Introduction
p. 11-41
Texte intégral
Place de Stendhal dans l’évolution du genre
1La présente étude a pour objet Stendhal biographe. Plus exactement, elle se propose deux objectifs : premièrement, interroger le statut générique ambigu de ces œuvres qu’on a coutume de désigner sous le nom de « biographies » stendhaliennes ; et deuxièmement, situer ces œuvres non seulement dans l’histoire plus générale des genres et des formes qui ont contribué à l’avènement tardif de la biographie française comme genre à part entière, mais aussi par rapport à la production autobiographique de Stendhal.
2Le mot « biographie », peu présent dans le lexique stendhalien, apparaît dans le dernier quart du xviie siècle en France (Pierre Bayle fut le premier à l’intégrer à la langue française dans son Dictionnaire historique et critique de 1697), mais il faudra attendre le xixe siècle pour qu’il soit adopté dans le vocabulaire courant. Se nourrissant de l’actualité et non plus du Temps et de l’histoire, ainsi que l’a montré Marc Fumaroli, la biographie remplace alors progressivement le genre de la « vie », dont le côté un brin suranné précipitera la disparition aux alentours de 19201. Genre profondément anglais à l’origine2 (Stendhal lui-même écrivit qu’il trouverait « beaucoup de traits chez les Anglais qui sont grands biographes, grands observateurs de détail, et qui fourmillent de banquiers3 ») et marqué outre-Manche par un « souci quasi obsessionnel de suivre au jour le jour le sujet biographé dans ses moindres recoins », la biographie, côté français, est « moins ambitieuse en termes d’informations », plus marquée par « son écriture littéraire », et assume « un parti pris, une vision partielle et partiale de la figure biographée4 ». Et tandis que la biographie anglaise met en évidence l’influence de l’historiographie, les formes de récits biographiques français portent l’empreinte du roman et de la fiction, bien qu’une parenté et une continuité évidentes entre l’écriture biographique et le genre des Mémoires soient également décelables dans la tradition biographique en France5. Autre spécificité notable de la biographie à la française par rapport à sa consœur anglaise : c’est avant tout sous sa forme collective, et non individuelle, que le genre biographique en France a le plus grand impact6. Les dictionnaires biographiques de l’époque sont le prolongement d’une tradition française profondément ancrée depuis la fin du xvie siècle, et dont les principaux représentants comptent parmi eux Louis Moréri, Pierre Bayle, Thomas Corneille ou encore Prosper Marchand. Au xviiie, des « vies » individuelles comme la Vie de Turgot et la Vie de Voltaire de Condorcet, l’Essai sur la vie de Sénèque le philosophe de Diderot, ou l’Histoire de Charles xii de Voltaire voient toutefois le jour, mais dans ces œuvres, où la part idéologique prévaut, l’accent reste placé sur l’historiographie. On écrit ces « vies » pour leur portée morale, pour les leçons que le lecteur pourra en tirer. Elles s’inscrivent directement dans la lignée des « vies » de Xénophon, de Plutarque, des Évangiles et plus tard des hagiographies, en ceci qu’elles perpétuent une tendance didactique de l’écriture biographique en France. Celle-ci prendra ensuite deux formes en particulier, sans jouir de grands lendemains : d’une part, l’oraison funèbre classique à la Bossuet et à la Massillon, qui fait l’éloge du sujet et édifie le lecteur ; d’autre part, la notice biographique, genre mineur, qu’on avait coutume de placer en tête des éditions d’œuvres complètes, comme la Vie de Blaise Pascal, écrite par sa sœur. Au début du xviiie siècle, on se méfie de la biographie (d’écrivain en particulier), car le biographe prend alors le risque de « s’attarder sur les détails supposés vulgaires de la vie privée » au détriment de la vie de l’esprit7. L’idée de Voltaire, également défendue par Fontenelle, selon laquelle « la vie d’un écrivain sédentaire est dans ses écrits », fait autorité pendant une bonne partie du siècle8. Bientôt, toutefois, cette conception se fragmente, et la vie de l’homme de lettres, les anecdotes et les petits faits le concernant commencent à susciter l’intérêt du biographe comme du lecteur9. En somme, un engouement pour le « détail » se profile, largement partagé plus tard par Stendhal, qui sera obsédé par le « petit fait vrai ». L’éloge classique et le panégyrique sont de plus en plus critiqués et délaissés, et « les anciens canons de l’exemplarité » sont remplacés par « ceux du pittoresque10 ». En somme, la notion clé de l’« intime » s’invite à la fête et déclenche, non sans faire froncer quelques sourcils, le passage d’une biographie dite classique, régie par des « normes quantitatives et qualitatives […] stables11 », à la biographie romantique, qui voit le jour à la fin de l’époque des Lumières (selon Richard Holmes, la biographie serait de toute façon par nature un « genre romantique, […] car elle repose autant sur une recherche objective que sur une quête intérieure12 »). Caractérisée par une « fluidité de la narration », une « douceur intimiste13 », le « [r]efus des limitations classiques », les « besoins nouveaux d’intimité (repli sur la famille, goût de l’enfance), de sensibilité, d’émotion14 », ainsi qu’une démarche empirique qui tous s’opposent au rationalisme du siècle passé, elle a pour tâche de « faire comprendre le cours singulier d’une existence singulière15 » et trouve sa forme la plus aboutie vers 1850, avec les recueils de « vies » de Sainte-Beuve16. Or l’activité biographique de Stendhal s’inscrit précisément dans ce moment charnière qu’est le premier tiers du xixe siècle, époque d’autant plus remarquable qu’elle correspond à « la période de formation des sciences historiques en France, au sens contemporain du terme : 1820-1825 », au cours de laquelle « se sont établies les bases intellectuelles et sociales du métier d’historien tel que nous le connaissons17 ».
3La facette biographique de l’œuvre de Stendhal reste largement délaissée de la critique par rapport aux gros ensembles que forment ses romans, ses nouvelles, ses chroniques italiennes, ses écrits personnels ou ses récits de voyage. Aussi Victor Del Litto écrivait-il dans la postface de son édition des Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase : « Les critiques se sont désintéressés de ce livre, le premier livre de Stendhal. Et si, parfois, quelqu’un s’en est occupé, cela a été pour ressasser la question des plagiats18. » Plus loin, il évoquait un « désintérêt des critiques, qu’ils soient stendhaliens ou historiens de la musique19 », désintérêt qui depuis cette époque s’est certes estompé, mais qui plus tard n’en a pas moins suscité des commentaires du même type. Ainsi Béatrice Didier en 1980 déplorait que ces Vies eussent été « trop longtemps méprisées par la critique », et s’étonnait également du « relatif silence de la critique stendhalienne et de son injuste mépris » envers la Vie de Rossini, silence d’autant plus étonnant selon elle que le succès de cette œuvre lors de sa publication le 15 novembre 1823 fut grand20. Suzel Esquier remarque pour sa part que « [l]a dimension qui a le plus anciennement frappé la critique est la dimension polémique de ces différents textes21 » qui, rappelons-le, jalonnent les différentes étapes du romantisme français. Ces constats ont été repris plus récemment dans le cadre d’études fort pertinentes, sur certaines desquelles nous aurons l’occasion de revenir22.
4Mais il faut à présent dire quelques mots sur les œuvres en question et les raisons qui expliquent le peu d’attention portée au pan biographique du corpus stendhalien, la Vie de Henry Brulard mise à part.
Haydn, Mozart et Métastase
5Les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, publiées en 1814 sous le nom d’auteur de Louis-Alexandre-César Bombet, ont longtemps eu contre elles le fait qu’elles sont en majeure partie le fruit d’un plagiat, ou, au mieux, d’une traduction plus ou moins libre de Stendhal, qui a retranché certaines parties du texte original et ajouté ici et là ses propres commentaires. Dans la préface de 1814, ce dernier, sous le pseudonyme de Bombet, expliquait l’objectif de son entreprise : « J’ai cherché à analyser le sentiment que nous avons en France pour la musique. Une première difficulté, c’est que les sensations que nous devons à cet art enchanteur sont extrêmement difficiles à rappeler par des paroles23. » Pour ce faire, il s’était fortement appuyé sur le travail de Giuseppe Carpani, familier de Haydn, qui en 1812 avait fait paraître un ouvrage en italien, Le Haydine ovvero lettere su la vita e le opere del celebre maestro Giuseppe Haydn, généralement désignées sous le titre abrégé de Haydine. Une longue polémique par lettres ouvertes avait vu le jour entre Bombet et Carpani à la suite de la publication de Haydn, Mozart et Métastase, polémique au cours de laquelle chaque protagoniste essaya de prouver qu’il était bel et bien l’auteur original des lettres sur Haydn, et l’autre son plagiaire. À une époque où la notion de plagiat était différente d’aujourd’hui, la mauvaise foi de Bombet, nullement gêné aux entournures par ses « emprunts » et son audace, atteignait des sommets.
6Bien que cette vision somme toute réductrice du plagiat ait fait l’objet de nuances avec les années, il reste difficile en lisant ce premier volume de déterminer qui parle réellement dans ces trois « vies » de musiciens. À en croire Romain Rolland, sur les deux cent quatre-vingt-dix-huit pages que comptait l’ouvrage de Carpani, Bombet en avait repris deux cents24. Malgré tout, une certaine tromperie se fait encore ressentir dans cette œuvre, ce qui n’empêche toutefois pas le lecteur de déceler çà et là des éléments éclairants propres à l’approche stendhalienne. En effet, Del Litto, qui laisse « l’histoire des plagiats aux amateurs de la “petite histoire” » et souhaite rendre justice à ce coup d’essai biographique, écrit que « les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase aboutissent à une esthétique ». Il explique que « [t]out en tenant compte de l’origine des composantes, on ne doit pas perdre de vue le fond de la théorie et son retentissement. Sous cet angle les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase s’inscrivent dans la courbe de l’œuvre stendhalienne au même titre que La Chartreuse de Parme25 ». Afin d’expliquer de quoi se compose cette « véritable théorie esthétique qu’Henri Beyle a mise au point grâce à Carpani », Del Litto cite Richard N. Coe, auteur d’une thèse sur le sujet, et à ce jour le seul traducteur anglais de la Vie de Rossini :
Trois thèmes principaux, dit M. Coe, sont développés par Carpani et largement traduits et souvent mot pour mot par Stendhal : à savoir que le plaisir causé par la musique est physique et non pas intellectuel ; que la capacité d’apprécier certains aspects de l’art change de pays à pays et enfin que, puisque toute musique est, à l’origine, de nature vocale, les formes idéales de l’expression musicale varieront nécessairement de région à région sous l’influence du langage qu’on y parle. […] L’usage que fera Stendhal de ces arguments est évident à tous les familiers de ses derniers écrits. Sous l’influence de Cabanis et de Montesquieu, il cherchera à diminuer l’importance linguistique de la dernière proposition de Carpani et à souligner au contraire la théorie des « tempéraments nationaux » suggérée dans la seconde. Mais à part cela, tous les éléments essentiels de son esthétique relativiste sont réunis dans ces quelques pages des Haydine26.
7On ne saurait donc sous-estimer l’importance de ce premier ouvrage publié à compte d’auteur, et dont les origines quelquefois douteuses ne doivent pas occulter la portée plus générale du contenu. Quant à la forme de l’ouvrage, elle représente un point de rupture, et à ce titre attire l’attention sur une évolution du genre. Ainsi Daniel Madelénat explique-t-il : « La structure biographique, jusqu’ici facteur solide de lien et d’homogénéisation, tend à se briser dans les Vies désinvoltes de Stendhal : la lettre vi sur Haydn — l’entrée du musicien au service des princes Esterhazy — ouvre la voie à l’ensablement de la biographie dans l’analyse critique, la digression ou l’anecdote27. »
Napoléon
8La Vie de Napoléon (1817-1818, publication posthume), que nous considérerons comme le premier volet d’un diptyque dont les Mémoires sur Napoléon (1836-1837, publication posthume) forment le second, est pour le moins déconcertante : l’ensemble, assez sec, d’un abord peu aisé, se présente de l’aveu même de l’auteur comme la compilation de bouts d’écrits empruntés à « deux ou trois cents » auteurs28. Cette construction en patchwork du récit historique incarne précisément la méthode par laquelle l’historien Augustin Thierry, selon Marcel Gauchet, a péché : « [L]e procédé auquel il [Thierry] se confie dans ce dessein est aussi instructif par son ambition que parlant dans son échec. L’historien doit s’effacer pour laisser son lecteur au contact des choses mêmes du passé. Pas de meilleurs moyens, pour ce faire, que de trier, monter et coudre bout à bout les documents originaux les plus suggestifs29. » La nonchalance de la déclaration de Stendhal ainsi que son manque affiché de rigueur laissent déjà poindre quelques doutes quant à la fiabilité et au sérieux de son entreprise. Une négligence assumée par rapport au traitement des sources se manifeste dès la préface, et ces deux œuvres, inachevées, rappellent combien le rapport de Stendhal à l’histoire fut délicat30. Celui-ci avait en effet, dans sa jeunesse, prévu d’écrire nombre de « vies » d’artistes et d’histoires des grands hommes de la Révolution, ainsi qu’une Histoire d’Espagne, dont une version inachevée et laissée telle quelle a récemment été publiée31.
9À l’origine, l’élaboration de la Vie de Napoléon est comparable à celle de Haydn, Mozart et Métastase : Beyle cueille les informations de-ci de-là, dans un article de l’Edinburgh Review en particulier, où figure un « compte rendu des Letters from St Helena du chirurgien William Warden32 ». Fondant son travail sur une traduction de cet article, il continuera « selon ce principe d’alternance : les traductions “polies” sont mises au net par [son copiste] Delbono, retravaillées par Stendhal, à nouveau recopiées par Delbono et ainsi de suite jusqu’à la dernière version du manuscrit relié, elle aussi annotée, et qui demeure en attente d’une phase définitive de rédaction33. » Beyle poursuit ses recherches et s’inspire d’autres auteurs : « l’abbé de Pradt, Hobhouse, Destutt de Tracy. » Cela se fait, d’après Catherine Mariette, « sans grande conviction ». C’est à partir de 1818 que la Vie de Napoléon, par la force des choses, prend une tout autre tournure : les Considérations sur les principaux événements de la Révolution française de Mme de Staël sont publiées de manière posthume, l’année suivant la mort de cette dernière. Beyle, offensé par l’anti-bonapartisme du pamphlet, fait de sa Vie une réponse cinglante à ce qu’il considère alors comme un « libelle ». Il n’en fallait pas plus pour que ce travail biographique sorte de l’histoire et vienne s’ancrer dans l’actualité la plus brûlante : dès cet instant, « le livre est devenu polémique34 ».
10Très vite, néanmoins, la Vie de Napoléon affiche au grand jour ses insuffisances : la prise de distance temporelle et le recul nécessaire de l’historien n’étaient pas assez grands, la matière encore trop récente, et Beyle savait pertinemment qu’une grande partie de la vérité resterait obstruée tant que les généraux de Bonaparte et les grands hommes de l’Empire n’auraient pas publié leurs Mémoires. D’où un second essai quelque vingt ans plus tard, les Mémoires sur Napoléon, pour l’élaboration desquels Stendhal « glane35 » (de son propre aveu) les pages à recopier dans Thiers ou Jomini. Mais en vingt ans, les choses ont bien évolué :
En 1836, le contexte politique a changé par rapport au temps de l’écriture de la Vie de Napoléon : les Bourbons ont fait place à la monarchie constitutionnelle et le regard des Français sur Napoléon n’est plus le même. Les libéraux sont au pouvoir, l’économie est florissante, le régime de Juillet ne craint plus l’Empereur, en passe de devenir un héros national et autour duquel commence à se tisser une glorieuse légende : les Mémoires des généraux d’Empire paraissent les uns après les autres, on songe à sculpter un tombeau de porphyre pour le retour des cendres en 1840. Ces Mémoires sur Napoléon sonnent donc comme la dernière nostalgie d’un témoin de la Révolution avant que ne se fige une image de Napoléon uniquement fabriquée par la plume des historiens36.
11Tandis que la Vie de Napoléon se présentait comme une compilation d’écrits sélectionnés par l’auteur, les Mémoires se veulent beaucoup plus personnels, Stendhal martelant qu’il a « connu », « fréquenté » et régulièrement « vu » l’Empereur37. L’aspect personnel de cette œuvre se manifeste surtout dans les deux projets de préfaces de 1836 et 1837, car c’est en elles que se fait véritablement sentir la voix de Stendhal, venu pourfendre le mensonge et la calomnie. Quant aux récits des grandes batailles, il avoue en toute simplicité avoir recopié ceux que Napoléon avait lui-même écrits.
12Mais Napoléon, être complexe entre tous, fait figure d’exception dans le traitement biographique de celui qui l’aura suivi à travers une bonne partie de l’Europe. Philippe Berthier rappelle que du fait de la proximité de l’auteur à l’Empereur, on ne saurait placer ces deux biographies sur le même plan que les vies d’artistes38. L’entreprise était trop personnelle, et la relation biographique entre l’auteur et son sujet apparaît donc ambivalente, car sympathie et fascination alternent avec jalousie et dépit. Michel Crouzet ira jusqu’à dire à propos des Mémoires sur Napoléon : « Là était le motif sérieux : raconter Napoléon, c’était se confesser39. » D’où une forme biographique qui peine à se trouver et à se stabiliser ; à la diversité des sources vient s’ajouter la pluralité des genres et des formes auxquels Stendhal puise et qui nourrissent ce récit de vie. Selon Rosa Ghigo-Bezzola, la biographie comme genre littéraire pourrait être la descendante logique du portrait, en vogue à l’époque romantique, et particulièrement goûté par Stendhal, qui en fit un, entre autres, de Napoléon. Elle relève également que Stendhal commence sa Vie par une « Histoire abrégée » : « Une définition particulière qui veut bien signifier que l’on ne se placera pas du côté de la biographie “classique” ni de la biographie pré-romantique40 […]. » Témoin les écarts de Stendhal par rapport à la « formule éprouvée » ; ainsi seulement ce dernier peut-il « traduire une destinée en ligne de vie intelligible » et mettre en évidence « les contrastes et la cohérence d’une individualité aussi complexe que celle de l’Empereur41 ».
13Pour son récit, Stendhal pouvait donc miser sur la « commodité et la souplesse de ce genre subalterne, mais populaire, idéalement structuré et libre, peu codifié mais fournissant un canevas tout prêt sur lequel broder42 », autant d’éléments qui ne pouvaient que le séduire et lui laisser libre champ. En opérant ainsi, Stendhal dans sa Vie de Napoléon « échappe à l’écueil des biographes, mémorialistes et ego-historiens : “l’idolâtrie individuelle”, pour frayer, avant la lettre, avec la “biographie sociale43” ». Qui plus est, Hélène Spengler met en avant l’hybridité de cette Vie de Napoléon, œuvre « génériquement “inclassable” » qui tient « à la fois de la narration bio-historique, de l’“histoire biographique d’un peuple”, telle que Volney l’a théorisée, et de l’essai de philosophie politique44 ». En cela, Stendhal abandonne la recherche d’exemplarité propre aux siècles précédents et participe à l’émergence d’une « nouvelle historiographie romantique concevant son objet sur le modèle de la chronique et du drame, avec ses acteurs, son décor, son public45 », héritée directement de Walter Scott. In fine, c’est une production bien étrange qu’il nous est donné de lire, car comme l’a de toute façon rappelé Mérimée :
Il était difficile de savoir ce qu’il [Stendhal] pensait de Napoléon. Presque toujours il était de l’opinion contraire à celle qu’on mettait en avant. Tantôt il en parlait comme d’un parvenu ébloui par les oripeaux, manquant sans cesse aux règles de la lo-gique. D’autres fois, c’était une admiration presque idolâtre. Tour à tour il était frondeur comme Courier, et servile comme Las Cases46.
Rossini
14En 1822, sous le pseudonyme d’Alceste, Stendhal avait fait publier un article intitulé « Rossini » dans la Paris Monthly Review. L’article avait connu un petit succès dans la presse anglaise. Cet essai constituera le premier pas vers un travail biographique de plus grande ampleur. La Vie de Rossini, écrite et publiée du vivant de Rossini (1792-1869), voit le jour la même année que la première mouture du fameux pamphlet romantique de Stendhal, Racine et Shakespeare : 1823, année charnière à plusieurs égards. Le lien qui unit ces deux œuvres est primordial, car « à travers ses écrits sur le théâtre et sur la musique, Stendhal tisse sa propre notion du Beau dans les différents arts47 ». Rossini est un prétexte idéal pour développer et renforcer certaines idées avancées dans Haydn, Mozart et Métastase, participer aux débats qui agitent les milieux à la fois littéraire et musical de l’époque, et parler de soi de manière déguisée. Car bien que cette fois-ci la part de plagiat soit tout à fait minime, voire nulle, l’auteur reconnaît avoir emprunté ici et là des articles de la presse européenne de son temps, sous couvert d’un je qui reprendrait leur contenu à son compte. Qui plus est, la Vie de Rossini est un livre opportuniste, puisque sa publication coïncide à quelques jours près avec la venue de Rossini à Paris : « N’était-il pas attendu comme un dieu48 ? » Fait peu notoire, cette œuvre de Stendhal fut celle qui eut le plus de succès, et elle lui aurait rapporté plus d’argent que tous ses autres livres réunis49.
15Structurellement parlant, la Vie de Rossini suit un développement chronologique relativement classique. Elle se présente comme un inventaire des différentes sensations éprouvées par le biographe (et parfois le public) à l’écoute des œuvres de Rossini, entrecoupé de digressions et de considérations sur des thèmes annexes, tels que la musique allemande ou le fonctionnement des théâtres en France. Cette « vie », comme le disait Stendhal à propos du style de Rossini, est toute en abondance et en profusion, ce qui certes lui confère son originalité, mais la rend plus difficilement abordable, surtout aujourd’hui. Le principal écueil auquel le biographe s’est heurté dans son projet est formulé dès la préface : « Il est si difficile d’écrire l’histoire d’un homme vivant ! et d’un homme comme Rossini, dont la vie ne laisse d’autres traces que le souvenir des sensations agréables dont il remplit tous les cœurs50 ! » La Vie de Rossini cherchera donc, cahin-caha, à mettre des mots sur des sensations, à faire revivre par l’écrit un langage et un style musicaux.
16Comme dans le cas des écrits biographiques sur Napoléon, la Vie de Rossini trahit la pluralité des formes qui ont influencé Stendhal dans son travail. Par conséquent, elle constitue une sorte de melting pot des genres. Pour Suzel Esquier, il est « plus aisé de dire ce qu’elle n’est pas : ce n’est ni une biographie — nous le savons — en dépit de ce que le titre pourrait laisser croire, ni une Histoire de la musique, malgré les déclarations réitérées de Stendhal sur son “métier d’historien51.” » Marquée par ses deux dimensions polémique et pédagogique52, la Vie de Rossini peut être définie en partie comme la « chronique musicale d’une époque », ou selon Henri Prunières, un « journal d’égotisme musical53 ». En fait, la notion de « multiplicité générique » nous obligeant, selon Jean-Marie Schaeffer, à « nuancer la notion d’appartenance » d’une œuvre à une classe spécifique54, mieux vaut simplement noter que la Vie de Rossini « tient du journal de voyage, du recueil d’anecdotes, de souvenirs, d’impressions musicales recueillies au cours du long séjour en Italie55 ».
17La Vie de Rossini est également une œuvre écrite à une époque de révolution profonde dans le domaine de la musique, ce qui explique pourquoi Stendhal, dans ses commentaires, apparaît toujours tiraillé entre deux types de critique musicale : la première, inspirée des Lumières, et la seconde, influencée par le romantisme allemand56. Benjamin Walton a également noté l’approche « physique » de Stendhal lorsque celui-ci évoque les réactions du public par rapport à la musique de Rossini : tout y est vu en matière de corps, d’agitation, de frissons. Rossini ne laisse personne indifférent : il transporte et électrise son audience.
18Selon Béatrice Didier, alors que la Vie de Mozart se rattachait à une forme de biographie dite « classique57 » (voire « hagiographique de type classique », bien que les traces de formes antérieures héritées de l’hagiographie aient pu être interprétées comme parodiques58), la Vie de Rossini appartiendrait au genre de la biographie dite « romantique », dont la diffusion s’opère « de la fin du xviiie siècle au début du xxe59 ». La particularité du romantisme en matière de biographie aura été d’insister sur le lien entre la vie et l’œuvre de l’artiste, lien « remis en cause au xxe siècle, [et] peu sensible dans la biographie “classique60” ». On ne saurait également oublier le contexte plus général de la publication de cette Vie de Rossini et l’importance des textes autobiographiques de musiciens publiés à la fin du xviiie siècle, de « divers ouvrages de théorie musicale et de pédagogie » au début du xixe, et enfin de la presse musicale. Le produit final que nous tenons entre les mains, ce « livre qui n’en est pas un » (c’est la préface qui le dit ironiquement), cette chronique musicale égotiste qui est tout en même temps une « histoire des mentalités61 », laisse de nouveau paraître l’ambivalence des sentiments et des jugements de Stendhal envers Rossini, variant selon les époques et allant des éloges les plus chaleureux aux critiques les plus acerbes.
Henry Brulard
19La Vie de Henry Brulard est l’œuvre autobiographique principale de Stendhal. Si nous avons inclus cette autobiographie parmi d’autres biographies, c’est bien parce que la distinction entre biographie et autobiographie n’est pas aussi prononcée au xixe siècle et avant qu’elle ne l’est aujourd’hui. Le grand homme de lettres anglais Samuel Johnson, par exemple, lui-même auteur de biographies et sujet d’une fameuse « vie », considérait l’autobiographie comme un type de biographie, dans laquelle l’auteur, plus averti des pièges de l’amour propre, aurait somme toute peu d’intérêt à mentir. Qui plus est, Johnson vantait dans l’autobiographe un historien plus sûr, plus fiable et donc plus vérace que le biographe62. Quant à Stendhal, il a explicitement établi la continuité logique entre son travail de biographe et d’autobiographe :
J’ai écrit les vies de plusieurs grands hommes : Mozart, Rossini, Michel-Ange, Léonard de Vinci. Ce fut le genre de travail qui m’amusa le plus. Je n’ai plus la patience de chercher des matériaux, de peser des témoignages contradictoires, etc. ; il me vient l’idée d’écrire une vie dont je connais fort bien tous les incidents. Malheureusement, l’individu est bien inconnu : c’est moi63.
20Rédigée entre fin 1835 et début 1836, la Vie de Henry Brulard devra attendre 1890 avant qu’un professeur d’anglais au lycée de garçons de Grenoble, Casimir Stryienski, ne la sorte du fin fond des sous-sols poussiéreux de la bibliothèque de Grenoble et de l’oubli dans lequel elle était tombée64. À quelques décennies près, le manuscrit avait connu le sort que Stendhal lui souhaitait : être oublié pendant deux cents ans, comme la fameuse Vita de Benvenuto Cellini, artiste de la Renaissance italienne dont le récit autobiographique avait récemment refait surface. Seul Romain Colomb, le cousin, ami proche et exécuteur testamentaire de Stendhal, avait connaissance du récit de vie inachevé. Il en avait lui-même exploité certains passages pour rédiger une notice biographique de son cousin65. Lui qui fut pourtant l’acteur essentiel de la diffusion et de la survie des œuvres stendhaliennes, ne trouva apparemment pas grand intérêt à ce manuscrit quasi illisible, du moins pas assez pour le publier.
21La Vie de Henry Brulard suit de quelques années les Souvenirs d’égotisme et approfondit les questions directrices qui y étaient esquissées : que suis-je ? qu’ai-je été ? Cette autobiographie écrite au fil de la plume se veut comme « une lettre écrite à un ami », rejette toute forme d’emphase à la Rousseau et se présente comme un modèle de sincérité et de vérité. La période couverte va de la petite enfance du narrateur jusqu’à son arrivée à Milan en 1800 à la suite de l’armée de Bonaparte, moment de bonheur si vif que le récit, incapable de le soutenir ni de le transmettre, prend naturellement fin : « On gâte des sentiments si tendres à les raconter en détail66 ». Les deux chapitres d’introduction, néanmoins, se situent dans le présent de l’écriture, à Rome, en 1835-1836, et donnent lieu à de nombreux retours dans le passé. Les souvenirs, par associations, en suscitent d’autres. Le ton est à la rêverie, passé et présent sont brouillés, figures littéraires, historiques, femmes aimées et lieux vénérés se superposent. Ces deux chapitres servent surtout à justifier auprès du lecteur le projet autobiographique, à savoir un profond désir de connaissance de soi, Stendhal déplorant le fait qu’il va avoir cinquante ans et qu’il ne se connaît pas lui-même. Il est difficile de dire si ce but a été atteint lorsque le récit prend fin de manière abrupte, car comme le narrateur le rappelle au chapitre i : « [Q]uel œil peut se voir soi-même67 ? » Enfin, l’une des particularités de l’œuvre qui participe à son charme est la présence de nombreux croquis et dessins, le plus souvent destinés à éviter de trop nombreuses descriptions, abhorrées de Stendhal. Partant, la Vie de Henry Brulard est une œuvre visuelle tout autant qu’écrite. En particulier du fait des travaux importants de Philippe Lejeune sur l’autobiographie depuis les années 1970, cette « vie » échappe complètement au désintérêt de la critique évoqué plus haut. À l’inverse des autres « vies » (car, de par son titre, elle appartient au genre des « vies »), elle a fait l’objet d’une attention critique intense. On ne compte plus le nombre d’éditions de la Vie de Henry Brulard, fruit de fréquentes relectures et corrections, qui de Champion à la « Bibliothèque de la Pléiade » en passant par les Folio, les Classiques Garnier et les Livres de Poche, aura connu une vitalité éditoriale intense. L’autobiographe, contrairement au biographe, a fait couler et continue de faire couler énormément d’encre.
22Ainsi Stendhal s’est adonné à l’écriture biographique tout au long de sa vie, avec plus ou moins de succès, parfois comme simple remède à des histoires d’amour malheureuses. L’inachèvement, le manque de recul, la rapidité dans l’exécution, les emprunts, les plagiats, la relation du biographe au sujet, la pluralité de la voix auctoriale, le problème de la méthode dans le traitement des sources historiques, et fondamentalement le manque d’unité entre ces œuvres distinctes, sont autant d’éléments qui ont pu jouer contre ces œuvres et justifier le relatif délaissement par la critique. Et par-dessus tout, Stendhal n’a pas marqué le genre de la biographie comme il a marqué celui du roman ou de la nouvelle : nombreux sont les écrivains qui se réclameront de lui d’une manière ou d’une autre dans l’un de ces genres. Mais quid du Stendhal biographe et de sa contribution originale ? Pourtant, l’intérêt de Stendhal pour le genre biographique remonte à loin et rappelle que bien avant de considérer le roman comme forme propice à transcender son expérience personnelle et exprimer la vérité sur les choses, Beyle rêvait surtout de percer dans le théâtre. C’est suite à son échec à devenir le Molière de son siècle qu’il s’est improvisé biographe.
Parcours de Stendhal biographe : lire, écrire
23Stendhal fut un ardent lecteur de « vies68 ». Il y a, au début, lorsque le jeune Henri Beyle étudiait le latin, les « vies » des grands hommes de l’Antiquité, racontées par Cornelius Nepos, et celles du manuel de latin De viris illustribus de Lhomond69. Viennent ensuite les traductions de Tacite faites à l’École centrale, puis l’étude des Vies parallèles de Plutarque, dont Beyle souhaite s’inspirer pour sa Vie de Napoléon70. Un commentaire tiré de ses journaux résume les conclusions tirées par Stendhal de ces deux lectures :
[Plutarque] manque quelquefois d’ordre et souvent de force dans ses descriptions. Tacite lui est supérieur de ce côté […], mais nous sommes plus près des personnages de Plutarque. Ce sont des caractères vivants et voilà ce qui est si bon pour moi71.
24Les journaux et la Vie de Henry Brulard font mention de certaines œuvres majeures dans le domaine. Vers 1799, raconte Beyle, « [j]e traduisis avec plaisir la Vie d’Agricola de Tacite, ce fut presque la première fois que le latin me fit plaisir72 ». Le second volume d’une traduction de la Vie d’Alexandre de Quinte-Curce, faite par son précepteur de latin Joubert, lui est laissée en legs par ce dernier73. Début 1805 : « Je lis la Vie de Sénèque par Diderot, bon ouvrage74. » En 1806, Stendhal cite la Vie de Duclos, placée en tête de ses Œuvres complètes parues la même année, et lue « avec le plus de plaisir ». Duclos, avoue-t-il, lui a permis de progresser dans sa connaissance du monde75. La Vie d’Alfieri écrite par lui-même est rapidement lue lors d’un voyage en 1809 ; Stendhal y puisera « quelques aperçus sur le caractère italien76 ». Quant à la fameuse Vie de Benvenuto Cellini, traduite en français au début du xixe siècle, elle lui offre un modèle d’écrit autobiographique destiné à la postérité77.
25Le 15 août 1839, à Civita-Vecchia, la Vie de Dante écrite « par ce plat de Fauriel » procure au consul énormément d’ennui78. Il s’agit en fait, plutôt que d’une « vie », d’un article intitulé « Dante », publié dans la Revue des Deux Mondes de 1834. Dante réapparaît moins d’un an plus tard : « Dom[ini]que n’a pas la moindre mémoire de cette Vie de Dante par M. Fauriel qu’il a lue deux fois au moins avec une extrême attention ; donc il n’a aucun talent pour le genre historique. 18 avril 1840. » Et juste à la suite : « Cette Vie de Dante est à traduire en français et à abréger. Je me souviens que j’eus déjà cette opinion quand elle parut. J’estimais beaucoup le talent de M. Fauriel79. » (Notons ici que la déclaration sur la traduction « à abréger » est révélatrice de la méthode de Stendhal, fidèle à lui-même quelque vingt-cinq ans après la publication des Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, qui fondamentalement sont des traductions abrégées et remaniées.) Si le Dante de Fauriel n’a pas trouvé grâce à ses yeux en 1839, il n’en allait pas de même en 1815, où un commentaire nous éclaire de nouveau sur les sources et la méthode adoptée :
« Je trouve enfin un auteur de vies qui pense et qui n’écrit pas trop pédantesquement, c’est Cesare Arici, auteur de la vie de Dante, bonne à traduire for some biographia. Idem de la vie de Bembo, par Francesco Angiolini. »
26Quelques jours plus tôt, il consignait qu’il y avait « quelques faits à prendre dans la vie de Métastase par Venanzio, Vita e rittrati degli illustri Italiani » ; et plus bas, dans un anglais peu sûr : « I should can translate for biogr[aphia] if I had some introducteur of these life and give Métastase80. »
27Au chapitre xxix de la Vie de Henry Brulard, Stendhal se sert de « la Vie de Hampden, par lord King ou Dacre, son arrière-petit-fils81 », pour décrire le caractère admirable de son ami d’enfance Louis Crozet : celui-ci « eût été un héros dans une assemblée délibérante, un Hampden, et, pour moi, c’est tout dire82. » Cette remarque est révélatrice de l’usage qu’a longtemps fait Stendhal des « vies » qu’il a lues : il y a puisé des exemples de caractères forts et vertueux afin de s’en resservir pour son théâtre, ses romans, voire les descriptions de ses propres connaissances. L’une des grandes qualités de ce genre à ses yeux est qu’il lui fournit des modèles, des types d’hommes tout faits.
28Il est fait mention, à travers les écrits personnels de Stendhal, d’autres « vies » lues (en particulier des romans, tels que Vie de Marianne de Marivaux ou Vie et opinions de Tristam Shandy de Sterne), mais celles que nous venons de mentionner suffisent pour constater la vaste étendue des lectures de Stendhal, de l’Antiquité au début du xixe siècle. Il faut surtout distinguer, parmi les auteurs d’écrits biographiques plus proches de Stendhal dans le temps, deux catégories : premièrement, les mémorialistes français, dont Saint-Simon, madame Roland et Duclos constituent les représentants les plus visibles ; et deuxièmement, les biographes anglais, en particulier les deux principaux du xviiie siècle : Samuel Johnson et James Boswell. Johnson est une figure centrale, car non seulement il est l’auteur des célèbres Lives of the Poets, mais surtout il est le sujet de la « vie » de son ami et biographe James Boswell, la fameuse Life of Samuel Johnson.
29Le nom de Johnson apparaît à divers endroits dans les écrits de Stendhal, en particulier dans ses journaux. Élogieux par moments, critique à d’autres, Stendhal admire surtout en Johnson l’auteur du Dictionary of the English Language et de la Preface to Shakespeare, la seconde lui fournissant des arguments pour son pamphlet Racine et Shakespeare (dans lequel il désigne Johnson comme « père du romanticisme ») et des idées de caractères ou de personnages pour ses pièces de théâtre. Ainsi dès 1808 il consigne : « Je lis la préface de Johnson à Shakespeare. Judicieuse et à discuter83. » Plus tard, sur une remarque à propos de Henry V : « J[ohnson] a parfaitement raison. Cette idée m’était venue en lisant84. » En 1810, il établit une liste des pièces de théâtre qu’il compte écrire ; l’une d’elles s’intitulait : « L’Homme de lettres. 5 [actes]. Imaginé près du portrait de Richmond, après avoir lu la vie d’Addison dans Johnson85. » Toutefois, en 1818, on trouve dans l’Histoire de la peinture en Italie des commentaires sévères sur Johnson, dont nous indiquons le contenu en note86.
30Stendhal était familier des divers écrits sur la « vie » de Johnson. Au-delà de l’éminent spécialiste de Shakespeare, il admirait aussi en ce dernier, bien que dans une moindre mesure, le biographe, comme il l’avouera à sa sœur. On trouve dès 1808 des traces de ces lectures : « J’écris ceci à 8 heures précises. J’ai lu très facilement jusqu’à ce moment la Vie de Johnson87. » Il ne s’agit pas encore ici de la biographie écrite par James Boswell, mais de ce qui s’apparente à une notice placée au début de The Works of Samuel Johnson to which is prefixed an Essay on his life and genius by Arthur Murphy, ouvrage publié en 1801. Juste un peu plus loin : « Après le barbier, j’ai lu quelques pages de la Vie de Johnson, que M. Eschenbourg m’a prêtée. […] Après une heure et demie passée chez lui, je suis revenu chez moi, où j’ai lu jusqu’à 3 heures la Vie de Johnson. J’en ai lu en tout dans la journée cent pages in-octavo avec plaisir, sans dictionnaire, car je n’en ai point88. » Enfin : « Après dîner, Johnson. […] Voici ce que j’appelle un bon trait de caractère presque assez sublimé pour le théâtre, et tel que j’en voudrais avoir un volume in-quarto, il peint l’envieux puéril : [Stendhal cite un long passage de la Vie de Johnson]89. » Il faut noter ici que l’exemple cité est pris non d’un écrit de Johnson, mais de sa vie même ; la figure de Johnson a un aspect double, étant à la fois biographe lui-même et sujet d’une biographie, donc modèle. Beyle étant jeune se proposait déjà d’écrire une « vie » de Johnson, ce qui n’est pas étonnant, car il pouvait disposer à cette époque de nombreuses sources biographiques : après la mort de Johnson en 1784, une abondance de publications sur le grand homme vit le jour90. En 1810, Stendhal recommandera à sa sœur quelques lectures édifiantes : « Voici, au hasard, des titres de livres qui m’ont plu à tort ou à raison : […] Lifes [sic] of poets by Johnson. His preface to Shakespeare91. » Il faut croire que Stendhal connaissait Johnson assez bien pour le citer de mémoire, ce qui donne lieu à ce commentaire tiré des Promenades dans Rome : « On connaît le mot de Johnson sur les fils aînés des pairs d’Angleterre : “Le droit d’aînesse a ce grand avantage de ne faire qu’un sot par famille92.” »
31Quant à James Boswell, Beyle s’y intéressa lors de sa lecture de Murphy afin d’y trouver de plus amples informations à propos du Dictionary de Johnson. L’étude de Boswell était en effet beaucoup plus riche, et Murphy, qui s’en était inspiré, y renvoyait régulièrement. Il est intéressant de noter l’intitulé complet de la biographie de Boswell, souvent abrégée en simple Life of Johnson. En réalité, le titre est : The Life of Samuel Johnson, LL. D., comprehending an account of his studies and numerous works, in chronological order; A series of his epistolary correspondence and conversations with many eminent persons; And various original pieces of his composition, never before published: The whole exhibiting a view of literature and literary men in Great Britain, for near half a century, during which he flourished. By James Boswell, Esq93. Le titre intégral nous renseigne sur bien des aspects et des objectifs de la biographie britannique à l’époque, du moins telle que Boswell, dans la lignée de son maître et ami Johnson, la concevait.
Justification du corpus retenu
32Fort de ses lectures (tout du moins, celles de jeunesse), Henry Beyle a peut-être souffert d’un excès d’ambition lorsqu’en 1803 il consignait dans l’un de ses journaux ses projets d’« Ouvrages en prose ». À long terme, il se proposait en effet d’écrire : « Histoire de Bonaparte. Histoire de la Révolution française. Histoire des grands hommes qui ont vécu pendant la Révolution française. Commencer ces trois ouvrages à 35 ans, dans quinze ans d’ici94. » On retrouve en 1810 une liste plus précise, qui cette fois donne la part belle aux artistes et aux écrivains plutôt qu’aux personnages historiques :
Je m’occupe donc à écrire un mince volume in-8o. Il contiendra les vies de : 1o Raphaël, Jules Romain, le Dominiquin, Paul Potter, Rubens, Van der Werff, le Poussin, le Titien, le Corrège. 2o Pergolèse, Durante, Cimarosa, Mozart, Haydn ; une notice sur Canova, Fioravanti, Paisiello, Monti. 3o Lope de Vega, Shakespeare, Cervantes, le Tasse, Johnson, Schiller, Algernon Sidney, Alfieri. Chacune de ces trois sections sera précédée d’une notice que je m’engage à ne pas étendre au-delà de dix pages95.
33Beyle concevait donc son travail en termes de recueils collectifs de vies plutôt qu’en termes de biographies individuelles, et de ce fait il abordait le genre d’une manière qui est révélatrice de son époque, marquée par l’émergence de volumineux dictionnaires et recueils biographiques, dont ceux de Michaud et Sainte-Beuve formeront les exemples les plus représentatifs.
34Mais peu de « vies » de grands hommes ont finalement vu le jour, malgré la bonne volonté du jeune diariste. Et chaque biographie stendhalienne, en ceci qu’elle reflète les problèmes artistiques, politiques, historiques et littéraires d’une époque donnée, était appelée à diverger de ses consœurs. D’où le tiraillement intrinsèque de ces œuvres qui se présentent comme des « vies » alors qu’elles fonctionnent en réalité comme des biographies, c’est-à-dire des œuvres ancrées dans l’actualité et non dans l’histoire, selon la distinction opérée par Marc Fumaroli. C’est donc la volonté de considérer ces « vies » comme un ensemble, d’interroger les termes de « vie » et de « biographie » chez Stendhal sous leurs divers aspects : génériques, stylistiques, méthodologiques et historiographiques, qui guide les chapitres rassemblés ici. Pour cette étude, nous avons choisi de ne pas inclure des récits comme La Vie et la mort de Mina de Vanghel, ou en passe d’être traduits et fictionnalisés, comme la Vita di D. Ruggiero, tirée de Mémoires réels et dont seule une préface a abouti96, car ceux-ci appartiennent résolument au domaine de la fiction, et de ce fait ne répondent pas aux mêmes critères que les « vies » des grands hommes. (Précisons d’emblée qu’il ne s’agira pas ici d’étudier les projections de Stendhal biographe sur sa production romanesque, même si ses grands romans pourraient être appréhendés comme autant de « vies » de Julien Sorel, Fabrice del Dongo ou Armance97.) Dans un registre quelque peu différent, la brève tranche de vie de Guillaume de Cabstaing, traduite « mot à mot » de manuscrits provençaux et qui constitue la matière principale du chapitre lii de De l’amour, ne saurait elle non plus être considérée comme une biographie à part entière. Des raisons plus pratiques expliquent également pourquoi la Vie de Mozart, la Vie de Métastase et les « vies » de peintres de la Renaissance italienne n’ont pas été retenues pour le cadre de cette analyse : la première collant de beaucoup trop près au texte d’origine, la matière et l’originalité purement stendhaliennes en sont moindres. Quant à la Vie de Métastase, qui est en fait constituée de deux lettres au sujet de ce librettiste (selon Stendhal, ce dernier égalait Shakespeare et Virgile), elle est trop courte pour justifier une étude en profondeur. Quant à Vinci et Michel-Ange, d’une part le traitement des sources révèle le même type de problèmes, et d’autre part l’insertion de ces deux « vies » au sein de l’Histoire de la peinture en Italie trahit un manque d’indépendance de ces textes. En bref, ces deux « vies » de peintres font figure avant tout d’illustration d’un sujet plus vaste, et en cela les problèmes strictement génériques qu’elles soulèvent n’ont ni la même valeur ni la même force que dans le cas des autres « vies ». Toutefois, Laurent Giraud note très justement que la Vie de Léonard de Vinci non seulement « pulvérise les règles de la “vie” classique » et « autorise l’interrogation, là où la “vie” des Lumières ne voyait souvent que certitude », mais aussi que Stendhal y « jette les prémices d’une science biographique à la fois intuitive et rigoureuse qu’il réemploiera dans la Vie de Rossini comme dans les Mémoires sur Napoléon98 ».
35Face à ce nombre significatif de biographies écrites, traduites ou envisagées, nous avons choisi de restreindre la présente étude à quatre figures : Haydn, Napoléon, Rossini et Brulard. Placer ces « vies » sur un même plan amène à confronter les différentes facettes du mot « vie » tel qu’il est utilisé par Stendhal. Car quoi de plus disparate que les œuvres dont il est question, tant dans la forme que dans le contenu ? Alors que les Lettres écrites de Vienne en Autriche sur le célèbre compositeur Haydn (cette biographie « juvénile » de Milan99) suivent de près le sentier défriché par Carpani dans ses Haydine de 1812 et servent de palliatif à quelques maux d’amour, la Vie de Napoléon se veut comme une réponse à un libelle. D’autre part, tandis que la Vie de Rossini, écrite de son vivant, ne cherche pas à connaître un homme, mais à restituer le souvenir de sensations agréables, la Vie de Henry Brulard tente, en vain, de répondre à une interrogation qui sonne comme une antienne : « Qu’ai-je été ? que suis-je100 ? » Ainsi le socle commun de ces travaux biographiques — le mot « vie » — place le lecteur à un véritable carrefour générique. Et bien que Stendhal, pour justifier ce passage de l’écriture de « vies » des autres à la sienne, avoue ne plus avoir « la patience de chercher des matériaux, de peser des témoignages contradictoires », c’est précisément, malgré quelques contraintes liées à sa position de consul vers 1835, la méthode qui sera adoptée dans Henry Brulard (le dernier chapitre de cette étude y revient en détail), d’où ce fil rouge qui traverse les quatre œuvres retenues ici et qui donne au corpus sa cohérence.
36À aucun moment il ne s’agira ici de conclure à une quelconque unité du genre biographique chez Stendhal, mais plutôt d’établir des ponts et des correspondances entre les différentes composantes du corpus, et ce non afin d’aboutir à une définition catégorique de la biographie stendhalienne (car comme le rappelle Tzvetan Todorov, « toute œuvre modifie l’ensemble des possibles, chaque nouvel exemple change l’espèce101 »), mais plutôt en vue de dégager les principes de ce que l’on pourrait désigner sous le nom de pratique de l’écriture biographique chez Stendhal, avec toutes les complexités et nuances que celle-ci implique.
Historiographie et terminologie
37Il y a une pluralité des approches chez Stendhal, que les préfaces ont pour tâche première de présenter, avec plus ou moins de succès. Le terme d’« approche » paraît plus approprié que celui de « méthode », celle-ci supposant une rigueur dans le traitement des sources historiques qui fait souvent défaut chez Stendhal, Victor Del Litto allant jusqu’à parler, concernant ses Notices autobiographiques, d’« inexactitudes » et de « véritables altérations, conscientes ou inconscientes, de la réalité historique102 ». À quoi il faut ajouter par endroits le manque évident de recul nécessaire (la Vie de Rossini est écrite à chaud, en pleine joute romantique), ainsi que la récurrence, au sein du texte, de la voix du biographe-historien-conteur, rendant plus difficile un rendu un tant soit peu impartial des faits. Ces remarques expliquent en partie pourquoi l’« Histoire de la Révolution française » évoquée en 1803 n’a jamais vu le jour, et pourquoi l’Histoire d’Espagne, ainsi que la Vie de Napoléon et les Mémoires, sont tous restés à l’état d’ébauches. Le mot « vie » permettrait alors à son auteur d’écrire l’histoire d’une manière déguisée et plus libre103, à une époque où les historiens libéraux (François Guizot, Adolphe Thiers, François-Auguste Mignet) comme romantiques (Victor Cousin, par exemple), à l’inverse, dépersonnalisent l’histoire et « concentrent leurs travaux de recherche sur l’histoire des civilisations, des peuples, des sociétés et des institutions », et « à partir du collectif à l’œuvre dans l’histoire », tentent de faire parler « les événements du passé, surtout pour répondre à l’énigme que représente la Révolution française104 ». Plus particulièrement, par le biais de la philosophie hégélienne, Victor Cousin et les historiens romantiques « considèrent l’histoire comme le déploiement inexorable d’un plan animé par une raison que la raison des acteurs ne connaît pas105 ». Et Marcel Gauchet d’expliquer :
Le souci d’élargir l’enquête historiographique au-delà du cercle des grands acteurs politiques butait, on l’a dit, sur la représentation faisant dépendre l’existence collective de la volonté souveraine. Le renversement libéral, en faisant passer en-bas ce principe de cohésion qui était supposé découler de l’action d’en-haut, en dotant la société civile de sa loi propre de constitution (sur le modèle du marché), en discernant des résultantes là où l’on situait des sources […] va créer les conditions d’une entente toute nouvelle du dynamisme collectif. De là l’entrée des masses dans l’histoire106.
38Quant au « grand homme », héritage du xviiie siècle, il est « impuissant, à lui seul, à décider du cours des événements. Il est situé dans un réseau de facteurs déterminants qui s’appellent les masses, les “besoins” ou les “idées” du temps, et, en dernière analyse, l’Humanité, ou la Providence107. » D’une certaine façon, et dans la mesure où il se revendiquera historien, Stendhal cheminera donc, d’un point de vue historiographique, à contre-courant des tendances de son époque, au risque de conforter un peu plus le genre de la « vie » dans son rang d’« auxiliaire subalterne de la connaissance historique108 ».
39Certes le mot « vie » est récurrent et présent dans les titres, mais chez Stendhal les appellations sont quasi interchangeables, et il est par conséquent essentiel de s’interroger sur la palette de termes employés par lui pour désigner ses œuvres de nature biographique : brochures109, notices, histoires, historiettes110, biographies111, traités, « ouvrages sur la musique112 », confessions, Mémoires personnels, Mémoires sur la vie de…, lettres sur…113, c’est-à-dire autant de dénominations qui mettent en évidence l’importante plasticité du genre, et qui dès le titre conditionnent notre lecture. Car comme le rappelle Gérard Genette, « la perception générique, on le sait, oriente et détermine dans une large mesure l’“horizon d’attente” du lecteur, et donc la réception de l’œuvre114 ». Dans le cas de la Vie de Napoléon, par exemple, il est significatif que Pietro Borsieri, écrivain romantique milanais proche de Stendhal qui avait eu accès au manuscrit, ait fait part à ce dernier de ses doutes quant au titre choisi, anticipant de ce fait des questions d’ordre générique de première importance :
Je ne crois pas que vous puissiez intituler le livre : Vie de Napoléon Bonaparte. Une Vie doit me faire connaître par le détail toute la série des douleurs et des plaisirs qui ont puissamment influé sur une grande âme et l’ont fait devenir ce qu’elle est. […] Mais bien considérée la nature de votre écrit tel qu’il est et en le conservant comme il est, je voudrais qu’au lieu de l’intituler Vie, vous lui donniez pour titre : Considérations sur la vie de Napoléon Bonaparte. Cela est d’autant plus nécessaire que l’on ne donne pas la Vie d’un homme vivant et votre livre intitulé et qualifié Vie serait plutôt un fragment qu’une œuvre complète115.
40Suzel Esquier avait justement noté que « si les biographies de musiciens sont des textes profondément énigmatiques, c’est d’abord que ces textes répondent peu à leurs titres116 ». C’est l’entremêlement des genres et des formes qui confère à ces œuvres leur « statut bâtard117 », pour reprendre l’expression de Jean-Marie Schaeffer. Ce dernier, selon qui on ne saurait « décomposer la littérature en classes de textes mutuellement exclusives, dont chacune posséderait son essence118 », pose une question essentielle, présente en filigrane tout au long de notre analyse : « [L]’appartenance d’un texte à un genre donné implique-t-elle du même coup son exclusion des autres genres119 ? » À travers cette question, c’est plus généralement toute la pertinence de la classification générique pour la critique littéraire qui se trouve remise en cause.
Structure de l’ouvrage
41Au vu de ces constats, plusieurs questions guideront notre lecture. Étant donné la multitude des formes que leur auteur leur attribue, que sont réellement ces biographies, si tant est qu’on puisse (ou doive) leur attribuer un genre bien défini ? Dans quelle mesure s’inspirent-elles, ou à l’inverse se démarquent-elles, des modèles pré-existants, c’est-à-dire des divers avatars du genre biographique au cours des siècles antérieurs, en France en particulier ? Enfin, qu’est-ce que l’écriture biographique chez Stendhal révèle de l’approche romantique du sujet historique et artistique ? La présente étude se propose donc de clarifier la place des « vies » stendhaliennes dans l’évolution du genre biographique en France et de montrer en quoi la biographie stendhalienne cherche constamment à s’éloigner du genre de la biographie, à le renier, même, tout en s’en réclamant. D’où cette tension caractéristique des quatre œuvres retenues. C’est comme si, pourrait-on dire, Stendhal tournait autour du pot : la biographie devient alors prétexte. La large gamme de vocables utilisés par l’auteur pour évoquer les œuvres en question atteste de l’instabilité du genre choisi, caractéristique d’une époque charnière qui remet en question les anciennes formes, appelle à une refonte des genres et se cherche de nouveaux modèles. Tous les termes génériques employés par Stendhal révèlent en fait un tâtonnement, ce que la forme de ces « vies » met à son tour en évidence : celles-ci se nourrissent de genres divers et ne semblent suivre aucune forme en particulier, fidèles au principe énoncé par Leon Edel selon lequel « toute “vie” prend sa propre forme, et le biographe doit trouver la forme littéraire idéale et unique pour parvenir à l’exprimer120 ». En d’autres termes, mettre en lumière une « existence singulière121 », pour reprendre l’expression de Rosa Ghigo-Bezzola, passe aussi et surtout par une singularité du support biographique.
42Le présent ouvrage est divisé en quatre parties. Le chapitre i, « Des journaux à l’épitaphe », avance une explication à l’intérêt que Stendhal a pu éprouver pour des vies autres que la sienne, car loin d’être né écrivain (encore moins biographe), il l’est devenu, et a toujours tenu à faire part de sa désillusion quant à toute forme de génie personnel : « Si j’eusse parlé vers 1795 de mon projet d’écrire, quelque homme sensé m’eût dit : “Écrivez tous les jours pendant deux heures, génie ou non122.” » Cette prise de conscience s’est traduite par la rédaction prolifique de « journaux et papiers », qui loin de constituer un tout homogène (communément désigné sous le nom de « journal » de Stendhal), forment un ensemble d’écrits « personnels » plutôt qu’« intimes », composés pêle-mêle « de réflexions littéraires, de projets, de papiers divers et de notes de lecture commentées ou non123 », invitant ainsi le lecteur à suivre « un itinéraire complexe qui tient à la fois de la formation intellectuelle, du programme de vie et de l’usage du monde124 ». Le volume de ces journaux a diminué avec les années lorsque d’autres types d’écrits (biographies, pamphlets, romans) ont commencé à apparaître. En somme, le support du journal, « apparition récente dans le panorama littéraire125 », a constitué un formidable terrain d’expérimentation et d’entraînement à l’écriture. Ce premier chapitre a un double objectif : premièrement, proposer, si ce n’est une alternative, du moins un complément à l’analyse de Jean-Pierre Richard et de Roland Barthes126, qui tous deux ont vu, dans le passage de l’écriture personnelle au récit fictionnel, un moyen pour Stendhal de transcender ses émotions et ses perceptions, et ainsi de les communiquer plus effectivement ; deuxièmement, tenter de comprendre comment s’opère le passage du je au il, et quelles sont ses implications quantitatives (diminution du volume des écrits dits intimes, personnels ou autobiographiques) et génériques (passage de l’autobiographie à la biographie). Rappeler que la biographie stendhalienne a émané de l’écriture de soi, c’est déjà expliquer en partie l’originalité de ces œuvres et leur rapport à la méthode de Boswell, qui fut un diariste infatigable. Cela fournit également un début de justification quant à la forme particulière que ces œuvres prendront en pleine période romantique. Notre première partie se situe donc en amont de la rédaction et de la publication des diverses « vies ». Elle se donne pour but, en en analysant les germes, et en prenant l’épitaphe comme forme ultime et minimaliste de biographie, de mieux les situer dans le cheminement de Stendhal. Cette évolution est essentielle à prendre à compte, car même dans la Vie de Henry Brulard, qui vient parachever ce travail biographique, un doute subsiste quant à la nature de l’œuvre.
43La Vie de Rossini, plus que toute autre œuvre de Stendhal, met en évidence le flou générique évoqué plus haut : « Le présent livre n’est donc pas un livre », précise, comme on l’a dit, l’introduction. Ce sont ces deux idées qu’aborde le chapitre ii, « Mouvements rossiniens », en décortiquant les diverses formes prises par le mouvement, ainsi que ses conséquences sur les plans stylistique et générique. La Vie de Rossini, publiée en 1823, semble en effet incarner le parangon de la biographie romantique. Et s’il est difficile de décrire de manière précise et exhaustive ce qu’est la biographie romantique, il reste toutefois certain que celle-ci rompt totalement avec la biographie dite classique. Sur le plan stylistique, Stendhal reprend à son compte les principales caractéristiques du style musical de Rossini : la vivacité, la rapidité, la surabondance des idées. La biographie se propose alors de formuler des sensations musicales par le biais des mots. Car la Vie de Rossini est avant tout un livre de sensations vécues puis retranscrites. Ainsi il ne saurait y avoir de vérité absolue : raconter Rossini doit nécessairement se faire à travers le prisme d’une sensibilité. Sur le plan générique, une analyse du mouvement met en lumière les libertés prises par le biographe dans son traitement du sujet. En rendant sa biographie « mouvementée », ou en présentant Rossini en mouvement (de la même manière, il est difficile de se faire une idée fixe de Johnson tel que Boswell le présente, c’est-à-dire constamment changeant), Stendhal inscrit son travail biographique dans une nouvelle lignée : celle où il ne saurait y avoir de mot final ni de bilan définitif sur le sujet étudié, pétri de contradictions, et d’autant plus insaisissable qu’il est encore vivant. En 1823, année de la rédaction du pamphlet romantique Racine et Shakespeare, la biographie chez Stendhal n’a donc toujours pas trouvé de cadre fixe, même si une évolution se fait clairement ressentir par rapport aux premiers travaux que sont les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase et la Vie de Napoléon.
44C’est avant tout de ces œuvres qu’il est question dans le chapitre iii, « Du style de l’histoire ». Bien que la « vie » du maestro italien propose quelque chose de véritablement nouveau et appelle à une réflexion profonde sur un genre et ses limites (mais aussi, par conséquent, sur ses possibilités), il convient de s’interroger sur ce qui rattache les premiers essais biographiques de Stendhal à des formes littéraires appartenant à un passé plus lointain. La Vie de Rossini contient également une part plus traditionnelle, et ce chapitre vise par là à montrer l’aspect double des « vies » de Stendhal, tiraillées entre tradition et modernité. Ce tiraillement est particulièrement notable dans le style « apostolique » du texte par endroits : en se faisant l’apôtre des grands hommes dont il écrit la vie, en les évoquant par le biais d’épîtres à une communauté de lecteurs précis, en procurant à des hommes illustres une dimension qui dépasse celle du simple mortel, et enfin en se réappropriant ici et là des éléments rhétoriques et stylistiques proches de l’éloge, de l’hagiographie et des Écritures, Stendhal se révèle être un biographe en partie tourné vers le passé. Ce positionnement, d’une part, remet en cause la modernité de l’entreprise biographique, et d’autre part, elle trahit la difficulté que Stendhal a, dans les années 1810 et 1820 (et plus tard avec la reprise des Mémoires sur Napoléon), à trouver sa place de biographe, se revendiquant ici historien, là conteur ; ici témoin fidèle et indigne, là simple scribe ; ici dilettante, là expert légitime et incontestable. Les références à des formes antérieures parentes de la biographie (tout du moins s’inscrivant dans son évolution générale) comme l’oraison funèbre, avec la citation de Bossuet en exergue, ou le panégyrique, attestent d’une forme et d’un style qui se cherchent encore. D’où le statut ambigu de ces « vies », pour certaines en partie plagiées, ou inachevées.
45Enfin le chapitre iv, « Vie de Henry Brulard : un genre à part », analyse ce qui au sein du texte et du paratexte discrédite l’idée d’un genre fixe. Cette partie se propose de montrer en quoi cette œuvre autobiographique, qui vient couronner une longue carrière de biographe, oscille entre les genres et joue avec les formes. À une époque riche en publications de Mémoires des grands hommes de la Révolution et de l’Empire, Stendhal peine à trouver à sa place, et fait de sa propre « vie » un fourre-tout générique créatif et original, à rebours des récits mettant en avant héroïsme et vertu. La Vie de Henry Brulard est tout à la fois Mémoires, confessions, drame, « presque » roman (d’initiation, pourrait-on préciser), fresque historique, chronique d’une époque, tableau des révolutions d’un cœur, lettre à un ami, et c’est de cette union des formes que l’œuvre puise sa force. Enfin, puisque cette étude est partie de l’autobiographique pour arriver au biographique, il est intéressant d’observer la façon dont la Vie de Henry Brulard vient boucler la boucle, par un retour à l’autobiographique qui se présente sous un aspect biographique à la troisième personne (à la manière d’Alfieri, si admiré de Stendhal), genre doublement millénaire, comme l’a fort justement noté Marc Fumaroli.
46Indirectement, le présent ouvrage se propose de rendre justice à tout un pan de l’œuvre de Stendhal. Longtemps laissées de côté du fait de leur hybridité et du problème des plagiats, ses « vies » n’en ont pas moins participé à la transformation des genres qui caractérise le romantisme français. À cet égard, l’approche biographique de Stendhal est tout aussi significative vis-à-vis des études littéraires que ne l’ont été ses innovations dans les domaines, entre autres, du roman, du théâtre ou du récit de voyage.
Notes de bas de page
1 M. Fumaroli, « Des “Vies” à la “biographie” : le crépuscule du Parnasse », Diogène, no 139, 1987.
2 A. Tadié, « La biographie littéraire à l’anglaise », Critique, no 781-782, 2012, p. 553.
3 Stendhal, Pensées. Filosofia Nova, t. ii, Paris, Henri Martineau (éd.), Le Divan, 1931, p. 193.
4 F. Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La Découverte, 2011, p. 10.
5 G. May, « Biography, Autobiography and the Novel in Eighteenth-Century France », dans Biography in the 18th Century, New York/Londres, Garland Publishing, Inc., 1980.
6 A. Jefferson, Biography and the Question of Literature in France, New York, Oxford University Press, 2007, p. 83-86.
7 J.-L. Diaz, « Écrire la vie du poète. La biographie d’écrivain entre Lumières et Romantisme », Revue des sciences humaines, no 224, 1991, p. 218.
8 Ibid.
9 Ibid., p. 220.
10 J.-C. Bonnet, « Le fantasme de l’écrivain », Poétique, no 63, 1985, p. 261.
11 D. Madelénat, La Biographie, Paris, Presses universitaires de France, 1984, p. 34.
12 A. Tadié, art. cité, p. 554.
13 D. Madelénat, « La biographie au risque de l’intime », dans Biographie et intimité des Lumières à nos jours, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2008, p. 16.
14 D. Madelénat, ouvr. cité, p. 51.
15 R. Ghigo-Bezzola, « Stendhal biographe », dans Stendhal hors du roman, Dijon, Université de Bourgogne, Centre de recherche Le texte et l’édition, 2001, p. 146.
16 Voir D. Madelénat, « 1829 : Sainte-Beuve et les origines de la biographie romantique en France », dans L’historiographie romantique : actes du colloque, Créteil, 7-8 décembre 2006, Université Paris-Val-de-Marne, 2007.
17 M. Gauchet, Philosophie des sciences historiques, Presses universitaires de Lille, 1988, p. 9.
18 Stendhal, Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, Genève, V. Del Litto (éd.), Cercle du bibliophile, 1970, p. 493.
19 Ibid., p. 505.
20 B. Didier, « Stendhal et la musique : de la biographie à l’autobiographie », dans Stendhal e Milano, vol. ii, Firenze, Leo S. Olschki, 1982, p. 594, 596.
21 S. Esquier, « Musique et écriture chez Stendhal. Autour de la Vie de Rossini : Stendhal et la musique », Stendhal Club, no 147, 1995, p. 190, 192.
22 Voir en particulier Laurent Giraud, « Stendhal, biographe de Léonard de Vinci », dans Écrire la peinture entre xviiie et xixe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2003 ; Benjamin Walton, « 1824. Deciphering Hyperbole: Stendhal’s Vie de Rossini », dans Rossini in Restoration Paris. The Sound of Modern Life, New York, Cambridge University Press, 2007 ; Hélène Spengler, « Faire “avaler l’histoire” par les “détails biographiques” : Stendhal et la première Vie de Napoléon (1817-1818) », dans Usages des vies : le biographique hier et aujourd’hui (xviie-xxie siècle), Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2012.
23 Stendhal, Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, Genève, V. Del Litto (éd.), Cercle du bibliophile, 1970, p. 25.
24 Ibid., p. xxiv.
25 Ibid., p. 506-507.
26 Ibid., p. 500-501.
27 D. Madelénat, ouvr. cité, p. 24-25. Toutefois, ce court passage sur la Vie de Haydn ne doit pas occulter un fait pour le moins étonnant : à aucun moment, dans cet ouvrage riche et dense, il n’est fait mention de la Vie de Rossini, une œuvre au succès retentissant et correspondant à la plupart des critères de la biographie romantique relevés par D. Madelénat lui-même.
28 Préface de la Vie de Napoléon, dans Napoléon, Paris, Catherine Mariette (éd.), Stock, 1998, p. 13.
29 M. Gauchet, Philosophie des sciences historiques, ouvr. cité, p. 22.
30 À ce sujet, voir les actes du colloque « Stendhal historien ? », Recherches & Travaux [en ligne], no 90, 2017. URL : <https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/recherchestravaux/869>
31 Stendhal, Histoire d’Espagne, Paris, Cécile Meynard (éd.), Kimé, 2007.
32 Voir l’introduction de C. Mariette, dans Napoléon, ouvr. cité, p. iv.
33 Ibid., p. iv.
34 Ibid., p. v.
35 Ibid., p. viii.
36 Ibid., p. vi.
37 Ce qui ne l’empêchera pas d’affirmer dans la Vie de Henry Brulard, à propos de l’année 1806, après Iéna : « Je fus en faveur, non pas auprès du maître, Nap[oléon] ne parlait pas à des fous de mon espèce, mais fort bien vu du meilleur des hommes, M. le duc de Frioul (Duroc). » Stendhal, Vie de Henry Brulard, dans Œuvres intimes, t. ii, Paris, V. Del Litto (éd.), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, p. 538.
38 Ph. Berthier, « Phares », L’Année stendhalienne, no 15, 2016, p. 17.
39 M. Crouzet, Stendhal, ou, Monsieur Moi-Même, Paris, Flammarion, 1990, p. 678.
40 R. Ghigo-Bezzola, « Stendhal, biographie : la vie de Napoléon », dans Campagnes en Russie. Sur les traces de Henry Beyle dit Stendhal, Paris, Solibel, 1995, p. 113-114.
41 Ibid., p. 122.
42 H. Spengler, art. cité, p. 171-172.
43 Ibid., p. 182.
44 Ibid., p. 182-183.
45 Ibid., p. 184.
46 P. Mérimée, H. B., Paris, Éditions Dérives/Solin, 1983, p. 18.
47 S. Esquier, « La Vie de Rossini : œuvre de polémique et d’initiation », dans Stendhal, Paris et le mirage italien, Paris, Bibliothèque historique de la ville de Paris, 1992, p. 37.
48 Ibid., p. 36.
49 R. Ghigo-Bezzola, « Stendhal biographe », art. cité, p. 124, note 16.
50 Stendhal, Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 36.
51 S. Esquier, « La Vie de Rossini : œuvre de polémique et d’initiation », art. cité, p. 35.
52 Ibid.
53 Ibid., p. 37.
54 J.-M. Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, Paris, Seuil, 1989, p. 70.
55 S. Esquier, « La Vie de Rossini : œuvre de polémique et d’initiation », art. cité, p. 38.
56 Voir B. Walton, Rossini in Restoration Paris. The Sound of Modern Life, ouvr. cité, p. 48-50.
57 Voir B. Didier, « Stendhal et les problèmes de la biographie musicale : la Vie de Rossini », dans Stendhal tra letteratura et musica, Fasano, Schena, 1993, p. 42.
58 Ibid.
59 Ibid., p. 37.
60 Ibid., p. 38.
61 B. Didier, « Stendhal et l’histoire de la musique européenne », dans Stendhal europeo, Fasano, Schena ; Paris, Nizet, 1996, p. 174.
62 S. Johnson, The Idler, no 84, 24 nov. 1759, Londres, Jones & Company, 1826, p. 91.
63 Stendhal, Notices autobiographiques (notice du 6 janvier 1831), dans Œuvres intimes, t. ii, Paris, V. Del Litto (éd.), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, p. 970-971.
64 Stryienski mit également au jour le Journal (1888), Lamiel (1889) et les Souvenirs d’égotisme (1892).
65 R. Colomb, Mon cousin Stendhal : notice sur la vie et les ouvrages de Henri Beyle, Genève, Slatkine Reprints, 1997.
66 Stendhal, Vie de Henry Brulard, ouvr. cité, p. 959.
67 Ibid., p. 535.
68 R. Ghigo-Bezzola écrit : « [Stendhal] avait toujours aimé les biographies, et cela est prouvé par la présence dans ses livres de la très citée Biographie Universelle de Michaud, mais aussi par les nombreuses biographies retrouvées dans sa bibliothèque de Civitavecchia. » (« Stendhal biographe », dans Stendhal hors du roman, ouvr. cité, p. 128. L’auteur renvoie dans une note au Catalogo del fondo stendhaliano Bucci.)
69 Ph. Berthier, « Phares », art. cité, p. 15.
70 M. Nerlich, entrée « Biographies », Dictionnaire de Stendhal, Paris, Y. Ansel, Ph. Berthier et M. Nerlich (éd.), Paris, Champion, 2003, p. 109.
71 Ibid., cité par M. Nerlich.
72 Stendhal, Vie de Henry Brulard, ouvr. cité, p. 771.
73 Ibid., p. 598.
74 Stendhal, Journal, dans Œuvres intimes, t. i, Paris, V. Del Litto (éd.), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1981, p. 183.
75 Ibid., p. 471.
76 Ibid., p. 519, 521, 658.
77 Stendhal, Vie de Henry Brulard, ouvr. cité, p. 535 ; Souvenirs d’égotisme, dans Œuvres intimes, t. ii, Paris, V. Del Litto (éd.), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, p. 427.
78 Stendhal, Journal, dans Œuvres intimes, t. ii, ouvr. cité, p. 353.
79 Ibid., p. 384.
80 Stendhal, Journal, dans Œuvres intimes, t. i, ouvr. cité, p. 933.
81 Stendhal, Vie de Henry Brulard, ouvr. cité, p. 809. Del Litto précise en note qu’il n’existe pas de Vie de Hampden par lord King, peut-être confondue par Stendhal avec la Vie de Locke du même auteur, ou avec les Memorials of John Hampden, de lord Nugent, de 1832.
82 Ibid., p. 808.
83 Stendhal, Journal, dans Œuvres intimes, t. i, ouvr. cité, p. 501.
84 Ibid., p. 900.
85 Ibid., p. 624.
86 « Il n’y a pas de demi-Shakespeare chez les Anglais ; son contemporain Ben Jonson était un pédantesque, comme Pope, Johnson, Milton, etc. » (Stendhal, Histoire de la peinture en Italie, Paris, V. Del Litto (éd.), Paris, Gallimard, 1996, p. 277) « Il est enfin des gens froids, privés d’imagination, dont l’impuissance se décore du vain nom de raisonnables. Ils sont si malheureux, que, sans avoir de passion ni d’intérêt pour rien, et par la seule morosité de leur nature, la détente du comique ne part qu’avec une extrême difficulté, et ils ont le bon ridicule d’être fiers de leur disgrâce. Tel fut Johnson. » (ibid., p. 278) « Johnson nous paraît avoir eu trop de science, et pas assez de sentiment. » (ibid., p. 298-299).
87 Stendhal, Journal, dans Œuvres intimes, t. i, ouvr. cité, p. 502.
88 Ibid., p. 503.
89 Ibid., p. 504.
90 Voir l’introduction de Christopher Hibbert dans Boswell, The Life of Samuel Johnson, Londres, Penguin Classics, 1986, p. 19.
91 Stendhal, Correspondance, t. i, Paris, V. Del Litto et H. Martineau (éd.), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1962, p. 577.
92 Stendhal, Promenades dans Rome, Paris, Michel Crouzet (éd.), Gallimard, 1997, p. 165.
93 Boswell, The Life of Samuel Johnson, ouvr. cité, p. 31. Notre traduction : « Vie de Samuel Johnson, docteur en droit, incluant une bibliographie chronologique de ses études et nombreux travaux ; une sélection de sa correspondance et de conversations qu’il a eues avec d’éminents personnages ; et une variété d’œuvres inédites écrites par lui ; le tout exprimant un point de vue sur la littérature et les hommes de lettres de la Grande-Bretagne pendant près d’un demi-siècle, durant lequel il se fit connaître. Par M. James Boswell. »
94 Stendhal, Journaux & papiers, vol. i, 1797-1804, Grenoble, C. Meynard, H. de Jacquelot et M.-R. Corredor (éd.), ELLUG, 2013, « Ouvrages en prose », 1er frimaire an 11, p. 143. Ce passage n’est pas reproduit dans l’édition de la Pléiade. Cette édition s’arrêtant en 1804, les références aux journaux ultérieurs de Stendhal sont faites d’après des éditions plus anciennes et les considérant comme un tout homogène.
95 Stendhal, Journal, Paris, X. Bourdenet (éd.), Gallimard, 2010, p. 647. Ce passage n’est pas reproduit dans l’édition de la Pléiade.
96 Stendhal, Œuvres romanesques complètes, t. ii, Paris, Y. Ansel, Ph. Berthier et X. Bourdenet (éd.), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, p. 985-990.
97 À ce sujet, se référer à l’ouvrage de Francisco Manzini, Stendhal’s Parallel Lives, Oxford, Peter Lang, 2004.
98 L. Giraud, « Stendhal, biographe de Léonard de Vinci », art. cité, p. 258, 259, 261.
99 R. Ghigo-Bezzola, « Stendhal biographe », art. cité, p. 121.
100 Stendhal, Vie de Henry Brulard, ouvr. cité, p. 532.
101 T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970, p. 10.
102 Stendhal, Notices autobiographiques, ouvr. cité, p. 1535 (note de V. Del Litto).
103 À cet égard, le titre de l’article de Gérald Rannaud est révélateur du rapport particulier de Stendhal à l’histoire : « Stendhal et la tentation de l’histoire », Romantisme, no 107, 2000. Rannaud y avance l’idée selon laquelle l’histoire est avant tout discours de vérité et facteur d’élucidation du présent pour Stendhal. Celui-ci se réapproprie alors ces leçons tirées de l’histoire et les applique au roman moderne (Armance en particulier), seul médium possible selon lui de recréer l’histoire du temps présent.
104 F. Dosse, ouvr. cité, p. 189.
105 Ibid., p. 190.
106 M. Gauchet, Philosophie des sciences historiques, ouvr. cité, p. 13-14.
107 Alice Gérard, « Le grand homme et la conception de l’histoire au xixe siècle », Romantisme, no 100, 1998, p. 33.
108 D. Madelénat, « 1829 : Sainte-Beuve et les origines de la biographie romantique en France », art. cité, p. 244.
109 Préface de 1814 de Stendhal, Vie de Haydn, dans L’Âme et la musique, Paris, S. Esquier (éd.), Stock, 1999, p. 25 ; Stendhal, Souvenirs d’égotisme, ouvr. cité, p. 495 ; Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 99.
110 La « Vita di D. Ruggiero » devait faire partie d’un recueil intitulé Historiettes romaines, finalement rebaptisé Chroniques italiennes (voir Stendhal, Œuvres romanesques complètes, t. ii, ouvr. cité, p. 989, note 3). Les termes « histoire » et « historiette », encore usités au début du xixe siècle, désignent, aux xviie et xviiie siècles, des nouvelles, c’est-à-dire des types de récit construits selon un modèle historique (censé être proche du vrai), et non plus épique, comme c’était le cas des romans baroques.
111 Stendhal, Journal, dans Œuvres intimes, t. ii, ouvr. cité, p. 198.
112 Dans une lettre à Antoine-Auguste Renouard, 27 juillet 1817, à propos des Lettres sur Haydn.
113 Rappelons que la Vie de Henry Brulard, sans être une lettre ou ni une succession de lettres, fut toutefois écrite « comme une lettre à un ami », exactement comme les lettres sur Haydn, par exemple.
114 G. Genette, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982, p. 12.
115 « Jugement d’un lecteur italien sur la Vie de Napoléon », dans Napoléon, ouvr. cité, p. 200.
116 S. Esquier, « Musique et écriture chez Stendhal. Autour de la Vie de Rossini : Stendhal et la musique », art. cité, p. 192.
117 J.-M. Schaeffer, ouvr. cité, p. 65.
118 Ibid., p. 63.
119 Ibid., p. 69.
120 L. Edel, Writing Lives: Principia Biographica, New York/Londres, W. W. Norton, 1984, p. 30 (notre traduction).
121 R. Ghigo Bezzola, « Stendhal biographe », art. cité, p. 146.
122 Stendhal, Vie de Henry Brulard, ouvr. cité, p. 715.
123 Présentation de l’ouvrage Stendhal, Journaux & papiers, vol. i, 1797-1804, ouvr. cité, p. 7.
124 Ibid., p. 8.
125 Ibid., p. 10.
126 J.-P. Richard, Littérature et sensation : Stendhal, Flaubert, Paris, Seuil, 1954 ; R. Barthes, « On échoue toujours à parler de ce que l’on aime », dans Le Bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984.
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