Les Corsaires et le Soleil 12
p. 28-29
Texte intégral
1On raconte qu’il y eut un jour peut-être mille vaisseaux de corsaires (s’ils n’étaient pas au nombre de mille, il y en avait bien au moins neuf cent quatre-vingt-dix-neuf) ; et donc, étant tous rassemblés dans un port, ces gens-là décidèrent de capturer le soleil qu’ils voyaient chaque matin poindre hors de l’eau. Aussi tout le monde se mit-il en ordre de bataille, avec le plus de rameurs et d’équipages qu’on pût trouver, disant : « Dès que nous aurons le soleil en notre pouvoir, nous serons riches, car nous pourrons le manœuvrer à notre convenance, tantôt en le maintenant immobile, tantôt en le faisant tourner, et ainsi de suite. » C’est de cette façon que les premiers à être prêts s’employèrent à cette régate, autant dire compétition à qui arriverait avant les autres, et, plongeant leurs rames dans les flots, les uns à minuit, les autres deux heures avant le jour, d’autres à l’aube, d’autres encore le jour levé, tous commencèrent à orienter leurs proues dans la direction où ils pensaient que le soleil allait émerger des eaux. Vous vous doutez bien que certains bateaux étant devant, il semblait à ceux qui se trouvaient derrière et parmi les derniers que les premiers n’allaient pas tarder à s’emparer de leur proie, et leur cœur battait à se rompre. Ceux qui étaient en tête, plus ils avançaient, plus ils croyaient toucher au but. Pour finir, les premiers parvinrent à un endroit tel qu’ils comprirent que c’était là folie pure et qu’ils se trouvaient toujours aussi loin de s’emparer du soleil que lorsqu’ils étaient encore au port. Beaucoup de ceux qui, épuisés, étaient restés en arrière, voyant les vaisseaux aborder le globe solaire en train de monter, se désolaient de n’y être pas présents eux aussi. Bien qu’il arrivât malheur à certains d’entre eux, nul ne s’en souciait, et même si, rebroussant chemin, les pauvres matelots disaient à ceux qui étaient restés là que l’entreprise n’était en rien plus avancée, personne ne voulait les croire. Ainsi en est-il de la condition de l’homme : il court afin de parvenir au contentement de ses désirs et ne s’aperçoit pas que le mécontentement toujours le suit.
Notes de bas de page
12 I Marmi, t. 1, p. 13 et 14. Les crochets signalent des titres qui ne sont pas ceux de Doni.
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