Chapitre IV
Intermède (1348-1353)
p. 153-196
Texte intégral
1. Fugitif
1Sorti de Rome, Cola se réfugia en un lieu que nous ne connaissons pas. Peut-être fit-il halte à Civitavecchia, tant que son beau-frère put diriger la forteresse. Certains crurent même qu’il s’était embarqué. Il est certain que peu de temps après, l’ancien tribun abandonna le district de Rome et trouva refuge dans le royaume de Naples. Là, en effet, il était convaincu de trouver les appuis suffisants pour rentrer victorieusement à bref délai. Son départ de Rome ne se fit pas au hasard ni avec trop de précipitation. Cela lui permit de cacher quelques objets précieux, des armes, des livres, et d’emporter un trésor en argent liquide. On avait pris aussi le temps de mettre à l’abri ceux qui couraient le plus de risques : toutes les femmes de la maison furent transportées dans un couvent franciscain pour échapper aux possibles représailles, tandis que certains de ses parents de sexe masculin, dont certainement un frère, le suivirent en exode1. La partie adverse n’exerça pas de vengeance parce que le vieux Stefano Colonna, anéanti par la mort de la moitié de sa famille, donna le baiser de la paix au beau-père de Cola, Cecco Mancini, et garantit la vie sauve à toute sa parentèle2. Nonobstant les rancœurs féroces, on voulut évidemment maintenir la validité des « paix » que Cola avait fait conclure dans la « maison de la justice » ; elles convenaient à tout le monde et ce faisant on évitait que la cité se noie dans un bain de sang.
2Une fois Bertoldo Orsini et Luca Savelli rentrés en charge comme sénateurs, le légat Bertrand de Deaulx se montra lui aussi à Rome. Puis le cardinal rejoignit la forteresse papale de Montefiascone et déclara Cola déchu de toutes ses charges ; il le cita à comparaître devant lui pour répondre du crime qu’il avait commis contre la liberté de l’Église en occupant indûment les terres pontificales et en jugeant des membres du clergé. En outre, il cassa tous ses actes. La condamnation était là, sans aucun doute, mais – pour le moment – elle était plus légère que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Les magistratures civiles, en revanche, le condamnèrent à l’exil à perpétuité et à la mort en cas de retour3. Mais pendant un certain temps, on ne put faire autrement que regarder son portrait peint sur les murs du Capitole.
3Cola ne désespérait pas : l’argent dont il disposait était certainement suffisant pour lever un bon contingent d’hommes armés. Louis de Hongrie, avec qui il continuait d’entretenir des rapports amicaux, était arrivé à Naples à la fin du mois de janvier et avait contraint la reine Jeanne à fuir. De là, il allait pouvoir l’aider. Dans cette même cité, l’archevêque Giovanni Orsini était à même de lui offrir une protection sûre. C’est pourquoi il est hautement probable que Cola ait passé les premiers mois de 1348 à Naples. Il a séjourné aussi quelque temps sur l’île de Ponza, mais nous ignorons à quelle période4.
4Le pape ne lâchait pas prise et craignait un retour de flamme ; son adversaire, il en était convaincu, « aurait fait pis qu’avant5 » s’il était revenu au pouvoir. Il allait recevoir de façon permanente des informations confidentielles sur Cola et mettrait tout en œuvre, par des échanges diplomatiques serrés, afin que personne ne le soutienne. Tandis qu’en janvier, le légat réitérait la condamnation contre le contumace, en le déclarant suspect d’hérésie et en y ajoutant l’excommunication, Clément VI envoyait tout exprès le notaire pontifical Francesco Orsini pour convaincre sa propre famille non seulement de renoncer à protéger Cola, mais même de le livrer aux mains de la justice. Au mois de mars, pour pacifier encore mieux la ville et faire comprendre la douceur du joug pontifical, le pape ordonna la distribution de cinq mille florins à la population romaine.
5À la fin du printemps se produisirent plusieurs événements qui modifièrent complètement le cours des choses. La peste, faisant tache d’huile, s’étendait. L’épidémie, partie de Crimée deux années plus tôt, arrivait alors en Italie pour continuer ensuite sa progression vers la Suède. Ce fut l’expérience la plus traumatisante de tout le xive siècle ; la mortalité fut très élevée, on la chiffre à un tiers de la population européenne. La mort noire accentua dans la population les sombres sentiments et les peurs qu’elle nourrissait déjà. L’idée de la décomposition rapide de la chair, de l’inutilité de la vie terrestre et de la fin prochaine du monde gagna les foules. Ce sont les années des flagellants et des danses macabres, immortalisées par le Septième Sceau d’Ingmar Bergman et la Ballata in fa diesis minore d’Angelo Branduardi : une bonne partie de l’idée que nous nous faisons du Moyen Âge, considéré comme ténébreux et irrationnel, dérive d’une vision grossissante de cette période. Alors que le pontife ajoutait aux épithètes dont il qualifiait Cola celle de « pestilentiel », l’ancien tribun dut être très affecté par cette situation catastrophique. Deux traductions en langue vulgaire de parties de l’Apocalypse et des Évangiles, la Lauda sui segni della fine del mondo et la Lauda de finitione mundi, nous donnent une idée de la manière dont on imaginait dans la Rome du xive siècle le jour du jugement dernier6.
6Louis de Hongrie, épouvanté par la diffusion du mal, abandonna l’Italie à la fin du mois de mai 1348. Cet événement, catastrophe dans la catastrophe, signifiait la sortie de scène de celui qui, s’il l’avait voulu, aurait pu appuyer efficacement, y compris par la force des armes, le retour à Rome de Cola. Pour couronner le tout, un de ses frères, qui l’avait accompagné jusqu’alors, s’enfuit en emportant tout l’argent qui aurait pu servir à l’expédition7.
7À la fin du mois de mai, Cola se retouvait au beau milieu de l’épidémie, manquant désormais d’un soutien efficace et sans un florin. Ce fut alors que les Orsini le capturèrent. Peut-être Cola, au pied du mur, tenta-t-il de recourir directement à leur aide. Mais la conséquence fut l’emprisonnement au château Saint-Ange, sous la garde attentive de Francesco Orsini, le notaire envoyé tout exprès d’Avignon pour le prendre, et de Cola son neveu, celui qui avait assuré le commandement de l’armée romaine au temps du tribun. Les intentions des Orsini à son encontre ne sont pas connues, mais il semble que ces deux derniers se trouvèrent en désaccord ; il est cependant probable qu’ils allaient le livrer au pape. Une telle action aurait été parfaite pour se rapprocher du pape et se faire pardonner d’avoir ouvertement soutenu le régime de Cola.
8Mais voilà qu’à l’improviste, la peste frappa Francesco et Cola Orsini, qui moururent de façon inattendue le même jour, probablement victimes d’une infection pulmonaire. C’était la fin du mois de septembre. En racontant cet événement quelques années plus tard, Cola le situe à la date du 29 et lui attribue une haute signification religieuse et propitiatoire8. En effet, on célébrait ce jour-là la fête de la Saint-Michel. C’était l’ange qui tant de siècles auparavant était apparu à saint Grégoire le Grand (mort en 604) pour annoncer la fin de la peste bubonique ; c’était l’ange à qui était dédiée la forteresse dans laquelle Cola avait été enfermé, l’ange de sa paroisse, le chevalier qui, dans ses premiers manifestes peints, allait libérer Rome et dans lequel il se reconnaissait lui-même. Au-delà du bon augure (et en supposant que cette coïncidence de date n’ait pas été forcée ensuite par Cola), la liberté retrouvée ne pouvait pas le mener bien loin. Le rêve de gloire était maintenant passé sous la ligne d’horizon.
2. Pénitent
9Commence alors une nouvelle phase de la vie de Cola, qui est aussi la moins documentée et la plus difficile à reconstruire. Il resta peut-être quelque temps à Rome, bien caché, mais la chose est incertaine et on peut en douter. Plus probablement, il prit en cette période la décision de s’éloigner de la compagnie des hommes et se cacha dans la montagne, aussi bien pour éviter d’être pris à nouveau que poussé par des motifs religieux.
10Les temps ont changé et notre façon de connaître Cola aussi. L’ancien tribun n’est plus en mesure d’accomplir des actions d’une véritable importance historico-politique comparables en quelque façon que ce soit à celles de cette fatidique année 1347. Il déclarera lui-même à plusieurs reprises ne pas être un acteur de premier plan, mais plutôt un instrument. Si dans la première période ses gestes furent éclatants, ce sont désormais ses pensées qui galopent. Le procédé que nous devons utiliser pour reconstruire les années centrales de sa vie est singulier et implique nécessairement une déformation. En effet, de nombreuses informations peuvent être tirées des lettres qu’il écrivit de Bohême, entre 1350 et 13529. Cependant, les données biographiques et les concepts sont ceux suggérés par Cola et qu’il utilise pour convaincre le destinataire de la lettre de quelque chose qui lui tient à cœur à ce moment-là, ou pour mieux révéler le sens d’une prophétie, en montrant qu’elle s’est accomplie. Par conséquent, l’élément principal du discours de Cola est précisément constitué par cette prophétie, alors que l’énumération des événements survenus dans sa vie devient une sorte de glose ou de commentaire. Il s’agit d’une inversion radicale des plans, qui a, entre autres conséquences, celle de rendre les données peu claires et invérifiables. Ses flashbacks, éclairés par une lumière née seulement après les événements, créent des problèmes souvent insurmontables quant à notre interprétation des faits. Pour n’en proposer qu’un seul exemple, l’affirmation selon laquelle il avait choisi entre autres titres celui de « Sévère » parce que c’était le prénom de Sévère Boèce découle d’un de ses témoignages personnels. Ce témoignage cependant remonte à l’été 1350, quand Cola était prisonnier de l’empereur. Il est possible que Cola, s’estimant prisonnier innocent d’un souverain comme l’avait été Boèce, ait alors attribué a posteriori le choix de ce nom à une volonté de rendre hommage à cet homme auquel, d’ailleurs, il commençait seulement à se comparer10.
11La période que nous nous apprêtons à décrire est donc celle de la méditation, les années où il réfléchit à ses sept mois de gouvernement. Très peu nombreux sont les faits avérés entre la fin de l’année 1348 et l’été 1350. Cola se retira dans les monts de la Maiella, dans les Abruzzes, et entra en contact avec les franges les plus radicales du mouvement franciscain, mais on ne sait pas s’il s’était déjà rapproché – et si oui, dans quelle mesure – de ce monde auparavant. Dans le même temps, il trouva la possibilité de maintenir des rapports avec Rome, où il avait des contacts avec quelques soutiens, parmi lesquels son fils Lorenzo, qui était encore très jeune, l’abbé de Sant’Alessio sull’Aventino et le chancelier Angelo Malabranca11. Le séjour de Cola dans les Abruzzes fut à l’origine de légendes locales : des siècles après, on parlait de lui comme d’un mage, on se souvenait des lieux qu’il avait habités et où il avait eu des rencontres secrètes avec les messagers romains12.
12Le pape ne cessa jamais de le faire rechercher. Le légat en Italie avait changé et était maintenant Annibaldo di Ceccano (1282-1350), mais on ne dévia pas de la ligne de conduite, puisque, même après sa fuite du château Saint-Ange, on considérait que Cola était extrêmement dangereux, soutenu par différents partisans, capable de tramer des accords clandestins et de sournoises machinations. Pour cette raison, il fallait le prendre dès que possible et lui intenter d’autres procès encore plus sévères13. Au début de l’année 1349, le pontife correspondait avec l’archevêque de Naples, Giovanni Orsini, qui s’apprêtait à capturer Cola. Selon ce dernier, son vieil ami lui avait écrit dans son ermitage de montagne, en l’invitant à descendre le voir pour lui offrir la charge de réformer la Marche d’Ancône sous les ordres du pape. Il s’en fallut d’un cheveu que le piège fonctionne, mais Cola, déjà en voyage, avait appris que les nouvelles têtes régnantes de Naples avaient fait arrêter l’archevêque14. Puis, dans le courant du mois de juin 1349, Annibaldo di Ceccano avait alourdi les accusations contre Cola, qui était désormais condamné comme hérétique à part entière et non plus seulement comme suspect d’hérésie.
13Au milieu de l’année 1350, des lettres d’informateurs avaient convaincu le pape que le peuple n’avait toujours pas oublié Cola et se montrait tout disposé à le rappeler au pouvoir. Un attentat commis aux dépens du légat Annibaldo di Ceccano, qui fut la cible de deux tirs perdus d’arbalète, lui fut imputé. Le déroulement pacifique du jubilé, cependant, réfrénait le peuple, parce que l’accord avec le pontife était essentiel, surtout pour la circulation des biens15. Effectivement, Cola n’avait pas renoncé à son titre de tribun, qu’il apposait encore au bas de certaines lettres. Il est également possible qu’il se soit rendu incognito à Rome pendant l’année jubilaire, en qualité de pèlerin, pour recevoir l’indulgence plénière et pour voir ce qu’avaient fait les Romains en son absence, en achevant seuls une entreprise dont il se sentait, sans nul doute, pleinement partie prenante.
14Avant de le voir, inconnu, errer d’une basilique à l’autre dans sa Rome sacrée, il nous faut cependant revenir en arrière, pour évoquer l’expérience religieuse qu’il avait vécue « como fraticello iacenno per le montagne de Maiella con romiti e perzone de penitenza » [comme un fraticelle dans les montagnes de la Maiella, avec des ermites et des pénitents]16. La période comprise entre la fin de l’année 1348 et les premiers mois de 1350 inaugura ce qu’Eugenio Dupré Theseider appelle sa « phase mystico-verbeuse17 ». Le discours est difficile à calibrer car il nous manque quelques informations essentielles, tandis que d’autres proviennent de la seule lecture de ses lettres et que, par conséquent, leur interprétation, comme celle de toute autobiographie, nécessite de procéder avec une grande prudence. En effet, de ses lettres « ressort vivante la physionomie morale du tribun et s’y découvre la vie intérieure de son esprit 18 », mais il s’agit aussi d’œuvres littéraires et de libelles politiques.
15Son expérience de vie avec les fraticelles – c'est-à-dire avec certains individus non identifiés, appartenant aux franges les plus extrêmes et radicales du mouvement franciscain, considérés comme des hérétiques et persécutés par l’Église – l’amena à partager leur culture, à porter le froc et à assimiler nombre de leurs thèmes les plus caractéristiques. Cola, par leur entremise, entra en contact avec l’eschatologie prophétique des « visionnaires », c'est-à-dire de certains pseudo-prophètes qui se référaient à des visions personnelles à l’exemple de l’Apocalypse, et qui connurent une grande diffusion en Italie entre la fin du xiiie siècle et la première moitié du xive siècle19.
16Le moment historique, à cheval entre une très grave épidémie de peste et l’année sainte, sous-entend à lui seul une signification mystérieuse. Déjà auparavant, Cola vivait dans une religiosité pénétrée de la présence immanente et de l’action directe de Dieu sur terre. Empli d’une grande dévotion pour le Saint-Esprit, qui selon le Credo « a parlé par la voix des prophètes », il avait longtemps été convaincu d’être un instrument de sa volonté, destiné à sauver Rome. Dès les premiers instants où nous l’avons vu à l’œuvre, chacune de ses actions a été conçue en tenant compte des jours du calendrier, comme autant de points d’ancrage : il a volontairement superposé la mémoire liturgique et celle de son acte solennel. Dès sa première action politique, qui visait à obtenir le jubilé pour les Romains, il montre une attention prononcée aux signes, aux petites et aux grandes particularités qui lui confirment ou lui dénient la faveur de Dieu : ce sont les rêves, les colombes en vol, les étendards tombés. Par la suite, chacun de ses gestes est pétri d’une signification religieuse qui, surtout le 15 août, se fond avec une symbolique païenne, mais qui reste substantiellement chrétienne : les figures allégoriques, le bain lustral dans les fonts baptismaux du Latran. Par ailleurs, Cola a toujours été convaincu de la perpétuelle contemporanéité de l’histoire : il n’arrive d’ailleurs pas à penser d’une autre façon. Cette conviction, de type religieux et chrétien, lui vient de la certitude que la Bible représente et décrit le monde dans chacune de ses parties et dans chacun de ses temps, passé, présent et futur. La Bible est une autorité placée hors de l’histoire ; elle est donc métahistorique. Dans une première période de sa vie, ce même discours de l’autorité pérenne du livre s’est appliqué aux auteurs classiques et aux modèles de vertu qu’ils présentaient. Maintenant, cet aspect culturel passe nettement au second plan (sans toutefois disparaître) et le texte de référence redevient la Bible, à laquelle s’ajoutent quelques autres livres : des commentaires franciscains de l’Apocalypse, des vies de saint François, un livre de prophéties que nous découvrirons sous peu.
17Les fraticelles qui donnèrent asile à Cola n’ont pas encore été identifiés avec certitude. Il s’agit sans doute d’un groupe de disciples d’Angelo Clareno (vers 1260-1337), donc de frati di povera vita [frères de pauvre vie], plus ou moins protégés par la couronne de Naples. Mais il se peut que Cola soit aussi entré en contact avec les célestins – c'est-à-dire les membres de l’ordre fondé par le pape Célestin V (vers 1215-1296) – qui habitaient sur le mont Morrone et à Sulmona, dans le couvent du Saint-Esprit.
18Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure la pensée élaborée par Cola était originale, son degré de sincérité, et quelle part trouvait sa source dans des expériences vécues précédemment. Il faudrait par exemple chercher à connaître l’influence qu’eut sur Cola la prédication de fra Venturino en 1335 ; étudier de manière approfondie ses rapports avec les mouvements de pauvreté évangélique (pourquoi Stefano Colonna l’appelait-il vizuoco, c'est-à-dire un bigot, un fanatique ?) et avec les franciscains (sa dévotion pour l’église de l’Aracoeli, qui était tenue par les frères mineurs ; le choix du 1er août, qui est aussi la date de l’indulgence de la Porziuncola) ; il faudrait comprendre si dans la demande de jubilé de 1343, on peut déjà reconnaître les éléments d’une attente eschatologique ; si en 1347, il avait déjà théorisé une condamnation morale de l’Église corrompue ; si l’utilisation fréquente d’images apocalyptiques dans ses « manifestes politiques » sous-entendait des contacts avec des personnes ou des groupes particuliers de religieux. Et il faudrait mieux connaître le lien idéologique et réel noué entre Cola et Louis de Bavière, figure autour de laquelle s’étaient rassemblées diverses oppositions au pape avignonnais, et spécialement celle du mouvement des Spirituels20 de l’ordre franciscain et celle des fraticelles. Enfin, l’influence de Pétrarque, pour lequel les attaques contre Avignon – Babylone infernale – et l’attente d’un nouvel âge constituent de grands thèmes poétiques et politiques21, est fondamentale. D’autre part, l’histoire des mouvements de pauvreté évangéliques du bas Moyen Âge et de leurs liens avec le prophétisme est des plus ardues à reconstruire22.
19Les principales convictions que Cola tira de la fréquentation de ces groupes qui vivaient en marge du monde peuvent se résumer brièvement : nous les reprendrons par la suite en analysant ses lettres. Avant tout, Cola commença à cultiver une vénération particulière pour saint François d’Assise, l’alter Christus, celui qui soutient l’Église menaçant ruine. François s’était totalement conformé au Christ et cela s’était traduit par la réception des stigmates. À l’imitation de François, Cola vénérait ardemment la sainte Croix. Se proposer d’être en totale conformité avec la règle franciscaine passait par une défense de la pauvreté absolue. Mais Cola n’était pas intéressé par le discours de la pauvreté individuelle, il l’était beaucoup plus par celui de la pauvreté de l’Église. Il commença donc à partager l’idée de la nécessité d’une Église pauvre, opposée à l’Église charnelle23. Cette dernière vivait en Avignon, alors que l’autre arriverait le jour où un « pape angélique » s’opposerait aux papes corrompus. La figure de Célestin V, le pontife qui avait renoncé à la tiare et qui était ensuite mort en prison dans des circonstances suspectes, était considérée comme annonciatrice de ces temps. Et nous entrons là dans un discours on ne peut plus typiquement eschatologique. À cette époque, il y en eut pour croire à la résurrection de saint François et à la proche fin du monde24.
20Les prophéties s’emparèrent de l’esprit de Cola au début de l’année 135025. Il eut l’occasion de lire un texte appelé Oraculum Cyrilli (l’Oracle de Cyrille). Celui qui le lui avait donné était un certain Angelo di Monte Vulcano, ermite dans les Abruzzes, qui aux dires de Cola, l’avait miraculeusement reconnu en l’appelant par son prénom26. Selon la légende en circulation, ce texte prophétique avait été donné par Dieu à saint Cyrille de Constantinople (†1235) sur le mont Carmel. Alors que Cyrille disait la messe, un ange lui était apparu. Il avait des lys dans une main et dans l’autre il tenait deux tables d’argent, qu’il lui remit en annonçant qu’elles venaient de Dieu. Le moine, après avoir pris les tables, les donna à son tour à Joachim de Flore pour qu’il les explicite. Ce texte et le commentaire qui l’accompagnait (faussement attribué à Joachim) avaient été composés dans les dernières années du xiiie siècle, dans un environnement italo-franciscain et, très probablement, au sein d’un groupe radical de Spirituels. Il avait été répandu chez les disciples d’Angelo Clareno. Cola lui-même a dû en posséder une copie ou tout au moins en transcrire de longs passages27. Le texte lu, médité et glosé par Cola révélait des choses incroyables déjà survenues et suggérait pour le futur tout autant d’événements nouveaux et étonnants. Son analyse est complexe et nous en donnerons un avant-goût dans le paragraphe suivant ; par-dessus tout, cependant, Cola di Rienzo y lut une prophétie dérivée de la pensée de Joachim de Flore et réélaborée : la fin de l’Église charnelle et l’avènement d’un nouvel âge, celui du Saint-Esprit28.
21Cette nouvelle époque du monde suivait l’âge du Père et celui du Fils, c'est-à-dire le temps de l’Ancien Testament et celui du Nouveau Testament, dit aussi temps de l’Église. Le dernier âge du monde, dominé par le Saint-Esprit, devait correspondre à un Évangile éternel, tout entier esprit et liberté. Dans l’ermitage de la Maiella, Cola entrait en contact, peut-être pour la première fois, avec une spéculation sur l’avènement du Saint-Esprit qui complétait de façon cohérente sa foi en la troisième personne de la Trinité, et qui justifiait également son œuvre propre, en lui dévoilant des arcanes et des significations qu’il n’avait jamais envisagés. Le « candidat » chevalier du Saint-Esprit dut en rester foudroyé29.
22L’organisation méthodique de ce fatras d’informations et de révélations l’occupa sans doute un certain temps. Il s’agissait de transférer son action du plan humain à celui du divin : une hausse très nette du degré où sa mission se plaçait. Si, dans un premier temps, il avait pu croire qu’il agissait parce qu’il avait été choisi par le Saint-Esprit pour ramener la justice et la liberté incarnées dans Rome (cela avait été « la première année de la République libérée »), maintenant il pouvait croire que Dieu se servait de lui pour atteindre quelque chose d’encore plus élevé : inaugurer un nouvel âge du monde, dominé par l’Esprit divin. Le changement de plan avait dû lui paraître évident lorsqu’il avait comparé la valeur du matériau des tables qui le poussaient à l’action : cela avait été tout d’abord les tables de bronze de la Lex de Imperio, c’étaient maintenant les tables d’argent de l’Oraculum Cyrilli. La réflexion sur ce texte, cependant, n’était pas le fait d’un humble glossateur. Pour celui qui avait rêvé de devenir empereur, il ne devait pas être trop difficile de se convaincre que c’était précisément à lui et de lui que l’oracle parlait. En y repensant dans un esprit religieux, Cola comprend quel est le moment où le Seigneur l’a abandonné. Ce même oracle le lui dit : « De la même façon, il pose que mes actions plurent à Dieu jusqu’à ce que je veuille être couronné et appelé Auguste30 » ; en ce 15 août, Cola a accompli le geste impie et orgueilleux de se comparer au Christ. Sur le choix du péché non plus, l’ancien tribun ne fait pas dans la demi-mesure : la faute est gravissime parce que c’est la même que celle de Lucifer qui prit la tête de la révolte des anges, et que celle d’Adam, qui se voulait semblable à Dieu. Ce n’est pas sans raison que le frère qui était présent ce jour là aurait dit que Cola tombait du ciel31. Il est à ce moment l’exact contraire du vrai alter Christus, François : il est l’orgueilleux face à l’humble.
23Cola réélabore a posteriori une sorte de calendrier expiatoire. Puisqu’il avait affirmé avoir accompli des œuvres similaires à celles du Christ quand ce dernier avait trente-trois ans, sa pénitence devra durer trente-trois mois. Il calcule ces mois à partir du jour où il a cédé le pouvoir : le 15 décembre 1347. Le dernier jour de peine et d’exil correspondra, pour cette raison, au 14 septembre 1350, fête de l’Exaltation de la Croix. La mystérieuse correspondance entre les jours et la liturgie lui vient en aide, même si Cola la comprend (et donc la manipule et l’ajuste) quand une grande partie du temps de la pénitence est déjà accompli. En 1350, quand il conçoit tout ce dessein, c’est encore le jubilé, l’année de rémission générale des fautes et des peines32. Sa Rome sacrée est naturellement le lieu où il pourra obtenir le pardon. La basilique de Sainte-Croix-de-Jérusalem conserve la relique de la vraie Croix, trouvée par sainte Hélène, mère de Constantin. Voici le point central de toute la construction, voilà son idée : être à Rome le 14 septembre 1350, dans la basilique impériale de la Sainte-Croix, pour donner le départ du nouveau cours du monde
24Sa mission, comme il la lit dans l’oracle, n’est cependant pas de se rendre à Rome en qualité de simple pèlerin. Le Saint-Esprit l’a institué messager de grandes révélations et l’a en même temps chargé d’agir en personne, pour préparer le terrain, comme saint Jean-Baptiste, à celui qui devra porter la mission à son accomplissement. Qui donc cela pourrait-il être ? Certainement pas le pape, parce que désormais les attaques contre l’Église avignonnaise, de politiques qu’elles étaient principalement, sont devenues pour lui de féroces critiques religieuses33. Le pape reste dans sa Babylone : même en temps de jubilé, il ne daigne pas revenir à Rome. Mais il existe une autre puissance universelle dont on peut attendre de grandes choses. Pour elle aussi, Rome est le siège naturel où tout a commencé.
25Par conséquent, il est possible que Cola se soit rendu dans l’Urbs dès les premiers mois de l’année, pour obtenir le pardon de ses fautes et la rémission de ses peines, noyé dans la foule des pénitents. Matteo Villani (vers 1280-1363) raconte que le nombre des pèlerins présents à Rome entre le carême et Pâques fut estimé à un million, un million deux cent mille ; il était donc très simple de passer inaperçu au milieu d’une telle cohue. Mais pourquoi revenir ainsi quand il aurait pu rentrer dans l’Urbs d’une façon complètement différente, en vainqueur ? Si jamais Cola se rendit à Rome, il le fit surtout pour rencontrer ses soutiens et préparer le terrain.
26C’est ainsi qu’au début de l’année 1350, fort d’une confiance en lui vraiment hors du commun, Cola se mit en voyage pour Prague, où résidait l’empereur élu Charles IV. Il était accompagné d’une petite suite de serviteurs et de compagnons, et réservait à l’empereur le secret d’une révélation. Peu de temps avant son départ, il prépara un écrit volumineux dans lequel il se défendait de l’accusation d’hérésie. L’œuvre, scellée dans une peau de chèvre, était écrite dans des tons vifs et incisifs, mais ne s’est pas conservée.
3. Messager angélique
27En mars, Charles de Bohême avait fait savoir qu’il arriverait à Rome dans le courant de l’année 1350 pour obtenir l’indulgence34. Cola entendait le convaincre que l’envoyer par avance dans la cité, pour la pacifier et préparer le terrain en vue d’une arrivée triomphale aurait été une excellente démarche. S’il avait réussi dans son intention de précéder le roi des Romains à la tête d’une armée, l’ancien tribun aurait récupéré le pouvoir. Il ne serait plus question d’être empereur, c’est certain, mais il se voyait vicaire de Rome. C’était en réalité le principal objectif qu’avait Cola en tête alors qu’il était en route vers Prague.
28Le plan avait été assez soigneusement préparé ; par exemple, la date prévue pour le retour, le 14 septembre, précédait de peu celle où allait intervenir le changement de sénateurs. Cela signifiait que les énormes quantités d’argent amassées au Capitole durant l’année sainte seraient encore – mais pour peu de temps – in loco. Cola, en pénétrant dans la cité, aurait eu immédiatement à sa disposition des sommes considérables qui lui auraient permis de consolider son pouvoir. De plus, pendant ce même printemps, Louis de Hongrie était revenu à Naples, si bien que Cola était convaincu de pouvoir obtenir des appuis de ce côté-là également, en renouant la vieille alliance. Ce n’était pas totalement fou, parce que Charles IV aurait sans doute apprécié d’avoir à sa disposition quelqu’un qui connaissait l’humeur des Romains et qui avait déjà démontré qu’il savait les gouverner. Mais de là à se convaincre que Cola pût prendre en main les rênes du monde en son nom, il y avait un gouffre. Avec peu d’armes en main, le tribun se mettait dans les griffes du lion.
29Grand orateur, ancien ami de Pétrarque, il était convaincu de pouvoir toucher le cœur du souverain par trois voies différentes. La première était de gagner à son parti le chancelier de l’Empire, Johann von Neumarkt (Jan ze Středy † 1380), homme de grande culture, qui allait devenir à son tour ami et disciple de Pétrarque. Le chancelier, qui avait noué des rapports d’estime et d’amitié avec Cola, dont il partageait l’origine notariale, maintenait avec lui une belle correspondance épistolaire. C’est justement au chancelier que l’on doit une bonne partie du recueil des lettres de Cola. Ce dernier voulait, d’une certaine façon, répéter l’expérience avignonnaise : le rôle de Pétrarque en 1343 aurait pu devenir – avec un pouvoir encore supérieur – celui de Johann von Neumarkt, qui lui aurait ouvert la porte du palais35. Alors même qu’il avait passé tous ces mois dans la montagne, Cola n’avait pas perdu confiance dans la puissance de la rhétorique.
30La seconde voie pour convaincre le roi de lui accorder son aide, il fallait la chercher dans le message prophétique dont Cola se prétendait porteur. Il est en effet très probable que le tribun était convaincu de la vérité et de l’évidence de ses révélations. Du reste, elles prirent réellement racine en Bohême, en favorisant le développement du joachimisme dans cette région, et l’historien Raoul Manselli a non seulement retenu Cola au nombre des esprits les plus hautement et chrétiennement engagés du xive siècle, mais aussi comme un des précurseurs de la réforme protestante36. Probablement, Cola – et ceux qui le convainquirent d’entreprendre le voyage vers Prague – ne connaissait pas suffisamment la personnalité et la religiosité de Charles IV. Croyant sans doute trouver un nouveau Louis de Bavière, dont le soutien aux fraticelles était notoire, il se heurta à un infatigable défenseur de l’orthodoxie et de l’Église romaine.
31Enfin, le troisième expédient qu’il voulait utiliser était vraiment étonnant et nous le révélerons sous peu. Cola, en voyageant peut-être à la suite d’un groupe de pèlerins de Bohême, rejoignit Prague en juillet. L’Anonyme romain, lui aussi fasciné par les dates anniversaires, croit qu’il y arriva le 1er août, jour fatidique dans la vie de Cola ; mais pour toute cette partie de la vie du tribun, l’exactitude de son témoignage est tout à fait insuffisante37. Pendant le voyage, l’ancien tribun eut soin d’aviser par lettres certains « marchands toscans », en déclarant qu’il se rendait chez l’empereur non pour trahir la faction guelfe, mais parce qu’il travaillait pour toute la Toscane et l’Italie38.
32La ville dans laquelle il arrivait vivait une période de splendeur ; en pleine transformation, elle allait devenir une des grandes capitales européennes. En 1344, elle avait été érigée en archidiocèse métropolitain, et en 1348, on y avait fondé une université dont l’archevêque de la cité lui-même, Ernest de Pardubice (vers 1297-1364), conseiller spirituel et politique de l’empereur, homme de savoir, vénéré par la suite comme saint, était chancelier. Cola prit une chambre chez un aubergiste italien et n’eut pas de difficulté à être reçu à la cour ; il garda peut-être l’incognito tout au début, mais dévoila pratiquement immédiatement son identité. Son biographe anonyme nous a transmis les termes d’un discours qu’il tint face au souverain qui le reçut trois fois. Tout le discours a été reconstruit de façon littéraire et les termes cités ne sont pas ceux réellement prononcés, mais ils cachent cependant un fond de vérité39. Après s’être enorgueilli des actions de son gouvernement, Cola avouait à Charles son humilité : « Verme so’, omo fraile, pianta como l’aitri » [Je suis un ver de terre, un homme fragile, une plante comme les autres]. Il déclarait qu’il avait été chassé du pouvoir par l’envie et l’orgueil des puissants. Il demandait la protection impériale.
33Charles le prit sous sa protection et l’invita à débattre avec les savants, ce que Cola fit avec compétence. Mais il était difficile à l’empereur de tenir grand compte des paroles de celui qui, quelques années auparavant, l’avait cité à comparaître en compagnie des princes électeurs. Il l’écouta la première fois ; la seconde, il lui demanda de répéter devant l’archevêque de Prague et quelques théologiens ce qu’il venait de déclarer. C’est alors qu’il le fit de facto arrêter en l’assignant à résidence honorable chez l’archevêque.
34Charles donna l’ordre à Cola de mettre par écrit ce qu’il avait déjà exposé oralement, si bien que pendant la première moitié du mois de juillet, le rhéteur se mit en devoir de composer une lettre au souverain, lettre d’une très grande importance pour la reconstruction de son existence, de la conception qu’il s’en était faite et de la prophétie qu’il diffusait40. Cola remaniait son passé, en déformant des passages jusqu’à l’obtention d’un dessein cohérent et clair. Le jour même où il avait remis les insignes du pouvoir (15 décembre 1347), il se serait rendu dans les monts Apennins, où il serait demeuré, en habit de pauvreté, et aurait prié avec les ermites pendant trente mois, c'est-à-dire jusqu’à la fin du mois de juin de l’année en cours. Il est évident que, dans le dessein providentiel qu’il va présenter, Cola ne peut concéder aucun espace à la période de la fuite, et amplifie pour cela l’expérience de l’ermitage en y incluant aussi toute l’année 1348, qu’il avait au contraire passée pour une bonne partie à Naples, et en prison au château Saint-Ange.
35Suit le récit de l’arrivée du frère ermite Angelo di Monte Vulcano qui, en le saluant de son nom propre, qu’il avait soigneusement dissimulé à tous les autres, lui révèle qu’il est temps de travailler non plus pour ses intérêts personnels, mais pour le bien universel. Il l’informe que Dieu, écoutant les prières de la Vierge, est sur le point de procéder à une réforme générale, déjà prédite par beaucoup de religieux. Il explique que c’est à cause des nombreux péchés des hommes que Dieu a envoyé la grande mortalité et le tremblement de terre, et qu’il enverra des fléaux encore plus lourds, parce que le peuple et les pasteurs ne se conduisent pas bien. Avant l’avènement du bienheureux François , dit frère Angelo, Dieu avait déjà eu l’intention de punir le peuple et de le foudroyer ; mais, sur les instances des deux grands saints, Dominique et François, qui soutinrent l’Église qui menaçait ruine, le jugement de Dieu a été prorogé jusqu’aux temps présents. La réforme de l’Église est désormais proche ; dans peu de temps un futur pasteur convertira aussi les Sarrasins. Frère Angelo soutient que le moment est proche « où le Saint-Esprit entrera dans le temps, où Dieu sera connu des hommes ». Il dit ensuite que Dieu a choisi un homme saint, que tous reconnaîtront grâce à la révélation divine, qui réformera de bien des façons l’orbe terrestre, avec l’empereur élu, en expurgeant de chez les pasteurs de l’Église la surabondance des plaisirs temporels et caducs.
36Cola ne craint pas d’écrire ce qu’il écrit : l’appelé de Dieu sera la terreur de l’Église et la personne du pape également sera en danger. Le pasteur évangélique secourra l’Église croulante comme l’a fait François, réformera l’état de l’Église, et avec les trésors ecclésiastiques, édifiera un grand temple dédié au Saint-Esprit, qui sera appelé Jérusalem, et même les infidèles de l’Égypte viendront y prier.
37Il est temps maintenant de revenir à Rome, car ce sont désormais quarante années complètes qui se sont écoulées depuis le transfert du siège papal à Avignon (Cola compte à partir de 1309) ; une prophétie a révélé que nous nous trouvons dans le temps juste, égal à celui pendant lequel l’Arche d’alliance a erré dans le désert avant de retourner enfin à Jérusalem. Le temps est arrivé aussi parce que le Très-Haut verra avec faveur que dans le jubilé du cinquantenaire, toute chose retourne à sa condition d’origine, selon les préceptes du Lévitique.
38Angelo di Monte Vulcano était donc celui qui poussait Cola à se rendre en éclaireur auprès de l’empereur romain « qui, dans l’ordre des Augustes, est le centième », pour l’assister de ses conseils et de son aide. C’était en effet une croyance répandue parmi les fraticelles que l’empereur devait être l’instrument de la restauration du règne de Dieu sur terre. Cola annonçait dans sa lettre quelques autres prophéties, puis révélait finalement que si l’empereur l’envoyait en Italie pour préparer le terrain, il lui dégagerait la route. Il se sentait même capable de mettre à ses pieds en même temps les Orsini et les Colonna, et le peuple serait unanime. Pour être cru et pour garantir le succès de l’entreprise, Cola offrait son fils en otage au souverain et se déclarait prêt « pour le salut du peuple à immoler le fils unique Isaac ». Peu de temps après, le nouvel Abraham perfectionnera cette clause de l’accord, en se déclarant disposé, dès qu’il serait arrivé à Rome, à livrer son fils et ses beaux-frères au préfet Giovanni di Vico qui était son ancien adversaire, et dont lui-même avait tenu un fils en otage 41. Sa lettre se terminait sur deux révélations explosives : la mort du pontife d’ici un an et demi (et il se trompa de peu) et le triomphe de la seule foi chrétienne dans le monde entier, un fait prévu pour 1357.
39Clément VI fut immédiatement informé de la réapparition de Cola. Le 17 août, il écrivit à Charles IV et à l’archevêque de Prague, en se réjouissant à la nouvelle que l’horrible fils de Bélial ait fini miraculeusement entre leurs mains42. Il demanda qu’il lui soit envoyé immédiatement sous bonne garde ou bien qu’il soit détenu dans une prison sûre. Dans ce dernier cas, le procès contre Cola se serait déroulé à Prague, où il aurait pris soin d’envoyer tout le nécessaire. Il mettait particulièrement en garde l’archevêque Ernest contre la capacité d’argumentation de ce prisonnier, qu’il ne devait sous aucun prétexte se laisser convaincre de libérer. Quand il n’était pas encore pape, Clément VI avait été le maître de Charles ; leur rapport amical perdurait. À partir de ce moment commença un échange serré de lettres et d’envoyés pour négocier le sort de Cola. Ce dernier devenait un objet de troc pour arriver à un accord sur d’autres questions plus graves, et en premier lieu celle du couronnement impérial.
4. De sang impérial
40Charles IV ne dut pas se montrer trop impressionné par les vaticinations de Cola, qui n’étaient pas nouvelles. Quant à l’hypothèse de l’envoyer à Rome, elle ne fut probablement pas envisagée : même s’il avait bien voulu croire les paroles d’un notaire, ex-gouvernant, vêtu d’un froc, jamais l’empereur élu n’aurait risqué de compromettre ses bons rapports avec l’Église pour une pareille sottise. Cola lui étant tombé entre les mains fortuitement, il n’allait certainement pas le laisser partir, et bien qu’avec des égards, le tenait prisonnier pour cette raison. Tout au plus l’aurait-il remis au pape, s’il l’avait jugé bon et quand cela lui aurait convenu.
41Cola l’avait sans doute compris. Peut-être pour arriver à le convaincre, ou au moins pour insinuer dans son esprit le doute qui l’aurait mis à l’abri du pontife, ou encore parce que lui-même s’en était pénétré, l’ancien tribun décida d’exploiter la révélation secrète en laquelle il plaçait une grande confiance. Pendant la seconde moitié du mois de juillet, il écrivit une autre lettre au souverain et lui présenta une nouvelle version de sa vie43. Il avait toujours caché, au fond de son cœur, le mystérieux secret qu’il lui révélait maintenant ; pendant les trois rencontres qu’il avait eues avec lui, il n’avait jamais abordé cet argument :
Bien que je sois indigne d’un tel seigneur, toutefois la nature elle-même, qui construit tout, me fit naître, comme je le crois, de l’empereur Henri de glorieuse mémoire, votre ancêtre et mon seigneur sempiternel, d’une femme qui a été son hôtesse et sa servante44.
Suivaient un éloge des bâtards et une apologie du comportement des rois : David également, roi authentique et saint, avait eu un fils de Bethsabée, femme de son général Urie, et le patriarche Abraham lui-même, après avoir reçu la permission de Dieu, avait engendré un fils d’une servante. Cola raconta par le menu comment ce fait inouï s’était produit.
42Selon son récit, l’empereur Henri VII se rendit à Rome pour être couronné dans le courant du mois de mai 1312. Il croyait que le couronnement se ferait rapidement alors qu’il lui fut au contraire rendu difficile par des machinations rusées et secrètes. Quelques puissants Romains, convaincus par des rétributions et associés au roi de Naples et aux guelfes, empêchèrent que l’empereur arrive jusqu’à Saint-Pierre pour y être couronné, comme il est de coutume pour tous les empereurs. La ville avait été complètement fermée par des barrières, des poutres, des constructions et des obstacles de bois. C’était la guerre de tous côtés. Henri, ne pouvant traverser la cité, dut être couronné au Latran. Alors qu’il s’apprêtait à quitter Rome, il eut néanmoins le désir de visiter la basilique Saint-Pierre. Puisque c’était impossible, il choisit un compagnon italien qui connaissait bien les chemins cachés et franchit avec lui les barrières et les rues pleines d’obstacles, arriva jusqu’à la tombe de saint Pierre et visita les lieux du couronnement. Mais la nouvelle de son déplacement, qu’il ne put totalement cacher, se propagea. Les portes furent immédiatement fermées et l’on proclama de vive voix l’avis suivant : qui prendra l’empereur et le livrera au capitaine du parti guelfe recevra en récompense une grande quantité d’or. L’Italien et l’empereur vinrent à le savoir et empruntèrent un passage caché, dit « Ripa del fiume » [rive du fleuve] où, dit Cola, « est encore située ma maison ». Étant donné que la maison de Cola était proche de la barrière fermée et gardée, ils y entrèrent en feignant de vouloir boire (c’était en effet une taverne publique) et demandèrent une chambre pour la nuit. La mère de Cola, en l’absence de son mari appelé à monter la garde quelque part, les reçut et les hébergea avec générosité. Selon certains, ils restèrent là pendant dix jours, selon d’autres quinze, tandis que l’empereur se faisait passer pour un infirme. Finalement, la suspicion retomba et on suspendit la garde aux barrières. À propos de cette aventure clandestine de l’empereur, Cola aurait pu questionner ceux qui étaient avec Henri à cette époque : quelques-uns étaient certainement encore en vie.
43Pendant ce temps-là, l’Italien s’éloignait car il fallait trouver des vivres. La mère de Cola, qui était une jeune fille très jolie, ne donna à son seigneur peut-être pas moins que ce qui fut donné à David le saint et à Abraham le juste par leurs bien-aimées. Les routes une fois ouvertes, l’empereur retourna en cachette sur l’Aventin, où il résidait habituellement, et quelques jours après, rassembla son armée et fit route vers la Lombardie, pour mourir, comme il est notoire, près de Buonconvento au mois d’août 1313. « Et puisqu’il n’existe rien de caché qui ne finisse par être révélé », après le départ de l’empereur, cet Italien révéla qu’Henri avait vécu incognito pendant plusieurs jours dans cette maison. Sa mère, qui auparavant ignorait la vérité, prit peur. Elle confia en secret à une amie qu’elle était enceinte de l’empereur. L’amie trouva une autre amie à qui raconter le secret en secret : « Et ainsi dans ces jours-là, ce commerce secret ne fut pas peu chuchoté d’oreille en oreille. » La mère, lorsqu’elle fut mourante, s’en ouvrit au prêtre comme c’était son devoir. Sa condition fut révélée à Cola, plusieurs années après, tant par un prêtre que par une amie. Cependant, il la garda pour lui, ne la divulgua pas et en rougissait comme d’un manque de respect envers sa mère, il écoutait cela avec gêne et niait le tout « avec un visage loin d’être serein ». Il était cependant convaincu que c’était la vérité : c’est pour cela qu’il commença à abandonner la vie plébéienne et à cultiver son esprit dans des commerces autant que possible si élevés qu’ils puissent lui donner honneur, louanges et gloire plus qu’aux autres citoyens.
44La conscience d’être fils de l’empereur devenait dès lors la raison déterminante de son amour viscéral pour la Rome antique, de sa volonté d’excellence et de son désir d’aider le peuple : mais ce n’était toutefois plus comme fils du peuple. Cola raconte les actions admirables qu’il a accomplies le jour de la Pentecôte et le 1er août ; il soutient qu’à cette période, la renommée de son illustre naissance, qui commençait à s’éteindre à cause de sa longue absence de Rome, se prit à renaître parmi les citadins. Cola, en revanche, luttait contre ces rumeurs en se montrant presque hostile envers l’empire des Allemands, pour ne pas faire naître des soupçons de partialité parmi les puissants et les peuples d’Italie. Depuis le temps du tribunat, la renommée d’une telle naissance s’était tant accrue que désormais, non seulement les hommes et les femmes de Rome, mais aussi les petits enfants en parlaient ouvertement.
45Cola invitait le roi à diligenter une enquête, en commettant naïvement, entre autres, l’erreur de déclarer que Louis de Bavière, empereur déposé et excommunié, avait connu sa condition. Il faisait des considérations sur la parfaite concordance entre son âge et la période du séjour romain d’Henri VII ; il suggérait de questionner les Romains ; il assurait avoir choisi comme emblème celui de Boèce parce qu’il avait appris par les chroniques romaines que la mère de ce dernier était bohémienne, de souche royale, et ajoutait que c’était pour cela qu’il avait inclus le nom de Sévère dans le titre du tribun et avait baptisé son fils Boèce (nous savons bien qu’il s’appelait Lorenzo comme son grand-père). Après s’être lancé dans de nouveaux éloges de son action et de son formidable tempérament guerrier – qui s’expliquait maintenant et était tout à l’honneur de la maison impériale – Cola explique n’avoir jamais renoncé à la dignité de tribun, mais l’avoir seulement suspendue volontairement. Il invite Charles à réformer l’Empire. Il se propose comme un candidat possible pour l’aider, endossant lui-même l’image traditionnelle de saint François qui soutient l’Église menaçant ruine : « Certainement, tout cela ressort d’un miracle divin, si l’Empire en ruine est secouru par un homme pauvre et nouveau, comme dans un autre temps l’Église romaine en ruine fut secourue par François. » Comme François qui a demandé au pape d’approuver et de soutenir sa règle, Cola, qui veut réformer l’Empire, demande l’approbation de l’empereur. Il l’exhorte à se dresser, à séparer le pouvoir spirituel du pouvoir temporel ; il condamne le gouvernement inique des États de l’Église ; il l’invite à reprendre ce qui est à César. Il se défend encore de l’accusation d’hérésie et rejette la calomnie inventée par le cardinal Giovanni Colonna : il n’a pas possédé une croix, montée sur le sceptre, dans laquelle se serait caché un esprit immonde qui lui racontait les choses du futur. Enfin, il suggère au souverain de l’envoyer en Italie et à Rome pour les rendre à l’Empire.
46Qu’il descende d’Henri VII, naturellement, cela ne tenait pas debout, même avec des béquilles ! Peut-être s’inspira-t-il d’une sorte de réélaboration de la légende de saint Alexis, qu’il place en effet au début de sa lettre. Le saint, qui s’était éloigné de la maison paternelle le jour de ses noces, y était retourné sous de fausses apparences, et son identité n’avait été révélée qu’après sa mort. Sa légende était fameuse et très connue aussi bien à Rome qu’à Prague. À Rome en particulier, le monastère de Saint-Alexis sur l’Aventin, fondé par Otton III, dont l’abbé était un ami de Cola, représentait une sorte de pont idéal avec l’Empire. Le culte liturgique de sa mémoire tombait le 17 juillet : il venait tout juste d’être célébré, si bien que la décision de procéder à la révélation de sa filiation avait aussi pu être déclenchée par cette coïncidence de date, dont nous savons combien elle était significative pour Cola. Cette idée de la révélation d’un sang royal débouchera sur d’autres suites dans la vie de Cola, comme l’étrange histoire de Giannino di Guccio45. Mise à part la construction intellectuelle tout à fait exceptionnelle, ce qui laisse perplexe, c’est l’assurance avec laquelle Cola se livrait à cette énorme fanfaronnade devant l’empereur. Charles IV était le petit-fils d’Henri VII, en tant que fils de son fils, Jean l’aveugle. Par conséquent, Cola aurait été son oncle. Si la chose s’était vérifiée, sa position aurait été dangereuse, parce que Charles IV, bien qu’il soit devenu empereur non pas par la voie dynastique mais par l’élection, n’aurait pas apprécié le voisinage d’un oncle qui, quelques années avant, avait proclamé à tous les peuples d’Italie son désir de devenir un nouvel Auguste. L’excuse de s’être comporté en adversaire de l’Empire allemand et des électeurs pour ne pas susciter de suspicion, alors qu’il était en fait un des « leurs » mais incognito, était un peu grosse. Toute l’histoire était évidemment fausse et la seule chose à laquelle pouvait vraiment s’attendre Cola de la part du souverain était que ce dernier ne puisse plus prendre désormais au sérieux aucune de ses affirmations.
47Charles répondit en une seule fois aux deux missives de l’ancien tribun46. Il s’agit d’un texte cultivé mais au ton familier, dense de citations des Saintes Écritures. L’empereur rappelle qu’il n’est pas permis de connaître le futur et que les choses que Cola divulgue sont des erreurs tout à fait contraires à la vérité. Tout en usant d’un ton empreint de respect, mais avec parfois un penchant pour le paternalisme et l’ironie, Charles l’invite à « laisser là les ermites ignorants », qui ne sont pas des érudits, mais « des idiots qui croient suivre le chemin de l’humilité, sans même être capables de résister à leurs propres péchés et de sauver leur âme ». Qui les croit fuit la sainte doctrine, et croit en des fables. Le roi des Romains proclame la doctrine orthodoxe de l’Église et poursuit les fraticelles comme hérétiques.
48Il lui explique que s’il le tient prisonnier, c’est précisément pour l’éloigner de leur influence et pour placer à côté de lui quelqu’un qui le reconduise sur la bonne voie. Lorsqu’il aborde le thème de la conception de Cola, Charles ne le prend pas en mauvaise part et le laisse à Dieu en affirmant qu’il n’incombe pas aux hommes de disputer de telles choses. Et il ajoute benoîtement : « Toutefois, nous savons que nous sommes tous des créatures de Dieu et des fils d’Adam, formés de boue, et qu’à la fin nous retournerons à la terre, et que Dieu nous a ordonné de nous aimer les uns les autres. » Après lui avoir expliqué qu’il ne l’enverrait pas en Italie, le roi l’exhorte à « abandonner ses fantasmagories », à oublier les honneurs séculiers et à persévérer dans une conduite correcte.
5. Prédestiné
49Faire l’annonce d’une mission divine à l’empereur n’avait pas fonctionné ; chercher à lui faire comprendre les avantages politiques de l’envoyer en Italie en éclaireur avait été inutile ; dévoiler leur commune appartenance à la lignée impériale ne l’avait certainement pas aidé. Mais Cola n’avait pas encore épuisé toutes ses armes. Pendant le mois d’août, alors que désormais on ne le recevait plus à la cour et qu’un contact direct avec le souverain était devenu impossible, l’ancien tribun s’appliqua à la rédaction de deux lettres. Longues et complexes, elles constituent de véritables œuvres littéraires. Elles montrent, avec leur caractère de traité apologétique et de libelle politique, l’intention de leur auteur de justifier une fois pour toutes son œuvre et d’expliquer la vérité qui se cache derrière les choses. La première, qui date du 15 août environ, était destinée à l’archevêque Ernest de Pardubice, qui le tenait prisonnier, et porte le titre de Verus Tribuni libellus contra scismata et errores, scriptus ad Archiepiscopum Pragensem [Vrai libelle du tribun contre les schismes et les erreurs, écrit à l’Archevêque de Prague]. La seconde lettre, composée entre le 15 et la fin du mois, est une réponse minutieuse à la lettre de Charles IV, et s’intitule Responsiva oracio Tribuni ad Caesarem super eloquio caritatis47 [Oraison en réponse du Tribun au César sur son discours de la charité].
50On considère qu’il s’agit des sources principales pour reconstruire la « biographie spirituelle » de Cola, mais on peut difficilement les résumer. C’est un texte riche et compliqué que Cola envoie à l’archevêque ; il adopte un style ardu, il emploie des phrases et des concepts qui contiennent des oppositions et des antithèses : on a l’impression de lire une controverse universitaire. Il écrit essentiellement pour être libéré et se justifier car il craint que le procès pour hérésie, décrété par le pape, ne se déroule devant le tribunal de l’archevêché. Heureusement pour Cola, l’archevêque ne transmit pas au pape la copie de cette lettre, qui aurait difficilement pu le disculper.
51Cola défend sa doctrine personnelle. Plutôt que chimérique et insane, comme on le lui reproche, elle est apostolique, évangélique, pure, vraie et saine. Il attaque durement le pape, qui ne se comporte pas en pasteur de son troupeau, mais en mercenaire ; il l’accuse d’avoir abandonné Rome. Pierre, en s’enfuyant de Rome, avait rencontré le Christ : Domine, Quo vadis ? (Seigneur, où vas-tu ?) lui avait-il demandé. Le Christ lui avait répondu : « Je vais à Rome pour me faire crucifier de nouveau », et Pierre était revenu sur ses pas pour subir le martyre48. Le pape, successeur de Pierre, n’a rien fait de tout cela et a fui Rome sans jamais plus y revenir.
52La polémique anti-baronniale atteint directement Avignon. Cola dénonce l’effet néfaste de la collusion entre la curie et les familles de la noblesse romaine : ces mêmes loups qu’il dit craindre et qui l’empêcheraient de revenir à Rome, c’est le pape qui les nourrit. Les Orsini et les Colonna, « voleurs publics », sont comblés de dons et de dignités ecclésiastiques. Le pape aurait pu conférer les plus hautes magistratures à un étranger, mais il ne l’a jamais voulu, puisqu’il a toujours nommé sénateurs les « furieux tyrans romains ». L’accusation portée contre le pape est très dure. Cola lui impute la responsabilité de la division entre guelfes et gibelins et de l’état misérable de l’Italie. Au lieu d’être claviger, porteur de clé, il est devenu armiger, porteur d’armes49. Les recteurs de l’Église sont des gens dangereux ; les cardinaux sont coupables de crimes de sang, et responsables de l’homicide du roi André, premier mari de la reine Jeanne de Naples. Vient ensuite l’apologie de ses actions au gouvernement, accomplies également en faveur des ecclésiastiques, de la morale publique et de la liberté de l’Église. La réaction du pape à son encontre est donc injuste et inspirée par la haine. Cola, dans un discours enflammé, tente à présent de justifier à nouveau certaines des positions extrêmes qu’il a prises. Il affirme ainsi que la façon dont il avait cité le pape à comparaître n’était pas arrogante, parce qu’en réalité il avait mis sur pied une ambassade solennelle et surtout parce qu’il l’avait fait en la présence du vicaire du pape. La matière est glissante et sa défense est étrangement maladroite. On atteint des sommets lorsque Cola explique que la citation des princes électeurs n’a pas été faite dans le but d’enlever l’Empire aux Allemands, mais pour célébrer, le jour de la Pentecôte, un magnifique synode, en y invitant également tous les tyrans d’Italie. En leur faisant croire qu’il allait dispenser les honneurs et les confirmations de droits, dit Cola, « il les aurait suspendus tous ensemble le même jour face au soleil50 ». Cola confesse ainsi, sans le vouloir, que s’il avait pu, il aurait aussi pendu les princes allemands, et naturellement Charles de Bohême.
53L’homme se proclame totalement innocent de chacune des accusations et fidèle chrétien. Il accuse à l’inverse le pape et les cardinaux en affirmant – comme l’affirment les fraticelles – que leur Église n’est pas la véritable Église et que Boniface VIII a tué le pape Célestin. En invoquant son propre cas, il soutient que son expulsion de Rome a été un châtiment divin qu’il a mérité, mais qu’il ne s’agit pas d’un exil à perpétuité. Il peut maintenant se relever plus fort et resplendissant, comme le soleil qui apparaît plus radieux après avoir été couvert par les nuages. Il confesse cependant la faute de s’être comparé au Christ, qui à trente-trois ans avait accompli des choses admirables, et décrit sa propre chute – prédite par le frère qui, le 15 août, s’était mis à pleurer en l’écoutant parler – comme si elle avait été déterminée justement par cet acte d’orgueil qu’il avait commis. Arrivé là, il fait porter ses réflexions sur les trente-trois mois de la durée de son expiation, qui allait se terminer le 14 septembre à venir, fête de la Croix. Sa mission n’était plus seulement de veiller à l’union et à la concorde des peuples, mais d’honorer la Croix à Sainte-Croix-de-Jérusalem, à Rome.
54Il raconte comment, à la suite d’un rêve, il s’est rendu auprès de l’empereur pour le pousser à l’action. Il renouvelle sa proposition d’être envoyé à Rome pour lui préparer le terrain. Il demande un petit contingent pour assurer sa sécurité : l’apôtre Paul non plus, quand il prêchait le Christ à Jérusalem, n’avait pas dédaigné une escorte armée. Il propose d’être envoyé clandestinement afin que nul ne le sache ami de César. Il laissera en otage son fils et ses beaux-frères : qu’on leur coupe la tête s’il faillit dans son entreprise. S’il réussit et si l’empereur ne trouve pas opportun de lui confier une charge, il ambitionne comme unique récompense d’aller en pèlerinage à Jérusalem.
55Pour accomplir sa grande œuvre de rédemption du monde, il est nécessaire de commencer par Rome, qui est caput mundi, et certainement pas par la Lombardie. Il est donc inutile de mendier un passage et des routes aux tyrans lombards : on peut, à partir de Rome, aplanir le chemin. Cola ne veut pas être le berger, mais le chien du troupeau, qui connaît les loups et les brebis. Le chien, affirme-t-il, peut aussi se retourner contre le berger, c'est-à-dire contre le pape, si le berger, à l’unisson avec les loups, marche contre le troupeau. Cola promet que, en commençant l’opération le jour de la sainte Croix, il pourra, avant la Pentecôte suivante, livrer Rome et l’Italie entière déférentes à César. La perspective déformée par son éloignement de la péninsule lui donne l’image d’un pays uni51. Mais quelle est véritablement sa mission ? Après avoir encore défendu sa religiosité, il entre de nouveau dans le labyrinthe des prophéties, en passant à un ton vaticinateur et mystérieux. Sa mère qui, à ses dires, avait offert ses faveurs à Henri VII, est sublimée et devient maintenant l’allégorie de Rome : sa mère est Rome, et Rome est sa mère. « Moi, je veux que ce César n’entre pas dans le lit de ma mère en cachette et de façon adultère comme son prédécesseur, mais joyeusement et publiquement comme son époux52. » La chair devient image, la brève mémoire de sa mère Madeleine se transforme en une métaphore par laquelle il laisse entendre que même la révélation de sa descendance impériale doit être lue comme une allégorie de Rome. Son enfance passée dans la taverne est transformée en symbole : « Nous ne voulons pas trouver l’épouse et notre mère comme une hôtesse et une servante, mais plutôt comme libre et reine. Et ainsi la maison de notre mère sera l’Église et non la taverne53. »
56Le discours se poursuit longtemps, avec d’autres attaques contre le pape, souvent appelé « scorpion », animal terrible que citent les prophéties. Il raconte la haine que le cardinal Colonna nourrissait envers lui avant de mourir. Il se lamente de la joie que le consistoire a éprouvé à la nouvelle de sa capture ; mais il déclare que seuls les cardinaux et les tyrans se sont réjouis, parce que tous les autres, c'est-à-dire le reste des clercs, les marchands, les agriculteurs et tous ceux qui travaillent à la sueur de leur front, attendent son retour. Après avoir soutenu une fois de plus que la persécution papale dont il souffre n’est motivée que par la haine personnelle, et après avoir énuméré les récentes erreurs des papes, qui démontrent qu’ils sont faillibles, Cola atteint enfin des sommets avec ses commentaires des prophéties de Cyrille54. En effet, le personnage principal de la prédiction est un tribun. Laborieusement, page après page, Cola commente l’oracle, en mettant en concordance ses mystérieuses paroles avec sa personne. Tout coïncide : la glorification et la chute, le temps du jubilé, la prison et la rédemption. Cola se déclare prédestiné par Dieu et se recommande à l’archevêque.
57La Responsiva oracio Tribuni ad Caesarem super eloquio caritatis est de peu postérieure. Certains thèmes se répètent, d’autres sont nouveaux et tout aussi brûlants. Cola y adopte un ton de supériorité (il tutoie l’empereur à la façon des anciens Romains), il disserte sur les révélations et les arcanes et, en réponse à la phrase de Charles qui avait écrit que les ermites étaient des idiots, il se lance dans l’éloge des humbles et des simples ; les seuls qui peuvent comprendre sont les apôtres et François, qui reçut les stigmates de Jésus-Christ. Le magistère de l’Église n’a qu’une valeur limitée parce que François a obtenu de Dieu un signe très haut que n’ont pas eu Jérôme, Augustin et Grégoire, bien qu’ils aient été de brillants docteurs de l’Église. Dieu n’a pas voulu le leur montrer, alors qu’ils soutenaient l’Église en ruine, comme il le fit en revanche pour François, « ce moins que rien, ce pauvre idiot ». Si François revenait, dit Cola, il serait appelé de nouveau, non seulement par les prélats de l’Église, mais aussi par ses frères eux-mêmes, « rêveur fantasque et bête comme un âne », alors qu’il est alter Ihesus Christus, « un autre Christ55 ».
58Cola fait l’éloge de la pauvreté et défend les ermites, il commente la prophétie de la fin de l’Église charnelle et proclame l’avènement du sixième âge, c'est-à-dire de l’ultime épreuve qui prélude à l’ouverture du septième sceau et à l’âge du Saint-Esprit : « Déjà le sixième ange de l’Apocalypse a sonné de la trompette56. » Puis, comme, il l’avait fait dans la lettre à l’archevêque, il entreprend de gloser la prophétie de Cyrille, convaincu que celle-ci provient directement du ciel. Au lieu de la rapporter seulement à sa personne, il réalise une exégèse générale et retrouve dans l’oracle les événements qui se sont déjà produits : la venue de saint François, la décadence de ses fils, la curie d’Avignon, le comportement dépravé de l’Église, sa richesse et sa vanité. Il y lit les prophéties contre les cardinaux, la venue de César, du Tribun, du dernier Antéchrist. Il défend le caractère véridique et l’orthodoxie de ces positions : la prophétie de Cyrille, délivrée sur le mont Carmel, est un don équivalent à celui des Tables de la Loi sur le Sinaï. Il réitère ses vaticinations à propos de l’empereur et déclare pratiquement qu’il est son prophète, celui appelé à le pousser à l’action parce que le temps de devenir roi de la terre et de tout le peuple chrétien est arrivé. La lettre se poursuit longuement, sur un ton agité : il rappelle la passion qu’il cultive pour les auteurs antiques ; il fait l’éloge de Célestin V et révèle que le transfert de la curie à Avignon a été provoqué par le péché commis contre ce saint pape, tué par Boniface VIII. Le siège apostolique a été déplacé en France sous l’archevêque de Bordeaux (c’était, en effet, le titre de Clément V avant qu’il devienne pape). Mais ce n’est pas par hasard que la cité de Burdigala (Bordeaux) s’appelle en langue vulgaire « Bordello »57.
59Après avoir longuement défendu les ermites, persécutés par le pape, Cola prédit l’avènement du Saint-Esprit qui transformera le monde en apportant un âge de joie et d’unité. Il demande enfin à être libéré parce qu’il en appelle à lui, César, comme le fit Paul, qui était citoyen romain. Nous sommes au temps du jubilé, quand, selon les Écritures, toute chose doit être rachetée58. Il propose encore une fois d’être envoyé à Rome, offrant en otage son fils qu’il appelle Isaac. Son unique récompense serait d’aller à Jérusalem. Il essaie à nouveau de suggérer des modalités rationnelles : qu’il soit envoyé à Rome avec deux messagers secrets, avant octobre, quand on changera les sénateurs, afin que l’on ne dérobe pas à la Camera Urbis et à César les fruits du jubilé. Il souhaite pouvoir prononcer la phrase que dit César après avoir vaincu Pharnace, roi du Pont et du Bosphore59 : « Veni, vidi, vici. » D’autres propos suivent sans discontinuer, toujours sur le même ton et poursuivant la même idée. Enfin, il exhorte le souverain à ouvrir les yeux et à sortir de son sommeil. Dans un postscriptum, il demande que ses domestiques et ses frères qui sont venus à Prague avec lui, et qui sont pratiquement morts de faim pour cause de pauvreté, soient libérés par la grâce de la loi divine du jubilé.
60Cola di Rienzo ne désespérait pas : dans la seconde moitié du mois d’août, il écrivait encore à l’abbé de Saint-Alexis, en l’informant que lui et les siens allaient bien, mais qu’il n’avait pas encore réussi à atteindre son but60. Même si désormais, il n’était plus possible de retourner à Rome pour la date prévue, cela n’avait pas d’importance : il avait commis un péché en fixant une échéance précise aux bonnes œuvres de Dieu.
61Mais les jours s’écoulaient et rien ne se passait. Cola écrivit de nouveau à l’archevêque pour lui demander de ne pas le garder en prison, sous peine de provoquer la haine des Romains. S’il était libéré et si on le lui demandait, il garantissait qu’il n’accepterait aucune charge dans l’Urbs tant qu’il serait en vie. Il fulminait encore contre le pape, avec la peur de lui être livré61.
62L’archevêque lui répondit à la fin du mois, exprimant sa totale réprobation, mais de façon pondérée et proportionnée. Il le blâma pour les titres grandiloquents qu’il s’était attribués (surtout celui de « chevalier du Saint-Esprit ») ; il l’accusa d’avoir soutenu que le peuple romain pouvait assumer des droits et des charges abolis depuis longtemps ; il se montra très étonné qu’au lieu de lire la Bible il soit allé chercher des textes apocryphes et dangereux et, utilisant pour ce faire un passage des Actes des Apôtres, il se déclara vraiment « non satisfait » de sa défense62. Cola répondit brièvement, en s’excusant dans la mesure du possible, et en demandant que les lettres qu’il lui avait confiées lui soient restituées si elles n’étaient pas déjà parties63.
6. Exilé
63On était désormais au mois de septembre. Cola dut finalement comprendre qu’après les premières audiences à la cour, il avait déjà épuisé toutes les possibilités de réussite. Les lettres avaient seulement aggravé sa situation. En ces jours-là, on l’obligea à quitter Prague et on le conduisit à Roudnice, une ville sur l’Elbe soumise au pouvoir de l’archevêque Ernest, où il fut probablement hébergé dans un monastère de chanoines réguliers, qui en eurent la garde. Il tenta d’écrire une autre lettre apologétique à l’archevêque, au ton plus mesuré, mais en l’accusant quand même de continuer à lui reprocher des choses – particulièrement l’utilisation de titres pompeux – dont il s’était déjà abondamment confessé64. Il commença à renier tout ce qu’il pouvait. Il n’avait jamais affirmé que le Saint-Esprit l’avait désigné. Il avait seulement employé une formule comme en utilisent ceux qui se déclarent élus à une dignité grâce à « la divine providence » ou à « la divine clémence ». Il déclara qu’il n’avait jamais cru en ses lettres où il incitait à la création d’une ligue des cités italiennes et à l’élection de l’empereur par les Italiens : « Tout cela fut fait astucieusement contre les astucieux65. » Il avait en effet tendu un piège et ses vaines promesses n’étaient qu’un appât. Et même, il n’était plus convaincu par les prophéties : il essaya de se justifier de sa crédulité et affirma qu’il n’y avait que peu de temps qu’il étudiait ces prédictions. Puis il s’inquiéta, déclara qu’Ernest n’était pas son juge, attaqua de nouveau les tyrans et les méchants, et finalement s’en remit à lui, en s’excusant de ne pas avoir tenu des propos aussi humbles qu’il aurait dû.
64À la fin du mois de septembre, il n’a désormais plus d’espoir : il écrit à un certain frère Michele du Mont Sant’Angelo, qui paraît être son guide spirituel et est peut-être la même personne que frère Angelo di Monte Vulcano. La veille de la Saint-Michel (28 septembre), Cola rédige donc une sorte de testament. Ses propos sont sibyllins ; il parle des deux libelles qu’il a écrits au prince et au prélat qui le tient prisonnier et donne à comprendre que tout est fini. Il confie son fils au frère ; il lui propose de vendre ses livres, ses armes et du matériel, cachés là où il sait. Qu’il en donne le prix à un frère qui va à Jérusalem, pour y édifier un oratoire. Il met donc ses affaires en ordre, et dans le post-scriptum il supplie frère Michele de donner un petit billet à son fils. Cola considère qu’il est encore en charge, mais n’a plus d’espoir : il informe le frère que, s’il est toujours prisonnier à la fin du jubilé, « les consuls et le popolo pourront lui chercher un successeur ». Il a déjà préparé un acte de renoncement, qui devra être déposé auprès du chancelier de l’Urbs66.
65Le même jour, il prend congé de son fils Lorenzo, en lui écrivant : « Mon fils béni. » Il lui recommande de ne pas oublier certains saints romains dont il souhaite qu’ils lui servent de modèles. Ce sont surtout les saints dont les reliques sont conservées dans la paroisse de Sant’Angelo in Pescheria :
Vois le monde entier qui court à sa perte. Mon fils, ne te perds pas avec eux, mais suis avec patience et humble pauvreté le seigneur ton Dieu, afin qu’avec son assentiment, je puisse te revoir avec lui, et que tu me reconnaisses en ce même lieu. Oublie-moi, et toute ta famille, comme firent les saints ; en effet, moi, où que je sois, je suis bien, puisque je suis avec Dieu dans sa bienveillance. Et puisqu’il est bien que tu aies un père qui t’instruise, je te donne frère Michele comme père, qu’il te montre toujours la voie de Dieu.
Et à la fin, il lui dit de dissimuler son nom et il le bénit67. Cola demande à l’archevêque de donner la lettre à un porteur fidèle et qu’elle voyage en toute sûreté sans être ouverte68.
66Les mois passent. L’hiver est rigoureux en Europe centrale. Cola écrit à l’archevêque qu’il est malade et qu’il a besoin de la chaleur de l’Italie. Il est tourmenté par sa vieille maladie qui lui occasionne de soudains évanouissements : « Je crains qu’un jour en tombant, sans l’aide de quelqu’un, je ne puisse plus me relever. » En Bohême, il lui est plus difficile d’avoir à sa disposition du vin, dont il fait un usage thérapeutique. Il y a de la bière en abondance, mais il ne l’aime pas. Il réclame du feu nuit et jour, à ses propres frais, et la visite fréquente du prévôt ou d’un autre prêtre. Il demande à nouveau que les membres de sa famille soient libérés ou qu’au moins ils soient vêtus, à ses frais, parce qu’ils meurent de froid. Cola ne reçoit plus de nouvelles d’aucune sorte. Il prie Ernest de Prague de lui renvoyer ses lettres, s’il ne les a pas expédiées, et de lui dire s’il doit en écrire encore69.
67L’ancien tribun resta vingt mois enfermé, en exil, jusqu’à la fin du mois de juin 1352. Ce fut probablement dans cette période de sa vie (dont nous ne connaissons presque rien par ailleurs), qu’il composa un Commentaire à la Monarchia de Dante, le plus ancien qui nous soit parvenu70. La conscience de se trouver dans les mêmes conditions que le poète, exilé loin de sa patrie, y concourut peut-être ; à cette même période et pour les mêmes raisons, Cola lisait aussi le De Consolatione Philosophiae de Boèce, autre prisonnier illustre. Dante était pour lui une immense figure, qui prêchait pour la pauvreté de l’Église, et en même temps le grand théoricien de l’Empire. Approuvant totalement ses idéaux, « Cola chantait les louanges du poète, du prophète, du défenseur de la paix, de la liberté, de la justice71 ».
68Le Commentaire, dans lequel son amour pour Rome, ses histoires et ses lieux magiques transparaît fortement, soutenait évidemment le parti gibelin. Diffusé à la cour impériale, il aurait pu montrer son auteur sous un jour de nouveau plus favorable. Les idées fortes qui le structuraient restaient celles que Cola avait ruminées tout au long de son voyage vers la Bohême ; par-dessus tout venait l’accusation contre l’Église corrompue, menacée par le châtiment de Dieu comme le prévoyaient les ermites avec lesquels il avait vécu. La curie d’Avignon s’acharnait contre ceux qui tentaient de la reconduire sur le droit chemin, et les racines de sa corruption se logeaient dans sa prétention d’exercer le pouvoir temporel en l’usurpant à l’empereur. L’Empire était par conséquent investi de la mission de sauver le genre humain. Cola, « tribun romain et rêveur », restait en contact épistolaire avec Johann von Neumarkt, qui faisait son éloge auprès de l’empereur élu72.
69Outre la rédaction du Commentaire à la Monarchia, Cola, motivé par son enthousiasme pour la poésie de Dante, s’employa en cette période à une autre œuvre qui le rapprochait de ce dernier. Il composa un poème à caractère religieux, dans lequel il démontra aussi bien ses capacités d’écrivain que l’orthodoxie de sa foi. L’œuvre est perdue, mais qu’il s’agisse de ce poème ou du commentaire, Cola dut y trouver réconfort pendant son séjour en prison et une certaine aide peu de temps après.
7. Prisonnier du pape
70Le problème Cola di Rienzo restait présent à l’esprit de Clément VI, qui ne renonça jamais à l’avoir entre ses mains. Au mois de janvier 1351, Ernest de Prague se rendit à Avignon en qualité de messager du roi, accompagné du duc de Troppau. Les questions sur la table étaient nombreuses, mais la principale était toujours celle du couronnement romain de Charles, sans cesse renvoyé par le pontife. La livraison de Cola devait être une carte à jouer dans la négociation. Le 1er février, le pape renouvela sa requête de façon pressante73.
71Une fois l’hiver passé, la situation de Cola s’améliora. Sa renommée d’homme de grande culture n’avait pas diminué en prison, et ses ardentes lettres de défense, bien que critiquables quant à leur contenu, révélaient d’extraordinaires capacités de composition littéraire : toutes choses que Johann von Neumarkt ne manquait pas de rappeler à Charles IV. Enfin, on savait que l’auteur s’occupait aussi d’une œuvre poétique et du Commentaire à Dante, dans lequel il déclarait sans ambiguïté sa dévotion à l’Empire. Dans le courant du printemps 1351, l’empereur fit à Cola le grand honneur de lui demander son aide pour répondre dignement à la lettre que François Pétrarque lui avait envoyée le 14 février pour l’inviter à faire le voyage à Rome.
72Ce fut peut-être le souverain lui-même qui suggéra à son prisonnier d’entrer en contact avec le cardinal Gui de Boulogne, vicaire pontifical en Italie et son parent. Cola le connaissait depuis l’époque de l’ambassade avignonnaise de 1342. Il le savait ami de Pétrarque et expert en affaires romaines : envoyé dans l’Urbs pendant le jubilé de 1350, il en était resté écœuré. Clément VI allait le nommer, à l’automne 1351, membre d’une commission pour étudier la réforme de Rome. On connaissait sa dévotion pour saint Antoine de Padoue : c’est grâce à son intercession qu’il aurait été guéri de la peste. Cola lui écrivit donc une longue lettre74.
73Ayant compris qu’il allait finir par être traîné en procès pour hérésie, il composa sa longue apologie en mettant en avant pour sa défense la conduite religieuse absolument inattaquable qu’il avait eue pendant le tribunat et demanda au cardinal de l’admettre dans l’ordre de Jérusalem en qualité de chevalier consacré, en lui accordant une dispense car il était marié, et de l’autoriser à accomplir le pèlerinage de Jérusalem. Cola demanda au cardinal d’être emmené à Avignon et déclara que dès le début de son emprisonnement il avait déjà réclamé à ses gardiens d’être envoyé devant le pape, pour pouvoir se disculper. L’ancien tribun préférait probablement tenter sa chance à Avignon, où il était certain de pouvoir compter sur quelques amis, plutôt que de rester en Bohême, à souffrir du froid, contraint à l’inaction.
74En février de l’année suivante, Clément VI – qui venait de conclure un traité d’alliance avec l’archevêque Giovanni Visconti, seigneur de Milan (1290-1354), et voulait agir avant que Charles IV en soit informé –, écrivit aux évêques d’Allemagne et de Bohême75. Il portait à la connaissance de tous que Nicola di Lorenzo avait été condamné comme hérétique par les cardinaux Bertrand de Deaulx et Annibaldo di Ceccano, et que d’autres procès étaient en cours. Contumace depuis plus d’un an, on disait qu’il était en fuite par ces contrées. C’est pour cela que le pontife (qui évidemment craignait qu’il soit libéré en secret) prévenait qu’il ne fallait pas se fier à lui. Tous les dimanches et les jours fériés, on devait annoncer au cours des prêches publics que Cola était hérétique et qu’il fallait l’éviter. Pour être certain que l’ordre serait bien pris en considération, il ordonna que les évêques fassent faire deux copies authentiques de cette annonce, l’une à conserver par-devers eux, l’autre à envoyer à la Chambre apostolique. Peu de temps après, il envoya Giovanni, évêque de Spolète, ainsi que d’autres, auprès de l’archevêque de Prague, avec la consigne de se saisir du prisonnier, et exhorta Charles IV à faire en sorte que son mandat soit respecté76.
75L’Anonyme romain pense que Cola se rendit volontairement à Avignon et que Charles avait tout fait pour l’en dissuader. Il affirme aussi que les gens qu’il rencontra au bord de la route essayaient de l’arrêter, tentaient de le convaincre de renoncer et qu’ils l’accompagnaient pour un bout de chemin, en lui prodiguant des manifestations de sympathie. Il soutient enfin que Cola arriva dans la cité provençale à la date anniversaire et symbolique du 1er août77. En réalité, le roi de Bohême céda pour montrer sa loyauté : il livra Cola aux légats pontificaux en juin 1352, tout en demandant que le prisonnier ne soit pas traité avec trop de rigueur et que sa vie soit épargnée. Cola ne dut pas être mécontent de voir son sort changer. Pendant l’été 1352, il se mit en voyage vers Avignon sous bonne escorte. Il y arriva en juillet, et le 10 du mois suivant François Pétrarque raconte son entrée à quelques amis : « Il vint à la curie il y a peu ; en réalité, il ne vint pas, mais il fut conduit comme prisonnier, Nicola di Lorenzo, autrefois terrible tribun de l’Urbs, et maintenant le plus misérable de tous les hommes78 ».
76Cola ne se déplaçait pas enchaîné et ne fut pas exposé à la risée du public. À peine arrivé dans la ville, il demanda Pétrarque. Mais le poète ne pouvait lui fournir aucune aide si ce n’est « le souvenir de l’ancienne amitié que nous avions contractée en ces mêmes lieux ».
77Pétrarque se livrait à une sorte d’examen de conscience en se souvenant combien il l’avait admiré. Il craignait que ses lettres sortent au grand jour, mais il n’avait pas la possibilité de les détruire, parce qu’elles étaient désormais choses publiques. L’entrée de Cola dans le palais pontifical le stupéfie : « Il entra dans la curie humble et méprisé, celui qui fit trembler et terrorisa les mauvais du monde entier. » Les gens se pressent pour voir ce commerce étonnant : un prisonnier envoyé au pontife romain par le roi des Romains. Pétrarque défend passionnément Cola ; il affirme que, dès que celui-ci fut arrivé, le pape confia la procédure à trois cardinaux, leur prescrivant de décider « de quel genre de supplice est digne celui qui a voulu que la république soit libre ». Il l’accuse, c’est vrai, d’avoir changé ; le poète n’a certainement pas oublié le massacre des Colonna à la porte San Lorenzo et pourtant, il le plaint et le respecte.
78Au début, le séjour en prison de Cola a peut-être été rude : l’Anonyme romain affirme qu’il fut enfermé dans une tour du palais pontifical, avec à la jambe une chaîne dont l’extrémité était fixée au sommet de la voûte79. Les conditions s’améliorèrent probablement par la suite, si bien que le pape Innocent VI (†1362) évoque son emprisonnement comme « honnête et curial ». On fournit en effet à Cola livres, nourriture et habits décents.
79Cola écrivit immédiatement à l’archevêque de Prague en reniant les prophéties qui lui étaient montées à la tête et son orgueil passé qui lui avait fait croire qu’il était le soleil. Maintenant, il mendiait humblement la lumière de la vérité80. Il écrivit qu’il réfutait en bloc toute la période passée dans les montagnes et que le pauvre ermite qui l’avait initié aux arcanes, Angelo di Monte Vulcano, était « l’ange satanique qui sous l’apparence d’un homme m’enivra avec sa pomme et m’égara dans la forêt81 ». C’était une abjuration totale, un refus général de tout ce qu’il avait cru ou de tout ce qu’il avait cru croire. Dans le post-scriptum, il permettait à l’archevêque de révéler à l’empereur ce qu’il lui avait rapporté à lui et au prévôt de Roudnice en confession. Alors que la lettre d’adieu à son fils Lorenzo ne devait être ouverte par quiconque, cette missive-là semblait en revanche faite expressément pour être lue par tous ceux qui pouvaient le disculper. Plus ou moins à la même période, Pétrarque adressait aux Romains une oraison passionnée, pour les inciter à défendre leur concitoyen82.
80Selon l’Anonyme romain, qui est peu informé sur cette période, Cola fut soumis à une enquête et déclaré « fidèle chrétien83 ». En réalité, il est fort peu vraisemblable que le pape Clément, après s’être donné tant de mal pour l’avoir, l’ait fait absoudre, alors qu’en outre deux cardinaux avaient déjà prononcé une sentence de culpabilité. Deux hypothèses se présentent : soit on en vint à une condamnation formelle et définitive pour hérésie et à l’abjuration totale par Cola, soit – ce qui est plus probable – le procès fut interrompu et, après un certain temps, les accusations contre Cola tombèrent. En effet, Clément VI mourut subitement le 6 décembre 1352.
81La roue de la fortune tournait en faveur de Cola. Avec le pape, mourait le dernier et le plus obstiné des adversaires du tribun. Clément VI concluait une longue série, d’autant que Cola avait dit plus d’une fois que la main de Dieu le protégeait et frappait ses ennemis. Les Colonna tués à la porte San Lorenzo, les deux geôliers de la maison Orsini morts de la peste, la prison où étaient tombés Giordano Orsini di Marino et l’archevêque de Naples, qu’il accusait de trahison, et enfin la disparition du cardinal Giovanni Colonna, victime de la peste en 1348, lui semblaient l’œuvre de la justice divine. Maintenant, l’ancien tribun n’avait plus d’adversaires terribles avec lesquels il devrait compter.
82Pendant son séjour en prison, il avait ravivé sa renommée de savant, lecteur acharné de la Bible, de Tite-Live et des classiques. L’œuvre qu’il avait écrite en Bohême lui avait aussi valu une certaine réputation de poète84. Il avait dédié sa composition religieuse à son vieil ami Rainaldo Orsini, ou bien au cardinal Gui de Boulogne, qui était un des membres de la commission d’enquête formée contre lui, avec le cardinal Bertrand de Deaulx (qui l’avait déjà condamné en son temps) et Hélie Talleyrand.
83Pétrarque, qui le considérait comme un homme extrêmement éloquent, estimait cependant qu’il n’était pas vraiment poète, surtout parce qu’il ne trouvait aucune correspondance entre les choses écrites par Cola et les sentiments éprouvés par ce dernier ; par conséquent, il n’était pas sincère comme doit l’être un poète. Aucune œuvre poétique de Cola n’ayant été conservée, il nous est impossible d’émettre un quelconque jugement. Il est toutefois certain que sa réputation d’homme de grande culture prit rapidement le pas sur celle d’hérétique et devint la voie principale pour une réhabilitation complète. Pendant l’année 1353, il entreprit un autre essai poétique, cette fois de genre épique. En septembre, il écrivit au doge de Venise, Andrea Dandolo (1307-1354), pour avoir des informations sur la bataille de la Loiera85, qu’il voulait chanter86.
84Le nouveau pontife, Innocent VI, exigea probablement que Cola abjure la totalité des positions extrêmes qu’il avait prises, mais ne voulut pas le condamner. Il n’avait rien contre lui, et même l’admirait. Il l’avait libéré de sa prison à la fin de l’été, Cola lui était maintenant dévoué et reconnaissant, et le pontife pensait déjà pouvoir l’utiliser. En effet, les rapports du pape avec les sénateurs de Rome étaient très tendus, et un certain nombre de personnages n’ayant pas reçu directement son mandat s’étaient succédé dans la charge. La politique du pape Innocent, à la différence de celle de son prédécesseur, visait à remporter immédiatement des succès politiques et militaires en Italie
85Rome était agitée par la guerre des factions. Une expérience négative de gouvernement populaire venait de se conclure avec Giovanni Cerroni (décembre 1351- septembre 1352), qui avait été aidé et soutenu de toutes les façons par le pape, mais qui s’était finalement enfui dans les Abruzzes avec la caisse de la commune. On en était même arrivé à un épisode terrible : la lapidation du sénateur Bertoldo Orsini (16 février 1353), accusé d’avoir provoqué la disette pour s’enrichir au marché noir. Bertoldo était mort en chevalier, monté sur son destrier et les armes à la main ; son collègue Stefanello Colonna s’était en revanche enfui en descendant du Capitole à l’aide d’une corde. La disette avait disparu aussi rapidement qu’elle était apparue. Puis, pendant l’été, les deux sénateurs Luca Savelli et Pietro di Sciarra Colonna en étaient venus aux armes en entraînant avec eux les factions, tandis que Giovanni di Vico complotait, peut-être même pour arriver à obtenir le pouvoir à titre personnel. Le popolo, encouragé aussi par le pontife, trouva une troisième voie, en instaurant un autre régime populaire87.
86Cola avait repris des contacts avec ses fidèles, et Pérouse intervint officiellement pour obtenir sa libération. Au mois d’août, on commençait déjà à parler de son probable engagement contre le préfet Giovanni di Vico, hérétique et excommunié. Si ce dernier avait reçu une aide efficace en troupes, il aurait réellement pu mettre la main sur Rome. Le 13 septembre 1353, veille de la fête de l’Exaltation de la Croix, Cola sortit de prison. Deux jours plus tard, le pape écrivait aux magistrats du Patrimoine de Saint-Pierre et leur communiquait que le « fils bien-aimé, noble homme Nicola di Lorenzo, chevalier romain » avait été absous de toutes peines et sentences, délivré des chaînes de la prison qui l’entravaient, et qu’il se préparait à partir pour Rome88. Le 16 septembre, il écrivait également à Pérouse pour lui communiquer la bonne nouvelle, et au peuple romain, en lui demandant d’aider à tout prix Cola à assainir la ville89. Innocent VI incorpora Cola, recommandé et réintégré au rang de chevalier, dans la suite de son légat, le cardinal Albornoz (vers 1310-1367), qui venait tout juste de descendre en Italie.
8. Chevalier dans l’armée du cardinal Albornoz
87Cola était donc de retour en Italie et à Rome par la volonté expresse du pontife, dans le but évident de rétablir le gouvernement populaire dans l’Urbs. Mais le peuple romain avait pris les devants. Le 14 septembre 1353, jour de la fête de l’Exaltation de la Croix, lendemain de la libération de Cola et date à laquelle ce dernier et la prophétie de Cyrille avaient prédit son retour à l’action et à Rome (mais c’était trois ans auparavant que cette date aurait dû échoir), le peuple romain en pleine révolte offrit le rectorat au notaire Francesco Baroncelli90. Il s’agissait d’un des plus fidèles partisans de Cola. Nous avons fait sa connaissance en juillet 1347, alors qu’il faisait partie de l’ambassade romaine à Florence, et y prononçait une allocution solennelle. Après la fin du tribunat de Cola, Baroncelli était retourné dans l’ombre. On peut s’étonner à juste titre de sa subite réapparition à ce moment-là et on ignore quelle a été la part de Cola – resté toujours en contact avec Rome – dans ce choix, qui tombait précisément sur un fidèle partisan. Si fidèle qu’il voulut faire explicitement référence au mandat de son prédécesseur en se faisant appeler « second tribun et premier consul illustre des Romains ».
88On ignore pratiquement tout du programme politique suivi par Baroncelli car très peu d’actes relatifs aux mois où il gouverna ont été conservés. Il expédia une lettre à la République florentine, pour demander que l’on envoie une personne digne de confiance afin d’étudier la situation qui s’était créée et de réfléchir à ce qu’il fallait faire ; il confirma (comme le faisaient toujours les sénateurs) les statuts de l’Art de la laine et des marchands de Rome ; il prononça quelques sentences. Il entendait certainement se référer au modèle institutionnel florentin, en organisant le gouvernement romain avec une magistrature de huit prud’hommes qui restaient en charge seulement deux mois et faisaient fonction de conseillers.
89Les chroniqueurs de l’époque ne l’avaient pas en haute considération : Matteo Villani, qui l’appelle Schiavo Baroncelli [Esclave Baroncelli], nous dit que c’était un scribasenato, peu cultivé et de basse extraction sociale, qui s’était fait des illusions – il méconnaissait les Romains et leurs vices – s’il pensait pouvoir réformer leur régime en imitant celui des Florentins91. Aux dires de Villani, le second tribun eut le mérite de réorganiser en partie l’État et surtout de « levare i popolani del seguito de’ grandi » [d’enlever les gens du peuple de la suite des grands], c'est-à-dire de tenter de déchirer ce réseau de clientèles et d’alliances qui rendait impossibles à Rome les gouvernements populaires cohérents des autres cités. Il commença ainsi à susciter chez les gens un sentiment d’« affranchissement », de liberté, qui allait se renforcer par la suite.
90Le pape Innocent VI se trouva face au fait accompli, mais il ne désapprouva pas l’élection de Baroncelli. D’une certaine façon, c’est lui qui avait incité à la révolte, puisqu’au mois d’août 1353, il avait écrit une lettre affligée aux Romains pour les mettre en garde contre les visées de Giovanni di Vico. La première idée du pape avait probablement été de faire changer la cité de régime à l’arrivée de Cola. Voilà que l’élection de Baroncelli l’avait pris de vitesse. Le pape dut penser à consolider le mandat du nouveau tribun pour un semestre, pour ensuite le remplacer sans coup férir par Cola di Rienzo. Ce dernier aurait maintenu le régime, mais avec un prestige bien plus grand que son prédécesseur. De cette façon, le gouvernement populaire, déjà soutenu avec force par Baroncelli, se serait encore renforcé.
91Cola, avec deux cents florins que le pape lui avait donnés, partit d’Avignon le 24 septembre 1353 et rejoignit Albornoz dans le Nord du Latium. Le prélat castillan, déjà archevêque de Tolède, cardinal depuis 1350, se lançait dans une entreprise qui s’étala sur une dizaine d’années et allait conduire à la « récupération » pratiquement définitive des territoires de l’Italie centrale revendiqués par le siège apostolique, territoires qui représentaient en un certain sens la première pierre d’un État pontifical moderne, et jetait ainsi les bases d’un retour du pape à Rome. Albornoz, en sa qualité de légat et vicaire général du pontife en Italie, allait promulguer en 1357 les Constitutiones Egidianae, un code de lois pour l’État qui sera valable jusqu’à la fin de l’année 181692.
92Sous la bannière du recteur en charge, qui n’était autre que son ancien conseiller militaire Giordano Orsini, Cola participa à quelques entreprises militaires conduites contre le préfet Giovanni di Vico, son ancien adversaire. En qualité de chevalier à la tête d’un petit contingent il fut présent en mars 1354 à la reddition de Toscanella (aujourd’hui Tuscania), et le mois de mai suivant, au siège de Viterbe. Il put rencontrer en cette occasion de très nombreux concitoyens, la ville de Rome ayant envoyé contre la voisine haïe un contingent de dix mille hommes93. Il attendait le moment le plus opportun pour entrer dans Rome. Les Romains, à qui le pape avait écrit pour recommander Cola, ne cessaient de lui rendre visite pour l’inviter dans l’Urbs. Cola n’attendait rien d’autre : le maintien des contacts avec ses partisans portait ses fruits. Alors que son fidèle Francesco Baroncelli gouvernait, il aurait été relativement facile de reprendre le pouvoir. Le pontife lui-même, au fond, ne désirait pas autre chose. Il manquait cependant deux éléments essentiels à la réussite du projet. Le premier était l’argent. Cola, comme cavalier de l’armée pontificale, recevait une modeste solde, il avait des vêtements adéquats et un bon cheval ; mais il n’aurait jamais pu enrôler une armée qui l’amène et l’installe à Rome. Et les Romains, dirigés par Baroncelli, bien qu’ils aient un réel désir de l’avoir dans l’Urbs, ne pouvaient pas assurer l’envoi de troupes ou d’argent.
93Le second écueil à affronter était ensuite celui du cardinal-légat. Albornoz, en effet, se défiait de Cola, bien qu’il ait la faveur du pape, et préférait tenir une ligne de conduite consistant à se passer le plus possible de l’inconnue que cet homme représentait. Son action de guerre était fructueuse, puisqu’au mois de mai Giovanni di Vico s’était résolu à traiter. Le cardinal contrôlait désormais tout le Latium septentrional et l’Ombrie.
94Cola ayant donc demandé directement au légat de lui fournir des troupes ou l’argent nécessaire pour entrer dans Rome, le cardinal lui refusa l’un et l’autre, lui laissant en consolation un salaire un peu meilleur, que devait lui verser la commune de Pérouse. L’argent était suffisant pour se vêtir correctement, mais tout à fait inutile pour qui voulait enrôler une armée. Cola se rendit alors directement à Pérouse et essaya de convaincre les citoyens – qui avaient déjà tant fait pour sa libération – de l’importance de sa mission. Il alla plusieurs fois parler devant le conseil et rappela probablement aux Pérugins le grand projet de ligue des cités italiennes qu’il avait tenté de réaliser en 1347. Augusta Perusia, fille de Rome, pouvait en effet offrir la garantie d’un appui, puisqu’au temps du tribunat elle avait envoyé à Rome des milices de mercenaires et des ambassadeurs. Les Pérugins écoutèrent Cola, dont les paroles étaient de miel94. Ils ne donnèrent pas d’argent mais, convaincus de la justesse de sa cause, ils commencèrent à harceler de lettres le pape et le légat, pour qu’ils prêtent l’oreille au chevalier Nicola di Lorenzo.
95Alors qu’il résidait encore à Pérouse, Cola eut la chance de rencontrer deux jeunes provençaux, Rambaud et Bertrand du Bar, qui étaient frères du condottiere Jean Montréal d’Albarno95, dit fra Moriale96. On lui attribuait le qualificatif de frère parce qu’il avait été chevalier de l’ordre de Saint-Jean. Il commandait un immense contingent d’hommes armés, qu’on appelait pour cela « La Grande Compagnie » : une des premières compagnies d’aventure de l’histoire97. Il s’agissait d’un ensemble ordonné de militaires et mercenaires, principalement étrangers. Ses milliers d’hommes inspiraient une grande frayeur à tous, tant et si bien qu’ils étaient capable d’extorquer de l’argent à une cité simplement en la menaçant de l’attaquer et de saccager ses cultures. C’est ainsi qu’en 1353, Pise, Sienne et Florence avaient payé à fra Moriale des sommes très importantes pour être épargnées, alors que les Marches méridionales avaient été dévastées. Le frère chevalier, qui s’entourait d’un appareil administratif efficace, avec un camerlingue, un trésorier, des conseillers et des secrétaires, et qui traînait à sa suite une potence pour exécuter les sentences de mort qu’il prononçait lui-même, était un homme d’une grande intelligence stratégique. Il avait été auparavant capitaine du roi de Hongrie, puis porte-étendard de l’Église. Comme il n’avait pas reçu la totalité de la solde prévue, il n’avait pas hésité à conclure un accord avec Giovanni di Vico, lequel, pour l’avoir comme allié, lui avait aussi promis une fille en mariage. De très nombreux soldats en garnison en Italie venaient à lui, certains d’être entretenus et de recevoir leur part du butin. Fra Moriale pouvait donc être un magnifique allié pour Cola ; un associé terrible, mais extrêmement puissant.
96Le chevalier Cola di Lorenzo entre donc en contact avec un des frères de fra Moriale, Rambaud, qui est un jeune docteur en droit. Étant reçu chez lui, Cola, après le repas, se met à parler de façon admirable de toutes les histoires apprises dans Tite-Live et dans la Bible, et les mêle à ses idées. Entre la Rome antique et la mission divine de Cola, Rambaud est fasciné : l’Anonyme le dépeint écoutant en silence, la joue appuyée sur une main, en pleine concentration98. Le vin aidant, l’esprit s’élève à des hauteurs vertigineuses et ils s’entraînent l’un l’autre : « Lo fantastico piace allo fantastico » [Le fou plaît au fou]99. En peu de temps, Cola et Rambaud deviennent amis et, ensemble, ils caressent souvent le rêve de ramener Rome à son ancienne grandeur. Rambaud, en sa qualité de frère du condottiere, est capable de trouver suffisamment d’argent pour enrôler un contingent, certainement pas pour le maintenir en campagne, mais au moins pour commencer les opérations. Il prête ainsi trois mille florins à Cola, qui promet de les lui rendre, de le nommer citoyen romain et capitaine. Rambaud, se réclamant de son frère qui a déposé une grande partie de son capital chez les marchands pérugins, se fait également prêter quatre mille florins et les remet à Cola. Sept mille florins : un chiffre plus que raisonnable pour un début.
97Selon l’Anonyme, dont nous avons suivi jusqu’alors le récit des faits et l’opinion, Rambaud aurait été subjugué par Cola. En réalité, en l’absence d’autres points de vue, le jugement ne peut pas être aussi tranché, d’autant plus que le sénateur entendait, grâce au jeune homme, entrer en contact avec fra Moriale. En réalité, ce dernier qui, selon l’Anonyme, aurait aussi écrit à son frère pour le mettre en garde contre l’action hasardeuse de marcher sur Rome, entra certainement en contact direct avec Cola. Toutefois, même si Cola put se servir initialement de son ascendant pour convaincre un jeune peut-être un peu naïf, la mise au point de l’opération devait passer par un accord entre des personnages qui possédaient des critères beaucoup plus concrets d’évaluation100.
98En définitive, dans les premiers mois de 1354, Cola, libre et assez riche pour lever une petite armée, se trouvait à peu de jours de marche de Rome. La cité vivait sous un régime populaire et il n’était pas impossible qu’elle remette le mandat de tribun entre ses mains.
Notes de bas de page
1 Sur le sort fait aux femmes, voir Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 273 ; 58, p. 319 ; 64, p. 363 : la femme, deux filles et une sœur de Cola prirent probablement l’habit de clarisse.
2 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 70, p. 390 ; E. Dupré Theseider, Roma dal comune …, ouvr. cité, p. 557 et 615 ; A. Rehberg, Clientele e fazioni…, ouvr. cité.
3 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 70, p. 389.
4 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 58, p. 309.
5 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 43, 23 mars 1348.
6 Voir M. Vattasso, Aneddoti in dialetto romanesco…, ouvr. cité, p. 87-105.
7 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 274.
8 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 253 et suiv., 264 et suiv.
9 Voir le paragraphe ci-dessous.
10 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 70, p. 394. Voir T. di Carpegna Falconieri, « Rappresentazione del potere e sistemi onomastici », art. cité, p. 177-179, 183.
11 Voir par ex. Briefwechsel…, ouvr. cité, III 52, 53.
12 L. Ceccarelli, « Il mito popolare di Cola … », art. cité, p. 314.
13 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 48 et 50.
14 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 49 ; III 57, p. 265.
15 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 52.
16 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 275 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 237].
17 E. Dupré Theseider, Roma dal comune…, ouvr. cité, p. 602.
18 Epistolario di Cola, A. Gabrielli (éd.), Rome, Ist. Storico italiano, 1890, p. VII.
19 R. Morghen, « Il mito… » art. cité, p. 185 et suiv.
20 N.D.T. : Spirituels, branche extrémiste de franciscains observant une absolue pauvreté matérielle.
21 Voir par ex. F. Pétrarque, Canzoniere, CXXXVII. L’interprétation de Burdach tend à considérer Cola comme influencé par des thèmes eschatologiques et par le joachimisme antérieurement à la période du tribunat. Bien que constatant que son action politique fut réellement motivée aussi par un fort sentiment religieux, je reste dubitatif sur le bien-fondé de faire remonter à avant la période du tribunat des motifs et des arguments qui apparaissent avec évidence et avec toute leur puissance seulement par la suite.
22 Amanda Collins avance l’hypothèse que les attentes eschatologiques et les rapports avec les fraticelles (Angelo Clareno) puissent remonter à la prime jeunesse de Cola à Anagni, où se trouve la crypte de San Magno, dont l’abside et les voûtes adjacentes sont peintes de scènes de l’Apocalypse de saint Jean. L’auteure étudie en outre les rapports avec le fraticellisme de la zone napolitaine, de Cologne et philoimpérial, voir Ead., Greater than Emperor, ouvr. cité, p. 101-127 ; voir aussi sur ce sujet M.G. Blasio, « Opera fantastica e di poco durare. In margine a due biografie di Cola di Rienzo », RR Roma nel Rinascimento, 2003, p. 17-30, spéc. p. 20-24.
23 R. Manselli, Da Gioacchino da Fiore a Cristoforo Colombo. Studi sul francescanesimo spirituale, sull’ecclesiologia e sull’escatologismo bassomedievali, intr. P. Vian (éd.), Rome, Ist. storico italiano per il Medio Evo, 1997, p. 613 et 646.
24 Voir M. Reeves, The Influence of Profecy in the Later Middle Ages : a Study in Joachimism, Oxford, Clarendon Press, 1969, 1993 (2e édition) ; R. Rusconi, Profezia e profeti…, ouvr. cité ; voir également la bibliographie sélectionnée par A. Paravicini Bagliani, Il papato nel secolo XIII : cent’anni di bibliografia (1875-2009), Firenze, Edizioni del Galluzzo, 2010, p. 259-261.
25 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 63, p. 347 : en septembre de cette année-là, Cola déclara qu’il étudiait les prophéties depuis six mois seulement.
26 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 49.
27 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 276, 277, 298. En affirmant, comme il le fait, ne pas avoir le livre sous la main et en avoir pris seulement des excerpta dans un ordre insuffisant, Cola préparait une défense préventive contre ceux qui auraient pu lui demander pourquoi il révélait seulement des choses déjà arrivées plutôt que celles à venir.
28 R. Manselli, Da Gioacchino da Fiore…, ouvr. cité, p. 153, 167.
29 R. Manselli, Da Gioacchino da Fiore…, ouvr. cité, p. 95 et suiv.
30 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 271.
31 Genèse, 3 5 ; voir chapitre III, section 7
32 Une vue générale dans La storia dei giubilei, vol. I. 1300-1423, Cl. Strinati, F. Cardini et alii, Prato, BNL Edizioni-Giunti Gruppo Editoriale, 1997.
33 R. Manselli, Da Gioacchino da Fiore…, ouvr. cité, p. 197 et suiv.
34 J. Wieder, « Cola di Rienzo », dans Karl IV. und sein Kreis, F. Seibt (éd.), Munich, Prestel, 1978, p. 111-144.
35 Pour la correspondance entre le chancelier et Cola, voir Briefwechsel…, ouvr. cité, III 5a, 55 et ad indicem.
36 R. Manselli, Da Gioacchino da Fiore…, ouvr. cité, p. 383 et 490.
37 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 276 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 239].
38 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 53.
39 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 276 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 238].
40 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 49.
41 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 256 ; voir aussi id. p. 270 et 58 p. 319.
42 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 53, 54, 55.
43 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 50.
44 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 50, p. 201. Voir P. Piur, Cola di Rienzo. Darstellung seines Lebens und seines Geistes, Wien, L.W. Seidel u. Sohn, 1931, 1934 (2e édition) (trad. it. Milan, Treves, 1934). Cette biographie (et également d’autres) soutient l’idée que Cola, déjà dans sa jeunesse, croyait être fils de l’empereur, et que c’est aussi de cette conscience que découlait son action dans le monde. Par conséquent, la version que Cola fournit serait sincère. Il me semble cependant que, outre l’impossibilité d’en apporter la preuve, elle est très improbable. Il est plus vraisemblable de croire que cette idée a mûri dans l’esprit de Cola ensuite, après la perte du pouvoir. Voir également T. di CarpegnaFalconieri, « Figli di imperatori e lavandaie, di pellegrini e imperatrici. I bastardi tra storia e finzione », dans Strenna dei romanisti, Rome, Roma Amor, 2010, p. 141-149 ; D. Internullo, ouvr. cité, p. 436-438 et 457-460.
45 Voir chapitre V, section 3.
46 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 51, Prague, fin juillet 1350.
47 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57 et 58. L’éd. Burdach-Piur apporte quelques variantes à celle de A. Gabrielli (Epistolario di Cola, ouvr. cité), p. 144-179 et 111-141 ; voir R. Morghen, « Il mito… », art. cité, p. 179 et suiv.
48 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 234.
49 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 240.
50 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 244.
51 Voir E. Dupré Theseider, Roma dal comune…, ouvr. cité, p. 635.
52 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 251.
53 Ibid
54 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 267 et suiv.
55 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 58, p. 285.
56 Apocalypse, 9 13. À la suite de Bonaventure de Bagnoregio, nombreux sont ceux qui assimilèrent saint François d’Assise au sixième ange de l’Apocalypse.
57 N.D.T. : la prononciation médiévale de Bordeaux en occitan en France du Sud, et surtout les versions italiennes médiévales (Bordello, Bordella) facilitent ce jeu de mots.
58 Voir Lévitique, 25 29.
59 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 58. Cola, qui citait probablement de mémoire, n’ayant pas ses livres sous la main, commet une imprécision en écrivant que César avait prononcé cette phrase célèbre après avoir vaincu les Germains.
60 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 59.
61 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 60.
62 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 61; voir Actes des Ap., 5 38 et suiv.
63 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 62.
64 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 63.
65 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 63, p. 346.
66 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 64.
67 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 65.
68 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 66.
69 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 67.
70 Voir P.G. Ricci, art. cité ; selon lui, l’attribution de ce commentaire à Cola n’est pas certaine mais très probable, comme le suggèrent la datation, le style, la tradition manuscrite, la diffusion outre-Alpes et les destinataires. Les éditeurs postérieurs la donnent, eux, pour certaine.
71 P.G. Ricci, art. cité, p. 678 ; R. Musto, Apocalypse in Rome…, ouvr. cité, p. 279-280.
72 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 68 et 69. C’est Cola lui-même qui se qualifie de rêveur dans une lettre à Johann von Neumarkt.
73 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 56.
74 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 70. Sur les rapports entre le cardinal et Pétrarque, voir M. Miglio, Scritture…, ouvr. cité, p. 16 et suiv.
75 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 57, 26 février 1352.
76 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 58, 24 mars 1352.
77 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 277 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 239].
78 Familiaris XIII 6, dans F. Petrarca, Opere, ouvr. cité, p. 781 (= Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 60).
79 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 277 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 240]. Sa prison devait être dans une grande pièce de la tour du Trouillas, au premier étage du palais papal.
80 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 73, septembre ? 1352.
81 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 73, p. 416.
82 Sine nomine 4, p. 37-65 de l’éd. Dotti (= Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 61), Avignon, automne 1352 ; voir à ce sujet M. Miglio, Scritture…, ouvr. cité, p. 79 et suiv.
83 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 278 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 240].
84 Familiaris XIII 6, dans F. Petrarca, Opere, ouvr. cité, p. 784-785 (= Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 60).
85 N.D.T. : la défaite de la Loiera (Alghero, côte nord-ouest de la Sardaigne), infligée par les Vénitiens et les Aragonais à la flotte génoise en 1353.
86 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 75.
87 Voir M. Villani, Cronica, con la continuazione di Filippo Villani, G. Porta (éd.), Parma, Guanda, 1995, 2007 (2e édition), vol. I, lib. III, p. 392-393, 419-420 ; E. Dupré Theseider, Roma dal comune…, ouvr. cité, p. 638 et suiv. ; voir plus bas, le paragr. suiv.
88 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 62.
89 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 62 et 63.
90 En ce qui concerne la prophétie de Cyrille, voir Briefwechsel…, ouvr. cité, III p. 269. Sur Baroncelli, mort le 30 avril 1354, voir I. Walter, « Baroncelli Francesco », dans Dizionario Biografico degli Italiani, vol. VI 1964, p. 436-437 ; D. Internullo, ouvr. cité, p. 208-211.
91 M. Villani, ouvr. cité, III p. 419-420.
92 Sur le cardinal Albornoz, voir la collection de volumes des Studia Albornotiana. Voir aussi F. Filippini, « La riconquista dello Stato della Chiesa per opera di Egidio Albornoz », Studi storici, VI, 1897, p. 169-214 ; VII 1898, p. 481-555 ; IX 1900, p. 245-346, 465-499 ; pour une vue synthétique, voir D. Waley, « Lo Stato papale dal periodo feudale a Martino V », dans « Comuni e signorie nell’Italia nordorientale e centrale : Lazio, Umbria e Marche, Lucca » dans Storia d’Italia, G. Galasso (éd.), Turin, Einaudi, 1987, VII/2 p. 231-320.
93 M. Villani, ouvr. cité, III p. 466, IV p. 482-483.
94 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 279 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 241].
95 N.D.T. : Jean Montréal du Bar (1303-Rome 1354).
96 On trouve de nombreuses références à ce personnage dans : M. Villani, ouvr. cité, ad indicem. Les frères Arimbaldo (Rambaud), Brettone (Bertrand) et Moriale (Jean Montréal) n’étaient pas de Narbonne, comme cela a été écrit de manière erronée (et comme je l’ai écrit précédemment), mais appartenaient à la famille provençale de Grasse, seigneurs du Bar (Alborno, devenu Le Bar, puis Bar-sur-Loup) ; je remercie Michèle et Benoît Grévin de me l’avoir signalé ; voir sur ce sujet R. Levitt, Montréal de Albarno, de la maison de Grasse. Étude biographique d'un hospitalier provençal fondateur de la Grande Compagnie, décapité à Rome par Cola di Rienzo (1310 ?-1354), mémoire de master 2, dirigé par Armand Jamme, CNRS, Université Lumière Lyon 2, 2017-2018.
97 N.D.T. : compagnie di ventura en italien, troupes de mercenaires conduites par un condottiere, qui pouvaient être utilisées par les communes, les seigneurs etc., et dont le principal objectif était de s’enrichir. Elles étaient aussi actives en France sous l’appellation de grandes compagnies.
98 L’Anonyme romain, Chronique…, ouvr. cité, p. 280 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 243].
99 Ibid.
100 Le point de vue de M. Villani, ouvr. cité, IV p. 505-506, est intéressant. Il considère que fra Moriale est l’acteur principal et dirige l’action de ses frères : « De là, il envoya ses frères avec quelques groupes de ses cavaliers au tribun, qui était de nouveau retourné à Rome, pour l’aider. »
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