Chapitre 1
Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, Livre Premier, « Misères », v. 1-34, 1616
p. 23-51
Texte intégral
1Publiés en 1616 mais commencés en 1577 (Lestringant, 1986, p. 7), les Tragiques s’inscrivent à l’articulation du xvie et du xviie siècle et, par de nombreux traits, ils demeurent une œuvre du xvie siècle, notamment au plan linguistique. Si on le considère du point de vue de la variation diachronique, l’état de langue archaïsant du texte met en évidence le processus de changement linguistique et les dernières phases de la transition entre l’ancien français et le français moderne. Pétri de culture savante, le texte fait la synthèse de plusieurs traditions dans une démarche d’intertextualité. En effet, s’il est nourri de références bibliques, inspiré par les poètes satiriques latins, composé selon les règles de la rhétorique classique, on y décèle également l’influence de la modernité, incarnée par les poètes de la Pléiade, et en particulier par Ronsard. Enfin, les Tragiques constituent un exemple de poésie militante, qui offre au lecteur un éclairage sur la période historique troublée que constituent les guerres de Religion.
Rappels du chapitre 1
Rappel 6. Le mode dans les complétives introduites par la conjonction que
Rappel 7. L’élision
Rappel 8. La rhétorique classique
Rappel 9. Jean de La Taille
Rappel 10. L’exorde
Rappel 11. L’intertextualité
Rappel 12. L’hypotypose
Rappel 13. Aelius Théon
Rappel 14. L’influence de Ronsard et l’héritage de la Pléiade
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a. Édition de référence de l’extrait étudié : Théodore Agrippa d’Aubigné, 1975, Les Tragiques, t. 1, Épître aux lecteurs, préface en vers et livre I, édité par Armand Garnier et Jean Plattard, Paris, Librairie Marcel Didier, coll. « Société des textes français modernes », p. 39-42, désormais d’Aubigné (1975). |
Questions
I. Lexique : « hazards » (v. 15) ; « outre » (v. 17)
II. Morphosyntaxe : les propositions subordonnées dans le texte
III. Orthographe : « Puis qu’ » (v. 1) ; les désinences de l’imparfait de l’indicatif : « fermoit, defendoit » (v. 11)
IV. Étude de style : les marques et les enjeux stylistiques de l’hyperbole
I. Lexique : « hazards » (v. 15) ; « outre » (v. 17)
I. 1 « hazards » (v. 15)
2Le terme hazards est un substantif masculin pluriel régi par la locution prépositionnelle aux despens de qui signifie « aux frais de ». Il s’agit d’un mot simple.
3On abordera d’abord le sens de ce terme en langue (1) :
- ce terme est un emprunt de l’arabe az-zahr par l’intermédiaire de l’espagnol azar. Il a d’abord le sens de « dé, jeu de dés, coup de six aux dés » puis de « coup heureux à ce jeu », ce sens est dominant en ancien français. Ensuite il s’efface devant le sens de « chance », puis de « risque », puis de « danger », présent également au Moyen Âge (Bloch & Wartburg, 1975) ;
- en français classique, on rencontre les locutions verbales : mettre au (en) hasard : exposer à un péril ; courir hasard, courir le hasard : courir un risque, être en péril ; prendre le hasard de : profiter de l’occasion pour (Dubois, Lagane & Lerond, 1971) ;
- en français moderne, il signifie « cas, événement fortuit, aubaine, chance ». Le hasard est aussi la cause fictive de ce qui arrive sans raison apparente, par extension : destin, fatalité, fortune, sort (Le Petit Robert de la langue française, 2015).
4Son sens contextuel (2) est celui de danger (notamment celui qui est couru pendant le combat). L’édition Garnier et Plattard (d’Aubigné, 1975) des Tragiques propose la traduction suivante pour le groupe prépositionnel aux despens des hazards : « quels que soient les dangers que j’aie à courir » (p. 40).
5Les dérivés (3) de hazards sont hasarder ; hasardeux, -euse ; hasardeusement.
6Deux graphies (4) sont en concurrence, celle du texte, et une autre, semble-t-il plus courante d’après Bloch et Wartburg (1975), « hasar-t ». D’après les mêmes auteurs, en latin médiéval, la graphie [-h] était fréquente à l’initiale d’un mot commençant par une voyelle. Le Petit Robert de la langue française (2015) donne la date de 1407 pour hasarder « de hasard ».
I. 2 « outre » (v. 17)
7Outre est une préposition simple directement héritée du fonds latin (GMF, 2014, p. 639). Elle vient de ultra qui signifie « au-delà de ».
8Dans le contexte (1), la préposition outre est employée au sens propre. Celui-ci ne subsiste plus que dans des locutions composées comme outre-mer avec un trait d’union (Grévisse, 1993, p. 1523 ; d’Aubigné, 1975, p. 40, note 17).
9Cette préposition a servi autrefois à constituer de nombreux composés. Elle n’a plus aujourd’hui de pouvoir créateur (Bloch & Wartburg, 1975, p. 452).
10En français moderne (2), outre peut être d’abord préposition et signifier en ce cas « en plus de » ; ensuite adverbe de lieu avec le sens de « passer outre », s’il est dépourvu de régime explicite (Grévisse, 1993, p. 1523), le sens est « aller au-delà, plus loin ». Quand outre est locution conjonctive, elle se construit avec que : outre que. On relève enfin les locutions adverbiales : outre mesure (« excessivement, trop ») ; en outre (« de plus, en plus de cela »).
II. Morphosyntaxe : les propositions subordonnées dans le texte
11On étudiera successivement les propositions introduites par un terme ayant une fonction dans la subordonnée, à savoir les propositions subordonnées relatives introduites par le pronom relatif. Puis on verra les propositions subordonnées introduites par un terme n’exerçant pas de fonction à l’intérieur de la proposition subordonnée, autrement dit les propositions subordonnées complétives et les propositions subordonnées circonstancielles.
12On précisera avant de commencer cette étude que, d’une part, le terme que étant multifonctionnel, il n’introduit pas toujours une subordonnée et que, d’autre part, une séquence sans verbe peut être analysée comme une subordonnée caractérisée par l’ellipse du verbe.
13Le corpus sera présenté au fil de l’étude.
II. 1 Les propositions subordonnées introduites par un terme ayant une fonction dans la subordonnée : les propositions relatives
14On classe les propositions subordonnées en se basant sur leur terme introducteur et en particulier sur sa fonction ou son absence de fonction. La première partie sera consacrée aux propositions subordonnées introduites par un terme ayant une fonction dans la subordonnée. Dans le texte, cette catégorie est représentée par les propositions relatives. Dans le corpus qui suit, les relatives sont classées en fonction du pronom qui les introduit.
15Les relatives introduites par qui sont les suivantes :
« […], qui, par feux d’aigre humeur arrosez / Se fendit un passage aux Alpes embrasez. » (v. 3-4)
« Qui fit douter Cesar d’une vaine terreur. » (v. 8)
« Qui en pleurs, en sanglots, mi-morte, desolee, Tordant / ses doigts, fermoit, defendoit de ses mains / A Cezar le chemin au sang de ses germains » (v. 10-12)
« Qui à sa delivrance (aux despens des hazards) / M’appelle, m’animant de ses trenchans regards. » (v. 15-16)
« […] qui tombent si tost qu’un vrai soleil les touche, » (v. 33)
16Il n’existe qu’une occurrence de relative introduite par que :
« […] que Dieu fenera par le vent de sa bouche » (v. 34)
17Le texte n’offre qu’une relative introduite par où :
« […] où estoyent les feux des prophetes plus vieux, » (v. 27)
18Les propositions subordonnées relatives sont introduites par un pronom relatif. Les pronoms relatifs se répartissent en deux séries, d’une part les formes simples : qui, que, quoi, dont, où ; d’autre part les formes composées à partir du relatif composé lequel qui s’amalgame avec les prépositions à et de, pour former auquel et duquel… Cette dernière série est absente du texte.
19Le texte comporte sept relatives dont cinq sont introduites par le pronom relatif sujet qui ; une par le pronom relatif complément d’objet que ; une par le pronom relatif locatif où. Seront abordées la relative adjective et la relative périphrastique. Le texte n’offre pas de cas de relative substantive indéfinie sur le modèle de « Rira bien qui rira le dernier » (GMF, 2016, p. 816) ou de « Cette pièce sera pour qui l’attrapera au vol » (ibid.)1.
II. 1. 1 Les relatives adjectives à antécédent nominal
20Le terme antécédent nominal est à comprendre au sens de groupe nominal déterminé (défini ou indéfini) ou pronom non clitique (moi, toi… ; les démonstratifs, possessifs ou indéfinis) ou nom propre. Ces relatives sont adjectives car elles fonctionnent comme des adjectifs épithètes ou apposés. « L’identité de fonction se manifeste dans la possibilité de les coordonner avec des adjectifs : “Un souriceau tout jeune et qui n’avait rien vu (La Fontaine)” » (GMF, 2014, p. 797-798).
II. 1. 1. 1 Les propositions subordonnées relatives adjectives introduites par le pronom relatif sujet qui
21Cette forme de relative est à la fois la plus courante et la plus simple. Elle conserve l’ordre des constituants dans la phrase canonique2.
22Les occurrences du texte ne dérogent pas à cette règle.
II. 1. 1. 1. 1 La sémantique des relatives
23La question du sens de la relative se pose par rapport à son antécédent.
II. 1. 1. 1. 1. 1 La relative déterminative ou restrictive
24L’antécédent est une expression définie (GMF, 2016, p. 804) : i. e. « un nom propre ou un nom commun précédé d’un déterminant défini ».
25La proposition subordonnée relative est dite déterminative ou restrictive quand elle permet « l’identification référentielle de l’antécédent qu’il s’agisse d’un individu ou d’une classe, d’êtres réels ou virtuels » (ibid.).
26Sont concernées les occurrences suivantes :
« Je brise les rochers & le respect d’erreur / Qui fit douter Cesar […] » (v. 7-8)
« […] j’advise / Le visage meurtri de la captive Eglise, / Qui à sa délivrance […] / M’appelle, » (v. 13-16)
27L’antécédent est un nom commun précédé d’une préposition et construit sans déterminant : « Le respect d’erreur » dans le premier cas ; un nom commun précédé d’un déterminant défini : « La captive Eglise » dans le second. L’absence de déterminant devant le substantif « erreur » construit avec la préposition d’ est fréquente en moyen français (Marchello-Nizia, 1979, p. 109-111) et subsiste dans la langue du xvie siècle.
28On n’interprétera pas la majuscule d’« Eglise » comme le signe que le substantif est considéré comme un nom propre3, mais comme une manière de mettre en valeur le terme (GMF, 2014, p. 171) et de référer à l’Église en tant qu’institution et communauté de croyants. Le fait que le substantif « Eglise » soit précédé d’un déterminant est un indice supplémentaire. Un nom propre serait employé sans déterminant4.
29L’absence de déterminant devant « Fleurs » dans l’occurrence « Fleurs qui tombent si tost qu’un vrai soleil les touche » (v. 33) résulte de sa fonction d’apposition. La suppression de la relative, dans la mesure où elle restreint l’extension du groupe nominal, « aurait pour conséquence de modifier complètement le sens de la phrase en étendant son champ d’application à un ensemble référentiel plus important, voire à la totalité des êtres qui peuvent être désignés par le nom » (GMF, 2014, p. 804).
II. 1. 1. 1. 1. 2 La relative explicative ou appositive
30Ce type de relative « ne joue aucun rôle dans l’identification référentielle de l’antécédent » (GMF, 2014, p. 804). Elle ne change en rien l’extension du nom, si on la supprime, le référent du groupe nominal n’est pas modifié (Maingueneau & Pelet, 2005, p. 109). Elle peut être supprimée et remplacée par une proposition coordonnée (GMF, 2014, p. 804). Dans le cas des deux occurrences étudiées, l’antécédent est un nom propre, « Hannibal » (v. 3-4) et « Rome » (v. 9-12). Ce nom propre est utilisé « dans son usage normal référentiel (sans déterminant), il est autodéterminé, et la relative dont il est l’antécédent est forcément explicative » (GMF, 2014, p. 805). Les relatives explicatives sont marquées sur le plan prosodique par une mélodie spécifique, celle de la parenthèse. Elles ont une ponctuation caractéristique et sont généralement encadrées par deux virgules (ibid., p. 806).
« […], il faudra faire comme / Hannibal, qui par feux d’aigre humeur arrosez / Se fendit un passage aux Alpes embrasez. » (v. 2-4)
II. 1. 1. 1. 1. 3 La relative explicative ou prédicative : un cas problématique ?
« Il vid Rome tremblante, affreuze, eschevelee, / Qui en pleurs, en sanglots, mi-morte, desolee, / Tordant ses doigts, fermoit, defendoit de ses mains / A Cezar le chemin au sang de ses germains. » (v. 9-12)
31Cette seconde occurrence répond à certains des critères énoncés pour la relative prédicative. Elle est introduite par un verbe de perception : voir. L’antécédent peut être pronominalisé : « il la vid […] qui fermoit ». Néanmoins, cette analyse ne prend pas en compte le critère mélodique et la ponctuation spécifiques de la proposition relative explicative, présents dans cette occurrence.
32On penchera donc plutôt pour analyser l’occurrence comme une explicative. On soulignera l’ambiguïté de la construction.
II. 1. 2 Les propositions subordonnées relatives adjectives introduites par le pronom relatif complément direct que
33Le texte ne comporte qu’une occurrence : « Ou que Dieu fenera par le vent de sa bouche » (v. 34).
34Que a pour fonction d’être complément d’objet direct de « fenera ». Il se place en tête de la relative. On l’analysera comme une relative déterminative. Elle est coordonnée par ou à la précédente « Fleurs qui tombent ». Elle ne peut être supprimée sans nuire au sens de la phrase. On reconduira l’analyse proposée pour « Fleurs qui tombent ».
II. 1. 3 La relative périphrastique locative
« Lâ où estoyent les feux des prophetes plus vieux, / Je tends comme je puis le cordeau de mes yeux, » (v. 27-28)
35Les relatives périphrastiques ne sont pas dotées d’un antécédent comparable à celui des relatives adjectives. La GMF indique à ce sujet qu’elles sont l’« expansion formelle » d’un pronom démonstratif comme ce ou celui ou encore comme dans le cas de l’occurrence du texte d’un adverbe comme là. Le groupe là où peut être considéré comme l’équivalent d’un groupe nominal (GMF, 2016, p. 814). Là où est une variante de où, et là peut être supprimé sans que cela modifie le sens de la phrase (GMF, 2016, p. 815). L’antécédent adverbial là contient le même trait sémantique locatif que le pronom relatif où (GMF, 2014, p. 816-817). L’adverbe là qui introduit l’occurrence à analyser n’a qu’un sens catégoriel très général et n’est pas un « véritable antécédent » (ibid.). Ces relatives possèdent un statut intermédiaire entre les relatives adjectives et les relatives substantives et sont identifiées par la GMF comme quasi nominales (ibid.). Le pronom relatif où est complément de lieu dans la proposition relative. La proposition relative est complément circonstanciel de lieu du verbe de la principale « tends » (v. 28).
II. 1. 4 Le mode dans les relatives
36Dans les propositions subordonnées relatives, le mode le plus fréquent est l’indicatif. Il a pour fonction de poser le fait énoncé comme actualisé. C’est ce qu’on observe dans les occurrences du texte.
II. 2 Les propositions subordonnées introduites par un terme n’ayant pas de fonction dans la subordonnée : la proposition complétive
37Une unique occurrence de proposition complétive illustre cette section :
« […], car je ne trouve pas / Qu’autre homme l’ait jamais escorché de ses pas. » (v. 19-20)
38Les propositions complétives sont des propositions subordonnées qui se substituent dans certains cas déterminés et selon certaines règles précises à des groupes nominaux constituants du groupe verbal. Les complétives introduites par la conjonction que (cas de l’occurrence du texte) sont les plus fréquentes et les plus typiques. Ce sont des compléments directs du verbe. L’occurrence du texte est complément d’objet direct du verbe de la proposition principale « trouve » (v. 19).
39Elles sont introduites par des verbes de jugement : ici trouver.
40L’ordre des mots est l’ordre canonique, c’est le cas du texte. La conjonction que est un pur subordonnant. Elle n’a donc aucune fonction dans la subordonnée. Sa présence n’implique aucun remaniement dans l’ordre des mots (GMF, 2014, p. 824-825).
41La question du mode des complétives constitue une difficulté : « le choix entre indicatif et subjonctif est le plus souvent contraint mais il est parfois libre » (GMF, 2018, p. 825). On peut attribuer la présence du subjonctif dans l’occurrence du texte à la négation et à la nuance d’incertitude perçue dans le sens du verbe trouver, qui prend place dans ce que Robert Martin (1983) appelle « les univers de croyance » (p. 104-125).
Rappel 6. Le mode dans les complétives introduites par la conjonction que
On observe la présence de l’indicatif après les verbes : déclarer, penser, croire, espérer, décider (GMF, 2018, p. 825). Le subjonctif s’impose après : craindre, souhaiter, se réjouir, vouloir, permettre (ibid.). Quelques verbes comme dire et écrire admettent l’alternance des modes selon leur acception. Dans la phrase : « Je lui ai écrit que tout allait bien », écrire a le sens d’« informer », mais il a le sens d’« ordonner » dans l’exemple suivant : « Je lui ai écrit qu’il vienne vite » (ibid.). Certains verbes ordinairement construits avec l’indicatif autorisent le subjonctif lorsqu’ils sont à la forme négative ou interrogative comme l’indiquent les exemples qui suivent : « Je ne crois pas qu’il vienne / qu’il viendra » ; « Crois-tu qu’il vienne / qu’il viendra » (ibid.).
II. 3 Les propositions subordonnées circonstancielles
42Les subordonnées, qui ne sont ni des relatives ni des complétives, sont analysées comme des propositions subordonnées circonstancielles (GMF, 2014, p. 841). Syntaxiquement, l’analyse en constituants en fait des compléments circonstanciels. On les reconnaît à trois critères. Elles sont facultatives, elles sont indépendantes par rapport à la valence du verbe (elles ne sont ni sujet, ni complément du verbe, ni attribut), elles sont mobiles.
43Elles sont introduites par une conjonction de subordination. Celle-ci a une forme simple, c’est le cas de comme (v. 2 ; 28) ; ou composée : puis que (v. 1) ; si bien que (v. 25) ; si tost que (v. 33). Le classement proposé pour les circonstancielles fait l’objet de débats. La grammaire scolaire retient un classement sémantique, correspondant à celui des compléments circonstanciels de la phrase simple. Il est justifié par le sens de la relation établie entre la principale et la subordonnée et il dépend du contenu sémantique des subordonnants. Certains proposent d’opposer les systèmes corrélatifs aux systèmes non corrélatifs.
44La GMF propose un classement nuancé qui peut allier logique et sémantique.
II. 3. 1 Les circonstancielles de situation
45Elles comprennent certaines propositions temporelles (type après que et quand, aussitôt que) ; certaines causales (puis que, occurrence du texte) et certaines conditionnelles. Elles sont à l’indicatif. La GMF les analyse comme les « circonstances du fait principal ».
46Le texte comprend deux occurrences : une temporelle introduite par si tost que ; une causale introduite par puis que.
« Fleurs qui tombent si tost qu’un vrai soleil les touche, » (v. 33)
47Si tost que est une conjonction qui indique un rapport de succession. Morphologiquement, elle est constituée de deux adverbes si, tost et de que qui se sont soudés en français moderne.
48Le mode est l’indicatif. Il offre une « vision de réalisation du procès […] inscrit dans la chronologie et dans une relation de concordance avec le procès du verbe de la principale » (Garagnon & Calas, 2002, p. 80).
« Puis qu’il faut s’attaquer aux legions de Rome, / Aux monstres d’Italie, il faudra faire comme » (v. 1-2)
49Puis que introduit traditionnellement une proposition subordonnée circonstancielle de cause. Cette conjonction n’exprime pas la causalité sur le plan des faits, elle justifie l’assertion.
50Morphologiquement, la graphie moderne de puisque est constitué de la soudure de puis et que.
51La proposition subordonnée est à l’indicatif car « la cause est prise en compte par l’énonciateur » et parce que « la subordonnée vient valider les raisons du procès de la principale » (Garagnon & Calas, 2002, p. 85-86).
II. 3. 2 Les systèmes corrélatifs
II. 3. 2. 1 Les circonstancielles de conséquence ou consécutives
« Si bien que l’herbe verde en ses sentiers acreuë » (v. 25)
52Morphologiquement, si bien que est constitué de deux adverbes et de que. Les propositions subordonnées circonstancielles de conséquence expriment un « rapport factuel d’une cause à une conséquence présentée comme atteinte » (Garagnon & Calas, 2002, p. 87). La GMF fait une catégorie à part entière des systèmes corrélatifs et considère que si bien que garde une trace de la corrélation même si formellement la conjonction ne fait pas apparaître une corrélation syntaxique entre la proposition subordonnée et un terme de la principale. Le mode est l’indicatif. « La conséquence est toujours présentée comme atteinte par un locuteur qui, prenant en charge l’assertion de l’ensemble du système, retrace en toute objectivité le parcours conduisant du fait-cause au fait-conséquence » (Garagnon & Calas, 2002, p. 90-91).
II. 3. 2. 2 Les systèmes comparatifs
« Aux monstres d’Italie, il faudra faire comme / Hannibal, qui par feux d’aigre humeur arrosez » (v. 2-3)
« Je tends comme je puis le cordeau de mes yeux, » (v. 28)
53La GMF classe les propositions subordonnées circonstancielles de comparaison dans les systèmes corrélatifs tout en reconnaissant que comme est une conjonction autonome et non un outil corrélatif (GMF, 2014, p. 864). Anne-Marie Garagnon et Frédéric Calas (2002) distinguent les systèmes conjonctifs des systèmes corrélatifs (p. 94). Dans les systèmes comparatifs, la proposition subordonnée circonstancielle entre en relation avec la principale pour formuler des comparaisons soit globales, soit graduées. Comme constitue la conjonction prototypique servant à introduire les propositions subordonnées circonstancielles de comparaison (GMF, 2014, p. 864). La proposition subordonnée circonstancielle de comparaison introduite par comme met deux phrases en relation « soit pour énoncer un rapport d’équivalence global entre deux faits » (GMF, 2016, p. 864) avec une nuance de conformité, c’est le cas de la première occurrence, soit pour énoncer un rapport gradué comportant une nuance d’égalité (comme = autant que), c’est le cas de la seconde. La première occurrence « comme Hannibal » est dite elliptique, c’est-à-dire dépourvue de toute forme verbale comme on va le préciser dans les lignes qui suivent.
54Un groupe nominal 1 est comparé à un groupe nominal 2 sur la base d’un prédicat commun qu’il n’est pas nécessaire d’expliciter une seconde fois. L’effacement de comme n’est pas obligatoire, mais il n’est pas une infraction à la norme de construction des propositions subordonnées circonstancielles et l’élément verbal effacé peut être restitué : « Aux monstres d’Italie, il faudra faire comme [fit] / Hannibal, qui par feux d’aigre humeur arrosez » (v. 2-3) (GMF, 2009, p. 787). Comme fonctionne apparemment comme une préposition mais n’en est pas une. La conjonction comme est un terme introducteur, un mot subordonnant, qui n’a d’autre finalité que celle d’introduire une proposition subordonnée. Les prépositions, quant à elles, permettent de construire des groupes syntaxiques et d’instaurer une relation de dépendance entre un terme initial recteur et un terme final régi (GMF, 2016, p. 641).
55Bien que les occurrences du texte mettent en évidence un système solidement installé, l’extrait reste néanmoins daté par l’usage du xvie siècle. Dans la perspective de poésie militante qui est celle des Tragiques, la phrase complexe est un outil privilégié de l’argumentation. Elle participe pleinement de l’éventail d’outils rhétoriques où la parole est liée à l’action.
III. Orthographe
III. 1 L’élision du e final de « Puis qu’ » (v. 1)
56Puis qu’ est une conjonction de subordination qui introduit une proposition subordonnée circonstancielle de cause (GMF, 2014, p. 851-852 et suiv.). La question porte ici sur le traitement graphique de l’e final de que dans la conjonction puis que au vers 1. Devant un mot commençant par une voyelle, ici il, le [e] de que connaît une élision, d’où : puis qu’. La voyelle élidée est [e]. L’élision est marquée dans la graphie par l’apostrophe. L’élision est en général abordée avec la liaison5.
Rappel 7. L’élision
L’élision est l’amuïssement d’une voyelle finale devant un mot commençant par une voyelle. L’élision et la liaison sont deux « phénomènes inverses, l’un supprimant un élément vocalique, l’autre ajoutant un élément consonantique » (Gardes-Tamine, 1998a, p. 56 et suiv.).
III. 2 Les désinences de l’imparfait de l’indicatif : « fermoit, defendoit » (v. 11)
57Ces deux occurrences invitent à aborder les désinences de l’imparfait de l’indicatif au xvie siècle. Il s’agit de la troisième personne de l’imparfait de l’indicatif du verbe fermer pour fermoit ; du verbe défendre pour defendoit. Le problème posé par ces deux occurrences est celui de la graphie -oit, archaïque, distincte de celle du français moderne en -ait.
58Les désinences du texte tirent leur origine d’une série du latin vulgaire : -Eam6 ; Eas ; -Eat ; eAmus ; -eAtis ; -Eant (Picoche, 1979, p. 48), elle-même issue de la deuxième conjugaison latine formée sur habEre, étymon du verbe avoir, et non de la première conjugaison bien que le paradigme en -Abam soit majoritaire à l’imparfait pour cette conjugaison (ibid., p. 49). La diphtongue -oi est issue du E long latin tonique libre. Cette désinence est prononcée d’abord /wɛ/ puis /ɛ/ entre le xive et le xvie siècle. La graphie moderne -ait n’est adoptée définitivement par l’Académie qu’au xixe siècle (Picoche, 1979, p. 49 ; Grévisse, 1993, p. 1172), en 1835 officiellement d’après André Lanly (1977, p. 24). Le tableau proposé ci-après présente l’évolution des désinences de l’imparfait du latin classique au français moderne (Picoche, ibid.).
Latin classique | Latin vulgaire | Ancien français | Français moderne |
-Ebam | -Ea | -oie | -ais |
-Ebas | -Eas | -oies | -ais |
-Ebat | -Eat | -oit | -ait |
-ebAmus | -eAmus | -iiens | -ions |
-ebAtis | -eAtis | -iiez | -iez |
-Ebant | -Eant | -oient | -aient |
IV. Étude de style : les enjeux stylistiques de l’hyperbole
Rappel 8. La rhétorique classique
La rhétorique classiquea connaît trois genres oratoires : le judiciaire, le délibératif, l’épidictique.
a. Voir l’approfondissement 6 sur les sources littéraires des Tragiques.
Rappel 9. Jean de La Taille
Jean de La Taille est un auteur dramatique protestant. Son traité, De l’art de la tragédie, paraît en 1572, année de la Saint-Barthélemy. Il est le préambule de sa tragédie Saül.
59On fera l’hypothèse que l’hyperbole porte non seulement sur les formes mais aussi sur les contenus et qu’il est possible dans cette perspective d’analyser l’extrait des Tragiques autant comme le lieu d’une hyperbole du sens et d’une rhétorique de l’emportement que du point de vue des formes langagières utilisées à cet effet par d’Aubigné.
60Pour traiter la question de l’hyperbole, on verra d’abord en quoi l’étude stylistique de ce texte permet d’aborder la question des formes de l’« hyperbole du sens » (Dupriez, 1980, p. 238) dans la perspective générale d’une « rhétorique de l’emportement » (Lestringant, 1986, p. 58) caractéristique du champ de la poésie militante dont relèvent Les Tragiques et, dans un second temps, dans une perspective plus descriptive, quelles formes langagières l’écriture hyperbolique emprunte plus précisément.
IV. 1 L’hyperbole du sens : la rhétorique de l’emportement
61Les Tragiques débutent par les vers du Livre Premier, « Misères ». En termes d’organisation rhétorique du discours judiciaire7, il s’agit de l’exorde. Il convient de rendre l’auditeur :
- « docile » en veillant à « lui résumer l’affaire » (Patillon, 1990, p. 13) ;
- « attentif » en éveillant son intérêt et en lui montrant que l’affaire est d’importance, en énumérant « les points dont on va traiter » (ibid.) ; et
- « bien disposé » (ibid.) notamment en parlant de soi8.
62La mise en scène de soi se traduit par une quête de légitimité, qui se manifeste par le recours à l’allégorisation, notamment par l’invocation de figures héroïques pour justifier le combat temporel et de figures bibliques pour légitimer la dimension religieuse de cet engagement. Jean-Raymond Fanlo (1990) évoque à propos de ce passage une entrée en guerre doublée d’une entrée en poésie, qu’on peut formuler autrement, en évoquant une double inscription de l’œuvre dans les deux genres littéraires apparentés que sont la prophétie et l’apocalyptique9 (Lestringant, 1986, p. 69), qui ont pour finalité le dévoilement, la révélation.
Rappel 10. L’exorde
L’exorde est « le début du discours, dont la fonction est de disposer l’esprit de l’auditeur à écouter » (Patillon, 1990, p. 13). Quatre procédés sont mis en œuvre pour rendre l’auditeur bien disposé : « parler de soi, parler de la partie adverse, parler des auditeurs, parler de l’affaire elle-même » (ibid.). Pour la pragmatique, il s’agit au sens large de « l’usage que peuvent faire des formules des interlocuteurs visant à agir les uns sur les autres » (Ducrot & Todorov, 1972, p. 423).
IV. 1. 1 Les figures héroïques
Hannibal et Cezar
63L’histoire romaine se lit en filigrane à travers l’allusion au passage des Alpes par Hannibal (v. 3-4) illustré par Tite Live et Juvénal10 au moment de la deuxième guerre punique, et fait écho aux guerres de Religion qui dévastent la France à l’époque de la rédaction des Tragiques ; à travers la référence à César (v. 8 ; v. 12) et l’allusion au Rubicon (v. 18).
Les « feux des prophetes plus vieux » (v. 27)
64La mention des prophètes permet de réaffirmer le projet de la défense de la religion authentique en l’inscrivant dans L’Ancien Testament, qu’on peut percevoir ici comme le texte fondateur, la clé de voûte d’une spiritualité d’élection.
IV. 1. 2 Les allégories
65Agrippa d’Aubigné complexifie les figures allégoriques en les adossant à des effets de citation (Lestringant, 1986, p. 29). Le texte est travaillé de l’intérieur par de nombreuses références et manifeste une forte intertextualité. Il croise une inspiration profane, nourrie par les auteurs latins avec une inspiration biblique. Ce tissage est visible notamment dans le « débat d’allégories11 » qui est au cœur de l’extrait. La première allégorie est celle de l’apparition de Rome à Cezar (v. 9-12) : « Il vid Rome tremblante, affreuze, eschevelee […] ». Ce vers est la traduction d’un moment célèbre de La Pharsale12 de Lucain13. Les affinités stylistiques des deux auteurs sont perceptibles ici dans ce goût partagé pour la mise en place d’une figure pathétique et « suppliante » (Lestringant, 1986, p. 29). Cette première vision est complétée par une seconde allégorie, qui est celle de « la captive Eglise » (v. 13-16) qui anime le poète de ses « trenchans regards ». Ces allégories renvoient à ce que la pensée médiévale appelle des imagines agentes14 dans sa conceptualisation de l’art de la mémoire (Lestringant, 1986, p. 31 ; voir aussi Antoine, 1993).
Rappel 11. L’intertextualité
« Tout texte est absorption et transformation d’une multiplicité d’autres textes » (Ducrot & Todorov, 1972, p. 446).
IV. 1. 3 L’art de la mémoire et l’esthétique du tableau
66Les allégories qu’on vient d’évoquer et qui contribuent à des effets d’hypotypose rhétorique15, dans laquelle « l’action est un artifice de représentation de l’idée » (Dupriez, 1980, p. 240), participent à la construction de tableaux qui sont de l’ordre de la « scénographie visuelle ». Celle-ci peut frapper l’imagination et emporter l’adhésion davantage que le raisonnement (Lestringant, 1986, p. 79). Cette technique s’inscrit dans la continuité de l’ekphrasis antique.
67Cette écriture est nourrie par de nombreux effets, fondés sur un tissage d’allusions savantes, d’influences littéraires issues de la tradition française récente et de traits stylistiques spécifiques, qui contribuent à la création d’une écriture très dense et riche, qu’on qualifiera d’hyperbolique du point de vue de l’hyperbole du sens comme des formes, dans la mesure où elle permet à l’auteur de canaliser sa véhémence par le biais de divers moyens. Ces différents procédés ont en commun la prolifération et l’exubérance caractéristiques de la dynamique hyperbolique.
Rappel 12. L’hypotypose
« L’hypotypose peint les choses d’une manière si vive et si énergique qu’elle les met en quelque sorte sous les yeux, et fait d’un récit ou d’une description une image, un tableau, ou même une scène vivante » (Fontanier, 1968, p. 390, cité par Dupriez, 1980, p. 240). Dupriez distingue l’hypotypose descriptive qui vient d’être définie de l’hypotypose rhétorique (1980, p. 240).
Rappel 13. Aelius Théon
Aelius Théon est l’auteur des Progymnasmata, traité sur les exercices préparatoires à l’enseignement rhétorique (édition Patillon et Bolognesi : Théon, 2002). Le traité selon les éditeurs ne peut être daté au-delà du iie siècle après J.-C.
IV. 2 L’écriture hyperbolique
IV. 2. 1 Multiplicité des effets d’allusion savante
68Les vers 21-22 constituent un exemple d’allusion à la culture antique : « Pour Mercures croisez, au lieu de Pyramides, / J’ai de jour le pilier, de nuict les feux pour guides. » Le tour « Mercure croisez », selon l’édition Garnier et Plattard16, renvoie à des effigies d’Hermès qui chez les Grecs servaient de « bornes » ou de « poteaux indicateurs », « croisez » signifiant « placés au croisement des bornes » ou à des effigies du même Hermès dont les « quatre têtes, nuque à nuque, affectaient une forme croisée17 ». On trouve également des références bibliques. Le « pilier » est la colonne de nuages et les « feux », la colonne de feu dont il est question dans l’Exode. On observe également la présence de tournures dites hébraïques18, notamment dans l’emploi de certains compléments de noms : « courage de feu » (v. 5) ; « respect d’erreur » (v. 7).
69Ce va-et-vient entre les sources illustre « la diversité fondamentale des modèles » de l’auteur (Lestringant, 1986, p. 37) et contraste avec la simplicité recherchée du style.
Rappel 14. L’influence de Ronsard et l’héritage de la Pléiade
« Il y a des vocables qui sont françois naturels, qui sentent le vieux mais le libre françois, comme dougé, tenuë, empour, dorne, bauger, bouger, et autres de telle sorte. Je vous recommande par testament que vous ne laissiez point perdre ces vieux termes, que vous les employiez et defendiez hardiment contre des maraux qui ne tiennent pas elegant ce qui n’est point escorché du latin et de l’italien » (d’Aubigné, Aux lecteursa, 1616).
a. Édition Garnier et Plattard (d’Aubigné, 1975, p. 8).
IV. 2. 2 L’héritage de la Pléiade
70Agrippa d’Aubigné revendique explicitement, dans l’adresse de son ouvrage intitulée Aux lecteurs, l’héritage de Ronsard. Il manifeste son goût pour un lexique familier, voire dialectal, et par là la distance qu’il prend par rapport aux influences italiennes, exemple en est du « bonhomme Ronsard19 ». Cette simplicité est présente dans le texte où voisinent à côté des allégories des syntagmes comme « herbe verde » (v. 25) ; « prairie espaisse, haute & druë » (v. 26) ; « premiere rosee » (v. 30) ; « vrai soleil » (v. 33). Elle contribue à créer de forts effets de contraste.
71Ces revendications sont sans doute davantage à interpréter comme le signe d’un ancrage dans le terroir et comme celui d’une forme de résistance à l’écume transitoire des modes. Elles signalent indirectement l’intensité de l’engagement du poète, qui se traduit par une expression constamment au bord du paroxysme du point de vue de l’hyperbole du sens et de la « rhétorique de l’emportement20 » (Lestringant, 1986, p. 58). Cette stylistique emprunte des marques formelles spécifiques qui vont être abordées maintenant.
IV. 2. 3 Les marques formelles de l’hyperbole
IV. 2. 3. 1 Les intensifs et les marques du haut degré
72On relève une série de termes exprimant une tension très forte :
- des substantifs : « legions » (v. 1), « monstres » (v. 2), « feu » (v. 5), « terreur » (v. 8) ;
- des adjectifs et des participes passés : « embrasez » (v. 4), « affreuze » (v. 9), « mi-morte » (v. 10), « desolee » (v. 10), « meurtri » (v. 14) ;
- des verbes : « s’attaquer » (v. 1), « Se fendit » (v. 4), « Tordant » (v. 11), « defendoit » (v. 11), « l’ait jamais escorché » (v. 20).
IV. 2. 3. 2 Les effets du nombre
73Le pluriel permet de traduire une vision proliférante où l’on observe des pluriels concrets : « aux legions » (v. 1), « Aux monstres d’Italie » (v. 2), « sept monts » (v. 6), « les feux » (v. 22), « des inutiles fleurs » (v. 32) ; et abstraits : « aux despens des hazards » (v. 15), « Mes desirs » (v. 17).
IV. 2. 3. 3 Les constructions binaires et ternaires avec reprise de patron syntaxique
« aux legions de Rome, / Aux monstres d’Italie, » (v. 1-2)
74Ces deux syntagmes sont compléments du verbe s’attaquer à. On observe une symétrie dans la construction : l’article contracté aux régit un substantif suivi d’un complément de nom, lequel est dans les deux cas un nom de lieu. On relève un autre exemple de construction binaire dans le groupe complément du verbe briser : « Je brise les rochers & le respect d’erreur » (v. 7).
75Le texte offre aussi des constructions ternaires : « tremblante, affreuze, eschevelee » (v. 9) ; une « prairie espaisse, haute & druë » (v. 26).
IV. 2. 3. 4 L’apostrophe
« Astres, secourez-moi » (v. 23)
76Elle rend les absents présents de manière fictive, confère « à l’inanimé un statut d’animé, en concrétisant l’abstraction » ; « élabore un réseau complexe de représentations anthropomorphiques » (Boissieu & Garagnon, 1997, p. 12). Cette construction jointe à l’emploi de la première personne amplifie la dimension de l’engagement personnel d’Agrippa d’Aubigné et le caractère militant des Tragiques.
77Ce texte, très stratégique dans ses orientations, est exemplaire du projet d’Agrippa d’Aubigné. Il témoigne des choix stylistiques de l’auteur en lien avec la finalité militante du texte, qui défend d’abord une cause politique : Les Tragiques ne peuvent en effet être dissociés de l’action menée par le « parti protestant » (Lestringant, 1986, p. 7) pendant les guerres de Religion21, ni ensuite d’une « idéologie religieuse » (ibid., p. 10). Fondé sur une rhétorique de l’emportement, il fait la synthèse de plusieurs traditions, sans ignorer la modernité comme en témoigne l’influence de Ronsard et des poètes de la Pléiade. Ce dernier point conduit à souligner qu’à côté de la véhémence existent aussi des traits de simplicité poétique, qui font des Tragiques un texte subtil et contrasté.
Bibliographie
I. Édition du texte étudié
d’Aubigné Théodore Agrippa, 1975, Les Tragiques, t. 1, Épître aux lecteurs, préface en vers et livre I, édité par Armand Garnier et Jean Plattard, Paris, Librairie Marcel Didier, coll. « Société des textes français modernes ».
II. Dictionnaires
II. 1 Dictionnaires généraux de la langue française
Littré Émile, 1873-1874, Dictionnaire de la langue française, 4 vol., ici vol. 3, disponible en ligne sur https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k5460034d/f815 [consulté le 29/05/2020].
Le Petit Robert de la langue française, 2015, Paris, Le Robert.
II. 2 Dictionnaire des noms propres
Le Petit Robert 2. Dictionnaire universel des noms propres alphabétique et analogique, 1986, dirigé par Paul Robert et Alain Rey, Paris, Le Robert.
II. 3 Dictionnaires spécialisés
II. 3. 1 Étymologie
Bloch Oscar & Wartburg Walther von, 1975, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, Presses universitaires de France.
II. 3. 2 Histoire de la langue française
Dubois Jean, Lagane René & Lerond Alain, 1971, Dictionnaire du français classique, Paris, Larousse.
II. 3. 3 Sciences du langage
Ducrot Oswald & Todorov Tzvetan, 1972, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil.
II. 3. 4 Poétique et rhétorique
Dupriez Bernard, 1980, Gradus. Les procédés littéraires, Paris, Union générale d’éditions, coll. « 10/18 ».
III. Sciences du langage
III. 1 Sémantique
Martin Robert, 1983, Pour une logique du sens, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Linguistique nouvelle ».
III. 2 Linguistique française
III. 2. 1 Histoire de la langue
III. 2. 1. 1 Morphologie historique
Lanly André, 1977, Morphologie historique des verbes français. Notions générales, conjugaisons régulières, verbes irréguliers, Paris, Bordas, coll. « Études », série « Langue française ».
Picoche Jacqueline, 1979, Précis de morphologie historique du français, Paris, Nathan, coll. « Nathan université, information, formation ».
III. 2. 1. 2 Grammaire historique
Marchello-Nizia Christiane, 1979, Histoire de la langue française aux xive et xve siècles, Paris, Bordas, coll. « Études », série « Langue française ».
III. 2. 2 Grammaires du français contemporain
Gardes-Tamine Joëlle, 1998, La grammaire, t. 1, Phonologie, morphologie, lexicologie, 3e éd., Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », série « Lettres ».
Grévisse Maurice, 1993, Le Bon usage, 13e éd. par André Goosse, Paris / Louvain-La-Neuve, Duculot.
Le Goffic Pierre, 1993, Grammaire de la phrase française, Paris, Hachette supérieur, coll. « HU. Langue française ».
Riegel Martin, Pellat Jean-Christophe & Rioul René (GMF), 2009, Grammaire méthodique du français, 4e éd., Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige manuels ».
Riegel Martin, Pellat Jean-Christophe & Rioul René (GMF), 2014, Grammaire méthodique du français, 5e éd., Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige manuels ».
Riegel Martin, Pellat Jean-Christophe & Rioul René (GMF), 2016, Grammaire méthodique du français, 6e éd., Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige manuels ».
Riegel Martin, Pellat Jean-Christophe & Rioul René (GMF), 2018, Grammaire méthodique du français, 7e éd., Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige manuels ».
III. 2. 3 Étude grammaticale spécialisée. La phrase complexe
Garagnon Anne-Marie & Calas Frédéric, 2002, La phrase complexe. De l’analyse logique à l’analyse structurale, Paris, Hachette, coll. « Ancrages ».
III. 2. 4 Manuels
III. 2. 4. 1 L’épreuve d’étude grammaticale d’un texte de langue française aux concours du CAPES et de l’agrégation de lettres modernes
Calas Frédéric & Rossi-Gensane Nathalie, 2001, Questions de grammaire pour les concours, Paris, Ellipses, coll. « CAPES-agrégation. Lettres ».
III. 2. 4. 2 Guide pédagogique pour l’enseignement de la grammaire dans le second degré
Maingueneau Dominique & Pellet Éric, 2005, Les notions grammaticales au collège et au lycée, Paris, Belin, coll. « Guide Belin de l’enseignement ».
IV. Rhétorique
IV. 1 Ouvrages généraux
Fontanier Pierre, 1968, Les Figures du discours, Paris, Flammarion.
Patillon Michel, 1990, Éléments de rhétorique classique, Paris, Nathan, coll. « Nathan université », série « Études linguistiques et littéraires ».
IV. 2 Études spécialisées de rhétorique. Histoire de la rhétorique
Théon Aélius, 2002 [1997], Progymnasmata, édité par Michel Patillon, avec la collaboration de Giancarlo Bolognesi, Paris, Les Belles Lettres.
V. Poétique. Dramaturgie
La Taille Jean de, 2007 [1572], De l’art de la tragédie, édité par Christian Barataud, Paris, Eurédit, coll. « Théâtre du monde entier ».
VI. Stylistique
VI. 1 Stylistique générale
Fromilhague Catherine & Sancier-Chateau Anne, 1996, Introduction à l’analyse stylistique, nouv. éd., Paris, Dunod, coll. « Lettres supérieures ».
VI. 2 Le commentaire stylistique aux concours externes du CAPES et de l’agrégation de lettres modernes
Boissieu Jean-Louis de & Garagnon Anne-Marie, 1997, Commentaires stylistiques, 3e éd., Paris, SEDES.
VII. Études spécialisées consacrées à l’auteur
VII. 1 Ouvrage
Lestringant Frank, 1986, Agrippa d’Aubigné. “Les Tragiques”, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Études littéraires ».
VII. 2 Article
Fanlo Jean-Raymond, 1990, « La mobilité de la représentation dans Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné », Bulletin de l’Association d’étude sur l’humanisme, la réforme et la renaissance, no 30, p. 55-63, disponible en ligne sur https://www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_1990_num_30_1_1721 [consulté le 29/05/2020].
VII. 3 L’auteur et l’histoire littéraire. Autre œuvre de l’auteur étudié
d’Aubigné Théodore Agrippa, 1975 [1616], « Aux lecteurs », dans Id., Les Tragiques, t. 1, Épître aux lecteurs, préface en vers et livre I, édité par Armand Garnier et Jean Plattard, Paris, Librairie Marcel Didier, coll. « Société des textes français modernes », p. 3-15.
VIII. Les textes et l’histoire culturelle et artistique
Antoine Jean-Philippe, 1993, « Mémoire, lieux et invention spatiale dans la peinture italienne des xiiie et xive siècles », Annales. Économies, sociétés, civilisations, vol. 48, no 6, Mondes de l’art, p. 1447-1469, disponible en ligne sur https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1993_num_48_6_279225 [consulté le 29/05/2020].
Schöch Christof, 2007, « L’ekphrasis comme description de lieux : de l’Antiquité aux romantiques anglais », Acta fabula, vol. 8, no 6, disponible en ligne sur http://www.fabula.org/acta/document3691.php [consulté le 29/05/2020].
IX. Ressources textuelles et lexicales en ligne
Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), disponible en ligne sur https://www.cnrtl.fr/lexicographie/fac%C3%A9tie [consulté le 29/05/2020].
Annexe
Approfondissements du chapitre 1
Approfondissement 1. La notion de subordination Approfondissement 2. Les propositions subordonnées Approfondissement 3. La triple fonction du pronom relatif Approfondissement 4. Les relatives substantives indéfinies sans antécédent Approfondissement 5. Les Tragiques : inscription de l’œuvre dans le contexte historique des guerres de Religion Approfondissement 6. Les sources littéraires des Tragiques Approfondissement 7. L’hyperbole Approfondissement 8. L’art de la mémoire : l’ekphrasis et les imagines agentes |
Approfondissement 1. La notion de subordination
Il y a subordination quand il existe un rapport de dépendance orientée entre une proposition principale et une proposition subordonnée. La proposition subordonnée est introduite par des termes qui marquent la dépendance, dénommés subordonnants. Parmi les subordonnants, on distingue ceux qui ont une fonction dans la proposition subordonnée, à savoir les pronoms relatifs et interrogatifs de ceux qui n’exercent pas de fonction dans la proposition subordonnée, autrement dit les conjonctions de subordination. Enfin, il existe une troisième catégorie de propositions subordonnées, dites propositions sans terme introducteur : la proposition infinitive et la proposition participiale. On utilise le terme proposition pour identifier dans les phrases complexes les phrases constituantes « enchâssées » au sein d’une autre proposition, à l’aide ou non d’un subordonnant. La proposition subordonnée « ne saurait constituer une phrase à elle seule » (Calas & Rossi-Gensane, 2001, p. 243). Le subordonnant se situe toujours à l’ouverture de la subordonnée. Il a un rôle démarcatif (ibid., p. 246).
Approfondissement 2. Les propositions subordonnées
Les propositions subordonnées sont dénommées par le terme introducteur quand il existe.
Les propositions subordonnées relatives sont introduites par un pronom relatif « qui amalgame la marque de subordination et l’indication d’une fonction à l’intérieur de la subordonnée » (GMF, 2014, p. 788). Parmi les propositions subordonnées introduites par un terme n’ayant jamais de fonction à l’intérieur de la subordonnée se trouvent les propositions complétives introduites par la conjonction que (ibid.). Les propositions circonstancielles sont introduites par « des conjonctions et des locutions conjonctives qui à la fois marquent leur caractère subordonné et spécifient leur rapport sémantique avec le reste de la phrase » (ibid.). Enfin, « les subordonnées dépourvues de termes introducteurs », à savoir les propositions participiales et infinitives ont « une structure propositionnelle articulée autour d’une forme verbale et d’un sujet éventuellement non exprimé » (p. 789). Elles sont « identifiées d’après le mode de la forme verbale » (ibid.). Elles ont un « caractère nettement subordonné » (ibid.). En effet, le mot subordonnant n’est qu’un « indicateur de subordination parmi d’autres » (GMF, 2009, p. 787). Il peut même être non subordonnant comme dans les interrogatives partielles indirectes du type : « Je me demande où va Pierre » dont le terme interrogatif initial où introduit aussi les interrogations partielles directes : « Où va Pierre ? » (ibid.).
Approfondissement 3. La triple fonction du pronom relatif
Remarque : cette mise au point n’inclut pas la relative substantive, laquelle est dépourvue d’antécédent, le relatif n’y est donc pas anaphorique.
• Il a une fonction démarcative et, à ce titre, il introduit la proposition relative. Il se place en tête de la relative. Il est « l’opérateur de subordination ou complémenteur marquant ainsi une frontière de proposition enchâssée » (GMF, 2014, p. 795) ;
• Dans la relative adjective, il a une fonction anaphorique, il est « coréférent à son antécédent » (ibid.), il est également le représentant de son antécédent dans la relative. En conséquence, alors que les formes simples du pronom, qui et que en l’espèce, ne sont marquées ni en genre ni en nombre ni en personne, « elles n’en commandent pas moins les mêmes accords que le ferait leur antécédent » (ibid.) ;
• Dans la relative adjective, il a une fonction casuelle. Sa forme varie « essentiellement selon sa fonction grammaticale dans la relative, qui en position de sujet ; que comme complément direct du verbe ou comme attribut » (p. 796).
Approfondissement 4. Les relatives substantives indéfinies sans antécédent
Ces relatives sont dépourvues d’antécédent. Elles ont « la distribution d’un groupe nominal et sont donc pleinement substantives » (GMF, 2016, p. 816). Elles sont introduites par le pronom relatif indéfini animé qui ou par sa variante quiconque ou par le pronom relatif indéfini non animé quoi (ibid.). L’analyse de la relative substantive indéfinie comme une relative a été discutée notamment par Pierre Le Goffic (1993) qui en fait une « intégrative pronominale », laquelle ne serait plus qu’une « survivance » (p. 46). La dénomination de « relative sans antécédent » est inadéquate car, pour Le Goffic, qui dans ces constructions n’est pas un véritable relatif, il n’en a pas les emplois (ibid.). Le Goffic l’analyserait plutôt comme un qui « interrogatif percontatif », i. e. « un indéfini pour lequel la question de l’antécédent ne se pose pas » (ibid.).
Approfondissement 5. Les Tragiques. Inscription de l’œuvre dans le contexte historique des guerres de Religion
Les sept livres composant Les Tragiques s’organisent en deux volets antithétiques qui mettent en évidence le drame vécu par la France : d’un côté « le monde renversé de la perversion », de l’autre le « règne de la justice qu’annonce l’apocalypse imminente » (Lestringant, 1986, p. 5). Les cinq premiers livres manifestent une corruption croissante et une présence de Satan de plus en plus forte, les deux derniers célèbrent le « triomphe et la gloire de Dieu », dans le cadre d’un « déséquilibre tout aussi violent, exercé cette fois dans un sens positif, à l’avantage de Dieu » (ibid., p. 6). L’œuvre a été rédigée au cours d’une période de trente-neuf ans, de 1577 à 1616. Elle est inséparable de l’action du « parti protestant », des guerres de Religion et en particulier du massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572), qui porte un coup très dur au parti huguenot. Le texte est publié – sous la Régence de Marie de Médicis après la mort d’Henri IV, Louis XIII étant encore enfant – à une période où les avancées fragiles obtenues par la signature de l’édit de Nantes paraissent remises en question. Les références religieuses essentielles d’Agrippa d’Aubigné sont sous-tendues par l’œuvre de Calvin, mais pas exclusivement, car le projet poétique et l’esthétique contrebalancent le dogmatisme religieux. Les Tragiques renvoient « la vision puissante et profonde d’un cosmos où se joue l’ultime bataille entre les ténèbres et la lumière » (ibid., p. 15).
Approfondissement 6. Les sources littéraires des Tragiques
Les Tragiques sont largement inspirés de l’Ancien Testament. Ils lui empruntent l’image du Dieu vengeur, qui combat pour que justice soit rendue à son peuple. Au plan stylistique, l’influence de la Bible est manifeste. Elle a fourni à l’auteur un appareil conceptuel, un réseau d’images et une langue. Il n’ignore pas non plus le modèle latin. L’apparition de Rome à César, qui ouvre l’extrait à étudier est empruntée à La Pharsale de Lucain, ancrée dans la guerre civile opposant César et Pompée. Outre Lucain, on ne peut manquer de penser également aux poètes satiriques latins et notamment à Juvénal. Il convient aussi de prendre en compte la vocation personnelle d’Agrippa d’Aubigné, qui l’a conduit à devenir le témoin prophétique des malheurs de ses coreligionnaires et qui s’est traduite par une conversion intérieure ou « métanoia », modifiant ainsi « le sens de son engagement » aux côtés du parti protestant (Lestringant, 1986, p. 51). Le texte répond également aux canons de la rhétorique classique et aux fonctions que celle-ci assigne au texte littéraire, « instruire (docere) ; plaire (delectare) ; émouvoir (movere ou flectere) » (ibid., p. 73). On admettra que l’œuvre relève du genre oratoire du judiciaire plutôt que du délibératif ou de l’épidictique, car ses finalités coïncident avec la façon dont la rhétorique classique comprend le but du genre judiciaire, à savoir « de décider entre le juste et l’injuste », de soutenir ou de combattre « une proposition » (Patillon, 1990, p. 10) et de servir « de référence pour la théorie des autres discours » (ibid., p. 12).
S’il ne convient pas de négliger la visée didactique de l’œuvre, la troisième fonction semble primordiale néanmoins comme en témoignent ces propos de l’adresse aux lecteurs qui ouvre Les Tragiques : « Nous sommes ennuyés de livres qui enseignent, donnez-nous en pour esmouvoira. » Dès lors, la parole sera émotionnelle et la vérité sera exprimée par le truchement des affects. Elle « s’adressera d’abord aux passions » (Lestringant, 1986, p. 74) en suscitant toutes sortes d’émotions et de sentiments contradictoires chez le lecteur. Agrippa d’Aubigné suit en cela les préceptes de L’Art de la tragédie de Jean de La Tailleb : « Or c’est le principal point d’une Tragédie de la sçavoir bien disposer, bien bastir, et la deduire de sorte qu’elle change, transforme, manie, et tourne l’esprit des escoutans de ça, de lac… » Le même auteur ajoute plus loin : « La vraye et seule intention d’une tragedie est d’esmouvoir et de poindre merveilleusement d’un chascund. »
a. Édition Garnier et Plattard (d’Aubigné, 1975, p. 3).
b. Voir le rappel 9.
c. Cité par Franck Lestringant (1986, p. 74).
d. Cité par Franck Lestringant (1986, p. 73).
Approfondissement 7. L’hyperbole
Comme l’ironie, l’hyperbole est une figure de pensée dans laquelle « on augmente ou diminue les choses avec excès » (Fontanier, 1968, cité par Fromilhague & Sancier-Chateau, 1996, p. 151). Littré (cité par Dupriez, 1980, p. 237) définit l’hyperbole comme le fait d’« augmenter ou diminuer progressivement la vérité des choses pour qu’elle produise plus d’impression ». Il est précisé qu’« il n’est pas toujours possible de dire si l’hyperbole porte seulement sur l’expression ou plutôt sur le contenu » (Dupriez, 1980, p. 238). La notion d’hyperbole connaît deux grandes acceptions. Quand elle porte sur les contenus, la notion d’hyperbole du sens est convoquée (ibid., p. 237-239). Quand elle porte sur les formes langagières, il s’agit de l’hyperbole d’expression, laquelle est une figure de rhétorique qu’on peut définir comme une forme « qui substitue à l’expression quantitativement appropriée une formulation exagérée, soit par surévaluation […], soit par diminution » (Boissieu & Garagnon, 1997, p. 257). Elle a souvent une valeur argumentative (Fromilhague & Sancier-Chateau, 1996, p. 152).
Approfondissement 8. L’art de la mémoire : l’ekphrasis et les imagines agentes
Le rhéteur grec Aelius Théona définit l’ekphrasis comme un « discours qui nous fait faire le tour de ce qu’il montre en le portant sous les yeux avec évidence » (Schöch, 2007) et d’une manière plus générale qui entre dans le cadre de « l’art de la mémoire ». Cette technique renvoie depuis l’Antiquité à « un ensemble de prescriptions, qui gouvernent l’éducation […] et d’une façon générale la formalisation des savoirs » (Antoine, 1993, p. 1448). Elle a pour but « la mémorisation d’un grand nombre d’objets de savoir par le moyen d’un système de “lieux” et “d’images” impressionnant l’esprit » (Lestringant, 1986, p. 80), en combinant « une écriture thésaurisante » et un « imaginaire mnémotechnique » (ibid., p. 68).
Les imagines agentes constituent un exemple de ces « images impressionnant l’esprit » (ibid.). On peut les définir comme des « figures animées, horribles ou tragiques, destinées à frapper de stupeur l’imagination du lecteur » (ibid., p. 31).
a. Voir le rappel 13 consacré à Aelius Théon.
Notes de bas de page
1 Voir sur ce point l’approfondissement 4 : « Les relatives substantives indéfinies sans antécédent ».
2 On se reportera pour la question des accords commandés par le pronom relatif qui à l’approfondissement 3 : « La triple fonction du pronom relatif ».
3 Voir sur ce point la section IV. 1. 2 de l’étude de style : « Les allégories ».
4 Voir sur ce point l’approfondissement 30 : « L’emploi de la majuscule sur les noms propres » au chapitre 4.
5 Le problème de la soudure de puis et de que a été abordé plus haut dans la section II. 3. 1 : « Les circonstancielles de situation » de la question de morphosyntaxe.
6 La majuscule sert à noter une voyelle tonique en latin (Picoche, 1979, p. 11).
7 Voir sur ce point le rappel 8 sur la rhétorique classique.
8 Voir sur ce point le rappel 10 sur l’exorde.
9 Le sens étymologique d’apocalypse est celui de « révélation » (Le Petit Robert de la langue française, 2015).
10 On renvoie ici à la note 3 de l’édition Garnier et Plattard des Tragiques (d’Aubigné, 1975, p. 39).
11 La formule est de Franck Lestringant (1986, p. 28).
12 La Pharsale est le récit de la guerre entre César et Pompée. Le vers évoque le passage du Rubicon.
13 Poète latin (Cordoue, 39-Rome, 65). Neveu de Sénèque et compagnon de Néron (Le Petit Robert 2, 1986).
14 Voir l’approfondissement 8 : « L’art de la mémoire. L’ekphrasis et les imagines agentes ».
15 Voir le rappel 12 consacré à l’hypotypose.
16 Voir sur ce point la note 21 de l’édition Garnier et Plattard des Tragiques (d’Aubigné, 1975, p. 41).
17 Ibid.
18 « Le respect d’erreur est celui qui est fondé sur l’erreur, c’est-à-dire illusoire » (ibid., p. 39, vers 5-7).
19 Ibid.
20 Voir la section IV. 1 de cette étude de style.
21 Ce conflit a eu lieu entre 1562 et 1598.
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