Chapitre II
La littérature pour la jeunesse dans l’enseignement des langues : état des lieux
p. 47-73
Texte intégral
1Je m’intéresserai à présent aux usages contemporains de la littérature de jeunesse en classe de langue à partir d’un corpus de travaux émanant de contextes très variés (Europe, Asie, États-Unis en particulier) et publiés en français, anglais ou allemand. Ils concernent des publics divers, tant en ce qui concerne leur niveau de langue, leur âge, leur maturité que leur environnement sociolinguistique. Sont donc incluses les recherches concernant l’usage de la littérature de jeunesse contemporaine auprès d’un public d’enfants ou d’adolescents. Notons également que certaines de ces recherches appartiennent au champ de la didactique des langues-cultures, alors que d’autres relèvent de celui des langues secondes ou du multilinguisme.
Contextes d’introduction de la littérature pour la jeunesse
2La littérature de jeunesse a été utilisée ces vingt dernières années dans les pays développés pour l’enseignement-apprentissage des langues. On peut dire que cet usage particulier a accompagné l’essor de la littérature de jeunesse dans la société et à l’école, dans l’apprentissage de la langue en usage.
3La littérature pour la jeunesse trouve une place dans l’enseignement primaire ou secondaire lorsque les apprenants étudient une langue étrangère qui est parlée dans une autre partie du monde ou dans un pays voisin. Cependant, et comme le soulignent plusieurs études (Bailleul & Tosi, 2008 ; Hesse, 2002), ce cas de figure se double de plus en plus fréquemment d’un autre aspect : le multilinguisme et le multiculturalisme des apprenants.
4Dans d’autres recherches, la langue cible est une langue parlée dans l’environnement immédiat des apprenants. Ceux-ci peuvent appartenir à une minorité linguistique et/ou régionale – c’est le cas par exemple, des apprenants suédophones vivant en Finlande dont parlent Viv Edwards (2002) ou Lilian Rönnqvist (2002). Il peut encore s’agir d’enfants de migrants vivant par exemple au Canada (Naqvi, 2007) ou en Australie (Chuh Poh Yoke, 2011). Dans ces cas où la langue enseignée est très proche du quotidien des enfants, il y a des chances pour que ceux-ci acquièrent un jour un degré plus ou moins élevé de bilinguisme. Pour ces apprenants, la connaissance de la culture et de la langue cibles constitue un enjeu essentiel pour la cohésion du pays.
5En ce qui concerne le recours à cette littérature auprès d’un public d’adultes, on note l’émergence de travaux didactiques vers la fin des années quatre-vingt. Aux États-Unis et au Canada, l’utilisation de la littérature de jeunesse (et plus spécifiquement de l’album) apparaît en contexte d’alphabétisation d’adultes migrants avec, notamment, la démarche d’« apprentissage intergénérationnel1 » (Handel & Goldsmith, 1989). D’autres recherches sont également conduites auprès d’adultes. La thèse de Maria de la Paz Garcia (2007), soutenue à l’université du Texas à Austin, porte sur l’intégration d’iconotextes en complément de l’utilisation d’un manuel auprès d’apprenants de quatrième semestre d’espagnol à l’université. Nirredatiningtyas Rinaju Purnomowulan (2013) introduit à l’université des albums contemporains auprès d’apprenants d’allemand langue étrangère en Indonésie. Cette démarche, qui s’inscrit dans un continuum, vise essentiellement le développement de connaissances culturelles et de compétences interculturelles. La démarche initiée par Johanna Whiteman (2002), axée sur l’introduction de comptines auprès d’étudiants américains germanistes, est reçue très diversement selon les apprenants. Enfin, Laina Ho (2003) introduit la littérature de jeunesse dans le cadre d’un enseignement de l’anglais auprès de jeunes adultes chinois.
Un corpus de documents soumis à analyse
6Le tableau présenté ci-dessous met en évidence l’hétérogénéité des documents répertoriés ainsi que des différences quant au public visé ou aux supports retenus.
7À l’exception d’un ouvrage de synthèse, Kinder-und Jugendliteratur im Fremdsprachenunterricht, co-écrit par une spécialiste de littérature de jeunesse, Emer O’Sullivan, et un didacticien de l’allemand langue étrangère, Dietmar Rösler, et publié en Allemagne en 2013, je n’ai pas recensé d’ouvrage de synthèse spécifiquement dédié à l’intégration de la littérature de jeunesse dans le cours de langue. Comportant des pistes pour trouver des ressources, des exemples de démarches et une présentation de travaux d’apprenants, l’ouvrage se veut pratique. Il intègre une réflexion pertinente sur les spécificités de la littérature de jeunesse contemporaine et propose, en se basant sur les résultats de recherches récentes dans le champ de la littérature de jeunesse, quelques propositions didactiques. Cet ouvrage fait en outre référence, et cela est particulièrement intéressant en ce qui nous concerne, à un certain nombre de comptes rendus pédagogiques parus dans des revues professionnelles d’enseignants du secondaire2 qui montrent, sur le terrain, l’intérêt suscité en Allemagne par des auteurs de littérature de jeunesse français ou francophones reconnus dans le champ3.
8Les travaux de Marie-Cécile Guernier (2005) concernant l’usage de l’album au lycée professionnel en classe de français ont été intégrés dans le corpus, en dépit du fait qu’il ne s’agit pas d’une situation d’enseignement-apprentissage de langue étrangère auprès d’un public mature. Cependant, la situation décrite présente des similitudes avec mon contexte : apprenants plus âgés que le jeune public à qui ces œuvres sont proposées habituellement, ressources langagières souvent insuffisantes, nécessité de proposer des supports brefs, variés, et qui « parlent » aux apprenants, et enfin, et cela rejoint une de mes préoccupations, supports qui permettent une initiation à la lecture littéraire et ouvrent « le champ des lectures possibles ».
Tableau 1 : Tableau de synthèse des documents analysés
Auteur | Public visé | Type de support retenu | Langue enseignée | Contexte d’enseignement | Nature du document | Année de publication |
Albert, M.C. et Souchon, M. | Adolescents/adultes | Roman pour adolescents | FLE | Ne s’applique pas | Ouvrage spécialisé (didactique de la littérature) | 2000 |
Appelt, J.E. | Adultes | Album | Anglais pour migrants | Canada | Article | 1985 |
Bailleul, C et Tosi, M. | Adolescents | Roman pour adolescents | FLE | Italie | Article | 2008 |
Burgain, M.F. | Enfants | Album | Anglais langue étrangère | France | Article | 2018 |
Collie, J. et Slater, S. | Jeunes adultes, adultes | Roman pour adolescents Nouvelle et autres (pièce de théâtre par exemple) | Anglais langue étrangère | Royaume-Uni | Ouvrage spécialisé (didactique de la littérature) | 1987 |
Demougin, F. | Adolescents, jeunes adultes | Album | FLE | Université (France) | Article | 2008 |
Edwards, V. | Enfants | Album | Langues régionales | Angleterre/France | Article | 2002 |
Garcia, M.P. | Jeunes adultes/ Université | Album | Espagnol langue étrangère | États-Unis | Thèse de doctorat | 2007 |
Guernier, M.C. | Grands adolescents | Album | FLM | Lycée professionnel | Article | 2005 |
Handel, R. D. et Goldsmith, E. | Adultes | Album | Anglais pour migrants | États-Unis | Article | 1989 |
Hesse, M. | Adolescents | Roman pour adolescents | Anglais langue étrangère | Établissement d’enseignement secondaire Allemagne | Livre publié à partir d’une thèse de doctorat | 2002 |
Ho, L. | Jeunes adultes/ Université | Conte | Anglais langue étrangère | Public chinois Université de Singapour | Article | 2003 |
Morant, J. | Adolescents | Roman pour adolescents | FLE | Enseignement secondaire Espagne | Article | 2007 |
Purnomowulan, N.J. | Jeunes adultes/ Université | Album | Allemand langue étrangère | Public indonésien Université de Bandung | Livre | 2013 |
Naqvi, R. | Enfants | Album | Anglais pour migrants | Canada | Article | 2007 |
Oriol-Boyer, C. et Normand, I. | Enfants | Album | FLE | Enseignement primaire Grèce | Article | 1997 |
O’Sullivan E. et Rösler, D. | Tous publics | Tout type | Allemand langue étrangère et autre | Primaire Secondaire Supérieur | Ouvrage de référence | 2013 |
Rönnqvist, L. | Adolescents | Roman pour adolescents | Anglais langue étrangère | Finlande | Article | 2002 |
Windmüller, F. | Jeunes adultes/ université | Conte | FLE | Allemagne | Article | 2008 |
9Les dates de publication du corpus représenté montrent que la question de l’introduction des ouvrages adressés à la jeunesse dans l’enseignement-apprentissage des langues est une question actuelle. Nombre de nos références datent des quinze dernières années (après 2000). En outre, la dispersion géographique des contextes d’utilisation de la littérature de jeunesse montre qu’elle correspond à l’essor de cette littérature dans les pays concernés dans la (les) langue(s) nationale(s) ou est à l’initiative d’enseignants ayant suivi des formations dans ces pays.
Les supports pour la jeunesse retenus par les didacticiens
10Dans la démarche initiée à la fin des années quatre-vingt auprès des publics migrants aux États-Unis, les supports privilégiés sont des récits classiques ou contemporains, albums mais aussi documentaires, poésie et autres ouvrages qui ne sont pas de la fiction : bref, c’est l’ensemble des différentes formes que prend la production pour la jeunesse qui est retenu, l’objectif étant également d’assurer par le biais des documentaires l’acquisition de connaissances sur des objets/questions de la vie quotidienne.
11L’album constitue un choix privilégié dans l’ensemble des publications consultées sans doute à cause de la présence de l’image dont on présuppose qu’elle constitue une aide pour la compréhension et qu’elle ouvre la voie à un certain nombre de perspectives pédagogiques. On trouve l’album à la fois dans des démarches destinées aux enfants et dans des démarches proposées aux adultes. De manière intéressante, ce support est retenu pour un public d’enfants ou d’adultes migrants qui rencontrent des difficultés en lecture et écriture.
12Lorsque les compétences linguistiques de l’apprenant sont plus conséquentes, il semble que le roman ou la nouvelle pour adolescents soient privilégiés. Dans ce cas, il s’agira souvent d’ouvrages qui ont acquis une certaine légitimité dans le champ littéraire et que l’on peut qualifier de « classiques de la littérature de jeunesse ». Citons par exemple Sa majesté des mouches de William Golding, Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier, ou encore Le gone de Chaâba d’Azouz Begag4.
13Retenu par plusieurs des auteurs de notre corpus (Hesse, 2002 ; Rönnqvist, 2002 ; Bailleul & Tosi, 2008), le roman pour la jeunesse présente l’avantage de proposer des titres qui a priori peuvent encourager l’identification des lecteurs avec les personnages. Lilian Rönnqvist (2002) pense que malgré les potentiels problèmes posés par le contexte et les spécificités culturelles, les jeunes lecteurs peuvent se reconnaître dans le héros, en particulier si leurs expériences rejoignent celles de celui-ci.
14Utilisés de manière moins fréquente, des ouvrages bilingues où deux langues sont tissées, comme ceux de la collection Alibi5 qui mêlent le français et l’anglais et appartiennent au genre roman pour la jeunesse, ont été proposés à des élèves allemands du secondaire. Pour plus de détails, on pourra se référer aux travaux de Caspari (2004).
15Plusieurs autres aspects semblent importants pour le choix des supports pour la jeunesse retenus : la capacité de ces ouvrages à refléter des réalités multiculturelles ou à permettre un travail interculturel (Bailleul & Tosi, 2008 ; Albert & Souchon, 2000 ; Demougin, 2008 ; Windmüller, 2008 ; Hesse, 2002), leur capacité à présenter des problématiques proches de celles des apprenants, qui les touchent et les émeuvent (Bailleul & Tosi, 2008 ; Hesse, 2002 ; Collie & Slater, 1987 ; Burgain, 2018).
Représentations de la « littérature de jeunesse » chez les didacticiens de langue
16Les représentations de l’objet « littérature de jeunesse » affleurent plus particulièrement lorsque les didacticiens tentent de justifier le recours à la littérature de jeunesse en classe de langue. Comme indiqué précédemment, l’expression « littérature de jeunesse » constitue une dénomination problématique, car elle recouvre un ensemble diversifié constitué entre autres d’albums, de récits illustrés, de romans mais aussi des supports très variés tant par leur nature que par leurs qualités. Il n’est pas rare ici de constater une tendance à la généralisation chez certains didacticiens6, qui se manifeste par l’usage d’expressions du type « la littérature de jeunesse offre des supports faciles… », « la littérature de jeunesse offre des supports brefs… ». Ces termes sont donc particulièrement inadaptés. À l’exception de l’ouvrage d’Emer O’Sullivan et Dietmar Rösler (2013), les démarches proposées dans le corpus analysé ne sont pas nécessairement accompagnées d’une analyse des spécificités de la littérature de jeunesse contemporaine et des atouts de celle-ci pour l’enseignement dans langues étrangères7.
L’image et les éléments facilitateurs
17L’indéniable pouvoir de séduction des images et, plus largement, des ouvrages est souligné par un certain nombre des chercheurs. Si Josette Morant parle d’« une présentation attractive », ce point apparaît chez elle en lien avec des « éléments facilitateurs » tels qu’une « typographie aérée ». D’autres didacticiens, en revanche, insistent sur le plaisir que procure la littérature de jeunesse sans l’associer nécessairement à une perspective didactique. Appelt (1985) utilise des termes comme « délicieux » au sujet des illustrations (« the illustrations are delightful »), elle parle d’« albums pour le plaisir et l’apprentissage » (« picture books for pleasure and learning ») et enfin parle du plaisir qui s’en dégage, en même temps qu’il surprend, et rejoint celui produit par l’œuvre d’art (« everyone is delighted by the unexpectedness of the artwork »).
18L’image contribue de manière indéniable, à séduire le lecteur potentiel. Elle est porteuse de plaisir esthétique. Certains (Guernier, 2005) insistent sur l’aspect esthétique des albums et soulignent la « grande qualité graphique et esthétique de certains ouvrages », qui en font un support adéquat pour tout lecteur adulte. Josette Morant (2007), elle, parle de supports « dans lesquels beaucoup d’adultes aiment à se retrouver ». Marie-Cécile Guernier (2005) annonce, quant à elle, vouloir « travailler la lecture et l’écriture en évitant la lassitude et en favorisant par le biais des illustrations l’émotion esthétique ». L’image est également vue comme un élément facilitateur par certains didacticiens de langue qui y voient un vecteur d’information. Si l’image est parfois uniquement qualifiée d’« illustration », en particulier lorsqu’il est question du roman pour la jeunesse, on trouve aussi chez certains des commentaires qui montrent que ces didacticiens ont une idée plus précise du rôle que peuvent jouer les images. Toutefois, leur définition du rôle de l’image demeure partielle : « l’image ajoute des informations au texte » (« illustrations […] add extra-information to the text ») (Appelt, 2005). L’image est également vue comme une aide pour la compréhension. Moins fréquemment, le didacticien souligne en quoi elle interroge le lecteur. Marie-Cécile Guernier (2005) propose pour sa part, une analyse précise des différents rapports qui peuvent s’instaurer entre le texte et l’image. Malgré une analyse certes succincte – mais pertinente – du rôle et des fonctions de l’image et de l’épaisseur qu’elle contribue à conférer à l’album, elle choisit dans sa proposition pédagogique de ne se concentrer que sur les textes des albums pour montrer que les apprentissages langagiers sont possibles. Le fait que les mises en œuvre pédagogiques de l’album visent peu souvent l’image ou l’alliance texte-image a déjà été montré par certains chercheurs (Chuh Poh Yoke, 2011). Il semble que l’analyse de ce qu’est l’image et du rôle qu’elle joue dans le support dépend des intérêts personnels des didacticiens de langue, de leur formation, de leur degré de connaissances des recherches récentes effectuées dans le champ de la littérature de jeunesse, et (ou) dans celui de la didactique de la littérature.
19Parmi les éléments facilitateurs cités par les didacticiens on trouve également la typographie et la mise en page. Ainsi, Josette Morant (2007, p. 22) note que la typographie aérée est une des spécificités des ouvrages pour la jeunesse. Des recherches récentes consacrées au roman pour adolescents vont dans ce sens. Ainsi, Daniel Delbrassine (2006, p. 12) met en évidence un certain nombre de « traces attestant une préoccupation de l’auteur pour la compréhension du lecteur au sein et en dehors des textes », comme par exemple le fait que le texte soit facilement fractionnable ou encore que la ponctuation soit renforcée8.
20La brièveté des supports apparaît également comme l’un des atouts essentiels de la littérature de jeunesse (Guernier, 2005 ; Appelt, 1985). Cependant, les analyses des divers didacticiens prennent peu en compte les recherches effectuées dans le champ de la littérature de jeunesse. On ne peut désormais ignorer les travaux de plusieurs chercheurs – dont ceux, déjà cités, de Daniel Delbrassine – qui soulignent le maintien de la richesse du vocabulaire, le rythme soutenu, le passage au dialogue ou encore – et cela est particulièrement crucial avec un public étranger – la présence d’explications à caractère didactique dans les ouvrages pour la jeunesse (Delbrassine, 2006).
21Par ailleurs, aucun des didacticiens, à l’exception d’Emer O’Sullivan et Dietmar Rösler, ne fait référence à une possible simplification narrative lorsqu’un auteur adapte un texte initialement adressé à un public adulte pour le destiner à un public enfant. Si celle-ci a parfois lieu (chez Michel Tournier notamment), on ne peut cependant pas généraliser. Régine Detambel, par exemple, dans sa version pour la jeunesse intitulée Le rêve de Tanger rompt la chronologie linéaire de l’intrigue9, et fait ainsi acte de complexité.
22Pour ce qui est de la structuration des romans pour la jeunesse, certains (Morant, 2007) notent la présence d’« un récit très structuré » ou de confusions évitées sur l’axe temporel, narratif et connotatif », en omettant de signaler que parfois, dans ces romans, la structure peut être très complexe. Mechthild Hesse ne manque d’ailleurs pas de le souligner10. On peut penser ici à L’enfant océan de Jean-Claude Mourlevat, roman où le jeune lecteur doit reconstruire ce qui s’est passé à partir d’indices fournis par les témoignages successifs de personnes différentes.
23Une meilleure connaissance de l’objet « littérature de jeunesse », du travail des auteurs et des recherches effectuées dans le champ permettrait aux didacticiens de langues de mieux appréhender le « souci didactique » des auteurs11 et de repérer les points d’ancrage offerts dans la lecture par l’auteur aux apprentis-lecteurs.
« Potentiel identificatoire », thématiques et actualité de la littérature pour la jeunesse
24Le « potentiel identificatoire » et les thématiques séduisantes sont également mis en avant. Un certain nombre de didacticiens soulignent d’une part les aspects formels (une littérature du « je ») et la possibilité d’identification très forte (Rönnqvist, 2002 ; Hesse, 2002). En outre, les thèmes, qui sont souvent des thèmes universels « qui interrogent tout un chacun et constituent aussi la matière de toute littérature » (Guernier, 2005, p. 27) sont des thèmes qui, a priori, parlent aux jeunes. Pour certains didacticiens, le roman pour la jeunesse permet par ses thèmes de toucher les jeunes et de les faire réfléchir (Hesse, 2002). Le fait que le roman pour la jeunesse reflète des problématiques actuelles telles que la drogue, la grossesse des adolescentes et d’autres thèmes y est sans doute pour quelque chose.
25Autre aspect éminemment contemporain et que soulignent un certain nombre de chercheurs (Hesse, 2002) : les liens entre le roman pour la jeunesse et internet. Ainsi on lit : « Le livre pour adolescents est peut-être le premier genre littéraire né de l’Internet. La narration au rythme soutenu s’inspire à la fois de l’affinité de son public cible avec MTV, qui elle-même s’est engagée dans un partenariat commercial avec “Pocket Books”, de l’attirance de ce public pour Internet, et de la facilité dont les jeunes abordent le traitement de l’information présentée dans des formats non conventionnels12. »
26En plus de présenter une littérature dont les thèmes parlent aux apprenants, la possibilité est offerte en cours d’anglais langue étrangère d’inviter les apprenants adolescents à redécouvrir des ouvrages qu’ils connaissent, puisqu’ils les lisent à titre personnel sous forme de traduction. Proposer de lire dans leur version originale les romans dont ils sont familiers permet donc, outre de les rassurer, d’accroître leur motivation.
27Le roman contemporain pour la jeunesse constitue un terrain d’étude complémentaire à l’enseignement du canon littéraire et permet de montrer aux apprenants en quoi la littérature est un objet en évolution (Hesse, 2002). La chercheuse allemande note que le roman contemporain pour la jeunesse se distingue du roman d’apprentissage (« Entwicklungsroman ») en offrant une fin ouverte. Pour elle, l’introduction d’un roman pour la jeunesse proposé dans son intégralité dans l’enseignement secondaire en Allemagne permet de faire lire des supports authentiques, de ne pas limiter la lecture au canon littéraire et de montrer qu’il existe bien dans la production contemporaine pour la jeunesse des ouvrages dignes d’intérêt.
Une littérature propice au travail linguistique et littéraire
28La littérature de jeunesse est également vue comme un support idéal pour un travail linguistique et littéraire. Un certain nombre d’études que j’ai analysées portent sur le travail linguistique pouvant être mis en place dans le cadre d’activités de lecture-écriture à partir de l’album iconotextuel. Marie-Cécile Guernier propose de travailler sur le lexique à partir de l’album Quels drôles d’oiseaux (Crelier, 2002). Ce dernier présente des définitions à la fois sur le plan verbal et pictural d’expressions comportant un nom d’oiseau ou faisant référence à leur univers13. Elle propose également de travailler à partir de l’album14 Amourons-nous (De Kockere et Clement, 2007). Son travail montre que l’apprenant, même faiblement armé linguistiquement, peut aussi « fabriquer de la langue ».
29En outre, un certain nombre de didacticiens soulignent le fait que la littérature de jeunesse constitue un support pertinent pour l’observation des faits de langues et des usages de la langue : « La littérature théâtralise certains mécanismes langagiers et permet d’appréhender leurs emplois discursifs » (Oriol-Boyer & Normand, 1997, p. 73). Ainsi, la démarche proposée par Marie-Claude Albert et Marc Souchon (2000) invite-t-elle, parallèlement à un travail de lecture littéraire proprement dit, à repérer et à analyser certains usages de la langue comme l’emploi des temps.
30Par ailleurs, certains soulignent (Morant, 2007) que la forme de la littérature de jeunesse qui parfois se rapproche d’une certaine forme d’oral non seulement séduit de jeunes lecteurs, facilite la compréhension et améliore la lisibilité, mais aussi constitue un élément propice au travail linguistique et à la mémorisation. Un certain nombre d’auteurs contemporains de littérature de jeunesse ont indiqué leur souci de tenir compte de l’oralité et de la corporalité dans l’écriture15. Se référant à la littérature de jeunesse de langue allemande, Emer O’Sullivan et Dietmar Rösler (2013, p. 74) soulignent qu’en plus d’être un réservoir pour la langue orale, elle constitue un lieu d’observation de variations linguistiques, qu’il s’agisse de l’allemand d’Autriche ou de Suisse.
31Pour maints auteurs de notre corpus, la littérature de jeunesse constitue un support pour la lecture et l’écriture littéraires. C’est le cas pour Marie-Claude Albert et Marc Souchon dont la démarche vise le repérage de l’intertextualité à travers la comparaison des deux versions du livre de Michel Tournier Vendredi ou la vie sauvage et Vendredi ou les limbes du Pacifique. Cette démarche sur laquelle je reviendrai montre que les auteurs invitent l’apprenant à s’interroger sur ce qui constitue la littérarité d’une œuvre et sur les caractéristiques que peut prendre celle-ci lorsqu’elle est destinée à un jeune public.
32À l’exception d’Emer O’Sullivan et Dietmar Rösler (2013), peu de chercheurs évoquent de manière explicite l’idée que la littérature de jeunesse puisse constituer une littérature passerelle, c’est-à-dire une littérature qui prépare à la lecture d’œuvres plus complexes du champ de la littérature générale16. De même, peu de didacticiens parlent des échanges qui existent entre le champ de la littérature pour adultes et celui de la littérature pour la jeunesse, ou encore de l’influence de la littérature pour enfants sur la littérature générale. Pourtant aux yeux des spécialistes de littérature de jeunesse, ces phénomènes d’échanges entre les deux champs et d’influence de la littérature de jeunesse sur la littérature générale17 et vice-versa sont bien observables (voir Nières-Chevrel, 2002).
Un support idéal pour promouvoir le « vivre ensemble »
33La littérature de jeunesse apparaît également comme un support idéal pour un travail interculturel18. Dans un article paru en 2007, Louise Savoie explique comment au Québec, la littérature de jeunesse est appelée à doter les apprenants de français langue maternelle et seconde de « repères culturels diversifiés et intégrateurs ». La littérature de jeunesse se voit donc jouer un rôle de premier plan (Savoie, 2007) dans ce contexte.
34Les choix effectués par un certain nombre de chercheurs (Rönnqvist, 2002 ; Bailleul & Tosi, 2008) d’offrir à leurs apprenants des romans pour adolescents qui reflètent les réalités multiculturelles de leurs apprenants est une tendance particulièrement marquée dans notre corpus. En effet, Bailleul et Tosi choisissent un roman où le héros en proie à des difficultés d’ordre motivationnel, va devoir apprendre une langue étrangère, alors que sa mère est elle-même multilingue. Lilian Rönnqvist choisit, quant à elle, un roman australien pour jeunes adultes, Looking for Alibrandi (Marchetta, 2002), où la situation de l’héroïne (une jeune fille appartenant à la communauté italienne d’Australie) fait écho à celle des apprenants19 (la communauté suédoise vivant en Finlande).
35Dans la recherche effectuée par Carole Bailleul et Michèle Tosi, le roman pour la jeunesse apparaît non seulement comme un support linguistique mais aussi, dans une perspective socioculturelle, comme un moyen de réconcilier la communauté des apprenants dans sa diversité et comme un moyen de construire des liens entre les apprenants. La représentation qui se dessine ici est celle du roman pour la jeunesse comme moyen de susciter l’empathie20. Ce support est également vu comme un outil reflétant la complexité du monde dans lequel évoluent les apprenants, y compris dans leur environnement scolaire : multiplicité des profils d’apprenants, multilinguisme et pluriculturalisme présents dans la classe. La littérature de jeunesse semble ici appelée à jouer un rôle qui va au-delà du simple apprentissage linguistique, puisqu’elle doit permettre, comme l’indique Louise Savoie, que s’établissent des interactions entre les apprenants eux-mêmes, représentants de diverses communautés. En outre, elle participe de la construction d’un patrimoine littéraire commun, constitué d’un ensemble de références.
36Il est possible à travers l’analyse des démarches proposées par les didacticiens d’entrevoir leurs représentations de la littérature de jeunesse puisque celles-ci ne sont pas – le plus souvent – explicitement exposées. Ces représentations, regroupées ici sous plusieurs catégories non étanches, peuvent, dans certains cas, correspondre à des idées reçues : celle de la simplicité de la littérature de jeunesse par exemple. À la littérature de jeunesse sont associées des caractéristiques que l’on trouve généralement associées à la littérature générale : celle de réservoir langagier, mais aussi culturel d’un pays, d’un groupe linguistique. L’idée que la littérature de jeunesse est un objet complexe apparaît peu fréquemment dans les divers articles/ouvrages consultés, sauf lorsque celui-ci est le fruit d’une collaboration entre un spécialiste de littérature de jeunesse et un didacticien. Loin d’être un handicap, cette complexité constitue de notre point de vue un atout en langue-culture, et ce, quel que soit le niveau envisagé. Placer cette littérature en perspective avec la littérature générale afin de voir en quoi consistent les liens, permet de créer de nouvelles approches. Il semble, par ailleurs, que l’approche interculturelle contribue, du côté des didacticiens, à renforcer la légitimité de l’introduction de la littérature de jeunesse dans la classe de langue.
Les approches proposées : quatre tendances principales
37L’analyse des démarches proposées révèle quatre grandes tendances : la première vise le développement des compétences orales et écrites, la seconde s’inspire des travaux réalisés en FLM en lecture-écriture, la troisième reflète l’importance de l’interculturel dans l’enseignement-apprentissage des langues, la quatrième implique l’usage des nouvelles technologies et peut être qualifiée de « pluricode ». Notons que ces quatre catégories ne sont pas étanches et que certaines des démarches analysées recoupent deux, voire trois catégories. Ces démarches articulent de manière concrète les représentations de la littérature de jeunesse qui les sous-tendent.
Une littérature pour développer des compétences orales et écrites
38Plusieurs des auteurs du corpus proposent des démarches qui visent autant le développement des compétences orales que des compétences écrites. Les deux textes consacrés à l’apprentissage de l’anglais auprès d’un public de migrants adultes proposent tous deux des démarches où l’oral occupe une place à part entière, qu’il s’agisse de discussion autour des ouvrages, de jeux de rôle enfant-adulte (Handel & Goldsmith, 1989) ou de lecture à voix haute (Handel & Goldsmith, 1989 ; Appelt, 1985). Elles s’inspirent ainsi de pratiques déjà proposées pour la didactisation des contes21.
39Plus récemment, on trouve des propositions impliquant la lecture à voix haute (Ho, 2003). Laina Ho choisit également de travailler sur la présentation et la reconnaissance de figures littéraires, sur la réécriture sous forme de dialogue suivie de la mise en scène de ce dialogue. Il est à noter que cette démarche est proposée dans le contexte universitaire auprès d’un public asiatique, d’origine chinoise. Je reviendrai plus loin sur la réception de cette démarche par ce public.
40Bien que la lecture-écriture soit au centre de la démarche de Mechthild Hesse, force est de constater l’importance qu’occupe l’oral dans ses propositions. Dans la démarche décrite, l’oral apparaît dans des phases où des groupes d’apprenants travaillent sur des thèmes du livre déterminés à l’avance par l’enseignant, dans des phases de dialogue et d’élucidation du sens, ou encore lorsqu’ils mettent en scène certains passages du livre. La chercheuse considère que la mise en scène de certains passages sous forme de jeu de rôle constitue une aide pour la construction du sens, la compréhension ainsi que l’interprétation (Hesse, 2002, p. 129).
41Une place importante est accordée à l’oral dans des démarches corporelles et dynamiques développées en Allemagne. Ces démarches, à la fois singulières et innovantes et qui impliquent mise en scène et jeux de rôles, sollicitent l’imaginaire et peuvent s’accompagner d’un travail d’écriture de script (O’Sullivan et Rösler, 2013, p. 132).
La didactique de la lecture-écriture en FLM comme source d’inspiration
42On observe, à des degrés divers, l’influence de la didactique du français langue maternelle et des démarches mises en place dans ce domaine au primaire, au collège et au lycée. Ces démarches accordent une importance significative au lien lecture-écriture ainsi qu’à la lecture littéraire. On assiste dans certains cas à une « transposition » de pratiques et de démarches de la didactique du français langue maternelle vers le français langue étrangère22.
43La didactique du français langue maternelle a développé des démarches qui visent à former le jeune lecteur-scripteur en vue de la lecture de « classiques23 ». Deux directions sont proposées pour développer la capacité des apprenants à faire des liens : l’une préconise de travailler sur les formes littéraires, l’autre de relier des œuvres sur le plan thématique.
44C’est dans la première de ces perspectives, celle de travailler sur les formes littéraires, que s’inscrit la démarche FLE proposée par Marie-Claude Albert et Marc Souchon en 2000. Ceux-ci invitent au repérage de l’intertextualité, et ce, à partir d’extraits du livre de Michel Tournier Vendredi ou la vie sauvage. La comparaison entre les deux versions de Robinson par Michel Tournier permet, comme l’affirme Daniel Delbrassine (2006, p. 160), de montrer que le remaniement ne s’est pas limité à la seule intention d’adapter les textes pour un nouveau public, mais qu’il avait un objectif esthétique. Ainsi, ce remaniement a abouti à un texte et à une écriture radicalement différents. Cette démarche, outre qu’elle met en avant certains phénomènes littéraires comme l’intertextualité, permet également de faire réfléchir sur ce qui contribue à la qualité littéraire d’un texte.
45Toujours dans le cadre de la didactique du français langue étrangère, Claudette Oriol-Boyer expose, dans un article paru en 1997, une démarche de lecture-écriture destinée à un public d’enfants et d’adolescents à partir d’ouvrages de littérature pour la jeunesse. Celle-ci est proposée lors d’un stage à des enseignants travaillant en contexte grec. L’analyse détaillée de cet article24 permet de conclure que l’objectif des formateurs est d’« appliquer » au FLE une démarche proposée en FLM. Cependant, la description faite dans l’article ne peut pas – en raison des contraintes imposées par cette forme de publication – couvrir tous les aspects de la démarche et certaines informations font défaut telles que le travail de préparation préalable, les activités pour s’assurer de la compréhension des supports ou encore la manière dont sont mis en place les savoirs linguistiques.
46Dans le domaine de l’anglais langue étrangère (English as a Foreign Language [EFL]), la démarche proposée par l’Allemande Mechthild Hesse (2002) présente des similitudes avec celles observées ces dernières années dans la didactique du FLM : tenue d’un cahier de lecture et travail ciblé sur des types d’écrits [résumé, description d’un personnage, d’un lieu, rédaction de textes impliquant un changement de point de vue, rédaction d’une lettre à l’auteur du roman25]. Cependant, cette démarche inclut des activités propres à l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère : travail sur la formation des mots, utilisation du dictionnaire bilingue, rédaction et mise en scène de sketches, travail de recensement du vocabulaire nouveau, classification du vocabulaire par thème et établissement d’une liste de mots essentiels ou « actifs » (« core vocabulary »). Bien qu’elle privilégie l’écrit, la démarche fait également une large place à l’oral ainsi qu’au culturel et à l’interculturel. L’important dispositif pédagogique est marqué par une attention considérable accordée à la structuration des écrits et à leur organisation. L’auteure pose un certain nombre de questions pratiques relatives à la mise en place de l’écrit en langue étrangère au sein des institutions26. En outre, elle pose des questions qui intéressent en premier lieu le didacticien de langues telles que : comment introduire la grammaire dans le cours de lecture-écriture sans que cela n’entrave la rencontre entre le lecteur allophone et le roman ? Comment aider les élèves faibles à mieux écrire en langue étrangère ? À quel moment et comment inscrire et planifier cette lecture-écriture au long cours dans le continuum ? Comment noter les travaux d’apprenants en langue étrangère ? Comment prendre en compte dans la note finale le travail effectué pendant les phases de travail intermédiaires ? Quel poids accorder aux diverses composantes et notamment au style et au contenu ?
47Toujours dans le domaine de l’EFL mais au niveau universitaire cette fois, Laina Ho (2003) s’intéresse à la lecture littéraire et aux apports de la lecture de trois contes pour l’apprentissage de savoirs et savoir-faire dans le domaine littéraire. Il s’agit d’un public de jeunes étudiants d’origine chinoise apprenant l’anglais à l’université de Singapour. Laina Ho insiste dans son bilan sur le fait que ses étudiants ont acquis des compétences propres à la lecture littéraire et sont capables de faire appel à ces compétences si nécessaires. Ainsi, ils ont montré des capacités à reconnaître des figures de style, à émettre un point de vue critique sur une œuvre, à rédiger en groupe de quatre un dialogue à partir du dernier conte et à mettre celui-ci en voix. Selon Laina Ho, les étudiants observés ont non seulement démontré des capacités critiques, ce qui participe en partie d’aptitudes propres à la lecture littéraire, mais ils ont également mobilisé leurs pré-acquis pour l’écriture du dialogue du dernier conte, en convoquant leurs savoirs sur l’opéra chinois et les spectacles théâtralisés chinois.
48La lecture-écriture basée sur un texte intégral est également au centre d’une autre démarche préconisée en EFL dans un ouvrage de didactique de la littérature : celui de Joanne Collie et Stephen Slater (1987). La didactisation du roman Sa majesté des mouches de William Golding occupe une place importante dans l’ouvrage puisque 69 pages y sont dédiées. Les auteurs insistent sur l’importance de se consacrer à un ouvrage non tronqué, et sur l’importance d’introduire le plus vite possible de la littérature dans le cursus et d’axer la démarche sur la compréhension (voir les nombreuses grilles proposées), sur le vocabulaire (activités de classement) et sur la grammaire (à partir de phrases du texte ou de phrases proposées par l’enseignant). L’important appareillage didactique inclut maintes activités d’écriture qui vont de l’écriture sous contraintes à la création de poèmes, à l’écriture d’un texte argumentatif ou à la rédaction d’un script pour la réalisation d’un film bref tiré du livre. Cependant, et il faut le souligner, les nombreuses grilles de lecture n’invitent souvent qu’à un travail linguistique réduit en même temps qu’elles orientent le lecteur vers une certaine interprétation du texte littéraire. Notons néanmoins qu’une approche intéressante de la lecture littéraire est proposée puisqu’elle inclut la lecture conjointe par les apprenants de deux nouvelles d’auteurs différents pour observer les traits littéraires caractéristiques de ces nouvelles et les choix d’écriture des auteurs.
49Toujours dans le cadre de l’EFL, mais en primaire et dans le contexte français27, Marie-France Burgain (2017), propose une démarche de lecture-écriture à partir d’albums en s’inspirant des phénomènes à l’œuvre dans l’écriture de « fanfictions ». Dans cette démarche, « les lecteurs/auteurs intègrent des éléments ou reprennent des motifs de l’histoire d’origine », et peuvent ainsi, par exemple « ajouter des animaux à ceux de Brown Bear, prolongeant ainsi le jeu des questions/réponses » ou « intégrer de nouvelles pages à l’album Things I like d’Anthony Browne » (Burgain, 2017). Le cas échéant, les apprenants pourront montrer la production finale « lue ou jouée devant les autres enfants de la classe, ceux d’une autre classe ou d’une autre école », montrant ainsi qu’une dimension sociale peut exister dans une approche de ce type.
L’interculturel comme axe central
50Une préoccupation interculturelle28 sous-tend la démarche de Carole Bailleul et Michèle Tosi présentée dans l’ouvrage collectif Précis du plurilinguisme et du multiculturalisme (2008). Le roman pour la jeunesse retenu et proposé à des adolescents apprenant le français en Italie (Kamo, l’agence Babel de Daniel Pennac) permet à travers les thèmes présentés (plurilinguisme et multiculturalisme, nécessité impérieuse de connaître la langue étrangère et besoin de dépasser stéréotypes et préjugés pour découvrir l’autre) de répondre à un certain nombre des objectifs fixés par l’approche interculturelle. Ainsi, transposer ce roman pour la jeunesse en bande dessinée « a pour objectif la prise de conscience de la part des apprenants du plurilinguisme et du pluriculturalisme présents dans leur environnement scolaire et social29 ». En outre, cette démarche implique un échange interdisciplinaire (et, nous ajouterons, interculturel) entre des enseignants de langue maternelle, de langue étrangère et d’histoire de l’art.
51Laina Ho (2003), dans la démarche présentée plus haut, considère qu’il faut retenir des textes qui ne sont pas trop marqués culturellement, afin de ne pas déstabiliser l’étudiant par ce qui pourrait constituer une entrave à la compréhension30. Proposer comme premier ouvrage de littérature de jeunesse un conte chinois familier des étudiants écrit en langue anglaise est significatif de cette préoccupation et fait sens en début de séquence. Les autres contes qu’elle retient (un conte indien, et un extrait des Mille et une nuits) proposent des thèmes « rassembleurs » qui ont une valeur universelle et parlent à tout un chacun quelles que soient ses origines.
52La valeur culturelle et la dimension interculturelle des contes ont été mises en évidence par de nombreux travaux touchant à la didactique du français langue seconde, avec des travaux auprès d’enfants néo-arrivants dont les mères étaient invitées à conter des histoires de leur patrimoine culturel. Le conte a fait l’objet de nombreuses analyses montrant sa pertinence comme outil de médiation interculturelle (Decourt, 1991 ; Tooth, 2007 ; Menigoz, 2007).
53Travailler l’interculturel à partir des réécritures de contes contemporaines ou anciennes présentes dans les albums contemporains et des versions anciennes (telles que celles des frères Grimm ou de Perrault) est proposé par plusieurs chercheurs (Appelt, 1985 ; Demougin, 2008 ; Windmüller, 2008). Le travail de Florence Windmüller consacré à la didactisation du conte Le Petit Chaperon rouge en contexte germanophone est éminemment interculturel. Sa proposition mobilise les savoirs de ses étudiants à la fois sur leur culture propre (l’histoire et la littérature populaire allemande du xviiie siècle) et sur leurs savoirs dans la langue et la culture de l’autre, en français dans ce cas. Elle procède à des observations à partir d’angles de réflexion et d’observation précis et construit des savoirs relatifs au conte lui-même, à la genèse des différentes versions, à l’histoire culturelle et politique des deux pays.
54Françoise Demougin, dans un article paru en 2008, s’attache pour sa part à montrer le lien crucial qui existe entre le texte littéraire et le transculturel31, et propose d’intégrer des albums ou des textes de littérature d’enfance pour l’enseignement du FLE. Destinant ces supports à des étudiants de première année de FLE, elle propose deux démarches, l’une autour de la représentation du chien, l’autre autour du Petit Chaperon rouge, en incluant notamment l’étude de la réécriture de ce conte par Rascal (2002). Ces démarches proposent une mise en réseau de documents divers, littéraires ou non, et une mise en regard d’albums pour la jeunesse contemporains et de supports patrimoniaux.
55Observer les transformations d’un texte lors du passage de celui-ci dans une autre langue et une autre culture constitue l’une des propositions concrètes d’Emer O’Sullivan et Dietmar Rösler (2013, p. 194-195). Une telle démarche, qui ressort du domaine de la traduction, permet aux apprenants de se rendre compte des différents types de difficultés rencontrées et de la nécessité de déterminer ce qui, dans le passage à l’autre langue, peut être laissé de côté et ce qui ne doit pas l’être. Ainsi, et cela doit être souligné, on met en exergue la valeur culturelle, mais aussi linguistique et littéraire d’un ouvrage de littérature jeunesse.
Littérature pour la jeunesse et nouvelles technologies
56Force est de constater qu’un certain nombre de propositions vont dans le sens des travaux de Gardner (1983) sur les intelligences multiples. Le concept de multimodalité appliqué à l’enseignement permet de prendre en compte la diversité des profils d’apprenants ainsi que la notion d’intelligences multiples. Il s’agit pour les apprenants dont les compétences sont plus développées dans le domaine de l’art ou du dessin par exemple, de pouvoir s’investir et de se trouver motivés par les activités proposées. Les cahiers de lecture en constituent un exemple, mais on peut également avoir recours aux nouvelles technologies pour créer des supports qui requièrent des savoirs ou savoir-faire artistiques.
57L’une des possibilités consiste par exemple à faire écrire par les apprenants un album destiné à de jeunes lecteurs identifiés32 (Appelt, 1985). Cette activité d’écriture nous semble particulièrement pertinente, car elle permet d’avoir un regard distancié sur l’album en tant qu’objet, en tant que création. Ainsi, il faut pour réaliser la tâche observer comment ces albums sont écrits, analyser la relation texte-image ou encore anticiper la lecture oralisée. Bref, cette proposition stimule l’esprit d’analyse et la curiosité et incite à lire d’autres albums. Elle invite également en phase de production à porter une attention toute particulière aux mots et aux sons pour tenir compte du public visé33.
58La démarche proposée par Carole Bailleul et Michèle Tosi (2008) est également une démarche que l’on peut qualifier de « pluricodique », puisqu’elle consiste à transposer un roman pour la jeunesse en BD, activité que les auteures de l’article qualifient de « jeu créatif », qui « amène les apprenants à construire un univers pluricode et pluridimensionnel » (Bailleul & Tosi, 2008). Les apprenants, des adolescents familiers de bande dessinée, se sentent motivés par la démarche. Celle-ci se décompose en plusieurs étapes allant de la compréhension approfondie du texte de départ aux étapes de réécriture. La réécriture implique la création d’un nouveau récit de base puis la définition d’un scénario ; suit la réalisation d’un storyboard « c’est-à-dire un découpage dessiné, une grille de dessins représentant les images successives avec dialogues et descriptions de l’action » (Bailleul & Tosi, 2008, p. 247).
59Le projet Fabula, financé par la communauté européenne, a permis à des élèves d’école primaire apprenant une langue régionale de concevoir des albums multimédias bilingues. Deux exemples tirés de cette démarche sont décrits dans l’article de Viv Edwards (2002). Il s’agit, pour le Royaume-Uni, du projet anglais-gallois et, pour la France, du projet français-basque. Pour réaliser ces albums multimédias bilingues, on s’appuie d’abord sur la découverte d’un album publié dans la langue dominante. Il s’agit ensuite de réécrire celui-ci dans les deux langues (la langue dominante et la langue régionale), puis de créer un support multimédia intégrant ces textes, des illustrations ainsi qu’une bande-son. Plusieurs éléments me paraissent très pertinents : la nécessité d’écrire successivement l’histoire dans les deux langues et non de traduire d’une langue dans l’autre, le fait de recourir partiellement à une version simplifiée et enfin, la possibilité de donner à la langue régionale, en situation de diglossie, un statut et une importance réelle.
L’engagement des apprenants et ses indicateurs
60Peu d’études fournissent des indicateurs tangibles quant à l’engagement des apprenants dans les approches proposées. Cependant, certains enseignants-chercheurs apportent de précieux renseignements en ce qui concerne l’impact des démarches qu’ils ont mises en place. Ces résultats, bien qu’ils ne puissent être généralisés en raison du manque d’études existant actuellement, sont importants au regard de la réflexion conduite dans cet ouvrage.
Des apprenants plus « actifs »
61Ruth. D. Handel et Ellen Goldsmith (1989) fournissent un certain nombre d’indicateurs tangibles relatifs à l’engagement des apprenants (des adultes migrants) et à leurs progrès. Évoquons d’abord le fait que les étudiants qui avaient échoué à un test de lecture standardisé ont par la suite amélioré de manière significative leurs scores au même type de test. De plus, et ceci est particulièrement remarquable, ce sont tous les adultes et pas seulement ceux ayant des enfants qui s’engagent dans la lecture des ouvrages pour la jeunesse proposés. Pour les chercheuses, « les étudiants passifs sont devenus des apprenants actifs34 ». Ainsi, les apprenants empruntent spontanément d’autres ouvrages pour la jeunesse en langue cible pour les lire à la maison. En outre, et cela doit être souligné, les chercheuses remarquent que la lecture d’ouvrages de jeunesse a eu des bénéfices à fois cognitifs et affectifs, permettant d’élargir les connaissances culturelles, d’améliorer la compréhension, de formuler des jugements critiques ou de stimuler des conversations de haut niveau.
Des cahiers de lecture bien remplis, des textes longs et riches
62Mechthild Hesse (2002) fournit des éléments tangibles d’implication en ce qui concerne les écrits réalisés par ses élèves du secondaire apprenant le français comme langue étrangère en Allemagne. Ceux-ci ont travaillé à partir d’un roman pour la jeunesse. Les cahiers de lecture analysés par Mechthild Hesse35 montrent l’implication des apprenants tant en ce qui concerne la quantité des informations fournies que la variété des approches choisies par les apprenants (résumé des chapitres pour certains, recherches sur internet et/ou dessins accompagnant des commentaires pour d’autres). Selon la chercheuse, tous les apprenants ont pu écrire des textes longs et cohérents à partir de thèmes donnés et ce, malgré un vocabulaire limité. Ces textes témoignent, d’après elle, de leur compréhension du roman et montrent qu’il y a construction du sens et interprétation. En outre, la chercheuse attribue la profusion de détails dans leurs écrits à une lecture préalable fine et précise. Elle note également la présence d’éléments qui peuvent être rangés dans le registre émotionnel et témoignent de l’empathie du lecteur avec le(s) personnage(s). Elle remarque par ailleurs l’engagement des apprenants dans les écrits de type résumé ou compte rendu d’un passage ou d’un chapitre.
63En outre, elle fait remarquer que l’année suivante, les mêmes élèves s’engagent spontanément dans l’écriture d’un scénario de film à partir de la lecture d’un autre roman pour la jeunesse. Il s’agit pour elle d’un signe indiscutable d’une prise de confiance en eux-mêmes et d’un gain en matière d’autonomie.
Le dépassement des inhibitions d’ordre culturel
64Laina Ho (2003) indique que ses étudiants chinois sont parvenus, dans la démarche initiée à partir des contes choisis, à dépasser certaines difficultés propres au public asiatique, en particulier les inhibitions d’ordre culturel. En effet, il s’agit d’un public dont les traditions éducatives sont basées sur l’imitation et sur le respect de la parole du maître36. La chercheuse remarque que ces étudiants ont pu s’exprimer et émettre une critique d’ordre littéraire ou personnelle sur le texte ou encore mettre en voix et jouer le dialogue écrit à plusieurs mains. D’autre part, elle note que ces supports ont suscité une plus grande implication de la part des apprenants que les supports utilisés habituellement et que leur mise en voix a été préférée aux exercices mécaniques de type « drill » proposés dans les manuels d’apprentissage de l’anglais. Les apports de la démarche initiée concernent donc à la fois l’expression des textes de lecteur et l’expression orale.
Des appropriations sur de multiples terrains
65Marie-France Burgain (2018) invite des élèves de grande section de maternelle apprenant l’anglais à effectuer des productions créatives à la suite de leurs lectures d’albums. Elle remarque non seulement que ces écrits révèlent des connaissances grammaticales, lexicales, phonologiques, mais aussi qu’ils démontrent une appropriation d’un objet littéraire et du jeu mis en place avec le lecteur. Elle note également l’élaboration linguistique à l’œuvre dans des structures de phrases semblables à celles de l’album. Enfin, elle note les bénéfices des mises en scène/mises en voix de l’album, qui, à travers les interactions, permettent une réappropriation de l’histoire par les élèves. Selon cette étude, l’album pour la jeunesse introduit en classe de langue étrangère permet une appropriation sur les plans linguistiques et littéraires dès le plus jeune âge.
Du côté des apprenants adultes
66Maria de la Paz Garcia (2007) note que ses apprenants, des étudiants de quatrième semestre d’espagnol dans une université américaine, sont davantage motivés par la littérature de jeunesse que par un travail basé sur le manuel. Elle affirme qu’ils considèrent cette littérature comme une source fiable d’informations culturelles et comme un support facilitant la réflexion interculturelle. De plus, ces apprenants sont allés au-delà du corpus proposé et ont lu d’eux-mêmes d’autres iconotextes pour la jeunesse, ce qui constitue un indicateur d’engagement. Les réserves observées par Maria de la Paz Garcia concernent les étudiants les plus forts du groupe qui reprochent aux ouvrages pour la jeunesse choisis de ne pas être assez stimulants. Selon la chercheuse, le problème n’est pas lié aux œuvres elles-mêmes mais à la démarche qu’elle juge insuffisamment engageante. Par ailleurs, les étudiants les plus faibles ont rencontré des difficultés dans la lecture des ouvrages proposés. Ces observations sont utiles pour notre réflexion, car elles montrent l’importance de la prise en compte de la diversité des apprenants présents dans la classe lors de la construction de la démarche pédagogique.
67L’ouvrage de Nirredatiningtyas Rinaju Purnomowulan (2013) est consacré à l’introduction d’albums contemporains auprès d’apprenants d’allemand langue étrangère en contexte universitaire indonésien. Cette démarche vise essentiellement le développement de connaissances culturelles et de compétences interculturelles. Elle s’avère selon l’auteur susciter l’intérêt et l’engagement d’apprenants d’une culture très différente.
68Axée sur l’introduction de comptines auprès d’adultes, la démarche initiée par Johanna Whiteman (2002) auprès d’étudiants américains germanistes est, nous l’avons dit, reçue très diversement selon les apprenants. Il est sans doute utile de rappeler ici avec Jane Appelt (1985) que, sans un travail d’information préliminaire insistant sur le fait que la littérature de jeunesse contemporaine est « littérature », les apprenants adultes peuvent se sentir « insultés37 ».
69Les indicateurs cités ci-dessus peuvent paraître disparates puisqu’ils émanent de contextes radicalement différents, concernent des publics de maternelle, du collège ou de l’université, visent l’apprentissage de langues variées et introduisent des ouvrages de littérature de jeunesse de nature et d’horizons divers. Pour autant, les indices de motivation, les traces des diverses appropriations enregistrées par les chercheurs et les réserves qu’ils émettent méritent d’être notés.
Notes de bas de page
1 L’idée centrale de « l’apprentissage intergénérationnel » est qu’en réunissant autour de livres pour la jeunesse des adultes analphabètes puis en les amenant à jouer un rôle de lecteur auprès de leurs propres enfants, on favorise leur compétence de lecture et on les responsabilise au sein de la communauté. L’objectif de l’apprentissage de la langue se double de la nécessité d’apprendre ou de parfaire la lecture. La littératie, au sens restreint du terme, est donc au cœur des préoccupations.
2 Il s’agit essentiellement de comptes-rendus parus dans les revues Fremdsprachenunterricht, der fremdsprachliche Unterricht ou encore Französisch heute.
3 On pense ici à des mises en œuvre pédagogiques proposées à partir des romans de Marie-Aude Murail (Fery, 1998) ou d’Agnès Desarthe (Alamargot, 1998). Cependant, et comme le font remarquer Emer O’Sullivan et Dietmar Rösler (2013, p. 198), cet intérêt notable ne s’accompagne pas, outre-Rhin, d’une place réelle accordée à la littérature de jeunesse dans les départements de romanistique des universités allemandes, ni dans les contenus de la formation initiale des futurs enseignants de français.
4 Respectivement didactisés dans Collie et Slater (1987), Albert et Souchon (2000) et Morant (2007).
5 Cette collection écrite par Suzie Morgenstern et Gill Rosner a été publiée dans la collection « Neuf » de l’école des loisirs en 1997.
6 Ce choix peut avoir eu lieu par commodité. Josette Morant (2007), qui dans son article établit un tableau récapitulatif de ce qui constitue, selon elle, les atouts de la littérature de jeunesse, emploie l’expression « littérature de jeunesse ». On comprend assez vite (et sans que le titre ne l’indique clairement) que les critères énumérés dans le tableau présenté s’appliquent exclusivement au roman pour la jeunesse. En l’absence de précisions quant au support préconisé, le lecteur s’interroge sur la pertinence de certains critères qui ne semblent pas s’appliquer à l’album, comme par exemple celui de la « prédominance des dialogues ».
7 C’est le cas par exemple des livres de Collie et Slater (1987) et d’Albert et Souchon (2000), même si ceux-ci évoquent la question de la simplicité dans les ouvrages pour la jeunesse.
8 Pour plus de détails, on se reportera ici au deuxième chapitre de ma thèse (Maizonniaux, 2013).
9 Nous devons ces exemples à Daniel Delbrassine (2006). Le rêve de Tanger est l’adaptation à destination du jeune public par son auteure (Régine Detambel) de son ouvrage intitulé La verrière.
10 Elle constate notamment que le roman Torn away (Heneghan, 1994) retenu pour sa recherche ne présente pas de caractéristiques de complexité au niveau de la langue, mais qu’en revanche, il n’est pas structuré de façon simple, puisque de fréquents retours en arrière s’opèrent, à travers notamment la présence récurrente dans le texte de récits de cauchemars qui invitent le lecteur à une plongée dans le passé du héros. Dans ce cas particulier, la difficulté qu’apporte la structuration du roman se double, comme le note Mechthild Hesse, d’une difficulté à saisir le contenu culturel du roman en partie lié au contexte socio-historico-politique de l’Irlande du Nord.
11 Par « souci didactique », j’entends le fait qu’un certain nombre d’auteurs tentent de « compenser » des aspects « complexes » par un effort accru destiné à renforcer la lisibilité de leur texte. Ainsi, Marie-Aude Murail (2004) écrit-elle : « Plus une intrigue est complexe, plus je travaille la limpidité de l’écriture et la clarté de la narration. Je garde en tête qu’il me faut bien singulariser un personnage avant de passer à un autre, ne pas changer trop souvent ou trop vite de lieu d’action, ne pas faire la navette entre hier et aujourd’hui. Les sautillements du récit fatiguent l’attention du lecteur. Je tente de donner une unité à chaque chapitre, unité éventuellement soulignée par le titre […], j’annonce ce qui va suivre […] je ramasse les petits cailloux semés en chemin. » (Murail, 2004, p. 116 et 117.
12 « Teen fiction may, in fact, be the first literary genre born of the Internet. Its fast paced narratives draw upon the target demographic kinship with MTV, which has a joint venture with Pocket Books, and with the Internet and kid’s ease in processing information in unconventional formats. » (David Spitz, 1999, « Books: Reads Like Teen Spirit », disponible en ligne sur http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,991531,00.html, accessible sous condition d’abonnement [consulté le 05/01/2018], cité par Hesse (2002).)
13 Elle suggère ici de faire des recherches documentaires en vue d’« explorer le lexique à partir des connotations associées à l’oiseau mais aussi à son folklore ou sa mythologie » (Guernier, 2005, p. 28), ou encore puisque le livre s’inscrit, comme elle le dit, dans la tradition du dictionnaire, de « travailler le texte définitoire : son fonctionnement, ses contraintes ».
14 Le texte de cet album est, selon la chercheuse, « particulièrement riche en recherches lexicales et créations stylistiques qui mettent en évidence que l’amour est toujours à inventer et que l’amour de la langue parlée entretient des rapports étroits avec le sentiment amoureux » (Guernier, 2005, p. 29). Le texte de l’album, qu’elle cite partiellement, nous semble bien montrer que l’album est un espace de création, de jeu avec l’image et la langue : « Tu me demandes : Qu’est-ce que tu fais ? Je couche notre amour sur le papier » ou encore « l’amour se conjugue : je t’aime, tu m’aimes. L’amour nous conjugue : nous nous amourons ». Ces deux exemples viennent confirmer son affirmation : « De nombreux textes de ces albums sont riches stylistiquement et sémantiquement. » (Guernier, 2005, p. 26)
15 Bernard Friot (2003) explique comment la phase de lecture à voix haute est fondamentale dans l’acte d’écriture, qui plus est si elle est réalisée par des personnes extérieures. « J’ai eu la chance de travailler avec des comédiens qui, au fur et à mesure de l’écriture s’emparaient des textes pour les mettre en scène et en voix. […] La part d’oralité et de corporalité de l’écriture est quelque chose dont on n’a pas forcément conscience, puisqu’on a une représentation graphique des textes. »
16 Emer O’Sullivan et Dietmar Rösler (2013, p. 44) parlent d’ailleurs de « double passerelle », car elle constitue selon eux non seulement un pont vers la lecture d’œuvres de littérature générale mais aussi un pont de la lecture d’extraits à la lecture d’œuvres complètes.
17 En effet, un certain nombre de « trouvailles » de la littérature de jeunesse se retrouveraient ensuite en littérature générale. À titre d’exemple, Daniel Delbrassine et d’autres ont souligné le fait que le roman pour adolescents avait influencé le roman que lisent les adultes (écriture du moi).
18 Nous nous référons ici et dans la suite de ce chapitre à la définition d’interculturel proposée dans l’ouvrage coordonné par Jean-Pierre Cuq (2003) : « L’interculturel […] suppose l’échange entre les différentes cultures, l’articulation, les connexions, les enrichissements mutuels […] ».
19 De nombreux points communs favorisant l’identification se dessinent par ailleurs : âge de l’héroïne semblable à celui des lecteurs, préoccupations analogues aux leurs (différences sociales et ethniques rencontrées dans le cadre scolaire), difficulté dans les relations aux représentants des traditions ethniques, confrontation entre le passé (les traditions liées à la communauté) et le présent (la nécessité de s’intégrer à la communauté dominante) notamment.
20 Ce terme d’« empathie » revient à plusieurs reprises dans la recherche de Lilian Rönnqvist. On trouve par ailleurs l’équivalent allemand « Mitgefühl » dans l’ouvrage de Mechthild Hesse.
21 L’oralisation y est considérée comme une étape incontournable du fait de l’essence même du conte, destiné à l’origine à être dit. Nous pensons ici notamment aux travaux de Nadine Decourt (1991).
22 En Allemagne, on note par exemple la transposition pour le FLE des cahiers de lecture ou encore l’organisation de rencontres entre élèves romanistes et auteurs français. Emer O’Sullivan et Dietmar Rösler (2013, p. 132) précisent à ce sujet qu’il s’agit là de pratiques initiées et soutenues par les Instituts français locaux.
23 Je rappelle avec Daniel Delbrassine que c’est à l’apparition d’un nouveau public constitué en partie d’élèves d’origine étrangère, socialement défavorisés et dans les familles desquels la lecture n’était pas une pratique valorisée que l’on doit le développement du roman pour la jeunesse dans les années 1980. La littérature de jeunesse apparaît alors comme un « chaînon supplémentaire pour prolonger et parfaire la formation de lecteur littéraire, avant l’approche en solitaire des œuvres du répertoire traditionnel » (Delbrassine, 2006, p. 29).
24 On pourra ici se référer à mon travail doctoral (Maizonniaux, 2013) pour plus de détails.
25 La chercheuse oppose les travaux qui impliquent de la part de ceux-ci une prise de position, l’engagement d’eux-mêmes en tant que personne (ce que la chercheuse appelle « Mitgefühl » (« compassion/empathie ») ou « Identifikation ») aux travaux qui impliquent une prise de distance vis-à-vis du texte, imposée par le type de texte qu’ils doivent produire : résumé, compte-rendu (« Nacherzählung ») d’un passage ou d’un chapitre notamment.
26 Accorde-t-on suffisamment de temps aux apprenants pour qu’ils fassent autre chose qu’écrire vite en faisant le moins de fautes possibles ? Leur laisse-t-on le temps de planifier leurs écrits ? Est-il possible de reconsidérer le temps accordé aux exercices d’écriture ? En quoi y a-t-il nécessité de réfléchir sur le rôle de l’enseignant pour qu’il ne soit plus celui qui évalue et attribue des notes ou des diplômes, mais qu’il soit « un conseiller (un accompagnateur) dans l’écriture » (« Schreibberater ») ? Comment permettre aux enseignants de gérer les corrections indispensables dans les différentes phases d’écriture (réécriture notamment) ? Comment intégrer les nouvelles technologies et notamment les logiciels d’aide à la correction ?
27 Notons l’inscription de la littérature de jeunesse dans les programmes de langue du primaire en 2015.
28 Nous nous référons ici de nouveau à la définition d’interculturel proposée dans l’ouvrage coordonné par Jean-Pierre Cuq (2003) : « L’interculturel […] suppose l’échange entre les différentes cultures, l’articulation, les connexions, les enrichissements mutuels […] ».
29 Selon les auteurs, la démarche permet à l’apprenant – en tant qu’individu marqué linguistiquement et culturellement – « de confronter ses connaissances, ses compétences et sa culture, pour réaliser un travail original dans lequel chacun d’eux peut se refléter et se reconnaître » (Bailleul & Tosi, 2008, p. 247).
30 « These lessons show that PRC learners can make sufficient and satisfactory critical comments and write about these criticisms in their essay. But to be able to do this, the literary works must be simple for their comprehension and require little cultural background […] and stories must have good characterization, themes, simple and interesting plots and a propelling narrative style. » (Ho, 2003, p. 131)
31 Françoise Demougin définit le transculturel comme étant la dernière dérivation apparue après les notions d’interculturel, de multiculturel ou de co-culturel. « Un des apports du transculturel […] est de permettre justement de mettre en avant l’idée de mouvement, de progression au lieu de celle de terme : la culture ne saurait effectivement être résumée à une somme de connaissances, à un empilement de savoirs. […] Ce questionnement prend en compte la mise en tension de différentes pratiques culturelles, collectives et individuelles, et suppose une vision dynamique de l’apprentissage qui ne se limite pas à un discours théorique, général et décontextualisé. Il évite la bi-focalisation sur une culture première acquise, qui s’opposerait à une culture seconde, en voie d’acquisition ; il évite une résolution au bénéfice d’une forme culturelle normée qui fasse l’impasse de la saisie du savoir expérientiel de l’apprenant. » (Demougin, 2008).
32 La démarche proposée ici – « the student has a real reason for writing – this composition is not simply a school exercise » (Appelt, 1985) – rejoint la perspective actionnelle prônée par Christian Puren.
33 « The writer will have to concentrate on language which is straightforward and clear » (Appelt, 1985).
34 Notre traduction de « Over the past two years of workshops for poor readers, passive students became active learners. »
35 On pourra ici se référer à mon travail doctoral pour une synthèse plus précise de l’analyse de Hesse.
36 Voir Xing (2000) par exemple.
37 « What is absolutely essential […] [is] that no student ever feels that he/she is being insulted or condescended to » (Appelt, 1985).
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