Chapitre V
Deux mois au pouvoir (1354)
p. 197-227
Texte intégral
1. Sénateur de Rome
1Le 26 mars 1354, le pape répondit aux pressantes requêtes des Pérugins pour les aviser qu’il avait invité son légat à accéder à leur désir de voir Cola investi du gouvernement de Rome. Mais en s’adressant directement à Albornoz, il lui laissait les mains libres tout en lui demandant de peser attentivement la question à l’aune de sa grande expérience1. Le cardinal jouissait, par conséquent, d’une grande liberté d’action, mais le désir du pape était clair. Gil de Albornoz, un des esprits politiques les plus compétents et réalistes de son temps, nourrissait encore de sérieux doutes quant à l’opportunité de confier à Cola une charge qui surpassait celle de simple cavalier dans ses troupes. Même si le pape avait pardonné rapidement et s’était immédiatement convaincu de la bonne foi de Cola, et quand bien même les Pérugins l’importunaient en permanence, le légat n’avait pas l’intention d’imposer à Rome quelqu’un qui, devenu seigneur, allait probablement échapper à tout contrôle. Compte tenu de son parcours, en effet, Cola était objectivement tout sauf fiable. De plus, l’opération était certainement susceptible d’entraîner une aggravation des dépenses, déjà très élevées, engagées pendant la campagne.
2La ville de Rome, bien qu’elle soit toujours au bord de l’anarchie, était encore dirigée par un magistrat qui se déclarait formellement comme étant sous les ordres du pontife et qui, à la tête d’un gouvernement populaire, garantissait un certain contrôle de l’Église. Déjà au mois de janvier, des émeutes avaient éclaté, et en cette occasion le cardinal, qui tenait beaucoup à la solidité du régime, avait envoyé un contingent de mercenaires pour soutenir Baroncelli, le laissant ensuite là en garnison pendant deux mois environ.
3Avec le temps, cependant, la situation à Rome devint plus difficile. Une fois passé le semestre de gouvernement de Baroncelli (qui allait bientôt mourir de mort naturelle), le 13 mars 1354, le cardinal confia Rome à Guido di Giordano Patrizi dell’Isola, un ancien partisan de Cola lui aussi. Celui-ci ne prit pas le titre de tribun mais celui de sénateur, et se montra moins compétent et moins ferme que son prédécesseur. Au début de l’été, pendant cette période de pénurie alimentaire qui précède toujours la nouvelle récolte, le risque que la cité se révolte et qu’elle change de régime en redonnant le pouvoir aux barons pouvait se concrétiser. Les Orsini di Marino étaient ouvertement hostiles à l’Église, et Stefanello Colonna commençait à constituer des ligues pour faire tomber le régime populaire. Il était donc souhaitable de remplacer le sénateur Guido Patrizi par un homme à poigne qui rétablisse rapidement le calme. Cola, qui avait déjà vu deux anciens disciples prendre le poste que probablement il estimait lui revenir de droit, devait trépigner d’impatience.
4Un jour de juillet, Cola demanda à être reçu par le cardinal, qui était à Montefiascone2. Il se présenta avec les frères de fra Moriale, habillé d’écarlate fourrée de vair et brodée d’or, une épée ornée, et entouré d’une suite très élégante. Cola fit étalage devant le cardinal de la puissance dont il disposait maintenant que Rambaud lui avait donné de l’argent. Il était fier, dit l’Anonyme, qui le dépeint alors qu’il donne d’orgueilleux coups de menton, comme s’il disait : « Chi so’ io ? Io chi so’ ?» [Qui suis-je, moi ? Moi, qui suis-je ?]. Cola annonça au vicaire du pape qu’il pouvait enrôler à ses frais un contingent et qu’il disposait de la force nécessaire pour entrer dans Rome. S’il l’envoyait dans l’Urbs, il lui ouvrirait la route ; c’étaient là des mots très semblables à ceux qu’il avait écrits, quelques années auparavant, à l’empereur. Albornoz se laissa convaincre et le nomma sénateur.
5Cola commença immédiatement à recruter des hommes armés. Il y avait, cantonnés à Pérouse, seize détachements de cavalerie qui venaient d’être congédiés par Malatesta, seigneur de Rimini ; celui-ci avait conclu un accord avec fra Moriale, à qui il avait versé 40 000 florins pour ne pas subir de dévastation et qui pouvait donc démobiliser une partie de ses troupes. De nombreux hommes de Malatesta étaient immédiatement partis renforcer la Grande Compagnie et on peut considérer que ceux qui étaient restés à Pérouse, et que Cola voulait enrôler avec l’argent de Rambaud et le consentement de fra Moriale, n’étaient au fond qu’un détachement de ladite compagnie. Cola promit un mois payé d’avance et, le travail fait, une solde à perpétuité. Les chefs militaires discutèrent entre eux de l’opportunité de suivre un simple chevalier dans une entreprise qui s’annonçait risquée, contre des ennemis bien armés et adversaires du sénateur. En bons mercenaires, ils se mirent finalement d’accord pour l’accompagner jusqu’à Rome, où ils décideraient de ce qu’ils feraient. Il n’est pas douteux qu’en cette occasion, le placet donné par le cardinal et par fra Moriale fut d’une grande utilité.
6À la fin du mois de juillet, après qu’Albornoz l’eut obligé à prêter toutes sortes de serments et à donner des garanties, Cola se mit en marche avec environ deux cent cinquante cavaliers allemands et bourguignons, quelques Pérugins et une centaine de fantassins toscans. Il entra dans Rome le 1er août 1354. Cette date revêtait une haute signification symbolique puisque selon le calendrier liturgique, on fêtait la Saint-Pierre-aux-Liens. Cette signification, cependant, était encore plus claire dans l’esprit de Cola et de ses partisans qui, attentifs au symbolisme des nombres et des dates, observaient que, sept ans plus tôt, c’était ce même jour du mois qui portait le nom de l’empereur romain que le tribun de Rome avait été consacré chevalier du Saint-Esprit ; puis en 1350, c’était ce jour-là que Cola était entré dans Prague et, selon l’Anonyme, ce même jour de 1353, qu’il était sorti de sa prison d’Avignon. Comme saint Pierre, Cola avait été libéré des liens qui l’entravaient. Maintenant, c’était au nom de saint Pierre qu’il entrait dans la cité apostolique. Il l’avait gouvernée sept mois ; sept ans après, il y retournait en vainqueur3.
7La cavalerie de Rome sortit à la rencontre de la petite armée, et reçut Cola sur le mont Mario, des rameaux d’olivier à la main en signe de victoire et de paix. Le peuple l’accueillit avec joie, « comme s’il était Scipion l’Africain4 ». On éleva des arcs de triomphe de bois et de feuillages, on tendit des draperies brodées d’or et d’argent, et Cola entra dans la cité en passant par la porte du Castello5, selon l’antique cérémonial d’entrée des papes et des empereurs. Il fut conduit au Capitole et y prononça immédiatement un discours. Il dit que, comme Nabuchodonosor, roi des Perses, il avait erré sept ans loin de chez lui, mais qu’il y revenait aujourd’hui par la puissance de Dieu, fait sénateur par la bouche du pape.
8Bien que dans les sources officielles il soit toujours appelé sénateur, Cola reprit peut-être, au moins de façon informelle, son titre si caractéristique de tribun, par lequel le désignent les sources narratives de son époque. Mais le soleil et les rayons d’or de ses armoiries devaient maintenant céder la moitié du champ aux armes de l’Église. Nonobstant son entrée en vainqueur, l’été 1354 n’avait que peu à voir avec celui de sept ans auparavant. Cola, qui avait jadis soulevé la cité et s’était mis à sa tête, y revenait maintenant dans la peau d’un magistrat fidèle au pape, envoyé par un cardinal – qui se trouvait à proximité avec son armée – dans le but de remettre sur pied un régime populaire vacillant6. Ce n’était donc plus un capopopolo, mais un officier : ce n’était plus un joueur, mais une pièce sur l’échiquier. Et à l’Anonyme, qui la compare à celle du Christ à Jérusalem le dimanche des Rameaux avant la Passion, son entrée triomphale et chaleureuse paraît sinistre7.
9Peu de documents ont été conservés pour cette période où Cola fut sénateur et, par rapport à celle du tribunat, les informations dont nous disposons sont, par conséquent, bien moindres. Le sénateur procéda immédiatement au rétablissement de l’ordre : il nomma capitaines de l’armée les deux frères Rambaud et Bertrand du Bar et leur donna le gonfalon de la cité. Puis il entreprit d’envoyer des lettres aux communautés du district pour les exhorter à l’obéissance et reçut leurs ambassadeurs. Sans même attendre un seul jour, il reprit immédiatement l’action de contrôle économique et politique des zones environnantes, action qu’il avait déjà mise en œuvre en 1347 et qui tenait beaucoup à cœur aux citoyens romains.
10Le 5 août, le cardinal Albornoz, en rendant compte au pape de l’entrée de Cola à Rome, affirme que, jusqu’à maintenant, le sénateur « se comporte bien », et formule aussi le souhait que cela continue ainsi. Cola, selon le cardinal, allait contribuer au bien commun, puisque les rebelles à l’Église le craignaient8. Nous ne savons pas si, quand il écrivait ces lignes, le légat pontifical avait déjà eu connaissance de la décision que Cola venait de prendre le jour précédent et s’il avait une idée des conséquences qu’elle allait avoir.
11En effet, le 4 août, le sénateur avait à nouveau demandé aux barons présents dans la cité de prêter serment d’obéissance et envoyé des ambassadeurs à ceux qui s’étaient enfermés dans leurs forteresses. Stefanello Colonna fut interpellé par une ambassade du popolo romain dans son château fortifié de Palestrina. Les deux envoyés étaient Giovanni Caffarelli et Buccio di Giubileo. Ce dernier, un citoyen du rione Trevi, appartenait à la famille Cenci du rione Pigna et avait déjà été un des fidèles de Cola en 1347, mais il entretenait aussi des rapports avec les Colonna9. Les envoyés prirent un ton hautain pour s’adresser à Stefanello, c'est-à-dire à celui qui était le fils et le frère des hommes massacrés sept ans auparavant, porte San Lorenzo, par la milice du tribun. Ils lui ordonnèrent de se présenter immédiatement pour prêter serment au Capitole sous peine d’encourir la colère du sénateur. Stefanello les fit emprisonner, leur fit arracher une dent et les condamna à une amende de quatre cents florins. Le jour suivant, il chevaucha autour de Rome avec sa bande et razzia tout le bétail qu’il rencontra pour aller ensuite le cacher dans la forêt de Pantano.
12Cola, ayant appris ce qui se passait, sortit immédiatement par la porte Majeure en direction de Palestrina, avec des hommes mal armés et en petit nombre, pour essayer d’attraper quelqu’un de la bande et de récupérer le bétail. Mais il ne trouva rien. Après avoir erré inutilement dans la campagne, le sénateur se réfugia à Tivoli. Le matin suivant, en apprenant que les troupeaux avaient été conduits en secret jusque dans Palestrina, il fut pris de fureur et décida d’assiéger la ville. C’est ainsi qu’au lieu de s’occuper de Rome, où il n’avait même pas séjourné une semaine, Cola s’installa à Tivoli et, de là, organisa une expédition. Bien qu’une action énergique contre les barons fût justement ce que le peuple attendait, la précipitation qu’il mit dans cette entreprise ne donna pas de bons résultats.
13Il appela l’armée romaine, commandée par ses deux capitaines, mais il manquait d’argent et n’avait pas les moyens de s’en procurer. Sept années auparavant, quand il avait réorganisé le système fiscal, il avait toujours disposé de recettes importantes. C’était maintenant différent : en entreprenant une campagne militaire immédiatement après avoir été investi, il se trouvait sous la mainmise des milices mercenaires qu’il avait enrôlées et qui réclamaient leur solde. Derrière les troupes il y avait, selon toute probabilité, fra Moriale : personne dangereuse, si on ne la satisfaisait pas. Pour parer à l’urgence, Cola obligea les officiers de la commune et les deux commandants militaires à verser à titre personnel une contribution afin de payer les mercenaires. Il s’agissait cependant d’une solution momentanée, qui avait pour résultat de transformer en ennemis ceux-là même qui l’avaient soutenu.
14Le besoin d’argent et la nécessité de s’en procurer à tout prix pour maintenir l’armée à pied d’œuvre fut donc un des éléments qui rendirent cette période de gouvernement sénatorial très différente de celle du tribunat et beaucoup plus précaire. Pour avoir de l’argent, Cola di Rienzo n’eut pas le temps – ou peut-être pas la compétence ou l’envie – de réorganiser la chose publique, mais commença à raisonner en des termes qui relevaient plus du comportement des compagnies de mercenaires. Tout d’abord, en effet, il contraignit les deux commandants à lui verser mille florins ; puis il procéda à l’incarcération de quelques citoyens dans le but de leur extorquer des sommes d’argent. Pour agir avec une précision plus grande, il compila quelques pugillari – tablettes sur lesquelles était consignée une sorte de liste de proscription –, y annotant les noms des Romains qu’il voulait taxer personnellement. Il les divisa en cinq ordres : cent personnes à cinq cents florins, cent à quatre cents, et puis celles qui valaient cent, cinquante et dix florins. Il s’agissait d’une bien étrange réédition de la timocratie du législateur athénien Solon, qui au vie siècle av. J.-C. avait réparti les citoyens en quatre classes censitaires, en mesurant sur cette base les charges économiques, les offices et droits civils. Dans le courant du mois d’août 1354, Cola di Rienzo s’était en somme engouffré dans une situation étouffante de guerre et de nécessité financière.
15Il tint un discours solennel aux Tiburtins et les convainquit d’appuyer son action contre la famille Colonna, qu’il entendait anéantir complètement. Puis il déplaça la totalité de l’armée près de Palestrina et y installa son cantonnement. Deux jours après, il assaillait la cité et y mettait le siège. Entre les Romains et les mercenaires, il avait à sa disposition mille cavaliers, et de nombreux hommes provenant du district de Rome, de Tivoli, de Velletri et des terres de l’abbaye de Farfa. Mais sa stratégie guerrière semblait improvisée. Les assaillants ne tentaient pas d’actions décisives et, peut-être par manque de forces suffisantes, ils n’avaient pas même soumis la ville à un blocus total. Les assiégés, en effet, étaient libres de leurs mouvements du côté de la montagne, d’où ils recevaient le ravitaillement et emmenaient les bêtes à la pâture, pour ensuite les ramener dans les murs. Le siège aurait pu durer éternellement.
16Les Romains le savaient, mais ils ne s’en inquiétaient guère. Il en fut probablement pour suggérer à Cola que c’était peine perdue d’essayer de contrôler les accès du côté des monts Prénestiens car, compte tenu du caractère accidenté du terrain, cette tentative se serait révélée infructueuse, voire contre-productive. En réalité, le siège manquait d’énergie parce que les deux jeunes commandants provençaux, pas plus que Cola lui-même, n’étaient des chefs militaires expérimentés tandis que les autres commandants romains – de lignées baronniales –n’avaient aucune intention de faire sérieusement la guerre. Cet attentisme des commandants ne pouvait que rencontrer la faveur de la soldatesque qui se trouvait payée, ou au moins dans l’espérance de l’être, sans devoir combattre. De plus, parmi les citoyens eux-mêmes, les partisans des Colonna étaient nombreux et leur influence ne permettait pas la constitution d’un front unique. Enfin, sur toutes choses pesait un aléa : le mandat du sénateur était révocable. Les ennemis, qui savaient que Cola gouvernait sous la surveillance du cardinal-légat, ne le craignaient que jusqu’à un certain point, estimant qu’à la première action malencontreuse, il perdrait ses faveurs. Et pour la même raison, ses amis ne le soutenaient pas à fond.
17Après plus d’une semaine de siège, l’armée, en proie à des dissensions internes, leva le camp, sans autre résultat que les dégâts commis dans une partie du contado de Palestrina. Fra Moriale était arrivé à Rome, et Cola se démenait pour résoudre ce problème.
2. Un autre homme
18L’homme qui se trouvait à la tête de l’Urbs en cet été 1354, qui haïssait les Colonna de toutes ses forces et qui, peut-être, souffrait d’insomnies parce qu’il cherchait le moyen de se procurer de l’argent, était très différent du jeune homme mince, de belle allure, qui avait fasciné la rue en 1347. Cola exerçait une autre fonction politique que celle d’alors. Le cardinal-légat, bien qu’il lui ait permis de prendre le commandement de Rome, n’aurait pas toléré de sa part une éventuelle tentative de nouer une alliance avec les cités italiennes : le cas échéant, il s’en serait chargé personnellement. Par conséquent, cette seconde prise de pouvoir de Cola n’éveillait pas de graves suspicions : le chroniqueur florentin Matteo Villani le considère comme un simple envoyé papal, très loin de vouloir réaliser cette expérience originale de pouvoir seigneurial et d’hégémonie qui avait inquiété son frère Giovanni10. Et François Pétrarque, qui avait tant louangé le tribun, se désintéressa du sénateur.
19Mais il ne s’agissait pas seulement de politique ; en effet, le Cola de 1354 était physiquement et moralement un autre homme que celui qu’il avait été sept années auparavant. Son biographe anonyme a peint un tableau très clair de cette transformation en mettant l’accent sur les terribles défauts dont Cola commença à faire preuve durant cette période. En un parallèle continu, le biographe raconte qu’autant jadis il était sobre, tempéré et abstinent, autant il était devenu un destemperatissimo vevitore [buveur invétéré]11. Cola buvait beaucoup et sans mesure. Peut-être ce goût immodéré pour la boisson trouvait-il son origine dans la thérapie – qui avait de plus en plus dégénéré – que le tribun avait suivie pendant tant d’années, en soignant avec du vin sa mystérieuse maladie. Les années de prison, l’immobilité à laquelle il avait été contraint, la consommation excessive de nourriture l’avaient rendu gras : il était grand et homme de forte corpulence, « tutto […] pieno de carni lucienti como pagone, roscio, varva longa » [tout (…) plein de chairs luisantes comme un paon, rouge, avec une longue barbe]12.
20Cette transformation physique négative donne en miroir le portrait de la décadence morale correspondante dont l’accuse l’Anonyme. L’idée d’une symétrie entre la beauté du corps et celle de l’âme, que l’on trouve déjà dans l’Antiquité, est toujours restée vivante dans les catégories de jugement habituelles. Dans ce cas, la description de l’écroulement moral – qui traduit aussi la profonde déception ressentie par l’Anonyme – trouve sa place dans un topos de l’Antiquité classique et du Moyen Âge, parce qu’elle est la représentation du bon souverain qui se transforme en tyran. Le biographe de Cola – devenu à présent un féroce accusateur – se place dans la mouvance des schémas judéo-chrétiens. Il lui reproche surtout d’avoir perdu peu à peu les vertus cardinales qu’un homme dévot au Saint-Esprit aurait dû posséder en abondance. C’était justement ces vertus que Cola avait fait peindre sur un de ses « manifestes politiques » de 1345. Sans jamais formuler son discours en des termes religieux, le biographe accuse Cola di Rienzo de ne plus avoir le sens de la justice et d’être, au contraire, profondément injuste : les exécutions sommaires et les listes de proscription dont il fut responsable en attestent. De la même façon, Cola est totalement dénué de cette vertu qu’est la prudence, puisqu’il manque de discernement et accomplit des actes excessifs, non réfléchis. Il est dépourvu de la vertu de tempérance, se montrant au contraire intempérant au dernier degré : il boit comme un trou, s’entoure d’un luxe immodéré, il est glouton, irascible, capable de changer d’avis en un clin d’œil et de pleurer et rire en même temps. Par-dessus tout, Cola n’a pas la force d’âme, au contraire, il est lâche, comme le montrera sa fin assez peu noble. L’absence de cette dernière vertu, qui est une valeur commune à la civilisation chrétienne et à celle de la Rome antique, est insupportable à l’Anonyme, qui met précisément fin à son récit de l’histoire de Cola sur cette appréciation négative, en le comparant aux courageux sénateurs de l’Antiquité : « Lo buono romano dunqua no voize morire colla coitra in capo como Cola de Rienzi morio » [Le bon Romain donc ne voulut pas mourir la couverture sur la tête comme mourut Cola di Rienzo]13.
21Cola partageait cette façon de voir en pensant à ses modèles antiques, et il eut l’occasion d’écrire : « Il est romain d’agir et souffrir avec courage14. » L’autre chroniqueur de sa fin, Matteo Villani, le qualifie « [d’] homme qui avait un grand courage15 ». Par conséquent, il est à l’heure actuelle pratiquement impossible de comprendre si son caractère et son comportement avaient réellement changé d’une façon aussi aiguë que le laisse supposer le réquisitoire sévère de l’Anonyme, ou si le chroniqueur a été influencé par sa vision postérieure, à froid, de la fin d’un perdant. Entre le mois d’août et celui d’octobre 1354, Cola di Rienzo semble surtout être un homme usé, poussé dans ses retranchements par des choix imprudents, par le désir de récupérer rapidement le temps perdu et d’obtenir la faveur du peuple, par l’impossibilité d’agir dans des formes aussi grandioses et sublimes qu’à la période du tribunat. Son action politique dut se limiter au gouvernement de la cité (mais sans risquer la moindre réforme) et à la tentative ratée de détruire la puissance des Colonna.
22Fut-il, comme on l’a écrit, un tyran prêt à tout pour se maintenir au pouvoir16, ou bien un gouvernant empêtré dans la spirale toujours plus incontrôlable des événements ? C’est bien difficile à dire. Il est vrai qu’il accomplit quelques actions cruelles, mais ce n’est pas elles qui le firent tomber. Elles suscitèrent en effet un mécontentement relativement circonscrit. Même le soulèvement populaire qui allait provoquer sa mort semble avoir été le fruit du hasard.
23Immédiatement après son retour à Rome – on était à la mi-août –, Cola décida de traiter de façon exemplaire quelques affaires pendantes dont il craignait qu’elles ne menacent la stabilité de son gouvernement. Fra Moriale s’était présenté à Rome, tellement confiant en lui-même et dans le fait que ses deux frères assuraient le commandement de l’armée romaine qu’il n’avait pas même une escorte suffisante. Cola dut considérer que l’arrivée du riche et puissant chevalier constituait une sérieuse menace. Matteo Villani écrit que le bruit d’un accord entre fra Moriale et les Colonna s’était répandu17. Je dirais plutôt que si le commandant – qui jouissait déjà d’une très haute considération chez les mercenaires – s’était entendu avec ses frères, il n’aurait pas rencontré trop de difficultés pour faire tomber le sénateur simplement en retournant l’armée contre lui. Parallèlement à cette considération, l’idée que fra Moriale était richissime – dans une source un peu plus tardive, il est qualifié de « pharaon »18 – devait faire son chemin chez Cola. La confiscation de son argent, de ses armes et de ses chevaux lui aurait donné un peu d’air : de quoi payer les troupes et continuer la guerre. Et puis, fra Moriale était peut-être venu à Rome également pour récupérer son dû, puisqu’une bonne partie de l’argent que Rambaud avait donné à Cola devait, en réalité, appartenir à son frère. Au fond, même les milices qu’il avait enrôlées n’étaient autres qu’un détachement de la Grande Compagnie. Nous n’avons pas suffisamment d’informations pour y voir clair dans ce qui s’est passé. Je crois toutefois que la raison de la venue à Rome de fra Moriale n’était pas forcément liée à un complot contre le tribun : le manque absolu de précautions du frère chevalier – personne tout autre que naïve – incite à rejeter cette hypothèse. D’autre part, l’opération que s’apprêtait à accomplir Cola peut aussi être considérée comme une tentative de se gagner les bonnes grâces des cités de l’Italie centrale – comme Florence, Pérouse, Fermo – qui avaient été harcelées par la Grande Compagnie et qui, dans l’exécution de fra Moriale, pouvaient voir et apprécier la solution radicale du problème. Cola se posait encore une fois en justicier.
24Le sénateur fit convoquer fra Moriale et, sans dire un mot, « li mise in mano un processo di tradimento cheˑffare dovea contro aˑllui, e come principe prubico di ladroni » [lui mit en main un procès en trahison qu’il devait faire contre lui, en tant que prince public des voleurs]19. Puis il le fit incarcérer ainsi que ses frères. Le chevalier, soumis à la torture en dépit de son rang, confessa les crimes dont il s’était rendu coupable. Il admit avoir rançonné les cités toscanes, les avoir obligées à payer la taille, avoir dévasté les campagnes et pris des hommes. Fra Moriale, dans la version de l’Anonyme, assume une fonction antagoniste à celle de Cola : c’est en faisant preuve d’héroïsme et pénétré de religiosité qu’il est décapité le 29 août, dans le lieu habituel où étaient exécutées les sentences capitales, au pied de la statue du lion, sous le palais du Capitole20. Son exécution, blâmée par Matteo Villani, non pas pour l’acte lui-même – puisque fra Moriale était un brigand – mais parce qu’on y lisait en filigrane la cupidité de Cola, ne suscita guère de réprobation de la part des Romains. L’argent réquisitionné servit à payer les mercenaires, à se gagner les bonnes grâces des Orsini di Castel Sant’Angelo (qui en reçurent une bonne part) et à reprendre la guerre contre les Colonna. Cola rassembla le peuple et lui tint un discours solennel où il accusa le supplicié d’avoir tenté de devenir le maître de la ville. Le jeune Rambaud fut libéré, mais Bertrand resta en prison.
25Les Romains durent être beaucoup plus impressionnés par une seconde opération de justice sommaire. Pandolfuccio di Guido Pandolfini de Franchi, qui avait été à la tête de l’ambassade reçue en 1347 par les Florentins, fut accusé de comploter pour obtenir le pouvoir. Cola, dès qu’il avait accédé à la plus haute charge, avait accordé une amnistie générale, mais il n’avait pas réglé tous ses comptes et il voulait les solder21. C’est probablement à son rapprochement avec les Colonna que Pandolfuccio dut son exécution, mais elle est aussi emblématique de la distance qui existait entre Cola et ses anciens partisans, qui avaient accueilli avec tiédeur son retour. Il procéda donc à un début d’épuration parmi ceux de ses premiers soutiens qui, à l’évidence, avaient changé de camp dans les années qui avaient suivi 1347. Pandolfuccio fut décapité « senza misericordia e cascione alcuna » [sans miséricorde et sans aucune raison]22. Le trouble gagna les Romains et ils commencèrent à avoir peur : pendant les assemblées générales, dit l’Anonyme, ils ne prenaient plus la parole, et personne n’osait contredire l’ancien tribun, qui semblait donner des signes évidents de déséquilibre. Pendant ce temps, Luca Savelli et les Colonna dénonçaient auprès du peuple l’infamie de la mort de Pandolfuccio23.
26Continuellement taraudé par la nécessité de payer les troupes, préoccupé par sa propre sécurité, Cola prit d’autres mesures, sans jamais cesser d’écrire et de penser à ce qu’il fallait faire. Il paya les soldats, en licencia une partie et confia le commandement de l’armée à Riccardo, seigneur de Montecompatri, un capitaine expérimenté appartenant à la famille baronniale des Annibaldi. Le nouveau commandant mit en place de nombreuses compagnies d’hommes aux alentours de Palestrina et mena une campagne de razzias qui porta bientôt ses fruits, si bien que les Colonna semblaient désormais prêts à traiter. Mais Cola, brusquement et pour des raisons que nous ignorons, enleva le commandement à Annibaldi, permettant aux Colonna de reprendre souffle, de retrouver le contact avec Rome et de se préparer à réagir.
27L’argent de fra Moriale ne pouvait durer plus que quelques jours. Pour avoir de quoi payer les soldats, il s’imposa, ainsi qu’à sa suite, une réduction des dépenses somptuaires. Dans le même temps, il augmentait la pression fiscale, créant une nouvelle taxe sur le vin, sur le sel et sur d’autres denrées de première nécessité, qu’il appela sussidio [subside]. Cet impôt rapportait beaucoup d’argent et ne paraît pas avoir été trop mal vu par les Romains, qui le tolérèrent au début parce qu’ils pensaient qu’il allait garantir la bonne issue de la guerre, avec comme conséquence le contrôle du district. Mais le besoin d’argent poussa Cola à aller encore plus loin et, comme on l’a dit plus haut, à séquestrer certaines personnes pour obtenir une rançon. Pour être certain de ne pas tomber, victime d’un soulèvement, il recruta une milice de cinquante fantassins par rione. Les jeunes enrôlés devaient accourir au Capitole au moindre signal d’alarme, mais en guise d’argent, ils ne recevaient que des promesses.
28Pendant ce temps, le cardinal Albornoz l’observait de loin, et envoyait certainement à Avignon des informations sur ce qu’il faisait. Le 7 septembre arriva à Rome la ratification pontificale de sa nomination en qualité de sénateur. La lettre, partie de Provence le 5 août, avait, de façon étonnante, mis plus d’un mois pour arriver à destination. Peut-être Albornoz avait-il préféré la retenir quelques jours par devers lui, pour jauger les développements de la situation.
29Le 9 septembre, Innocent VI écrivit au cardinal-légat d’attribuer de nouveau la charge à Cola, et deux jours après, il envoyait une lettre au sénateur, en l’invitant à gouverner avec droiture24. Dans la clause de confirmation, le pontife élimina explicitement la référence à la durée du mandat, en reconnaissant le caractère spécial de la mission de Cola. Celui-ci pouvait rester en charge tant qu’il avait l’assentiment du pape ou du vicaire, de façon à avoir le temps d’accomplir sa mission. On considéra en effet qu’un mandat trop bref nuisait au gouvernement. La certitude d’un gouvernement long et non contraint par des échéances temporelles devait obliger les hommes méchants à s’abstenir d’accomplir de mauvaises actions et inviter les hommes bons à se comporter encore mieux. Dans la pensée du pape et du consistoire, le fait que le pouvoir de Cola dépende totalement du bon vouloir du pontife et du vicaire devait l’induire à se comporter lui aussi de façon plus modérée et à persévérer dans la dévotion de l’Église.
30Évidemment, des informations concernant les actes brutaux de justice et de guerre que Cola mettait en œuvre sans modération avaient dû parvenir jusqu’aux oreilles d’Innocent VI. Mais, en lui donnant un pouvoir dictatorial, le pape et Albornoz n’avaient peut-être pas une connaissance exacte de l’état de tension nerveuse qui avait assailli le sénateur. Cola, qui avait voulu aller à Rome « nonostante che predetto li fosse, o per revelazione di spirito immondo o per altro modo, che a romore di popolo sarebbe morto » [nonobstant qu’il lui ait été prédit, ou par révélation d’un esprit immonde ou d’une autre façon, qu’il mourrait par suite d’une révolte du peuple]25, avait peur de finir assassiné, et selon certains, demandait conseil à son antique miroir étrusque dans lequel vivait l’esprit de Fiorone. En outre, la descente en Italie de l’empereur élu Charles IV ne devait pas être un mince sujet de préoccupation, parce que l’entrée à Rome de ce dernier pour recevoir la couronne impériale allait représenter un moment particulièrement dangereux. Mais il ne tenta pas de dissuader l’empereur d’entreprendre le voyage et l’exhorta au contraire à se rendre à Rome le plus tôt possible pour rejoindre son épouse. Il le remercia de sa bienveillance et de la grâce spéciale qu’il accordait à l’Urbs, et « surtout à nous les Romains, qui désirons suivre les traces de César, comme les poussins de la poule prennent avec ardeur sa becquée26 ». Qu’il semblait loin, le temps de son auguste couronnement.
3. Giannino di Guccio roi de France
31C’est aux derniers jours de vie de Cola di Rienzo qu’appartient cette aventure plutôt bizarre et tout à fait méconnue. Il ne s’agit que d’une parenthèse dans notre récit, mais elle est intéressante parce que l’on peut considérer qu’elle est révélatrice de la capacité de jugement politique que Cola devait avoir entre septembre et octobre 135427.
32Voilà que le sénateur reçoit une lettre, écrite par un certain frère Antonio de l’ordre de saint Augustin, dans laquelle on raconte l’histoire de l’échange au berceau du roi de France Jean Ier, descendant posthume de Louis X (1289-1316) n’ayant vécu que quelques jours en novembre 131628. Selon la lettre, le roi encore au maillot avait été remplacé par un autre nouveau-né, fils d’un marchand siennois et d’une dame française qui avait été appelée pour allaiter le petit roi. Ce second nouveau-né était mort. Par conséquent, le roi légitime de France était encore en vie, et avait vécu jusqu’à maintenant la vie destinée à un autre : il s’agissait de Giannino, un marchand aisé de Sienne connu pour être le fils de Guccio di Mino Baglioni.
33La légende et la réalité historique des souverains échangés au berceau sont des faits anciens et connus. Dans cette situation particulière, l’histoire du petit roi était née des doutes sur la mort de Jean Ier, dont on suspectait qu’il avait été tué pour permettre l’accession au trône de son oncle Philippe V (1294-1322). Dès lors, une incertitude toujours plus grande avait régné dans la succession à la couronne de France. Après la mort de Philippe IV le Bel (1268-1314), en effet, tous ses fils devinrent roi, mais aucun d’entre eux n’eut de descendance masculine. C’est pour cette raison que le trône passa à une branche collatérale, celle des Valois. Une fille de Philippe le Bel ayant épousé le roi d’Angleterre, son fils aîné revendiqua le trône de France, ce qui déclencha la terrible et longue guerre qu’on appellera par la suite la guerre de Cent Ans. Jean, étant fils de Louis X, c'est-à-dire du premier né de Philippe le Bel, ses droits dans l’ordre de succession au trône étaient supérieurs à ceux dont se prévalaient l’actuel roi de France et celui d’Angleterre : il aurait été en tout état de cause « le roi de France légitime et direct29 ».
34Cette histoire était fausse, et cela se voyait à certains détails de la lettre que frère Antonio avait envoyée à Cola. Par exemple, l’unique preuve de tout cela était la copie d’une partie du testament de Maria, c'est-à-dire d’une femme mourante. Les barons de France qui auraient eu connaissance des faits n’étaient pas nommés, et leur témoignage, qui aurait certainement été plus digne de foi, jamais invoqué. De plus, la lettre comportait des absurdités manifestes : on y déclarait par exemple que le petit roi de France avait été porté à la dame dans le monastère des Clarisses à Paris afin qu’elle lui serve de nourrice, alors qu’il était évident que, dans ce cas, c’est la dame qui aurait dû se rendre à la cour. Pis encore, selon la lettre, l’échange des enfants avait été fait par Maria, dont le fils était mort et qui ne voulait pas, pour cette raison, perdre aussi son mari. Ainsi, selon frère Antonio, auteur de la lettre, Maria aurait préféré s’exposer à l’accusation d’avoir tué le roi, plutôt que de renoncer à son mari. La chose est possible mais improbable. Dans tous les cas, Cola y crut ou feignit d’y croire et envoya chercher l’enfant, qui entre-temps était devenu marchand et vivait à Sienne.
35Giannino, contacté par un messager, n’eut pas confiance et refusa d’aller à Rome tant qu’il n’aurait pas en main une lettre écrite par le sénateur. La lettre reçue, le marchand toscan se mit rapidement en route, déguisé en soldat et caché derrière une barbe postiche. Le 2 octobre, Giovanni, qui ne savait pas pourquoi il avait été appelé et avait par prudence emmené avec lui un notaire, s’en alla loger à Campo de’ Fiori. Quand il fit nuit, il se fit conduire de l’auberge jusqu’au Capitole, et trouva Cola à l’heure du dîner. Le sénateur le conduisit dans une salle à part et commença à l’interroger sur son identité, pour vérifier les informations qu’il avait reçues dans la lettre. Puis il se jeta à ses pieds et lui révéla qui il était : « Voi non siete colui, che vi credete essere, e che voi m’avete detto, ancho siete ragionevole, e dritto re di Francia, et fuste figliuolo de lo re Luigi, et de la reina Clementia, et fuste scambiato pochi dí doppo la vostra natività » [Vous n’êtes pas celui que vous pensez être, et que vous m’avez dit, vous êtes roi de France selon la raison et le droit, vous fûtes le fils du roi Louis et de la reine Clémence et vous fûtes échangé peu après votre naissance]. Puis il lui dit de ne pas s’en étonner, qu’il n’était pas le premier roi à avoir été échangé, « et contò di piú re che erano stati scambiati nella loro natività, come colui che aveva in pronto tutte le storie antiche » [et il lui raconta l’histoire de plusieurs rois qui avaient été échangés à leur naissance comme quelqu’un qui connaît sur le bout des doigts toutes les histoires anciennes].
36Giannino, naturellement, était incrédule, mais il ne dut pas être trop difficile pour Cola de réussir à le convaincre. Ils restèrent ensemble à parler toute la nuit, jusqu’au matin. Nous ne pouvons pas savoir si le sénateur s’était réellement convaincu de l’ascendance royale de Giannino. C’est possible, parce qu’il était bien capable de se faire de telles idées. Mais par ailleurs, il n’est pas illégitime de suspecter Cola d’avoir tout inventé, ou mieux, d’avoir pensé à utiliser politiquement à son avantage une légende qui circulait depuis si longtemps qu’il en avait même entendu parler à Avignon. Il ne faut pas oublier que lui-même avait déclaré (et peut-être l’avait-il cru un certain temps) être le fils de l’empereur, et que, par ailleurs, la limite entre rêve et réalité était, pour lui, très mince. En tout état de cause, son rôle dans cette histoire est fondamental. Cola est celui qui, matériellement « révéla » sa vraie nature royale au riche marchand, et le convainquit de parcourir un chemin qu’il n’aurait jamais pris autrement.
37Pendant la nuit de cette révélation, le sénateur suggéra à Giannino de se fabriquer un sceau et des armes. Il lui donna à cette fin un de ses sceaux pour qu’il puisse le faire copier. C’est ainsi que la bannière de France, en plus des lys sur champ d’azur, aurait eu, au centre, en guise d’étoile, un médaillon rond pourvu de douze rayons se terminant chacun par une petite étoile ; un étendard très semblable à celui de messire Nicola di Lorenzo qui, en 1347, portait haut sa bannière figurant un soleil à huit rayons, et huit petites étoiles à l’extrémité de chacun d’eux30.
38Le plan de Cola – si on peut l’appeler ainsi – est évident dans son extravagance et nous permet de comprendre jusqu’où allait son imagination métapolitique. Pendant la nuit, en effet, il révéla au marchand ce qu’il comptait faire : écrire au pape, aux rois, à l’empereur et à toutes les puissances, afin qu’ils envoient des ambassadeurs à qui il allait annoncer cet événement exceptionnel. C’est à ce même procédé qu’il avait recouru quand il avait convoqué des années auparavant les représentants des cités pour assister à son couronnement en qualité de tribun. Il allait demander de l’aide pour rétablir sur le trône le roi de France légitime par des moyens pacifiques ou non. Le retour du roi se traduirait par la fin de la guerre et le début de la paix, parce que l’état de bonheur est le fruit du rétablissement d’un ordre naturel, lequel ne peut être assuré que dans la légitimité de la succession. Le roi, qui est de la lignée de saint Louis (1214-1270), pourrait alors reconquérir Jérusalem, et tout ce qui allait de travers dans le monde rentrerait dans l’ordre : le pape pourrait retourner sur la tombe de l’Apôtre et la couronne de France passerait sous l’autorité de Rome. En effet, Rome est à la tête de tous les royaumes du monde, et même le premier roi de France fut romain. C’est de lui que descendent tous les rois de France.
39Giannino retourna à son auberge totalement bouleversé. Quelques heures plus tard, le sénateur des Romains lui fit porter en cadeau deux splendides chevaux. Le soir du 3 octobre, il retourna dîner avec Cola et à nouveau, ils parlèrent pendant des heures et des heures. Cola lui dit que désormais, il avait le pressentiment qu’il était sur le point de mourir de la main d’un Colonna. Puis il lui donna une lettre pour le cardinal Albornoz, de façon à ce qu’il envoie des renforts dès que possible, et deux lettres authentifiées de son sceau, dans lesquelles il avait transcrit le récit de frère Antonio et tout le processus qu’il avait suivi pour retrouver, interroger et reconnaître le marchand Giannino di Guccio, qui y est désigné comme le légitime roi Jean de France31. Mais à bien y regarder, la relation des événements est très différente de celle donnée par la lettre de frère Antonio. Les absurdités évidentes, en effet, ont toutes disparu et on trouve à leur place une intrigue de cour bien conduite.
40Le lendemain matin, le 4 octobre, le roi Giovanni rencontre des fantassins toscans qui l’invitent à s’éloigner, parce qu’ils ont été recrutés par les Colonna pour tuer Cola, et qu’étant donné que Giovanni a été vu avec lui, il risque la mort lui aussi. Le roi-marchand va en aviser Cola qui, cependant, refuse de s’éloigner. Il part alors pour Montefiascone, afin de remettre la lettre au cardinal Albornoz. Le 7 octobre, Cola lui écrit une toute dernière lettre32.
41Le marchand qui se croyait roi allait errer par l’Italie, la France et la Hongrie, à la poursuite de l’impossible « récupération » de son royaume. Il aura des enfants, à qui il donnera des noms royaux français ; il aura un trésor de plusieurs dizaines de milliers de florins et le perdra en totalité ; il demandera audience à de nombreux grands du monde, qui bien souvent la lui refuseront. Il tentera enfin un coup de main, aidé de quelques troupes armées restées sans solde après la paix de Brétigny (1360) et, pour cette raison, de bouffon qu’il était, deviendra aux yeux des puissants un brigand. Nous le rencontrons pour la dernière fois à Naples, au mois d’octobre 1362, prisonnier de la reine Jeanne. Mais, comme l'aurait écrit Michael Ende : « c’est une autre histoire, et nous la raconterons une autre fois33 ». Ce qu’il faut remarquer ici, c’est qu’il ressort de cette aventure, plus digne de foi que certains ne l’ont pensé, l’image d’un Cola encore capable de suggérer à un homme des actions aux conséquences impensables, un Cola convaincu d’être désormais proche de la mort, mais encore prêt à réinventer un monde.
4. Un cadavre mis en pièces
42« Era dello mese de settiembro, a díi otto. Staieva Cola de Rienzi la dimane in sio letto. Avease lavata la faccia de [vino] grieco. Subitamente veo voce gridanno: “Viva lo puopolo, viva lo puopolo!” » [C’était le mois de septembre, le huitième jour. Au matin, Cola di Rienzo se trouvait dans son lit. Il avait lavé son visage avec du vin grec. Tout à coup s’élèvent des voix qui crient : « Vive le peuple ! Vive le peuple ! »]. C’est par ces mots que commence la célèbre séquence de la mort de Cola telle que la raconte l’Anonyme romain34. Sa description est si vivante, le rythme en est si haletant et les détails semblent souvent si exacts que quiconque s’intéresse de près ou de loin à l’histoire du tribun ne peut penser à sa mort autrement qu’avec les mots de ce récit. Certes, il y en eut d’autres pour décrire l’événement : parmi eux, le Florentin Matteo Villani en fit une relation pleine d’humanité et de compassion35. Mais le biographe inconnu de Cola, outre ses dons exceptionnels de narrateur, fut très probablement, en cette circonstance, témoin direct d’une partie des faits. Ma décision de décrire plus avant la mort de Cola en suivant le canevas du récit de l’Anonyme ne paraît donc pas injustifiée. Mon devoir sera seulement de corriger quelques éléments, d’en intégrer quelques autres, en nombre limité, et d’examiner avec circonspection ces informations que l’écrivain donne pour exactes, mais que l’on doit surtout à ses propres conjectures. Puisqu’il n’existe pas d’autres témoins de la même importance historique et littéraire, je ne peux envisager de suivre un chemin différent pour raconter cet événement tragique. De fait, même sans le vouloir, ce sont les mots de cet ancien narrateur qui me viendraient sans arrêt sous la plume.
43Il était donc tôt dans la matinée du 8, mais le mois était en fait celui d’octobre, et Cola avait déjà commencé à boire du vin. Quelques groupes organisés commencèrent à se rassembler sur le marché, en bas du Capitole, et en invitèrent d’autres à les rejoindre. Les gens provenaient principalement des rioni de Sant’Angelo, Ripa, Colonna et Trevi, c'est-à-dire de ces quartiers de Rome qui, soumis à l’influence respective des Savelli et des Colonna – adversaires irréductibles du sénateur – représentaient déjà, dans les deux mois précédents, des zones dans lesquelles son pouvoir n’avait pas fortement pénétré36. Derrière le soulèvement, il y avait, selon toute probabilité, l’intervention directe des chefs de ces lignages.
44Alors que la densité du rassemblement augmentait, le bruit qui avait alerté les popolari, y compris ceux qui n’avaient rien contre le sénateur, fut petit à petit couvert par un autre cri. C’est ainsi que « Vive le peuple ! » se transforma en « À mort le traître ! ». Aux gens qui se pressaient s’ajoutèrent des jeunes qui arrivèrent en courant, dont précisément ceux que Cola avait embauchés pour sa défense, mais qui n’avaient pas reçu de solde depuis longtemps. Ceux-ci se massèrent sous le Capitole, bientôt rejoints par des hommes, des femmes et des enfants qui entourèrent le palais et commencèrent à lancer des pierres en criant leur colère contre Cola, accusé d’avoir affamé le peuple en ordonnant l’imposition du sussidio.
45Cola n’évalua pas correctement la situation dans laquelle il se trouvait. Au lieu de chercher de l’aide en sonnant la cloche et en appelant les soldats au secours, il resta dans le palais, alors que tous ceux qui y habitaient et y travaillaient avaient déjà fui pour sauver leur peau. Il pensa alors qu’il allait réussir à convaincre le peuple de changer d’avis en utilisant ces expédients qu’il connaissait si bien : les images et la parole. Il s’arma de pied en cap, avec casque, cuirasse et jambières, et se montra au balcon de la salle supérieure, levant haut au-dessus de lui le drapeau du peuple romain. Il demanda le silence en étendant la main, prêt à tenir un discours qui – il en était convaincu – allait faire changer d’avis les révoltés. Mais aucun des Romains ne se tut. Au contraire, dès qu’ils le virent, le bruit s’accrut encore, et les gens se mirent à jeter des pierres et des flèches d’arbalètes dans sa direction, pendant que déjà, certains mettaient le feu à la porte du palais. Une flèche le toucha à la main. Alors Cola déploya le drapeau et le tint ouvert devant lui, en montrant du doigt la figure et les lettres qui y étaient tissées. Cola cherchait à s’abriter derrière la bannière, et montrait au peuple qu’en le frappant lui, il se frappait lui-même. Mais les gens réunis sur la place ne saisissaient pas cette subtile analogie, et continuaient à crier : « À mort le traître ! » Cola fut alors contraint de se retirer du balcon, et immédiatement après, à abandonner également cette aile du palais. C’était en effet dans cette zone qu’étaient enfermés ses prisonniers, parmi lesquels Bertrand du Bar, frère de fra Moriale. Cola craignait que, si quelqu’un les libérait, les prisonniers ne se vengent immédiatement.
46Et ce sont donc ces derniers qui deviennent maintenant les témoins oculaires de ce que le sénateur échafaude pour échapper à la mort. Selon le biographe, ils le voient descendre à l’aide d’une corde faite de nappes nouées ensemble, jusque dans la cour, en face de la prison dans laquelle ils sont enfermés, et prendre les clés des cellules pour plus de sécurité. Locciolo Pellicciaro [fourreur], un parent de Cola, est resté dans la salle supérieure, et se montre au balcon de temps en temps, donnant des informations au peuple sur ce qui se passe. Puis il prévient que Cola essaie de fuir par l’arrière du bâtiment. Mais en même temps, dit l’Anonyme, il s’adresse au tribun pour l’encourager.
47« Locciolo le tua », voilà la sentence sans appel prononcée par le biographe. De fait, si Locciolo avait aidé le tribun, la stratégie qui fut utilisée pour le capturer se serait révélée inefficace. Le feu mis au palais aurait fait crouler en peu de temps les planchers et le palier de l’escalier, et en isolant totalement l’homme recherché, l’aurait rendu inaccessible. Et une fois le jour venu, d’autres seraient accourus au Capitole et parmi ceux-ci, les très fidèles habitants du rione Regola, qui auraient défendu leur chef, né parmi eux. Les divergences d’opinions auraient mis fin à l’assaut et tous seraient rentrés chez eux, ou bien une bataille rangée se serait engagée. Mais « Locciolo lui enleva l’espérance », dit l’Anonyme, et obligea Cola à jouer son va-tout.
48L’Anonyme convoque de nouveau Locciolo et les prisonniers en qualité de témoins des faits : c’est à travers leurs yeux que le biographe narre et réinterprète les phases ultérieures de la tragédie. Cola, qui se tient devant la Chancellerie, semble incapable de se décider. Il met son casque, l’enlève, le remet. Il hésite, selon son biographe, entre aller vers une mort héroïque, les armes à la main, « a muodo de perzona magnifica e de imperio » [à la façon d’une personne magnifique et habituée au pouvoir], ou chercher à fuir à tout prix, y compris au risque d’être lâche.
49C’est la seconde décision qui prévaut, parce que « omo era como tutti li aitri, temeva dello morire » [c’était un homme comme tous les autres, qui avait peur de la mort]. C’est ainsi que le chevalier du Saint-Esprit prend la fuite. Au fond, son ennemi juré, Stefanello Colonna, ne l’avait-il pas fait lui aussi l’année précédente, en se laissant descendre à l’aide d’une corde derrière le palais ? Alors que déjà les portes s’embrasent et que les planchers commencent à s’effondrer, Cola décide de tenter de fuir en se mêlant à la foule des assaillants. Il se dépouille de ses armes et dépose les insignes sénatoriaux, accomplissant ainsi un geste qualifié par l’Anonyme de symbolique et douloureux. Il se coupe la barbe, se barbouille le visage de noir de fumée, attrape dans la baraque du portier un manteau de berger au drap rêche et s’en enveloppe complètement. Il se met une couverture sur la tête, traverse le brasier, sort à découvert et se mêle aux autres. Ainsi transformé, il transforme aussi sa façon de parler et crie en dialecte de la Ciociaria37 « Suso, suso agliu tradetore ! » [Sus au traître !]. Il descend les escaliers alors que tout le monde regarde vers le haut. Mais tandis qu’il franchit la dernière porte, quelqu’un l’attrape et crie : « Non ire. Dove vai tu ? » [Halte-là. Où vas-tu ?]. Il lui enlève la couverture de sur la tête et s’aperçoit que ce berger porte des bracelets dorés.
50Cola renonce à feindre et se reconnaît pour ce qu’il est. On ne l’injurie pas, on le conduit tout au long de l’escalier jusqu’à la statue du lion, là où on exécute les peines capitales, et où lui-même en a prononcé plusieurs : l’homme qui s’est montré injuste est à son tour victime de l’injustice. Le silence tombe. Personne ne s’enhardit jusqu’à le toucher. Il reste là pendant environ une heure, la barbe souillée et le visage noir, en pourpoint de soie verte, avec ses épaulettes dorées et ses bas-de-chausses bleus, comme un baron : une tête de pauvre homme, un habit de seigneur. Il ne parle pas mais garde les bras pliés sur la poitrine et regarde autour de lui, deçà et delà, dans un silence général.
51Il est environ neuf heures du matin. Subitement, Cecco del Vecchio saisit une épée et la lui plonge dans le ventre38. Immédiatement après lui, un notaire du rione Trevi lui décoche un autre coup sur la tête. Alors la foule se jette sur son corps en hurlant et en frappant à qui mieux mieux. Mais Cola ne parle pas, il est mort au premier coup. Quelqu’un arrive avec une corde et lui noue les pieds. Ils le jettent à terre, le traînent, l’écorchent, le trouent comme une passoire, ils jouent avec. C’est de cette façon qu’ils le traînent jusqu’à la place San Marcello, au cœur de la contrada des Colonna : la façade de l’église, exactement inversée par rapport à celle d’aujourd’hui, regarde vers les palais de cette famille. Ils le pendent par les pieds : il n’a plus de tête. Il a les tripes à l’air. Il est très gros, et blanc comme du lait ensanglanté. Sans tête, pendu par les pieds, on dirait un énorme buffle ou une vache suspendue au croc d’un boucher.
52Il resta pendu deux jours, exposé à la risée des gens et des gamins, qui lui jetaient des pierres. Le troisième jour, Giugurta et Sciarretta Colonna ordonnèrent qu’on le porte sous leur forteresse de l’Austa, c'est-à-dire sous le mausolée d’Auguste. Les juifs de Rome furent chargés de faire un grand feu de chardons secs et de brûler le corps de Cola. Il était tellement gras qu’il brûla tout seul. Le feu efface tout : de Cola, dit l’Anonyme, « non ne rimase cica » [il ne resta pas une miette]. Au Moyen Âge, on estimait que le feu, unique élément de la création à monter vers le ciel au lieu de descendre sur la terre, anéantissait par sa puissance les actions accomplies par des hommes contre nature : il constituait pour cette raison le moyen d’exécution des faussaires, des hérétiques et des sodomites.
53Et pourtant, dans la culture de l’Antiquité romaine, ce même bûcher constituait une fin honorable pour le corps des humains. Ainsi Cola, dans le mépris général qu’impliquait alors ce geste, eut un bûcher funéraire comme un ancien Romain, au pied de la forteresse de ses ennemis, qui était par ailleurs la tombe d’un grand empereur.
54« E questa fu la fine del tribuno, dal quale il popolo romano sperava potere riprendere sua libertà » [Et telle fut la fin du tribun, dont le peuple romain espérait pouvoir reprendre sa liberté]39.
5. Vers l’oubli
55Immédiatement après la mort de Cola, le palais capitolin fut mis à sac et on se vengea sur ses hommes, qui se virent dépouillés de tout. On rétablit la magistrature populaire des treize buoni uomini [bons hommes], à qui le cardinal-légat Gil de Albornoz écrivit en décembre de ne pas procéder à la nomination des neuf sénateurs sans l’autorisation papale. Le meurtre de Cola avait constitué un grave échec et un affront direct, puisqu’en bien ou en mal, il avait, malgré tout, toujours été le représentant du pape, sénateur de Rome par son expresse volonté.
56Le légat, qui cependant avait eu tant de doutes sur l’opportunité de nommer l’ancien tribun gouverneur de Rome pour le pape, se trouvait encore en territoire italien, bien décidé à récupérer le domaine du pontife. Il menait avec vigueur et compétence des actions guerrières sur les terres dont on soutenait qu’elles appartenaient à l’Église. On devait donc à nouveau considérer Rome comme peu gouvernable, au moins pour quelque temps ; mais il n’y avait pas de quoi désespérer. On fit des procès et quelques lieux sacrés furent soumis à l’interdit ; cependant, on n’adopta pas de mesures répressives de grande portée. Dès le début de 1355, le cardinal était capable de rétablir l’autorité en nommant sénateurs Orso di Andrea Orsini et Giovanni di Tebaldo Sant’Eustachio. Au mois d’octobre 1355, un an exactement après les événements, Innocent VI écrivait à Albornoz pour lui communiquer que les sénateurs lui avaient demandé de concéder la grâce aux assassins de Cola40. Le pape invita le légat à absoudre chacun de toute peine et sentence, aussi bien les acteurs principaux que ceux qui leur avaient prêté aide, que ce soit de façon occulte ou publique, moyennant une pénitence salutaire. On se souvint probablement, à cette époque, de la période où Cola avait été un tribun incontrôlable et on prit encore plus en considération les comportements peu conformes qui avaient été les siens. Sa mort, même si, en principe, elle était condamnée, avait seulement représenté une tentative, un peu risquée, de récupérer le domaine de Rome pour le pontife. Derrière un verdict du type « il fallait s’y attendre », le souvenir de Cola di Rienzo glissa rapidement dans l’oubli.
57Pendant ce temps, le roi des Romains et empereur désigné, Charles IV était descendu en Italie. Le 5 avril 1355, il reçut la couronne impériale à Saint-Pierre ; le jour même, selon la promesse qu’il avait faite directement au pape, il s’éloigna de la cité. Lors de la diète de Metz, qui se tint l’année suivante, l’empereur promulgua une bulle scellée d’or, par laquelle fut fixée une fois pour toute la procédure de l’élection impériale. À partir de cette date, l’empereur serait choisi par un collège de sept grands électeurs, trois princes ecclésiastiques et quatre laïques, appartenant tous à la nation allemande. On déclara aussi que le pape ne pouvait alléguer aucun droit, ni celui de confirmer, ni encore moins celui d’invalider ce choix. Le projet de Cola de « restituer » à Rome et aux cités italiennes le droit de choisir l’empereur, si possible en préférant sa personne, fut donc annulé par une disposition qui, bien évidemment, ne fit pas état de son nom, mais qui, cependant, dut être conçue aussi par réaction à sa tentative. À partir de 1356 et jusqu’à la fin du Saint Empire romain (1806), l’élection de l’empereur devint une affaire interne aux terres germaniques.
58Il resta un petit cénacle de nostalgiques proches du cercle culturel de François Pétrarque, qui chantèrent la mémoire de Cola et le dernier jour de vie du tribun, en faisant circuler quelques compositions littéraires. Dans une belle langue latine, on mit en forme le discours que Cola aurait tenu au peuple romain après qu’on l’eut pris41. Même sur le point de mourir, il utilise, en se déclarant totalement innocent, ces artifices rhétoriques qu’il avait tant aimés ; il s’adresse au peuple en personne ; il prie le Seigneur de venir à son secours ; il affirme, enfin, vouloir terminer sa vie courageusement.
59Une autre complainte, aux accents beaucoup plus forts, fut écrite peu de temps après sa mort42. L’auteur se retourne contre Rome et contre son peuple en usant du registre classique de l’invective. La cité est responsable de la mort d’un « homme inoffensif, empli d’amour pour sa patrie, juste, pieux, miséricordieux ». La cité, c'est-à-dire la femme qui la personnifie, est copieusement insultée : « Quand tu avais l’âge d’une jeune fille, tu étais royale par ta puissance et ta culture ; maintenant que tu es décatie après de folles années, tu es odieuse à tous, toi et aussi tes mœurs. » Les Romains, qualifiés de féroces et impies, sont accusés d’avoir bu le sang innocent de Cola et d’avoir mis son corps en pièces. Ils peuvent maintenant se réjouir et sortir comme les fauves de leurs tanières, parce que la forêt est silencieuse et que le chasseur est mort. Rome, qui a commis un sacrilège, doit se préparer à de terribles événements. Mais les prophéties de douleur et de mort annoncées dans la déploration n’eurent pas de suite, ou bien se réalisèrent d’une tout autre façon. Une fois passée la vague d’indignation de ses partisans, Cola fut oublié. Seuls les Colonna, à ce qu’on dit, tinrent à se souvenir pour toujours de leur ennemi en plantant un pin dans le jardin de leur palais.
6. Rien ne sera comme avant
60Son souvenir s’étant effacé rapidement de l’histoire, on pourrait penser que Cola n’a pas eu d’influence sur le futur immédiat43, qu’il s’est agi d’une sorte de météore. C’est exact si notre discours s’intéresse à la politique générale italienne. Dans la péninsule, en effet, la tentative du tribun d’imposer la cité et l’État romain comme une nouvelle puissance à côté de Milan, Florence, Venise et Naples, fit faillite et n’eut pas de suite. Elle démontra tout simplement que Rome sans le pape n’était pas capable d’imposer quoi que ce soit. Il faut attendre le Quattrocento et le pape Martin V (1368-1431) pour que l’État pontifical s’affirme définitivement au nombre des puissances italiennes.
61Cependant, si nous élargissons notre discours aux conditions sociales de l’époque, pour nous focaliser ensuite sur Rome, il faut faire remonter au moins en partie à Cola un certain nombre de faits et de configurations qui font suite à son action politique. Et il ne s’agit pas, évidemment, de la malheureuse histoire de Giannino que Cola avait réussi à convaincre qu’il était roi de France et qui erra pendant de longues années en revendiquant ses droits.
62De façon plus générale, l’aventure du tribun et sénateur romain, avec sa poussée de sédition populaire et sa volonté d’assurer – au moins en théorie – une politique autonome des couches modestes ou émergentes de la société, se place dans le contexte plus ample des graves tensions sociales qui caractérisent la seconde moitié du Trecento dans une bonne partie de l’Europe. Au xive siècle, les conditions de vie de la population, soumise à la peste, la guerre, la disette, la récession économique et la pression fiscale, se dégradèrent sensiblement par rapport au siècle précédent. Les phénomènes de rébellion prirent des proportions importantes et des voies différentes selon les endroits et les situations, mais se concrétisèrent, la plupart du temps, principalement dans la lutte contre les seigneurs féodaux. C’est en 1358, qu’éclate en France le mouvement paysan de la Grande Jacquerie, qui reçoit un temps le soutien des marchands parisiens conduits par Étienne Marcel (vers 1316-1358). En 1362, Rome connaît une tentative de gouvernement populaire encore plus radical et éphémère que celui mis en place par Cola : le cordonnier Lello Pocadota [« petite dot »], premier artisan romain à accéder au pouvoir, chasse de l’Urbs les barons et une partie des cavallerotti. Un peu moins de vingt ans après, les Ciompi, les ouvriers peu qualifiés de l’industrie textile, se rebellent contre le gouvernement florentin et instaurent un régime éphémère ; pendant cette même période, plusieurs autres cités marchandes d’Italie, dont Pérouse et Sienne, connaissent des situations analogues. En 1381, l’Angleterre est secouée par la révolte des paysans, salariés et artisans, qui sous le nom de Lollards revendiquent une utopique équité sociale, en proclamant : « Quand Adam bêchait et Ève filait, où était la dame, où était le chevalier ? » Naturellement, l’histoire de Cola di Rienzo n’a aucun lien direct avec tous ces événements. Mais il s’agit cependant d’un élément significatif qui, avec sa coloration bien marquée, concourt à la composition du tableau de cette période.
63Le propos est différent concernant l’influence culturelle exercée en Bohême, où ses lettres, recueillies par Johann von Neumarkt, furent vantées comme exemple de beau style, devenant ainsi des modèles pour l’humanisme septentrional qui allait suivre. Mais il ne s’agit pas seulement de la forme : le contenu des lettres, au ton enflammé, radicales dans leur condamnation de l’Église charnelle, passionnées dans leur volonté d’accomplir une prophétie millénariste, allait lui aussi contribuer à la formation de courants politiques et religieux de protestation dans cette partie de l’Empire44.
64À Rome, enfin, l’œuvre du tribun eut une incidence directe. En effet, peu après la mort de Cola, se clôt la parenthèse constituée par le régime des sénateurs appartenant à la classe baronniale et commence le plus long gouvernement populaire de l’histoire de la cité. Au mois de mars 1358, le sénateur unique Giovanni Conti, qui se trouvait hors de la ville, fut remplacé temporairement par une magistrature, inédite jusqu’alors, constituée par sept « réformateurs de la République ». Ces derniers s’imposèrent comme un organe stable et prirent le pouvoir en main. Leur point fort résidait dans le fait qu’il s’agissait de sept officiers d’origine romaine, issus de la classe émergente des entrepreneurs appartenant aux Arts des marchands et des bobacterii (entrepreneurs agricoles et notamment les propriétaires de grands troupeaux, qui régissaient le marché de la viande45). De conseillers du sénateur, les sept réformateurs se transformèrent rapidement en gouvernants. Les rapports clientélistes, qui avaient été la caractéristique de la longue période précédente, perdirent une partie de leur poids, et la lutte entre les factions s’achemina vers sa fin.
65C’est à partir de cette époque qu’on cessa de choisir le sénateur parmi les citoyens de l’Urbs. Pendant environ deux siècles, l’Italie avait connu une grande mobilité de ses magistrats, surtout des podestats et des capitaines du popolo. Ces officiers professionnels, choisis parmi les seigneurs féodaux et les représentants de l’aristocratie, avaient été les protagonistes incontestés des systèmes de gouvernement communaux et avaient favorisé une certaine homogénéité culturelle en Italie centro-septentrionale. À Rome cependant, les choses s’étaient toujours passées de façon différente, puisque les barons avaient souvent exercé personnellement les magistratures urbaines les plus importantes, si bien que la cité s’était trouvée à « exporter » des gouvernants, mais avait pratiquement toujours été gouvernée par ses propres citoyens. Le changement, qui se confirma à partir de 1358, était réellement important46. Il impliquait l’exclusion des barons du gouvernement, et traduisait donc sans ambages la crise de la classe baronniale et l’ascension du groupe des marchands et des bobacterii. Tout cela signifiait pour le pape une cité beaucoup plus docile.
66Le cardinal Albornoz, après avoir récupéré la charge de légat dans laquelle il avait été remplacé un temps par Androin de la Roche, abbé de Cluny, reconnut immédiatement la nouvelle magistrature des sept réformateurs, qui garantissait mieux la souveraineté pontificale et qui poursuivait comme lui (et comme Cola précédemment) une politique ouvertement anti-magnatice47. En 1360, le légat et les sept réformateurs créèrent une nouvelle milice communale qui devait défendre par les armes le gouvernement du popolo. La Felice Società dei balestrieri e dei pavesati [L’heureuse société des arbalétriers et des porteurs de boucliers] – c’était son nom – était composée de deux formations. Les balestrieri étaient armés de pesantes arbalètes ; les pavesati étaient munis d’une épée et, surtout, d’un énorme bouclier, le pavois, destiné à être planté en terre comme une palissade mobile et qui protégeait la totalité de la personne. L’association des balestrieri et des pavesati donnait une machine de guerre meurtrière et moderne, capable de toucher un ennemi à distance et de soutenir en même temps le choc d’une charge de cavalerie, ce qui constituait encore la tactique préférée des armées féodales. Les deux formations étaient placées chacune sous le commandement d’un officier qui portait le nom de banderese, c'est-à-dire de porte-drapeau. Celui-ci, plus qu’un commandant, était un homme politique investi de charges importantes de gouvernement et de police. Ce changement d’organisation militaire, que Cola n’avait pas envisagé (il avait dû se servir des barons pour conduire les troupes), permit à la commune non seulement d’avoir son armée propre, distincte de celle recrutée sur la base des rioni, mais sutout ses propres chefs militaires. La Felice Società devint très puissante et, avec le temps, s’identifia avec le régime communal lui-même. Elle eut une longue vie puisqu’elle se maintint jusqu’en 140848.
67À cette même période, la commune de Rome reprit sa politique d’expansion dans le district, politique qui avait été un des chevaux de bataille de Cola di Rienzo et un des motifs de frictions importantes aussi bien avec les seigneurs territoriaux qu’avec le pape. En 1360, les officiers romains étaient déjà capables d’encaisser méthodiquement la taxe sur le sel dans les terres autour de Rome ; deux seigneurs féodaux, Bello Caetani et Matteo della Torre, furent pris avec leurs hommes ; accusés d’être les chefs des voleurs, ils furent pendus sur l’instant.
68En cette même année 1360, la jeune magistrature approuvait les nouveaux statuts de Rome49. Ils furent promulgués par dix-sept personnes, d’extraction populaire ou provenant de la noblesse municipale, parmi lesquelles on retrouve le jurisconsulte Paolo Vaiani, qui avait été ambassadeur de Cola et avait participé aux réunions de juristes en 134750. Même s’ils ne citent le tribun qu’en passant51, les statuts sont l’écho direct de l’action politique et des tentatives de réforme qu’il avait faites treize ans auparavant : ils sont, en un certain sens, la transposition formelle de sa législation anti-magnats (et de celle de Francesco Baroncelli). Les nobles des plus grandes familles sont exclus de par la loi de toute charge de gouvernement et sont punis de peines beaucoup plus sévères que celles infligées aux deux autres groupes sociaux, les cavallerotti et le peuple. Les barons, comme on l’a écrit, « y apparaissent uniquement comme objet et non sujet de droit52 ». Il fut stipulé dans les statuts que le 20 mai – jour où commença le tribunat de Cola – serait considéré comme le jour anniversaire de la nouvelle liberté municipale. Ce jour de fête était célébré chaque année par une messe solennelle du Saint-Esprit, dans l’Aracoeli53.
69Les années qui suivirent se caractérisèrent par le maintien d’un régime de type rigoureusement populaire, soutenu par le pape, mais assez autonome pour s’opposer ouvertement à la curie en certaines occasions. Le 16 octobre 1367, après les demandes réitérées avec insistance par les Romains, deux années de préparatifs et une lettre célèbre de Pétrarque, le pape Urbain V (vers 1309-1370) rentra à Rome. Pendant trois ans, les rapports entre le gouvernement capitolin et le gouvernement papal furent bons ; mais une rébellion du préfet incita le pontife à retourner en Avignon au mois d’avril 1370.
70Ce n’est que le 17 janvier 1377 que le pape rétablit définitivement le siège apostolique dans la cité des apôtres. On alluma 18 000 flambeaux dans la basilique Saint-Pierre, où il arriva le soir. La curie et la cité durent alors chercher un nouvel équilibre. Mais avec le pape au Vatican, c’est dans l’histoire moderne de Rome que nous entrons.
Notes de bas de page
1 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 67 et 68.
2 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 282 et suiv. [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 224 et suiv.]
3 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 276 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 237].
4 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 283 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 246].
5 N.D.T. : porte qui s’ouvrait dans la muraille léonine érigée au ixe siècle par le pape Léon IV pour protéger la basilique Saint-Pierre.
6 M. Mariani, « Cola di Rienzo nel giudizio... », art. cité, p. 655 et suiv.
7 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 284 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 247] ; Briefwechsel…, ouvr. cité, III 77.
8 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 69.
9 Sur ce personnage, voir A. Collins, Greater than Emperor, ouvr. cité, p. 225, A. Rehberg, Clientele e fazioni, ouvr. cité, p. 116-119.
10 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 77, 5 août 1354 : Cola communique à Florence son arrivée au pouvoir à Rome ; voir la réponse id. 78, 22 août 1354.
11 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 284 et suiv. [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 247 et suiv.]. Voir aussi à ce propos F. Matitti, « Cola di Rienzo », art. cité, p. 287 et L. Ceccarelli, « Il mito popolare... », art. cité, p. 317.
12 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 285 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 248].
13 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 302 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 267].
14 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 60, de Tite-Live.
15 M. Villani, ouvr. cité, IV p. 509.
16 R. Morghen, « Il mito… », art. cité, p. 186.
17 M. Villani, ouvr. cité, IV p. 506.
18 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 75.
19 M. Villani, ouvr. cité, IV p. 506.
20 La statue, représentant un lion qui saisit un cheval entre ses crocs (un original grec du ive siècle av. J.-C.), se trouve aujourd’hui dans l’exèdre de Marc Aurèle du palais des Conservateurs.
21 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 77.
22 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 295 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 259]. On a retrouvé récemment une composition dédiée à Pandolfuccio, à l’intérieur d’un « gisement de rimes nées dans un environnement très voisin de celui fréquenté par le jeune Pétrarque », d’origine romaine : A. Decaria, « I confini della lirica italiana del Trecento », dans I confini della lirica. Tempi, luoghi, tradizione della poesia romanza, A. Decaria, C. Lagomarsini (éd.), Florence, Edizioni del Galluzzo, 2017, p. 67-89 : p. 77-78.
23 M. Villani, ouvr. cité, IV p. 509.
24 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 70 et III 77.
25 M. Villani, ouvr. cité, IV p. 506.
26 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 80.
27 Voir à ce propos le commentaire de A. Gabrielli, Epistolario di Cola, ouvr. cité, p. XIII : « On ne pourrait pas nous donner plus efficacement l’image de la décadence intellectuelle qui s’était opérée en lui. »
28 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 72. Portovenere, 25 août 1354 ; III VI, Rome, 18 septembre 1354 ; IV 72 bis, Rome, (2 ?) octobre 1354 ; III VII, 7 octobre 1354. Sur le sujet, voir G. Lecuppre, L’imposture politique au Moyen Âge. La seconde vie des rois, Paris, Presses universitaires de France 2005 ; T. di Carpegna Falconieri, L’homme qui se prenait pour le roi de France, Paris, Tallandier, 2018. Giulio Vaccaro a récemment procédé à la réédition critique de quelques lettres de Cola (les suspectant fortement d’être fausses). Il a en outre identifié une dernière lettre qui, datée du 5 octobre 1354 et écrite en mercantesca (écriture cursive des xiiie-xve siècles utilisée dans la correspondance commerciale par les marchands de Florence notamment), pourrait être autographe de Giannino : G. Vaccaro, « Storia di un mercante e del tribuno che lo fece re di Francia. Tre lettere di Cola di Rienzo a Giannino di Guccio Baglioni (1354) », Bullettino dell’Opera del Vocabolario Italiano, 23, 2018, p. 225-250 (p. 228 la référence à la possibilité d’une lettre autographe).
29 T. di Carpegna Falconieri, L’homme qui se prenait pour le roi de France ouvr. cité, p. 24-25.
30 Voir chap. III, fig. 3 et 4, section 2.
31 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 73, Rome 4 octobre 1354.
32 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 7.
33 M. Ende, L’histoire sans fin, Paris, Stock, 1984. En fait, j’ai depuis raconté cette histoire-là dans un autre livre, T. di Carpegna Falconieri, L’homme qui se prenait pour le roi de France, ouvr. cité.
34 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 295 et suiv. [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 259]. À propos de ce passage, voir également aujourd’hui T. di CarpegnaFalconieri, « “Dolore ène de recordare”. Testimonianza diretta e modelli letterari nella morte di Cola di Rienzo narrata dall’Anonimo romano », dans Roma e il papato nel medioevo. Studi in onore di Massimo Miglio. II. Primi e tardi umanesimi: uomini, immagini, testi, A. Modigliani (éd.), Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2012, p. 49-57.
35 M. Mariani, « Cola di Rienzo nel giudizio... » art. cité, p. 656 et suiv. La version de M. Villani, ouvr. cité, IV p. 509 et suiv. est moins digne de foi. Les différences principales avec le récit de l’Anonyme romain sont les suivantes : la défense du palais du Capitole se serait prolongée jusqu’au soir ; Cola aurait fait ouvrir les portes pour permettre le sac et fuir ; Cola se serait travesti en “ribaud”, c’est-à-dire vêtu comme un des pillards ; il aurait finalement été lynché par la foule immédiatement après avoir été reconnu.
36 É. Hubert, « L’organizzazione territoriale… », art. cité, p. 184.
37 N.D.T. : région du Latium célèbre pour ses bergers.
38 Sur ce personnage : A. Collins, Greater than Emperor, ouvr. cité, p. 232-235.
39 M. Villani, ouvr. cité, IV p. 511.
40 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 76.
41 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 74.
42 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 75.
43 Sur le thème de la disparition de Cola di Rienzo de la mémoire historique, voir chapitre VI, section 1.
44 Voir J. Macek, « Racines sociales de l’insurrection de Cola di Rienzo », Historica, VI, 1963, p. 45-107 ; Id., « Pétrarque et Cola di Rienzo », ibid., XI, 1965, p. 5-51 ; A. Molnara, « Cola di Rienzo, Petrarca e le origini della Riforma hussita », Protestantesimo, XIX, 1964, p. 214-223.
45 Voir chapitre I, section 3.
46 Voir à ce propos, principalement S. Carocci « Barone e podestà… », art. cité.
47 N.D.T. : voir à propos de la législation contre les magnats, F. Menant, L’Italie des communes…, ouvr. cité, p. 93-95.
48 Voir A. Natale, « La Felice Società dei balestrieri e dei pavesati a Roma e il governo dei Banderesi dal 1358 al 1408 », Archivio della Società romana di storia patria, LXII, 1940, p. 1-176.
49 Statuti della città di Roma, ouvr. cité ; pour leur datation, voir C. Carbonetti Vendittelli, « La curia dei “magistri edificiorum Urbis” nei secoli XIII e XIV e la sua documentazione », dans Roma nei secoli XIII e XIV, ouvr. cité, p. 1-42, plus spécialement p. 15-16. En 2015, Paola Pavan a remis en cause la validité de la date de 1363 précédemment admise par l’historiographie : P. Pavan, « Intorno agli Statuti di Roma del 1363 », Bollettino della Deputazione di storia patria per l’Umbria, CXII, 2015, p. 367-388, spéc. p. 371, note ; sur cette question de la datation, voir aussi A. Rehberg, « Roma 1360: Innocenzo VI, lo status popularis e gli statuti di Roma », Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo, 110, 2008, p. 236-278, spéc. p. 242. Sur la continuité politique entre l’œuvre de Cola et les statuts de 1360, voir A. Modigliani, A. Rehberg, Cola di Rienzo e il comune di Roma, vol. II, A. Modigliani, L’eredità di Cola di Rienzo. Gli statuti del Comune di popolo e la riforma del 2004, Rome, Roma nel Rinascimento, 2004, spéc. p. 81-109.
50 Voir chap. III, section 7. À propos de Paolo Vaiani, A. Rehberg, Clientele e fazioni, ouvr. cité, p. 113-114 ; A. Modigliani, L’eredità di Cola di Rienzo, ouvr. cité, p. 87 ; D. Internullo, ouvr. cité, p. 172-175.
51 Statuti della città di Roma, ouvr. cité, p. 193 ; A. Modigliani, L’eredità di Cola di Rienzo, ouvr. cité, p. 92-93.
52 E. Dupré Theseider, Roma dal comune …, ouvr. cité, p. 668.
53 Statuti della città di Roma, ouvr. cité, p. 44 et 283 ; voir P. Piur, ouvr. cité, p. 208.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Venise, un spectacle d'eau et de pierres
Architectures et paysage dans les récits de voyageurs français (1756-1850)
Laetitia Levantis
2016
L'enseignement de l'italien en France (1880-1940)
Une discipline au cœur des relations franco-italiennes
Jérémie Dubois
2015
Trieste, port des Habsbourg 1719-1915
De l'intégration des immigrés à la désintégration du creuset
Gilbert Bosetti
2017
Trois générations de femmes dans la tourmente
Florence 1943-1944
Valentina Supino, Camilla Benaim et Elisa Rosselli
2019
Il se voyait déjà Empereur
Cola di Rienzo : un Romain au Moyen Âge
Tommaso di Carpegna Falconieri Michèle Grévin (trad.)
2019