’effet sur les hommes qu’en excitant leur imagination à produire certaines images analogues aux passions dont ils sont agités44. » Imagination et agitation vont de pair. La mémoire, elle, « paralyse » l’imagination : « À l’instant qu’en entendant un bel air, je me rappelle les illusions et le petit roman qu’il avait fait naître en moi à la dernière fois que j’en fus ravi, tout est perdu, mon imagination est glacée, et la musique n’est plus une fée toute-puissante sur mon cœur45. » C’est en termes de mouvement (imagination) et d’inertie (mémoire) que Stendhal veut que nous comprenions la révolution apportée par Rossini dans la musique italienne en cette première moitié du xixe siècle. Le chapitre xvii, « Du public, relativement aux beaux-arts », reviendra sur la notion d’imagination et son lien avec les notions d’énergie et de passion.
30On l’a vu, l’intelligence veut « courir », et il faut sans cesse la retenir ; il faut laisser nos vaisseaux voguer au hasard des mers pour faire des découvertes. Cette « folle de la maison » qu’est l’imagination a aussi ses sautes d’humeur et ses caprices, conséquences de son instabilité : « Si la musique est mauvaise, elle ne donne rien à l’imagination ; si elle est sans idéal, elle fournit des images qui choquent comme basses, et l’imagination repoussée prend son vol ailleurs46. » La métaphore de l’oiseau et du vol est reprise quelques paragraphes plus loin : « Les bonheurs de vanité sont fondés sur une comparaison vive et rapide avec les autres. Il faut toujours les autres ; cela seul suffit pour glacer l’imagination, dont l’aile puissante ne se développe que dans la solitude et l’entier oubli des autres47. »
31Le chapitre xl, « Du style de Rossini », étonnamment court, contient quelques remarques intéressantes relatives à l’imagination :
La bonne musique n’est que notre émotion. Il semble que la musique nous fasse du plaisir en mettant notre imagination dans la nécessité de se nourrir momentanément d’illusions d’un certain genre. Ces illusions ne sont pas calmes et sublimes comme celles de la sculpture, ou tendres et rêveuses comme celles des tableaux du Corrège.
Le premier caractère de la musique de Rossini est une rapidité qui éloigne de l’âme toutes les émotions sombres si puissamment évoquées des profondeurs de notre âme par les notes lentes de Mozart48.
32Ces deux traits fondamentaux du style de Rossini, la rapidité et la vivacité, sont régulièrement évoqués. En vérité, ce chapitre sur le style est très court, car l’ouvrage dans son ensemble est parsemé de remarques d’ordre stylistique. Ce qui ressort principalement d’elles est l’aspect mouvementé du style, mais aussi de la réaction des auditeurs.
Du style rossinien
33Stendhal revient plusieurs fois sur le fait que parler de musique n’est pas chose aisée. Dans la préface des Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, il reconnaissait que « les sensations que nous devons à cet art enchanteur sont extrêmement difficiles à rappeler par des paroles49 ». Il lui arrive parfois de recommander à son lecteur de s’asseoir au piano et de jouer les airs dont il parle, afin de bien saisir la portée de ses analyses. Dans le dernier chapitre sur Rossini, Stendhal formule un jugement final très sommaire et quelque peu sévère : « Vif, léger, piquant, jamais ennuyeux, rarement sublime. Rossini semble fait exprès pour donner des extases aux gens médiocres50. » Mais une remarque sur le style retient l’attention : « Cependant, surpassé de bien loin par Mozart dans le genre tendre et mélancolique, et par Cimarosa dans le style comique et passionné, il est le premier pour la vivacité, la rapidité, le piquant et tous les effets qui en dérivent51. » Placé à la fin de l’ouvrage, ce jugement n’est que l’écho de ce qui a été écrit plus tôt : un petit terzetto du Barbier de Séville, par exemple, est décrit par les ennemis de Rossini comme « sautillant52 », ce qu’ils ne manquent pas de lui reprocher. L’introduction évoque les « mesures vives et [l]es petites notes de Rossini », par rapport aux « grosses notes et aux mesures lentes » de Mozart53. Concernant l’opéra de La Gazza Ladra, Stendhal explique que « la rapidité naturelle du style de Rossini semble encore augmenter son feu incroyable54 », et parlant du finale de cet opéra, il précise qu’il est « plein de mouvement, d’entrées et de sorties auxquelles le spectateur prend un vif intérêt55. » Enfin, les chanteurs et les cantatrices qui interpréteront les œuvres de Rossini devront faire preuve d’agilité : « Un chanteur médiocre, pourvu qu’il ait de l’agilité, pourra toujours exécuter avec succès pour Rossini, un morceau de ce maître56. » Il est toutefois précisé par la suite que l’agilité seule ne suffit pas ; mais elle reste un attribut essentiel du chant rossinien, une condition sine qua non de l’interprétation. Tout ce lexique du mouvement fait écho à la profusion évoquée plus haut : « Passez à un opéra de Rossini, vous sentez tout à coup l’air pur et frais des hautes Alpes ; vous vous sentez respirer plus à l’aise ; on croit renaître ; vous aviez besoin de génie. Le jeune compositeur jette à pleines mains les idées nouvelles. […] Tout est entassé, tout est pêle-mêle, tout est négligence ; c’est la profusion et l’insouciance de la richesse sans bornes57. » L’idée de renaissance, également utilisée à propos de la Création de Haydn58, va dans le même sens que celle du mouvement en ceci que renaître, c’est revenir à la vie, dans une sorte de mouvement perpétuel. Le biographe, en donnant à son œuvre cette qualité organique évoquée plus tôt, participe du même effort que Rossini : le texte doit être aussi vivant que la musique.
Réaction du public
34Un mot pourrait résumer l’état de l’auditeur de Rossini, puis du lecteur de sa « vie » : l’agitation. Le biographe a recours à une gamme d’expressions pour qualifier les effets de la musique de Rossini sur le public et lui-même. En premier lieu, il faut noter la récurrence du terme « transport », hérité du xviiie siècle, où il désignait l’émotion soit amoureuse, soit esthétique. En cela, Stendhal se rapproche de Diderot : « Cette raison fit son effet sur le parterre de Como, la curiosité calma les transports de l’enthousiasme le plus fou59. » « Ces transports avaient toute la vivacité, tout le charme d’un raccommodement60. » « Je craindrais de fatiguer le lecteur si je lui parlais encore des transports du public61 […]. » « Ce sont […] des larmes et des transports qu’il y avait chez les bons Milanais après le finale du premier acte de la Gazza. Ils pensaient beaucoup à leur plaisir et à leur émotion62 […]. » Le terme, loin d’être anodin, sera réutilisé plus tard63. Stendhal souligne sa pertinence à un moment donné : « [N]ous vîmes enfin commencer Demetrio e Polibio. Je n’ai, je crois, jamais senti plus vivement que Rossini est un grand artiste. Nous étions transportés, c’est le mot propre64. » Et vingt pages plus loin, à propos de l’Elisabetta : « Mais que nous étions loin de toutes ces froides critiques à la première représentation ! nous étions ravis : c’est le mot propre65. » L’insistance placée sur « le mot propre » atteste du fait qu’il correspond le plus exactement à la sensation qu’on a cherché à retranscrire. Les verbes « transporter » et « ravir » portent en eux l’idée de mouvement, de déplacement, et pour le second, même, d’enlèvement avec force66. Rossini a le pouvoir de « remuer » le cœur et l’imagination. C’est presque une condition nécessaire pour réussir, dans les arts comme en littérature. D’où un détour, pour illustrer cette idée, par Voltaire, qui disait que « pour réussir dans les arts, et surtout au théâtre, il faut avoir le diable au corps67 ». L’agitation du créateur, lorsqu’elle est efficace, ne transmet à la salle rien d’autre qu’une « fureur » : « Le succès fut tellement fou, la pièce fit une telle fureur, car j’ai besoin ici de toute l’énergie de la langue italienne, qu’à chaque instant le public, en masse, se levait debout pour couvrir Rossini d’acclamations68. »
35Benjamin Walton s’est arrêté sur les choix linguistiques de Stendhal en la matière. Il les rattache à une certaine tradition de la fin du xviiie siècle, où le corps tient une place importante :
Tout d’abord, Stendhal insiste régulièrement sur la réalité physique de la musique (en particulier celle de Rossini : « L’Italiana, écrit-il, est la musique la plus physique que je connaisse »), opposant à l’aspect incorporel des domaines extrasensoriels allemands, les réactions physiques : l’extase entortillante décrite par la comtesse d’Albany. Et le choix de vocabulaire de Stendhal est révélateur dans ce contexte : les auditeurs sont stimulés, irrités, « électrisés » par Rossini. Comme il le dit lui-même, c’est le langage de la physiologie, qui remonte à la science (par opposition à l’esthétique) de la fin des Lumières69.
36L’opposition entre science et esthétique dans l’emploi de ce vocabulaire au siècle des Lumières n’est peut-être pas aussi tranchée que B. Walton le laisse entendre, car le mot « transport » est caractéristique d’un siècle où la notion de sensibilité est indissociablement physiologique, esthétique et même morale. Quoi qu’il en soit, Stendhal se réapproprie ce vocabulaire et reproduit l’agitation et les transports dans une biographie qui se veut à la fois vivante et émouvante.
37Loin de parler seulement des autres spectateurs, le biographe tient à faire savoir que lui aussi est présent. Cette présence nous amène à nous interroger sur les digressions que cet ouvrage contient. Le chapitre ix, « L’Aureliano in Palmira », à cet égard, est caractéristique : Stendhal avouant d’entrée qu’il n’a pas vu cet opéra, consacre ces pages à des anecdotes purement personnelles, où les je et les nous font quelque peu oublier Rossini, dont l’opéra n’est alors plus qu’un prétexte :
Nous arrivâmes à Como à neuf heures du matin. Le soleil était déjà brûlant ; mais j’étais ami de l’hôte de l’Angelo, dont l’auberge donne sur le lac (en Italie, aucune amitié n’est à négliger) ; il nous donna des chambres très fraîches ; les vagues du lac venaient se briser au pied de nos fenêtres, à huit pieds au-dessous de nos balcons. Il y eut à l’instant des vagues couvertes de voiles pour ceux d’entre nous qui voulurent se baigner ; et enfin, à huit heures du soir, nous nous trouvâmes frais et dispos dans la nouvelle salle de Como, ouverte ce soir-là au public pour la première fois70.
38Ce chapitre est un cas extrême d’intrusion de l’auteur. En vérité, ce dernier y est présent du début à la fin, par petites doses. Cela montre de nouveau à quel point le genre de la biographie est flexible chez Stendhal. Son trait peut-être le plus singulier est qu’elle constitue un moyen détourné pour le biographe de parler de soi, tout en parlant aussi de la musique qu’il aime. Jean Prévost est même allé jusqu’à écrire : « C’est qu’il n’existe pas de centre d’intérêt dans le livre ; nous en trouvons un, c’est Stendhal et non pas Rossini71. »
L’art de la digression
39Le sujet de la Vie de Rossini étant censé être Rossini, toute considération relative à l’auteur peut de ce fait être considérée comme une digression. L’art de digresser ne se limite pourtant pas à ce qui concerne l’auteur personnellement. Ce dernier est souvent tenté de faire un détour par un autre sujet, car la Vie de Rossini fonctionne en grande partie par associations d’idées : telle remarque donne naissance à une autre, et la fresque idéalement doit être la plus complète et la plus fidèle possible. D’où, par exemple, ce commentaire : « Il y aurait mille choses à dire sur le style de la musique vénitienne ; ce serait un livre dans un livre72. » Stendhal renonce ici à imbriquer une histoire secondaire dans le récit principal, mais quand le volume n’est pas un problème, il n’hésite pas à sortir de son sentier. Généralement, ces écarts sont accompagnés d’excuses : « Je demande la permission de placer ici une digression qui abrégera de beaucoup les discussions auxquelles nous allons être conduits par la vie orageuse que Rossini va mener73 […]. » « Je supplie qu’on me permette une seconde comparaison74. » Quant au chapitre xxxiii, il s’intitule « Excuses. Originalité des voix, effacée par Rossini75 ».
40Le lecteur est donc constamment tiraillé entre le fil conducteur de cette vie (Rossini) et les remarques personnelles ou annexes au sujet : le goût du public, le chant, une « Notice sur la vie et les ouvrages de Mozart » en appendice. Ce trait de la Vie de Rossini ne se retrouve ni dans les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, ni dans la Vie de Napoléon. À l’inverse, la Vie de Henry Brulard est un festival de digressions, et en cela elle est beaucoup plus proche de la « vie » du maestro italien. On y retrouve nombre de similarités : excuses quant aux digressions, difficulté d’écrire l’histoire d’un homme vivant, travail des sources, souvenir des traces laissées par les sensations, problèmes liés à la mémoire, place centrale de l’Italie et de Napoléon dans l’incipit, découvertes majeures faites au fil de l’écriture, et cet aveu à la fin : « J’écris ceci et j’ai toujours écrit comme Rossini écrit sa musique76 […]. »
Vers une théorie stendhalienne du mouvement
41Les déclinaisons du mouvement que met en scène la Vie de Rossini appellent enfin trois commentaires théoriques de l’auteur sur leur nature et leur fonction. Ces commentaires, disséminés à travers la biographie, se complètent les uns les autres.
42Premièrement, « [l]e mouvement fait tout pour l’expression77 ». Bien que « mouvement » soit ici employé comme terme musical78 (adagio, allegro, andante, etc.), l’idée selon laquelle l’œuvre doit être animée d’un mouvement est essentielle, ce qu’elle s’efforce de reproduire : les chapitres de la Vie de Rossini sont autant de parties comparables aux mouvements musicaux d’un opéra. Tel chapitre long sera un adagio, tandis qu’une phrase piquante, vive et pleine d’ironie sera un allegro. L’introduction fait office de grande ouverture, à la suite de laquelle peut débuter le récit de la vie de Rossini à proprement parler.
43Deuxièmement, Stendhal prend l’exemple de deux amateurs de musique, un vieil expéditionnaire français et « un jeune Vénitien de la plus héroïque bravoure79 », pour mettre en évidence la différence d’appréciation de la musique en France et en Italie. Dans ce long passage, l’Italien incarne, sans surprise, celui qui est mieux à même de jouir correctement de la musique, par rapport au Français, qui préfère disserter et juger en compagnie des autres, « cet éteignoir de tout enthousiasme et de toute sensibilité80 ». Du jeune Italien, il est dit : « Parfois il laisse échapper une exclamation, et puis retombe dans son morne et profond silence. S’il marque la mesure, s’il fait un mouvement, c’est que dans de certains passages le mouvement augmente le plaisir81. »
44Troisièmement, l’auteur indique dans une note : « C’est par le mouvement que la musique élève l’âme jusqu’aux sentiments les plus délicats, et parvient à les rendre sensibles à des yeux souvent assez grossiers. Un gros millionnaire, ému, arrive à sentir un instant comme un homme d’esprit82. » L’élévation de l’âme est un trait capital de la bonne musique selon Stendhal. L’idée de mouvement est présente deux fois (mouvement, élever) et elle est mise en relation directe avec l’émotion (ému). Le mouvement est pris dans son sens premier et permet d’opposer la musique à un autre art, à titre de comparaison : « C’est par l’immobilité que la sculpture parvient à faire concevoir ce même sentiment délicat83. » Si Stendhal avait écrit une « vie » de Canova, par exemple, qu’il considérait comme le plus grand sculpteur vivant, il faudrait s’interroger sur la façon dont cette immobilité propre à la sculpture se serait manifestée dans l’écrit. La note se clôt sur cette remarque : « J’oserai peut-être imprimer un jour un traité sur le beau idéal dans tous les arts. C’est un ouvrage de deux cents pages, assez inintelligible, et surtout manquant tout à fait de transitions comme le présent chapitre84. » Par conséquent, tout ouvrage ou toute « vie » d’artiste semble condamnée (du moins chez Stendhal) à un certain désordre, celui-là même qui a été évoqué en introduction. La Vie de Rossini ne manque pas fondamentalement de transitions ; c’est ce vers quoi l’auteur transite qui est quelquefois problématique.
45Fort de cette idée selon laquelle le mouvement en musique est expression, procure du plaisir et élève l’âme, Stendhal pose comme principe que « [l]a bonne musique n’est que notre émotion85 ». En d’autres termes, et pour revenir à l’étymologie du mot « émotion », central dans le traitement d’un sujet comme la musique, une musique ne peut être bonne qu’en proportion du degré où elle nous émeut, c’est-à-dire nous remue intérieurement. Il y a un côté exclusif dans cette affirmation, dans ce « que » qui réduit la musique au seul critère de valeur qu’est le mouvement. Le plaisir éprouvé reste quant à lui le seul étalon fiable et légitime pour juger de la qualité de l’œuvre, idée récurrente chez Stendhal lorsque celui-ci traite des arts. L’idée d’un beau idéal ou universel, mise en avant dans la littérature classique, est rejetée par Stendhal qui, en héritier de Montesquieu et Mme de Staël, défend la relativité du goût dans les arts.
46La Vie de Rossini manifeste plus que les autres « vies » ce mouvement intrinsèque. Tout d’abord parce que les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase sont largement fondées sur un livre existant, et par conséquent laissent moins de marge de manœuvre à leur auteur. La polémique du romantisme est moins chaude qu’au moment de la venue de Rossini à Paris, et le contexte de la publication de la Vie de Rossini est le même que celui de Racine et Shakespeare. Les remarques de Benjamin Walton sur le romantisme de Rossini sont à cet égard éclairantes :
En 1824, Rossini n’est pas romantique pour s’être inspiré de Walter Scott dans La donna del lago, ni pour l’Air du Saule dans l’acte iii d’Othello, ni pour aucun des autres moments destinés plus tard à être regroupés comme exemples de ses penchants occasionnels pour le romantisme. La musique de Rossini devient plutôt romantique parce qu’elle existe dans le présent, elle est palpitante, et ne laisse d’autre trace que « le souvenir des sensations agréables86 ».
47Benjamin Walton revient ainsi sur un point essentiel : la Vie de Rossini est fondamentalement une œuvre du présent, d’un homme encore en vie et en pleine évolution musicale, dans une période de changement artistique et politique. L’œuvre de Stendhal, pour refléter cela, doit être porteuse d’une certaine agitation, afin de faire apparaître au lecteur les remous d’une époque. En cela Stendhal a particulièrement bien réussi son coup. La Vie de Napoléon propose un autre type de mouvement, dont on retrouve pourtant quelques traces dans Rossini, qui est celui des voix des auteurs, donc des points de vue. Enfin, le mouvement de la Vie de Napoléon (1817-1818) vers les Mémoires sur Napoléon (1837) est aussi significatif des difficultés qu’a le biographe à se cantonner à un genre précis.
48Les sentiments de Stendhal à l’égard de Rossini sont ambivalents. On le sait, de l’aveu même de l’auteur, les deux goûts les plus constants de Stendhal tout au long de sa vie ont été Saint-Simon et les épinards87. Au sein même de la Vie de Rossini, l’opinion de Stendhal sur le maestro fluctue, au point que le livre se clôt sur une réflexion mitigée mais lucide :
Quel rang lui donnera la postérité ? C’est ce que j’ignore. Si vous vouliez me promettre le secret, je dirais que le style de Rossini est un peu comme le Français de Paris, vain et vif plutôt que gai ; jamais passionné, toujours spirituel, rarement ennuyeux, plus rarement sublime88.
49En ce sens, cette conclusion honnête trahit l’approche historiographique de Stendhal, révélatrice d’une époque plus apte, comme l’a noté Marcel Gauchet, à l’« établissement ponctuel du fait » qu’à la « saisie globale du sens89 ». Elle met aussi en évidence la distinction qu’Antoine Lilti opère entre deux phénomènes bien distincts : la célébrité et la gloire, distinction qui explique pourquoi on a véritablement affaire ici à une biographie et non à une « vie » dans le sens traditionnel du terme, en dépit du titre :
La gloire est essentiellement posthume […], elle concerne la postérité, alors que la célébrité repose sur la contemporanéité entre une personne et un public. Celle-ci n’est pas commémorative, mais épouse le rythme rapide de l’actualité. Tandis que la gloire désigne l’admiration unanime que nourrit une communauté à l’égard d’un individu jugé exemplaire, d’un héros mort qui incarnait certaines vertus intellectuelles, physiques ou morales, le ressort de la célébrité est différent : c’est la curiosité que suscite, chez ses contemporains, une personnalité singulière. Cette curiosité n’est pas toujours admirative et rarement unanime : il existe des criminels célèbres et des célébrités scandaleuses ou controversées90.
50Stendhal ne tarit toutefois pas d’éloges à d’autres endroits de sa « vie », n’hésitant pas à recourir à nombre de superlatifs pour qualifier tel opéra ou tel mouvement. Quelques années avant la publication du livre, le ton était différent, et l’enthousiasme plus nuancé. Ainsi dans une lettre à son ami Mareste du 30 août 1820, il affirme qu’« [o]n se dégoûte de Rossini. Sa réputation est plus générale que jamais ; elle est arrivée aux bas étages de la société91. » Le 22 décembre 1820, au même, il écrit : « Rossini ne fait plus que se répéter ; il est énorme, mange vingt bifteacks par jour, […] en un mot un porc dégoûtant92. » Et encore plus tôt, le 19 décembre 1819, Stendhal déclarait ouvertement : « Je vous quitte pour aller dîner avec Rossini, je passe ici pour être ultra-anti-rossinien93. »
51Le goût de Stendhal pour Rossini met en évidence les limites que pose l’écriture de biographies d’hommes vivants. C’est un goût en mouvement, au sens où il varie avec les œuvres et les époques, mais aussi parce qu’il est opportuniste : Rossini a beau être détestable en 1820, il peut néanmoins être utilisé en 1823 pour défendre la cause romantique et une certaine idée de l’art, contenue dans ces trois mots : abondance, vitalité et liberté.
Notes de bas de page
1 Lat. motion : « mouvement » et « trouble, frisson (de fièvre) » [en ligne] URL : <http://www.cnrtl.fr/etymologie/émotion> [consulté le 22/03/2020].
2 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 36.
3 F. Dosse, ouvr. cité, p. 185.
4 M. Winock, « Histoires d’historiens », Critique, no 781-782, 2012, p. 512.
5 Ibid.
6 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 57.
7 Ibid., p. 60.
8 Stendhal, Notices autobiographiques, ouvr. cité, p. 980.
9 Voir É. Talbot, Stendhal and Romantic Esthetics, Lexington, Kentucky, French Forum, Publishers, 1985, et plus récemment Marie-Rose Corredor (éd.), Stendhal « romantique » ? Stendhal et les romantismes européens, Grenoble, UGA Éditions (ELLUG), 2016 [en ligne] <https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ugaeditions/4893>.
10 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 75.
11 Ibid., p. 36, 35.
12 Stendhal, Souvenirs d’égotisme, ouvr. cité, p. 466.
13 Stendhal, Mémoires sur Napoléon, ouvr. cité, p. 249.
14 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 35.
15 Ibid., p. 118.
16 P. Valéry, « Stendhal », dans Œuvres complètes, t. i, Paris, Jean Hytier (éd.), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 558.
17 B. Pascal, Pensées, dans Œuvres complètes, Paris, Jacques Chevalier (éd.), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1964, p. 1102.
18 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 36.
19 B. Walton, ouvr. cité, p. 28-29. Nous proposons ici, ainsi que pour toutes les citations de B. Walton, notre propre traduction de l’anglais.
20 R. Ghigo-Bezzola, « Stendhal biographe », dans Stendhal hors du roman, ouvr. cité, p. 146.
21 B. Walton, ouvr. cité, p. 48-50.
22 É. Talbot, ouvr. cité, p. 11.
23 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 33.
24 Le hasard, en ceci qu’il s’oppose au pré-établi, est une composante importante du romantisme. Aussi Stendhal déclarait-il : « Il faut du courage pour être romantique, car il faut hasarder. » (Racine et Shakespeare, Paris, Garnier-Flammarion, 1970, p. 72)
25 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 95.
26 Ibid., p. 162.
27 Ibid., p. 35-36.
28 Ibid., p. 84.
29 Ibid., p. 99.
30 Ibid., p. 36.
31 Ibid., p. 99.
32 Stendhal, Souvenirs d’égotisme, ouvr. cité, p. 495.
33 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 87.
34 Ibid., p. 132.
35 Ibid., p. 133.
36 Ibid.
37 Ph. Roger, « Vies majuscules, vies minuscules », L’Année stendhalienne, no 15, 2016, p. 33-36.
38 Stendhal a toujours préféré jouir des arts que les pratiquer (voir la Vie de Henry Brulard). Ainsi, il ne sait pas lire la musique ni ne joue d’aucun instrument.
39 Stendhal, Journal, dans Œuvres intimes, t. i, ouvr. cité, p. 724.
40 Stendhal, Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, dans L’Âme et la musique, ouvr. cité, p. 26.
41 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 39-40.
42 Stendhal, Journal, dans Œuvres intimes, t. i, ouvr. cité, p. 54.
43 Ibid., p. 237.
44 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 45.
45 Ibid., p. 46.
46 Ibid., p. 270.
47 Ibid., p. 271-272.
48 Ibid., p. 424.
49 Stendhal, Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, ouvr. cité, p. 25.
50 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 438.
51 Ibid.
52 Ibid., p. 209.
53 Ibid., p. 71.
54 Ibid., p. 306.
55 Ibid., p. 310.
56 Ibid., p. 370-371.
57 Ibid., p. 57.
58 Stendhal, Vie de Haydn, ouvr. cité, p. 117.
59 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 173.
60 Ibid., p. 295-296.
61 Ibid., p. 299.
62 Ibid., p. 313.
63 Par exemple aux pages 354, 398 ou encore 419.
64 Ibid., p. 171.
65 Ibid., p. 191.
66 http://www.cnrtl.fr/etymologie/ravir [consulté le 22/03/2020].
67 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 218.
68 Ibid., p. 294.
69 B. Walton, ouvr. cité, p. 52.
70 Stendhal Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 169.
71 J. Prévost, ouvr. cité, p. 203. B. Didier a également montré en quoi les « vies » d’artistes écrites par Stendhal étaient un premier pas vers la Vie de Henry Brulard dans « Stendhal et la musique : de la biographie à l’autobiographie », dans Stendhal e Milano, ouvr. cité.
72 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 227.
73 Ibid., p. 150.
74 Ibid., p. 156.
75 Ibid., p. 377.
76 Stendhal, Vie de Henry Brulard, ouvr. cité, p. 958.
77 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 322.
78 Stendhal parle d’un chef d’orchestre français qui s’était permis de changer « la plupart des mouvements » de La Gazza Ladra, ce dont il fut scandalisé.
79 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 335.
80 Ibid., p. 336.
81 Ibid., p. 337.
82 Ibid., p. 355.
83 Ibid., p. 355.
84 Ibid., p. 355.
85 Ibid., p. 424.
86 B. Walton, ouvr. cité, p. 64.
87 Stendhal, Vie de Henry Brulard, ouvr. cité, p. 931.
88 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 438-439.
89 M. Gauchet, ouvr. cité, p. 11.
90 Antoine Lilti, Figures publiques. L’invention de la célébrité (1750-1850), Paris, Fayard, 2014, p. 13-14.
91 Stendhal, Correspondance, t. i, ouvr. cité, p. 1034.
92 Ibid., p. 1051.
93 Ibid., p. 1000.
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