Chapitre I
Quelques bonnes raisons d’intégrer la littérature pour la jeunesse dans l’enseignement des langues
p. 15-45
Texte intégral
1Isabelle Nières-Chevrel (2017) souligne, dans un article très récent, que la littérature de jeunesse « reste encore très largement perçue aujourd’hui par la culture lettrée (dans et hors de l’université) comme une sous-littérature : des livres certes ; mais une littérature, pas certain ! ». Cette citation, en référence avec le contexte universitaire français, n’est pas sans rappeler certaines de nos rencontres et discussions vécues hors de France, auprès d’enseignants de divers horizons, en poste à l’université ou dans le secondaire et dont le français est la langue maternelle ou non. L’album contemporain est certainement encore méconnu et nombre de réticences et d’idées reçues sur la littérature pour la jeunesse sont bien présentes. Celle-ci ne représenterait pas les usages linguistiques d’aujourd’hui, son contenu serait superficiel et ne serait pas en adéquation avec les intérêts académiques ou pratiques des élèves du secondaire ou des étudiants. Son introduction serait rendue difficile voire impossible en raison de la réduction du temps alloué à l’étude des langues. Enfin et surtout, étudier cette littérature ne permettrait pas de parer au déclin des effectifs d’apprenants de français constaté dans maints contextes à travers le monde, en contexte anglo-saxon en particulier. Pourquoi, dès lors, s’intéresser à la littérature pour la jeunesse en classe de langue ?
2La classe de langue a traditionnellement été le lieu de passage des documents authentiques et de la littérature. Encore aujourd’hui quasiment tous les manuels proposent des extraits de littérature générale ou de littérature pour la jeunesse. Pour autant, en ce qui concerne la littérature pour la jeunesse, il s’agit le plus souvent des mêmes extraits et des mêmes auteurs (comme Saint-Exupéry ou Le Clézio). Des auteurs reconnus du champ de la littérature de jeunesse contemporaine comme Claude Ponti ou Tomi Ungerer sont totalement absents de ces manuels. Cependant, en FLE en particulier, l’intérêt pour des supports iconotextuels existe bien. Nous pensons ici à la BD, qui reste un thème fréquemment abordé dans les formations d’enseignants de FLE. L’Allemagne, nous le verrons au chapitre II, est un territoire où la littérature de jeunesse fait l’objet d’un intérêt didactique en FLE depuis plusieurs décennies déjà.
3L’une des raisons justifiant d’intégrer la littérature contemporaine pour la jeunesse en classe de langue est sa vitalité en France, et ce, à la fois dans la sphère privée et scolaire. Une autre raison essentielle est sa créativité et sa valeur intrinsèque. La vitalité du secteur jeunesse est attestée par les chiffres : on note qu’il a rapporté 347,6 millions d’euros (mise à jour du 29 mai 2019) et qu’il est le troisième segment de l’édition en valeur1. La littérature de jeunesse est un des domaines les plus dynamiques de l’édition française contemporaine. Pour l’enseignant de langues, cela a une double signification : d’une part, il se trouve en présence d’un objet significatif du point de vue culturel, d’autre part, il va être confronté/exposé à une multitude de livres lorsqu’il s’agira de faire ses choix.
4Évoquer le poids d’un secteur éditorial dans un pays ne suffit pas à justifier l’usage des ouvrages issus de ce secteur en classe de langue. Il est un autre aspect essentiel, celui de la créativité et du lien insécable entre la création contemporaine de langue française et les « classiques » français destinés à la jeunesse tels que les albums de Babar de Jean de Brunhoff, Les contes du chat perché de Marcel Aymé ou les livres de Jacques Prévert2. En outre, il est utile de se souvenir que les années d’après-guerre ont vu la création du « Livre de Poche » et ont permis que soient publiés à des prix abordables les grands classiques de la littérature de jeunesse. Les années soixante ont apporté un changement d’importance en France lorsque François Ruy-Vidal, éditeur et écrivain, choisit d’impliquer des écrivains et des graphistes de renom et d’introduire dans les livres pour la jeunesse des sujets tabous. Savoir qu’il existe de petites maisons d’édition, que d’aucuns considèrent comme « les véritables lieux de créativité » (Soriano, 1997), peut être utile à l’enseignant de langues lorsqu’il s’agira de constituer un corpus d’ouvrages de jeunesse autour d’un thème ou d’avoir recours à un ouvrage pour la jeunesse pour compléter un corpus de documents d’autre nature. Parmi ces petites maisons d’édition, on pense aux éditions Être, Rue du monde, à l’Atelier du poisson soluble et aux Trois Ourses. Se rattacher à la production patrimoniale pour la jeunesse française n’est pas la seule caractéristique de la littérature française. Celle-ci se nourrit également d’influences étrangères comme, par exemple, celle de Maurice Sendak3.
5Ajoutons une remarque, enfin, sur les questions de dénomination. Si l’on trouve du côté anglo-saxon ou allemand une distinction entre littérature pour enfants et littérature pour les jeunes (« children’s literature »/« youth literature » ; « Kinderliteratur »/« Jugendliteratur »), force est de constater qu’en français cette différenciation n’existe pas. Les expressions les plus fréquemment utilisées sont celles de « littérature de jeunesse » et de « littérature pour la jeunesse » qui restent plus vagues quant à l’âge du destinataire. L’expression « littérature d’enfance et de jeunesse » est également utilisée alors que s’est progressivement développée une littérature pour les jeunes qui ne sont plus dans l’enfance. Abordons à présent les questions de légitimité, de lectorat et de circulation des auteurs, car celles-ci ne cessent de revenir sur le devant de la scène dans les discussions entre spécialistes du champ ou entre adultes transmetteurs.
Questions de légitimité, de lectorat et de circulation des auteurs
6Il n’est pas inutile de savoir que la littérature pour la jeunesse continue à souffrir d’un manque de légitimité et ce, malgré sa place privilégiée dans le champ éditorial contemporain. En effet, les constats faits par les spécialistes sont multiples, qu’il s’agisse du manque d’intérêt que cette littérature suscite chez les critiques ou les historiens de la littérature4, de la préférence à peine voilée accordée à des auteurs qui publient aussi en littérature générale5 ou des conditions peu favorables dont bénéficient les auteurs jeunesse6. Ce manque de reconnaissance a des chances de se refléter dans l’entourage des apprenants (chez leurs parents), chez les apprenants eux-mêmes ou chez les autres membres de la communauté éducative. Cela peut bien sûr constituer une entrave à la bonne réception d’un corpus pour la jeunesse, pourtant choisi minutieusement.
7Il me semble dès lors important, lorsqu’on envisage une démarche basée sur la littérature pour la jeunesse, de s’interroger sur le statut culturel de cette littérature dans le pays d’enseignement de la langue étrangère. La recherche présentée dans la suite de cet ouvrage s’inscrivant dans le contexte australien, je me suis demandé quelle était la légitimité de la littérature de jeunesse dans ce pays. J’ai alors découvert que cette question était soulevée par des spécialistes du champ, ce qui témoignait de sa pertinence. J’y reviendrai plus tard.
8La question du double-lectorat est importante si l’enseignant de langue choisit de destiner des ouvrages dits « de jeunesse » à un public de jeunes adultes. En effet, si l’adulte est un destinataire implicite (ou même parfois explicite) d’œuvres pour la jeunesse, alors il est possible que ces jeunes adultes trouvent leur compte dans la lecture de ces œuvres. Notons ici que la loi établie en juillet 1949 et visant à encadrer les publications pour la jeunesse précise que celles-ci, « par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinées aux enfants et adolescents7 ». La formulation de cette loi implique donc la présence d’un lecteur autre que celui visé, un lecteur adulte implicitement présent.
9Rappelons aussi qu’historiquement, bien des œuvres pour la jeunesse ont trouvé un public adulte. On pense ici par exemple à Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll. Si l’on s’intéresse aux propos tenus par les auteurs, on remarque que certains d’entre eux se défendent de vouloir écrire pour les enfants. Certains éditeurs leur emboîtent le pas en affirmant que c’est le livre lui-même indépendamment de toute considération liée au lectorat qui importe8. Cependant, on ne peut nier que c’est l’adulte, parent ou prescripteur, qui achète le livre. Il est par conséquent possible que l’adulte prescripteur soit un destinataire implicite.
10Les auteurs eux-mêmes sont conscients de cette nécessité de séduire l’adulte : Bernard Friot (2003) dit ainsi : « J’écris en effet pour un public (les enfants, ce qui inclut les adultes qui n’ont pas renié l’enfant qu’ils ont été) et j’écris de ce public. » L’étroitesse du lien entre l’enfant et l’âge adulte ressort également lorsque cet auteur dit utiliser des déclencheurs divers pour : « ramener à la surface quelques fragments de cette vie intérieure (qui palpite encore en nous adultes, plus ou moins bien enfouie) ». La séduction de l’adulte passerait donc par la séduction de l’enfant qui sommeille en lui. Saint-Exupéry exprimait déjà cette idée dans sa dédicace du Petit Prince à son ami Léon Werth (Saint-Exupéry, 1946).
11Christine Evain et Frédéric Dorel (2008) notent, en ce qui concerne le secteur éditorial, un accroissement du phénomène de « crossover9 » en 2006-2007 supérieur à 4 %. Plusieurs chercheurs (Renaud, 2007, Dardaillon, 2011 et Beckett, 2011 entre autres) ont consacré des travaux à cette question. Catherine Renaud, par exemple, s’est penchée sur l’œuvre de Claude Ponti. Les travaux effectués par ces chercheurs pour mettre au jour des traces de cette adresse à un double lectorat ou double destinataire sont intéressants. Ces traces sont la preuve d’une certaine complexité et peuvent, le cas échéant, faire l’objet d’un relevé par les apprenants de langue et d’une réflexion sur la question du destinataire.
12La question de la circulation des œuvres et des auteurs mérite également d’être abordée. À un moment où la littérature pour la jeunesse n’était pas très développée, certains ouvrages pour la jeunesse ont été pris à la littérature pour adultes (on pense ici à l’emprunt de Robinson de Defoe (1719) ou plus récemment au livre Le petit Nicolas (1960) de Goscinny). Plus récemment, nombre d’adultes se sont plongés dans la lecture d’Harry Potter, un ouvrage pourtant initialement destiné à la jeunesse. Parallèlement à cela, un public jeune va aussi puiser ces lectures dans la littérature pour adultes. L’intention initiale de l’auteur ne suffit donc pas à classer définitivement une œuvre dans tel ou tel domaine. Ainsi Isabelle Nières-Chevrel affirme-t-elle que « quel que soit le projet initial de l’écrivain, ce sont les éditeurs et les lecteurs qui reconfigurent à chaque génération ce que le groupe va tenir pour “littérature d’enfance et de jeunesse” » (2009, p. 19).
13Dans son étude consacrée au roman pour adolescents, Daniel Delbrassine (2006) observe que la circulation des auteurs et des œuvres entre les deux champs s’est intensifiée à la fin du xxe siècle. Les auteurs de littérature de jeunesse sont souvent également impliqués en littérature pour adultes. Les mouvements de circulation d’un espace éditorial à l’autre sont multiples, et l’on peut donc conclure à la présence d’acteurs communs en littérature générale et littérature de jeunesse. Certains ouvrages destinés à la jeunesse font l’objet d’un transfert et sont aujourd’hui adressés aux adultes. À l’inverse, on trouve également des ouvrages publiés d’abord dans le champ de la littérature générale et publiés ensuite en littérature de jeunesse, à l’instar des romans d’Andrée Chédid, ou encore des romans publiés simultanément dans les deux champs éditoriaux, comme par exemple Le bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark Haddon paru chez Nil éditions (2004) et aux éditions Pocket (2005). Il n’est pas inintéressant de noter avec Daniel Delbrassine (2006) que la présence de certains auteurs de littérature générale s’explique par la volonté de doter certaines collections d’une légitimité littéraire qui fait défaut à la littérature de jeunesse. D’autre part, des œuvres ayant circulé entre les deux champs constituent des ressources intéressantes pour une approche pédagogique en langue-culture, dans la mesure où elles permettent une démarche comparatiste. En outre, l’idée des échanges, emprunts et influences mutuelles est importante, car elle interroge sur les passerelles potentielles entre littérature de jeunesse et littérature générale, et sur la capacité des lectures en littérature de jeunesse à préparer à la lecture d’œuvres de littérature générale.
14La question du découpage opéré par les éditeurs dans leurs différentes collections10 vise à orienter l’acheteur et est importante pour l’enseignant de langue qui cherche à constituer un corpus d’œuvres pour la jeunesse ou recherche un ouvrage en particulier. Si la mention d’âge prédomine encore, d’autres indications lui sont parfois préférées, comme celle adoptée par l’école des loisirs pour sa collection « Mouche » : « Pour des enfants qui savent déjà lire tous seuls. » Cette appellation permet d’élargir le lectorat à une frange plus large de lecteurs potentiels sans culpabiliser ceux-ci. Pour ce qui est des albums, Sandra L. Beckett (2008) met en avant le choix de certains éditeurs de faire mention du double lectorat dans des éléments paratextuels. Ainsi, certains font figurer la mention « Ages : All » (pour des lecteurs de tout âge) et d’autres précisent, en sous-titre par exemple, que leur ouvrage s’adresse aussi bien au lecteur novice qu’au lecteur expérimenté.
15Dans l’éventualité d’une démarche auprès de jeunes adultes, il importe de savoir qu’il existe des ouvrages spécifiquement destinés aux jeunes adultes et plus spécifiquement aux 18-25 ans. Les récits ou romans et les albums sont particulièrement intéressants. Pour ce qui est de ces deux catégories on remarque l’émergence en Allemagne de nouvelles collections adressées aux jeunes de 16 à 20 ans, écrites par des auteurs d’une vingtaine d’années et qui sont majoritairement des récits à tendance autobiographique qui parlent de problèmes post-adolescents (Delbrassine, 2006, p. 73). Dans les pays anglo-saxons, on trouve les collections « young adults », « young adult fiction », « teenage novel » et enfin « teenage fiction » et « realistic fiction ». En France, la collection « Press Pocket adultes », qui vise cette tranche d’âge, ne compte pas moins de 500 titres. Cependant, et comme le constate Daniel Delbrassine11, il ne s’agit pas de titres nouveaux et de démarches novatrices mais de titres déjà existants et publiés dans d’autres collections (adulte ou jeunesse) et qui sont « relookés » par l’éditeur.
16Pour ce qui est des albums pour adolescents et jeunes adultes, certains éditeurs affirment désormais créer de nouvelles collections pour les plus grands, nées « d’un coup de cœur pour un projet inclassable » ou de « la volonté d’ouvrir un nouvel espace de création aux illustrateurs » plus que de « la volonté de s’adresser à des adolescents12 ». Cependant d’autres13, s’ils partagent la même position, revendiquent aussi clairement leur volonté de s’adresser aux adolescents et d’œuvrer à la promotion de l’album auprès des plus âgés, arguant que des illustrateurs d’album peuvent apporter aux jeunes quelque chose de différent. Parmi les éditeurs s’engageant dans ce secteur particulier, on peut citer les éditions Thierry Magnier, les Éditions du Rouergue (avec la collection « Touzazimute »), les Éditions du Panama ou encore les éditions Actes Sud junior. Certains pensent que l’album pour adolescents est un secteur fort de l’innovation dans le domaine de l’image ou remarquent qu’il ne manque pas d’être détourné par les adultes. Pour d’autres encore, c’est un genre qui peut se développer en raison des relations qu’ont les adolescents avec les images et des compétences que développe l’école quant à la lecture des images. Pour d’autres, en revanche, l’essor de ce genre semble limité. François Martin, par exemple, estime que l’évolution de la lecture se fait « au profit du texte et au détriment de l’image » et que les jeunes, « en grandissant cherchent à marquer une rupture avec ce qu’ils aimaient avant (les jouets, les albums)14 ».
La créativité de la littérature pour la jeunesse, les thèmes abordés et leur traitement
17J’ai émis plus haut l’idée que la littérature de jeunesse pouvait constituer un champ intéressant pour l’enseignement-apprentissage des langues en raison de sa créativité. J’ai également évoqué la question du double lectorat. Certains chercheurs parlent non seulement de « double destinataire », mais également de « double écriture » (Nières-Chevrel, 2002, p. 102). Isabelle Nières-Chevrel (2002) note ainsi que « la convergence contemporaine de la littérature pour enfants et de la littérature pour adultes dans un commun intérêt pour les formes simples, les jeux de feinte naïveté, les explorations du langage et les contraintes formelles explique enfin l’émergence de livres – et plus précisément d’albums – qui sont des “livres-d’enfants-pour-grandes-personnes” » (p. 112). Le titre d’un collectif paru en 2008 aux Presses universitaires de Bordeaux L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ? (Connan-Pintado, Gaiotti & Poulou, 2008) interroge le lecteur sur une évolution possible dans le domaine de l’album. Les divers articles de ce collectif présentent des démarches qui toutes, de manière singulière, jouent avec l’album et attirent vers lui un public d’adultes.
18Certains travaux (Gaiotti, 2007 ; Prince, 2009) mettent l’accent sur le fait que la littérature de jeunesse peut être considérée comme un lieu d’expérimentation poétique, comme un « laboratoire » et ce, tant dans le domaine de l’album que dans celui du roman pour la jeunesse. Pour de nombreux éditeurs, il n’est plus question de parler d’« auteur » ou d’« illustrateur », mais d’« artiste » ou de « créateur ». On le voit, la créativité et l’art sont mis en avant par des termes qui valorisent la personne qui crée un album, et contribuent ainsi à lui attribuer, ainsi qu’à son auteur, une certaine légitimité.
19Facteur important pour nombre d’auteurs, le secteur jeunesse offre la possibilité à des textes atypiques du fait de leur longueur de voir le jour. Sans cette opportunité de publication, ces textes resteraient au fond d’un tiroir. Pour Agnès Desarthe15, un texte qui ne correspond pas au format calibré exigé par les éditeurs (une nouvelle de cent pages par exemple) n’a quasiment aucune chance d’être publié en littérature générale. Pour cet écrivain qui publie dans les deux champs, celui de la littérature de jeunesse est sans nul doute celui qui permet la plus grande liberté à l’auteur. La littérature de jeunesse offre donc à ces ouvrages brefs la chance d’être publiés et lus.
20Que l’on choisisse d’aborder la littérature de jeunesse en classe de langue au primaire, au secondaire ou à l’université, la question des thèmes abordés reste centrale. En 1997, Marc Soriano regrettait que sur des questions comme le chômage, la répartition et la durée du travail ou la sexualité n’existaient que des documentaires ennuyeux16. Il semble désormais, en revanche, que ces thématiques (et bien d’autres) sont abordées dans les productions actuelles.
21En effet, tous les aspects sociaux et toutes les questions contemporaines ont investi l’album et le livre pour la jeunesse, en général. Plusieurs critiques font état de ce fait. Sophie Van der Linden (2006a) par exemple, estime que dans « les textes [des albums ou des récits illustrés], l’ampleur des thèmes des questionnements existentiels à la poésie du quotidien, est celle de l’universalité de la littérature » (p. 8).
22L’auteur Agnès Desarthe, pour sa part, voit en la littérature de jeunesse le lieu des « grandes questions » (Lortholary, Chérer, Mary, Seyvos & Vaugelade, 2006, p. 5), que d’autres appellent les questions à portée philosophique. Pour elle, l’attitude des enfants et des adultes serait en tout point différente face aux « grandes questions » : les enfants seraient « des interlocuteurs plus sérieux, plus profonds que les adultes », alors que, pour les adultes, dit-elle, « le chantier des grandes questions est terminé, ils ont rangé leur pelleteuse, ils ne veulent pas y revenir, ils ont besoin de penser qu’ils sont sur du béton » (Lortholary…, p. 6). Bernard Friot (2003), quant à lui, s’interroge dans la première étape de son travail sur les questions que se posent les enfants : « À quoi rêvent-ils ? De quoi ont-ils peur ? Qu’est ce qui les fait rire ? Pleurer ? Souffrir ? Rougir ? Que détestent-ils ? Que veulent-ils cacher ? » À son avis, les réponses peuvent être les mêmes que pour les adultes, à savoir la mort, la maladie, l’amour ; là encore les « grandes questions » reviennent.
23Dans la perspective de lectures d’œuvres de littérature de jeunesse par de jeunes adultes, le livre pour la jeunesse, à l’instar du roman de formation ou roman d’apprentissage, peut potentiellement avoir des résonances auprès d’un public de jeunes adultes. Les chemins d’initiation peuvent aussi ouvrir sur d’autres parties du monde et sur des réalités des pays de langue française. Les romans contemporains francophones pour la jeunesse qui intègrent une large dimension sociale sont, de mon point de vue, tout particulièrement aptes à intéresser de jeunes adultes parce qu’ils ouvrent sur les réalités sociales d’une zone géographique particulière et parlent des formes que revêt le social pour la jeunesse dans le contexte actuel de la mondialisation17. Si certains romans de la sphère francophone dépeignent de manière plutôt réaliste la violence faite aux enfants (c’est le cas pour le roman africain Djim Zouglou, l’enfant des rues (2003) de Ouaga-Ballé Danaï), d’autres en revanche, et c’est le cas pour des romans pour la jeunesse tahitiens ou néo-calédoniens, sont plutôt positifs et porteurs d’espoir sans que n’apparaisse aucune critique sociale ou que soit décrite l’enfance malheureuse (Faessel, 2008). Dans une perspective différente, et pour les analyser sous l’angle de ce qu’ils reflètent d’un point de vue social, on pourra présenter les ouvrages de Marie-Aude Murail qui proposent des représentations de la famille, du couple et de la place de l’enfant dans des configurations contemporaines.
24Pour des apprenants de langue et de culture étrangère, ces romans contemporains pour la jeunesse qui inscrivent le social au cœur des problématiques sont, de manière évidente, des outils pour aider à comprendre les spécificités régionales et pour appréhender les particularités d’un lectorat localisé. Mis en relation avec d’autres supports qui peuvent être des documents statistiques sur la condition de l’enfant dans le monde ou des articles de journaux qui traitent des mêmes problématiques, ces romans permettent d’aller au-delà du communicationnel et d’appréhender les réalités, non seulement françaises mais aussi des pays de langue française. Intimement lié à l’histoire de ces pays, le social en littérature de jeunesse montre comment ces réalités affectent la jeunesse. Ces aspects peuvent non seulement intéresser des étudiants (et potentiellement répondre aux objectifs d’internationalisation des curricula des universités étrangères) mais également susciter la curiosité d’élèves du secondaire.
25La manière dont les thèmes sont abordés peut interroger les enseignants du secondaire. En outre, il est évident que ceux-ci, tout comme les enseignants de niveau universitaire, ne peuvent faire l’économie d’une réflexion sur la culture de leurs apprenants et sur le caractère approprié ou non des ouvrages à proposer. Cependant, au secondaire comme à l’université, observer la manière dont les thématiques sont traitées peut faire l’objet d’un travail interculturel.
26En ce qui concerne le cas français, plusieurs éléments doivent être introduits ici. La loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse a des effets directs sur la production originale et traduite en France. Les conditions fixées par cette loi posent un certain nombre de barrières et de garde-fous18. En outre, les ouvrages qui ne cadrent pas avec la loi sont éliminés de l’offre de lecture19.
27L’étude conduite par Daniel Delbrassine (2006) apporte des éléments quant au traitement de thèmes comme la mort ou la sexualité. Delbrassine remarque que « les textes adressés aux adultes évoquent les aspects violents et sordides », alors qu’en littérature pour la jeunesse « la mort n’est ni un spectacle ni un projet, mais un drame passé à surmonter : l’intrigue s’ouvre dans une perspective où la mort n’est qu’un point de départ » (p. 136-137). De même, la sexualité fait l’objet d’un traitement différent : lorsqu’elle apparaît dans les incipits de romans pour les jeunes, c’est « toujours à partir d’une perspective juvénile et sans heurter certaines conventions morales » (p. 137).
28En outre, la comparaison qu’il effectue d’ouvrages publiés initialement dans un champ puis dans l’autre l’amène à constater des changements radicaux et un « adoucissement » lorsque la transition s’effectue vers le secteur jeunesse. Ainsi, pour l’ouvrage de Régine Detambel qui passe de la littérature pour adultes à la littérature pour enfants (en changeant de titre au passage20), Daniel Delbrassine note que la relation ambiguë et homosexuelle disparaît, les problèmes d’ordre moral sont évacués. La fin n’est plus négative (criminalité, forte révolte) mais positive puisque le héros va être pris en charge par une famille qui va l’aider à progresser. Les aspects les plus dramatiques tels que grève de la faim, vol de moto, long parcours dépressif disparaissent. Bref, cette nouvelle version constitue « un récit beaucoup plus sage qui montre comment dépasser les problèmes de relation avec les parents » (Delbrassine, 2006, p. 168). Il montre encore que ces changements s’accompagnent fréquemment de modifications dans les illustrations de couverture qui, dans les versions pour la jeunesse, sont expurgées de tout détail choquant.
29Retenir des ouvrages pour la jeunesse implique d’être conscients de ces caractéristiques. Dans certains cas, et auprès de jeunes adultes en particulier, il sera peut-être préférable de choisir la version destinée à un public adulte, ou d’offrir en lecture les deux versions, pour étudier le travail de réécriture de l’écrivain. Pour un public d’élèves du secondaire, les constats effectués par Delbrassine (2006) vont dans le sens d’une attention des auteurs à leur public adolescent. Ceci ne signifie pas pour autant que ces auteurs sous-estiment les capacités de ce public, ou ne lui proposent que des textes fades et sans couleurs.
30La question de l’identification des lecteurs au(x) héros est une question importante bien que l’on sache que le lecteur ne s’identifie pas nécessairement à un héros de son âge21. Le phénomène de « crossover » et le succès remporté par Harry Potter montre que, dans ce domaine, la présence d’un héros beaucoup plus jeune que le lecteur n’est pas nécessairement rédhibitoire. Daniel Delbrassine montre dans son étude (2006, p. 133) que le roman adressé à la jeunesse propose dans la majorité des cas un héros jeune. De ce fait, on peut d’une certaine façon parler d’adéquation du point de vue de l’âge entre le lecteur et le personnage du roman, mais aussi remarquer qu’un roman pour adolescent sur trois propose tout de même un héros adulte. En outre, l’étude conduite montre aussi, qu’en dépit de la surreprésentation des filles dans le lectorat, le nombre d’héroïnes est nettement inférieur au nombre de héros masculins, rejoignant en cela un phénomène observable dans la littérature pour adultes.
31Pour ce qui est des références, nos apprenants, aguerris aux nouvelles technologies ainsi qu’aux phénomènes de poly-exploitation rencontreront probablement peu de difficulté à comprendre les mécanismes à l’œuvre. On peut même supposer que ces apprenants, coutumiers des nouveaux médias, seront particulièrement sensibles aux échanges entre le livre et les autres médias, qui, comme le montrent Cécile Boulaire et Mathieu Letourneux (2010), « ne se cantonnent nullement à une simple déclinaison transmédiatique des thèmes, personnages et univers de fiction de l’industrie culturelle dans les livres, mais [aboutissent] à des effets d’hybridation et de mixité des formes » (p. 7).
32Cependant, et comme pour toute étude de document authentique se pose la question des références culturelles. Celles-ci peuvent constituer des entraves à la compréhension des documents et à l’élaboration de l’interprétation. Pour autant, et comme pour d’autres supports authentiques, il revient à l’enseignant de proposer des voies didactiques pour lever ces entraves, qu’il s’agisse de stratégies de contournement – en abordant les références au préalable via d’autres documents (comptines par exemple22), ou par le biais de stratégies directes – en introduisant des fiches lexicales ou explicatives.
Simplicité et complexité en littérature pour la jeunesse
Deux notions importantes
33J’aimerais ici revenir sur ces deux notions, car elles apparaissent de manière récurrente lorsqu’il est question de littérature pour la jeunesse. « Simple » est une notion souvent utilisée en relation à l’opinion courante – la littérature de jeunesse serait une littérature « simple » pour ne pas dire « simpliste ». « Complexe » est une notion régulièrement évoquée dans les colloques de littérature de jeunesse, en particulier par les sociologues, pour signifier la difficulté d’enfants de classes sociales moins aisées et moins cultivées, à entrer dans des œuvres de littérature jeunesse contemporaines. Ce dernier point n’est pas sans interroger le didacticien de langue, car si la complexité peut constituer un atout, elle ne doit pas pour autant être importante au point de bloquer les apprenants dans leur lecture, ou de les inhiber.
34Le Robert de la langue française (1986) définit la simplicité comme étant le caractère d’une personne, d’une chose simple. Cela correspond tout d’abord au « caractère de ce qui n’est pas composé ou décomposable, de ce qui a peu d’éléments ». Cela renvoie aussi à ce qui est simple à comprendre, à utiliser ou à exécuter. Simplicité a alors le sens de facilité. Cela correspond encore à quelque chose qui n’est pas chargé d’éléments superflus (ornements, etc.) et de ce qui obtient un effet esthétique avec peu de moyens. Simplicité est alors synonyme d’économie. Enfin, ce dictionnaire signale comme sens possible celui de naturel, autrement dit, de ce qui est sans apprêt, sans aucun luxe.
35Si l’on regarde la définition de « complexité » fournie par ce dictionnaire, on remarque qu’il en donne deux sens distincts. Dans un premier temps, il s’agit de l’« état, du caractère de ce qui est complexe ». On parle ainsi, est-il précisé, de complexité d’une situation, de complexité du caractère ou encore de la complexité des choses. Dans un second temps, il s’agit de la « difficulté due à la multiplicité des éléments ». Est cité alors comme exemple « un problème d’une effroyable complexité ». On propose aussi comme contraires simplicité ou facilité. La définition de « complexe » proposée par ce dictionnaire complète cette définition. Est considéré comme « complexe » ce « qui contient, qui réunit plusieurs éléments différents ». Est complexe, ce qui est « difficile à cause de sa complication ». « Complexe » est alors synonyme de « compliqué », d’« embrouillé », ou d’« emmêlé ».
36La définition que donne Edgar Morin de la notion de complexité, complète utilement cette définition. Elle fournit un axe d’analyse complémentaire et indispensable pour les supports multimodaux que sont les albums. Edgar Morin affirme :
Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot « complexus », « ce qui est tissé ensemble ». Les constituants sont différents, mais il faut voir comme une tapisserie la figure d’ensemble. Le vrai problème (de réforme de pensée), c’est que nous avons trop bien appris à séparer. Il vaut mieux apprendre à relier. Relier, c’est-à-dire ne pas seulement établir une connexion qui se fasse en boucle. Du reste, dans le mot relier, il y a le « re », c’est le retour de la boucle sur elle-même. Or, la boucle est autoproductive. À l’origine de la vie, il s’est créé une sorte de boucle, une sorte de machinerie naturelle qui revient sur elle-même et qui produit des éléments toujours plus divers qui vont créer un être complexe qui sera vivant. Le monde lui-même s’est autoproduit de façon très mystérieuse. La connaissance doit avoir aujourd’hui des instruments, des concepts fondamentaux qui permettront de relier. (Morin, 1995, p. 105.)
37Si on applique à la littérature de jeunesse l’acception de sens premier du terme « simplicité » qui est de ne contenir qu’un seul élément ou peu d’éléments, que le sujet, l’action sont simples au sens de faciles à suivre, que ces livres sont simples à comprendre, alors nous disposons d’éléments qui attestent que les supports sont adaptés pour un public d’apprenants en ab initio qui ne maîtrisent pas encore parfaitement la langue. Le fait que cette littérature comprendrait un seul élément ou peu d’éléments serait en outre un indicateur de brièveté, facteur généralement sécurisant, d’un point de vue psychologique, dans toute situation d’apprentissage. S’ils sont cependant d’une simplicité enfantine, avec la nuance péjorative souvent associée à cette expression, on peut douter qu’ils intéresseront un public adulte universitaire, car ce public ne veut pas être infantilisé.
38Dans le même temps, la simplicité est également la qualité de ce qui n’est pas chargé d’éléments superflus, et qui obtient un effet esthétique avec peu de moyens. La simplicité ne rime donc pas avec absence de visée esthétique, comme l’a démontré le minimalisme, que ce soit en littérature ou en musique. Si on peut montrer aux étudiants que, dans les livres pour la jeunesse, la simplicité est partie intégrante de l’esthétique des auteurs, alors on tient ici un élément essentiel pour satisfaire la curiosité et susciter l’intérêt des apprenants. Enfin, la notion de simplicité au sens de naturel, de ce qui est sans apprêt, sans aucun luxe fait écho en littérature à l’art de l’insinuation, au fait pour un auteur de cacher le travail d’artiste. Elle renvoie encore à des questions d’esthétique. Nous aurions donc, pour résumer, associées à l’idée de simplicité, trois notions essentielles : la facilité à saisir, la visée esthétique du simple et enfin le caractère « naturel » de ce qui est « simple ».
39Si, en revanche, les livres destinés à la jeunesse sont complexes, cela signifie qu’ils réunissent plusieurs éléments différents ce qui, si nous suivons Edgar Morin, aboutit à un résultat particulier, qu’il convient de regarder comme un tout, comme un ensemble d’éléments « tissés ensemble ». Les éléments composant le tout nécessitent donc à la fois d’être regardés séparément, mais aussi et surtout d’être regardés ensemble, d’être « reliés » entre eux. Ainsi peuvent être mis en valeur les relations qu’ils entretiennent et les effets particuliers qui naissent de ces mises en relation. On s’intéressera donc à la contiguïté des éléments, à leur simultanéité mais aussi à la manière dont ils sont agencés.
40Il incombera à l’enseignant de stimuler l’intérêt des apprenants de langue à partir de ce qui relève de la complexité en les invitant par exemple à déterminer si les éléments sont en eux-mêmes porteurs de complexité, ou bien si c’est leur imbrication et elle seule qui est porteuse de complexité.
L’album ou la complexité à l’œuvre
41Plusieurs points font de l’album un support « exigeant » : la matérialité du média, le format, la relation texte-image, mais aussi l’image et le texte de l’album ainsi que le récit dans l’album. Le support en littérature de jeunesse constitue l’un des attraits principaux de cette littérature, il doit « toujours se repenser » afin d’« exploiter la matérialité du média » (Letourneux, 2009, p. 190). Cette « matérialité du média » est particulièrement mise en valeur par des auteurs qui invitent le lecteur à une manipulation de l’objet « album ». Un lecteur de l’album, familier du genre, sait que la lecture linéaire n’est pas la seule, l’unique et qu’une manipulation de l’album peut donner lieu à des découvertes et donner naissance à de nouveaux réseaux de sens. Dans l’album Muscardin cherche ami, géant cherche ami23 de l’Allemande Annegert Fuchshuber (1983), le lecteur doit, pour comprendre l’histoire (les histoires) de cet album, la lire dans un sens, puis, arrivé au centre du livre retourner l’album pour le lire dans l’autre sens. Il y a dans cet album deux récits qui convergent dans la double page centrale. Dans les albums de Béatrice Poncelet24, chaque double page nécessite une attention soutenue de la part du lecteur pour découvrir, mettre en relation des éléments en apparence disparates, des fragments de texte, d’image… L’album suppose donc une prise en main, une approche, une lecture spécifique.
42Pour l’album, le format revêt une grande importance. Isabelle Nières-Chevrel (2011a) a mis en évidence comment le choix d’un éditeur de publier un de ses ouvrages dans un plus petit format – pour rendre celui-ci moins onéreux – avait conduit à une perte de sens. En effet, les détails participant de l’intericonicité dans la version initiale n’étaient plus visibles dans la version petit format25.
43Autre aspect important de l’album, la relation image-texte. Cette relation est caractéristique de ce que Michael Nerlich (1990), romaniste allemand, a nommé « iconotexte ». Ce terme a été largement repris depuis. Les albums, qu’Isabelle Nières-Chevrel (2002) nomme également les « textes-images » ou encore les « iconotextes », sont complexes car ils associent de manière fort diverse l’image et le texte. Parallèlement au terme « iconotexte », le dénominatif « texte-image » proposé par Isabelle Nières-Chevrel a ceci de commode qu’il n’instaure pas de hiérarchie entre les deux médiums, et qu’il sous-entend une pluralité de liens sur lesquels un certain nombre de chercheurs se sont déjà penchés. L’iconotexte requiert de la part du lecteur une démarche spécifique et complexe. Mathieu Letourneux, spécialiste des littératures populaires et de littérature de jeunesse, affirme ainsi :
Non seulement l’album pour la jeunesse associe deux langages indépendants, mais en les faisant dialoguer, il en fonde un troisième, hybride, jouant sur les possibilités offertes par leur combinaison. La relation entre le texte et l’image peut être un travail de complémentarité ou d’opposition des informations, elle peut encore délimiter des espaces de compétences différents entre le parent et l’enfant, elle peut entraîner un dialogue ludique entre l’un et l’autre… Les cas de figure sont nombreux, l’écart entre les deux langages permettant une très grande variété de jeux possibles. (Letourneux, 2009, p. 195.)
44Les recherches récentes dans le domaine de la traduction mettent à jour la complexité du lien image-texte26. Le terme « synergy » repris par Emer O’Sullivan (2010) à Laurence Sipe (1998) met en évidence le fait que les effets produits par la combinaison texte-image sont supérieurs en nombre à la somme des effets produits par chacun des composants de l’album pris séparément27. O’Sullivan montre à travers deux exemples comment des traducteurs peuvent, en proposant un texte qui n’est que redondance de l’image, ne laisser aucune place à l’interprétation du lecteur et ce, alors que le texte source joue avec l’image et offre plusieurs interprétations possibles. Si les albums initiaux étaient riches, « résistants » au sens où l’entend Catherine Tauveron28, les albums traduits ne le sont plus.
45On trouve, à côté d’ouvrages où le lien texte-image est complexe, des albums qui jouent sur la complémentarité texte-image et où il n’y a entre texte et image que « quelques écarts discrets » (Joole, 2011, à propos des albums de Claude Goujon). Dans de tels albums, la complexité se niche ailleurs, dans le choix des mots par exemple.
Du côté de l’image
46Apparue d’abord dans les milieux lettrés du xviiie siècle, la littérature de jeunesse française de cette époque valorisait l’écrit. Il en va autrement depuis le milieu du xixe siècle et l’apparition de l’album. L’image joue dès lors un rôle important et participe de la spécificité de la littérature d’enfance et de jeunesse. L’image concourt, à la fois à la transmission des valeurs du groupe et à l’invention littéraire et artistique (Nières-Chevrel, 2011b).
47Sans retracer ici de manière précise l’évolution de l’image en littérature de jeunesse29, on peut dire que jusque dans les années soixante, l’idée qui prévalait était que celle-ci devait être adaptée aux capacités en évolution de l’enfant. La valeur éducative de l’album était prépondérante et la vision de ce que devait être l’image était souvent très moralisante.
48Annie Renonciat (2009) résume ainsi l’approche qu’ont eue pendant longtemps ceux qui travaillent sur l’image pour enfants :
Elle [la réflexion sur les formes de l’image pédagogique] conduit à privilégier la clarté, la simplicité, la lisibilité du dessin au détriment de sa richesse plastique, et à développer sur l’image des discours normatifs, expression contemporaine d’une ancestrale défiance de la pensée occidentale à l’égard de sa « redoutable et magnifique défiance »30.
49Si, de nos jours, la visée éducative n’a pas disparu – elle est même encore souvent centrale –, on peut cependant remarquer que l’enfant est aujourd’hui considéré de manière radicalement différente. Les auteurs contemporains voient souvent aujourd’hui en lui un être dont les capacités sont supérieures à celles de l’adulte31, et n’hésitent pas à faire appel à sa faculté d’enfant pour trouver le sens d’un livre. On pense ici notamment à Maurice Sendak ou Béatrice Poncelet.
50La représentation de la simplicité telle qu’elle existait autrefois contraste avec les représentations que l’on a aujourd’hui de cette notion. De nos jours, lorsqu’on dit d’un auteur d’album qu’il fait acte de simplicité, on attribue souvent cette démarche à une volonté esthétique, que certains auteurs revendiquent d’ailleurs. En évoquant le travail de Claude Boujon et Elzbieta, Bernard Friot (2007) parle de « bricolage complexe et fragile, exaspérant et jubilatoire que l’on peut comparer à la micromécanique. L’auteur de textes courts serait un horloger tandis que le romancier, lui, serait un mécanicien » (p. 116).
51Selon Perry Nodelman, la simplicité dans l’album contemporain n’est souvent qu’apparente :
Dire que les ouvrages pour les enfants sont simples, ce n’est dire qu’une moitié de la vérité. Ils offrent aussi une ombre, un inconscient – une appréhension du monde et des gens plus complexe et plus complète qui demeure silencieuse au-delà de la simple surface, tout en proposant cette simple surface qui s’offre à la compréhension. La simple surface sublime – cache tout en réussissant à inclure – la présence de quelque chose qui est moins simple. (ma traduction32.)
52L’image peut remplir plusieurs rôles, le plus simple de ceux-ci étant le rôle d’illustration. Il s’agit alors pour l’image, d’expliciter ce qui est dit dans le texte, en traduisant ou en reproduisant picturalement un fragment textuel pour un lecteur qui ne sait pas lire. Ce rôle premier est aussi fondamental pour un lecteur qui ne comprend pas l’idiome du texte, pour qui la compréhension du texte est lacunaire, ou encore pour qui le contexte est complètement étranger. À ce niveau, on peut dire que l’image aide le lecteur à se représenter un univers dont il n’est pas familier, à « contextualiser » un fragment de texte, une péripétie. En outre, l’image peut être source d’informations culturelles qui ne sont pas nécessairement présentes dans le texte. Cela est généralement un élément facilitateur pour l’enseignant de langue et culture étrangère qui peut alors s’appuyer sur l’image et éviter le recours à la traduction ou à la périphrase explicative.
53L’image peut aussi se montrer autonome vis-à-vis du texte et dire d’autres choses que le texte ou en dire plus que le texte. Elle peut raconter une autre histoire que le texte, et l’auteur joue alors de la distorsion texte/image33. Ainsi, l’image peut infirmer, dépasser ou amender le texte. À l’inverse de la littérature générale, la littérature de jeunesse implique donc une lecture large ne se focalisant pas uniquement sur le texte. Ceci constitue à la fois une richesse et une difficulté.
54Par conséquent, l’appareillage didactique autour de la séquence de littérature de jeunesse nécessite une réflexion sur la manière d’amener les apprenants, non seulement sur le terrain de la lecture de l’image en tant qu’illustration, mais aussi le terrain de l’iconotexte et du rapport texte-image. En parallèle, la réflexion didactique portera sur la manière de conduire les apprenants à se familiariser avec le repérage de références textuelles ou graphiques. Cela n’est pas sans poser problème puisque, comme l’ont montré des didactologues des langues et des cultures (Maurer & Londei, 2008), un apprenant de langue étrangère ne peut reconnaître des éléments qui lui sont étrangers34. Le volet esthétique est également à prendre en compte, pour inviter les apprenants à mieux réfléchir à l’utilisation des techniques retenues, aux effets qu’elles engendrent, aux choix qui les motivent et à ce que cette utilisation montre. Ces divers aspects concernent aussi bien des démarches auprès d’élèves du primaire et du secondaire que du supérieur.
Du côté du récit
55Il peut être pertinent de retenir les albums-récits en raison de la possibilité qu’ils offrent en langue-culture de faire une synthèse écrite ou orale du récit. Claudette Cornaire (1999) a, avec d’autres, insisté sur la capacité qu’ont les récits, en général, de favoriser le rappel en classe de langue. Même si la synthèse réalisée dans un premier temps par (avec) les apprenants ne permet pas de rendre compte de tous les possibles de l’album, elle constitue cependant pour la classe de langue un point de départ indispensable.
56Il ne faut cependant pas nier le fait que le récit dans l’album peut se trouver bousculé du fait même de la contiguïté texte-image. Claude Le Manchec s’est penché sur le récit de l’album et a souligné la (dis)continuité de lecture entre album et roman, et ce, malgré la présence d’éléments facilitateurs. Je reviendrai sur ce point un peu plus loin. J’aimerais avant cela revenir sur les caractéristiques du récit dans l’album. À ce propos, Claude Le Manchec (2005) écrit :
Dans l’univers de l’album, on trouve d’abord beaucoup de « … récits minimaux » ou des « embryons de narrativisation » : notamment scripts, scénarios, liste close. Au-dessus, des narrativisations sous forme de textes avec événements ou actions prototypiques […] : mise en intrigue, complication et clôture narrative, récit résumé par une ou deux séquences. Au-dessus encore, des récits élaborés : structure du conte simplifiée, récit d’aventures, fable […] Plusieurs séquences s’y enchaînent, mais le dénouement reste sommaire. (p. 150.)
57Ce qui semble donc caractériser les albums le plus fréquemment paraît être une structure aisément reconnaissable et peu embrouillée puisque même dans les récits plus élaborés, le lecteur peut se rattacher à un genre qu’il connaît (le conte, la fable). Claude Le Manchec fait état de plusieurs autres éléments facilitateurs : la brièveté et l’absence d’une multiplicité de détails, un dénouement sommaire, un découpage des scènes en nombre limité, des scènes matérialisées sur les double-pages, une progression souvent logique. En outre, il fait remarquer la présence continue du personnage principal, le nombre réduit et fixes de rôles attribués aux personnages. Pour lui, l’identification est facilitée par la répétition, la permanence des images ainsi que par la redondance texte-images. Il souligne encore la présence d’un fait marquant qui relance l’action et met en relief l’intrigue et la présence d’un mobile souvent concret (disparition, fuite…) (Le Manchec, 2005, p. 151). Ces constats concernant le récit dans l’album vont dans le sens d’une certaine simplicité, clarté, univocité. Même s’ils ne valent pas pour tous les albums, ils sont néanmoins cruciaux pour notre réflexion.
58L’album, dans de très nombreux cas, paraît être un support adapté à des apprenants ne pouvant se focaliser sur une trop grande complexité qui naîtrait du réseau des personnages, de plusieurs intrigues menées parallèlement ou encore d’une plus grande ambivalence des rôles des personnages. En outre, les squelettes narratifs peuvent servir de leviers pour la parole écrite ou orale. Ce récit peut encore servir de modèle pour des exercices d’écriture imitative, pour la création de variations, ou encore permettre pour que soient mis en place des exercices d’écriture sous contrainte. Il peut également servir de base pour des jeux de rôles simplifiés. Le récit lu dans l’image et le texte, permet donc, lorsqu’il ne présente pas trop d’éléments de complexité des manipulations en langue étrangère, des jeux avec ce récit. Cependant, il est intéressant de noter que pour Claude Le Manchec (2005), le rôle « passerelle » qu’aurait la lecture d’albums avant de passer à la lecture de romans de littérature générale n’a rien d’évident, en tout cas en français langue maternelle et dans le cadre de l’apprentissage de la lecture par des enfants ou adolescents. Je reviendrai plus tard sur ce point.
Du côté du texte
59Si, comme nous venons de le voir, le récit dans l’album peut être considéré comme plus simple que dans d’autres formes littéraires, il est cependant nécessaire de tenir compte du style dans son ensemble. Elzbieta dénonce quant à elle l’usage de la formule « littérature » jeunesse à propos de l’immense production pour la jeunesse, alors même que dans l’esprit d’éditeurs peu scrupuleux, voire même généralement dans l’esprit adulte, « des couleurs vives et une histoire linéaire bien claire, racontée platement sont [pour l’enfant] suffisante pitance » (Elzbieta, 2005, p. 52). À y regarder de plus près, les albums jeunesse contemporains dignes d’intérêt ne sont pas « racontés platement ». Elzbieta elle-même fait preuve d’une grande créativité et joue avec la langue dans ses albums. D’autres auteurs, au contraire, revendiquent une certaine simplicité, et affirment la nécessité d’une certaine sobriété du texte pour ne pas faire ombrage aux effets de l’image (Delahaie, 2009).
60Le style dans le texte d’un album pourrait se définir par la manière dont ce texte est écrit. Il s’agira également de considérer les choix lexicaux faits par l’auteur et la manière dont le vocabulaire est agencé. Nous reprendrons ici à Maud Gaultier la définition qu’elle a proposée du style simple lors d’une allocution. Il s’agit d’« un style dépouillé d’artifices, basé sur une économie de moyens et une expression la plus directe de la pensée […] Ce style se traduirait par des phrases courtes, des tournures simples, un vocabulaire qui n’est pas recherché mais qui est cependant précis35. » Pour qualifier ce style simple, des substantifs comme « transparence, limpidité ou intelligibilité parfaite » sont utilisés.
61Dans l’album John Chatterton Détective d’Yvan Pommaux (1993), par exemple, le texte peut être qualifié de « simple » dans la mesure où l’auteur s’inspire de la BD et fait une large place aux dialogues et à de courts monologues des personnages. Les choix de l’auteur se basent sur une économie de moyens. À l’exception de quelques jeux de mots, le texte est limpide et le vocabulaire est celui du quotidien. À l’inverse, les textes des albums de Claude Ponti sont plus complexes. Catherine Renaud qui a consacré sa thèse à cet auteur, a montré les spécificités de l’esthétique de Claude Ponti. Pour la chercheuse, l’auteur fait acte d’une véritable création littéraire. Elle la qualifie de « particulièrement riche et sophistiquée » (Renaud, 2007, p. 96). Elle montre notamment la relation étroite entre la théorie du carnavalesque littéraire et le jeu, et met en avant les créations langagières qui fleurissent au fil de ses albums. Les injures de La colère de M. Dubois font référence, ainsi qu’elle le remarque, à Queneau et à l’Oulipo. De multiples autres jeux de langage et jeux de mots sont au rendez-vous dans chacun des albums. Ils constituent un des aspects clés qui font la richesse des albums de cet auteur36.
62Les travaux de Florence Gaiotti (2009) ont montré que la voix qui s’exprime en littérature de jeunesse est loin d’être univoque, que la narration est loin d’y être simple et que la polyphonie est très présente. Ceux de Sylvie Dardaillon (2013), consacrés à la réception des albums de Béatrice Poncelet, ont montré à quel point ceux-ci constituent un support complexe et ce, non seulement pour le jeune lecteur, mais aussi pour les enseignants du premier degré appelés à jouer un rôle de médiateur auprès des enfants. Il nous semble donc, comme l’affirme Nathalie Prince (2009), que, pour certains, les auteurs « profitant des préjugés rattachés au genre, cultivent à loisir les ambiguïtés » (p. 10).
La dimension culturelle dans l’album
63La littérature de jeunesse est d’abord un objet culturel au sens où elle émane d’une région ou d’une culture donnée, et a une valeur de transmission. En outre, elle use de références culturelles lettrées37. Si Claude Ponti choisit de faire figurer sur la page de garde de son album Blaise et le château d’Anne Hiversère (2004) une longue liste de références auxquelles il se rattache (citons entre autres le Struwelpeter d’Heinrich Hoffmann ou Max et les maximonstres de Maurice Sendak), c’est que cet auteur, comme d’autres, a la volonté de produire des albums ayant une valeur littéraire et culturelle. Comme le résume très bien Isabelle Nières-Chevrel (2011a), « l’intericonicité semble être un des traits constitutifs de l’album contemporain, comme si les artistes éprouvaient la nécessité de situer leur création au sein de l’héritage » (p. 89). Il existe, nous le verrons dans notre corpus, des ouvrages pour enfants à forte portée culturelle. Ces ouvrages conçus initialement pour un lectorat spécifique (celui d’une aire géographique particulière) peuvent poser un problème à un lectorat étranger. En effet, dans ce cas, le lecteur de la classe de langue ne correspond pas au « lecteur idéal », celui-ci étant – ainsi que le définit Wolfgang Iser (1972) – un lecteur qui, en matière d’âge, d’origine socioculturelle, et d’origine géographique, correspond à celui que l’auteur vise lorsqu’il écrit son livre. Or, ainsi que l’ont montré de nombreuses recherches en didactologie des langues et des cultures38, l’implicite peut parfois jouer un rôle crucial, de même que les références culturelles ou historiques. C’est le cas pour l’album québécois Le chandail de hockey retenu dans notre corpus. Lorsque ce type d’album n’est pas accompagné d’explications à caractère didactique, c’est à l’adulte médiateur – qu’il soit parent ou enseignant – d’apporter des éclairages culturels nécessaires.
L’album pour la jeunesse, un support passerelle ?
64Isabelle Nières-Chevrel (2006) considère, en ce qui concerne la complexité, que littérature de jeunesse et littérature générale sont à mettre sur le même plan39. Elle ajoute : « Si étrange que cela puisse paraître, je crois que ce sont les livres pour enfants qui m’ont appris à devenir une bonne lectrice. Les livres pour enfants offrent un espace où on peut lire les textes sans a priori sur leur valeur éventuelle. » (p. 17). D’autres affirment la pertinence de l’album pour le cycle 3 du primaire et les premières années de collège :
Les spécificités d’écriture, les jeux tressés entre langages verbal, graphique et iconographique […] font de l’album, et plus précisément chez Béatrice Poncelet, un support de lecture complexe qui impose à son lecteur une activité coopérative parfois intense et, par voie de conséquence, un support littéraire particulièrement pertinent pour les lecteurs du cycle 3 de l’école primaire et des premières années du collège. (Dardaillon, 2013, p. 79.)
Se référant à l’apprentissage de la lecture à l’école primaire, Francis Grossman, pour sa part, émet des doutes :
Si la forme album, par sa complexité même, est un outil culturel extrêmement intéressant, apprivoisant des langages différents, elle ne prépare guère, en raison de sa spécificité, à la lecture du texte écrit autonome40. (Grossman, 1996, p. 91.)
65Nous pensons en revanche que ce qui, en langue maternelle et avec un public d’enfants qui entrent en lecture, peut être considéré comme une difficulté, peut être perçu comme un avantage en français langue étrangère avec un public, pour qui la découverte du code écrit n’est plus un problème. Un autre chercheur, Claude Le Manchec, signale également ses réticences à considérer l’album comme support passerelle pour la lecture du roman. Dans l’article « De l’album au roman : un parcours de lecture difficile » (2005), il affirme que le rôle du texte dans l’album n’est pas négligeable et qu’en devenant familier de ce support, l’enfant apprend aussi ce qu’est un livre en allant du récit scripturo-figural au récit essentiellement verbal. Ce faisant, il développerait des compétences lui permettant ensuite de lire le roman. Cependant, Claude Le Manchec (2005) reconnaît à l’instar de Francis Grossman qu’il y a bien une discontinuité entre les compétences que requièrent la lecture de l’album et celles requises par le roman : « Apprendre à lire dans et avec l’album, c’est bien apprendre d’abord une forme de coopération entre le texte et l’image qui ne se retrouve plus ensuite dans le roman » (p. 149).
66Mais qu’en est-il pour l’enseignement des langues-cultures ? L’album serait-il un support passerelle pour la lecture de romans et d’œuvres de littérature générale ? Permettrait-il d’acquérir des compétences utiles pour la lecture de tout type de support en langue étrangère ?
67Nous pouvons certes reconnaître avec Francis Grossman et Claude Le Manchec les différences indiscutables entre la lecture qu’implique l’album et celle qu’implique le roman41. Cependant, la question se pose différemment dans le contexte de la lecture en langue étrangère. En effet, les apprenants de langue étrangère, s’ils sont adultes de surcroît, bénéficient, en théorie, d’une expérience de lecture des récits dans leur langue maternelle. En débutant la lecture d’un roman en langue étrangère, ceux-ci peuvent s’attendre à rencontrer des difficultés similaires à celles qu’ils ont pu rencontrer en lisant des romans dans leur langue maternelle (progression du récit non linéaire ou présence parfois discontinue des personnages, par exemple).
68En langue maternelle, le jeu de la création verbale fait partie de l’apprentissage de la langue (comme le montrent les comptines), et doit, comme le souligne Lev Vygotsky, avoir une place prépondérante dans l’apprentissage chez l’enfant42. Il n’en va pas autrement en langue étrangère, où l’apprenant peut et doit être initié et stimulé à la création verbale. Dans la perspective d’une lecture d’albums présentant des jeux de langage43, la surabondance de tels procédés peut constituer une difficulté pour l’apprenant, en particulier si ces jeux de mots ou de langage nécessitent une certaine érudition. Certains chercheurs44 ont montré que les enfants sont capables d’imiter les procédés littéraires, les jeux avec le langage. Nous pensons que les apprenants de langue peuvent prendre plaisir à jouer, à créer du langage. ». L’album permet de faire observer comment tous ces procédés, lorsqu’ils entrent en conjonction avec l’image, contribuent à faire naître l’humour. Catherine Renaud (2007) a par exemple montré comment, grâce à l’image, le sens imagé peut devenir sens propre.
69Pour Francis Grossman (1996), l’album a la capacité de susciter, de faire naître la parole. L’album est pour lui un objet textuel particulier qui « fournit une base spécifique à l’interaction verbale » (p. 85). Il conviendra de voir si cette affirmation est également valable pour l’enseignement d’une langue étrangère et pour un lecteur qui n’est pas un enfant. Dans ce cas, on s’attachera également à déterminer les critères de choix des albums les plus stimulants pour un public déterminé.
Le cas du livre illustré
70On retrouve dans ce support certaines spécificités de l’album, telles que l’image et le rapport texte-image, mais avec un texte plus long. Ces ouvrages représentent une forme hybride, puisqu’ils ne sont ni des albums, ni des romans. On pourrait les qualifier de « nouvelles enfantines illustrées », bien que la notion de nouvelle exclue a priori l’image. Il n’en demeure pas moins que ces ouvrages présentent des qualités propres à la nouvelle et, pour reprendre une expression qu’utilise Patricia Eichel-Lojkine (2011) au sujet des micro-récits et micro-fictions, qu’ils « poussent jusque dans ses derniers retranchements l’ambition d’allier concision textuelle et ampleur fictionnelle ».
71Pour ce qui est de la complexité et de la simplicité, ce type d’ouvrage partage de nombreux points communs avec l’album. On pourra remarquer que les auteurs de livres illustrés sont aussi souvent des créateurs d’album (c’est le cas pour les auteurs des récits illustrés de notre corpus). Il s’agit pour ces auteurs de proposer des textes qui vont toucher des lecteurs plus âgés, plus autonomes (« ils savent déjà lire tous seuls », écrit l’éditeur l’école des loisirs en quatrième de couverture des livres de la collection « Mouche »).
72On constate une différence de format par rapport à l’album et la prééminence du texte bien que l’image demeure omniprésente. Ainsi, pour Pochée, dernier ouvrage de notre corpus, l’image est présente sur chaque double page du livre, et se trouve en regard du texte. Pour le second ouvrage de notre corpus (Le Petit Chaperon vert), l’image se trouve successivement au-dessus, en dessous ou au beau milieu du texte. En outre, Le Petit Chaperon vert présente un récit enchâssé, à la fois jeu et élément de complexité pour un lecteur de langue étrangère. Ainsi apparaît en filigrane derrière le premier récit un second récit qui n’est autre que celui du Petit Chaperon rouge.
73Cependant, de plus amples recherches sont nécessaires pour examiner les liens et différences entre l’album et le récit illustré, et pour observer la manière dont le jeu est conduit dans ce dernier.
Le cas du roman pour la jeunesse
74Si la complexité de l’album tient en partie à la présence de l’image et à la dimension spécifique « d’image-texte » de ce support, il en va autrement pour le roman pour la jeunesse qui, par sa forme – prépondérance du texte écrit –, se rapproche davantage du livre pour adulte de littérature générale.
75L’analyse de Daniel Delbrassine (2006) s’appuie sur le roman dans le sens courant de fiction narrative en prose, et en particulier sur l’offre éditoriale dans ce domaine pour les dernières années du xxe siècle. Elle montre « l’ambition littéraire » du roman pour la jeunesse45 et bat en brèche les préjugés sur la prétendue simplicité du roman adressé aux adolescents. Pour cette étude, il s’est basé sur un corpus de 233 titres, établi à partir des collections les plus littéraires ou les plus légitimées dans le champ comme la collection « Fictions » du Seuil, la collection « Page blanche » chez Gallimard ou la collection « Medium » de l’école des loisirs.
76Dans ses travaux, Daniel Delbrassine s’est attaché à montrer les spécificités du roman pour la jeunesse tant sur le plan linguistique que narratif ou littéraire. Il s’est intéressé à l’écart qui pouvait exister chez un même auteur et au cours d’une même période, entre ses productions à destination de la jeunesse et ses productions dans le champ de la littérature générale. Son analyse de la lisibilité des ouvrages a porté successivement sur les incipits de romans et sur des extraits longs de 250 mots46, sur la voix et la perspective narrative et enfin sur l’énonciation.
77L’analyse de la lisibilité a montré qu’en termes de longueur de phrases, peu de différences étaient observables entre les romans pour adolescents et ceux du champ de la littérature générale. La phrase des romans pour la jeunesse est soit plus longue, soit de longueur égale à celle utilisée dans les romans publiés pour les adultes. Ce résultat est intéressant car il va à l’encontre d’un certain nombre d’idées reçues. Pour le chercheur, beaucoup d’auteurs ne modifient pas ces aspects de leur manière d’écrire lorsqu’ils changent de public. La seule différence constatée par Delbrassine concerne le nombre de mots qui ne figurent pas dans le Français fondamental47. Les incipits des romans adressés aux adultes comptent un plus grand nombre de mots choisis en dehors de ceux figurant dans la liste du Français fondamental. En outre, on ne peut conclure ni à l’usage d’un vocabulaire plus abstrait dans les romans pour adultes, ni à une plus grande variété de vocabulaire. En conclusion, les deux parties de l’échantillon retenu ne se différencient que sur le plan du vocabulaire et encore, uniquement sur des mots que l’on peut considérer comme « difficiles » ou peu usités. Pour Daniel Delbrassine, il existe de la part des auteurs ou des éditeurs une réticence consciente ou non consciente à employer des mots difficiles dans le roman pour la jeunesse.
78Pour ce qui est de l’analyse de la voix et de la perspective narrative, les résultats obtenus montrent des choix diamétralement opposés de la part des auteurs qui publient dans les deux champs. Si le « je » est largement prédominant en littérature pour la jeunesse, le « il » est plus présent en littérature générale. Comme l’avaient noté d’autres chercheurs avant lui (Perrot, 1977 ; Poslaniec, 1998), Daniel Delbrassine constate qu’environ la moitié des textes adressés à la jeunesse présente la caractéristique suivante : un « je » narrateur héros, qui s’exprime en tant que personnage et donne sa perception des événements au moment des faits, bref un « je » qui s’exprime hic et nunc. Il remarque encore la présence d’une forme de bavardage confidentiel dans le roman pour la jeunesse, qui émane d’un narrateur centré exclusivement sur lui-même ou bien d’interpellations émanant du narrateur envers le lecteur, du type « si je vous raconte ça… ». Ce type de monologue semble bien, selon ses recherches, être propre à la littérature de jeunesse.
79En ce qui concerne l’énonciation, l’analyse de Daniel Delbrassine se référant à Émile Benveniste (1959) et Harald Weinrich (1973) l’amène à conclure qu’en matière d’énonciation, le récit historique (« erzählte Welt ») est nettement dominant dans les romans adressés aux adultes, alors que le discours (ou monde commenté, « besprochene Welt ») est prépondérant dans les romans pour adolescents. Ceci signifie qu’il y a prépondérance dans les romans pour adultes du passé simple et des temps qui lui sont associés (imparfait et plus-que-parfait), alors que le présent, le passé composé et le futur dominent dans les romans pour adolescents. Les différences notées par Daniel Delbrassine méritent d’être analysées en fonction du contexte d’enseignement de la langue étrangère et de la progression pédagogique. Ainsi, la lecture de romans pour la jeunesse pourrait-elle être envisagée préalablement à la lecture d’ouvrages de type autobiographique du champ de la littérature générale.
Quelques remarques provisoirement conclusives
80Il me semble, à la lumière des différents points qui viennent d’être abordés, qu’un certain nombre d’ouvrages de littérature de jeunesse contemporaine sont susceptibles d’intéresser, d’interroger, mais aussi de plaire à des apprenants de langue qu’ils soient adolescents ou jeunes adultes. Il importera, comme pour tout support pour la jeunesse, de procéder à une analyse préalable minutieuse de ces ouvrages avant d’envisager tel ou tel type de démarche didactique.
81De la littérature générale dans l’enseignement des langues, certains disent (Cuq, 2003, p. 158-159) qu’elle est « un réservoir des possibles de la langue, un espace où la langue est travaillée et se travaille », « [qu’] à son contact, l’apprenant peut être sensibilisé à toutes les nuances et au pouvoir de la langue qui crée le monde à l’infini ». Ils ajoutent qu’elle « participe, aussi, bien qu’indirectement à l’appropriation de la langue : grammaire et vocabulaire pour l’essentiel » et qu’elle est un réservoir culturel, puisqu’elle est le « lieu de croisement des cultures et l’espace privilégié de l’interculturalité » (Cuq, 2003, p. 158-159). Il me semble évident que ces différentes remarques s’appliquent également à la littérature pour la jeunesse et plus particulièrement au récit illustré et à l’album pour la jeunesse.
Notes de bas de page
1 Voir le rapport statistique du Syndicat national de l’édition (SNE) 2018-2019 (Synthèse), disponible en ligne sur https://www.sne.fr/app/uploads/2019/06/RS19_Synthese_Web01_VDEF.pdf [consulté le 08/03/2020].
2 Je ne retracerai pas ici l’historique de la littérature de jeunesse mais renvoie le lecteur qui chercherait davantage de détails aux travaux de Marc Soriano (1997), de Ganna Ottevaere Van Praag et à ceux de Michel Manson.
3 On pourra ici se référer par exemple à l’article de Hamaide-Jager (2014) ou encore à celui de Levesque (2014).
4 Marc Soriano indiquait en 1997 que le secteur bien qu’étant en expansion, n’intéressait guère la critique, que journaux et revues n’en rendaient compte qu’exceptionnellement et que cette indifférence est partagée par les historiens de la littérature. « C’est à peu près partout un secteur en pleine expansion […] et, pourtant, sauf en quelques pays – les États-Unis, l’Angleterre, l’URSS et les démocraties populaires – il n’intéresse guère la critique. Journaux et revues n’en rendent compte qu’exceptionnellement. Même indifférence chez les historiens de la littérature. » (Soriano, 1997, p. 383.)
5 Jean-François Massol (2011) notait qu’une meilleure place était réservée par l’institution scolaire à un auteur qui publie également en littérature générale (Daniel Pennac) qu’à un auteur qui publie exclusivement dans le secteur jeunesse (Nicole Schneegans).
6 Voir N. Vulser, « Les livres pour enfants : le blues des auteurs et des illustrateurs », Le Monde, 03/10/2017 ou encore C. Combet, « Le livre jeunesse cherche la lumière », Livres Hebdo, n° 1143, 29/09/2017, p. 24-26.
7 Loi n°49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications pour la jeunesse.
8 Voir à ce sujet l’article de Gaëlle Glin (2006), en particulier la position de Thierry Magnier (éd. Thierry Magnier) et celle de Brigitte Morel (Panama).
9 Le phénomène de « crossover » concerne la publication d’ouvrages qui s’adressent aussi bien au jeune public qu’aux adultes ou qui passent d’un champ à l’autre (jeunesse vers littérature générale ou l’inverse).
10 Pour plus d’informations sur cette question, on pourra se référer à la thèse de Michèle Piquard (2000).
11 D. Delbrassine, Des romanciers « pour la jeunesse » qui ne le restent pas. Circulation des auteurs entre le champ de la littérature de jeunesse et celui de la littérature générale, communication présentée au colloque « L’édition d’enfance et de jeunesse francophone face à la mondialisation », Saint-Denis, 26-28 juin 2008.
12 Cécile Emeraud, Éditions du Rouergue, dans Glin (2006). C’est également une position défendue dans le même article par Françoise Mateu, directrice du Seuil jeunesse.
13 Synthèse des remarques de Beulque, Mateu, Emeraud et Martin dans Glin (2006, p. 14 à 17).
14 François Martin, éditions Acte Sud junior, dans Glin (2006, p. 16).
15 Intervention d’Agnes Desarthe, Formation lecture-jeunesse, Paris, 15-17 décembre 2010.
16 « Sommes-nous si certains de leur fournir des livres qui correspondent à leurs préoccupations et à leurs besoins ? De nouveaux problèmes ont surgi : la défense de la nature, la menace atomique […] des questions de tous temps se posent, semble-t-il autrement : le chômage, la répartition et la durée du travail ou la sexualité par exemple. Or nous ne leur offrons sur ces questions que des textes documentaires peu attrayants. » (Soriano, 1997, p. 391.)
17 L’ouvrage coordonné par Kodjo Attikpoé (2008) réunit des analyses de chercheurs qui se penchent sur les procédés à travers lesquels ces romans renouvellent le discours social, et sur le traitement littéraire des dimensions fondamentales du social.
18 « Les publications visées à l’article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifies crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques. Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse. », Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, disponible en ligne sur https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006068067&dateTexte=20100817 [consulté le 18/02/2020].
19 Signalons ici l’article de Martine Poulain (1998) qui précise les raisons qui ont motivé l’apparition de cette loi, sa mise en vigueur et son maintien, et ce malgré les contestations manifestées depuis sa promulgation.
20 La Verrière, 1996 ; Le rêve de Tanger, 1998.
21 Cela est une question très complexe. En psychanalyse, Bruno Bettelheim (1976) a montré à quel point le jeune lecteur s’identifie au héros de conte de fées, qui pourtant n’a pas son âge.
22 Je reprends cet exemple à Isabelle Nières-Chevrel (2002, p. 98) qui note que de nombreux albums pour la jeunesse basent leur intertextualité sur ces comptines.
23 Cet album a d’abord été publié sous le titre Mausemärchen/Riesengeschichte (Thienemann Verlag,1983) et a reçu le prix Deutscher Jugendliteraturpreis en 1984.
24 On pourra se référer entre autres ici à l’ouvrage de Sylvie Dardaillon (2013).
25 Nières-Chevrel (2011a) cite ici comme exemple l’album Le Tunnel d’Anthony Browne (1990) publié par l’école des loisirs en petit format (15 x 17 cm). La référence iconique à une gravure de Gustave Doré réalisée en 1862 pour l’éditeur Hetzel, présente dans la scène du coucher n’est plus reconnaissable et ce, même avec une loupe. La référence et le lien que cette citation entretient avec les autres références intericoniques – puisque cette citation s’inscrit, dans un réseau de références aux contes traditionnels – sont donc perdus dans la modification apportée au format de l’album.
26 On pourra se référer ici également aux travaux de Roberta Pederzoli (2012).
27 « With Sipe we can therefore speak of synergetic relationship between words and pictures in a picturebook, in which the total effect depends not only on the union of both but also on the interaction between them. » (O’Sullivan, 2010, p. 133.)
28 Catherine Tauveron (1999) se réfère à la définition de Dominique Maingueneau (1990) qui distingue dans les textes « résistants » deux types de textes, les textes réticents et les textes proliférants : « Le texte littéraire sollicite avec force la participation du lecteur dans la construction du sens, d’un côté il est “réticent”, c’est-à-dire criblé de lacunes ; de l’autre, il prolifère, obligeant son lecteur à opérer un filtrage drastique, pour sélectionner l’information pertinente. La coopération du lecteur exige donc un double travail, d’expansion et de filtrage. »
29 On pourra se reporter ici aux travaux d’Annie Renonciat (2009).
30 Paul Faucher (1959), « Comment adapter la littérature enfantine aux besoins des enfants », Vers l’éducation nouvelle, n° 179, janv.-fév., Tiré à part, 12 p., cité par Renonciat (2009, p. 72).
31 Voir à ce sujet notamment l’analyse proposée par Elzbieta (2005).
32 « The simplicity of texts of children’s literature is only half the truth about them. They also possess a shadow, an unconscious – a more complex and more complete understanding of the world and people that remains unspoken beyond the simple surface but provides that simple surface with its comprehensibility. The simple surface sublimates – hides but still manages to imply the presence of – something less simple. » (Nodelman, 2008, p. 206.)
33 Nous renvoyons ici à l’exemple proposé par Sophie Van der Linden : « Dans Léo le petit tigre, lorsque le père du jeune tigre, très anxieux tente de prendre de la distance – « le père de Léo essaya d’oublier son fils et regarda la télévision » – l’image, elle, le représente dans son fauteuil face à la télévision mais le visage ostensiblement tourné vers son fils. » (2006b, p. 125). Léo le petit tigre est un album de Kraus et Aruego (1972).
34 C’est ce que rappelle également la spécialiste de littérature de jeunesse Isabelle Nières-Chevrel (2011a) : « Nous savons qu’il faut connaître pour reconnaître » (p. 92).
35 M. Gaultier, Les livres pour enfants ne sont pas d’une simplicité enfantine ! Une étude du style dans la littérature de jeunesse en Argentine, communication présentée aux Journées scientifiques de juin – 3e édition « La simplicité une notion complexe », université du Maine, 16-17 juin 2011.
36 Ponti s’inscrit à travers cette démarche, ainsi que le fait remarquer Renaud, dans une des traditions de la littérature de jeunesse (Lewis Caroll et ses « nonsense » notamment). Parmi les jeux de langage recensés par Catherine Renaud, on peut citer les expressions enfantines (l’utilisation du double superlatif par exemple), les jeux avec les noms de lieux ou les noms propres, les noms à rallonge, les jeux avec le langage autour des heures de la semaine ou des chiffres, les néologismes, les mots-valises (voir Renaud, 2007, p. 119).
37 Un certain nombre de pédagogues et de sociologues soulignent aujourd’hui à quel point ces références culturelles peuvent créer des difficultés à un jeune public qui, en France, n’est pas familier de cette culture. On pourra se référer ici aux travaux de Stéphane Bonnéry (2012).
38 On se référera par exemple à Chryssoula Doudoulacaci (1992).
39 « Le travail que j’ai fait sur Max et les maximonstres a été décisif pour moi : il m’a appris que les livres pour enfants pouvaient être aussi complexes que les œuvres de littérature générale, qui avaient été ma fréquentation la plus habituelle depuis la fin de mon adolescence. » (Nières-Chevrel, 2006, p. 17)
40 En gras dans le texte.
41 On pourra ici se référer à mon travail doctoral qui développe cet aspect de manière plus précise. (Maizonniaux, 2013)
42 « The best method [for teaching reading and writing] is one in which children do not learn to read and write but in which both these skills are found in play situations. […] in the same way as children learn to speak, they should be able to read and write. » (Vygotsky, 1978, p. 118)
43 On se souvient ici que les apports de ces jeux de langue ont été soulignés par la recherche. On se référera par exemple à Jean-Marie Caré et Francis Debyser (1978).
44 « Certains jeux de mots exigent une érudition, d’autres sont immédiatement accessibles formant le lecteur au procédé. À peine l’ont-ils repéré, les enfants s’engouffrent dans l’écart entre la norme et son détournement. » (Chenouf, 2006, p. 132)
45 Pour Daniel Delbrassine, le développement majeur du roman pour adolescents dans les années quatre-vingt et l’« ambition littéraire » de celui-ci sont les conséquences de l’entrée toujours plus importante d’élèves dans l’enseignement secondaire, élèves qui jusque-là n’avaient pas accès à cet enseignement. Selon le chercheur, il a fallu envisager « un chaînon supplémentaire pour prolonger et parfaire la formation de lecteur littéraire, avant l’approche en solitaire du répertoire traditionnel » (Delbrassine, 2006, p. 29).
46 L’analyse de la lisibilité de ces extraits a été réalisée selon les formules d’Henry de De Landsheere et de Flesch. Voir Claudette Cornaire (1999, p. 54-56) pour plus de détails sur ces formules dites « de lisibilité ».
47 Ce critère qui permet de calculer le nombre de mots absents de la liste de Gougenheim est un des critères de la formule d’Henry (1975).
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