Chapitre 1. Matériaux d’enquêtes autour des « usages jeunes » dans quatre villes marocaines
Casablanca, Meknès, Tétouan, Marrakech1
p. 23-79
Texte intégral
Introduction
1Depuis de nombreuses années, les travaux sur les parlers jeunes se sont interrogés sur la construction des catégories « jeunesse », « cultures jeunes » et « parlers/pratiques jeunes » et leur impact social et médiatique dans des sociétés de plus en plus globalisées2. Si au Maroc la jeunesse est une catégorie amplement mobilisée par les études socio-politiques, l’irruption de la catégorie « parler jeune » sur la scène publique apparaît comme un phénomène récent, encore peu décrit sur le plan linguistique et pragmatique.
2L’importance de la jeunesse comme catégorie socio-politique au Maroc n’est pas un phénomène nouveau comme le soulignent par exemple les travaux de M. Bennani-Chraïbi (1994 ; 2007), Bourquia et al. (2000), etc. Depuis l’indépendance, la jeunesse a fait l’objet de nombreuses études incluant des rapports par les ministères et les think tank marocains3. La définition et la délimitation de la catégorie jeunesse varient selon les auteurs mais impliquent le plus souvent une tranche de population comprise entre 13-18 et 35-40 ans. Ainsi l’Enquête nationale sur les jeunes publiée par le Haut-Commissariat au Plan en 2012 inclut la tranche des 18-44 ans qui représentait 43,6 % de la population en 2010 en justifiant cette tranche sur des critères culturels. À ce poids démographique toujours important malgré la baisse du taux de natalité s’ajoute le poids des représentations associées à la jeunesse marocaine. Jusqu’au début des années 2000, la jeunesse est surtout appréhendée à travers le prisme politique et social. C’est à partir des années 2000 que la jeunesse est de plus en plus considérée à partir de ses pratiques culturelles (modes de consommation, aspirations et normes culturelles d’inspiration principalement urbaine), incluant les pratiques langagières.
3Selon les époques on note une perception très variable de la « jeunesse » dans les discours publics et politiques marocains. Elle a été perçue comme une force positive de changement par les courants nationalistes marocains à la veille de l’Indépendance. Elle a ensuite été considérée comme une menace politique du fait de son engagement à gauche dans les années 1960-1970 à l’époque d’Hassan II puis de son glissement vers l’islamisme radical à partir des années 1990. C’est depuis des décennies une catégorie à problème du fait du chômage récurrent qui la frappe (la très controversée catégorie des diplômés chômeurs par exemple).
4La première décennie du régime de Mohamed VI (1999-2011) a vu la revalorisation de la jeunesse perçue comme les acteurs d’une société qu’ils allaient contribuer à faire évoluer par leur dynamisme et leur implication. L’arrivée au pouvoir d’un roi jeune (36 ans), entouré d’une équipe de jeunes technocrates favorables à l’ouverture économique et médiatique vont promouvoir l’image d’un Maroc « jeune » tournant la page politique des « années de plomb » et de l’héritage d’Hassan II. Les jeunes entrepreneurs mais également les jeunes artistes créateurs deviennent les icônes de ce nouveau Maroc, alternative plus positive que le diplômé chômeur ou le ḥarrāga (l’émigré clandestin qui « brûle » sur la route de l’exil). Les médias vont donc rivaliser pour mettre en scène le jeune urbain, cool et dynamique, auto-entrepreneur, artiste, associatif. L’idée d’une façon de parler « jeune », d’expressions jeunes va se populariser via les nouvelles chaines de radio et la chaine de télévision 2M. Les jeunes deviennent alors des cibles prioritaires pour les publicitaires (téléphones, opérateurs, boissons, biscuits, mais aussi banques, voitures, etc.). Ceci a contribué à afficher, sur les ondes, dans la presse et sur les panneaux des villes du royaume, des expressions jeunes ou branchées en dārija (arabe marocain). Les jeunes artistes de la nouvelle scène urbaine seront en grande partie les ambassadeurs, conscients ou pas, de ce nouveau Maroc du fait du développement des groupes de rap et de hip hop. Il est important de souligner ici le lien étroit entre les usages jeunes et la scène culturelle urbaine qui a largement contribué à les faire apparaître sur la scène publique. Le mouvement de renouveau culturel assimilé trop tôt à une « movida » marocaine, appelée « nayda » (voir Caubet, 2008a), a été très médiatisé à partir de 2006 avec l’ouverture du champ audiovisuel et la mise en place de nouvelles émissions de radios privées ou de télévision, dédiées à des publics jeunes. Les artistes de cette scène musicale ont contribué à diffuser une certaine façon de parler, de s’habiller, et à les rendre familières pour un public plus large. Aujourd’hui le cinéma, le théâtre d’avant-garde, certains romans puisent également dans ce répertoire « jeune », participant au renouvellement des genres artistiques. L’explosion de la téléphonie portable et d’internet, de Youtube, Myspace ou Facebook va également révolutionner les pratiques d’écritures et d’expression et permettre une circulation des textes écrits, parlés et chantés par des jeunes (Caubet, 2013 ; 2017).
5C’est à l’aune de ce contexte politique et médiatique des années 2000, que cet article se propose de présenter les premiers matériaux décrivant un certain nombre de traits linguistiques utilisés par les jeunes dans des communications entre pairs, orales ou écrites. La collecte des données et la méthodologie suivie dans la description de ces traits linguistiques appellent un certain nombre de précisions et de remarques. Cet article n’a pas prétention à rendre compte des usages et pratiques langagières des jeunes marocains dans leur quotidien, leur pluralité d’interaction, leurs diversités de profils et de formation. Nous sommes bien conscients qu’il n’existe pas une jeunesse marocaine indiférenciée socialement ni « un ou des parlers jeunes marocains » constitués en variétés autonomes et bien délimités, qui seraient le mode d’expression unique de la jeunesse marocaine en tout lieu et toute situation. Il est bien entendu que le concept de « parler jeune » est, comme toute autre entité linguistique, une construction sociale et académique qui tend à créer des frontières.
6Nous avons cependant opté pour une description structurelle d’un certain nombre de traits plus spécifiquement associés à la jeunesse et utilisés par des jeunes urbains marocains des années 2000 dans des contextes d’interaction précis : conversations informelles dans des groupes de pairs, échanges sur les réseaux sociaux ou interventions dans des émissions radiophoniques ou télévisées à destination d’un public « jeune ». Le cœur de cet article sera donc dédié à la description de traits linguistiques caractérisant ce que nous nommerons, par commodité de langage, un « usage jeune » marocain. Décrire sur le plan linguistique ces usages « jeunes » au Maroc peut apparaître comme une gageure car il y a sans cesse des renouvellements et des usures : des phénomènes apparaissent, se répandent et passent de mode surtout au niveau lexical. Pourtant, certains traits linguistiques sont pérennisés et perdurent ; c’est ce qui constitue le point de départ de cette description. L’objectif principal étant de fournir des matériaux linguistiques qui permettront une comparaison ultérieure avec l’ensemble foisonnant de recherches portant sur les parlers/pratiques jeunes de par le monde, afin de mettre en évidence les nombreuses convergences mais également d’éventuelles particularités. De manière générale la description des usages jeunes dans les pays arabophones reste extrêmement lacunaire.
7Les matériaux présentés ont été collectés dans des corpus oraux ou écrits, principalement des conversations « naturelles » entre des jeunes dans quatre villes du Maroc : Tétouan (nord), Marrakech (sud), Meknès (centre) et Casablanca (centre, côte atlantique). Ces conversations ont été recueillies entre 2009 et 2012. À Tétouan (= Ttn), 8 heures de conversations ont été recueillies par Ángeles Vicente dans deux écoles de la ville (filles et garçons de 15 à 20 ans). À Meknès (= Mkn), Karima Ziamari a recueilli, dans deux quartiers de la ville (centre-ville et quartiers populaires avoisinants le centre-ville), 18 heures de discussions à l’intérieur de groupes de jeunes (11 filles et 9 garçons dont l’âge varie de 16 à 22 ans). À Marrakech (= Mrk), les données ont été recueillies auprès de jeunes par Pablo Sánchez dans le cadre d’une thèse plus générale sur le parler arabe de Marrakech. À Casablanca (= Casa), les conversations ont été recueillies auprès de jeunes musiciens et artistes par Dominique Caubet (venant des quartiers Sbata, Hay Mohammadi, Bournazel, Aïn Sbaâ, El Oulfa, Derb Soltane et C.I.L.4) et dans une maison des jeunes du quartier populaire de Hay Mohammadi par Zakaria Agadid. Ces données sont complétées par des enregistrements d’émissions « jeunes » des médias audiovisuels marocains réalisés par Catherine Miller et de nombreux écrits échangés sur Facebook recueillis par Dominique Caubet. L’origine régionale des données ainsi que leurs modes de transmissions (orales ou écrites) seront systématiquement identifiés dans les exemples présentés.
8L’objectif de cette étude est donc de répondre à un vide relatif concernant la connaissance des usages jeunes marocains5 en prenant en considération trois grandes questions :
- Quels sont les traits linguistiques qui semblent caractériser un usage dit jeune, sachant que la plupart des traits linguistiques répertoriés ne sont pas exclusifs aux usages des jeunes mais peuvent être considérés comme des marqueurs préférentiels ?
- Quelle interaction existe-t-il entre pratiques jeunes et variétés dialectales au Maroc ? Les jeunes ont-ils tendance à transcender les différences dialectales ou constate-t-on des spécificités selon les villes et les régions ?
- Peut-on évaluer la portée sociale de ces usages « jeunes » en termes de diffusion, d’influence ou de déclenchement de résistances conservatrices ?
9Les traits qui caractérisent les usages jeunes au Maroc sont nombreux et tendent tous à renforcer l’expressivité. La première partie sera dédiée aux traits phonologiques et prosodiques comme l’allongement vocalique, la pharyngalisation, l’affrication, la palatalisation et l’intonation. La deuxième partie concerne des traits morpho-lexicaux utilisés dans les procédés de création et renouvellement lexicaux comme le changement de catégorie grammaticale dans le cas des appréciatifs-diminutifs, le glissement sémantique, la remise au goût du jour de mots anciens, l’emprunt et l’alternance codique. La troisième partie s’intéresse à la dimension pragmatique et interactionnelle des pratiques jeunes en étudiant plus particulièrement les termes d’adresse, et l’usage de la rime, extrêmement productive. La quatrième partie présentera quelques éléments de réflexion sociolinguistique.
1. Traits phonologiques et prosodiques6
1.1. Allongement7
10L’opposition de longueur vocalique qui caractérise la langue arabe standard et permet de distinguer des voyelles longues et des voyelles brèves est relativement faible en arabe marocain (Heath, 2002). De ce fait l’allongement de certaines voyelles pour éviter la disparition de cette opposition ou à des fins expressives est un procédé courant en arabe marocain et n’est pas un trait spécifiquement « jeune ». Cependant, d’après nos données, ce qui semble caractériser les jeunes au Maroc, c’est l’allongement exagéré et systématique à chaque fois que l’on veut montrer que l’on s’inscrit dans le « mode » jeune8 :
(1) | žāya f-škəːːːl dīk ǝn-nǝġma […] uġnīya wa ḥǝqq ṛǝbb-i īla ʕālāːːːma ! |
venant dans-forme cette la-chanson […] chanson et vérité dieu-mon que super | |
« Elle a un rythme vraiment spé:::cial cette chanson, une chanson, je te jure, qu’elle est su::pe:::r ! » [Mkn]. |
11
(2) | la terrasse dǝrb qdīːːːm, ttǝbna f-ǝs-sǝbʕīnāt… |
la terrasse ruelle vieux, il-a-été-construit dans-les-70 | |
« La Terrasse est une vie:::lle ruelle, elle a été construite dans les années 1970… » [Casa]. |
12
(3) | ṛā-ni puːːːr maġrībi, yǝʕni d-dāriža kanəlʕǝb bī-ha bǝzzāːːːf ! |
voilà-moi pur marocain c’est-à-dire la-darija je-joue avec-elle beaucoup | |
« Je suis un pu:::r Marocain, c’est-à-dire, je sais trè:::s bien jouer avec la darija ! » [Casa]. |
13Un terme en particulier est devenu dans les années 2000 un emblème de cet allongement jeune bīxēːːːṛ « bie:::n » terme très commun mais qui selon l’intonation et le type d’allongement peut exprimer l’idée inverse. Il renvoie aussi à un slogan lancé avec autodérision en 2007 par de jeunes créateurs, comme une devise de la jeunesse : ḥmāṛ u bīxēːːːṛ « âne et heureux de l’être »9.
14L’allongement « exagéré » et expressif est un procédé qui permet également d’opérer des glissements sémantiques (voir ci-dessous 2.4). Ainsi /mqawwəd/, qui littéralement a le sens de « qui fait le proxénète »10, sans allongement expressif veut dire « nul », mais mqaːːːwwəd avec allongement opère une inversion de la polarité sémantique et axiologique, comme c’est souvent le cas pour ce type de lexies appréciatives et prend le sens de « ça tue, ça déchire » :
(4) | wāḥəd əṛ-ṛāppūṛa mqaːːːwwda smīt-ha tšayna |
un la-rappeuse top nom-sa China | |
« Une rappeuse qui déchi:::re s’appelle China » [Mkn]. |
15Dans le cas des émissions radio spéciales « jeunes », l’allongement fonctionne comme une stratégie de proximité et un emblème d’une expression jeune, comme ici le musicien Khalid Moukdar du groupe Haoussa dans l’émission Hadith wala Haraj (9 juin 2009) :
(5) | wālākin ṛāːːː le plat, il est le mêːːːme |
mais vraiment le plat, il est le même | |
« Mais bon, le plat il est (toujours) le mê:::me » [Radio Aswat]. |
16Ce phénomène d’allongement vocalique observé à l’oral se trouve transcrit par un étirement graphique dans les écrits électroniques. Comme observé pour d’autres langues (Liénard 2005), l’allongement avec une valeur expressive est extrêmement fréquent dans les écrits Facebook, que ceux-ci soient en caractères latins ou en caractères arabes :
(6) | wa skouuuuut nta lmok a l3azzi ! |
et tais-toi toi à-mère-ta eh le-nègre | |
« Feeeermes-la, ta mère, nègre ! » [Commentaire public, Facebook] |
17On le retrouve également dans les publicités, que ce soit pour les termes arabes ou français comme on le voit dans la publicité ci-dessous pour les termes bi khiiir, biiiiien et mrigliiine :
(7) Transcription et traduction du texte de l’image ci-dessus : Tconecta kif ma bghiti… w bikhiiir Partagi Tab3ouna tu-te-connectes comme tu-veux et avec-bien partagez suivez-nous « Connecte-toi comme tu veux et c’est suuuuper » Partagez Suivez-nous Khfif, Sahel w biiien Sécurisé léger facile et bien sécurisé « Léger, facile et biiiien sécurisé » M3a IE9 l-web zwine u khfif avec IE9 le-web bien et léger « Avec IE9, le web est bien et rapide » M3a IE9 u Windows 7, les sites w les applications ki tcharjaw daghia, viiite fait dakchi ! Tfarraj f-les vidéos HD 3la khatrek, pas de coupures. Même chose pour les animations, ma ki t3āttalouch. Les couleurs ki tal3ou mazyanine. Bref, les sites ki banou mriglīiin… bikhiiir ! avec IE9 et Windows 7 les sites et les applications ils-se-chargent vite viiiite fait ce-truc ! Tu- regardes les vidéos HD sur ta-guise pas de coupures. Même chose pour les animations ne ils-tardent-pas les couleurs ils-montent bien. Bref les sites ils-apparaissent sympas et bien ! « Avec IE9 et Windows 7, les sites et les applications se chargent vite, vite fait ce truc ! Tu regardes les vidéos HD à ta guise, pas de coupures. Même chose pour les animations, les couleurs s’affichent vite. Elles apparaissent nettement. Bref, les sites sont syyympas et biiiiien ! » Jarrabni Daba essaie-moi maintenant « Essaie-moi tout de suite » |
18Les allongements expressifs sont courants en arabe marocain parlé, mais ces étirements graphiques sont caractéristiques des échanges et commentaires écrits sur le web. Ils se diffusent à d’autres mondes, comme celui de la publicité, qui est à l’affut des innovations venues de la jeunesse11.
19Ces pratiques supposent d’être connecté à internet, ce qui, jusque dans les années 2011-2012, se faisait généralement dans des cybercafés. Depuis l’explosion des smartphones et les connexions disponibles dans des cafés, elles ont pu se développer en dehors des grands centres urbains et servir justement, de lien avec des jeunes plus isolés.
1.2. Pharyngalisation
20Tous les parlers arabes connaissent la présence de consonnes pharyngalisées dites emphatiques qui forment des paires minimales avec des non emphatiques (d/ḍ ; t/ṭ ; s/ṣ ; z/ ẓ). Dans les parlers marocains (Caubet, 1993), la pharyngalisation est très marquée et concerne d’autres consonnes (ḅ ; ṃ ; ṛ ; ḷ) et par contamination l’ensemble des autres consonnes (ḳ ; ṇ ; ẉ ; etc.). Dans les usages jeunes, on constate que la pharyngalisation de certains phonèmes est très présente et productive. Elle concerne plus particulièrement certaines consonnes comme /z/ > [ẓ] ; /l/ > [ḷ], etc., et provoque l’ouverture des voyelles, par exemple /i/ > [e].
21Ainsi /zwīn/, et le féminin /zwīna/, « joli, chouette, sympa » sont prononcés respectivement ẓwēṇ, ẓwēṇa, ou ẓwēwəṇ (forme diminutive).
(8) | ndīro wāḥəd-əl-qāḍīya ẓwēṇa |
nous-ferons un-l’affaire jolie | |
« On fera un truc sympa » [Casa]. |
22À Casablanca, la pharyngalisation excessive est souvent attribuée, par les gens plus âgés mais également par des jeunes d’autres quartiers, au quartier populaire de Hay Mohammadi12. Elle connote un parler sur-virilisé défini comme /qāṣḥa/ « dure ». Elle s’accompagne souvent d’un allongement vocalique ẓweːːːṇ « super ».
23Dans les écrits Facebook, l’emphatisation/pharyngalisation est parfois marquée par des majuscules, comme dans ces commentaires en réponse à un post : ZwèèèN, ZWewN « cool, top, génial, de la balle… ».
1.3. Affrication et palatalisation
24L’affrication du /t/en [tš] demeure parmi les procédés phonétiques les plus répandus dans les usages jeunes au Maroc. Comme dans le cas du français décrit par Trimaille (2010), on note un continuum de réalisations allant de la palatalisation (avec mouillure) à l’affrication. On relève également des cas de spirantisation et d’éjection. En l’absence d’étude acoustique fine, nous avons opté pour l’emploi uniformisé de [tš] pour marquer l’affrication13.
25À noter, là encore qu’il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau. Certains parlers marocains ont toujours connu l’affrication comme les parlers du nord du Maroc, où l’affrication de /t/ est à appendice sifflant [ts] ou chuintant [tš]. Ainsi, avant d’être un trait « jeune », elle était donc déjà utilisée par des locuteurs de tous âges et fortement marquée régionalement. Elle est également marquée socialement comme « populaire » quand elle est utilisée par les adultes dans une ville comme Casablanca.
26Cependant, ce trait a subi un processus de réallocation et est devenu emblématique des usages jeunes dans la mesure où on la retrouve aujourd’hui massivement aussi bien chez les filles que chez les garçons de toutes origines régionales et sociales. Il est prédominant dans les pratiques jeunes de Meknès, Tétouan, Marrakech et Casablanca.
27On trouve l’affrication de /t/ dans toutes les positions : initiale, médiane et finale.
Position initiale :
(9) | tšaygūl l-ha | « il lui dit » |
tšanǝtškǝyyfu | « on fume du kif » | |
tšǝmmāk | « là-bas » | |
tšfu | « merdea » [Mkn] | |
a. tšfu est l’onomatopée du crachat. |
28
(10) | tšatǝlqa metšalan bǝzzāf dyāl eee les termes lli tšayxǝržo metšalan mǝn la rue… |
tu-trouves par-exemple beaucoup de euh les termes qui ils-sortent par-exemple de la rue | |
« Tu trouves par exemple, beaucoup de euu de termes qui sortent, par exemple, de la rue… » [Quartier Hay Mohammadi, Casa]. |
29
(11) | tšatǝbqa l-ʔafkar hīya hādi |
elle-reste les-pensées elle celle-ci | |
« Ça reste dans le même genre d’idée » [Quartier Hay Mohammadi, Casa]. |
Position médiane :
(12) | tšanǝtškǝyyfu | « on fume du kif » |
klǝmtš-hum | « leur mots » | |
lǝ-ktšūba | « les livres » | |
qǝttšāl | « mortel » | |
t-tšānya | « la deuxième » | |
nǝttšǝgrūppāw | « on monte un groupe » [Mkn]. |
30
(13) | kātšib ǝl-ʕāmm |
écrivain-le-général | |
« secrétaire général » [Casa, auditeur intervenant sur Radio Mars, le 4 janvier 2011 pour parler du secrétaire général du club de Football Raja]. |
Dans l’exemple suivant d’un rappeur, le verbe est conjugué en code-switching :
(14) | Voilà ! motšiva, motšiva l’mouvement hip hop. |
voilà il-a-motivé il-a-motivé le-mouvement hip hop | |
« Voilà ! Ça a motivé, poussé le mouvement hip hop ! » [Quartier Hay Mohammadi, Casa]. |
Position finale :
(15) | mūtš | « mortel » |
lǝ-bnātš | « les filles » | |
kǝntš | « j’étais » | |
šǝbkātš | « ça chauffe » | |
qǝntš | « coin » | |
t-tškāfǝtš | « la masturbation » [Mkn] |
Dans cet exemple, il y a un emprunt « street » prononcé >stšriːːːtš, qui prend le sens de « urbain », tendance « punk » :
(16) | l-ḥāyāt dyāl s-stšriːːːtš |
la-vie de la-street | |
« La vie de la rue::: » [Sbata, Casa]. |
L’extrait ci-dessous illustre cette forte présence de l’affrication chez un jeune de Meknès :
(17) | gālsīn tšanətškəyyfu dīk əs-sāʕa əl-kīf b tlāta bī-na tšanətškəyyfu tšanḍəwwṛu |
assis nous-fumons cette l-heure le-kif avec trois entre-nous nous-fumons nous-faisons-tourner | |
tšanḍəwwṛu ṣāfi tšbəwwəqna b tlāta bī-na ṣāfi ṭəḷʕāt l-na ttəṣmīka kull wāḥəd u | |
nous-faisons-tourner c’est-tout nous-étions-défoncés avec trois entre-nous c’est- tout elle-est montée à-nous la-défonce tout un et | |
ʕlāyāš tšayəhḍəṛ kull wāḥəd u šnu tšaygūl u ġi tšatšəbda ši həḍṛa wāxxa ma tšatšdəḥḥək-š | |
sur-quoi il-parle tout un et quoi il-dit et seulement elle-commence une discussion même si ne elle-fait-rire-pas | |
tšanəbqāw tšanmūtu ʕlī-ha b-ǝḍ-ḍǝḥḳ ṣāfi šwīya gālsīn hakkāya u wāḥəd əṭ-ṭəyyāṛa dāba b-əl-līl u ṭəyyāṛa dāyza fhəmtšī-ni | |
nous-restons nous-mourons sur-elle par-le-rire c’est-tout un-peu assis comme-ça et un-l-avion maintenant par-le-soir et avion passant tu-comprends-moi | |
« On était en train de fumer à ce moment-là, on fumait du kif tous les trois, on fumait chacun tirait une taffe, prenait une taffe, on le faisait tourner ; bon, on était défoncé tous les trois, on était perché et chacun parlait de quelque chose, chacun disait ce qui lui passait par la tête, même si ça fait pas rire, tu te mets à en rire, après, on était assis et un avion, comme c’était la nuit, l’avion passait, tu comprends, quand il veut atterrir tu comprends tu le vois proche un peu tu me comprends? » [Mkn] |
Outre le /t/, l’affrication touche également d’autres consonnes comme [d] qui est articulé [dž] :
(18) | ǝl-ʕāːːːlām tšaydžīr ʕīsāwaa b-ǝl-mǝqlūb |
le-monde il fait aissawa par-l’envers | |
« Tout le mo:::nde pratique la sodomie ! » [Mkn]. | |
a. Aissawa : désigne la confrérie Aissawi (Meknès) et également les danseurs. C’est une danse mystique et religieuse qui se fait en groupe et en s’inclinant comme pour rappeler la prière. |
31
(19) | yāḷḷāh tʕāwədž l-na fāš kuntyi électro |
allez tu-racontes à-nous quand tu-étais électro | |
« Allez, raconte-nous la période où tu étais électro » [Casa]. |
32
(20) | bnādžəm bdža tyityɛ̃mplikya yəʕni tyižəṛṛəb |
quelqu’un a-commencé il-s’implique c’est-à-dire il-essaie | |
« On commence à s’impliquer, on essaie » [Casa]. |
33Malgré sa diffusion, l’affrication reste cependant un phénomène fluctuant qui n’apparait pas systématiquement. À Casablanca, par exemple, dans les milieux du rap, certains jeunes, ne l’utilisent pas. Ainsi, une comparaison entre neuf jeunes musiciens de Casablanca enregistrés en 2010 (B. et C. de Hay Mohammadi, H. et S. de Sbata, C. de Bournazel, N. de C.I.L, H. d’Aïn Sbaâ, M. de El Oulfa et Y. de Derb Soltan) révèle que, au moment des enregistrements, quatre d’entre eux ne l’utilisent pas du tout, trois le font modérément et deux de façon très marquée.
34Dans les grandes villes comme Casablanca ou Meknès, l’affrication est fréquemment associée à certains quartiers plus populaires et est connotée comme populaire voire vulgaire et plutôt considérée comme un trait masculin. Par contre, dans les villes du nord du pays, Tanger et Tétouan, elle est un phénomène très répandu qui caractérise ces variétés marocaines.
35Un jeune musicien du quartier de Sbata à Casablanca, qui affrique lui-même, décrit les stéréotypes associés aux locuteurs qui affriquent :
(21) | hāda šəmkār, hāda wuld əz-zənqa, ma mṛəbbī-š kayāxdu ʕlī-k nəḍṛa xāyba |
celui-ci voyou celui-ci enfant la-rue ne éduqué-pas ils-prennent sur-toi vision mauvaise | |
« Celui-là, c’est un voyou, c’est un mec de la rue, pas éduqué ; ils ont une mauvaise image de toi » [Casa]. |
36Mais cette représentation péjorative de l’affrication n’empêche pas sa diffusion. On l’entend très fréquemment dans les émissions « jeunes » des médias et ce n’est pas un trait que les locuteurs essaient de contrôler ou de masquer. L’affrication semble devenir l’un des principaux marqueurs phonologiques d’un style « jeune ».
37Voici par exemple un extrait d’un texte issu d’une petite vidéo postée sur Youtube par un collectif citoyen de jeunes (Chkandiro ? « Que faisons-nous ? », 2012) :
(22) - tšəʕṛəf ṛāṣ-ək š katšdīr ? tu-sauras tête-ta quoi tu-fais Tu sais ce que tu fais ? - katšdīr ši ḥāža f-ḥyātš-ək ? tu-fais quelque chose dans-vie-ta Tu fais quelque chose dans ta vie ? - š katšdīr ? quoi tu-fais Tu fais quoi ? - katšəmši tšəqṛa ? tu-vas tu-étudieras Tu vas étudier ? - bāš tššədd əl-bac ? pour tu-attraperas-le bac Pour passer le bac ? - bāš tšqəlləb ʕla les écoles… Pour tu-chercheras sur les écoles Pour chercher des écoles ? - bāš ma tšḍəṛb-ək-š ṃāṃā-k… pour ne elle-frappera-toi-pas maman-ta Pour que ta maman ne te frappe pas ? - bāš tšəlqa xədma pour tu-trouveras travail Pour trouver un travail ? - bāš ma tššūmər-š mʕa hādūk lli kaybānu f-əl-axḅāṛ ? pour ne tu-chômeras-pas avec ceux qui ils-paraîtront dans-les-infos Pour que tu ne chômes pas comme ceux qu’on voit aux infos ? [Youtube]. |
38Un autre procédé phonétique courant est la palatalisation, par exemple de /t/ en /ty/ et de /k/ en [ky]. Elle touche également les emprunts :
(23) | tatyinspira mən ʕənd ši wāḥəd, bḥāl ʔila tatyšṛəb, tatyšṛəb, tyatyəmši tyatyšūf ši MC lli tyiʕžb-ək |
tu-t’inspires de chez chose-un, comme sauf tu-bois, tu-bois, tu-vas tu-vois chose MC qui plaît-toi | |
« Tu t’inspires de quelqu’un, comme si tu t’imbibes, tu t’imbibes, tu vas voir un MC qui te plaît » [Hay Mohammadi, Casa]. |
39
(24) | fīnma tyykūn ši festival kbīr, tyyʕəyyṭu ʕlī-hum, fīnma tyykūn, yəʕni, ṣāfi, bnādəm, yəʕni tyirappi, tyirappi, tyirappi, tyxəṣṣ hi lə-flūs, tyirappi (…) |
où elle-est chose festival grand, ils-appellent sur-eux, où elle-est, c'est-à-dire, clair, humain, c'est-à-dire tu-rappes, tu-rappes, tu-rappes, il-faut seulement de l-argent, tu-rappes | |
« Chaque fois qu’il y a un grand festival, ils les appellent, où qu’il soit, c’est bon pour les gens, c’est-à-dire, il rappe, il rappe, il rappe, il leur faut seulement de l’argent, il rappe sans problème… » [Quartier Darb Soltan, Casa]. |
1.4. « L’accent » jeune
40L’importance des facteurs prosodiques dans la caractérisation des pratiques jeunes en France est depuis longtemps pointée dans les travaux et a donné lieu à des études prosodiques fines (Binisti & Gasquet Cyrus, 2003 ; Lehka-Lemarchand, 2007 & 2015 ; Paternostro, 2015). Cependant la notion d’« accent jeune » reste une construction problématique très sujette à des représentations stéréotypées comme dans le cas de « l’accent de banlieue » (Candea, 2017). Au Maroc, à notre connaissance, aucune étude prosodique des usages jeunes n’a été faite et ce domaine reste à explorer.
41On peut cependant avancer que les traits présentés ci-dessus – l’allongement, la pharyngalisation, l’affrication et la palatalisation – participent à caractériser un « accent » particulier qui indexe « l’usage jeune ». Certains jeunes considèrent que c’est bien la particularité de chaque « accent » qui distinguera les jeunes d’un quartier ou les membres d’un groupe :
(25) | īla ža bnādǝm mǝn Ḥay Moḥammadi, ġādi tǝsmǝʕ déjà l’accent katkūn f-škǝl, katkūn wāḥəd-l’accent f-škāːːːl |
si il-est-venu quelqu’un de Hay Mohammadi aller tu-entendras déjà l’accent elle-est dans-forme elle-est un-l’accent dans-forme | |
« Si quelqu’un vient de Hay Mohammadi, tu vas entendre déjà que l’accent est différent, c’est un accent très spé:::cial » [Quartier CIL, Casa]. |
42Quelles que soient les caractéristiques mélodiques de « l’accent jeune » au Maroc, nous opterons pour l’idée de R. Paternostro et J.-P. Goldman (2014) selon laquelle l’intonation jeune est une affaire de « proximité » sociale (Paternostro, 2013), une proximité en interaction qui est véhiculée par le désir de connivence et de partage. Quand les jeunes sont en sécurité entre eux, on constate un mimétisme de cet accent parce que c’est important qu’il pérennise « l’engagement des interlocuteurs dans l’interaction » (Paternostro & Goldman, 2014, p. 258), dans la mesure où enfreindre cette loi de proximité et ne pas partager les mêmes normes, c’est briser cette symbiose entre les pairs. C’est ce qui pourrait expliquer l’exagération dans l’expressivité de l’accent jeune et également les autres caractéristiques phonologiques décrites ci-dessus.
2. Caractéristiques morpho-lexicales
43Le lexique est souvent considéré comme le niveau du système le plus concerné par les particularités des « parlers jeunes » et fait l’objet de nombreux glossaires ou lexiques comme l’ouvrage de J.-P. Goudailler (1997) pour la France. Comme le souligne C. Trimaille (2004a), la plupart de ces items lexicaux sont issus d’une tradition argotologique et tendent à se focaliser sur le caractère déviant des usages jeunes. Ce phénomène se retrouve dans le monde arabe, comme en Égypte où un glossaire sur les parlers jeunes a été publié en arabe dans les années 1997 (Rizk, 2007). Au Maroc, un glossaire des « 50 mots de la Nayda »14, en graphie arabe, a d’abord été publié dans un journal et a ensuite circulé à la fin des années 2000 sur internet15.
44Cependant, la dimension lexicale reste incontournable lorsque l’on décrit les usages jeunes et se caractérise par un certain nombre de dynamiques qui, sans être totalement spécifiques à la jeunesse, contribuent à leur identification grâce à sa diffusion dans différents contextes urbains du pays.
45Plusieurs procédés touchant le lexique sont opérants dans les usages jeunes au Maroc. On retrouve ainsi la plupart des procédés récurrents dans différents usages jeunes décrits de par le monde : changement de catégories grammaticales, profusion d’appréciatifs/dépréciatifs, troncation, création de nouvelles formes par dérivation, glissement sémantique, métaphore, métonymie. Autre caractéristique remarquable, la remise « au goût du jour » (Lamizet, 2004) de termes anciens ; plusieurs termes emblématiques des années 2000 proviennent d’un lexique commun ancien tombé en désuétude dans l’usage courant. Ils sont réactualisés avec de nouvelles significations (voir glissement sémantique et termes d’adresse). L’emprunt et le code-switching y sont également très présents, du fait du plurilinguisme qui prévaut au Maroc.
46Signalons cependant, qu’à l’inverse d’autres régions du monde (voir par exemple Kießling & Mous (2004) pour des exemples en Afrique, Manfredi (2010) pour le Soudan), certains procédés comme la troncation, la méthatèse de type verlan, l’ajout de suffixes/préfixes de type javanais sont peu répandus, ou en tout cas loin d’être généralisés, alors qu’ils étaient bien attestés dans les anciens argots et parlers secrets marocains connus sous le nom de ġawṣ (Berjaoui, 2007 ; Pianel, 1950 ; Youssi, 1993 ; voir ci-dessous en 4).
2.1. Changement de catégories grammaticales : le cas des appréciatifs/dépréciatifs
47Le changement de catégorie grammaticale est extrêmement fréquent et se retrouve dans toutes les villes enquétées. Dans la plupart des cas, ces changements de catégorie grammaticale impliquent un glissement sémantique permettant de créer des appréciatifs/dépréciatifs à forte valeur expressive.
48Les appréciatifs ou dépréciatifs de type « super, génial, d’la bombe, d’la balle, classe, nul, etc. » sont formés à partir de substantifs, adjectifs, adverbes, quantificateurs, de termes existants en arabe marocain. Outre le substantif mūt « mort » qui donne, avec une gémination et/ou une emphatisation, ou une labio-vélarisation du /m/ : mmūt, ṃo:t, ṃṃwət « trop, trop fort, mortel », les appréciatifs/dépréciatifs les plus fréquents dans nos corpus sont formés à partir de lūz « amande », stīl « style », ẓāẓ « chic », wāʕəṛ « méchant », ṣḍāʕ « bruit gênant », l-ʕəzz « la gloire », mqawwəd « litt. proxénète > nul16 », mqaːːːwwəd « génial », ḥāḍəṛ « présent » ; ʕālāːːːm « monde », etc. :
49moot optimist/mort optimiste/« à mort optimiste » ; m-mūt bīxēr/la-mort avec-bien/« ça va super bien », ṣāṭa lūz/nana amande/« super nana », nana stīl/nana style/« super nana » ; əd-drāri ẓāẓ /les-mecs chic/« les super mecs » ; ẓāẓ lūz/chic amande/« hyper bien » ; titr ḥāḍəṛ/morceau présent/« super morceau de musique » ; nhāṛ mqawwəd/jour nul/« journée d’enfer ».
(26) | wāyli hūwa hāda lli ġa yži, mmūtš |
waouh il ce qui il-va il-vient mort | |
Wow, c’est celui qui va venir, c’est trop fort ! [Mkn]. |
50
(27) | dāk əš-ši zwīːːːn wāʕəṛ |
ceci-la-chose beau génial | |
« C’est beau:::, c’est génial » [Mkn]. |
51
(28) | ət-təbwīqa dyāl l-kīf ʕālāːːːma |
la-défonce de le-kif monde | |
« La défonce du kif, c’est un truc d’enfe:::r ! » [Mkn]. | |
a. Le mot ʕālām signifie « monde ». Si le mot est un substantif défini l-ʕālām, il signifie « tout le monde ». S’il apparaît sans l’article l-, il joue le rôle d’appréciatif connotant l’émerveillement « génial, super » ; il est alors prononcé différemment avec allongement de la seconde syllabe (ʕālāːːːm). |
52
(29) | wəḷḷāhi la ʕālāːːːm hād-əl-ləḥḍa hādi ma ʕəmməṛ ttənsa l-i mən dmāġ-i |
Dieu que monde ce-l-instant celle-ci ne jamais elle-s’oublie à-moi de cerveau-mon | |
« Wow que c’est géant ce moment, jamais je l’oublierai » [Mkn]. |
53
(30) | yo 3andi wahed lkhabare mkawed ldrary li taybghiwe “block10” |
yo chez-moi un la-nouvelle géniale pour-les-jeunes qui ils-aiment Block 10 | |
« Yo ! J’ai une super nouvelle pour les jeunes qui aiment le Block 10a » [écrit Facebook]. | |
a. Block 10 ; rencontre mensuelle créée en 2011 pour les jeunes rappeurs qui font des freestyles au Boul’Tek, centre de musiques actuelles de Casablanca. |
54
(31) | Compité Dazt Motttt |
compétition elle-s’est-passée mort | |
« La compétition a été mortelle » [écrit Facebook]. |
55
(32) | ouuuuuuuuuuf l3az bik a sat instru sda3 ^^ merci bZaf |
Ouf bravo à-toi eh mec instru bruit merci beaucoup | |
« Ouf, Bravo à toi, mec, l’instru est géniale, merci beaucoup » [écrit Facebook]. |
56
(33) | w l-wālīdī-na kāmlīn ṃṃət |
et à-parents-nos tous mort | |
« Et (on salue) tous nos parents très forts ! » [Fez City Clan sur émission télé 2M Korsa, 22/7/2009]. |
57Parmi les appréciatifs/dépréciatifs on trouve également des termes sexuels dont le plus courant est zəbb « pénis, bite » utilisée aussi bien par les filles17 que par les garçons18, avec une connotation péjorative. On trouve des constructions analytiques avec la particule d :
(34) | kəmmēra d-ǝz-zǝbb |
tronche de-la-bite | |
« Une personne trop moche » [Ttn]. |
58
(35) | šūf l-ʕāyla d-ǝz-zǝbb |
regarde la-fille de-la-bite | |
« Regarde la sale pute » [Ttn]. |
Mais également la construction synthétique ou « état construit » :
(36) | ḥmāq ǝz-zǝbb |
stupide-la-bite | |
« Con comme une bite » [Ttn]. |
59
(37) | ma bqa fī-ha la ixwān la zǝbb-i |
ne reste dans-elle ni voile ni bite-ma | |
« Je ne supporte plus ce voile de merde » [Mkn]. |
60
(38) | nti xāṛəž lī-k zəbb f-ṛās-ək |
toi sortant à-toi bite dans-tête-ta | |
« Tu es bébête, débile » [Mkn]. |
61On trouve également quelques termes provenant de l’arabe standard et prononcés selon les règles phonétiques de l’arabe standard, très souvent utilisés par les jeunes à des fins humoristiques et ironiques (Ziamari, 2007, p. 277). Le plus fréquent est ṛōžūla, (prononcé ṛožla en darija) « la virilité » qui a glissé vers la notion de « très bien, remarquable, honorable », avec aussi l’idée de dignité. On utilise également le substantif ṛāžəl « homme » comme qualificatif avec l’idée de « quelqu’un ou quelque chose de très bien, remarquable ». Tous deux peuvent qualifier les inanimés, les animés ou les évènements. Cet usage vient probablement d’une expression en arabe standard marocanisée (əṛ-ṛōžūla mundu ṭ-ṭofūla « la virilité depuis l’enfance »), partagée dans les milieux populaires, dont on ne conserverait que le premier terme, ṛōžūla. Il est très utilisé à l’oral et dans les écrits Facebook (sous la forme rojola) :
(39) | hād lə-klīka katdīr ši ḅḷānāt ṛōžūːːːla |
cette la-clique elle-fait chose plans-virilité | |
« Cette clique fait des plans remarqua:::bles » [Mkn]. |
62
(40) | dāk š-ši əl-kāẓāwi mfərwəḥ lli məʕṛūfa b-əṣ-ṣwāb, b-ən-nwīṭāṭ hīya məknās b-əṛ-ṛōžūla |
ce la-chose le-casablancais fou qui connue par-le tact avec-des notes elle meknès avec-la-virilité | |
« Tout ce qui est casablancais est démesuré, c’est Meknès qui est connue par son tact, ses mots sans aucun doute » [Mkn]. |
63
(41) | chti hadik lbent rojola dyal bs7 |
tu-as-vu cette la-fille virilité de avec-la-vérité | |
« Tu vois, cette fille, elle est vraiment capable et courageuse [on peut compter sur elle] ! » [écrit Facebook]. |
64
(42) | Drari Chi Jaime Hnaya B rojola Hir 25Sec Mn wa9téK |
les-jeunes chose j’aime ici avec-virilité seulement 25 secondes de temps-ton | |
« Les amis, un petit « j’aime » ici, soyez braves, ça ne prendra que 25 secondes de votre temps » [écrit Facebook]. |
On peut l’utiliser également comme terme d’adresse (cf. 3.) :
(43) | Fin a rojola ? |
Où eh virilité | |
« Ça va mon (vrai) pote ? » [écrit Facebook]. |
Pour souhaiter l’anniversaire d’un ami :
(44) | Happy birthday rojola ! |
« Happy birthday frère / l’ami ! » [écrit Facebook]. |
65Une autre expression empruntée de l’arabe standard fréquente et spécialement jeune est : əl-ḥāyāt əs-saʕīda « la vie belle, la belle vie » :
(45) | ʕṭī-hum ġi vierge hādīk hīya əl-ḥāyāt əs-saʕīda |
donne-leur seulement vierge celle-ci elle la-vie la-belle | |
« Tu leur donnes une vierge à baiser, c’est le top » [Mkn]. |
66On trouve enfin des appréciatifs construits sur des emprunts comme flip « super » (du français flippe, flipper) ; məstūni, « super, branché » participe dénominatif formé à partir de l’emprunt à l’anglais stoned, passé par le français « stone » qui a donné stūn ; ce substantif est utilisé pour dire « un truc, un machin » (voir ci-dessous).
67Par exemple, mstouni en commentaire d’un post sur Facebook est un appréciatif très positif : « trop cool, d’enfer, de la balle ! » :
(46) | Dakchi mstouni |
ce-la-chose stone | |
« C’est d’enfer, ce truc ! » [écrit Facebook]. |
2.2. Troncation
68Loin d’être dominante, la troncation se pratique cependant dans certains quartiers de certaines villes. Elle a été relevée à Marrakech, Tétouan et Casablanca et plus rarement à Meknès.
(47) | kull ši bīx[īr] ? |
tout chose avec-bien | |
« Tout va bien ? » [Mrk]. |
69
(48) | fīn mšīti gbī[la] ? |
où tu-es-allé avant | |
« Où es-tu allé tout à l’heure ? » [Casa]. |
70
(49) | žməʕ ṛāṣ[ək] ! |
rassemble tête-ta | |
« Allez oust ! » [Mrk]. |
71La troncation peut provoquer le maintien en position finale d’une voyelle longue, un phénomène inhabituel en arabe marocain : mdī (= mdīna) « ville », dā (= ḍāṛ) « maison » [quartier La Terrasse, Casa].
72Dans le quartier de la Terrasse à Casablanca, nous avons relevé l’usage de la troncation dans un but cryptique ou identitaire fort, comme l’exprime un jeune interviewé : ma kankəmmlu-š lə-klām « nous ne finissons pas les mots ». L’extrait ci-dessous illustre cette fonction :
(50) | - bġīt nsuwwl-ək xū-ya Ḥam(za), wāš ġādi l-l-mdī(na) ? |
j-ai-voulu je-demanderai-toi frère-mon Ham est-ce-que allant à-la-ville | |
« Je voulais te demander mon frère Hamza-est-ce-que-tu vas en ville ? » | |
- la, ġādi l-d-dā(ṛ) ! nəmši nərtā(ḥ) ! | |
non allant à-la-maison ! j-irai je-me-reposerai | |
« Non je vais à la maison ! Je vais me reposer » | |
- yāḷḷāh nḍǝṛbu ši ḍwī(ṛa), zəʕma bī-ni u bī(n-ək) f-əṭ-ṭōno(bil) nətbərrdu šwī(ya), nṛəž(ʕu) mən bəʕ(d), təmši l-əd-dā(ṛ)tərtā(ḥ), b-əz-zəṛ(ba) ! | |
Allez nous-frapperons un tour (diminutif) c’est-à-dire entre-moi et entre-toi dans-la-voiture on-se-refroidit un-peu, nous-rentrerons après tu-iras à-la-maison tu-te reposeras avec-la-vitesse | |
« Allez, on se tape un petit tour, tous les deux en voiture pour se rafraîchir un peu, on rentre ensuite ? Tu vas à la maison te reposer vite fait ? » [La Terrasse, Casa] |
73On retrouve ce procédé dans certains titres ou textes de rap comme dans la chanson māši moš(kil) « y’a pas de problèmes » du rappeur Bigg.
74La troncation est également présente dans les écrits Facebook en caractères latins ou arabes :
(51) | LIL JAMI3 - DAKHLA FA(BOR) ! |
« Pour tous entrée gratos ! » |
2.3. Dérivation
75Parmi les procédés de création, la dérivation est productive dans les pratiques des jeunes qui utilisent les schèmes de dérivation à l’œuvre en arabe marocain. Rappelons qu’en arabe une forme simple peut donner lieu à de nombreuses formes dérivées par ajout de consonnes ou voyelles. Ainsi à partir d’une forme {fʕl} on peut dériver des formes {fәʕʕәl}, {fәʕʕūl}, {fәʕli}, {mәfʕәl}, etc. De nouvelles formes sont ainsi créées, provoquant souvent des changements ou des nuances de sens.
76Un schème très productif en arabe marocain est le schème verbal {fәʕʕәl} « faire faire », de deuxième forme à valeur intensive, qui permet entre autres de créer des formes verbales factitives et transitives. On trouve plusieurs verbes dénominatifs, de type {fәʕʕәl} créés sur des bases nominales comme :
(52) | zāmәl « homosexuel » > zәmmәl « déranger vivement quelqu’un » [Mkn] |
faxḍa « cuisse » > faxxәḍ « se toucher », ka-nfaxxḍu « nous nous touchons » [Ttn] |
77On trouve également des formes verbales dénominatives formées à partir d’emprunts au français ou à l’anglais et construites sur le schème de la cinquième forme {tfәʕʕәl} ou avec la préfixation d’un t- qui donne une valeur endocentrique ou de réciprocité :
(53) | mezzīka « musique » > t-məzzəka « écouter de la musique » [Mkn] |
frīstāyl « freestyle » > nǝ-t-frīstā(y)lāw « on fait du free style » [Mkn] | |
grūp « groupe de musique » > nǝ-t-grūppāw « on forme un groupe de musique » [Mkn] | |
kūmḅa « combat (français) » > t-kūmḅa « se combattre » [Mrk] | |
kūnīksyon « connexion » > t-kūnīkta « se connecter » [Mrk] | |
a. Ce verbe peut signifier dans certains contextes « ne pas accorder d’importance » : ma nətməzzək l-u š (je le snobe, je l’ignore). |
78
(54) | bāš nǝtkūnīktāw tāni mʕa d-dǝrrīyāt |
Afin nous-nous-connectons autre avec les-filles | |
« Pour qu’on entre en contact avec les filles » [Mrk] |
79
(55) | nǝtkūmḅāw ši šwīya |
nous-nous-combattons chose un-peu | |
« On se bagarre un peu » [Mrk] |
80Les mots formés sur le schème {fāʕel} (participe actif) peuvent donner des schèmes {mfəʕʕəl} ou {fəʕlāwi} apportant ou non un changement de sens :
(56) | qādəṛ « capable » > mgəddər « musclé »a [Mkn] |
xāṣəṛ « qui a un comportement désagréable, délinquant » > xəṣṛāwi « délinquant » [Mkn] | |
a. Le passage de /q/ en /g/ reflète une variation entre une variable plus urbaine ou plus lettrée et une variable plus rurale/populaire. mqəddər prononcé avec /q/ signifie « destiné » vs avec /g/ mgəddər « musclé ». |
81Les shèmes {CāCūCi} (nābūbi) et {CǝCCūC} (dǝʕdūʕ) comme dans xaybūʕ et dǝʕdūʕ ci-dessous sont employés pour souligner le trait particulièrement négatif et dépréciatif du mot :
(57) | nāb « dent incisive, métonymie de bavardage » > nābūbi « blablas, propos futiles » |
mdəʕdəʕ « faible » > dəʕdūʕ « qui a une voix horrible, moche » [Mkn] | |
xāyəb « laid » > xaybūʕ/xaybūʕa « laid/laide » [Mkn] |
82
(58) | ʔīla kān bōgōṣ tšaḍḍūṛi b əs-sīf ʕlī-k ʔīla kān dəʕdūʕ ma tšaddūṛi-š |
si il-était beau-gosse tu-te-tournes avec l-épée sur-toi si il-était moche ne te-tournes-pas | |
« Si un beau gosse [te drague] tu acceptes malgré toi, si le gars est laid comme un pou tu traces » [Mkn] |
83La dérivation qәṭṭ « chat » donne l’adverbe qәṭṭi « en flagrant délit » :
(59) | ʕәnd-i wāhәd ət-təṣwīra dyāl-u mṣəwwṛā-h qәṭṭi |
chez-moi un-la-photo de-lui photographié-lui en-flagrant-délit | |
« J’ai une photo de lui, je l’ai pris en flagrant délit » [Mkn] |
84L’exemple de dérivation mfəškəl (f. mfəškla) se fait sur la base du syntagme prépositionnel f-škəl (litt. dans forme) « différent, spécial », qui génère un participe sur la base d’un verbe dénominatif ; il s’agit là d’une création à effet comique pour signifier un degré plus avancé que « différent et spécial ». Le syntagme prépositionnel f-škəl est géré comme s’il s’agissait d’un quadrilitère de racine {fškl}.
(60) | C’est au delà des “wdnine”. Ouahed La sensation Mfechkla |
C’est au delà des oreilles… un la sensation différente | |
« Ça dépasse ce qu’on peut entendre, une sensation spéciale » [écrit Facebook]. |
2.4. Le glissement sémantique
85Le glissement sémantique est une technique très productive au Maroc et joue une fonction expressive importante (voir aussi les appréciatifs et les termes d’adresse). À noter que plusieurs termes empruntés à une darija « ancienne » et parfois désuète sont devenus des termes emblématiques de l’usage jeune marocain des années 2000 après avoir subi un glissement sémantique. Nous donnons ici quelques exemples en prenant le dictionnaire Colin (première moitié du xxe siècle) comme référence à cette évolution sémantique.
86itūb ʕlī-k (tāb/ytūb) : dans le dictionnaire Colin19, le mot a une connotation religieuse, « se repentir d’avoir péché, s’amender… ; renoncer à un vice ou une pratique malhonnête », avec l’expression ḷḷāh itūb ʕlī-k « Puisse Dieu t’inspirer le repentir de ta mauvaise conduite ». Dans le « parler jeune », ce mot emblématique a pris le sens, selon le contexte, de « super, bravo, merci ou cool » :
(61) | itūb ʕlī-k |
super sur-toi | |
« Super » [Mkn]. |
87
(62) | itūːːːb xū-ya |
super frère-moi | |
« Su:::per, mon frère » [Casa]. |
88
(63) | šārāf kbīr lī-na ! itūb, l-ʕəzz, l-ʕəzz ! |
honneur grand pour-nous super, génial génial | |
« C’est un grand honneur pour nous super génial » [émission Art Mag, Médina FM, 23/02/2012]. |
89dәmdūma (mdəmdəm/mdəmdmīn) : littéralement et selon le dictionnaire Colin20, le mot veut dire : « 1. Gros nuage noir. 2. Masse sombre et indistincte (aperçue confusément dans le lointain ou dans l’obscurité) ». C’est sans doute l’idée de masse grossière qui a amené à l’utiliser pour traiter quelqu’un d’idiot et de stupide :
(64) | tatʕṛaf hād əd-dəmdūma ? |
tu-connais ce l-idiot | |
« Tu connais cet idiot ? » [Mrk]. |
90
(65) | ǝṭ-ṭanžāwīyīn w š-šāmālīyīn mdəmdmīːːːn hādūk ʕāwtšāni f škǝːːːl |
les-tangérois et les-nordistes idiots ceux-là encore dans forme | |
« Les Tangérois et ceux du nord sont idio:::ts et encore très spé:::ciaux » [Mkn]. |
91nhәm/yənhəm : nhәm ʕla Y,dans le dictionnaire Colin veut dire21 : « toussoter légèrement pour attirer, éveiller l’attention de Y. ». Dans le contexte jeune, cela veut dire « draguer, séduire ou provoquer » :
(66) | šəftši bəntš ʕāːːːyqa bġīti tšənhəm ʕlī-ha šnu tšgūl l-ha ? |
tu-as-vu fille frimeuse tu-veux tu-attires sur-elle quoi tu-dis à-elle. | |
« Tu vois une fille frimeuse qu’est-ce que tu lui dis pour la séduire ?» [Mkn]. |
92Voici quelques autres exemples de glissement sémantiques : twəṛṛəq dérivé de wəṛṛəq « graisser, lubrifier » signifie dans les usages jeunes « griller quelqu’un » et à l’imperfectif kayətwəṛṛəq « qui n’a pas froid aux yeux ».
(67) | šətti dāba fhəmtši xxūtš ši ma xəṣṣ ywəṛṛəq-ši fhəmtšī-ni nti bġīti twəṛṛqī-ha qəddām xət-ha |
tu-as-vu maintenant tu-as-compris sœurs quelque ne devoir il-grille-pas tu-compris-moi toi tu-as-voulu-elle tu-grille-elle devant sœur-sa | |
« Tu as vu tu as compris, ce sont deux sœurs, aucune ne doit griller l’autre » [Mkn]. |
93
(68) | hādi sǝwwlī-ha lli bgīti, hāːːːnya, ma tatwəṛṛəq-š |
celle-ci demande-elle que tu-veux tranquille ne elle-a-honte-pas | |
« Celle-là tu peux lui poser n’importe quelle question, tra:::nquille, elle n’a pas honte » [Mkn]. |
94Pour exprimer la notion de « va-t’en, casse-toi, dégage, on se tire » on trouve ainsi plusieurs glissements comme šrī-h « achète-le » > « va-t’en » et thəlla « prends soin de » > « va-t’en ». L’expression thəlla ou thəlla f-ṛāṣ-ək est utilisée par tous comme une salutation attentionnée avec le sens de « porte toi bien, prends garde à toi ». La nouveauté vient du fait qu’il s’agit de prendre congé sans ménagement et entre pairs. On trouve aussi : tlāḥ (litt. « être jeté ») « on se jette, on se tire » > « salut ».
(69) | tlāḥ a l-ʕawd |
tu-jettes eh le-cheval | |
« Salut, mec » [Casa]. |
95
(70) | ana ghadi netla7e a lundi safi |
moi allant moi-jeter à lundi c’est-bon | |
« Je dois partir, à lundi, c’est bon » [écrit Facebook]. |
De nombreux glissements sémantiques relèvent de l’image et la métaphore.
2.5. Expressions : images, métaphores et comparaison
96C’est parmi les procédés de création lexicale les plus productifs ; le style s’exprime dans ces images et expressions, incluant celles basées sur des rimes (cf. 3.2). Comme souvent, ces expressions et métaphores sont particulièrement productives autour des champs sémantiques de la laideur, la beauté, la drogue, la défonce, l’argent, etc.
2.5.1. Images relatives au domaine de la drogue
97Les images relatives à la consommation de drogue sont fréquentes. Les jeunes utilisent à titre d’exemple des métonymies comme
(71) | ṭṛīyəfa « petit bout » > « morceau de haschich » [Ttn]. |
kəḥla « noire » > « cocaïne de mauvaise qualité » [Ttn]. | |
bayṭab« blanche » > « cocaïne de bonne qualité » [Ttn]. | |
fī-ya l-mono (calque de l’espagnol tengo el mono « j’ai le singe ») > « être en manque » [Ttn]. | |
fī-ya l-qǝrda (calque de l’espagnol tengo el mono « j’ai le singe ») > « être en manque » [Ttn]. | |
fī-ya l-gōrīla (« j’ai le gorille ») > « je suis en un grand manque » [Ttn]. On augmente la taille du singe pour exprimer le grand manque. | |
əṭ-ṭīyāṛa « l’avion »c > « la défonce, la drogue » [Mkn et Ttn]. | |
mǝrfūʕ « soulevé » > « défoncé, perché » [Mkn]. | |
mšǝttǝt « dispersé » > « éclaté à cause d’une consommation de drogue » [Mkn]. | |
krəf « ligoter, serrer » > « se débarrasser d’un produit non légal (shit) en le vendant à des novices » [Mrk]. | |
tbǝwwǝq, tṣǝmmǝk, nžīb l pila, ət-tilt, l-ko « être décalqué, défoncé, shooté » [Mkn]. | |
a. ṭṛīyǝf dans certains emplois métonymiques signifie « un petit morceau > une belle nana ». b. À noter la prononciation propre aux parlers du nord du Maroc pour bayḍa. c. Connotant ici le vertige. |
98L’extrait ci-dessous illustre les usages en situation de ces termes liés à la drogue :
(72) | - ʔaḥsan təbwīqa ? |
meilleure défonce | |
« La meilleure défonce ? » | |
- hīya l-məʕžūn ma ʕəmməṛ ma šəddātš-ni ši ṭīyāṛa f-škəl hǝttša ntšāʕ əl-məʕžūn a xū-ya ʔawwəl məṛṛa klīt-u mšīna āna u wəld ʕəmtš-i žəbna gəṛṣa ʕqəltši nhāṛ kənt mṭāyəf mʕa l-ʕẓəkṛi ntūma tšatškəbbtšu ṣ-ṣəʕṛa w āna yəṣḥāb l-i ġi tšatšḍəḥku u kull ši ġi ṣġīwǝṛ ṣāfi təṣṃīka ūf | |
elle le-maâjoun ne jamais ne elle-a pris-moi quelque avion dans-forme jusque de le-maâjoun eh frère-mon premier fois j’ai-mangé-lui nous-sommes-allés moi et fils tante-moi nous-avons-ramené galette galette tu-te-souviens jour j-étais me-disputant avec le-soldat vous vous-bagarrez la-rage et moi je-crois à-moi seulement vous-rigolez et tout-chose quelque seulement petit c’est-tout défonce ouf | |
« C’est le maâjun, jamais je n’ai été décalqué d’une manière aussi spéciale, le maâjun mon frère la première fois que j’en ai pris, on est allé moi et mon cousin, on a apporté gersa (galette), tu te souviens le jour où tu te bagarrais avec le militaire, ça chauffait entre vous et moi je pensais que vous rigoliez, je voyais tout petit bon c’était une défonce de ouf ». | |
- šnu təṣṃīka ūf ? | |
quoi défonce ouf | |
« C’est quoi la défonce de ouf ? ». | |
- əṭ-ṭīyāṛa l-ləxṛa, ṣāfi tšāklu mʕa ātāy sxūn, tlātīn dqīqa, tšatbān ǝl-ḥāqīqa | |
l-avion l-autre plus pure tu-manges-le avec le-thé chaud trente minute elle-apparaît la-vérité | |
« La pure défonce tu la prends avec du thé chaud et en trente minutes, la vérité apparaît » [Mkn]. |
2.5.2. Images relatives à la beauté ou la laideur
99Les métaphores autour de la beauté ou de la laideur sont extrêmement présentes dans les corpus recueillis :
(73) | kūmīṛa « baguette » > « un garçon très maigre et laid » [Mkn et Ttn]. |
kūkrīya « coquelet » > « jolie nana » [Mrk]. | |
fīlmd-əl-xəlʕa « un film d’horreur » > « trop moche » [Mkn]. |
100Pour parler de la beauté d’une femme, de nombreuses métaphores sont utilisées comme qənbūla « bombe », qəṛṭāṣa « balle », lūza « amande », zbīda « beurre (diminutif) », etc.
(74) | kāyna kūkrīya ždīda f-əl-mǝdṛāsa |
il-y-a coquelet nouvelle dans-la-école | |
« Il y a un nouveau coquelet (une belle nana, une proie nouvellement arrivée) à l’école » [Mrk]. |
101
(75) | fīlm d-əl-xəlʕa wāqəf ḥdā-k |
film de-l-horreur debout à-côté-toi | |
« Elle est trop moche » [Mkn]. |
102
(76) | hād əs-sāṭa qəṛṭāːːːṣa ā ṣāḥb-i |
cette la-nana balle eh pote-mon | |
« Cette fille est un cano:::n mon pote » [Mkn]. |
103
(77) | mʕa-na wāḥəd xītš-i f-l’école, wa dərdāːːːg ! la façon bāš tšatšəmši seːːːksi ! |
avec-nous un petite-sœur-ma dans-l’école et gro:::s cul ! La façon pour elle-marche se:::xy ! | |
« On a une nana à l’école, wow le gros cul ! La façon dont elle marche c’est seeexy ! » [Mkn]. |
2.5.3. La sexualité
104Pour parler de la sexualité de façon quasi cryptée, on utilise des métaphores comme :
(78) | fi-ha l-ḥāla « elle a l’état » > « elle est en manque » [Mkn]. |
fi-h l-qāləb « il a le moule » > « homo masculin » [Mkn]. | |
ṭāyəb « il a mûri comme un fruit » > « être sexuellement excité » [Mkn]. | |
ʕṣəkṛi ṭāyəb « soldat mûr » > « il est super excité » [Mkn]. | |
tkāl « être mangé » > « avoir un rapport sexuel » [Mrk et Mkn]. | |
dəllāḥa « pastèque » > « fesses d’une fille » [Mrk]. | |
qǝzzība « queue d’un animal » > « fesses d’une fille » [Mrk et Mkn]. | |
nta sanka (5 doigts) < de l’espagnol cinco « masturbation masculine » [Mkn et Ttn]. |
2.6. Emprunts
105La dimension plurilingue des usages jeunes a été souvent signalée, que ce soit dans des pays connus pour leur plurilinguisme ou dans contextes urbains marqués par la présence de communautés migrantes22. Au Maroc et dans les enclaves espagnoles, le code-switching arabe marocain-français (Ziamari, 2007) ou arabe marocain-espagnol (Vicente, 2005, pour Ceuta) ainsi que l’emprunt sont des phénomènes très répandus, liés à la place importante qu’occupent les anciennes langues coloniales sur le « marché linguistique » du pays. De nombreux technolectes comme ceux de la mécanique, du football, etc., fourmillent de termes français et espagnols (Biedma, 1998 ; Lévy, 1995 ; Messaoudi, 2002). Ce n’est donc pas une spécificité des pratiques jeunes au Maroc et il apparait important de distinguer « l’emprunt jeune » de l’usage plus commun. Une des caractéristiques de cet « emprunt jeune » est la diffusion de termes nouveaux, dont beaucoup relèvent du lexique du rap popularisé par les jeunes musiciens via les médias ainsi que de termes issus du lexique de l’informatique et de la téléphonie mobile. Beaucoup de ces emprunts subissent un glissement sémantique.
106Voici quelques exemples d’emprunts « jeunes » dans le vocabulaire de la drague, la drogue et la musique :
- tītīz (collectif) « beauté masculine ou féminine, beau mec ou belle nana », ce terme emblématique qui a été popularisé par une chanson du groupe H-Kayne de Meknès provient du mot espagnol las titis23 « les nanas » et était fréquent à l’origine dans le nord du Maroc (Tétouan) avant de s’être diffusé à partir des années 2002-2003 dans toutes les grandes villes marocaines. tītīz à Casablanca et à Tétouan ne désigne que les filles, comme en espagnol. À Meknès le collectif tītīz désigne les filles et les garçons mais on note la diffusion de la forme tītīz-a (avec le suffixe -a(t) qui sert à former le nom d’unité féminin à partir d’un collectif) pour spécifier « une fille, une nana ».
- bōgōṣ « un beau mec » (du français beau gosse) s’est vu créer un féminin, bōgōṣa « une belle nana », qui a donné un verbe tboggəṣ « se faire beau » et un substantif tbōgīṣā « la bogosse-attitude » ou « bogossitude » selon la traduction faite par Jamel Debbouze.
- stūn du français « stone » (< anglais stoned) « défoncé, shooté, bourré », emprunt lié à la consommation de drogue, a pris le sens de « truc » :
(79) | wqəʕ lī-na ši stūn, āna u Kārīm |
il-est-arrivé à-nous quelque truc moi et Karim | |
« Il nous est arrivé un truc, à Karim et à moi » [Mrk]. |
- stūn forme un pluriel externe en -at : stūnāt et on le trouve dans une expression comme bla stūnāt « sans ruses, i.e. essaie pas de m’avoir » ou un participe dénominatif (voir ci-dessus), məstūni et prend le sens appréciatif de « super, branché ».
- spīd, de l’anglaise speed « amphétamine », lié lui aussi au vocabulaire de la drogue, prend le sens de « truc » : wāḥəd s-spīd « un truc ».
- tītər (pl. tītr-āt) / moṛso (pl. morsow-āt) emprunts au français désignent « des chansons, morceaux, titres de musique », de même que le faux ami disk (pl. dyāsk) qui a le même sens.
- D’autres emprunts sont : mīksi « mixer », māksīya « un EP (morceau long) », klāša « clasher quelqu’un », vocabulaire appartenant au milieu du rap, lorsqu’un rappeur en provoque nommément un autre, ḅḷān « plan, idée » dans l’expression hāda hūwa l-ḅḷān !, « C’est ça le truc ! » qui a été repris et généralisé :
(80) | ma txәrbәq lī-ya l-ḅḷān |
ne tu-détruiras à-moi le-plan | |
« Ne fiche pas en l’air mon plan » [Mrk]. |
107Les exemples sont innombrables et leur usage varie selon les sujets et les contextes. La plupart des émissions de radio et télévision « jeunes » témoignent d’une forte présence de l’emprunt et du code-switching surtout quand les invités sont des musiciens :
(81) | - lla lḥәmduḷḷāh ḥna xәddāmīn dāba ʕla wāḥəd un nouveau projet tanqədṛu ngūlu |
non grâce-à-dieu nous travaillant maintenant sur un nouveau projet nous-pouvons nous-disons | |
- ltāḥәq bī-na wāḥәd l-musicien ždīd lli hūwa ḥmәd šәmšūb lli d’ailleurs ḥādәṛ | |
il-rejoint à-nous un le-musicien nouveau que lui Ahmed Chenchoub qui d’ailleurs présent | |
- mʕā-na f-әl-žomhor hnāya dāba c’est un musicien artiste qui joue le ʕūd et la mandoline | |
avec-nous dans-le-public ici maintenant c’est un musicien artiste qui joue le ʕūd et la mandoline | |
- c’qui fait ġa-tkūn wāḥәd n-nәkha orientale plus marocaine inšaʔḷḷāh w inšaʔḷḷāh ġa-tnāl l-ʔiʕžāb dyāl l-žumhūr | |
c’qui fait elle-va-elle-est une le-saveur orientale plus marocaine si-dieu-veut and elle-va-elle-atteint le-appréciation de le-public | |
« Non, Grâce à Dieu nous travaillons actuellement sur un nouveau projet/ / un nouveau musicien s’est joint à nous/ qui est Ahmed Chamchoub/ qui d’ailleurs est dans le public ici, c’est un musicien artiste qui joue le ʕud et la mandoline c’qui fait qu’il y aura une sonorité orientale plus marocaine si Dieu le veut et cela va plaire au public » [musicien du groupe Jazz Band, dans émission Ajyal 6/12/2009]. |
108
(82) | - Fez City Clan ya sīdi, kānət smīya dyāl wāḥəd l’association d-əl-hiphop lli ġa-təžməʕ |
Fez Ciy Clan eh monsieur-mon elle-était nom de un l’association de-le-hipop qui elle-va-elle-rassemble | |
- l-mouvement d-əl-hiphop f-Fās, les chanteurs bien sûr, les groupes lli ka-yġənnīw | |
le-mouvement de-le-hiphop à-Fès les chanteurs bien sûr les groupes qui ils-chantent | |
- les MCs, les taggeurs, les B-boys… | |
les MCs les taggeurs, les B-boys | |
« Fez City Clan était le nom d’une association de hiphop qui devait regrouper le mouvement du hip hop dans Fès, les chanteurs bien sûr les groupes qui chantaient, les MCs, les taggeurs, les B-boys, [le rappeur Toto du groupe Fez City Clan, émission Korsa sur 2M, 22/7/2009]. |
109À l’écrit, sur les réseaux sociaux, on peut relever également de nombreux emprunts à l’anglais américain, initialement liés à la culture des rues ou au milieu du rap, en particulier concernant les termes d’adresse bro (troncation de brother) « frère » ; sista pour sister, etc. (voir 3). Les exemples sont souvent postés sans ponctuation :
(83) | belle tof la belle big up sista |
Belle photo, ma belle, Félicitation, Sista ! (sœur) |
110
(84) | you're absolutely right bro |
Tu as tout à fait raison, bro ! (frère) |
111
(85) | hhhhh kanchoufekatoo ya bro man azemmour |
Hhh je-vois-toi aussi eh frère depuis Azemmour | |
Hhh, je pense bien à toi aussi frère, depuis Azemmour [écrit Facebook]. | |
a. Kanchoufek, litt. « je te vois », est utilisé pour dire qu’on pense avec amitié à quelqu’un, qu’on le salue. |
3. Termes d’adresse24 et rimes
112Au delà de caractéristiques phonologiques et lexicales, les usages jeunes au Maroc se distinguent, au niveau pragmatique et interactionnel, par un recours très fréquent et souvent humoristique à de nombreux termes d’adresse ainsi qu’à des expressions/allusions rimées. Le rôle des termes d’adresse a été dès les années 1980 mis en avant par la linguistique pragmatique car ils constituent des rites de communication universels (Braun, 1988 ; Brown & Levinson, 1987). Très présents dans les usages jeunes (Veunat & Feussi, 2012), ils permettent de définir et négocier sa relation à l’autre, d’exprimer ses sentiments et de marquer son appartenance et sa proximité à un groupe de pair. Dans le contexte marocain, ils s’inscrivent dans une culture de tradition orale encore très vivante mais également dans une circulation/reproduction de modèles « transnationaux » véhiculés par le rap et la culture hip hop25.
3.1 Termes d’adresse
113Concernant les termes d’adresse employés au Maroc on relève plusieurs catégories qui expriment diverses manières de percevoir et de désigner l’autre, allant de mots « affectueux » jusqu’aux insultes « plaisantes » (Lagorgette, 2003 ; Lagorgette & Larrivée, 2004), en passant par les vannes. Les termes d’adresse sont très nombreux et nous ne donnons ici qu’un échantillon des termes les plus fréquents, en indiquant quand cela est possible leur étymologie. On retrouve là aussi, la remise à jour de termes anciens.
3.1.1 Termes d’adresse « affectueux »
3.1.1.1 Fraternité
114On trouve dans cette catégorie des termes d’adresse construits autour du mot « frère », xū-ya « mon frère », xo « frère », xā-y « mon frère », xūt « frères », xūt-i « mes frères » et de sa forme féminine « sœur », xt-i « ma sœur », xtītu (diminutif) « ma petite sœur ». Ces termes ont une charge culturelle très importante et l’emploi de « mon frère, ma sœur » n’est pas réservé qu’aux jeunes mais ils sont massivement présents dans les pratiques des jeunes de tout le Maroc, avec quelques variations dialectales. Dans les exemples relevés sur Facebook le phonème /x/ est transcrit kh.
115Exemple de xū-ya :
(86) | khouya wa7ed j aime fhad la page |
frère-mon un j’aime dans-cette la-page | |
« Mon frère, fais un petit « j’aime » pour cette page » [écrit Facebook]. |
116xo troncation (apocope) du mot xū-ya est à l’origine un terme d’adresse populaire algérois, que l’on retrouve également en Algérie et en France et qui semble rejoindre l’usage l’américain de bro (brother). Au Maroc on ne le trouve que dans les écrits numériques, et pas à l’oral.
(87) | Zaaaaz Bjaahd Khoo |
chic avec-force kho | |
« Super cool, frérot ! » [écrit Facebook] |
117xā-y« mon frère », il s’agit de la variante employé dans les variétés du nord du Maroc :
(88) | fāyən a xā-y ? |
où eh frère-mon | |
« Ça va, mon frère » [Ttn]. |
118l-xūt « les frères » et xūt-i « mes frères » :
(89) | msā-kum peut-être msā-kuːːːm a l-xūt! |
soir-vous peut-être soir-vous eh les-frères | |
« Bonsoir à vou:::s les frères » [Mrk]. |
119
(90) | Peace Khootiii tanchoufkoom |
paix-frères-moi-je vois-vous | |
« Peace mes frères, je pense à vouuuus » [écrit Facebook]. |
120xt-i « ma sœur » :
(91) | wālākin f-hād əz-zmān, a xt-i, wlād lə-qḥāb ma yəstāhlū-š |
mais dans-ce le-temps eh sœur-ma fils les-putes ne méritent-pas | |
« Mais aujourd’hui ma sœur les fils de putes ne méritent pas » [Mkn]. |
121
(92) | l3az khti fadila / l3az ghtia kawtar !! |
la-gloire sœur-ma fadila/ la-gloire sœur-ma kawter | |
« Génial ma sœur fadila, géniale ma sœur Kawtar » [écrit Facebook]. | |
a. À noter que le même scripteur utilise deux graphies différentes pour le même mot khti et ghti. |
122xtītu, diminutif de xti, que l’on trouve traditionnellement dans le langage infantile :
(93) | Khetito sara mazal manadat l balbala |
petite sœur Sara pas encore ne elle-s’est-levée le-polémique | |
« Petite sœur Sarah, on n’en est pas arrivé là ? » [écrit Facebook]. |
3.1.1.2 Amitié
123On recense également dans cette catégorie des termes d’adresse « affectueux » tous les mots autour de la notion d’amis, de copains et de potes, dans un sens chaleureux et complice comme : ʕšīr-i, šrīk-i, ṣāḥb-i, ṣāṭ (féminin ṣāṭa), ṛōžūla. Plusieurs de ces termes proviennent d’une darija ancienne.
124ʕšīr-i « mon pote » : le mot ʕšīr (pluriel ʕəšrān) signifie, selon Colin26 « bon camarade, ami intime, avec qui l’on partage le vivre et le couvert ; fidèle compagnon ». Le mot est très fréquemment utilisé par les jeunes avec le sens de « ami, copain » :
(94) | lə-ʕšīr gāːːːləs tšayəftšəx wāḥəd əž-žwāːːːn |
le-copain assis il-roule un le-joint | |
« L’ami est en trai:::n de rouler un joi ::nt » [Mkn]. |
125
(95) | s-sxāna kīf guwwəztī-ha a ʕšīr-i ? |
la-chaleur comment tu-as-passé-elle eh mon-pote | |
« L’été, comment l’as-tu passé, mon pote ? » [Ttn]. |
126
(96) | wāš a xō-ya, a ʕšīr-i, a l-ʕəšra ! |
quoi eh frère-mon, eh pote-mon, eh la-compagnie | |
« Wach mon frère, mon pote, la compagnie ! » [quartier, Hay Mohammadi Casa]. |
127Dans cet exemple, le mot l-ʕəšra qui selon Colin27 a le sens de « la vie commune partagée entre époux ou camarades intimes ; façon de vivre ensemble en commun en bons copains », est utilisé pour insister sur la proximité avec l’interlocuteur.
128D’autre part, wāš (wach/wesh en français depuis les années 1990), vient de l’arabe algérien ; il est donc curieux de le retrouver dans les usages jeunes du Maroc où il est apparu un peu avant 2010. L’expression est certainement arrivée au Maroc par les échanges sur internet avec la France28.
129šrīk-i « mon pote » apparaît dans Colin29 sous la forme šrīk avec le sens de « associé ; complice ».
(97) | kayna a chriki |
ça-existe eh pote-mon | |
« C’est vrai, mon pote » [écrit Facebook]. |
130ṣāḥb-i « mon ami, mon pote », garde son sens initial, selon Colin30 il signifie « ami intime, dévoué… homme de confiance, collaborateur » ; quant au féminin ṣāhəbt-i il signifie « camarade, amie (d’une femme) ; maîtresse, amante (d’un homme) ».
(98) | - saha a khoya tarik, ma3endi mangoool had chiii 3endkoum ziin wakha |
santé eh frère-mon Tarik, ne chez-moi quoi je-dirai ceci chez-vous joli-même si | |
- m3ak dak Mr.Momy 3iyannnnnnnnnn a sahbéé | |
avec-toi Mr. Momy fatigué eh ami-moi | |
« Merci mon frère Tarik, rien à dire ! Il est super votre truc, même si tu as avec toi, ce Mr Momy qui est dépassé, mon pote » [écrit Facebook]. |
131ṣāṭ, féminin ṣāṭa. Au début du xxe siècle, le mot ṣāṭ signifiait selon Colin31 au sens premier « animal fabuleux que l’on décrit comme un serpent extrêmement long », pour désigner le « mannequin représentant cet animal que l’on promène lors de la mascarade de Achoura » pour enfin prendre le sens d’« individu physiquement très fort, homme terrible, gaillard redoutable ». Harrell (1966, p. 144) le notait comme signifiant « rascal, scoundrel, somewhat affectionate », avec la dimension affective. Seul le masculin ṣāṭ ainsi que la forme plurielle ṣiṭān étaient attestés. Le mot est devenu dans les usages jeunes « un gars, un mec ».
(99) | wa fēːːːna a ṣ-ṣāṭ ? |
et où oh le-mec | |
« Ça va, mec ? » [Casa]. | |
a. Fīn est réalisé fēn dénotant une emphatisation qui accentue la complicité. Il est courant de se saluer ainsi entre amis. |
132La nouveauté « jeune » réside dans l’attribution d’une forme féminine ṣaṭa, que l’on retrouve souvent dans les textes de rap :
(100) | ʕrәftšu ṣ-ṣāṭa:: ? wīl-iːːː wīl-iːːː āš tšatdīr l-fṛanṣeːːː ! wa tšatšәqq-u ! |
vous-connaissez la-fille malheur-mon malheur-mon quoi elle-fait au-français, elle-percute-le | |
« Vous connaissez ? La fille ? malheur ! Comment qu’elle parle français, elle le percute ! » [Mkn]. |
133drāri. Pour s’adresser à un groupe de jeunes, mixte éventuellement, on emploie le pluriel drāri, qui désigne les enfants. Colin32 donne pour le singulier dərri : « enfant mâle, gamin, garçonnet (ayant plus de cinq ou six ans et en dépassant pas douze ou treize ans) ». C’est par un glissement33 qu’il signifie aujourd’hui « les jeunes » ; le mot est très lié à L’Boulevard, Festival de musiques alternatives créé à Casablanca en 1999. Son féminin, dǝrrīya (au pluriel dǝrrīyāt) est aussi utilisé. On dit souvent « d-drāri ou d-dǝrrīyāt dyāl L’Boulevard » :
(101) | PCHAAAAAKHHHHH !!!!!! kemlo a drarima t9at3ooooooch !!!!a |
Pchaakhb terminez eh les-garçons ne coupez-pas | |
« Ben dis donc continuez les mecs n’arrêtez pas ! » [écrit Facebook]. | |
a. À noter que l’emploi d’onomatopées comme ici pšaːːːx pour renforcer l’expressivité est très fréquente tant à l’oral qu’à l’écrit des parlers jeunes. b. Onomatopée admirative. |
134homies « potes du quartier », emprunté à l’argot américain (pour homeboys ou hombuddies), très utilisé par les rappeurs de la côte ouest, Los Angeles, mais pas par la côte est ou New York ; de plus, il coïncide avec le mot arabe ḥūma « quartier »34 ; il a été relevé sur Facebook où il est utilisé surtout par les rappeurs :
(102) | nice shit homies |
jolie merde potes | |
« Respect les mecs » [écrit Facebook]. |
135Ces termes d’adresse affectifs et bienveillants sont ceux que l’on retrouve dans les émissions jeunes des médias audiovisuels : ya xū-ya « eh mon frère », ya xā-y « eh mon frère (variante du nord) », a ṣaḥb-i « eh mon ami », əd-drāri « les jeunes » :
(103) | Ça va xā-y moḥamməd kull ši bīxīr, mrəḥba bī-k mʕā-na xā-y |
Ça va frère-moi Mohamed tout chose avec-bien bienvenue à-toi avec-nous frère-moi | |
« ça va mon frère Mohamed tout va bien/ bienvenue avec nous mon frère » [Othman de H’Kayne animateur dans l’émission Art Mag/Médina FM accueillant son invité, le rappeur Muslim, le 23/02/2012]. |
136
(104) | - mmət bəʕda un grand bonjour l-əd-drāri |
la-mort déjà un grand bonjour à-les-jeunes | |
« Super un grand bonjour les jeunes » (Simo s’adressant au public) | |
- ṛā-h, ce sont des grands problèmes, a ṣāḥb-i | |
vraiment-lui ce sont de grands problèmes eh ami-mon | |
« Ce sont des grands problèmes mon pote (Simo s’adressant à Younès, l’animateur de l’émission) » [Emission Korsa sur 2M avec Simo de Fez City Clan, le 22/07/2009]. |
3.1.2 Termes d’adresse relevant de la « vanne » et de « l’insulte de solidarité »
137D’autres termes d’adresse sont basés sur des mots qui, dans un contexte ordinaire, relèveraient de l’insulte, faisant référence aux catégories raciales, infirmités physiques ou intellectuelles, noms d’animaux, etc. Ils sont ici employés dans un sens métaphorique et adressés à des proches. Dans ce contexte, l’insulte perd sa fonction négative, et traduit une solidarité dans la mesure où « [l]es insultes de solidarité renvoient à l’appartenance commune au groupe » (Lagorgette & Larrivé, 2004, p. 92). Ces termes se retrouvent très fréquemment à l’écrit sur les réseaux sociaux ou dans les contextes oraux au sein du groupe de pairs, mais ne sont pas utilisés dans les médias car considérés comme trop tabous.
138L’un de ces termes emblématiques est le mot l-ʕazzi « le noir, l’esclave » utilisé en arabe marocain et qui garde une connotation péjorative, particulièrement quand employé vis-à-vis des migrants subsahariens. Mais ce terme dans les échanges entre jeunes reprend l’usage de l’argot des rappeurs noir américains (nigga, niggers) :
(105) | Wa skouuuuuut nta l mok a l3azzi |
Et tais-toi toi à-mère-toi eh le-nègre | |
« Fe:::rme-la ta mère, nigga ! [écrit Facebook, fille] ». |
139Son usage implique un retournement du stigmate. Ainsi le groupe de rap Bizz2Risk qui compte deux MCs dont la couleur de peau est foncée, se définit ainsi avec autodérision :
(106) | Bizz2risk: wa7ed byed ou jouj 3azawa |
Bizz2risk: un blanc et deux nègres | |
« Un blanc et deux négrots » [écrit Facebook]. |
140Le terme est assez courant aussi dans le milieu des métalleux (adeptes de rock metal) et est encore utilisé par les plus de trente ans. Une boîte de production a même choisi le nom de « 3ezzi ProD. Corp ».
141À propos d’un T-shirt avec la mention « A 3azzy », imaginé en 2012, on trouve des commentaires sur Facebook :
(107) | AO mafhemnach wach baghi t3fat wla baghi ter a 3azzy |
ne nous-avons-compris-pas quoi voulant tu-piétineras ou voulant tu-voleras eh nègre | |
« On ne comprend pas bien si tu veux speeder ou si tu veux voler mon Nigga » [écrit Facebook]. |
142
(108) | YN - l9wada a 3azzi |
l-qwāda a ʕazzi | |
proxénétisme o nigga | |
« Une tuerie, nigga ! » [écrit Facebook]. |
143
(109) | SB - mootte a 3azzi |
mort eh nigga | |
« Génial, mon nigga » [écrit Facebook]. |
144En 2014, le terme a été repris dans une campagne visant à lutter contre la discrimination envers les migrants subsahariens avec le slogan masmiytichi 3azzi « mon nom n’est pas nègre ». Cette campagne qui relayait la dimension péjorative du terme a suscité pas mal de commentaires et un certain malaise chez des jeunes qui utilisaient ce terme d’adresse sous forme de vannes. Certains essayant de montrer que l’étymologie du mot n’avait aucune connotation de race et de couleur :
(110) | - l3zawi éthimologiquement houwa 3zwate derb c un nom kan ki te3ta l le 3ezwa |
Les-niggas étymologiquement lui le-soutien la-ruelle c un nom il-était il-se-donne à-le-3ezwa | |
- li kay3ezz nass w houwa 3izwa lihom f derbhom, w techrifane l nass ki goulo qui il-chérit les-gens et lui consolation pour-eux dans-ruelle-leur et en-honneur à-les-gens ils-disent | |
- a fine al 3zawi ze3ma a fine a khal wa3er donc la 3ala9a b loune hada houwa lmadmoune | |
et où le 3zawi c’est-à-dire et où le-noir super donc pas relation avec-la-couleur ceci lui l-important | |
« Le 3zawi étymologiquement c’est l’appui et le soutien (3zwate) du quartier, c’est un nom que l’on donnait au 3ezwa qui chérit les gens, il est une sorte de consolation (3izwa) pour eux dans leur quartier, et en l’honneur de certaines personnes on dit « ça va le 3zawi », c’est-à-dire « ça va le noir qui est bien, génial » donc il n’y a pas de lien avec la couleur, ça c’est le plus important » [écrit Facebook]a. | |
a. À noter cependant qu’ici la personne semble faire un parallèle entre 3azzi et 3zawi. Le terme 3zawi, est un terme emblématique de Marrakech, l’équivalent de ṣaṭ « gars, mec » et n’a effectivement aucune connotation péjorative, alors que le terme 3azzi utilisé hors du contexte de pair reste péjoratif. Ce mot (ʕazzi) est souvent remplacé par un synonyme moins stigmatisant et plus affectueux ; il s’agit de : l-lwīyǝn (le dimunitif de lūn : couleur) : la petite couleur. |
145
(111) | Ayoooo what’up 3waza ? |
افين ا عزي | |
الراب مند سنوات بدون حساسيات ولاكن فيها بساطة و حب وجملة نرددها نحن مستميعي موسيقى | |
صداقة .....وبالعكس لم نعني بها لون بشرة او شيئ من هذا القبيل | |
مصطفى صلامور | |
a fīn a ʕəzzi | |
žumla nuraddidu-ha naḥnu mustamiʕi musīqa ər-rāb mundu sanawāt bidūn ḥasāsiyyāt walākin fī-ha ḅaṣāṭa wa ḥubb wa ṣadāqa w bi-l-ʕaks lam naʕni bi-ha lawna bašṛa ʔaw šayʔ min hāda ʔal-qabīl | |
Ayoooo, quoi de neuf Niggas ? | |
eh où eh noir | |
phrase nous-répétons-elle nous auditeurs-musique-le-rap depuis années dans sensibilités mais dans-elle simplicité et amour et amitié et avec-le-contraire ne-nous-signifions avec-elle couleur peau ou quelque chose de ce-le-genre | |
« “Ça va nigga”, c’est une expression que nous utilisons nous les amateurs de musique rap depuis des années, sans ressentiments, mais avec simplicité, amour et amitié. Et au contraire on ne vise pas la couleur de peau ou quoi que ce soit de ce genre » (l’artiste Mustapha Slameur sur Facebook). |
146Il y a aussi plusieurs noms d’animaux utilisés comme vanne entre amis intimes comme әl-ʕawd « le cheval », l-bhīm « la bête de somme ». En sont exclus le chien et l’âne qui gardent leur connotation insultante. L-ḥūṭa « le poisson », qui signifie aussi « l’homosexuel » reste également connoté négativement.
(112) | ṛā-h ma nsīnā-k-š a l-ʕəwd ! |
vraiment-lui ne nous-avons-oublié-toi-pas eh le-cheval » | |
« T’inquiète ! Je t’oublie pas, mec ! » [Casa]. |
147
(113) | Souelt aalik laaoud |
j-ai-demandé sur-toi le-cheval | |
« J’ai demandé de tes nouvelles, mec » [écrit Facebook]. |
148Tous les exemples suivants utilisent des métaphores humoristiques, relevant du registre de la vanne :
(114) | a mǝsmāṛ əl-hənd ! « eh clou d’acier ! » > « espèce de / sale abruti » [Mrk] |
a wəld, a snān əl-hənd ! « eh fils oh dents d’acier ! » > « espèce de / sale abruti » [Mrk] | |
a wəld a bu-gdəm ! « eh fils eh père-le talon (du pied) ! » > « espèce de / sale moche » | |
a wužh-u !/ vīzāž-u ! « eh sa face, son visage »a [Mrk] | |
a wužh əl-bəqqa ! « eh face de punaise » [Mrk] | |
hḍaṛ a wužh əl-fṛēn ! « parle, eh face de frein ! » [Mrk] | |
bū zebbāl « l’éboueur » > « un jeune pauvre et paumé qui veut dire aussi n’importe quib » [Mkn] | |
nwīʕra « pince pour extraire des dents » > « sans gêne, casse pied » [Mrk] | |
a. wužh-u est le terme marocain pour « son visage » tandis que vīzāž-u est un emprunt au français morphologiquement arabisé avec le pronom suffixe de la troisième personne du masculin singulier -u « son ». b. Būzəbbāl est un personnage créé par Mohamed Nassib en 2012, dans une série intitulée ḥikāyāt būzəbbāl (les aventures de Bouzebbal). C’est un dessin animé diffusé sur les médias sociaux et sur Youtube (Ziamari & Barontini, 2016). Bouzebbal est devenu une figure emblématique des usages jeunes au Maroc (Ziamari & De Ruiter, 2015) dans la mesure où la série est extrêmement suivie et rediffusée. Les jeunes se réapproprient les expressions de Bouzebbal et participent à la circulation de celles-ci. |
149On retrouve les mêmes phénomènes entre filles qui s’interpellent en se traitant de ǝṣ-ṣuppiṣa « la salope », ǝl-qǝḥba « la pute », ǝš-šīxa « la chanteuse, la scandaleuse35 », xǝṛya « une merde » comme on peut le voir dans l’exemple suivant :
(115) | - ddī-na āna u kīkāʕ, nʕāwnū-k |
emmène-nous moi-et-kikaʕ nous-aidons-toi | |
« Emmène-nous Kikaʕ et moi pour t’aider (à faire le ménage) » | |
- tšǝmšīw l-dūk lə-mžōṛa tšəbqāw ġi ʕla l-maquillage a š-šīxātš ? | |
vous-irez à-ces les-tiroirs vous-restez rien sur le-maquillage eh les-danseuses | |
« Vous voudriez essayer mon maquillage rangé dans les tiroirs, espèce de scandaleuses ! » | |
- sīri ā ṣ-ṣūppīṣa | |
vas eh la-salope | |
« N’importe quoi, salope » [Mkn] |
150L’extrait ci-dessous montre l’alternance d’insultes réelles et de termes d’adresse amicaux :
(116) | sīru tqəwwdu a z-zwāməl ya wlād lə-qḥāb lli qəṛṛəb l-i nəʕṭi l-ṛəḅḅ-u fī-kum yāḷḷāh yāḷḷāh l-āxuṛ l-āxuṛ tšayxəṣṣəṛ əl-həḍṛa āna ngūl āna nṣəbbəṭ ṛəḅḅ-ək a wəld əl-qəḥba āna nqəbṭ-ək hīya hādi ḥəttša ḥǝttša mša bḥāl-u žābu d-dərri tṣāləḥt mʕā-h bəlʕāni tangūl l-u hā nta wāḥəd l-wāḥəd nta ḥgərtī-ni ḥgǝrtī-ni f-ḥūmt-ək āna ḥgərt-ək f-ḥūmt-i yāḷḷāh yāḷḷāh thəlla |
allez vous-faire-foutre eh les-pédés eh fils les-putes qui il-s’approche à-moi je-donne à-dieu-son dans-vous allez allez l-autre l-autre il-bousille la-parole moi je-dis moi j-insulte dieu-ton eh fils la-pute moi je-tiens-toi elle celle-là jusque il-est-parti comme-lui ils-ont-ramené le-gars je-me-suis-réconcilié avec-lui exprès je-dis à-lui toi un à-un toi tu-humilies-moi tu-humilies-moi dans-quartier-toi moi je-humilie-toi dans-quartier-moi allez allez tu-prends-soin | |
« Allez vous faire foutre espèces de pédés, fils de putes, quiconque s’approche je tabasse son dieu, alors, l’autre insulte, moi je réponds, je fracasse ton dieu fils de pute, je te choppe et alors il est parti comme lui, ils ont ramené le gars, je me suis réconcilié avec, exprès je leur disais on est quitte, tu m’as humilié dans ton quartier, je l’ai fait dans mon quartier, allez va-t’en » [Mkn] |
151
(117) | hīya hādīk tlāqīt-u f-ž-žūtīya b-ūḥd-u w āna b-ūḥd-i qṣədt-u gəlt l-u fīn a ʕšīr-i ? gāl l-i bīxīr, gəlt l-u bīxīr gəlt l-u fdīna dāba lə-ḥsāb ma kāyən la hādi la hādi bda āna ṛā-h kūn žāt fī-ya ši ḍəṛba mqəwwda wǝḷḷāh ma nǝtfārǝq mʕā-k gəlt l-u ḥətta dāba ndīru ši ḥāža žǝrrīt u gāl l-i la dāba ġi ḷḷāh ysāmǝḥ u mša f-ḥālat-u |
elle celle-là j-ai rencontré-lui dans-la-friperie seul-lui et moi seul-moi j-aborde-lui je-dis à-lui où-eh-l-ami il-dit à-moi avec-bien je-dis à-lui avec-bien je-dis à-lui maintenant nous-avons-payé le-compte ne il-y-a ni celle-là ni celle-là il-commence moi voilà-lui si elle-vient dans-moi quelque coup sale eh dieu ne je-sépare-moi avec-toi je-dis-à-lui jusque maintenant nous-faisons quelque chose je-cours et il-dit-à-moi maintenant seulement dieu il-pardonne et il-part dans état-lui | |
« Alors, je l’ai rencontré au marché aux puces seul, moi j’étais seul je l’ai abordé et je lui ai dit comment vas-tu l’ami ? Ça va, on est quitte maintenant, y a rien, il a commencé à se plaindre j’ai reçu un sale coup, je te lâche pas, on peut faire un essai maintenant, il m’a répondu non, je te pardonne, et il s’est barré. » |
3.2 La rime : joutes et performances verbales
152Depuis les travaux de W. Labov, les joutes verbales basées sur des insultes ou des vannes sont considérées comme un aspect important des interactions entre jeunes (Bertucci & Boyer, 2013 ; Labov, 1972 ; Vettorato, 2008). Pour revendiquer et se voir reconnaitre une appartenance à un groupe de pairs, il faut faire preuve d’habileté verbale, pouvoir surenchérir sur ce que dit l’autre, s’inscrire dans une logique de grossièreté qui souvent ne relève pas d’une axiologie négative mais joue un rôle affectif, signe de partage, de proximité et de connivence.
153Dans nos corpus, nous n’avons pas relevé de joutes verbales à proprement parler mais le recours fréquent à un type de performance verbale reposant sur l’usage de rimes allusives et de jeux de mots. Cette pratique des rimes allusives s’enracine et prolonge une longue tradition de culture orale où proverbes et poésies rimés restent encore très vivants malgré le développement des médias audio-visuels (Caubet, 2008b). On y retrouve une prédilection marquée pour la métaphore ancrée dans la tradition de ce qu’on appelle les mʕāni « allusions », i.e. l’évocation indirecte qui permet de contourner les tabous et la censure. Ces rimes associent donc souvent des termes qui ne semblent partager aucune caractéristique. Leur message endosse potentiellement une fonction cryptique pour celui qui ne partage pas les codes de ces allusions. Ce recours aux allusions rimées marque le goût des jeunes Marocains pour le détournement et la réactualisation d’éléments de culture populaire
154Dans l’exemple (118) relevé à Meknès, un garçon utilise une rime alors qu’il raconte comment il a été abordé par une fille si laide que « si l’ogre la voit il dit qu’il est occupé » (yšūf-ha l-ġūl ygūl l-ək məšġūl)
(118) | kān bġa yəxṭǝb-ha hīya ka-tdūṛ mən hāda l-hāda |
« Il voulait se fiancer avec elle et elle fréquentait beaucoup de mecs » | |
Hāda ġīṛ cireur ka-yəmsəḥ əṣ-ṣḅāḅəṭ fhəmtī-ni ? ka-yəbġī-ha b l-vrai məskīn | |
« Lui était un cireur, il nettoyait les chaussures, tu me comprends ? Il l’aimait vraiment le pauvre » | |
u hīya yšūf-ha l-ġūl ygūl l-ək məšġūl xāyba dīn ṃṃ-ha | |
« et elle l’ogre la voit, il dit qu’il est occupé trop moche religion de sa mère » | |
l-mūhim ṣāfi ḥətta tḥərrək u hāda bdāt ʕlī-ya | |
« bref, quand il était parti elle a commencé avec moi » | |
hūwa gālət l-i šəfti ā xū-ya bġa yəxṭǝb-ni wālidī-ya ma bġāw-š šəttī-h b dīk əl-ḥāla | |
« elle me dit tu as vu mon frère il voulait se fiancer avec moi, mes parents ne voulaient pas, tu l’as vu il est négligé » | |
u bġāt tǝlsəq fī-ya msəmmyīn-ha maṛaḍona ma ka-təzgəl ḥətta bīt | |
« elle m’a collé après, on l’appelle Maradona, elle ne rate aucun but (dans la drague). » |
155Voici quelques autres exemples de ces rimes allusives extraites de nos corpus. Elles sont présentes dans toutes les villes et chez les jeunes de tous milieux sociaux. Elles n’ont pas toutes été créées par les jeunes, certaines étant reprises et recyclées.
(119) | xūna, u f-əl-grūna |
frère-notre et dans-le-grenat (la couleur) | |
« La fraternité n’est pas une question de couleur » [Casa, Mkn]. |
156
(120) | ytūb ʕla mūl ət-tūb |
merci au marchand-de-tissu | |
« Merci, tu es professionnel » [Mrk]. |
157
(121) | əs-sdəṛ səddāri w ət-tərma mxədda l-əd-drāri |
les-nichons matelas et le-cul un-oreiller pour-les-enfants | |
« Les nichons sont un matelas et le cul est un oreiller pour les enfants » [Mkn]. | |
(i.e. une grosse nana qu’on drague, présentant certains atouts physiques). |
158
(122) | xū-na l-ʔaṛḍ-sxūna bġāw yfarqū-na |
frère-notre la-terre chaude ils-ont-voulu ils-sépareront-nous | |
« On veut nous séparer dans les moments les plus difficiles (briser notre solidarité) » [quartier Hay Mohamedi Casa]. |
159
(123) | tlaḥ tərtāḥ |
tu-te-lances tu-te-reposes | |
« Lance-toi et repose-toi ! » [Mrk] | |
(se dit quand quitter quelque chose (un évènement, une bagarre,…) devient une décision sage). |
160
(124) | yətšməʕžən ši nhāṛ yəttəʕžən |
il-ingère-du-maajouna un-certain jour il-se-pétrit | |
« Il prend du maajoun, un jour il sera pétri » [Mkn] | |
(i.e. il se drogue tellement qu’il peut devenir intoxiqué). | |
a. Maajoun, patisserie contenant du hachich. |
161
(125) | wāš nta fou wulla fī-k dīfu ?a |
est-ce-que toi fou ou dans-toi défaut | |
« Tu es fou ou tu as un défaut / une tare ? » [Mrk] | |
(i.e. tu te fous de ma gueule ?). | |
a. À noter ici l’insertion d’emprunts français dans ces rimes. Il est intéressant de voir qu’on fait rimer « fou » et « défaut », confusion acceptée des voyelles /u/ et /o/ du français. |
162
(126) | əž-žlāləb u lə-qwāləb w ən-nəʕsa mʕa lə-kwānəb |
les-jellabas et les-ruses et la-baise avec les-cons | |
« Les djellabas et les ruses et la baise avec les cons » [Mkn] | |
(i.e. les nanas qui se croient les plus malines qui se font avoir). |
163
(127) | ṛā ḥnašuṛfa w ta-nāklu l-ḥūt b-əl-mġuṛfa |
voilà nous saints et nous-mangeons le-poisson avec-la-louche | |
« Nous sommes des Chorfas et nous mangeons du poisson avec une louche » [Mrk] | |
(cette expression s’utilise pour se moquer des prétentieux en insinuant avec tact que l’on peut déceler les mauvaises intentions). |
164
(128) | La talla, la pantalla (< espagnol) |
non taille, non écran | |
« Elle est très laide » [Ttn]. |
165L’exemple suivant illustre le rôle que les médias jouent dans la diffusion d’un style jeune. Il est issu du 24e épisode d’une émission télévisée « Bayn Show » présentée par l’acteur Hassan El Fadd et produite par l’opérateur de téléphonie Bayn en 201236. Il s’agit d’une parodie en arabe marocain de l’émission « questions pour un champion ». L’acteur n’est pas à proprement parler un jeune (il a environ 50 ans), mais le style parodique de l’émission recycle des usages jeunes. Dans les deux dernières minutes, l'animateur qu'on ne voit jamais pose la question suivante à Hassan El Fadd en arabe standard : su’al f luġat al-ḥaḍāra, atmimm mā yāli « question en langue de civilisation, termine ce qui suit ». L'animateur (A.) commence la phrase et Hassan El Fadd (HF) termine :
(129) A.: xū-k zwīn H.F. : u sākən f-t-twīn frère-ton sympa et habitant dans-le-twin « Ton frère est sympa, il habite au Twina », i.e : on peut avoir des atouts et ne pas jouer les malins. ḥna xūt māši ḥūt nous frères ne-pas poissons « On est de vrais frères, on assume » yāḷḷāh sīri u ksīri vas-y cire et accélère « Cire tes chaussures et accélères », i.e : vas-t-en, dégages əṛ-ṛōžūla bḥaṛ u l-kǝbda ḥžǝṛ la-virilité mer et le-foie pierre « La virilité est tout un monde, le foie c’est juste une pierre dans cet océan », i.e : les gestes remarquables ignorent les émotions. |
a. Par référence aux Twin Towers de Casablanca, symbole d’un certain luxe à l’occidentale. |
166Ces allusions rimées ont à leur tour été reprises et reproduites par des jeunes de plusieurs villes marocaines.
4. Remarques sociolinguistiques
167À l’issue de cette longue énumération de traits caractérisant les usages jeunes marocains, quelques remarques d’ordre plus sociolinguistique peuvent être ébauchées.
4.1. Pratiques jeunes et diversité dialectale au Maroc
168Quelle interaction entre usages jeunes et variétés dialectales au Maroc ? Les jeunes marocains ont-ils tendance à transcender les différences dialectales, à imiter un modèle urbain dominant (celui de Casablanca par exemple ?) ou constate-t-on des spécificités selon les villes et les régions sachant que la diversité dialectale reste toujours très forte au Maroc (Sánchez & Vicente, 2012) ?
169La réponse à ces questions n’est pas facile puisque nous manquons de données comparatives détaillées. Parmi l’ensemble des procédés « jeunes » que nous avons relevés, la plupart se retrouvent dans toutes les grandes villes étudiées, Tétouan, Meknès, Marrakech ou Casablanca comme l’indiquent nos exemples. Au niveau lexical, de nombreux termes emblématiques en particulier les termes d’adresse et les appréciatifs/dépréciatifs circulent dans l’ensemble du pays relayés par les médias, les textes de rap, internet, etc. Au niveau discursif, on retrouve également partout une forte expressivité, l’emploi de rimes, de métaphores, d’axiologiques péjoratifs. L’affrication/palatalisation des dentales apparaît comme un trait de plus en plus partagé par les jeunes même si les valeurs associées à cette variable varient selon les régions. Il y a donc bien un style jeune marocain urbain reconnaissable par un grand nombre de Marocain·e·s.
170Ceci posé, on constate que ce style jeune s’insère dans les variétés dialectales locales, reproduisant la prononciation, l’intonation et la morphologie locale. La situation marocaine converge ici avec les observations d’Androutsopoulos & Georgakopoulou (2003, p. 4) qui considèrent que le recours à des variantes vernaculaires locales est l’un des traits caractéristiques des usages jeunes. On retrouve dans nos données le maintien de la distinction entre parlers dits citadins et parlers dits ruraux de type bédouins ainsi que celle entre parlers pré/non-hilaliens37 (comme dans le cas de Tétouan), des villes et des campagnes. Ainsi et pour ne prendre que quelques isoglosses bien connues, le phonème /q/ sera réalisé [q] ou [g], la forme imperfective plurielle des verbes dits défectueux est nəmšīw ou nəmšu « nous allons », la particule verbale marque du présent sera ka- ou ta-, etc. De même dans le nord du Maroc, les emprunts à l’espagnol sont fréquents, ce qui fait que les créations lexicales construites sur ces emprunts ne sont pas comprises par l’ensemble des jeunes Marocains (voir par exemple en 2.5.1 les exemples en 71 calqués sur l’espagnol de type fīya l-mono/tengo el mono ou en 4.2 l’exemple 128 avec la rime la talla, la pantalla).
171Parmi les spécificités régionales relevées sur le terrain, on a observé à Meknès, chez certains jeunes, un phénomène de neutralisation de l’opposition /s/ ̴ /š/ et /z/ ̴/ž/ connu également sous le nom de zézaiement :
(130) | bəzzāf d-əl-masākil (mašākil), yəmkən tsəffəṛ (tšəffəṛ) gāʕ, īla ma zməʕtī-s (žməʕtīš) ṛāṣ-ək |
beaucoup de-les problèmes possible tu-voles carrément si ne tu-contrôles-pas tête-ta | |
u ma qtəʕtī-hā-s (š) təlqa si (ši) hāza (ḥāža) ḥāža fhəmtī-ni | |
et ne tu-as coupé-elle-pas tu-trouveras quelque chose tu-comprends-moi | |
« Beaucoup de problèmes [derrière la consommation de drogue], il se peut que tu voles carrément si tu ne te contrôles pas et que tu ne t’arrêtes pas tu pourrais vivre des choses, tu comprends » [Mkn]. |
172
(131) | fī-ha sǝtta d-zwānāt (žwānāt) |
dans elle six-joints | |
« Ça fait six joints/pétards » [Mkn]. |
173Cette neutralisation se fait même dans le cas d’emprunt comme le verbe « choquer » :
(132) | ḥna mnīn gāl-ha l-na tsokina (tšōkīna) |
nous quand il-a dit-elle à-nous nous-étions-choqués | |
« Quand il nous l’a demandé, on en était choqué » [Mkn]. |
174Ce phénomène ancien, a été relevé dans plusieurs parlers du Maroc en particulier les vieux parlers citadins et juifs (Cohen, 1981 ; Lévy 2009) et également dans la région centrale du Tadla (Bennis, 2012) où il serait perçu comme une variable rurale de bas prestige. Partout cette variable est considérée comme en régression devant un usage plus standard. La présence de ce vieux trait dialectal non standard chez des jeunes locuteurs urbains (ici Meknès) relève ici d’un phénomène de « covert prestige ».
175L’usage jeune n’implique donc pas nécessairement l’amoindrissement de spécificités locales, au contraire les usages jeunes peuvent même remettre au goût du jour des traits dialectaux considérés comme des marqueurs locaux. Au Maroc, il semble particulièrement clair que, certainement dû à des questions identitaires régionales, les locuteurs jeunes du Nord (de Tétouan, et sans doute de Tanger) ne cherchent pas à reproduire les traits des parlers du centre (Casablanca).
4.2 L’appartenance aux quartiers ? usages jeunes et parlers secrets
176Si l’une des principales fonctions de ces façons de parler « jeune » est d’établir des relations de proximité et de connivence au sein des groupes de pairs, dans quelle mesure peut-on dire qu’ils participent au Maroc à la construction d’une identification au quartier ? La référence à une identification au quartier continue de jouer un rôle symbolique important, du moins chez les groupes de jeunes musiciens enquêtés à Casablanca, adeptes de la culture hip hop, du punk ou du métal, et qui prétendent que chaque quartier de Casablanca se définit par « un parler » particulier :
(133) | - l-həḍṛa dyāl būrgōn bāyna, l-ḥəḍṛa dyāl dərb səlṭān bāyna, l-həḍṛa |
le-parler de Bourgogne visible le-parler de Derb-Soltane visible le-parler | |
- dyāl ūlād lə-mdīna bāyna, kull dərb ʕənd-u l-həḍṛa dyāl-u, la Terrasse, | |
de fils-la-médina visible chaque ruelle chez-lui le-parler de-lui La Terrasse | |
- ma ka-nkəmmlu-š, būrgōn šwīya… šwīya šəʕbīya, wālākin nqīya ʕla | |
ne nous-finissons-pas Bourgogne un-peu un-peu populaire mais propre sur | |
- ḥayy muḥammadi, ḥayy muḥammadi šwīya šwīya vulgaire, qāṣḥa, qāṣḥa bəzzāːːːf | |
quartier-Hay Mohammadi Hay Mohammadi un-peu un-peu vulgaire dure dure beaucoup | |
« Le parler du quartier Bourgogne est distinct, celui de Derb Soltan est distinct, celui des jeunes de la médina est distinct, chaque quartier a son parler. Ceux de la Terrasse ne finissent pas les mots. Le parler de Bourgogne est un peu populaire mais plus chic que celui de Hay Mohamedi, Hay Mohamedi est un peu vulgaire, il est dur, trè:::s dur » [Casa]. |
177Au-delà de ces propos généraux et stéréotypés, toute une étude reste à faire sur ces éventuelles spécificités de quartiers que ce soit à Casablanca mais également Marrakech, Meknès ou Tétouan.
178Le concept de quartier n’est pas au Maroc (et au Maghreb en général) une transposition d’un modèle occidental importé, mais il renvoie à un imaginaire, une culture et une pratique de la ville ancienne (médina) symbolisés par les termes de ḥūma ou dərb38. Nous avons signalé en 2. la relative faiblesse des pratiques de cryptage (troncation, insertion de syllabe, inversion de syllabe, etc.). Ces pratiques de cryptage étaient très fréquentes dans les argots de corporations, de bandes, de quartiers connus sous le nom de ġawṣ et pratiqués dans l’ensemble du Maroc (Berjaoui, 2007 ; Pianel, 1950 ; Youssi 1993). Cette pratique du ġawṣ a été relevée par Dominique Caubet chez des jeunes de la Terrasse (au quartier C.I.L) à Casablanca. Il se caractérise par l’insertion de -nkūn- mais sa pratique réelle reste peu fréquente. Voici un petit extrait « joué » par deux amis Nihho et Hamza :
(134) - əǝə gūl l-i-nkūn-i (l-i) ? āš katdi-nkūn-ir (katdīr) ənta dāba ? euu dis à-moi-NKUN-moi quoi tu-fais-NKUN toi maintenant « Qu’est-ce que tu me dis ? Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? » - dāba kandi-nkūn-ir (kandir) wāḥəd əl-in-nkūni-(in…(interview)) mʕa, kandīr stižwa-nkūn-ab (stižwāb), stižwā-nkūn-ab mʕa wāḥəd-s-si-nkūn-iyda (siyyda) smīyt-ha Domini-nkūn-ique maintenant je-fais-NKUN un la-in-NKUN-i moi avec je-fais entre-NKUN-tien entre-NKUN-tien avec un la-da-NKUN-me nom-elle Domini-KNUN-ique « Maintenant je vais faire un interview avec une femme qui s’appelle Dominique » - Domini-nkūn-ique ? Domini-KNUN-ique « Dominique ? » - Domin-nkūn-ique ! u dāba kanhədṛu ʕla l-hə-nkūn-ədṛa (hədṛa) dyāl l-ġa-nkūn-ūṣ (ġawṣ) Domini-NKUN-ique et maintenant nous-parlons sur le-par-NKUN-ler de le-ġaw-NKUN-ṣ « Dominique ! Et maintenant je vais lui parler du parler du ġawṣ » - l-ġa-nkūn-ūṣ ? leġaw-NKUN-ṣ « le ġawṣ ? » - l-ġa-nkūn-ūṣ (l-ġawṣ) lli ġa nkūnin f-əl-maġrib-nkūn-iya (maġrībīya) le ġaw-NKUN-ṣ qui juste-NKUN dans-le-maroc-NKUN-ain « le ġawṣ, qui existe seulement en marocain » - wāḥəd əl-hədṛa lli ždi-nkūn-īd (ždīd) un le-parler qui nouveau-NKUN « le ġawṣ marocain, un parler qui est nouveau » - əl-hədṛa dyāl l-ġa-nkūn-ūṣ (l-ġawṣ) lli hīya lūġa šəʕbi-nkūn-iya (šǝʕbīya) lli məʕṛūf-nkūn-a (məʕṛūfa) f-əz-zənq-nkūn-a (zənqa) le-parler de-le-ġawṣ-NKUN qui elle langue popu-NKUN-laire qui connue-NKUN dans-la rue-NKUN « Le parler ġawṣ est une langue populaire connue dans la rue » [Casa]. |
179À Meknès, à titre d’exemple, cette pratique, connue sous le nom l-haws ou l-hawsīya est désuète. Elle était emblématique des parlers jeunes plus anciens des générations (1970-1980). Elle est très rare actuellement, cependant certains jeunes des quartiers populaires la connaissent et la pratiquent toujours, selon nos informateurs. Cet extrait, montrant le processus morphologique de cette pratique, rend compte de la différence entre Casablanca et Meknès :
(135) | tšəbqāy tšhəḍṛi b wāḥəd əl-həḍṛa ki bḥāl īla bġāw dāba ki bḥāl mʕā-na ši wāḥəd ma bġīnā-h-š yəfhəm əl-həḍṛa tšanəbdāw tšḥiyydu ki bḥāl īla bġīt ngūl l-ək šətti karīma tšanḥiyyəd əl-ḥərf əl-əwwəl u tšanləṣṣəq əl-mīm u tšangūl əl-ḥərf əl-ləwwəl tšangūl-u f-lə-xxǝṛ |
Tu-commences tu-parleras avec un la-parole comme comme si ils-ont-voulu maintenant comme comme avec-nous quelque un ne nous-voulons-lui-pas il-comprend la-parole nous-commençons nous-enlevons comme comme si je-veux je-dirai à-toi tu-vois karima j-enlève la-lettre le-premier et je-colle le-mim et je-dis la-lettre le-premier je-dis-lui dans-la-fin | |
« Tu parles d’une façon comme si tu veux, si on veut pas que quelqu’un comprenne ce qu’on dit, on commence par enlever, comme si tu veux dire par exemple Karima tu enlèves la première lette et tu colles le M et tu prononces la première lettre à la fin » [Mkn]. |
180En effet, à Meknès, il s’agit également d’un parler de type « loucher-bème » : on enlève la première lettre qu’on remplace par /m/ et qu’on met à la fin du mot, suivie de la voyelle -a :
(136) | mūt-ək-sa (sūwt-ək) mbir-ka (kbīra) ma-ḥbi-sa (ṣāḥb-i) |
cul-toi gros ami-moi | |
« Tu as un gros cul, mon pote » [Mkn]. |
181Ces exemples sont donnés par des jeunes de Meknès pour expliquer comment on parle l-ġaws à Meknès ; cependant, des enquêtes ultérieures seront nécessaires pour déterminer si cette pratique du ġawṣ se maintient chez les jeunes Marocains.
4.3. Portée sociale des usages jeunes
182Comme nous l’avons noté, la plupart des traits linguistiques et des procédés de création lexicale des usages jeunes marocains reprennent, en les exagérant ou les systématisant, des procédés déjà existants en arabe marocain. Ici comme ailleurs, il est parfois difficile de distinguer entre « parler populaire » et « parler jeune » puisque les locuteurs revendiquent le plus souvent une proximité sociale et affective avec « la rue » marocaine (z-zǝnqa).
183L’aspect le plus remarquable des usages jeunes entre pairs est certainement l’emploi de termes injurieux et crus (voir les exemples en 2.1 et 3.2), usage qui transgresse les règles de la politesse et des tabous sociaux. De fait cette transgression existe déjà dans l’espace public via en particulier les insultes personnelles omniprésentes et violentes dans les interactions quotidiennes des adultes urbains marocains. Mais cet usage reste habituellement considéré comme le signe d’une perte de contrôle de soi, une transgression des règles de politesse, la marque d’individus vulgaires et mal éduqués.
184Entre pairs, la transgression des tabous sociaux sur un mode plus ou moins humoristique devient une norme et un emblème identitaire. Un des indices forts de cette transgression est l’effacement des frontières entre l’espace privé et l’espace public. Des thèmes dévoilant le côté intime et vie privée ne pouvaient auparavant qu’être abordés dans des cercles très restreints, entre personnes du même sexe et toujours d’une façon allusive. Aujourd’hui, on relève la récurrence de thématiques comme la sexualité, la drogue et la drague exprimées dans un « langage cru » en arabe marocain. Langage cru en arabe marocain signifiant ici un moindre recours aux périphrases allusives ou aux emprunts en français (Cheikh & Miller, 2010). L’une des manifestations les plus emblématiques de cette transgression est l’usage par les filles de ce vocabulaire viril et vulgaire dans des cercles mixtes et non plus dans des cercles intimes exclusivement féminins (Barontini & Ziamari, 2009).
185Cette transgression des tabous sociaux et langagiers reste cependant relative, limitée à certains contextes bien spécifiques.
186À l’oral, on constate une très grande différence de registre de langues entre les discussions enregistrées entre groupes de pairs sur le mode de la vanne et l’insulte quasi permanente, et des discussions plus quotidiennes ou des contextes un peu plus formels. Dans les médias, les émissions de radio dites jeunes, comme Hit Radio, restent soumises à un contrôle et une censure très stricts, où le moindre écart, comme l’utilisation de termes sexuels, sera rapidement sanctionné. C’est ainsi qu’en 2010, Hit Radio et son animateur fétiche Momo ont été lourdement sanctionnés par la HACA (Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle) pour une version pastiche en arabe marocain de la chanson « Alors on danse » de Stromae, où la HACA a cru reconnaître l’emploi du terme zəbb dans l’expression « hazz el bot » où figurent bien les lettres z et b, mais dans des mots différents et séparés par un l.
187L’anonymat des écrits sur internet, grâce aux pseudos et l’absence de réel face à face permettent des pratiques de transgression publique plus fréquentes qu’à l’oral. Le recours à l’injure grossière y est quasi systématique en cas de désaccord. Tel ce commentaire violent relevé sur Youtube en avril 2011 sur le lien d’une vidéo d’une chanson polémique du rappeur Don Bigg ma bghitch39 :
(137) | lah yn3eell tabounn mouk ya wld l97baaa ya wase333 nta dakk l-khnezz dial biggg |
dieu il-maudit chatte mère-toi eh fils la-pute eh large toi ce la-puanteur de bigg | |
- tab3in l3a9a ya walad l9habbb l-mgharba bzaff 3la zmel bokoummm | |
suivant le-pognon eh fils les-putes les-Marocains beaucoup sur pédé père-votre | |
« Que Dieu maudisse la chatte de ta mère fils de pute, espèce d’enculé (le large), toi espèce de puant de Bigg qui court après le fric, fils de putes, les Marocains, ça fait beaucoup pour vos pédés de pères… » [écrit internet]. |
188Comme dans le reste du monde et via l’internationalisation des codes de la culture rap et hip hop nord américaine40, la figure du « jeune » branché, agressif et viril est perçue comme positive… jusqu’à un certain âge où les grandes figures du rap marocain des années 2000 comme Don Bigg, surnommé l-xasəṛ « celui qui dit des gros mots, le vulgaire », deviennent des grands frères et des pères responsables, pieux et patriotes41.
189Mais même chez les plus jeunes, on constate de manière générale que la transgression reste intimement liée aux groupes de pairs quand les jeunes « surjouent » leur rôle mais que dans leurs conversations courantes, les marques linguistiques jeunes restent relativement diffuses. Un petit extrait enregistré à Marrakech illustre un usage « ordinaire » et très peu transgressif (avec un exemple de troncation, d’innovation lexicale et quelques emprunts) :
(138) - ʕlāh yāk žāt tatənqāṭ fāš lʕəbna dāk əl-māṭš pourquoi n’est-ce-pas elle-est-venue elle-note quand nous-avons-joué ce le-match « Comment ? Elle était venue noter le match qu’on avait joué ? » - hīṛ tatʕiyyəṭ b-smīyāt seulement elle-appelait avec-noms « Elle faisait l’appel seulement » - wālākin ṛāh tatənqāṭ dīk əs-sāʕa mais voilà-lui elle-notait cette l-heure « Mais, elle donnait des notes à ce moment là » - ma ʕarta, ma ʕart, w ḷḷa ma ʕart, ma ʕart āš bī-na nžību f-hād əd-dūṛa a ṣāḥb-i,mkǝffṣīn-ha yəqdar ne je-sais ne je-sais et non ne je-sais ne je-sais quoi entre-nous nous-ramenons dans-ce le-semestre eh pote-mon mauvais-elle il-peut « Je ne sais pas, je ne sais pas combien on aura à cette session, mon pote. On a raté [les examens], c’est possible » - la, la « Non, non » - əl-bārəḥ tyšūf ət-tṣāwǝṛ yāk ?, w āna w ybān lī-ya l-ḥābīb, w ngūl lī-h, hāda zəllāl, fhəmti ? le-hier il-voit les-photos n’est-ce-pas ? et moi et il-apparaît à-moi le-habib et je-dis à-lui celui la drageur, tu-comprends « Hier, il a vu les photos, n’est-ce pas ? Et j’ai aperçu Habib et je lui ai dit : c’est bien le dragueur, tu as compris ? » - bān lī-ya l-ḥābīb əl-bārəḥ fāš kān žāy l-ʕănd-ək il-est-apparu à-moi le-habib le-hier quand il-était arrivant à-chez-toi « J’ai aperçu Habib hier quand il venait vers toi » - gəlt lī-h əl-bārəḥ hāda zəllāl je-ai-dit à-lui le-hier celui-la dragueur « Je lui ai dit hier, celui-là est un dragueur » - dāxəl l-ḥūma entrant le-quartier « Il était dans le quartier » - w ma fhǝm-ha š əl-bārəḥ kārīm fhəmti ? w ʕārf-ha dāba hūwa ʕārf-ha Et ne-il-comprend-elle-pas le-hier karim tu-comprends et connaissant-elle maintenant lui connaissant-elle « Il n’a rien pigé hier Karim, tu comprends ? Il le sait, lui, il le sait maintenant » - əl-bārəḥ tanṣāybu ši tṣāwəṛ, ši, ṣāybnā-hum f-ši sīdīya le-hier nous-arrangeons quelques photos quelque nous-avons-arrangé-elles dans-quelque CD « Hier, on arrangeait les photos, on a enregistré quelques unes dans un cd » - grāvītī-hum f-sīdīya ? wāxxa hūma kwtāṛ tu-as gravé-eux dans CD ? même eux nombreux « Tu les as gravées dans un cd ? Même si elles sont nombreuses ». |
a. ma ʕarft-š « je ne sais pas ». |
Conclusion
190Cette première description des usages jeunes au Maroc dans les années 2000 a montré que de nombreux traits sont partagés et utilisés dans certains contextes par les jeunes de différentes villes du Maroc, pour marquer leur appartenance aux groupes de pairs. Cet usage jeune n’efface pas cependant les spécificités dialectales de chaque région.
191Mais plus que des traits linguistiques spécifiques, c’est certainement le recours à l’humour, la dérision, éventuellement l’outrance et un certain degré de provocation qui caractérisent ces usages jeunes. Ceux-ci héritent, reprennent et transforment une pratique de culture orale caractérisée notamment par le goût pour la rime et la métaphore. Des traits considérés auparavant comme relevant de la culture populaire deviennent un signe de « branchitude », via en particulier les jeunes artistes, la publicité, les réseaux sociaux, et plus largement les Technologies de l’Information et de la Communication.
192Nous l’avons signalé et nous le répétons, cet usage jeune se surjoue dans certains contextes (vannes entre pairs, mise en scène de rappeurs, écrits sur les réseaux sociaux, etc.) et ne représente pas un usage d’interactions quotidiennes. Reste à savoir si cet usage jeune urbain relayé par les médias et développant une symbolique de la culture de la rue peut initier des changements linguistiques plus diffus et de plus longue portée et participer au développement de nouvelles normes urbaines (Rampton, 2011). Un cas emblématique semble être celui de la palatalisation/pharyngalisation qui se diffuse auprès de jeunes de toutes catégories sociales. Un autre phénomène important que nous n’avons pas abordé dans cette description, mais qui est très marqué en particulier dans les médias (émissions jeunes, publicité mais également certaines productions artistiques) est la volonté d’assumer « sa marocanité » sans complexe par rapport à d’autres parlers vernaculaires arabes (les parlers orientaux qui ont dominé l’audiovisuel marocain dans les années 1960-1990) et les langues dites de prestige : l’arabe standard et le français. Dans quelle mesure la médiatisation des usages jeunes dans les années 2000 a contribué et contribuera à modifier durablement les idéologies et représentations linguistiques au Maroc et à modifier les pratiques reste une question à explorer. Comme l’ont souligné par exemple les études longitudinales faites dans des quartiers ethniquement mixtes de Londres entre les années 1980 et les années 2010, des traits et des usages (comme le crossing), considérés auparavant comme emblématiques d’une pratique adolescente marquée stylistiquement, perdurent chez les adultes dans certains contextes d’interaction (Rampton, 2011), en particulier les pratiques de code-switching. Les matériaux présentés ici serviront donc d’archives pour des travaux ultérieurs.
Notes de bas de page
1 Les auteurs tiennent à remercier les relectrices, et particulièrement Michelle Auzanneau pour ses critiques très constructives d’une première version de ce chapitre.
2 Pour des synthèses sur la question, voir par exemple Androutsopoulos & Georgakopoulou, 2003 ; Auzanneau et Juilliard, 2012.
3 On citera par exemple l’Enquête nationale sur les jeunes, <https://www.hcp.ma/downloads/Enquete-nationale-sur-les-jeunes_t14913.html>, consulté en ligne le 06 mai 2020.
4 Centre Immobilier Longchamp.
5 Pour une étude dédiée aux pratiques langagières jeunes dans un contexte urbain (Fès), voir Ben Salah (2017).
6 Dans les exemples numérotés, les seuls termes en italique sont des emprunts au français, à l’espagnol ou à l’anglais.
7 Le système de transcription des arabisants est utilisé (voir Pereira, 2010a, p. 15 et p. 35). Pour noter certaines consonnes, les caractères suivants sont employés : š = fricative palato-alvéolaire sourde ; ž = fricative palato-alvéolaire sonore ; ġ = fricative vélaire sonore ; h = fricative laryngale sonore ; ḥ = fricative pharyngale sourde ; q = occlusive uvulaire sourde ; x = fricative vélaire sourde ; ʕ = fricative pharyngale sonore ; ʔ = occlusive glottale. Le point sous les consonnes ḅ, ḍ, ḷ, ṃ, ṇ, ṛ ṣ, ṭ, ẓ note l’emphase. La voyelle moyenne centrale est notée au moyen de ə. Pour ce qui concerne les voyelles longues, voir la note 7.
8 Pour les données orales, les phonèmes vocaliques longs de l’arabe marocain gardent la transcription dialectale de type ā, ū, ī, etc. Pour l’allongement expressif « exagéré » nous avons adapté la transcription API (de type aː) en āːːː, ūːːː, īːːː ou en aːːː, uːːː, iːːː sans le macron car un phonème bref peut également être allongé pour des besoins expressifs. Nous avons essayé de rendre cet allongement dans la traduction française (avec :::). Pour les données écrites, nous a conservé dans la transcription la répétition de la voyelle pour plus de cohérence avec les exemples cités.
9 Ces jeunes créateurs sont Amine Bendriouich, Simo Smiyej et Achraf El Kouhen.
10 Il s’agit du participe actif du verbe qawwəd, voir le dictionnaire Colin, Iraqui-Sinaceur, 1993, vol. 6, p. 1621, « qawwəd, v. : faire l’entremetteur, le maquereau ».
11 Voir Caubet (2013), pour un détail de ces pratiques avant 2012 ; et Caubet (2018) pour des écrits plus élaborés.
12 Le quartier de Hay Mohammadi à Casablanca est un quartier emblématique. Regroupant une population d’origine migrante de toutes les régions du Maroc et très populaire, il a vu se développer dans les années 1960-1970 une intense activité culturelle musicale et théâtrale avec des groupes de musique comme Nass el-Ghiwan ou la troupe de théâtre Maṣraḥ an-nās de Tayyeb Saddīqī.
13 Les consonnes affriquées sont notées au moyen de deux éléments : le premier élément occlusif duquel elles procèdent, suivi de l’appendice en exposant. Ainsi, le /t/ peut être articulé ts = consonne affriquée alvéolaire sourde, tš = consonne affriquée palato-alvéolaire sourde ou ty = consonne affriquée palatale sonore ; le /d/ peut être articulé dž = consonne affriquée palato-alvéolaire sonore ; le /k/ peut être prononcé ky = consonne affriquée palatale sonore. Pour une étude fine de ce phénomène d’affrication en arabe marocain et en contexte urbain (Temara), voir Falchetta (2019).
14 « Nayda » a été le terme donné en 2007 au mouvement de renouveau culturel qui a touché le Maroc à partir des années 2000 avec en particulier l’émergence d’une nouvelle scène musicale urbaine qui a favorisé la médiatisation de ces fameux usages jeunes (Caubet, 2008).
15 <http://slimane121.skyrock.com/2735879852-50-mots-de-nayda.html>, consulté en ligne le 7 mai 2020.
16 Voir note 10 pour l’origine du terme qui reste un mot tabou, même s’il est très employé. À l’écrit ce terme apparaît parfois sous la forme m9**d parce qu’il reste très transgressif. Le 9 est utilisé pour écrire le ق = [q], dans le passage à l’écrit qui s’est effectué sur les claviers d’ordinateurs et de téléphones portables (voir Caubet 2013).
17 Voir dans ce volume le chapitre sur « La construction socio-langagière du genre : jeunes hommes libyens, jeunes femmes marocaines et rapport à la masculinité ».
18 Cette construction a été décrite par C. Pereira pour l’arabe de Tripoli dans Pereira (2010, p. 130).
19 Voir Iraqui-Sinaceur, 1993, vol. 1, p. 205.
20 Voir Iraqui-Sinaceur, 1993, vol. 3, p. 552.
21 Voir Iraqui-Sinaceur, 1993, vol. 8, p. 1961.
22 Dans la littérature francophone voir par exemple Bulot & Feussi, 2012 ; Caubet et al., 2004 ; Ledegen, 2007 ; Trimaille & Billiez, 2007. Dans la littérature anglophone voir par exemple Androutsopoulos & Georgakopoulou (dir.), 2003 ; Jørgensen (dir.) 2001 ; Rampton, 1995, 2011.
23 Titi / pl. titis « nanas » était un mot jeune très fréquent dans les années 1970 et 1980 en Espagne et aujourd’hui complètement démodé.
24 Voir également le chapitre : « La construction socio-langagière du genre : jeunes hommes libyens, jeunes femmes marocaines et rapport à la masculinité », par Claudine Moïse, Christophe Pereira, Ángeles Vicente et Karima Ziamari.
25 Voir par exemple Caubet (2001) et Caubet (2008b) pour une mise en parralèle entre la France et le Maghreb pour l’usage de certains termes d’adresse et également pour les insultes et les vannes.
26 Voir Iraqui-Sinaceur (1993, vol. 5, p. 1268).
27 Voir Iraqui-Sinaceur (1993, vol. 5, p. 1268).
28 Pour des détails voir <http://www.surlmag.fr/wesh-histoire-origine-dominique-caubet/>, consulté le 7 mai 2020.
29 Voir Iraqui-Sinaceur (1993, vol. 4, p. 934).
30 Voir Iraqui-Sinaceur (1993, vol. 4, p. 1048).
31 Voir Iraqui-Sinaceur (1993, vol. 4, p. 1038).
32 Voir Iraqui-Sinaceur (1993, vol. 3, p. 518).
33 Le mot est insultant à Meknès. C’est grâce à ce glissement opéré par les parlers jeunes qu’il a perdu son sens « très péjoratif ».
34 Le terme ḥūma désigne à l’origine un quartier, un groupe de ruelles organisées autour d’une mosquée, d’un four à pain et d’un ḥamman dans les anciennes médinas.
35 šīxa est le nom donné aux chanteuses/danseuses de différents genres de musiques populaires marocaines comme l’ayṭa mais également les groupes berbères du Moyen Atlas. Ces chanteuses qui se produisent devant des publics souvent masculins, sont considérées comme débauchées et scandaleuses.
36 Hassan El Fad Bayn Show, épisode 24, en ligne à <https://www.youtube.com/watch?v=pSdWM4PrHgE>, consulté le 7 mai 2020.
37 Les catégories parlers hilaliens vs pré-hilaliens qui recoupent les catégories parlers bédouins/sédentaires ont été forgées par les linguistes dialectologues arabisants travaillant sur le Maghreb au début du xxe siècle pour distinguer deux grands types de dialectes arabes qui caractériseraient les deux grandes vagues d’arabisation du Maghreb. Les parlers dits pré-hilaliens ou non-hilaliens auraient été amenés par la première vague migratoire arabe au début du viie siècle et seraient de type sédentaire. Les parlers dits hilaliens renvoient à la deuxième grande vague migratoire du xie siècle des tribus bédouines Hilaliennes. Pour plus de détails sur cette classification toujours en usage, voir Lévy (1998a & b).
38 De très nombreux travaux de géographie et sociologie urbaines sur le Maghreb se sont intéressés à cette question des définitions spatiales, des processus d’identification et des pratiques sociales des quartiers des villes anciennes. Voir en particulier les travaux de référence de Naciri & Raymond (1997). Les notions de ḥūma et darb qui renvoient à des ensembles de rues et ruelles refermées sur elles-mêmes ne correspondent pas au découpage administratif contemporain.
39 Cette chanson diffusée par Bigg en 2011 au moment du « printemps arabe » prenait position en faveur du régime marocain et s’attaquait aux militants du mouvement du 20 février en les comparant à une bande de gamins mangeant pendant le ramadan et à un groupe de barbus moralisateurs. Elle totalisait plus de 302 904 vues en avril 2011.
40 Voir par exemple Alim, Ibrahim & Pennycook (2008).
41 On pense ici au clip de Bigg, TJR (2015) se mettant en scène avec le chanteur Ahmed Soultane en tenue marocaine traditionnelle, allant dans son village natal avec son fils de trois ans, Taoufiq junior, et allant prier avec lui à la mosquée.
Auteurs
GRAL, Moulay Ismail University of Meknes
INALCO, LaCNAD
Aix Marseille Université, CNRS, IREMAM, Aix-en-Provence, France
Universidad de Zaragoza, Área de Estudios Árabes e Islámicos
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