Chapitre VI
Le mythe de Cola
p. 229-282
Texte intégral
1. Cola, entre histoire, politique et littérature
1La distinction entre histoire, politique et littérature peut être artificielle, surtout si elle se réfère à certaines époques, cultures et personnes particulières. Dans le cas de Cola, une telle subdivision, si elle n’est pas bien calibrée, peut même conduire à une vision erronée de la façon dont le personnage fut interprété après sa mort1. Il est souvent arrivé, en effet, que l’écrivain projetant de composer une œuvre de fiction centrée sur la figure du « dernier tribun » entende aussi fournir une reconstruction historique digne de foi ; l’historien professionnel, de son côté, bien qu’utilisant des termes dont il considère avoir démontré l’exactitude, peut facilement se laisser aller à des divagations et des évocations, de coloration ou interprétation personnelles, en écrivant une biographie menée comme un roman. En outre, aussi bien les historiens que les littéraires qui ont abordé le personnage ont été souvent – pour ne pas dire toujours – poussés à s’intéresser à Cola par une intention à caractère politique : ils voulaient raconter, en bien et en mal, la vie mouvementée d’un homme extraordinaire, dans le but d’en tirer un sens ultérieur. Enfin, les mêmes historiens, hommes de lettres et politiques qui ont eu à faire avec la mémoire de Cola appartiennent souvent et simultanément à plusieurs de ces catégories, si bien qu’il est difficile, jusqu’à la fin de la première moitié du xxe siècle, de distinguer avec certitude quelle a été leur principale vocation : Schiller était historien et dramaturge ; Engels, avant d’être philosophe politique, a écrit aussi quelques textes littéraires ; D’Annunzio fut écrivain et homme d’action ; tous s’intéressèrent au personnage de Cola.
2Les écrivains, les historiens, les musiciens, les hommes politiques, se sont influencés réciproquement, ce qui a contribué à former un personnage polyédrique. La fusion – voire la confusion – entre l’homme qui a vécu et le personnage littéraire a produit des résultats historiquement aussi intéressants que la « vraie » vie de Cola, puisqu’elle a eu un grand impact sur la culture, l’idéologie et la politique des deux derniers siècles. L’homme Cola di Rienzo a été démonté et recomposé, dédoublé, multiplié, et le jugement définitif que l’on porte sur lui est une énigme encore non résolue2. Certains de ses portraits historiques ou littéraires ont eu, peut-être, plus d’influence que n’en exerça le citoyen romain qui s’était mis à la tête de son peuple : que l’on pense seulement, pour proposer l’exemple le plus important (sur lequel nous reviendrons), au poids culturel du Rienzi de Wagner. Les personnages recréés – qui parfois n’ont plus rien à voir avec l’ancien tribun – sont devenus eux aussi des aspects du Cola d’origine, pratiquement des filtres, avec lesquels nous somme obligés de compter.
3Cola, finalement, reste en équilibre entre l’histoire et la légende. Celui qui parle de lui, sous l’influence d’une longue tradition et du tribun lui-même (qui construisit habilement sa propre image), éprouve le désir d’écrire de grandes choses dans des termes emphatiques. Aux fondements de cette approche singulière dans la récupération de son image, on trouve certaines caractéristiques générales du rapport entre Rome et ceux qui l’ont contée et surtout des véhicules de transmission de la mémoire de son protagoniste.
4La forte émotion déclenchée par la rencontre avec les ruines antiques de Rome a provoqué chez beaucoup l’impulsion qui les a conduits à écrire : c’est ce qui est arrivé, par exemple, à Giovanni Villani et à Edward Gibbon, à Felix Papencordt et à Ferdinand Gregorovius. Mais la rencontre avec Cola va bien au-delà, tant il est vrai qu’il est un des rares personnages de premier plan de la Rome médiévale à avoir eu des biographes et des spécialistes à l’époque moderne : même le souvenir de Grégoire VII (1020-1085) reste, comparé au sien, cantonné à la sphère érudite, et seul Boniface VIII peut l’égaler en célébrité. Tous les autres protagonistes de l’histoire romaine du Moyen Âge se traînent loin derrière lui : quand on parle d’Arnaud de Brescia († 1155), on ne sait pratiquement pas de qui il s’agit ; Francesco Baroncelli reste pour tout le monde un parfait inconnu.
5Le dernier des tribuns (comme il fut appelé par Byron et, après lui, dans une foule d’œuvres littéraires) a toujours été considéré comme un personnage hors normes, à qui on a attribué des pensées, des comportements et des vicissitudes quelque peu exagérés. Cela s’est produit parce qu’au fond, la mémoire de Cola di Rienzo est déjà, dès l’origine, connotée littérairement3. Cola est sujet, comme l’écrit Massimo Miglio, à une « accumulation de mythes »4. En effet, cohabitent dans son personnage le mythe qu’il a lui-même créé autour de lui et celui qui a été forgé par Pétrarque. À côté de ceux-ci, il faut prendre en compte, enracinés dans son histoire, le mythe de Rome et celui du retour à l’âge d’or. Mais surtout, la connaissance de l’homme et de son action dans le monde est passée pendant très longtemps par une seule plume, une encre unique qui l’a teintée d’un coloris indélébile. C’est ainsi que jusqu’à la fin des années 1840, on ne connaissait pratiquement de Cola que ce qui avait été transmis par cette unique source, en ignorant, en revanche, sa riche production épistolaire ; par conséquent, le caractère même du personnage était compris seulement en fonction de ce que son premier biographe avait décrit.
2. Du xive siècle au xviie siècle
6La source que nous venons d’évoquer est la célèbre Vita de Cola, incluse dans la Cronica rédigée par un citoyen romain du xive siècle5. Dans cette œuvre, la figure du capopopolo est décrite par le menu, avec fraîcheur et perspicacité ; les détails, si vivants, sont quasiment picturaux et les commentaires de l’auteur sont exprimés par des répliques aiguës et magistrales. La Vita, qui ne comporte que deux chapitres, est présentée comme exceptionnelle et complexe ; on y insiste beaucoup sur le caractère hors du commun et grandiose des idées, des actions, des erreurs et de la mort sanglante de Cola.
7La Cronica constitue, sans aucun doute, une des sources majeures utiles pour reconstruire la vie du personnage, et les informations qu’elle contient sont presque toujours exactes et vérifiables. Mais son auteur, qui fut étudiant en médecine, reste inconnu6. Il connut Cola et participa à certaines séquences marquantes de son aventure. Témoin oculaire des événements romains compris entre 1325 et 1357, il avait sa propre vision du monde et une personnalité affirmée qui le placent à une juste distance de la sensibilité politique de Cola. Il partage avec le tribun la haine des barons et apprécie certaines initiatives de son gouvernement, mais en même temps, l’image idéalisée de Rome propre à tant de ses contemporains lui est totalement étrangère, et il regarde d’un œil sceptique et réaliste le Cola « fantasque ». On dirait que, pratiquement déjà alors, cet auteur incarnait ce caractère ironique, désinvolte et fataliste qui a ensuite été attribué comme topos aux Romains. Alors que Cola, dans ses échanges épistolaires, tente d’accréditer son image d’envoyé du Saint-Esprit, l’Anonyme chroniqueur ne s’y intéresse vraiment pas, mais insiste en revanche sur la partie centrale du projet politique qu’il estime fondamentale, la restauration de la grandeur ancienne de l’Urbs7. Le célèbre récit de la mort de Cola met en évidence la grande amertume que le biographe dut éprouver en cette occasion : la condamnation finale est sans appel, car il juge que le tribun a trahi le symbole qu’il s’était promis de représenter. Le citoyen de Rome, qui avait voulu égaler les anciens et fiers sénateurs romains, avait été, au moment de mourir, un épouvantable lâche8.
8Considérée aujourd’hui comme une des plus belles œuvres de la littérature médiévale italienne, écrite dans un romanesco raffiné qui n’a rien à envier à la grande langue florentine, la Cronica de l’Anonyme romain n’eut, pendant longtemps, aucun succès9. Ce fut justement la langue dans laquelle elle avait été écrite qui la desservit, car elle n’avait rien à voir avec le beau florentin des grands écrivains du Trecento et de ceux cités par l’Académie de la Crusca10. La Cronica était non seulement méconnue comme source historique (partageant en cela le destin de tant de textes écrits en langue vulgaire), mais on ne lui reconnaissait pas non plus le caractère d’une œuvre littéraire. Une des conséquences importantes de cette carence fut que le souvenir du tribun se refroidit rapidement sans être relayé par l’imagination des historiens et des écrivains. Entre le xive siècle et le xvie siècle, l’histoire de Cola fut connue essentiellement grâce à la chronique de Giovanni Villani. Ce dernier dessine un portrait du tribun qui n’est pas très différent de celui laissé par le chroniqueur romain. Le prudent marchand florentin écrivait en effet :
Lasceremo alquanto della nuova e grande impresa del nuovo tribuno di Roma, che tutto a tempo vi potremo ritornare, seˑlla sua signoria e stato arà potere con efetto, con tutto che per li savi e discreti si disse infino allora cheˑlla detta impresa del tribuno era un’opera fantastica e da poco durare [Nous laisserons là la neuve et grande entreprise du tribun de Rome, à laquelle nous pourrons revenir quand il sera temps, [pour estimer] si son gouvernement et son état auront un pouvoir effectif, bien que pour les sages et les raisonnables, il se dise jusqu’à maintenant, que ladite entreprise du tribun était une œuvre folle et de peu de durée]11.
Peu de temps après, ayant vérifié que ses prévisions étaient exactes (comme toujours, les prophéties faites après l’événement se révèlent justes), Villani écrit sentencieusement :
E nota, lettore, cheˑlle piú volte, quasi sempre, aviene a chi si fa signore o caporale di popoli d’avere sí fatta uscita, però che di veri segni della fortuna è, che’ sùbiti avenimenti di felicità e di vettoria e signoria mondana tosto vegnono meno. E bene accade al tribuno il motto che disse in una sua rima un savio: Nessuna signoria mondana dura / eˑlla vana speranza t’ha scoperto / il fine della fallace ventura [Et remarque, lecteur, que le plus souvent, en fait presque toujours, il arrive à celui qui se fait seigneur ou chef des peuples de rencontrer une semblable fortune, puisque les vrais signes de la fortune sont que les chances de succès, de victoire et de seigneurie mondaine imprévues se dérobent subitement. Et c’est bien le cas d’appliquer au tribun le proverbe qu’un sage a exprimé en ces vers : Aucune seigneurie mondaine ne dure/ et la vaine espérance t’a découvert/la fin de l’aventure trompeuse]12.
Giovanni, qui commentait avec fatalisme l’entreprise de 1347, ne put jamais raconter ce qui était arrivé en 1354, parce qu’à cette date, il était déjà mort, emporté par la peste noire. C’est son frère Matteo qui le fit ; il mit assez peu en relief la figure du sénateur de 1354, bien que le récit de sa mort soit empreint de compassion. Après lui, les chroniqueurs toscans oublièrent totalement Cola, au point que Marchionne di Coppo Stefani (1336-1385), qui écrivit entre 1378 et 1385, et qui avait vécu directement les événements, ne fit jamais allusion au tribun. On jugea que ce dernier avait créé un précédent dangereux aux révoltes qui venaient d’éclater à Florence et qu’il avait déstabilisé l’ordre constitué13. La vie de Cola et même sa terrible fin – qui au xixe siècle allait susciter l’horreur et la stupéfaction – furent oubliées pendant une longue période.
9C’est ainsi que Machiavel lui-même (1469-1527) ne semble pas connaître la Cronica de l’Anonyme. Il fait l’éloge de Cola, « défenseur de la liberté romaine » et son rénovateur, parce qu’il a accompli la révolution de la Pentecôte et envoyé des ambassadeurs aux cités italiennes. En soulignant ces aspects, il partage le jugement de Giovanni Villani, qui avait précisément insisté sur le caractère « national » de l’œuvre du tribun, amplifiant une perspective négligée par l’Anonyme romain14. Naturellement, Machiavel prend également acte de l’échec du personnage, incapable de soutenir la pression ; cependant, le grand historien du xvie siècle ne semble pas le connaître très bien. Il ne perd pas même un moment pour décrire l’homme « fantastico e pazzo » [fantasque et fou] dépeint par l’Anonyme et il ne lui vient pas à l’idée de le considérer comme un possible précurseur de son Prince, lui préférant de loin Castruccio Castracani (1281-1328)15. Machiavel connaissait la chronique des Villani, mais il avait suivi un filon différent puisqu’il avait connu de réputation les très belles lettres de Cola, qui allaient pratiquement disparaître des études jusqu’au milieu du xixe siècle.
10Rome, pendant ce temps, commençait à faire renaître la légende : au cours du xvie siècle on se piqua d’identifier la maison de Cola dans un édifice situé au voisinage du fleuve, à la limite du forum Boarium, ce qui correspond à une des têtes du pont de l’actuel Ponte Rotto. Cette maison était distante de quelques centaines de mètres de l’endroit où avait existé la taverne de Rienzo. Il s’agissait en fait d’une demeure fortifiée de la famille des Crescenzi, érigée au milieu du xie siècle dans une position stratégique. L’édifice prit des noms variés au cours des siècles : maison de Pilate, tour du Monzone et maison de Cola di Rienzo. C’est parce qu’elle comportait sur la façade une épigraphe en mémoire de Nicolaus, un membre de la famille des Crescenzi confondu à tort avec Cola, qu’elle fut identifiée comme étant l’habitation du tribun16. Le texte de l’épigraphe, qui affirmait entre autres que la construction avait été fondée pour rénover la splendeur de la Rome antique, collait parfaitement avec le programme de Cola, et le dense réseau des lettres abrégées pouvait être lu de toutes les façons. Les nombreux fragments de marbre, pour la plupart de réemploi, incorporés dans la façade, créaient un pastiche qui faisait beaucoup d’effet, et qui avait dû frapper profondément l’imagination des voyageurs.
11Plus ou moins à la même période (et certainement avant le milieu du xviie siècle), le petit peuple du Trastevere s’était aussi « inventé » la tombe du tribun, qui selon une tradition infondée se serait trouvée dans l’église Santa Bonosa. Celle-ci renfermait en effet une pierre tombale du xive siècle, représentant un gisant armé appelé Niccolo. Si l’on avait bien déchiffré la totalité de l’épigraphe qui entourait l’effigie, on aurait découvert que le personnage n’était autre qu’un Niccolò Vecca inconnu ; mais la coïncidence des prénoms de baptême et le fait qu’existait au Trastevere une famille « Renzi », entretinrent l’équivoque qui perdurait encore auprès de certains au xixe siècle17. Il est certain que pour que l’on puisse concevoir une tombe, le souvenir de la mort sanglante de Cola et du bûcher dans lequel son corps avait disparu devait s’être totalement perdu.
12Au xviie siècle, le nom de l’ancien tribun circulait sans éveiller toutefois un grand écho. Déjà en 1612, le dramaturge andalou Juan Grajal avait composé une comédie en deux actes sur Cola di Rienzo, La próspera y adversa fortuna del Caballero del Espíritu Santo. Il avait utilisé des informations trouvées dans les lettres de Pétrarque et les œuvres de l’historien Gonzalo de Illescas, lequel tirait lui-même ses sources de Flavio Biondo18. Grajal, un auteur mineur du siglo de oro, avait choisi Cola comme exemple emblématique de l’homme soumis aux caprices de la fortune19. À la même époque, dans la tradition manuscrite de la Cronica de l’Anonyme, les chapitres consacrés à la vie du tribun furent isolés et regroupés pour prendre le nom de Vita di Cola di Rienzo. Les manuscrits furent suivis d’une première édition, imprimée à Bracciano (qui était une possession des Orsini) en 1624, renouvelée avec quelques ajouts en 1631. Dans cette seconde édition, Cola est représenté comme un empereur romain, à mi-buste et de profil, couronné de laurier et portant une cuirasse20. Dans la première édition, l’auteur était identifié comme étant le scribasenato Tommaso Fortifiocca, personnage qui est cité dans la Cronica, mais qui, cependant, y est décrit comme un adversaire persécuté par Cola. Enfin, au cours de ce siècle, un poète romanesco, Giovanni Camillo Peresio, écrivit une parodie de la Vita dans son poème héroïco-comique Jacaccio, publié à Ferrare en 168821. Il entendait peut-être élaborer une révision historique en adoptant un point de vue conservateur, de façon à tirer vers le dérisoire certains thèmes de l’aventure du tribun qui étaient encore actuels et menaçants pour l’ordre constitué. Du reste, il semble que la chute de Cola vers une interprétation ridicule et burlesque soit caractéristique du xviie siècle et de la ville de Rome. Le jésuite Emanuele Tesauro (1591-1677) également, auteur du Cannocchiale aristotelico, alla jusqu’à déclarer que son histoire était « non moins ridicule par l’argument que par le style emphatique » [non men ridicolosa per l’argomento che per il serio stile]22. Et cependant, il comparait Cola di Rienzo à Masaniello (1620-1647), héros populaire de la révolution napolitaine manquée.
3. Le xviiie siècle
13Bien qu’au xviie siècle – époque de grande érudition – la Vita ait déjà été publiée, la fortune du « personnage » Cola a commencé seulement au siècle suivant pour exploser ensuite dans toute sa puissance au xixe siècle. C’est précisément pendant l’âge des Lumières que l’histoire de Cola emprunte deux voies séparées et que sa vision commence à se dédoubler. D’une part, on entreprend une analyse historique qui, nonobstant certaines limites, pose les bases des études suivantes ; d’autre part, certains auteurs perdent de vue, plus ou moins sciemment, la réalité de l’homme qui commence une carrière de héros.
14Dès les années 1730 et 1740 circulaient certaines œuvres d’imagination centrées sur la vie aventureuse de Cola23. La plus fameuse fut celle du père jésuite Jean-Antoine du Cerceau (1670-1730) qui, en dépit d’une certaine volonté d’érudition, composa bel et bien un roman, en reprenant de très près l’Anonyme24. Avec les mémoires de la conjuration du tyran de Rome, auquel il attribuait aussi, mais sans être conforté par aucun document, le nom de Gabrini, du Cerceau entendait fournir le portrait d’un homme qui le fascinait à cause des profondes contradictions de son caractère25. L’image du personnage déchiré, entre vices les plus sévères et vertus, entre spiritualité et grossièreté, fourberie et simplicité, prudence et inconséquence, courage et lâcheté, suscita de l’intérêt, si bien que le livre eut plusieurs éditions et traductions26. Il se heurta toutefois à l’interprétation d’un penseur de plus haut niveau, l’abbé Mably (1709-1785) qui, quelques décennies plus tard, critiqua ironiquement le travail de son compatriote en formulant à son tour un jugement sur Cola. Celui-ci devenait, à ses yeux, l’homme extraordinaire qui s’est trompé d’époque27.
15Le véritable succès allait arriver grâce à l’intérêt dont firent preuve trois des plus grands esprits du xviiie siècle. Le premier, Ludovico Antonio Muratori (1672-1750), publia la Cronica dans les Antiquitates italicae Medii Aevi en l’intitulant Historiae Romanae Fragmenta28. Muratori réincorpora la Vita dans le reste du texte du Trecento, ramenant l’auteur à son légitime anonymat. La circulation des Antiquitates fut si importante qu’on pourrait croire que la Vita di Cola atteignit alors un niveau de divulgation tout à fait inimaginable auparavant.
16C’est en 1764 que l’historien anglais Edward Gibbon (1737-1794) conçut l’idée, en flânant dans les ruines du Capitole, d’écrire son œuvre célèbre sur le déclin et la chute de l’Empire romain29. Il se passa bien vingt ans avant que l’on puisse considérer son travail comme achevé. L’histoire de Cola di Rienzo est contée dans le dernier volume et conclut pratiquement l’œuvre. Gibbon, qui fait de nombreuses références à la Cronica, attribue au tribun médiéval une grande importance historique, aussi bien comme point final que comme point de départ, puisqu’il trouve, dans sa pensée et son action, non seulement la conclusion d’une époque, mais aussi le premier affleurement d’une conscience publique rénovée de la tradition romaine. Dans ses pages, il attribue donc à Cola cette fonction d’aiguille de la balance entre deux époques, qui lui sera assignée également par toute l’historiographie postérieure, qui ne sait s’il faut le placer au Moyen Âge où à la Renaissance. Cola, promis à la célébrité dans une vision caractéristique des Lumières, grâce à son éducation ouverte et libérale, apparaît donc comme un homme politique qui possède une ébauche de sens de l’État. Homme extraordinaire, le tribun peut sans doute mériter le titre de « dernier des patriotes romains », mais reste malgré tout un couard et un fanatique. Gibbon laisse entendre que son histoire peut aussi s’expliquer comme un grandiose mouvement de rébellion contre l’Église romaine. L’historien anglais, qui était redevenu protestant après une période de tiède ferveur, et qui, pour cette raison, était encore plus motivé dans ses attaques contre le catholicisme, introduisait de cette façon un jugement de valeur qui allait faire du chemin.
17Le troisième grand penseur du xviiie siècle qui rencontra Colà et présida à son destin post mortem fut Friedrich Schiller (1759-1805). En 1788, sitôt nommé à la chaire d’histoire de l’université d’Iéna, il consacra au tribun une grande partie de son cours sur les révolutions30. Sa position historiographique était fortement imprégnée des idées des Lumières, empreinte d’une intention pragmatique et didactique qui exprimait la volonté de construire une histoire universelle en insérant l’événement singulier dans la spéculation philosophique. Cela dit, on perçoit déjà dans ses écrits un élan romantique, qui se traduit par son intérêt pour l’histoire des grands personnages et continuera à se développer dans ses autres œuvres historiques et surtout dans ses écrits pour le théâtre. Ainsi, bien que Cola di Rienzo restât confiné dans le cercle des études érudites, sa personnalité avait frappé l’auteur par sa réelle originalité. Il rejoint par cet aspect les héros de la dramaturgie schillérienne, comme Wallenstein et Guillaume Tell, et sa figure est esquissée avec l’accent d’un auteur de tragédies. Schiller, très intéressé par le thème de la révolution, comprend et décrit la lutte populaire contre le pouvoir constitué, mais il continue cependant à considérer que le point central du devenir historique n’est pas vraiment le peuple lui-même, mais bien la personnalité héroïque. Cola, cependant, est un héros négatif : le personnage est mesquin, antipathique et vulgaire.
18En définitive, à la fin du xviiie siècle, quand les fouilles de Pompéi font renaître Rome et son art et qu’est désormais répandue la coutume pour les jeunes gens bien nés et cultivés du Nord de l’Europe d’accomplir un long voyage de formation en Italie, on peut considérer que Cola pouvait déjà constituer un des buts spirituels du Grand Tour. En effet, Muratori avait rendu disponible la source majeure sur Cola di Rienzo, source qui possédait une extraordinaire capacité évocatrice, tandis que Gibbon avait exprimé un jugement historique qui faisait son éloge en tant que héros et révolutionnaire et que Schiller l’avait longuement étudié.
19Compte tenu de toutes ces prémisses, on s’attendrait à trouver Cola parmi les grands symboles de la Révolution qui allait se déclencher sous peu. Tout au contraire, le tribun de Rome ne suscita en France aucun intérêt historique et encore moins idéologique. Le Nouveau Dictionnaire Historique Portatif ou Histoire abrégée de tous les hommes qui se sont fait un nom… depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours le dépeint bouffi d’orgueil et lâche et le catalogue expressément comme un « héros de roman31 ». Il n’y a cependant rien de surprenant dans l’attitude prise par les révolutionnaires, et Cola partage le jugement porté sur tant d’autres personnages du bas Moyen Âge et de l’époque moderne. Ces derniers en effet pouvaient tout au plus prétendre incarner l’esprit d’un peuple ou d’une nation, alors que la Révolution entendait se donner des références universelles. C’est pour cette raison que ses véritables héros furent les grands hommes de l’Antiquité classique, principalement les condottieri romains, expression dont on désigna par antonomase un type d’homme, un caractère, une vertu32. Cola di Rienzo, en revanche, ne pouvait être compris, parce qu’on ne lui reconnaissait pas une dimension universelle, mais secondaire et locale ; son monde, peuplé d’empereurs, de papes et de barons, l’excluait du symbole œcuménique de la République romaine remise au goût du jour par la République française. Avec son action peu claire, à la recherche d’un compromis avec le pape et l’empereur, il s’écartait de l’inébranlable figure d’un Brutus ou d’un Scipion, et sa religiosité ne pouvait être considérée autrement que comme une obscure superstition. Sa mort en outre, non seulement avait été infamante, mais elle jetait le discrédit sur le peuple qui avait massacré sa propre idole. C’est ainsi que l’on guillotina Robespierre, mais qu’il fut impossible de reconnaître en Cola di Rienzo, sénateur du pape et chevalier du Saint-Esprit, un révolutionnaire assassiné par ses partisans.
4. La première moitié du xixe siècle
20Cette phrase peut paraître dénuée de sens, mais Cola di Rienzo fut le grand homme du xixe siècle comme il l’avait été du xive siècle. C’est dans ce siècle, en effet, que sa célébrité atteint son point culminant pour décliner par la suite. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, nonobstant les forts signaux d’un mouvement culturel en marche, le jugement général sur le Moyen Âge restait négatif. En dehors de la sphère érudite (et surtout de l’environnement ecclésiastique), la totalité de cet âge intermédiaire souffrait encore d’une vision dépréciative dans la mesure où on lui attribuait obscurantisme, irrationnalité, violence, incompétence, anarchie et barbarie. L’âge sombre n’avait pas pu s’améliorer puisqu’il ignorait la notion même de progrès, remplacée par la vision d’une décadence sans fin ; « le monde vieillit » disaient les hommes de cette époque. Et ce même âge avait fondé les exécrables institutions du féodalisme et de l’Église terrestre, ces mêmes institutions que les esprits rebelles combattaient.
21Tous ces jugements, qui s’estompaient déjà au fur et à mesure que le nouveau siècle s’approchait, disparurent emportés par le vent du romantisme et l’horrible seigneur féodal se transforma en courtois chevalier. L’appréciation devint alors si largement positive que l’attirance envers le temps des dames au hennin et des trouvères avec leur luth finit par se muer, comme l’écrivit Benedetto Croce, en une sorte de « religion du Moyen Âge33 ». Et c’est dans cet âge passé qu’on alla retrouver l’origine des nations, de leurs langues et de leur culture. Dans ce millénaire, non plus obscur mais plein de vie, on chercha (et naturellement, on trouva) la naissance de la classe sociale qui avait déclenché la Révolution et avait vaincu, c'est-à-dire de la bourgeoisie riche et libre, et on découvrit dans les cités médiévales l’origine des institutions républicaines et démocratiques. Et le concept de barbarie lui-même, qui pendant si longtemps avait été très négatif, prit une valeur contraire de liberté non contaminée. On loua les populations germaniques pour avoir donné l’ultime coup d’épée à ce colosse croulant et sinistre qu’avait été l’Empire ; dans un aller et retour continu entre histoire et actualité, l’Allemagne et l’Angleterre se considérèrent comme les nouveaux phares de la civilisation, et la Rome antique tomba de son trône. Ce fut justement en cette période, en effet, que se consolidèrent certaines interprétations de longue durée telles que l’identité entre bourgeoisie, cité et liberté ; entre monarchie, État et nation ; entre race, langue et civilisation, ou encore entre civilisation européenne et civilisation tout court34.
22Toutefois, le Moyen Âge chanté par les romantiques ne correspondait pas vraiment à ce qu’avaient vécu les gens de cette époque. Bien au contraire, le xixe siècle réélabora largement l’histoire de cette période jusqu’à en inventer une grande partie35. D’un point de vue historiographique, la réflexion sur le Moyen Âge prit souvent les couleurs des catégories socio-institutionnelles alors contemporaines, que l’on reproduisit dans cette époque lointaine pour des raisons politiques. La façon même d’écrire l’histoire se modifia en partie, et à la « thèse à démontrer » de facture humaniste, on substitua le récit, « l’évocation vivante » des faits passés, qui parfois finit par flirter et se confondre avec le roman historique. Du point de vue de la culture générale, ce goût néomédiéval influença tous les champs, de l’architecture à la littérature, de la musique aux arts figuratifs. Le nouveau Moyen Âge d’Eugène Viollet-le-Duc, de Walter Scott et de Dante Gabriel Rossetti (qui dans un tableau prêta même son visage à Cola36), allait marquer de façon indélébile notre conception même de cette époque lointaine.
23Cola di Rienzo fut un héros de l’Europe néomédiévale. Sa vie, pleine de paradoxes et d’antithèses, se prêtait à des interprétations situées à la limite entre histoire et fiction, de même qu’elle permettait de franchir facilement toutes les frontières. Héros de la liberté, homme de rêves mais aussi de lois, fantasque et grandiose, laudateur et admirateur de la Rome antique, et cependant totalement immergé dans son Moyen Âge, père d’une nation et d’un nationalisme, auteur sagace et de renom, esprit indompté et juste, précurseur de la réforme religieuse et des gouvernements démocratiques, individualiste et solitaire, mystique et révolutionnaire, simple bourgeois ayant atteint les sommets du pouvoir, ennemi des nobles, homme de belle allure, grand et malheureux : ces qualités – réelles ou attribuées – concoururent à placer l’homme Cola sur un piédestal, le transformant en symbole adapté à de nombreuses occasions et à différents états d’âme. Dans un kaléidoscope de situations et de personnages, certains fictifs, d’autres totalement dénaturés, le tribun romain connut de nombreuses existences : il eut une sœur d’une très grande beauté et une femme acariâtre, devint ami intime d’un Colonna et adversaire acharné d’un Orsini, et vécut pléthore de passions romantiques37.
24À l’époque napoléonienne, Schiller et Gibbon furent commentés au prisme d’une vision totalement romantique. Le premier ouvrit la voie à une diffusion du personnage en Allemagne, où il rencontra un immense succès ; le second fit la même chose en Angleterre. Peu après, Cola allait inonder l’Italie pour ensuite gagner les littératures de langues slaves.
25L’intérêt nourri par les Anglais pour le dernier tribun de Rome eut essentiellement un caractère littéraire et non historique ; sa veine s’épuisa relativement rapidement, quand le Grand Tour en Italie commença à passer de mode. En revanche, sa renommée se consolida si bien en Italie et en Allemagne qu’il devint l’objet principal de chefs-d’œuvre littéraires et des premières œuvres historiques dignes de ce nom. Ce n’est pas par hasard que Cola fut célébré justement dans ces deux pays. Dans ces derniers, qui n’avaient pas encore atteint l’unité ou l’indépendance, l’idéal nationaliste était très fort, et Cola di Rienzo se vit très vite attribuer un rôle de précurseur. Il avait en outre agi dans la sphère de l’Empire médiéval, avec l’intention de le refonder ; c’est en Italie et dans ces terres qui conservaient la mémoire prestigieuse de l’Empire et de Rome qu’il avait voyagé. L’intérêt pouvait donc et devait être aussi de type historiographique. Le mythe de Cola trouva en Italie un terrain particulièrement favorable puisque, cas rarissime, il permettait de s’enthousiasmer pour le Moyen Âge sans pour cela perdre de vue la Rome des consuls et des Césars : on attribuait aussi au tribun, homme du Trecento, les signes distinctifs d’un antique héros républicain. Ce qui est surprenant, en revanche, c’est le manque d’intérêt presque total que le personnage suscita en France, où du Cerceau, dans son œuvre, avait pourtant inauguré sa carrière d’homme légendaire. On trouva le roman du père jésuite dans les bagages de Napoléon après la bataille de Waterloo38. Mais c’est seulement soixante-dix ans plus tard qu’Emmanuel Rodocanachi (1859-1931), historien amoureux de Rome, consacra une monographie en français au tribun39.
26Le siècle s’ouvrit sur quelques études de la vie de Cola, les seules à avoir été composées à Rome. Tommaso Maria Gabrini (1726-1808), qui en fut l’auteur, était un clerc régulier théatin, érudit dans de multiples disciplines. Il avait toutefois une marotte : il était convaincu d’être un descendant de Cola, ce qui l’amena à utiliser le nom de son ancêtre présumé comme pseudonyme, et surtout à écrire beaucoup d’inexactitudes à son propos40. Sous la plume de Gabrini, Cola se contorsionne jusqu’à devenir un fidèle serviteur du Saint-Siège, enterré dignement dans Santa Bonosa du Trastevere. Le prêtre romain remet l’accent sur les vieilles légendes populaires autour de la maison et de la tombe de Cola, il tente de convaincre ses lecteurs que son ancêtre était réellement issu de la lignée de l’empereur Henri VII, et essaie dans le même temps de discréditer la Vita composée par l’Anonyme, qu’il estime être une œuvre de fantaisie et même une pulcinellata41 [une pantalonnade]. Avec ce dernier terme, il se référait probablement à cette langue aux accents méridionaux dans laquelle la Vita avait été rédigée, langue qui déjà depuis des siècles n’était plus celle des Romains.
27Mais le père Gabrini n’était pas le seul à se croire un lointain petit-fils de Cola ; on en trouve aussi à Avignon, à Anagni et à Ficulle près d’Orvieto. Il y en eut pour écrire que Léon XIII était son descendant du côté maternel42. Un autre, le voyageur Grégoire Louis Domeny de Rienzi (1789-1843), découvrit deux îles isolées en Océanie et les appela île du Tribun et île de Rienzi43. L’ancien tribun abordait même le très nouveau continent.
28Mais un autre voyageur, imaginaire cette fois, suscita un écho plus vaste encore. Georges Gordon Byron (1788-1824) fut le premier à chanter Cola di Rienzo dans une poésie, en lui dédiant quelques vers du quatrième chant de Childe Harold, publié pour la première fois en 181844. Le poète, transposant l’expérience du Grand Tour, raconte les voyages et les réflexions d’Harold, jeune pèlerin rebelle, dandy las des plaisirs, séducteur blasé, amoureux de la solitude, mais imprégné d’un esprit révolutionnaire latent. Le héros, à la recherche de distractions en terre étrangère, voyage dans le Sud mythique, au Levant et dans les régions d’Europe baignées par le Rhin. Chaque lieu est prétexte pour l’auteur à des considérations historiques. Mais dans le quatrième chant, Byron abandonne la fiction du pèlerin et parle à la première personne de son voyage en Italie, en jouant le rôle de guide sentimental et en assimilant souvent les villes à un personnage : Arquà à Pétrarque, Ferrare au Tasse, Florence à Boccace. Ce n’est qu’à Rome qu’est assignée une longue série d’hommes illustres, qui va de Scipion à Cola di Rienzo. Le jugement de Byron devint célèbre : on reconnut à Cola le titre de « dernier tribun », qui allait devenir dans de nombreuses œuvres postérieures une sorte d’épithète fixe. Considéré comme celui qui a racheté des centaines d’années de honte, il y est qualifié d’ami de Pétrarque (lui-même appelé « espoir d’Italie »), dernier des Romains, champion du forum, chef du peuple, souverain d’un royaume à la durée trop brève. La Révolution désormais passée, on peut commencer à proposer un rapprochement hardi entre le tribun et ce qui s’est produit en France, rapprochement qui n’avait pas été fait à l’époque des événements. On appelle Cola « la première feuille du tronc sec de l’arbre de la liberté », expression qui se réfère aux arbres faits de chêne et aux poteaux colorés et pavoisés que les révolutionnaires élevaient au centre des places. Immédiatement après, la comparaison avec les personnages historiques englobait aussi Napoléon (1769-1821), qui venait de mourir à Sainte-Hélène45. Comme Napoléon, Cola avait rêvé la grandeur en termes d’Empire. Comme Napoléon, Cola avait tenté de faire revivre l’histoire des institutions romaines en sa personne : tribun puis empereur utopique pour l’un, consul et réellement empereur pour l’autre.
29Il ne fallut que peu d’années pour que l’aventure de Cola di Rienzo, le dernier des tribuns, se transforme en roman. C’est Edward George Earle Bulwer Lytton, premier baron Lytton (1803-1873), disciple de Byron et traducteur de Schiller, qui l’écrivit ; en 1835, un an après la sortie de son roman Les derniers jours de Pompéi (qui lui avait valu une grande popularité), il publia Rienzi46. Il suit le héros dans toutes ses vicissitudes jusqu’à son retour à Rome et à sa mort, en prenant explicitement ses distances par rapport au jugement négatif de Gibbon. À l’intérêt pour l’histoire triomphale s’ajoute le goût pour le sentiment vécu jusqu’au paroxysme, dans lequel est inclus l’amour non partagé ou impossible. Naissent ainsi le personnage de la sœur de Cola, Irène, qui est aimée à la folie d’Adriano Colonna et, à côté d’elle, la femme du tribun, Ulrica, ambitieuse et intraitable, qui suscite la passion insane du cardinal Albornoz, alors que Cola sera finalement tué par le fils de fra Moriale. Le protagoniste, cependant, est amplement racheté, tant et si bien qu’aucun délit ne lui est attribué, mais seulement une série d’erreurs dues à l’enthousiasme, à l’arrogance et à l’amour pour le faste. Cola est un homme libre, qui par ses propres moyens a su prendre la tête d’un gouvernement populaire, promulguer des lois justes et accomplir des actions méritoires.
30Comparé aux chefs-d’œuvre, le roman de Bulwer Lytton est un ouvrage de second ordre mais qui, comme souvent, reflète fidèlement les goûts littéraires répandus en Angleterre dans ces années. Si l’intrigue italienne laisse entrevoir une filiation shakespearienne, on y trouve aussi ce plaisir, caractéristique de l’époque, à conférer un halo romantique aux voyous : c’est précisément pour cette raison que l’auteur aurait suscité l’indignation de Thackeray. Mais son récit retient l’intérêt pour de nombreux autres motifs. Avant tout, son œuvre s’impose comme l’archétype narratif de pratiquement toutes les compositions littéraires suivantes qui auront pour thème central le personnage de Cola. En outre, le fait que Bulwer Lytton appartienne à la franc-maçonnerie allait jeter les bases d’une interprétation maçonnique du personnage. Enfin, Bulwer Lytton fut un des premiers écrivains à ressentir dans Cola une résonance autobiographique. Certains rapprochements entre sa vie et celle du tribun « reconstruit » sont évidents, à commencer par les rapports tempétueux avec sa femme (dont il se sépara légalement en 1836, et qui écrivit à son tour un roman dans lequel elle caricaturait son mari) ; plus important encore, Bulwer Lytton était un homme politique qui prit souvent la parole à la chambre et avait, comme l’écrit l’Encyclopedia britannica, « influence et autorité ». Il fut enfin un orateur fameux, précisément comme son protagoniste, et des digressions personnelles affleurent souvent dans son roman. D’autres personnages, après lui, allaient s’identifier à Cola ou bien lui seraient comparés, au nombre desquels on comptera Hitler et Mussolini.
31Pendant le romantisme, époque où le récit historique et littéraire propose souvent une vision éthique et incarne une intention politique, Cola redevint un symbole de grandeur, ce qu’il n’avait plus été depuis la lointaine année 134747. L’interprétation dominante fut celle du héros révolutionnaire qui avait tenté de donner la liberté à son peuple ; un précurseur, donc, de Simon Bolivar ou de Giuseppe Garibaldi, à qui Bulwer Lytton avait restitué une totale moralité. Il connut un vrai triomphe précisément dans ces années qui, chargées des ferments du Risorgimento et des grandes aspirations de l’Europe entière, allaient aboutir aux mouvements de 1848. Cette année-là, le dramaturge Paolo Giacometti (1816-1882) faisait représenter un opéra intitulé Cola di Rienzo48. Peu de temps auparavant, le poète Julius Mosen (1803-1867) et le jeune Friedrich Engels (1820-1895), qui allait devenir un grand philosophe politique, avaient écrit des pièces de théâtre sur le sujet49. L’homme qui avait habilement utilisé ses qualités oratoires, qui avait été comédien et avait porté le masque du tragédien, était maintenant décrit à l’aide du genre artistique qui ressemblait le plus à son existence et qui provoquait un fort impact sur le public. Mais bien souvent les écrivains, de jeunes auteurs qui faisaient leurs premières armes, enflammés par des songes révolutionnaires et libertaires, étaient aussi capables de montrer que les révolutions ne sont victorieuses que si un gouvernement avisé prend leur suite.
32L’historiographie érudite, en parfaite concordance de temps avec le triomphe politico-littéraire, faisait aussi un grand pas en avant. Felix Papencordt (1811-1841), en effet, imprima un virage qui fit date et établit la première biographie digne de foi en introduisant dans ses études la seconde source fondamentale sur la vie de Cola, sa correspondance épistolaire50.
33Les lettres de Cola – un peu moins de soixante, y compris quelques apocryphes – sont à l’heure actuelle conservées en majeure partie (les deux tiers environ) dans un manuscrit composé à Prague à l’époque de Charles IV, manuscrit appelé Liber diversas continens formulas. Il s’agit d’un formulaire utilisé comme modèle d’ars dictandi et considéré pendant longtemps comme un manuel de beau style à usage des chancelleries. Il fut composé par Johann von Neumarkt, chancelier de Charles IV, qui avait été en relation avec Cola durant son emprisonnement en Bohême. Ce manuscrit connut de nombreuses péripéties avant d’arriver finalement en 1885 dans l’Archivio Segreto Vaticano51. Papencordt fit donc un large usage de cette source et en publia une partie. Dans la biographie de Cola qui introduit à sa plus vaste et inachevée Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter [Histoire de la ville de Rome au Moyen Âge], l’historien expose avec clarté une théorie qui fut largement reprise par la suite52. Selon lui, à Rome au Moyen Âge coexistent trois autorités : l’Empereur, le Pape, le Sénat. La troisième autorité est l’expression de l’Urbs et du pouvoir civil. La cité a toujours vécu une liberté inaccomplie, précisément à cause de la présence simultanée de ces trois autorités. L’action de Cola prend source dans le précipice qui sépare la grandeur fantasmée de la Rome antique de son état actuel de misère. Papencordt insère sa vie dans un cadre complexe de références qui fait suite à sa théorie générale et qui lui permet une ouverture sur de nouveaux champs d’enquête : du rapport entre Rome et le territoire jusqu’à l’analyse de l’économie et la mise en évidence de la classe des barons. En regroupant pour la première fois les informations de la Cronica (qui entre-temps avait fait l’objet d’une nouvelle édition en toscan53) avec celles de la correspondance de Cola et certaines lettres de Pétrarque, l’historien réussit à obtenir une image plus nette, qui permet de mieux comprendre la volonté politique du tribun.
34Si le jeune Papencordt, mort prématurément, lui avait conféré une épaisseur inédite, la véritable popularité de Cola provint d’une sphère beaucoup plus lointaine et d’un auteur qui allait lui-même devenir très célèbre. Le roman d’Edward Lytton, rapidement traduit en Italie et en Allemagne, fut lu et apprécié par Richard Wagner (1813-1883), qui le fondit avec un drame moins connu de Mary Russel Mittford, de 1828, et en tira le sujet de son opéra en cinq actes Rienzi, représenté pour la première fois à Dresde, au Königliches Hoftheater, le 20 octobre 184254. Dans le livret de Wagner, Cola prend pour la première fois, dans une forme achevée, les traits d’un héros généreux et magnanime, pourvu d’un grand sens éthique, qui veut donner le pouvoir au peuple et la grandeur à la patrie et qui finit écrasé par les intrigues des puissants et par la mesquinerie générale. On ressent fortement l’idée romantique de l’esprit des Lumières, solitaire, confronté à la masse ignorante qui, comme à la loterie, en décrète la gloire et la mort. On perd donc en route les trames secondaires du roman de Bulwer Lytton et surtout, le récit de la transformation du tribun idéaliste en un dangereux tyran.
35Mais dans Rienzi également, la lutte entre factions est réduite à l’éternel modèle de l’amour impossible déjà immortalisé par Roméo et Juliette ; le sentiment politique est fort mais confus. Alors que Rienzi est loin, Paolo Orsini essaie d’enlever sa sœur Irène ; les Colonna, avec à leur tête Adriano, qui est amoureux de la jeune femme, la défendent de leurs armes. S’ensuit une émeute à laquelle le peuple romain, qui tente d’arrêter les querelleurs, prend part. Au retour de Cola éclate une insurrection et il est proclamé maître de Rome. Les nobles tentent alors d’ourdir un complot, mais Adriano, qui lui est fidèle, feint de le poignarder avec un poignard à la lame émoussée. Les jours passant, Cola se trouve de plus en plus esseulé, sans soutiens et excommunié par le pape : seule Irène reste à ses côtés. À la fin, le peuple donne l’assaut au palais où il demeure et l’incendie. Rienzi trouve là une mort plus honorable que celle qui fut réellement la sienne et perd la vie sous les ruines à côté des amants, Irène et Adriano. En définitive, l’amour qui se conclut par la mort, la tragédie publique et privée des héros romantiques, sont les thèmes dominants : il s’agit du sentiment d’Adriano pour Irène, et de celui de Rienzi vaincu pour le peuple romain. Pour susciter dans le public encore plus de compassion, l’acteur qui joue le jeune Colonna est une femme mezzo-soprano.
36Rienzi – rutilant d’effets spéciaux, de cloches, de chevaux sur scène, d’incendies, de combats sanguinaires et de somptueux cortèges – introduit pour la première fois, avec ses six heures de spectacle, le caractère grandiose des thèmes qui mûriront ensuite dans la re-création wagnérienne de la mythologie germanique tout entière. Bien que cet opéra ne soit pas parmi les plus célèbres, ni les plus appréciés (le compositeur lui-même, ayant mûri, ne l’estimait pas d’une grande valeur), la renommée de Wagner et l’audience du roman de Bulwer Lytton, s’ajoutant au charme romantique du protagoniste et des seconds rôles, favorisèrent la diffusion du sujet. Celui-ci fut mis en musique par de nombreux autres compositeurs, dont le Russe Wladimir Kasperov (1827-1894) qui, en 1863, fit représenter son Cola di Rienzi au théâtre de la Pergola à Florence, et l’Italien Achille Peri (1812-1880) qui, en 1862, portait en scène à la Scala l’opéra Rienzi avec un livret très inspiré des idéaux du Risorgimento mais également très romanesque de Francesco Maria Piave (1810-1876)55.
37Le mythe de Cola, finalement, circulait en Italie et en Angleterre et explosait en Allemagne. Il n’y avait qu’à Rome qu’on en parlait très peu. En cette même année 1842 qui avait vu naître l’opéra de Wagner et le drame de Mosen, alors que le livre de Papencordt faisait le tour de l’Europe et que le père du communisme, Engels, écrivait une œuvre théâtrale, Gaetano Moroni (1802-1883) avait également publié le volume du Dizionario di erudizione storico ecclesiastica [Dictionnaire d’érudition historico-ecclésiastique] consacré aux entrées commençant par « col »56. Dans ce qui était présenté comme la plus grande somme érudite de la Rome papale (et qui par ailleurs reste un instrument souvent indispensable encore aujourd’hui pour les historiens), le tribun romain n’a pas d’entrée à son nom, victime d’un refoulement presque total. Il apparaît dans les vies de Clément VI et d’Innocent VI, mais la solennelle ambassade de 1342 lui est enlevée pour être attribuée à Pétrarque, et le tribun porte le titre de tyran57. Moroni ignore totalement la période comprise entre 1347 et 1353, où Cola se réfugie dans la Maiella, son séjour en Bohême et le procès d’Avignon ; il l’imagine enfermé, pendant toutes ces années, dans les prisons pontificales. Du reste, le peuple romain, même après l’unité de l’Italie, semble n’avoir jamais montré beaucoup d’intérêt pour le personnage de Cola58.
38Même Giuseppe Gioachino Belli (1791-1863)59 feignait de se rappeler avec peine le nom du personnage, un ennemi du pape perdu dans les lointains souvenirs scolaires60 :
Sto Cola era ’na bbirba buggiarossa
Co’ ttutto questo, io sciannerebbe a sguazzo
C’ariarzassi la testa de la fossa61.
39Cola n’y serait pas arrivé, ayant été brûlé et, quoi qu’en dise Tommaso Gabrini, rien n’avait été déposé dans la tombe. Et après le carnage subi par son corps, il n’avait même plus de tête. Il restait seulement, selon la légende, un grand pin qu’avaient planté avec satisfaction les Colonna dans le parc de leur palais le jour de la mort du tribun tant haï.
5. La seconde moitié du xixe siècle
40Après le changement de cap représenté par la fatidique année 1848, qui avait apporté partout la révolution et, à Rome une éphémère république, l’image politique de Cola paraît se radicaliser et assume des caractéristiques bien définies. Surtout en Italie, le tribun du peuple romain devient un des modèles libéraux et antipapaux. La Question romaine, qui voit s’affronter deux conceptions rivales et non conciliables du rôle politique de Rome, fait alors rage. Les gouvernants du Royaume et les nationalistes italiens considèrent qu’elle est la capitale désignée de l’État unitaire tout juste naissant, alors que les catholiques proches de la position du pape estiment que cette position, non seulement lèse les droits du souverain de l’Église, mais est également réductrice à l’égard de la Ville éternelle qui, caput mundi, ne peut pas n’être que la capitale d’un simple État.
41Cola di Rienzo, qui avait offert la citoyenneté romaine à tous les Italiens, est rapproché des autres grands hommes du Trecento, fondateurs des idéaux de la patrie. En reprenant une opinion qui avait déjà cours au xive siècle, on le place à côté de son ami Pétrarque comme si ce dernier avait été le premier esprit à avoir envisagé l’unité de l’Italie et Cola le premier à avoir prêté ses bras pour la réaliser.
42Le tribun n’est pas seulement un fondateur de la nation : il est aussi le parfait symbole du mouvement anticlérical et de l’absolue laïcité de l’État. Comme Arnaud de Brescia, Jérôme Savonarole et Giordano Bruno, on le considère désormais comme un martyr de la liberté de pensée et d’action, conduit à l’échec et à la mort par la volonté du pape. Il présente l’avantage sur ces trois derniers de ne pas être un ecclésiastique, mais un citoyen laïque qui rêve de république ou de monarchie, tout dépend de celui qui l’enrôle dans son camp. Il n’est pas surprenant alors que le tribun prête son nom à une fameuse loge maçonnique romaine, la Rienzi.
43En ces mêmes années Ferdinand Gregorovius (1821-1891), auteur d’une Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter [Histoire de la ville de Rome au Moyen Âge] très connue, consacrait environ cent cinquante pages de cette œuvre à la vie du tribun62. Le résultat de ce travail, qui lui coûta plus de deux décennies de peine et de recherches épuisantes dans les archives, est une fresque grandiose de la Ville éternelle, qu’il observe d’un œil fasciné et dessine d’une plume piquante. Comme beaucoup d’autres, Gregorovius éprouva ce sentiment commun aux peuples germaniques appelé deutsche Südsehnsucht, « nostalgie allemande pour le Sud63 ». Amoureux de l’Urbs, de son caractère mystérieux et pittoresque, il ressentit le désir de contextualiser et d’actualiser le passé en empruntant beaucoup à ce que lui suggérait ce qui était encore visible dans la vieille Rome et la façon de vivre du peuple romain. Un peu comme le graveur Pinelli, il déchiffra les visages des empereurs sous les chapeaux en pain de sucre, voisinant avec les couteaux dégainés ; comme dans les aquarelles de Roesler Franz, il saisit les mille visages cachés de la cité, juste avant qu’elle ne sombre définitivement. Avec leurs œuvres, Pinelli, Roesler Franz et Gregorovius transmirent à beaucoup cette image indéfinissable et magique de Rome « telle qu’elle était ».
44Citoyen d’un royaume de Prusse qui s’acheminait vers l’Empire, convaincu que l’histoire de Rome devait aussi être comprise comme une histoire nationale allemande, assuré de l’impossibilité pour l’Urbs et le pape de vivre dans la concorde, et par conséquent premier universitaire à concevoir une histoire de Rome qui n’était pas seulement un décalque de l’histoire ecclésiastique, mais pouvait vivre sa propre vie, Gregorovius considéra Cola (il ne pouvait en être autrement) comme un personnage clé dans le récit tourmenté qu’il dévidait. Il en appréciait plusieurs aspects et admirait sa tentative de délivrer Rome et le grand idéal de liberté qui le soutenait. Bien qu’il ait considéré, à l’instar de Papencordt, que l’homme avait entrouvert la porte à une époque neuve, il estimait surtout qu’il personnifiait la fin d’un âge, et émettait en définitive un jugement largement négatif :
Avec Cola di Rienzo se termine la longue série de ceux qui, fascinés par les charmes de Rome et inspirés par le dogme de la monarchie romaine, combattirent pour la restauration d’une idée surannée […]. Cola di Rienzo fut le produit historique de la contradiction dans laquelle Rome entra avec elle-même et avec son temps, contradiction qui le rendit fou […]. En Cola di Rienzo, acteur de théâtre qui joue le rôle du héros, drapé dans les lambeaux de pourpre de l’Antiquité, se trouve un mélange de génie et de folie, de vérité et de mensonge, de connaissance et de méconnaissance de l’époque, d’immaginaire grandiose et de pusillanimité dans la mise en œuvre : et ce mélange représente réellement et sur le vif la nature et l’image de Rome dans sa décadence la plus profonde64.
45Cola, faible et intempérant, est le protagoniste de faits dont on pressent en 1347 qu’ils ne seront qu’un rêve fugace et qui, en 1354, se transforment déjà en catastrophe. Gregorovius donne un nouvel élan à la description de cette personnalité singulière, histrion pris pour un héros qui, chez D’Annunzio, deviendra grotesque ; mélange de génie et de folie qui allait inciter Lombroso à en faire le sujet d’une étude psychiatrique. Ce qui frappe également, ce sont les notes dans lesquelles l’historien propose des rapprochements entre les idées politiques du tribun sur la confédération des cités italiennes et ce qui sera tenté au Risorgimento, sur sa conception du pouvoir papal et le projet qui allait être élaboré lors de la paix de Zurich en 1859. Gregorovius rapproche par conséquent Cola du mouvement néo-guelfe, mais aussi de Napoléon, de Danton et de la Révolution française qui, en réalité, l’avait totalement ignoré65.
46Ses considérations ne s’appuyèrent pas assez sur les avancées réalisées par Papencordt. Il n’utilisa que de manière limitée la correspondance de Cola et jugea même que la Cronica de l’Anonyme était une œuvre naïve. Mais le livre de Gregorovius eut une grande diffusion et exerça une influence plus importante que celui de Papencordt. En effet, la Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter entra dans les bibliothèques et les maisons comme un monument. L’œuvre, au centre du débat politique, fut mise à l’index par Pie IX en 1874 et valut à son auteur d’être fait citoyen d’honneur de la ville de Rome en 1876.
47Cola désormais ne vivait plus seulement dans les bibliothèques et les théâtres (le Rienzi de Wagner, traduit par Arrigo Boito, était représenté à Rome en 1880), mais aussi dans la rue. L’État italien emplissait Rome, conquise depuis peu, de bustes, de plaques et de statues dédiés aux artisans du Risorgimento et aux martyrs de la liberté, et les offrait à la « dévotion collective66 ». Cola di Rienzo eut bientôt ses lieux de mémoire dans la ville : un buste au Pincio en 1871, une plaque dans le vieux Ghetto (1872). En 1887, alors qu’on s’apprêtait à démolir la vieille église Santa Bonosa, une querelle67 éclata à propos de l’existence ou la non-existence de sa tombe68. En cette même année, le jour de la commémoration de la prise de Porta Pia, on installa une statue en son honneur ; sculptée dans le plâtre par Girolamo Masini (1840-1885), la statue, fondue en bronze, fut érigée sous le Capitole, à « l’endroit du Lion », où on excécutait au Moyen Âge les sentences capitales. C’est là que Cola était devenu tribun, là qu’il avait été tué. On le voit jeune et beau, vêtu de son manteau à capuche, saisi alors qu’il harangue la foule, ses traits sont presque ceux d’un très jeune homme69. Le soubassement aussi était symbolique, puisqu’il avait été fait des fragments de marbre prélevés en partie sur la soi-disant Maison de Cola di Rienzo, afin de rappeler l’amour de Cola pour l’Antiquité classique. L’inauguration du monument, cependant, fut faite « en catimini » pour ne pas heurter les opinions des cléricaux. Il semble bien qu’également en cette occasion, le peuple romain ne se soit pas trop intéressé à son antique héros70.
48On fit le projet en cette même année d’une rue Cola di Rienzo, un axe urbain perpendiculaire au Tibre inauguré en 1911, qui marquait la colonne vertébrale du nouveau quartier des Prati, alors en construction aux abords du Vatican. Le manifeste politique était évident : les anciens prés du Castello étaient recouverts par de hauts édifices, des avenues et des places alignées de façon à cacher à ceux qui passaient la vue de la coupole de Saint-Pierre ; le Vatican, au lieu d’être le point central des perspectives urbanistiques, était réduit à un rang secondaire. Les noms des rues étaient également évocateurs et éloquents : aux Prati, on énumérait les héros antiques qui avaient fait la grandeur de Rome sans avoir besoin du pape et avant lui : Fabio Massimo, Giulio Cesare, Cicerone. À côté d’eux, on trouvait aussi ces quelques hommes du Moyen Âge qui avaient défendu le peuple et relevé les destinées de l’alma Urbs en gouvernant à la place des papes : Alberico II, Crescenzio et naturellement, Cola di Rienzo. On avait réservé à ce dernier la rue la plus grande et la plus belle qui, comme une métaphore, reliait la place de la Liberté à celle du Risorgimento : Cola était le lien entre ces deux états d’esprit et l’État italien. Précisément à mi-parcours, un théâtre (aujourd’hui un cinéma) avait pris son nom, comme pour rappeler aussi ses qualités d’acteur.
49En attendant, la fortune de Cola ne semblait pas non plus sur le point de s’interrompre dans le champ littéraire. Bien au contraire, politique, littérature et historiographie allaient de concert pour chercher de nouveaux aspects du personnage et lui inventer d’autres vies. Le recueil des lettres qu’il avait écrites à Prague et en Bohême pendant son séjour de 1350-1352 avait contribué, déjà pendant la première partie de l’âge moderne, à la diffusion de l’humanisme dans le monde germanique et dans les pays slaves en contact avec celui-ci. Le travail de Papencordt, dont la principale nouveauté consistait justement en la vulgarisation de l’œuvre épistolaire de Cola, suscita l’intérêt de l’écrivain tchèque Prokop Chocholoušek (1819-1863), qui inaugura une saison d’œuvres littéraires et d’études historiques composées en terres slaves71. Le romancier, ardent nationaliste, avait étudié à Padoue et conservait de chaleureux souvenirs de son séjour en Italie. Il raconte dans son livre l’expérience pragoise de Cola et comment sa haute mission de rénover l’Empire se fondit dans les nombreuses vicissitudes personnelles des courtisans et des citoyens de Bohême. La trame, rendue encore plus romanesque par une tentative d’empoisonnement de l’empereur, était au fond un expédient qui permettait de décrire des mœurs en se référant à des dates historiquement assez précises. Cette œuvre est également intéressante parce qu’elle fait entrer dans le monde de la fantaisie des années de la vie de Cola qui, jusqu’à ce moment, n’avaient éveillé aucune attention, et qui, par leur signification ascétique et eschatologique, allaient exciter l’intérêt de l’historiographie dans le futur.
50Alors que le succès de Cola atteignait même la Pologne et la Russie72, en Italie il se changeait en triomphe. Qualifié de l’épithète désormais convenue de « dernier tribun », l’homme du Trecento revivait dans l’opéra déjà cité d’Achille Péri, mais aussi dans les drames d’un Astraldi, d’un De’ Virgilii et d’un Franceschi73, et surtout dans le poème dramatique en cinq actes du romain Pietro Cossa (1830-1881)74. Cette fois, l’histoire commence avec le jeune Cola qui contemple le cadavre de son frère, victime innocente de la lutte de clans entre les Orsini et les Colonna. Le désir de vengeance se mêle au rêve de donner la liberté à la patrie, et le mépris pour le pape et la curie romaine est total. Œuvre difficile, souvent lourde et emphatique, elle ne réussit pas à donner de cohérence au protagoniste, alors que le personnage de brigand de fra Moriale, fanfaron mais sincère, est bien mis en lumière. Cossa essaie, en prenant exemple sur le naturalisme français et principalement sur Victor Hugo, de porter sur la scène le réalisme bourgeois, veiné de romantisme et ancré dans la tradition italienne. Cola, compagnon de Néron, de Messaline et des Borgia, devient comme eux un personnage sans grandeur mais doté d’une certaine humanité. Cola di Rienzo est maintenant un exemple de la transition en action entre des façons différentes d’écrire et de penser ; alors que le vérisme est à la porte, l’Italie littéraire ne produit plus de héros, mais des types humains montrés dans leur environnement naturel.
51Vérisme et positivisme : voilà deux aspects de la même culture de fin de siècle, pleine de mouvements irrationnels et déjà décadents, et soutenant pourtant avec conviction la possibilité de connaître le réel grâce à des outils et des méthodes appropriés. La technologie va remporter la palme de la victoire ; la vapeur meut toute chose et on s’attend à pouvoir voler d’un moment à l’autre, tandis que l’Occident s’approche de sa plus grande extension coloniale et l’idée de progrès, qui fut déjà celle du siècle des Lumières, est un drapeau qui claque au vent sur les navires d’acier.
52Cola di Rienzo eut aussi sa saison positiviste, qui se traduisit par deux réactions très différentes. D’un côté, il y eut une lecture historiographique attentive à la confrontation avec les sources, dont la simple reproduction put, dans certains cas, être jugée comme la seule façon possible d’écrire une histoire exacte. C’est alors que décollèrent les études de philologie et, après l’ouverture de l’Archivio Segreto par la volonté de Léon XIII, après la fondation à Rome des grands instituts historiques, la première édition critique du recueil épistolaire put être publiée75.
53La seconde réaction fut, elle, psychiatrique. Dans son étude Due tribuni, Cesare Lombroso (1835-1909) nous propose un face-à-face entre Cola di Rienzo, exalté et guidé par Dieu, et un certain Francesco Coccapieller (1831-1901), homme au tempérament extraordinaire (il fut aussi garibaldien et député) qui vivait à Rome et haranguait la foule du balcon de sa maison76. De la comparaison des deux biographies, le fondateur de la criminologie tire une hypothétique « théorie psychiatrico-zoologique des révolutions », selon laquelle les personnages bizarres sont différents de complexion des hommes normaux par nature et sont capables de déclencher les révolutions parce que, réfractaires au principe d’inertie et hypersensibles aux nouveautés, ils anticipent les événements. Quelques années après, il allait étendre l’analyse de ceux qu’il considérait comme des mégalomanes au cas de David Lazzaretti (1834-1878), le « Profeta dell’Amiata77 » fondateur de l’Église jurisdavidique qui, après avoir formé une communauté d’environ soixante-dix familles de disciples, avait été tué dans une escarmouche avec les carabiniers78.
54Le 20 septembre 1900, à trente ans exactement de la prise de Porta Pia, quelques groupes anticléricaux célébrèrent un « contre-jubilé », en empruntant la route qui reliait quatre monuments de la Rome d’après l’unité qui, pour l’occasion, furent rebaptisés « les quatre basiliques laïques ». Il s’agissait de la tombe de Victor-Emmanuel II au Panthéon, du monument à Garibaldi sur les hauteurs du Janicule, de la Porta Pia qui était le symbole de la fin du pouvoir temporel des pontifes, et de la statue de Cola di Rienzo sous le Capitole. Ainsi se terminait le long siècle pendant lequel Cola avait été héros de la liberté, fondateur de la patrie et anticlérical, mais aussi un esprit romantique, un bon bourgeois et un fou.
6. La première moitié du xxe siècle
55L’œuvre italienne la plus fameuse, née de la fascination de la Vita du xive siècle, s’intitule La Vita di Cola di Rienzo. En 1905-1906, Gabriele d’Annunzio (1863-1938) la publia en feuilleton dans une revue, pour en faire ensuite un livre ; elle avait été la première mais finalement la seule d’une série de Vite di uomini illustri e di uomini oscuri qu’il avait prévue79.
56D’Annunzio l’écrivit en peu de temps, alors qu’il se trouvait dans sa villa de Settignano près de Florence, où il vivait selon les coutumes d’un seigneur de la Renaissance, « entre chiens, chevaux et beaux meubles80 ». L’auteur y passait son temps en longues chevauchées, lecture de textes du xive siècle et observation de tout ce qui l’entourait. Il décida d’écrire sur Cola après avoir envisagé d’écrire la vie d’autres personnages, hésitant entre Giannino di Guccio (celui que Cola avait convaincu d’être le fils du roi de France) et la figure grandiose et tragique – semblable à celle du tribun d’une certaine façon – de César Borgia (1475-1507). Le point culminant du récit, qui le convainquit de se mettre à la tâche, est celui de la mort de Cola telle qu’elle est racontée par l’Anonyme (et toscanisée dans l’édition du xixe siècle de la Vita), qu’il reprit à la lettre dans son propre récit, mais il voyait dans l’exécution un acte de justice où le tribun était démasqué.
57L’auteur, du reste, n’avait aucunement l’intention d’écrire quelque chose d’historique, et ne se proposait pas non plus de reconstruire la vie réelle de son personnage. Certes, il avait bien en tête l’idée de composer, pratiquement comme un peintre, un portrait psychologique, mais il ne cachait pas vraiment sa volonté de se raconter lui-même, au point d’en arriver à une fusion d’identité entre le narrateur et les personnages décrits. En présentant l’œuvre dans un long préambule, D’Annunzio allait jusqu’à écrire : « J’inventerai peut-être un personnage pour raconter de façon voilée quelques-unes de mes vies secrètes81 ».
58Le poète, fasciné par le Trecento et par sa langue, se comportant comme un chevalier de cette époque, se faisait apporter par un membre de l’Académie de la Crusca les textes rares et choisis, tentant évidemment l’expérience de traduire la langue singulière qu’il lisait dans la Vita de l’Anonyme romain dans le florentin noble d’alors82. Puis, imitant Machiavel (dont il avait un buste dans son bureau), il s’affublait d’amples robes et commençait à écrire ; il peignait les portraits des célébrités et des inconnus, en mêlant les grands de l’histoire aux artisans de Settignano, et surtout à sa propre passion83. Il trouva cependant le temps de construire en ces mêmes jours une roue de voiture qui, selon son projet allait résoudre une fois pour toutes le problème de la crevaison, mais qui partit en lambeaux au premier virage.
59Sa biographie commence par un artifice littéraire : la filiation illégitime de Cola avec l’empereur est relatée comme s’il s’agissait d’une vérité objective, pour être ensuite démentie catégoriquement et dénoncée comme un mensonge inventé par le protagoniste. La vie de Cola n’était pas vraiment admirable à ses yeux, car elle avait été celle d’un orateur plébéien, un « héros trivial mal travesti dans des oripeaux de pourpre », à l’esprit servile et n’ayant aucune trempe guerrière. « En vérité – écrit D’Annunzio – il naquit dans le bas-peuple et resta marqué à jamais de ce sceau plébéien, qui estampilla chacun de ses actes jusqu’à la mort84. » En somme, l’écrivain détestait son ridicule héros qui, comme lui, était habile en parole, mais qui était lâche. Pis que tout, c’était un parvenu : une étiquette à gommer avec le plus profond mépris par le futur prince de Montenevoso, toutefois fils d’un certain Paolo Rapagnetta, de naissance modeste85.
60C’est ainsi que, par une sorte de paradoxe, les véritables héros dont la mort est chantée avec lyrisme sont les guerriers aristocrates, et plus spécialement les deux Colonna tués à la porte San Lorenzo, qui incarnent l’idée de surhomme bien mieux que le vulgaire tribun de la plèbe86. Le fait est que D’Annunzio ne se reconnaissait pas dans le personnage principal mais dans les ennemis de ce dernier. De même, bien qu’écrivant la vie d’un homme que la culture dominante considérait en outre comme un héros du libéralisme anticlérical, l’auteur tenait absolument à recevoir l’aval de l’autorité religieuse, qui ne trouva dans cette œuvrette rien d’offensant pour la foi catholique.
61Les critiques qui suivirent considérèrent cette production comme le fruit malvenu d’une période de fatigue. Son écho en littérature, et surtout son pouvoir de propagande idéologique, ne furent cependant pas négligeables. Ils ne furent sans doute pas nombreux à lire la Vita mais son nom était sur toutes les bouches. D’Annunzio lui-même, à ce qu’il semble, allait construire son autoreprésentation du personnage du Comandante de l’aventure de Fiume87, en s’inspirant du modèle de l’humaniste-tribun, homme de plume et d’action, qu’il avait tant détesté, et tout autant fait sien88.
62Peu de temps après la sortie de l’œuvre de D’Annunzio dans la revue, et juste avant sa publication en volume, avaient été tournés et diffusés en Italie les deux premiers films consacrés à Cola di Rienzo. Le premier, produit par la Cines en 1910, n’eut pas beaucoup de succès ; le second, produit par Film d’Arte Italiana, eut en revanche plus d’écho ; il avait comme interprètes Francesca Bertini, Dillo Lombardi et Giovanni Pezzinga. La vie des personnages y est chargée, seuls quelques éléments biographiques essentiels sont sauvegardés et le scénario fait main basse sur les thèmes romantiques déjà expérimentés à l’époque du Rienzi wagnérien, où les sentiments privés se mêlent à l’action politique. En l’occurrence, Cola décide de libérer l’Urbs de la décadence et du joug auquel elle est soumise, quand le perfide Orsini tente de lui voler sa femme. Le jour de la Pentecôte, il promulgue la nouvelle constitution tout en échappant à une tentative d’homicide fomentée par Orsini et est acclamé par le peuple. Gagné par la vanité du pouvoir, il oublie immédiatement la reconnaissance qu’il doit à ceux qui l’ont élevé. Un complot est ourdi et le tribun est assailli par les conjurés précisément au moment où il essaie de se faire couronner roi. Il s’enfuit alors dans un couvent mais, découvert par Orsini, qui feint de vouloir l’aider, il est tué.
63Au fond, les années qui précèdent le premier conflit mondial, appartiennent au xixe siècle. En revanche, le monde change en 1914 et avec lui l’interprétation de Cola di Rienzo. Les études historiques sur le personnage, conduites par d’illustres érudits italiens et allemands sont tout à fait remarquables. Entre les années 1912 et 1929, Konrad Burdarch (1859-1936) et Paul Piur (1882-1936) mènent à terme le monumental Briefwechsel des Cola di Rienzo89. Dans ces mêmes années vingt, Karl Brandi (1868-1946) enquête sur l’impact de Cola dans le domaine de l’art et de la culture humaniste de la Renaissance et lui attribue un rôle essentiel ; en 1928, Alberto Maria Ghisalberti (1894-1986) achève une édition critique de La vita di Cola di Rienzo, à partir cependant d’une tradition manuscrite encore insuffisante et peu correcte ; en 1931, Paul Piur publie une biographie riche et équilibrée qui est encore essentielle aujourd’hui90.
64C’est principalement le travail de Burdach et Piur qui constitue un véritable tournant. Il s’agit en effet de l’édition de toutes les sources documentaires disponibles sur le personnage, classées dans l’ordre chronologique et dotées d’un riche appareil critique. Ce monumental travail d’érudition, publié par l’Académie prussienne des Sciences, constitue, encore aujourd’hui, une indispensable œuvre de référence. Les deux universitaires s’appuient sur leurs recherches complexes pour émettre de longs jugements motivés sur l’œuvre de Cola et sur son idéologie. Konrad Burdach, en particulier, le considère comme un héros dans l’ordre du spirituel, porteur de hautes exigences religieuses, messager d’une nouvelle culture ; l’historien donne un grand poids principalement à l’influence du joachimisme et à sa dévotion pour le Saint-Esprit. Cola, sous sa plume, est l’emblème du passage de la civilisation médiévale vers celle de la Renaissance qui, déjà, est en route vers la Réforme91. Paul Piur, pour sa part, soutient une approche plus clairement politique visant à formuler une opinion qui a été reprise encore récemment : Cola aurait eu un programme politique concret et réalisable, qui avait pour but ultime la formation d’un État italien uni. Il reconnaît à son action une cohérence politico-idéologique que d’autres, surtout après la Seconde Guerre mondiale, allaient nier catégoriquement.
65Aussi bien Burdach que Piur, nonobstant l’énorme enrichissement philologique, continuent à proposer une lecture de matrice risorgimentale et romantique, et voient en Cola le promoteur de l’unité nationale et l’homme de la pré-Renaissance. Chez Piur en particulier, la conception positiviste de la valeur des sources (qui à elles seules peuvent dire la vérité historique), est soutenue par un raisonnement interprétatif très solide, et peut-être justement à cause de cela, trop rigide. Dans l’intelligente et néanmoins schématique biographie qu’il écrit, le point culminant de l’action de Cola est la proclamation de l’octroi de la citoyenneté romaine à tous les Italiens (1er août 1347). Il s’agit, selon ses mots, d’un décret « mémorable par l’audace de la conception politique et la cohérence de la pensée92 ».
66Héros premier d’une nation, donc, et fondateur mystique d’un nouvel âge : c’était l’interprétation dominante d’une Allemagne, d’ailleurs encore séduite par les harmonies de Rienzi. Mais aussi rustre parvenu, rhéteur plébéien, fanfaron et lâche : c’était une des possibles interprétations italiennes, confortées par la lecture de l’Anonyme et surtout de l’œuvre de D’Annunzio. Le personnage de Cola di Rienzo prenait encore une fois deux routes diamétralement opposées, mais avec cette fois des résultats incroyables, aboutissant à un colossal paradoxe. Le tribun romain, en effet, devint simultanément un symbole du nazisme et une caricature antifasciste.
67La dernière période de Cola « homme politique contemporain » est, bien entendu, fille de la précédente. Certains traits de sa personnalité vont cependant s’estomper alors que d’autres seront exaltés, ou bien altérés. La métaphore qu’il représente évolue avec le passage du temps, en se transformant sans cesse. En Italie, le « cycle de vie » de la seconde fortune politique de Cola est semblable à celui de Jérôme Savonarole ou de Giordano Bruno. Eux aussi, adulés par les libéraux principalement dans le cadre d’un usage anticlérical, perdent une partie de leur mordant le lendemain d’un retour à des positions d’équilibre entre l’État italien et le pontificat romain. Certes, Cola reste un héros qu’on étudie à l’école, comme Pietro Micca et Balilla93. C’était en fait un nationaliste avec la passion de Rome. On pouvait en théorie le considérer comme un excellent précurseur du fascisme, surtout celui des débuts, révolutionnaire et socialiste : ce n’est pas pour rien que les Soviétiques eux-mêmes le considéraient comme un protocommuniste et qu’en 1928, le dixième congrès des soviets s’ouvrit sur les notes de Rienzi94. Mais les nouveaux rapports instaurés entre le gouvernement italien et le Vatican au lendemain des accords du Latran de 1929 pouvaient encourager ceux qui, encore à l’époque, auraient voulu célébrer la figure du tribun romain rebelle au pape, ce tribun qui était même devenu franc-maçon après que la loge maçonnique romaine eut pris le nom de Rienzi. Le personnage littéraire de Cola di Rienzo eut encore quelques amateurs dans les années vingt, mais la supériorité de la langue de D’Annunzio, et la vénération dont jouissait l’auteur auprès des critiques et des politiques, n’invitaient pas à l’émulation95.
68Les évidentes – et même insolentes – analogies que l’on pouvait établir entre Cola di Rienzo et Benito Mussolini (1883-1945) avaient dissuadé le monde de la culture gouvernementale d’évoquer le personnage. Il existait un risque sérieux qu’un quelconque Petrolini96 se divertisse à faire de Cola une caricature du chef du gouvernement ou de quelque hiérarque en soulignant les aspects négatifs connus de tous grâce à la version de D’Annunzio. Cola était un vulgaire plébéien, dont la grandiloquence et les goûts théâtraux pouvaient éveiller le rire, l’inventeur d’une nouvelle « ère de la République libérée » très semblable à « l’ère fasciste », un expert de l’esthétique de la politique, parfait connaisseur de la valeur de la propagande et des discours solennels tenus du haut des balcons, amoureux d’une Rome antique qu’il fallait faire revivre dans une somptueuse mise en scène de carton-pâte, avec des aigles, des étendards et des parades militaires. Le personnage recréé par D’Annunzio, le poète prophète de l’Italie fasciste, pouvait ainsi devenir une arme aux mains des antifascistes. Dans ce paradoxe se reflétait toute l’hostilité ambivalente du poète pour le Duce et les dirigeants fascistes. Dans l’analyse historique que l’on aurait pu faire (et que naturellement on ne fit pas, ni alors, ni par la suite), on aurait vu émerger des ressemblances intéressantes entre le gouvernement de Cola et celui de Mussolini. L’un et l’autre, en effet, ouvrirent une brèche en présentant au monde une doctrine politique révolutionnaire, qui n’admettait pas de solutions intermédiaires ; l’un et l’autre, une fois parvenus au pouvoir, cherchèrent le compromis avec le régime en vigueur et les classes dominantes en place : on retrouve la vieille opposition entre théorie et pratique de gouvernement.
69Déjà dans les années vingt, Mussolini avait été comparé au tribun. En 1923, par exemple, l’anarchiste italo-américain Carlo Tresca (1879-1943) écrit dans le petit journal qu’il dirige à New York, Il Martello, que Mussolini finirait comme Cola di Rienzo. L’écrivain antifasciste Mario Mariani, en 1927, voit également dans le « maçon de Predappio » la « réincarnation très moderne du vendeur de poisson Masaniello et du vendeur de vin Cola di Rienzo ». De telles comparaisons circulent largement chez les exilés antifascistes avec une « fonction consolatoire97 ».
70Le 15 août 1943, exactement le lendemain du jour où Rome avait été déclarée « ville ouverte », Cola revêtit les habits de Pasquino98. Un tract signé « Cola di Rienzi » circulait en effet dans l’Urbs : il appelait à la grève pour demander la paix, le 1er septembre. C’était une initiative du franc-maçon Felice Anzalone. On suspecta alors ce projet d’avoir été élaboré en accord avec les Allemands pour offrir un prétexte à une intervention militaire. C’est seulement plusieurs mois après, en avril 1945, que la comparaison entre Mussolini et Cola di Rienzo se transformait en un jugement historique. L’un et l’autre, déguisés, tentèrent de fuir, furent tués et partagèrent finalement le même sort : pendus en place publique la tête en bas99.
71Bien que l’issue finale n’en soit pas si éloignée, les vicissitudes politiques de Cola en Allemagne, où le Rienzi de Wagner avait transformé le personnage en un haut modèle moral, furent totalement différentes. C’est dans cette nation, et non en Italie, que Mussolini, au début de sa propre fortune politique, fut baptisé « Rienzi ressuscité100 ». Il semble que les obsessions magico-politico-raciales d’Adolf Hitler (1889-1945) se soient révélées pour la première fois vers 1905-1906, alors que le futur chef du nazisme avait environ seize ans101. Après avoir assisté à une représentation de Rienzi, le jeune Hitler commença à parler d’une mission et d’un mandat qu’il recevrait un jour de son peuple pour le racheter de la servitude et le conduire dans les hauteurs de la liberté102. Il déclara lui-même en 1939 que la rencontre avec cet opéra avait été un moment déterminant de son existence. Le national-socialisme sublima la composante magico-religieuse des aventures de Cola, en la dénaturant complètement. On peut dire que, alors que D’Annunzio avait détruit la crédibilité de Cola en Italie, le Rienzi de Wagner, revivifié par Hitler, avait décidé de son succès. L’Ouverture de Rienzi fut souvent utilisée en guise d’introduction aux rassemblements du Führer et aux défilés nazis. Hitler était convaincu d’avoir en Rienzi un modèle à faire revivre et à dépasser. L’Europe du Trecento avait trouvé en Cola, chevalier du Saint-Esprit, un homme qui avait essayé de la faire parvenir à la perfection du troisième âge de la prophétie ; Hitler serait celui qui allait porter à son accomplissement l’œuvre de son modèle, le troisième âge étant toutefois assimilé au Troisième Reich103.
72Si Mussolini a eu le même destin que le Cola de l’Anonyme et de D’Annunzio, Hitler eut la même fin que le Rienzi de Wagner. De même que ce dernier disparaissait sous les décombres du Capitole, Hitler mourut sous terre dans son bunker de la Chancellerie. Seulement un an auparavant, en janvier 1944, José Luis Borges avait écrit et publié un récit prémonitoire dont la thématique présentait de fortes analogies avec ces événements futurs. Dans cette nouvelle, la mort du héros et traître imaginaire Fergus Kilpatrick était, sous de nombreux aspects, très semblable à celle du Jules César de Shakespeare. Ce qui dans un premier temps avait semblé « une forme secrète du temps, un dessin dont les lignes se répètent », s’était révélé au contraire comme une machination conçue par le protagoniste lui-même et par ceux qui étaient autour de lui. En cette occasion, la littérature avait volontairement été copiée pour construire l’histoire104. Dans le cas de Cola di Rienzo, à l’inverse, les deux versions de sa mort, l’italienne et l’allemande, se reproduisirent dans les morts réelles du dictateur italien et du dictateur allemand.
73Immédiatement après la guerre, l’anglais Victor Fleischer écrivit Cola di Rienzo. The Rise and Fall of a Dictator. Dans ce livre, clairement antifasciste, il y avait des références évidentes aux événements qui venaient de se produire105.
7. Jusqu’en 2000 et au delà
74Après la Seconde Guerre mondiale, Cola di Rienzo disparut du monde de la littérature et de la mythologie des Italiens et n’a plus été « récupéré »106. Il partage en cela le sort de nombreux autres noms, petits et grands, de l’histoire italienne, héroïsés et mythifiés pendant le Risorgimento et le fascisme et, parfois, assimilés à ce dernier, ou jugés simplement trop nationalistes. Après les hauteurs vertigineuses de l’opéra wagnérien et de la prose dannunzienne, un silence assourdissant tomba sur le tribun. Par ailleurs, sa fin macabre était trop semblable à celle de Mussolini pour que l’on ne craigne pas de proposer un rapprochement implicite simplement en prononçant son nom, et l’ombre portée de la passion qu’Hitler nourrissait pour le Rienzi wagnérien pouvait rendre le personnage sinistre.
75Entre les années soixante-dix et les années quatre-vingt-dix du siècle dernier, nous pouvons rappeler l’œuvre théatrale d’Enzo Siciliano Vita e morte di Cola di Rienzo (1973), deux biographies et enfin un pastiche représenté au Teatro dell’Orologio. Celui-ci, ironie du sort, se trouvait à moins de cinquante mètres de l’Institut historique italien pour le Moyen Âge. L’œuvre portait le titre à la subtilité proprement inquiétante, de Coca-Cola di Rienzo Story107.
76La mémoire de Cola, perdue en littérature et en politique, a cependant perduré dans les études historiques. Avant tout, à partir de 1940, on reconnut à nouveau l’importance capitale de la Cronica de l’Anonyme qui, pendant la première moitié du xxe siècle encore, avait été regardée d’un œil suspicieux surtout par l’historiographie allemande. Après un essai fameux de Gianfranco Contini puis un certain nombre d’études et d’éditions (comme celle d’Arsenio Frugoni), on a finalement pu disposer d’une excellente édition critique et d’une étude approfondie sur l’auteur108. En Bohême aussi, l’historiographie sur Cola di Rienzo s’est développée, en raison des liens étroits que le personnage a entretenu avec cette terre et des influences culturelles que l’on fait remonter jusqu’à lui, grâce à son recueil épistolaire, aussi bien dans les milieux littéraires que politico-religieux109.
77L’historiographie italienne a fait preuve d’un intérêt prononcé pour le personnage du tribun. Dans l’avant-dernière génération d’historiens, Eugenio Dupré Theseider (1898-1975) et Raffaello Morghen (1896-1983) ont mené des recherches approfondies sur sa vie, surtout à Rome. Le premier, qui fut un spécialiste affûté de l’Urbs et de l’idée impériale qu’elle incarne, accomplit avec sa Roma dal comune di popolo alla signoria pontificia une œuvre à la fois méticuleuse et évocatrice, où la capacité d’interprétation historique va de concert avec une belle veine narrative. La part jouée par Cola y est tout à fait importante et l’historien a même écrit : « L’histoire de cet homme l’emporte pour quelque temps sur celle de la cité110. » Il estime finalement qu’il était animé d’une intention juste et sincère, que ses premières mesures avaient été vraiment efficaces et, pour ces raisons, le rachète moralement. En revanche, son évaluation politique est tout à fait opposée et il rejette la vision risorgimentale. Cola, pour Dupré Theseider, fut « un improvisateur génial », un homme totalement « impolitique »111.
78Raffaello Morghen consacra des cycles entiers de cours universitaires à Cola et partagea le jugement de Dupré Theseider quant à son caractère apolitique112. Il s’occupa activement de la partie « moins romaine » de la vie de Cola (son collègue en revanche s’était plus intéressé à l’autre partie), et s’arrêta sur ses errances prophétique et spirituelle, ouvrant la route à un fécond cycle d’études. Non seulement il reconstruisit la vie du personnage, mais il retraça l’histoire des opinions que la postérité avait émises à son propos pour distinguer finalement deux positions possibles : ceux qui se sont intéressés à Cola ou ont été fascinés par la grandeur de son rêve, ou bien ceux qui l’ont condamné pour son incapacité politique objective113. Morghen lui-même, cependant, le considérait comme un personnage anachronique et incohérent. Cola, la tête farcie d’un joachimisme dorénavant en perte de puissance, prophétisait un âge du Saint-Esprit à une société qui le refusait ; il redécouvrait le squelette de l’Empire quand sa puissance s’était écroulée depuis un bon moment ; il promettait la liberté au peuple alors que les cités se livraient aux mains des seigneurs. Il avait finalement été le vrai représentant de la Civiltà medioevale al tramonto114 qui, « dernier des grands dictatores, et dernier chantre des thèmes de la culture politico-religieuse du Moyen Âge, pris dans l’engrenage de fer de la politique de ce temps sans avoir les qualités pour la dominer, en fut broyé115 ».
79L’école romaine, commencée avec Pietro Fedele (1873-1943), qui a compté des noms comme Dupré Theseider et Morghen et s’est honorée de la participation de cet attentif exégète des sources qu’était Arsenio Frugoni (1914-1970), continue encore avec les historiens de la dernière génération qui, depuis la fin des années 1960, ont totalement renouvelé le panorama des études. On connaît aujourd’hui beaucoup mieux la Rome médiévale qu’il y a cinquante ans parce que l’on a fait des recherches sur de nombreux aspects de son histoire, surtout en ce qui concerne l’environnement social. Dans le même temps on a assisté, principalement dans les années 2000, à une valorisation de l’étude de la cité dans ses rapports avec la papauté, ce qui a permis de rapprocher deux thèmes longtemps considérés comme éloignés et antagonistes. Dans cet ensemble de recherches, Cola di Rienzo est étudié comme un personnage inséré dans son contexte, comme protagoniste mais surtout coparticipant de la grande « crise de transformation » du milieu du xive siècle116.
80Ce n’est pas ici le lieu de parler largement des travaux plus récents auxquels ce livre fait, en tout état de cause, précisément référence. On peut toutefois donner un aperçu des jugements complexes formulés dans les vingt dernières années par les historiens sur l’action politique de Cola.
81Jean-Claude Maire Vigueur pense que la portée historique du tribun (et surtout du sénateur) doit être redimensionnée, et qu’il faut la faire entrer dans le sillage d’une tendance politique urbaine qui s’était manifestée et affirmée à plusieurs reprises avant lui. En effet, le gouvernement de Cola fut précédé de divers autres épisodes de régimes populaires, dont notamment celui de Brancaleone degli Andalò en 1252. L’originalité du tribun, par conséquent, ne doit pas être recherchée dans son programme, ni dans ses fondements sociaux, mais dans son extraordinaire capacité à recueillir le consensus politique autour de son projet, nonobstant son déficit d’image dû à ce qu’il était un intellectuel d’humble origine et nonobstant son manque de légitimité institutionnelle. La chute de Cola n’est donc pas significative de la faiblesse du régime populaire mais bien de celle du personnage117. Il faudrait considérer que la situation historique est dans sa totalité plus bigarrée et moins susceptible d’entrer dans des modèles et des catégories que ce que nous avons l’habitude de penser. En effet, les gouvernements baronniaux qui précédèrent celui de Cola, bien qu’ils soient porteurs d’une culture différente, avaient trouvé une sorte de dialectique avec le popolo ; il y avait eu des barons pour mener une politique philo-populaire, et il avait également existé des seigneuries étrangères clairement anti-baronniales, comme celles des Angevins.
82Par ailleurs, on peut aussi considérer aujourd’hui que Cola di Rienzo représente une sorte de ligne de partage des vicissitudes politico-sociales de l’Urbs. Jusqu’à son gouvernement en effet, on assiste à la domination presque incontestée des barons romains118. Comme le pense principalement Andreas Rehberg, leur force politique réside dans le fait qu’ils s’entourent de clientèles transversales aux classes sociales : l’alliance et la loyauté ne sont pas déterminées par la commune appartenance à un groupe homogène – la classe sociale – mais à un compagnonnage politique relativement mobile fondé sur des liens personnels, patrimoniaux, territoriaux119.
83Après Cola – ou plutôt avec lui – se réalise l’alliance de la petite noblesse citadine et du peuple qui permet le maintien de régimes populaires durables et constitue un des éléments déterminants de la crise des barons120. Le capital citadin, soutenu par le gouvernement communal de type populaire et fortement « antimagnatice » (la Felice Società dei balestrieri e dei pavesati), permet d’agir de manière unie, au détriment des grands propriétaires, qui sont désormais trop loin de la curie pontificale et dont la rente terrienne est en baisse constante. Les citadins commencent alors à prendre du poids dans la campagne en employant leurs propres capitaux pour acquérir et exploiter les terrains les plus proches de Rome et faire de l’élevage. C’est alors que se forme le système de production du casale121, et une nouvelle classe dominante côtoie – dans certains cas s’amalgame avec, voire remplace – les barons : ce sont les bovattieri, c'est-à-dire de riches citadins entrepreneurs agricoles. Le retour du pape coïncide avec le début de cette phase nouvelle. La reprise économique est déjà en cours et le pape la renforce. Cependant, le retour du pape d’Avignon se traduit également, en peu d’années, par la fin de l’autonomie politique du Capitole.
84Alors que l’on ne dispose pratiquement plus d’aucun repère pour évaluer sa plus ou moins grande stature, Cola di Rienzo est plus que jamais replacé dans le contexte politico-social de l’époque, et intéresse surtout ceux qui s’occupent de l’histoire de Rome. Mais ce qui reste encore présent, c’est la double appréciation de son œuvre telle que Morghen l’avait mise en évidence. Sans aucun doute, on discute encore pour savoir si Cola avait un projet précis ou s’il s’agissait d’un mirage. C’est ainsi que dans l’interprétation qu’en donne Jean-Claude Maire Vigueur, son idée de conclure une paix durable et de réaliser l’unité des cités italiennes grâce à un réseau d’alliances est évidemment audacieuse (certainement pas risorgimentale), mais plutôt irréaliste, et il estime que Cola fut généralement un « politicien d’une grande lucidité122 ». Selon Gustav Seibt, en revanche, son projet général était si vaste qu’il ne pouvait que lui faire perdre immédiatement le sens de la réalité123. Tout bien réfléchi, les deux positions ne sont pas inconciliables, et le rêveur n’exclut pas le politique : encore faut-il s’entendre sur ce que pouvait être un homme politique au Trecento, et se demander si projet et utopie peuvent se différencier pour celui qui les vit dans sa propre chair.
85Parmi les champs où la réflexion sur Cola di Rienzo a été majoritairement approfondie, il est essentiel de rappeler celui dans lequel ont été défrichés des aspects purement culturels. Le septième centenaire de la naissance de François Pétrarque a impliqué, à la marge, notre Cola, alors que les récentes éditions de son Commento à la Monarchia de Dante (dont la dernière a été publiée à l’occasion du sept cent cinquantième anniversaire de la naissance de Dante, cette fois), bien qu’elles « ajoutent peu au profil du personnage que l’on retire des autres sources […] permettent cependant de confirmer cette image et d’approfondir quelques aspects de sa pensée que l’on peut extraire du matériel épistolaires124 ». L’un de ces aspects est la prédilection que Cola nourrissait pour l’histoire romaine, qui contrastait avec son substantiel désintérêt pour la réflexion philosophique, un autre en est la dimension ecclésiologique de son commentaire125. De même, les études sur la langue et la culture de l’Anonyme et de sa Chronique, qui a eu récemment la bonne fortune d’être traduite en français, bien qu’elles n’aient rien ajouté de neuf aux événements et péripéties de la vie de Cola, en ont éclairé le contexte126. En général, nous connaissons bien mieux Cola aujourd’hui qu’auparavant parce que le regard que nous portons sur la situation de Rome au xive siècle est devenu plus aigu non seulement d’un point de vue économico-politico-social (comme c’était le cas depuis plusieurs décennies déjà), mais aussi plus intellectuel. Outre le livre bien connu de Gustav Seibt, deux études sont particulièrement significatives. Dans la première, Benoît Grévin a traité le cas de Cola di Rienzo dans le cadre de sa vaste recherche sur les lettres de Pierre de la Vigne, et a démontré comment ces dernières ont représenté un élément central de la formation du tribun127. Ces lettres, observe Grévin, « forment en quelque sorte le lien entre la formation intellectuelle, l’activité professionnelle et les idées politiques de Cola128 ». Les lettres du protonotaire de Frédéric II, à la lecture desquelles Cola s’était formé, sont reprises avec détermination dans les siennes, tout d’abord comme citations des textes appris par cœur, puis – dans la période intense entre la fin juillet et le début de septembre 1347 – de façon encore plus explicite. Cola devient une sorte de notaire (impérial) de lui-même, ayant provoqué un court-circuit entre le chef de la chancellerie et le prétendant à l’Empire. Dans la période suivante également, en Bohême, les lettres de Cola rappellent le spectaculaire hypo-texte qui avait imprégné sa mémoire, bien qu’il se soit transformé alors, en l’absence de livre, en réminiscences plus lointaines.
86La seconde étude qu’il faut évoquer est celle de Dario Internullo, Ai margini dei giganti, qui comporte une préface du même Benoît Grévin. Ce livre conteste le cliché historiographique selon lequel le séjour des papes en Avignon aurait représenté pour Rome une période de « désert culturel ». Bien au contraire, la présence du Studium Urbis, des écoles des ordres mendiants, des bibliothèques et d’un nombre non négligeable d’hommes de culture (non seulement des professionnels, comme les clercs, médecins et juristes, mais aussi les barons tant dénigrés), leurs pratiques répandues de réception, production et usage des savoirs, et enfin la grande quantité de livres, échangés, glosés (d’où le titre Ai margini dei giganti, qui fait allusion aux marginalia [mentions en marge], gloses commentant les auteurs classiques) démontreraient – je ne peux m’exempter du conditionnel – le maintien et peut-être même la croissance culturelle de Rome dans cette période pourtant si funeste par biens des côtés. Par conséquent et pour cette raison, Cola di Rienzo cesserait d’être un personnage étranger à son temps, prenant position au sommet comme un intellectuel de haut niveau dans un environnement plutôt cultivé129. D’autres diront si l’interprétation novatrice d’Internullo frappe juste, en réussissant à résoudre ce qui pour moi est un problème méthodologique fondamental (qui est d’ailleurs spécifique à une grande partie de la médiévistique) : parvenir à évaluer les volumes des choses, en convertissant les indices qualitatifs en données quantitatives. Il n’en reste pas moins que par l’étendue de ses recherches, ce livre concourt sans nul doute à la réévaluation de la culture romaine du xive siècle.
87Les études sur Cola n’ont pas simplement franchi les Alpes, mais en traversant aussi la Manche et l’océan Atlantique, elles sont allées constituer une mine féconde dans un continent dont le tribun ne suspectait pas même l’existence et où des auteurs ont commencé à l’examiner avec attention d’abord à travers la lunette du roman de Bulwer-Lytton, puis celle des études sur Pétrarque. L’année même de la première édition de ce livre sortaient aux États-Unis deux œuvres importantes sur Cola di Rienzo : en 2002, la Britannique Amanda Collins publiait Greater than Emperor, reprenant ce titre de la cérémonie du 31 juillet 1347, tandis que l’année suivante sortait Apocalypse in Rome, le livre de l’Américain Ronald Musto130. Le livre d’Amanda Collins, qui a choisi non pas une structure chronologique mais thématique, se divise en deux parties. La première concerne précisément Cola di Rienzo et se concentre sur les thèmes de la passion pour l’antiquité et du prophétisme, alors que la seconde partie s’élargit pour traiter de la ville de Rome au xive siècle, dont l’auteure présente l’histoire sociale – en se fondant principalement sur les études qui ont fleuri à partir des années soixante-dix du siècle précédent – et les prosopographies des personnages qui entouraient Cola di Rienzo, en empruntant un chemin parallèle à celui de A. Rehberg et en cherchant directement dans les fonds des archives. Le livre de Ronald Musto dresse, quant à lui, une vaste fresque de la vie de notre personnage, construite sur un axe diachronique traditionnel mais avec des approfondissements collatéraux qui permettent de saisir le Trecento italien dans son étendue et sa complexité. Cola est le pivot central de l’étude qui, comme celle d’Amanda Collins, suit trois veines : la vie religieuse, la nouvelle fortune de la culture classique et les structures économiques et sociales131. Le discours sur le prophétisme et les millénarismes médiévaux, qui transparaît déjà dans le titre, clin d’œil au moderne « New Age132 », est particulièrement élaboré. L’Apocalypse à Rome est évidemment la mort de Cola, survenue après un grand silence, comme celui qui précédera l’ouverture du septième sceau133.
88Tout bien pesé, on ne peut qu’exprimer sa satisfaction à voir des chercheurs de plusieurs nationalités et de spécialités diverses continuer à suivre différentes pistes d’études sur ce personnage prismatique. Il est agréable de constater que Cola di Rienzo suscite encore l’intérêt qu’il mérite dans la « République des lettres ». Dans le même temps cependant, on ne peut que prendre acte du profond désintérêt du grand public à son égard depuis la Seconde Guerre mondiale134.
89Personnage doté d’une personnalité hors du commun, le tribun se fond dans la grande histoire sociale et politique sans que, généralement, on lui assigne un rôle de premier plan. Cola aujourd’hui n’est plus la grande figure qui a enflammé les esprits des libéraux du xixe siècle : les habitants de Rome connaissent l’avenue Cola di Rienzo, mais peu savent qui était celui qui lui a donné son nom. En 2013, un timbre commémoratif du septième centenaire de la naissance du tribun a été émis. Dessiné par Anna Maria Maresca, il reproduit la statue, œuvre de Girolamo Masini, qui est placée au bas de l’escalier qui mène au Capitole. C’est un bel hommage, mais qui utilise encore aujourd’hui les timbres-poste ? En 2016, l’artiste sudafricain William Kentridge a inclus le personnage de Cola (il s’agit toujours de cette même statue) parmi les nombreuses autres qui figurent dans la très longue frise intitulée Trionfi e lamenti qu’il a réalisée sur la berge du Tibre. Ainsi Cola, comme une ombre haute de dix mètres se profilant sur la muraille, est retourné voir le fleuve en face du lieu où il est né : il incarne tout à la fois le triomphe et les pleurs de Rome. La frise, réalisée en décapant les sédiments incrustés sur les murs, est un triomphe de l’éphémère et commence déjà à disparaître, et avec elle Cola, dont les cendres, écrit Musto, ont descendu le Tibre jusqu’à la pleine mer, avec ses rêves et ceux de tant de Romains antiques et modernes135. Rome est éternelle, non seulement parce que tout reste, mais aussi parce que tout passe.
90Si l’on veut, on peut aussi mesurer Cola à l’aune de Dante, considéré comme le dernier homme du Moyen Âge, ou de Pétrarque, le premier de la Renaissance. Quel sera en ce cas notre jugement sur « le dernier tribun de Rome » ? C’est une question que se sont posée beaucoup d’historiens, mais y répondre relève pratiquement de l’ordre de l’exercice littéraire. En effet, si nous examinons attentivement, par exemple, son projet d’empire, nous pouvons le considérer comme un simple épigone ; mais en même temps, son système de gouvernement se situe déjà parfaitement dans la ligne des premiers seigneurs de la Renaissance, comme l’affirmait Dupré Theseider ; si, en revanche, nous prenons en considération sa culture antique, il peut apparaître comme un pré-humaniste, alors que sa religiosité ressort pleinement du bas Moyen Âge. On peut soutenir toutes les théories : de fait, non seulement ses caractéristiques mais aussi celles de son époque sont hybrides ; de plus, notre jugement lui-même fait usage de catégories que nous cherchons à ancrer dans des données trop mouvantes. Et puis les protagonistes sont difficiles à situer, parce qu’ils sont responsables aussi bien des actions que des réactions. Finalement, et comment pourrait-il en être autrement, il vaut mieux considérer Cola di Rienzo comme un homme de son temps, mais un temps, cependant, qui ne se réduit pas uniquement au Trecento, car il nous concerne encore de près.
Notes de bas de page
1 Sur cette question voir P. Piur, ouvr. cité, préface et p. 208 et suiv. ; R. Morghen, « Il mito… », art. cité ; voir aussi L. Felici, « La ‘Vita di Cola di Rienzo’ nella tradizione cronachistica romana », Studi romani, XXV, 1977, p. 325-343, principalement p. 326-329. La journée conclusive du colloque international qui s’est tenu à Rome les 8-10 novembre 2000 a été consacrée principalement à ce thème ; les actes en ont été publiés en 2009 dans le vol. Cola di Rienzo. Dalla storia al mito, ouvr. cité. Sur la la ‘fortune’ de Cola, voir également A. Collins, Greater than Emperor, ouvr. cité, p. 1-8 ; R. Musto, Apocalypse in Rome…, ouvr. cité, p. 1-21.
2 R. Morghen, « Il mito… », art. cité, p. 166, et également L. Ceccarelli, art. cité, p. 307-309.
3 Voir à ce propos, G. Seibt, Anonimo romano, ouvr. cité, p. 37-107 ; P. Piur, ouvr. cité, p. XI.
4 M. Miglio, Scritture…, ouvr. cité, p. 56.
5 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité]. Parmi les études les plus importantes de cette œuvre, il faut signaler M. Miglio, A. Modigliani, « La Cronica dell’Anonimo romano », dans Roma nel Rinascimento. Bibliografia e note, Rome, Roma nel Rinascimento, 1992, p. 19-37 ; G. Seibt, Anonimo romano, ouvr. cité. On peut consulter d’autres études récentes : G. Porta, « Cola di Rienzo nella ‘Cronica’ e nell’Epistolario », dans Cola di Rienzo. Dalla storia al mito, ouvr. cité, p. 61-66 ; L. Felici, « L’anonimo romano e le cronache medievali. Considerazioni supplementari », ibid., p. 67-77 ; V. Formentin, « Approssimazioni al testo e alla lingua della “Cronica” d'Anonimo romano” », dans Leggere gli apparati (testi e testimoni dei classici italiani), Milan, Unicopli, 2012, p. 27-71 ; M. Campanelli, « The Preface of the Anonimo Romano’s Cronica: Writing History and Proving Truthfulness in Fourteenth-Century Rome », The Medieval Journal, III/1, 2013, p. 83-106 ; D. Internullo, ouvr. cité, p. 184-190, 310-314 et ad indicem, à l’entrée Anonimo romano.
6 G. Billanovich, « Come nacque un capolavoro : la ‘Cronica’ del non più Anonimo romano. Il vescovo Ildebrandino Conti, Francesco Petrarca e Bartolomeo di Iacovo da Valmontone », Atti dell’Accademia Nazionale dei Lincei. Rendiconti, classe di scienze morali, storiche e filologiche, IX, vol. VI, 1995, p. 195-211, a cru reconnaître en Bartolomeo di Iacopo da Valmontone l’auteur de la Cronica, qui cependant, selon de nombreux avis, reste inconnu.
7 Voir G. Seibt, art. cité.
8 Sur la mort de Cola et le jugement de valeur, voir P. Piur, ouvr. cité, p. 201 et suiv. ; T. di Carpegna Falconieri, « ‘Dolore ène de recordare’ », art. cité, spéc. p. 51-53.
9 G. Contini, « Invito a un capolavoro », Letteratura, IV, 1940, no 4, p. 3-14.
10 N.D.T. : l’Accademia della Crusca trouve son équivalent en France avec l’Académie française. Créée à Florence en 1583, elle s’est toujours attachée à sauvegarder la pureté originale de la langue italienne, ce qui revenait à soutenir la primauté du toscan créé par Dante puis promu par Pétrarque et Boccace notamment.
11 G. Villani, ouvr. cité, XIII p. 497-498. Sur ce sujet, voir M. Mariani, art. cité.
12 G. Villani, ouvr. cité, XIII p. 524.
13 Voir M. Mariani, art. cité, p. 657 et suivantes.
14 N. Machiavelli, Istorie fiorentine, libro primo, dans Id., Tutte le opere, secondo l’edizione di Mario Martelli (1971), introduction de M Ciliberto, dir. P. D. Accendere, Milano, Bompiani, 2018, p. 1727-1728 ; voir P. Piur, ouvr. cité, p. 205 et 209. Machiavel raconte que Cola aurait fait tuer Francesco Baroncelli, mais on ne retrouve cette information nulle part ailleurs.
15 Voir à ce propos R. Morghen, « Il mito… », art. cité, p. 166.
16 F. Gori, « La Torre del Monzone presso il Ponte Rotto di Roma non fu mai casa del tribuno Cola di Rienzo e nuova spiegazione d’una tavola enigmatica del XII secolo », Il Buonarroti, s. 2, vol. 7, juillet 1872, p. 1-12 de l’extrait ; C.E. Beneš, « Mapping a Roman Legend: The House of Cola di Rienzo from Piranesi to Baedeker », Italian Culture, 26, 2008, p. 57-83.
17 D. Tordi, « La pretesa tomba di Cola di Rienzo. Due memorie di Domenico Tordi e una lettera dell’illustrissimo sindaco di Roma », Il Buonarroti, s. 3, vol. 3, quaderni 2-3, 1887-1888, p. 1-31 de l’extrait.
18 N.D.T. : historien et humaniste italien de la Renaissance.
19 La Dilogia su Cola di Rienzo del licenciado Juan Grajal, D. Vaccari (éd.), Florence, Alinea, 2011.
20 Vita di Cola di Rienzo, tribuno del popolo romano. Scritta in lingua volgare romana di quella età da Tomao Fortifiocca scribasenato, dans Bracciano, per Andrea Fei stampator ducale, MDCXXIV, à la demande de Pompilio Totti, libraire à Naona ; Vita di Cola di Rienzo, tribuno del popolo romano. In questa seconda impressione distinta in piú capitoli, et arricchita delle dichiarationi de le voci piú oscure della lingua romana di quei tempi […], ibid., id., MDCXXXI, à la demande de Pompilio Totti libraire à Naona. Sur l’iconographie de Cola, voir F. Matitti, art. cité.
21 G.C. Peresio, Il Jacaccio overo il Palio conquistato, F.A. Ugolini (éd.), Rome, Società Filologica Italiana, 1939 ; voir E. Di Iaconi, Peresio poeta romanesco del Seicento e il suo « Jacaccio », Rome, Rendina, 1997 ; C. Micocci, « Seicento romanesco. Dalla “Cronica” alla parodia : Cola di Rienzo nel “Jacaccio” di Peresio », Linguistica e letteratura, XXX, 1-2, 2005, p. 143-157.
22 E. Tesauro, Il cannocchiale aristotelico, o’ sia, idea dell’arguta et ingeniosa elocutione, che serve a tutta l’arte oratoria […], Venise, Paolo Baglioni, 1663, p. 222 ; voir L. Felici, « La ‘Vita di Cola di Rienzo’ », art. cité, p. 328.
23 M. de Boispreaux [pseud. de Bénigne Dujardin], Histoire de Nicolas Rienzy, chevalier, tribun et sénateur, Paris, Durand, 1743.
24 J.-A. du Cerceau, Conjuration de Nicolas Gabrini, dit de Rienzi, tyran de Rome en 1347. Ouvrage posthume, Paris, Chez la Veuve Étienne, 1733.
25 Le premier à avoir attribué le nom de « Gabrini » à Cola di Rienzo a sans doute été l’annaliste dominicain Abramo Bzovio (Abraham Bzowski, 1567-1637).
26 Le livre fut réimprimé en français à Amsterdam en 1734, à Paris en 1743, 1748, 1797, 1867, 1870, à Limoges en 1865 et en 1875. Il était déjà traduit et publié en anglais aux environs de 1740.
27 G. Bonnot de Mably, « De la manière d’écrire l’histoire », dans Œuvres complètes de l’abbé de Mably, XII, Lyon, Delamollière & Falque, 1796, p. 448-451. Un pareil jugement avait déjà été émis par Pétrarque dans le De Africa.
28 « Historiae romanae fragmenta ab anno 1327 Christi usque ad 1354 […] », dans L.A. Muratori, Antiquitates Italicae medii aevi, III, Milan, ex Typographia Societatis Palatinae, 1740, p. 247-548.
29 E. Gibbon, The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, Londres, W. Strahan, 1788-1790 ; Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, trad. F. Guizot, Paris, Maradan, 1812 (l’œuvre fut publiée pour la première fois entre 1776 et 1778 et en 1795 en France) ; voir P.F. Palumbo, Roma nella letteratura storica dall’antichità a oggi, Rome, Edizioni del Lavoro, 1994, p. 129.
30 F. Schiller, « Revolution in Rom durch Nicolaus Rienzi, im Jahre 1347 », dans Id., Geschichte der merkwürdigsten Rebellionen und Verschwörungen aus den mittlern und neuern Zeiten. Bearbeitet von verschiedenen Verfassern, I, Leipzig, 1788, p. 1-106 ; voir P. Piur, ouvr. cité, p. 210 et suiv.
31 Citation tirée de la traduction italienne de Louis Mayeul Chaudon, Nouveau Dictionnaire Historique Portatif ou Histoire abrégée de tous les hommes qui se sont fait un nom par des talents, des vertus, des forfaits, des erreurs… depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours, 7e édition revue et corrigée, Caen, chez G. Le Roy et Lyon, chez Bruyset, 1789.
32 Giardina-Vauchez, ouvr. cité, p. 104 ; pour Rome, voir M.P. Donato, « Immagini e modelli della virtú repubblicana, Roma negli anni di influenza e dominio francese, Ph. Boutry, F. Pitocco, C.M. Travaglini (éd.), Naples, Esi, 2000, p. 367-383.
33 B. Croce, Filosofia, Poesia, Storia. Pagine tratte da tutte le opere a cura dell’Autore, Milan, Adelphi, 1996, p. 1306.
34 Pour approfondir ce thème, voir G. Gargallo, « Storia della storiografia moderna », IV. La teoria della conquista, Rome, Bulzoni, 1998 ; I. Wood, The Modern Origins of the Early Middle Ages, Oxford, Oxford University Press, 2013 ; T. di Carpegna Falconieri, Médiéval et militant. Penser le contemporain à travers le Moyen Âge, trad. M. Grévin, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, spéc. p. 69-85. Pour la France, il convient de ne pas oublier Ch. Amalvi, Le goût du Moyen Âge, Paris, Boutique de l’histoire, 1996, 2002, 2e édition.
35 Voir R. Bordone, Lo specchio di Shalott. L’invenzione del Medioevo nella cultura dell’Ottocento, Naples, Liguori, 1993 ; « Studi medievali e immagine del Medioevo fra Ottocento e Novecento », numéro monografique du Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo, C 1995-1996.
36 F. Matitti, art. cité, p. 299-300 : il s’agit du tableau intitulé Rienzi vowing to obtain justice for the death of his young brother, slain in a skirmish between the Colonna and the Orsini factions, de William Holman Hunt. Aujourd’hui dans une collection privée, le tableau fut exposé en 1849 à Londres à la Royal Academy ; il s’agissait de la première exposition en public d’une œuvre d’un peintre préraphaélite.
37 En ce qui concerne les différents scénarios impliquant Cola di Rienzo dans la dramaturgie du xixe siècle, voir principalement L. Biancini, « La fortuna teatrale di Cola di Rienzo in Italia », dans Cola di Rienzo. Dalla storia al mito, ouvr. cité, p. 135-171.
38 Voir R. Morghen, « Il mito… », art. cité.
39 E. Rodocanachi, Cola di Rienzo. Histoire de Rome de 1342 à 1354, Paris, A. Lahure impr. édit., 1888.
40 T.M. Gabrini, Osservazioni storico-critiche sulla vita di Cola di Rienzo, Rome, Fulgoni, 1806 ; Id., Commento sopra il poemetto ‘Spirto gentil’ che il Petrarca indirizzò a Cola di Rienzo Tribuno e poi Senatore di Roma, colla interpretazione della lapide che l’istesso Nicola fece apporre al torrione di Ponte Rotto ancora esistente, ibid., id., 1807. Ce même Gabrini fut l’auteur d’une inédite Illustrazione del Codice legislativo di Cola di Rienzo. À son propos, voir Bibliografia Romana. Notizia della vita e delle opere degli scrittori romani dal secolo XI fino ai nostri giorni, Rome, Ministero di Agricoltura, Industria e Commercio, Tipografia eredi Botta, 1880, vol. I p. 126-129. Voir également une attaque sévère de son interprétation de Cola dans D. Tordi, art. cité ; déjà F. Papencordt, Cola di Rienzo und seine Zeit. Besonders nach ungedruckten Quellen dargestellt, Hamburg, Gotha, F. / A. Perthes, 1841 (Rienzi et Rome à son époque, Paris, Lecoffre, 1845), avait déclaré que les affirmations absurdes de Gabrini ne méritaient même pas une réponse.
41 N.D.T. : dans la Commedia dell’arte, Pulcinella [Polichinelle] est le masque associé à Naples, où le personnage aurait été créé.
42 L. Ceccarelli, art. cité, p. 315.
43 G.L. Domeny de Rienzi, Océanie ou cinquième partie du monde. Revue géographique et ethnographique de la Malaisie, de la Micronésie, de la Polynésie et de la Mélanésie, Paris, Frères Didot, 1836-1837 ; voir D. Tordi, art. cité, p. 20 et suiv.
44 G.G. Byron, Childe Harold’s Pilgrimage, Canto the Fourth, Londres, J. Murray, 1837, pièce CXIV.
45 G.W. Meadley, « Two Pairs of Historical Portraits : Octavian Augustus and William Pitt ; Rienzi and Bonaparte », The Pamphleeter, XVIII 1821, 35, p. 129-140.
46 E. Bulwer Lytton, Rienzi, the Last of the Roman Tribunes, Londres, 1835 (trad. fr. Rienzi, le dernier des tribuns de Rome, Paris, Hachette, 1889).
47 R. Morghen, « Il mito… », art. cité ; voir aussi les essais de G. Pepe, Da Cola di Rienzo a Pisacane : saggi e glosse, Rome, Colombo, 1947.
48 P. Giacometti, Cola di Rienzo, l’ultimo dei tribuni. Tragedia in cinque atti, Rome, Perino, 1891 ; P. Barone, « Il Cola di Paolo Giacometti e di Pietro Cossa », dans Cola di Rienzo. Dalla storia al mito, ouvr. cité, p. 173-182.
49 J. Mosen, Cola Rienzi der letze Volkstribun der Römer, Stuttgart, Cotta, 1842 ; M. Knieriem, Friedrich Engels ‘Cola di Rienzi’. Ein unbekannter dramatischer Entwurf, Friedrich-Engels-Haus (éd.), Wuppertal, et Karl-Marx-Haus (éd.), Trèves 1974 ; les dramaturges Rudolph Kirner et Karl Gaillard écrivirent aussi à cette époque sur ce thème. À ce propos, voir surtout I.M. Battafarano, Cola di Rienzo. Mito e rivoluzione nei drammi di Engels, Gaillard, Mosen e Wagner, con la ristampa del testo di Friedrich Engels Cola di Rienzi (1841), Trente, Editrice Università degli studi di Trento, 2006 ; Id., « La figura di Cola di Rienzo nella drammaturgia tedesca alla vigilia del 1848 », Cola di Rienzo. Dalla storia al mito, ouvr. cité, p. 204-236.
50 F. Papencordt, Cola di Rienzo…, ouvr. cité ; cf. P.F. Palumbo, ouvr. cité, p. 183 et suiv. ; A. Ganda, « “Quest’edizione ben volentieri la fo, perché ho interesse” : Giuseppe Pomba e la pubblicazione di Felix Papencordt : Cola di Rienzo e il suo tempo (Torino, 1844) », Bibliotheca. Rivista di studi bibliografici, III, 2004, no 1, p. 65-95.
51 ASV, Miscellanea, Armoire XV, no 45. Y sont conservées les lettres de la période 1350-1354, alors que celles de l’année 1347 et celles relatives à l’aventure de Giannino di Guccio sont présentées dans deux groupes différents de manuscrits. Voir à ce sujet les introductions philologiques dans Briefwechsel…, ouvr. cité, et dans Epistolario di Cola, ouvr. cité.
52 F. Papencordt, Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter, C. von Höfler (éd.), Paderborn, F. Schöningh, 1857.
53 La vita di Cola di Rienzo, tribuno del popolo romano, scritta da incerto autore nel secolo decimo quarto, ridotta a migliore lezione, ed illustrata con note ed osservazioni storicocritiche da Zefirino Re […] con un commento del medesimo sulla canzone del Petrarca ‘Spirto gentil che quelle membra reggi’, Forlí, L. Bordandini, 1828.
54 R. Wagner, ‘Rienzi, der Letze der Tribunen’. Grosse tragische Oper in fünf Aufzügen, nach Bulwers gleichnamen Roman, G.R. Kruse (éd.), Leipzig, Reclam, 1913 [1re éd. all. Leipzig, 1842 ; livret it. A. Boito, Roma, F. Lucca, 1880 ; G. Manacorda, Firenze, Sansoni, 1921, 1940 (2e édition)] ; livret en fr. Paris, Hachette Livre Bnf, 2013, reprend la 1re éd. Billaudot de 1869, paroles de C. Nuitter et J. Guillaume; M. Russel Mittford, ‘Rienzi’, a Tragedy in Five Acts, Londres, 1828. Sur le sujet, voir F. Onorati, « Dal romanzo di Bulwer-Lytton al libretto di Wagner », dans Cola di Rienzo. Dalla storia al mito, ouvr. cité, p. 237-283.
55 F. Onorati, art. cité, p. 242-253. John Barnett, Domenico Lucilla, Venceslao Persichini, Luigi Ricci-Stolz écrivirent également sur ce thème ; aussi bien Giuseppe Verdi que Gaetano Donizetti envisagèrent d’écrire un opéra, mais y renoncèrent pour ne pas rencontrer de problèmes de censure.
56 G. Moroni, Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica da San Pietro sino ai nostri giorni, Venise, Tipografia Emiliana, vol. XIV, 1842 ; voir aussi L. Ceccarelli, art. cité, p. 308.
57 G. Moroni, ouvr. cité, vol. XIV, 1842, p. 35 et suiv. ; vol. XXXV, 1845, p. 311. Cola figure aussi dans l’index général de l’œuvre.
58 Voir, L. Ceccarelli, art. cité, p. 317-323.
59 N.D.T. : grand poète populaire romain d’expression dialectale du xixe siècle, né et mort à Rome, qui a composé en romanesco 2279 Sonetti romaneschi qui chantent le peuple romain.
60 G.G. Belli, Lo scordarolo, sonnet du 4 juin 1835, dans Sonetti, G. Vigolo (éd.), Milan, Mondadori, 1978 (6e édition), vol. II, p. 2125, son. 1571 ; voir à ce sujet M. Teodonio, « “L’ho ttrovo, eccolo qua: Ccola d’Arienzo”. Un sonetto di Belli », dans Cola di Rienzo. Dalla storia al mito, ouvr. cité, p. 123-134.
61 Ce Cola était un fieffé gredin/Malgré tout je barboterais dans la joie/S’il relevait la tête de sa tombe.
62 F Gregorovius, ouvr. cité. À propos de cet historien, voir P.F. Palumbo, ouvr. cité, p. 223 et suiv. ; A. Forni, « Ferdinand Gregorovius storico di Roma medievale », dans Roma medievale. Aggiornamenti, ouvr. cité, p. 13-24 ; G. Arnaldi, « Tramonto e rinascita di Roma nella ‘Storia’ di Gregorovius », dans Società, Istituzioni, Spiritualità. Studi in onore di Cinzio Violante, Spolète, CISAM, 1994, 2 vol., vol. I, p. 109-122.
63 Voir à ce propos F.M. di Carpegna Falconieri, L’Italia nella poesia tedesca, Rome, Fratelli Palombi, 1997.
64 Gregorovius, ouvr. cité, l. XI, p. 422 et suiv.
65 Gregorovius, ouvr. cité, p. 313, n. 39 ; p. 326, n. 50 ; p. 292, n. 15.
66 Voir A. Giardina, A. Vauchez, ouvr. cité, p. 150.
67 N.D.T. : en français dans le texte.
68 Voir Tordi, art. cité.
69 Voir F. Matitti, art. cité, p. 303-304 ; L. Ceccarelli, art. cité, p. 310-311.
70 L. Ceccarelli, art. cité, p. 311.
71 P. Chocholoušek, Cola di Rienzi, Prague, Tisk a sklad Kateřiny Jeřábkové, 1856.
72 A. Asnyk, Cola Rienzi, Cracovie, Nowolecki, 1873 ; voir B. Bronislaw, « ‘Cola Rienzi’ dramma storico del XIV sec. in 5 atti scritto da Adam Asnyk (1873) », dans Strenna dei romanisti, Rome, Roma Amor, 1983, p. 43-64.
73 M.C. Astraldi, Cola di Rienzo tribuno del popolo romano, Sanremo, Tipolitografia Arbuffo e Vachieri, 1886 ; P. De’ Virgilii, ‘Rienzo’. Dramma storico, Naples, Lombardi, 1861 (l’entreprise de Cola y est considérée comme une des trois grandes révolutions italiennes, avec les Vêpres siciliennes et Masaniello) ; G. Franceschi, Cola di Rienzo, Bologne, Fava e Garagnani, 1868 ; voir (aussi pour de nombreux auteurs) L. Biancini, art. cité, et A.-Ch. Faitrop Porta, « Il Cola tragedia risorgimentale di Goffredo Franceschi », dans Cola di Rienzo. Dalla storia al mito, ouvr. cité, p. 183-204. Entre 1820 et 1889, on produisit en Italie au moins treize tragédies, quatre livrets musicaux et un ballet ayant Cola pour sujet.
74 P. Cossa, Cola di Rienzi, Turin, Casanova, 1879 ; voir P. Barone, art. cité. La pièce fut représentée pour la première fois en 1873. Ce n’est pas par hasard si le dramaturge est gratifié d’une statue place de la Liberté, c'est-à-dire précisément au début de la via Cola di Rienzo.
75 Parmi les études philologiques, voir F. Torraca, « Cola di Rienzo e la canzone ‘Spirto gentil’ di Francesco Petrarca. (Osservazioni vecchie e nuove) », dans Archivio della Società romana di storia patria, VIII, 1885, p. 141-222 ; A. Gabrielli, « L’epistole di Cola di Rienzo e l’epistolografia medievale », ibid., XI, 1888, p. 381-479 ; G. Brizzolara, « Il Petrarca e Cola di Rienzo », Studi storici », VIII, 1899, p. 239-251, 423-463 ; Id., « Ancora Cola di Rienzo e Francesco Petrarca », ibid., XII, 1903, p. 353-411 ; XIV, 1905, p. 69-101, 243-277. L’édition des lettres se trouve dans Epistolario di Cola, ouvr. cité. Sur la situation de la culture à Rome à cette époque, voir « Roma punto d’incontro e di nuove aperture alla cultura europea dal 1870 al 1914 », numéro monographique de l’Archivio della Società romana di storia patria, C, 1977.
76 C. Lombroso, Due tribuni, Rome, Sommaruga, 1883.
77 N.D.T. : connu en français sous le nom de « Christ de l’Amiata » (du mont Amiata en Toscane). Prédicateur religieux, charretier de son métier, fondateur et chef d’un mouvement pénitentiel et ascétique à fondement familial et solidaire (d’après l’encyclopédie Treccani).
78 C. Lombroso, Tre tribuni studiati da un alienista, Turin, G. Baglione, 1888. Le cas de di Lazzaretti avait déjà fait l’objet d’une autre de ses études : Id., Pazzi ed anormali, Città di Castello, S. Lapi, 1886, 1890 (2e édition).
79 D’Annunzio, ouvr. cité. Les citations sont tirées de l’édition de 1921. Voir à propos de cette œuvre de D’Annunzio les essais de B. Basile, « La morte di Cola di Rienzo (secondo D’Annunzio) », dans Su/per Gianfranco Contini, fasc. spécial de Filologia e Critica, XV, 1990, p. 591-603 ; P. Gibellini, « Il Cola di Gabriele D’Annunzio », Cola di Rienzo. Dalla storia al mito, ouvr. cité, p. 79-99 ; F. Cardini, « Il Medioevo in Gabriele D’Annunzio », dans « Studi medievali e immagine del Medioevo fra Ottocento e Novecento », ouvr. cité, p. 151-166, plus précisément les p. 162-164.
80 D’Annunzio, dans ouvr. cité, Proemio dell’Autore, p. XXI.
81 D’Annunzio, ouvr. cité, p. XX. Voir aussi p. LXXXV : « Pur quando ero a comporla, mi sembrava da me distante; e nondimeno ogni frase cosí polita, se la rileggevo attento, mi ammaestrava su la conoscenza di me medesimo ; ché sempre lo stile non è se non una incarnazione illuminante, ed ogni pittura non è se non l’imagine del pittore » [Et pourtant quand je la composais, elle me semblait loin de moi ; cependant, chaque phrase ainsi polie, si je la relisais attentivement, m’instruisait sur la connaissance de moi-même ; car le style n’est jamais qu’une incarnation illuminante, et chaque peinture n’est que l’image du peintre].
82 D’Annunzio, ouvr. cité, p. LIX : « La fragranza del beato Trecento si diffondeva tra gli scaffali » [la fragrance du Trecento béni se répandait alors dans les rayonnages de la bibliothèque].
83 D’Annunzio, ouvr. cité, p. XXXVIII : « Non ero ebro se non di me » [Je n’étais pas ivre sinon de moi].
84 D’Annunzio, ouvr. cité, p. 13-14. In verità, egli nacque d’infima plebe né mai poté cancellare da sé il marchio plebeo, ché anzi ne restò impresso ogni suo atto insino alla morte.
85 N.D.T. : titre créé motu proprio par Victor Emanuel III, sur proposition du premier ministre Benito Mussolini pour Gabriele D’Annunzio.
86 Il avait déjà fait la même chose en 1901 dans Francesca da Rimini, où Gianciotto, l’assassin des deux amants, est également la seule grande âme morale de l’œuvre.
87 N.D.T. : aujourd’hui Rijeka.
88 Voir P. Gibellini, art. cité, p. 93-96 ; voir aussi D. Iacono, « Condottieri in camicia nera: l’uso dei capitani di ventura nell’immaginario medievale fascista », dans Medievalismi italiani (secoli XIX-XXI), T. di Carpegna Falconieri, R. Facchini (éd.), Rome, Gangemi, 2018, p. 53-66 : p. 59-61.
89 Briefwechsel…, ouvr. cité.
90 K. Brandi, « Cola di Rienzo und sein Verhältnis zu Renaissance und Humanismus », Vierteljahrsschrift für Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte, IV, 1926, p. 595-614 ; Id., Vier Gestalten aus der italienischen Renaissance. Dante, Cola di Rienzo, Machiavelli, Michelangelo, Munich, Bruckman, 1943, p. 33-61 ; La vita di Cola di Rienzo, A.M. Ghisalberti (éd.), Florence, Olschki, 1928 ; P. Piur, ouvr. cité.
91 K. Burdach, Reformation, Renaissance, Humanismus, Berlin, Weidmannsche Buchhandlung, 1918, trad. it. Florence, Sansoni, 1935, 1986 (2e édition).
92 P. Piur, ouvr. cité, p. 78 et aussi p. 204 ; voir G. Seibt, Anonimo romano, ouvr. cité, p. 133.
93 N.D.T. : Pietro Micca (1677-1706), enrôlé volontaire dans l’armée de la maison de Savoie, mourut lors de la défense de Turin contre les troupes françaises, Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 74 ; Giovan Battista (Giambattista) Perasso, dit Balilla (Gênes 1735-Gênes 1781), identifié selon la tradition comme le jeune garçon qui aurait ouvert par un jet de pierre le soulèvement contre les troupes autrichiennes. Il est cité dans l’hymne national italien et peut être comparé au Gavroche des Français. Mais Balilla devint aussi le nom de l’organisation d’encadrement de l’enfance et de l’adolescence fasciste, ce qui lui donne une connotation bien différente depuis 1926.
94 Voir P. Piur, ouvr. cité, p. VII ; A. Collins, « Cola di Rienzo, the Lateran Basilica…», art. cité, p. 181. Voir aussi J. Macek, « Racines sociales… », art. cité, qui juge que la tentative de Cola est un mouvement populaire révolutionnaire à caractère antiféodal.
95 On peut rappeler par ex. G. Sensi, Vita di Cola di Rienzo, Gênes, Studio editoriale genovese, 1927.
96 N.D.T. : Ettore Petrolini (1884-1936), acteur, dramaturge, écrivain et scénariste italien, spécialisé dans le genre comique.
97 A. Giardina, A. Vauchez, ouvr. cité, p. 205-206. Italo Balbo lui-même aurait dit en privé à Indro Montanelli que Mussolini méritait la fin de Cola : L. Ceccarelli, art. cité, p. 326-327.
98 N.D.T. : voir note 57, chap. II.
99 S. Bertoldi, Piazzale Loreto, Milan, Rizzoli, 2001, p. 251-254, propose une longue comparaison entre les deux morts.
100 P. Piur, ouvr. cité, p. VII.
101 Voir à ce propos A. Kubizek, Adolf Hitler, mon ami d’enfance, Paris, Gallimard, 1954 (7e édition) [Mein Jugendfreund, Graz, Stocker Leopold Verlag, 1975 ; Adolf Hitler, the Young Friend I Knew, translated from the German by E.V. Anderson, with an introduction by H.R. Trevor-Roper, Westport (Connecticut), Greenwood Press, 1976 (3e édition)].
102 A. Kubizek, Adolf Hitler, the Young Friend, p. 98-101 de l’édition américaine. Sur la crédibilité, verifiée, du témoignage de Kubizek : B. Novak, « Hitler’s Rienzi Experience: Factuality », Revista de Historia Actual, vol. 5, no 5, 2007, p. 105-116.
103 Plus généralement voir V. Loseman, « The Nazi Conception of Rome », dans Roman Presences. Reception of Rome in European Culture, 1789-1945, C. Edwards (éd.), Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1999. De ces mêmes années datent les ouvrages de A. Damaschke, Cola di Rienzo. Von einer Zeitenwende und einem Volkstribunen, Bâle, Braus-Riggenbach, 1935, et de H. Vielstedt, Cola di Rienzo. Die Geschichte des Volkstribunen, Berlin, Fischer, 1936, qui émettent l’hypothèse que le régime de Cola est proto-fasciste. Une image de propagande nazie bien connue montre Hitler en habit de chevalier : « Der Bannerträger » (Le porte-drapeau) de Hubert Lanzinger.
104 J.L. Borges, récit « Thème du traître et du héros », dans Fictions, traduit de l’espagnol par P. Verdevoye, Ibarra et Roger Caillois, nouvelle édition augmentée, Paris, Gallimard, 1983, p. 127-131.
105 V. Fleischer, Cola di Rienzo. The Rise and Fall of a Dictator, Londres, The Aiglon Press, 1948 ; voir A. Collins, « Cola di Rienzo, the Lateran Basilica…», art. cité, p. 182.
106 Voir L. Ceccarelli, art. cité, p. 325-326.
107 F. Mazzei, Cola di Rienzo. La fantastica vita e l’orribile morte del tribuno del popolo romano, Milan, Rusconi, 1980 ; U. Reale, Vita di Cola di Rienzo, Rome, Editori Riuniti, 1982, 2e éd. Rome, Newton Compton, 1991. M. Lunetta, Coca-Cola di Rienzo Story, Bologne-Ferrare-Milan, Book, 1991. La rareté des interventions ayant pour thème Cola a été soulignée également par Girolamo Arnaldi dans son discours inaugural du Colloque Cola di Rienzo, ouvr. cité ; voir aussi L. Ceccarelli, art. cité. Pour les autres œuvres théâtrales du xxe siècle ayant Cola comme protagoniste, voir L. Biancini, art. cité.
108 Voir respectivement G. Contini, art. cité ; Anonimo romano, Vita di Cola di Rienzo, A. Frugoni (éd.), Florence, Le Monnier, 1957 ; Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité ; G. Seibt, Anonimo romano, ouvr. cité. Pour une édition encore plus récente (qui cependant ne remplace pas celle éditée par Porta), voir Cronica : vita di Cola di Rienzo, intr. et notes de E. Mazzali, Milan, Rizzoli, 1991. Première édition traduite en français : L’Anonyme romain, Chronique, ouvr. cité, 2015.
109 Voir à ce propos les nombreuses études de J. Macek, parmi lesquelles on signale surtout « Pétrarque et Cola di Rienzo », art. cité., et « Racines sociales… », art. cité. Voir aussi A. Molnara, art. cité.
110 Dupré Theseider, Roma dal comune…, ouvr. cité, p. 517. Voir G. Arnaldi, « Una storia “fra tragica e ridicola” : i Romani di Roma e l'idea imperiale nel pensiero di Eugenio Dupré Theseider », dans La storiografia di Eugenio Dupré Theseider, A. Vasina (éd.), Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 2002, p. 61-72.
111 E. Dupré Theseider, Roma dal comune…, ouvr. cité, p. 551.
112 R. Morghen, Cola di Rienzi tribuno. Lezioni di storia medioevale, Rome, Edizioni dell’Ateneo, 1955. Voir I. Lori Sanfilippo, « Raffaello Morghen e Roma », dans Raffaello Morghen e la storiografia del Novecento, L. Gatto, E. Plebani (éd.), Rome, Casa editrice Università degli studi di Roma La Sapienza, 2005, p. 45-57, spéc. p. 53-54.
113 R. Morghen, « Il mito… », art. cité.
114 N.D.T. : titre d’un livre de R. Morghen que l’on peut traduire par « Le déclin de la civilisation médiévale ».
115 R. Morghen, « Il mito… », art. cité, p. 187 ; voir aussi G. Vinay, « Cola di Rienzo e la crisi dell’universalismo medievale », Convivium, II, 1948, p. 96-107.
116 Voir M. Miglio, A. Modigliani, art. cité., p. 31. Voir aussi Delle Donne, « L’Anonimo “nel mezzo della storia” », dans G. Seibt, Anonimo romano, ouvr. cité, p. VII-XXVI, plus spécialement p. IX.
117 J.-Cl. Maire Vigueur, « Il comune… », art. cité, p. 151 ; voir P. Piur, ouvr. cité, p. 205. Voir aussi J.‑Cl. Maire Vigueur, « Cola di Rienzo: un piccolo grande borghese », Medioevo, IV 2000, 1 p. 61-65 ; et en français J.-Cl. Maire Vigueur, L’autre Rome…, ouvr. cité, p. 338-344.
118 S. Carocci, Baroni di Roma…, ouvr. cité.
119 A. Rehberg, Kirche und Macht…, ouvr. cité.
120 Cl. Gennaro, art. cité ; M. Miglio, « Gruppi sociali… », art. cité ; F. Allegrezza, Organizzazione…, ouvr. cité.
121 J.-Cl. Maire Vigueur, « Les ‘casali’ des églises romaines à la fin du Moyen Âge », Mélanges de l’École française de Rome, IXXXVI, 1974, p. 63-136, Id., L’autre Rome…, ouvr. cité, p. 104-115.
122 J.-Cl. Maire Vigueur, « Cola di Rienzo », art. cité, p. 669 ; la citation est tirée de Id., « Il comune romano », art. cité, p. 50.
123 G. Seibt, Anonimo romano, ouvr. cité, p. 133.
124 D. Ellero, « Nota introduttiva », dans Dante Alighieri, Le opere, vol. IV, Monarchia, Appendice III, Cola di Rienzo, In Monarchiam Dantis Commentarium, ouvr. cité, p. 395 (éd. 2013) ; les autres éditions sont : Cola di Rienzo, Commentario, ouvr. cité (2004) ; Cola di Rienzo, In Monarchiam Dantis commentarium, ouvr. cité (2015).
125 D. Ellero, « Nota introduttiva », art. cité, p 395 ; R. Ronzani, « Dante, Cola di Rienzo e il Mysterium Lunae », art. cité, p. 9-10 (article dans lequel on tente de présenter Cola comme un peu moins adversaire du pape qu’il ne l’a été).
126 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité. Une information trouvée sur le web fait état d’une édition américaine qui serait en cours.
127 B. Grévin, Rhétorique du pouvoir médiéval, ouvr. cité, spéc. p. 803-822
128 B. Grévin, ouvr. cité, p. 804.
129 D. Internullo, ouvr. cité ; bien entendu, Cola est cité à plusieurs reprises dans le livre, voir plus spéc. les p. 202-208, 327-329, 340-343, 436-438, 457-460.
130 A. Collins, Greater than Emperor, ouvr. cité ; R. Musto, Apocalypse in Rome…, ouvr. cité. Les livres de Collins et Carpegna Falconieri sont mis en confrontation, commentés et amendés par A. Rehberg, « Cola di Rienzo, l’uomo politico romano. Annotazioni intorno a due nuove pubblicazioni », RR Roma nel Rinascimento, 2003, p. 5-16, et par M.G. Blasio, « Opera fantastica e di poco durare », art. cité.
131 Cf. R. Musto, Apocalypse in Rome…, ouvr. cité, p. 21-22.
132 Voir plus spéc. les chap. 6, 7, 12, 13 (p. 117-129, 140-142, 226-27, 259, 267-68, 274-290, 296-97, 325-27, 358-360). La référence à l’effet miroir avec le monde contemporain diffusée par les millénarismes se trouve, dans Musto seulement dans le titre, alors que Collins y fait explicitement allusion aux p. 126 di Greater than Emperor, ouvr. cité.
133 R. Musto, Apocalypse in Rome…, ouvr. cité, p. 344. Cf. Ap. 8,1 : « Factum est silentium in caelo quasi media hora » et Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 264: « Là addutto, fu fatto uno silenzio. Nullo omo era ardito toccarelo. Là stette per meno de ora » ; Anonyme romain, Chronique…, ouvr cité, p. 299 « Une fois qu’il eut été conduit là, un grand silence se fit. Personne n’osa le toucher. Il resta là un peu moins d’une heure. »
134 Il y a peu d’exceptions hormis quelques livres de vulgarisation, comme celui de C. Fracassi, Cola di Rienzo. Roma, 1347: la folle vita del rivoluzionario che inventò l'Italia, Milan, Mursia, 2017. En 2005 sortit en France un livre sur Cola di Rienzo qui s’avéra être un plagiat de mon livre (sorti en Italie en 2002) et fut retiré rapidement de la vente. Cola a « fait » la photo de couverture et l’objet d’un gros dossier de J.-Cl. Maire Vigueur, « Cola di Rienzo. L’ultimo tribuno », MedioEvo. Un passato da riscoprire, a. 10, no 3, 119, mars 2006, p. 93-121; plusieurs années après, il a à nouveau eu l’honneur d’une couverture en qualité de protagoniste parmi d’autres dans « In nome del popolo. Leader e rivolte che hanno infiammato l’età di mezzo », numéro monographique de Medioevo Dossier, 30, janvier-février 2019. On peut aussi rappeler l’émission « Cola di Rienzo, il tribuno del popolo » produite par Rai Storia en 2016, émission qui faisait partie de la série documentaire Cronache dal medioevo de Cristoforo Gorno, dont l’auteur de ce livre a été le conseiller historique.
135 R. Musto, Apocalypse in Rome…, ouvr. cité, p. 347.
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