Chapitre 2
Molière, le héros de sa propre vie
p. 112-138
Texte intégral
1Dans les manuels, les éléments retraçant la vie de Molière s’apparentent à un roman. En effet, dès la fin du xixe siècle, les mythèmes qui constituent la légende du dramaturge se mettent en place au point que l’auteur-acteur devient semblable à un véritable héros. Sur les récits biographiques fondateurs vont se greffer deux ajouts, lesquels vont donner un cadre à cette mythographie. En effet, pour que la légende de Molière puisse exister dans les ouvrages scolaires, il faut d’abord la reconnaissance de la Nation à celui qui est considéré comme le plus grand comique français. Il faut aussi qu’on puisse découper la vie de Molière en étapes, dans lesquelles vont s’inscrire les différents jalons de la vie reconstituée de l’auteur-acteur. Une fois ces deux ajouts effectués, la légende peut alors se développer. Les années d’étude du jeune Jean-Baptiste, sa vocation théâtrale, les années de province, puis les années parisiennes sont les différentes étapes qui vont finir par constituer la légende de Molière auteur de génie, homme blessé, et comédien exemplaire.
Les ajouts qui finalisent la légende de Molière
Les trois canonisations de Molière
2Le premier élément qui va parfaire la légende de Molière concerne sa reconnaissance officielle. Celle-ci a lieu en trois étapes. Dès la fin du xviiie siècle, les ouvrages scolaires rendent hommage à l’auteur : c’est la reconnaissance de la Nation au génie du dramaturge, mais les ouvrages scolaires ne s’en tiendront pas là. À la fin du premier quart du xxe siècle, en s’appuyant sur les récits fondateurs des biographies de Molière, l’école va effectuer une seconde canonisation : celle de l’homme. Enfin, dans les dernières décennies du xxe siècle, on va continuer à exploiter les textes sources sur la vie de Molière dans la perspective d’une troisième canonisation : celle de l’acteur.
Première canonisation : la reconnaissance de Molière-auteur de génie
3Le premier élément qui va parfaire la légende de Molière dans les manuels concerne sa reconnaissance institutionnelle après sa mort. Celle-ci est essentielle pour pouvoir construire l’image scolaire de l’écrivain en tant que génie universel, représentant de l’esprit français. Elle se fera, en 1778, lorsque, à la commande de La Comédie-Française, le sculpteur Houdon réalise le buste du dramaturge. Dans les manuels de littérature, à partir des années 1880, c’est la dernière phrase de l’hommage rendu à l’auteur-acteur lors de l’installation de son buste à la Comédie-Française qui, en lien avec l’image de Molière représentant du génie français, sert, bien souvent, de conclusion à la notice biographique : « Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre ». On la retrouve, aussi bien dans les anthologies littéraires à destination des élèves des institutions chrétiennes, comme, par exemple, celle de J.M.J.A1, auteur anonyme, que dans celles destinées à l’enseignement public. La première canonisation de Molière, celle qui est officielle, est donc la reconnaissance de l’auteur en tant que plus grand dramaturge comique, représentant du génie littéraire de la France.
Seconde canonisation : la reconnaissance de Molière-homme admirable
4L’image de Molière, nous l’avons vu, évolue au cours du premier quart du xxe siècle, date à laquelle apparaît dans les anthologies littéraires une nouvelle représentation du dramaturge, plus romantique et plus humaine. La vie de Molière est alors relue par l’institution scolaire dans une perspective humaniste, dont on peut retrouver des traces jusqu’à aujourd’hui. Au début du xxe siècle, on continue, comme c’était le cas depuis les débuts de l’école républicaine, à glorifier l’auteur en tant que représentant du génie français, mais ce qui est nouveau, c’est qu’on donne aussi l’homme en exemple. On vante ses qualités d’âme et de cœur, lesquelles sont citées pour témoigner du fait qu’en dépit de toutes les souffrances qu’il n’a cessé d’endurer, Molière n’a jamais renoncé à se battre pour son métier et pour ses comédiens. On a déjà canonisé l’auteur ; c’est maintenant le tour de l’homme. En lien avec cette nouvelle image de Molière, dès le début du xxe siècle, on peut remarquer que les dernières lignes de sa notice biographique commencent à évoluer. La référence à la reconnaissance institutionnelle de Molière se fait plus rare en conclusion et c’est avec le portrait moral d’un Molière quasiment sanctifié que certains auteurs des anthologies littéraires choisissent plutôt de conclure leur présentation du dramaturge : « cC’était un esprit profond et lucide, un cœur bon et généreux qui souffrit, mais sans haine et sans rancune contre ceux qui le faisaient souffrir, ni contre la vie elle-même2 ». De tels propos, lesquels témoignent de l’influence de La Vie de Molière par Grimarest, lorsqu’ils sont mis en conclusion de la notice biographique de l’auteur, inscrivent celle-ci dans une perspective hagiographique.
Troisième canonisation : la reconnaissance de Molière-artiste par excellence
5La fin du xxe siècle va ajouter une nouvelle dimension à la légende de Molière et une troisième canonisation. C’est toujours l’auteur qu’on vénère en tant que plus grand comique français, c’est toujours l’homme qu’on admire pour la beauté de son âme. Mais, dernière métamorphose de l’image de l’auteur, ce sont aussi les talents du comédien et du metteur en scène qu’on reconnaît. La plupart des notices biographiques se terminent alors sur la mort du dramaturge, laquelle devient le symbole de cette nouvelle image de Molière. On peut le voir, par exemple, dès 1988, dans le manuel à l’usage des classes des lycées que Robert Horville consacre au xviie siècle3 : « C’est au cours de la quatrième représentation de cette dernière pièce qu’il meurt d’une hémorragie interne ». Et, nous dit-on, cette mort « deviendra bientôt mythique, sera souvent évoquée, donnée en exemple et parfois souhaitée, par de nombreux comédiens, comme le symbole du courage de l’acteur qui continue jusqu’au bout de son métier ». Depuis le début du xxie siècle, cette image de Molière s’impose dans les manuels de français au point qu’il semblerait qu’on en oublie même que le dramaturge n’est pas mort en scène, en particulier dans les ouvrages du collège. C’est certainement, pour frapper l’imagination des jeunes élèves, pour rapprocher le plus possible la vie de Molière d’un roman, pour faire de lui un héros auquel les jeunes esprits sont susceptibles de s’identifier, que les auteurs de ces ouvrages choisissent de faire mourir Molière en scène. Cette réécriture scolaire des derniers instants de vie de l’auteur-acteur, qui oublie la dimension chrétienne de sa mort, est l’expression la plus visible de l’aboutissement de l’image scolaire de l’écrivain telle qu’elle a été fabriquée par l’école républicaine depuis la fin du xixe siècle. En voici un exemple : « Je suis mort en 1673, alors que j’interprétais sur scène Le Malade imaginaire4 ». Pourtant, ni les témoignages des contemporains de Molière, ni le récit de Grimarest, ni celui de Voltaire ne font mourir Molière en scène. Alors, comment s’est produit ce glissement ?
6Ce sont les biographes de Molière du xixe siècle qui vont modifier cette première version de la mort de Molière en éliminant volontairement certains éléments. Dès 1856, dans la notice de Louis-Gabriel Michaut sur Molière, dans la Biographie universelle, on peut remarquer le glissement d’un récit à l’autre5. Des deux premières versions, seuls sont conservés les épisodes symboliques. Le raccourci effectué aboutit à gommer le fait que le dramaturge termine la représentation du Malade imaginaire. Le récit passe directement du malaise du comédien en scène au retour à la maison. Dans cette seconde étape, Molière ne meurt pas sur scène, mais le premier pas est franchi comme le remarque Florence Filippi6 : « Ces raccourcis suggèrent que Molière serait quasiment mort sur scène. […] Molière devient, au fil de ces versions, le personnage tragique qu’il n’a su être sur scène ». Pour les auteurs des anthologies littéraires, faire mourir Molière sur scène va permettre l’héroïsation de l’auteur-acteur et la consolidation de sa légende. C’est par la théâtralisation dramatique des derniers instants de la vie de l’auteur-acteur que les deux premières représentations scolaires se rejoignent : Molière, premier représentant du génie français accède, par sa mort ainsi présentée, au statut de martyr. Sa vie, donnée en exemple aux élèves fait de lui un véritable héros. Mais c’est surtout avec la fin du xxe siècle, en lien avec la consécration de Molière-comédien que va s’imposer la légende de la mort de Molière sur scène ; nous y reviendrons.
7Ainsi, au fil du temps c’est toujours dans les textes fondateurs des Vies de Molière qu’on va puiser les éléments susceptibles de mettre en place les différentes représentations scolaires de celui qu’on honore d’abord en tant qu’auteur puis en tant qu’homme et enfin en tant que comédien. Mais, lorsque celles-ci n’apportent pas d’éléments suffisants à la construction de l’image de Molière, on a recours à des biographies postérieures. C’est la notice écrite par Louis-Gabriel Michaut, en 1856, qui justifie, dans les manuels, le passage d’un Molière mort dans les heures suivant la quatrième représentation du Malade imaginaire, à un Molière qui meurt sur scène.
Le découpage de la vie de Molière
8Pour que la légende de Molière puisse prendre corps dans les manuels, il manque encore un second élément aux témoignages des contemporains du dramaturge ainsi qu’aux récits de Grimarest et de Voltaire. Il s’agit de trouver un découpage de la vie de l’auteur-acteur susceptible de rendre signifiants les différents mythèmes qui constituent sa légende.
9En 1877, Jules Loiseleur, bibliothécaire de la ville d’Orléans et historiographe publie une biographie de Molière dans laquelle il s’attache, comme le dit le titre de son ouvrage, à faire la lumière sur Les points obscurs de la vie de Molière. Cet ouvrage nous semble être à l’origine de la répartition en « trilogie » des différentes étapes de la vie du dramaturge, telles que nous allons les retrouver dans les biographies de l’histoire littéraire lansonienne et dans les anthologies littéraires de la première moitié du xxe siècle. Dans Les points obscurs de la vie de Molière, ce critique propose un découpage en trois périodes successives, lesquelles, selon lui, constituent les trois parties de la vie du dramaturge7 :
La vie de Molière, comme celle de la plupart des hommes du reste, est une trilogie : elle commence par l’étude ; elle se poursuit par la lutte ; elle finit par le succès, et aussi par les amertumes qui en sont le cortège ordinaire, accrues encore pour lui de celles du cœur, les plus amères de toutes. De là les divisions naturelles de ce livre : les années de jeunesse ; les années de lutte et de vie nomade ; et enfin les années de gloire, où se déroulent, avec les triomphes et leurs fatales conséquences, les malheurs domestiques du poète qui, joints aux piqûres de l’envie, le mènent prématurément au tombeau.
10Pour les auteurs des anthologies littéraires, ce découpage va constituer un cadre dans lequel vont s’inscrire les différents jalons de la légende de Molière. Ils vont s’en inspirer pendant une bonne partie du xxe siècle, période lors de laquelle les notices biographiques sont particulièrement développées. Ainsi, sous la double influence de l’histoire littéraire lansonienne et de la trilogie de Jules Loiseleur, la répartition des éléments constitutifs de la légende de Molière en trois parties va se retrouver modélisée dans tous les ouvrages scolaires, jusque dans les années 1970. Les titres donnés aux trois étapes sont quasiment toujours identiques. En voici un exemple extrait du manuel de Charles-Marie Des Granges8 : « Les années d’enfance et de jeunesse ; Molière en Province ; Molière à Paris ». D’autres auteurs tels Pierre Castex, Paul Surer et Georges Becker9, quant à eux, adoptent des titres à la « Michaux10 » pour présenter la vie de Molière : « L’apprentissage ; Les Premières luttes ; Le Grand combat ».
Les mythèmes constitutifs de la légende de Molière
11Avec la fin du xxe siècle, les longues notices biographiques disparaissent des manuels de français. La présence de certains mythèmes dans les courtes biographies de Molière que nous trouvons dans ces ouvrages est alors d’autant plus intéressante à relever qu’elle témoigne d’une survivance, encore aujourd’hui, d’une partie de la légende.
Les années d’études
12Dans les anthologies littéraires de la fin du xixe siècle, le parcours scolaire du jeune Jean-Baptiste est présenté comme équivalent à celui de tous les fils de bonne famille, sans valorisation particulière. On évoque même l’idée qu’on puisse lui avoir acheté un diplôme d’avocat, comme on peut le lire, par exemple, dans le manuel de Mouchard et Blanchet, à l’usage des élèves de l’enseignement catholique11. Rien de bien glorieux donc dans cette formation de Molière. Les deux auteurs la retranscrivent en fonction d’éléments empruntés à la comédie satirique, Élomire hypocondre, ou les médecins vengez12 que le Boulanger de Chalussay, qui est le premier à mettre en doute l’obtention du diplôme d’avocat de Molière, publia en 1669. À cette époque, on laisse même souvent de côté les hypothétiques études de droit du jeune Jean-Baptiste et l’on se contente de dire que son père « lui fit faire ses études au collège de Clermont (Louis-Le-Grand)13 ». Puis on passe aussitôt, en quelques lignes, de la création de « L’Illustre théâtre » à l’échec parisien et aux années en province14.
13Tout change à partir du début du xxe siècle : les auteurs des ouvrages scolaires de cette époque sont beaucoup plus prolixes sur ce domaine et assurent que Molière fit, au collège de Clermont, de « fortes études15 ». La formation du dramaturge devient désormais l’occasion de valoriser l’image de Molière. Jusque dans la seconde moitié du xxe siècle, les pages des manuels consacrées à la biographie de Molière attestent de la présence de ce premier jalon de sa légende, lequel fait du jeune Jean-Baptiste « un brillant élève au collège Louis-le-Grand16 ». Tous les auteurs n’assurent pas qu’il y ait rencontré le Prince de Conti et le philosophe Gassendi. Ils ne le font pas tous, non plus, avocat. Cependant, quelle que soit l’option choisie, il n’en demeure pas moins qu’on valorise les études de Molière. Cette valorisation de la formation culturelle de Molière va de pair avec la première image scolaire du dramaturge, laquelle commence à s’imposer dans les toutes dernières années du xixe siècle. C’est sur les dires des premiers biographes de Molière que les auteurs de ces ouvrages se basent pour donner du jeune Jean-Baptiste l’image d’un brillant intellectuel, laquelle participe à la construction du mythe d’un Molière digne représentant du génie français, qu’on montre en exemple à toutes les générations de collégiens et de lycéens du xxe siècle. Or, cette représentation d’un Molière dont les années d’études auraient fait un intellectuel n’est peut-être qu’une légende. On peut certainement mettre en doute le témoignage du Boulanger de Chalussay, qui la conteste dans son Élomire hypocondre. Cependant, il n’est pas le seul à penser que la formation intellectuelle de Molière n’a rien de particulièrement brillant. Dès le début du xxe siècle, Émile Faguet remet en cause ce qui, pour lui, n’est qu’une légende. Selon ce critique, Molière n’aurait pas fait d’études à la suite de ses années de collège et il n’aurait même pas été un élève brillant17. Nulle mention d’un cursus universitaire en droit, nulle mention d’un élève dont les capacités intellectuelles hors du commun auraient marqué ses camarades de collège. Selon Émile Faguet, c’est surtout à l’école de la rue que Molière a été formé. Il le décrit comme un jeune parisien « flâneur, badaud, intelligent, fréquentant le théâtre depuis l’enfance et curieux de littérature environnante18 ». On peut penser que si le critique ne reprend pas ce mythème, c’est parce qu’il ne correspond pas à l’image du Molière qu’il véhicule dans son ouvrage : celle d’un homme de génie, certes, mais qui, somme toute, « n’eut point de hautes vertus et qui avait les mœurs libres et relâchées d’un homme de théâtre19 ».
14En 1922, Gustave Michaut, quant à lui, ne remet pas en doute le fait que Molière ait fait des études d’avocat, même s’il reconnaît qu’on « n’a pas pu trouver trace du séjour ni même des examens de Molière à Orléans20 ». Cependant, le critique bat, lui aussi, en brèche la légende de Molière élève brillant. Selon lui, sa formation a certainement dû ressembler à celles de tous les jeunes bourgeois de l’époque21. Les travaux de Roger Duchêne, à la fin du xxe siècle, vont aller beaucoup plus loin dans la remise en question de ce jalon de la légende de Molière. En essayant de démêler le vrai du faux, le critique en arrive même à poser l’hypothèse d’un « Molière autodidacte ». Pour lui, les divergences dans les indications données sur les études de Molière par Donneau de Visé, La Grange et Grimarest aboutissent à des contradictions qui le poussent à s’interroger sur l’affirmation de la présence du jeune Jean-Baptiste au collège de Clermont22.
15Ainsi, depuis le début du xxe siècle, certains spécialistes de Molière mettent en doute la possibilité que celui-ci ait fait des études poussées. En 2010, dans l’Album Molière de La Pléiade23, François Rey s’interroge lui aussi sur cette « épineuse question » et reconnaît que ce n’est pas sans « quelques solides raisons » que Roger Duchêne formule l’hypothèse d’un Molière autodidacte. En effet, dit-il, nous n’avons aucune preuve « solide » qui puisse attester de la présence de Molière au collège de Clermont.
16Pourquoi, ne trouvons-nous aucune trace de ces interrogations dans les ouvrages scolaires de la seconde moitié du xxe siècle, alors que, par ailleurs, les travaux de Gustave Michaut servent souvent de référence aux auteurs des manuels pour la présentation de la vie de Molière ? De même, pourquoi dans les manuels d’aujourd’hui, en dépit des réserves émises par Roger Duchêne, lesquelles sont confirmées par François Rey, constate-t-on toujours des survivances de cette version des études de Molière ? On peut citer, par exemple, la brève notice du manuel pour la classe de sixième, Jardins des lettres, édité en 2009 chez Magnard24 : « Fils d’un tapissier, il étudie le droit. Mais il renonce à une carrière d’avocat et se tourne vers le théâtre ». Même si les notices biographiques des manuels actuels s’étendent bien moins sur le sujet qu’on ne le faisait au xxe siècle, il n’en reste pas moins qu’il semble encore impensable pour les auteurs des ouvrages scolaires d’aujourd’hui de douter du fait que Molière ait suivi des études secondaires puis un cursus universitaire. La preuve en est que, dans l’ouvrage des éditions Belin pour la classe de seconde, publié en 2015, on lit encore qu’il « abandonne ses études de droit pour fonder L’Illustre théâtre25 ». Cette constatation atteste que les avancées de la critique exégétique ne sont pas toujours prises en compte. Sans faire de Molière un autodidacte, on pourrait penser qu’au début du xxe siècle, les travaux de Gustave Michaut, puis, ceux plus récents, de Roger Duchêne, lesquels remontent malgré tout à plus de quinze ans, auraient influé sur la représentation scolaire. On pourrait, en effet, s’attendre à trouver un discours plus nuancé, lequel indiquerait que nous n’avons aucune connaissance certaine sur les études de Molière et qu’il n’est pas sûr qu’il ait eu une formation poussée, ni même qu’il ait fréquenté le collège de Clermont. On pourrait tout au moins, comme le dit Alain Niderst26, estimer que si « Molière a fait des études de droit, elles doivent plus à la bourse de son père qu’à ses capacités intellectuelles ». Pourquoi n’est-ce pas le cas ?
17Si l’on n’évoque pratiquement jamais l’idée d’un jeune Molière qui se forme surtout dans la rue parisienne, c’est certainement, parce qu’encore aujourd’hui, on continue à vouloir donner l’image idéale d’un Molière auteur de génie et homme exemplaire. Il ne peut donc avoir été autodidacte et il doit nécessairement avoir été un élève brillant. Cette représentation scolaire prend sa source dans les années d’études du dramaturge. C’est d’ailleurs celle qu’on retrouve encore dans certaines des dernières biographies de Molière. En 2014, l’historien Georges Poisson27 constate bien que nous devons avouer « une ignorance regrettable sur le plan du calendrier » en ce qui concerne les études de droit de Molière. Cependant, il ne remet pas en doute sa présence au collège ni l’obtention d’un diplôme universitaire. Les auteurs des manuels font donc le tri dans les propos des spécialistes de Molière, pour n’en retenir que ce qui confirme l’image du dramaturge créée par l’école républicaine : un jeune homme doué dont la formation intellectuelle est à la source de son génie créateur. Ce mythème est manifestement jugé utile pour valoriser les études scolaires auprès des élèves.
La vocation théâtrale précoce
18Dans les anthologies littéraires, c’est à partir du début du xxe siècle qu’on va commencer à accorder une place essentielle à la vocation théâtrale de Molière. Au siècle précédent, on se contente de dire que le jeune Poquelin a été « entraîné par son goût pour le théâtre28 », ou qu’il « sentit la vocation du théâtre s’éveiller en lui29 ». On constate donc, comme c’était le cas pour les études du jeune Jean-Baptiste, que c’est au moment où se met en place l’image scolaire du Molière-homme exemplaire que se développe l’importance accordée à la vocation de Molière. C’est la référence au rôle joué par le grand-père Cressé qui va donner corps à ce mythème que l’on va retrouver dans de nombreux manuels depuis le début du xxe siècle jusqu’au manuel d’André Lagarde et Laurent Michard, dont on sait que l’utilisation fut massive dans les classes des lycées, au moins jusqu’à la fin des années 1970, et qu’il était encore utilisé dans certains lycées dans les années 199030. Il s’agit certainement ici de l’anecdote la plus populaire de la légende de Molière. Pourtant, dès la fin du xixe siècle, elle est mise en doute par les spécialistes, qui la jugent peu digne de foi, même s’ils choisissent, cependant, de lui accorder quelque crédit. Paul Mesnard31, dans la « Notice biographique sur Molière » qu’il rédige, en 1889, en tête de l’édition des Grands écrivains de France, la rapporte avec un certain recul en se contentant de dire qu’elle « ne paraît pas inacceptable ». Dès le début du xxe siècle, Gustave Michaut32, quant à lui, note qu’elle « n’offre rien d’absolument inadmissible ». Plus tard, en 1967, Georges Bordonove l’évoque tout en la taxant de « légende tenace33 ». Or, en dépit des réticences émises par la critique depuis plus d’un siècle, on constate, encore aujourd’hui, en particulier dans les manuels du collège, la survivance de cette anecdote. L’évocation de la naissance précoce du génie de Molière contribue ainsi à la construction de l’image scolaire actuelle du dramaturge, parangon de l’artiste complet. En voici un exemple : « Jean-Baptiste Poquelin est un tout jeune garçon quand son grand-père le conduit au Pont-Neuf voir les spectacles de foire et les farces. Passionné par la comédie, il se rend compte qu’il ne veut pas prendre la suite de son père pour devenir tapissier du roi. Il veut faire du théâtre34 ! » Rapporter cette anecdote, comme s’il s’agissait d’un fait avéré par des témoignages dignes de foi, atteste que les manuels du collège d’aujourd’hui continuent à romancer la vie de Molière, certainement pour faire du dramaturge un modèle auquel les jeunes lecteurs puissent s’identifier. L’image exemplaire que l’on choisit de donner aux élèves est celle d’un homme déterminé dès son plus jeune âge à mettre tout en œuvre pour parvenir à réaliser ce qu’on appelle aujourd’hui son « projet ».
19Peut-être, pouvons-nous aussi y voir l’influence des différents ouvrages de littérature de jeunesse consacrés à l’auteur-acteur, à la lecture desquels on renvoie dans les classes de sixième et de cinquième. Citons par exemple, La Jeunesse de Molière de Pierre Lepère, dans lequel on peut lire un chapitre intitulé « Le grand-père Miracle ». L’anecdote du grand-père Cressé y est rapportée comme déclencheur de la vocation du jeune Jean-Baptiste35. Ainsi, les ouvrages de littérature de jeunesse assurent-ils le relais de la survivance de ce mythème dans les manuels des petites classes du collège. Ce qu’on donne en exemple aux jeunes élèves, c’est le parcours d’un homme dont la détermination ne pouvait que le conduire à la réussite professionnelle.
Les années en province
20Les premiers biographes de Molière, Grimarest et Voltaire, reconnaissent qu’on sait peu de choses sur cette période de la vie du comédien. Ainsi, ils n’apportent que de rares éléments sur le périple du jeune homme et de ses compagnons dans les villes de France. En 1863, Louis Moland déclare que, plus d’un siècle après ces premiers témoignages, on en sait un peu plus sur le parcours de Molière en province36. Pour le suivre à la trace, on dispose de deux documents : les requêtes ou permissions enregistrées dans les villes et les actes de baptême. « Les comédiennes de la troupe étaient d’une singulière fécondité », note-t-il au passage. Ces éléments permettent « de ne pas perdre de vue le troupe trop longtemps ».
21En fait, peu de documents attestent vraiment du passage de Molière et ses compagnons dans les villes de province, et il s’avère, comme le notent Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller, qu’on dispose de peu de choses pour tracer avec certitude l’itinéraire des comédiens37 : « À l’heure actuelle, quarante-huit documents jalonnent le passage de Molière et de ses compagnons sur les routes de France, quarante-huit documents pour treize années et la plupart ne sont que des mentions du passage de la troupe ». Pour donner plus de corps à cet épisode, que les auteurs des manuels jugent essentiel pour la formation du dramaturge, on va donc faire appel à une anecdote plus tardive, laquelle s’est greffée sur les premiers témoignages. Il s’agit de celle de Molière assis dans un fauteuil dans le salon du barbier de Pézenas. Cette anecdote va devenir l’emblème de la formation de l’auteur-acteur en province. C’est à Jean-François Cailhava qu’on la doit. Elle apparaît, pour la première fois, en 1802, dans ses Études sur Molière38. Ce critique nous dit qu’elle lui a été confirmée par écrit par un érudit de Pézenas, Monsieur Poitevin de Saint-Christol. Dans son récit de la vie de Molière il transcrit ce qui est, dit-il, la version originale : « Le susdit grand fauteuil de bois occupait un des angles de la boutique, et Molière s’emparait de cette place. Un observateur de ce caractère ne pouvait qu’y faire une ample moisson ». En 1825, l’anecdote est reprise par Jules Taschereau dans son Histoire de la vie et des ouvrages de Molière39, ce qui explique certainement le fait qu’elle va devenir un élément constituant de la légende de Molière dans les ouvrages scolaires. Entre temps, des précisions avaient été apportées, en 1818, par Victor-Joseph de Jouy40, lequel avait donné le nom du fameux barbier (que l’on retrouve, par la suite, orthographié différemment) et avait enjolivé le récit en faisant du fauteuil, le « fauteuil de Molière ».
22Peut-on accorder de la crédibilité à cette anecdote ? Pour Roger Duchêne, rien n’est moins certain41. Dans les anthologies littéraires de la première moitié du xxe siècle, les auteurs des ouvrages de littérature s’attardent longuement sur ce « rude apprentissage », comme le disent les différentes éditions des Classiques illustrés Vaubourdolle42. Les manuels, depuis la fin du xixe siècle jusqu’à la fin des années 1950, reprennent les grandes lignes qui dessinent la légende de Molière en province. Voici un exemple représentatif : « On conserve à Pézenas (Hérault), un fauteuil de bois où le poète venait chaque samedi s’asseoir chez un barbier de renom, pour y étudier les clients ». Les auteurs des anthologies de cette époque décrivent souvent de façon picaresque ces années de voyage, comme étant des « années de misère43 : cette vie de bohémien littéraire se prolongea pendant treize ans ». Autre exemple : « Il mena la vie décrite par Scarron dans son Roman Comique44 ». Il n’est pas étonnant de retrouver la référence à Scarron. Louis Moland, lorsqu’il rapporte les pérégrinations de Molière dans les villes de France émet même l’hypothèse que c’est peut-être la troupe de Molière qui aurait servi d’exemple à l’auteur du Roman comique45.
23L’anthologie d’André Lagarde et Laurent Michard, en s’appuyant sur les travaux de Gustave Michaut46 qui, dans La Jeunesse de Molière, consacre un long chapitre à battre en brèche les légendes de Molière en province, est une des premières à nuancer l’image romanesque d’une troupe constituée de comédiens misérables errant de ville en ville47 : « On ne commet plus l’erreur d’imaginer ces comédiens d’après les pauvres hères du Roman comique : en réalité, ils faisaient bien leurs affaires et étaient estimés pour la magnificence de leurs habits ». Cependant, cette partie de la légende de Molière demeure bien vivace jusqu’à la fin du xxe siècle. Ainsi, en 1988, on retrouve encore dans le manuel de Robert Horville, cette identification de Molière à l’image des comédiens ambulants peints par Scarron48. À la fin du xxe siècle, l’anecdote du barbier Gély n’est plus citée. Mais, pour le reste des points essentiels qui concernent les années de vie en province, la légende demeure bien vivace. Même si André Lagarde et Laurent Michard, suivant les éléments rapportés dans l’ouvrage de Gustave Michaut, se montrent scrupuleux de rétablir une partie de la vérité sur les conditions de vie de Molière lors de ses années de voyage en France, il n’en demeure pas moins que, comme dans la plupart des manuels de la même période, on continue à faire de ces treize années les pourvoyeuses du répertoire de la comédie moliéresque. C’est au cours de son périple, disent ces deux auteurs, que Molière a appris à connaître la nature humaine et c’est là qu’il a puisé son inspiration pour les personnages de ses futures comédies. Dans la seconde moitié du xxe siècle, l’image romantique du Molière-contemplateur est donc encore bien vivace comme l’atteste l’exemple suivant : « Boileau l’a surnommé le Contemplateur. […] Quel vaste champ d’observations lui offraient les longs voyages et les contacts les plus divers !49 ».
24Qu’en est-il aujourd’hui ? Dans les manuels du lycée, les notices biographiques étant réduites au minimum, on n’évoque pratiquement jamais les années de Molière passées en province. Mais, dans les manuels du collège, on y fait toujours référence en tant qu’années d’apprentissage. Ce n’est pas dû au fait que les rubriques consacrées à la vie de l’auteur y soient plus détaillées ; c’est plutôt, parce qu’on attribue à ces éléments la même valeur pédagogique pour la formation des jeunes lecteurs que celle que nous avons identifiée pour le mythème de la vocation de Molière. Il s’agit de construire à travers cette étape de la vie du dramaturge, l’image d’un homme qui met tout en œuvre pour réaliser ce qu’on pourrait appeler son « projet de vie ». Et, implicitement, on donne la formation du dramaturge en modèle à la jeunesse d’aujourd’hui. On constate ainsi que le raccourci dans le récit aboutit à gommer le passage de Molière en tant que comédien aux côtés de Dufresne. Seule demeure l’image du chef de troupe. On peut citer en exemple Jardin des lettres, manuel publié en 2013, pour la classe de sixième50 : « Molière crée sa troupe, L’Illustre théâtre. Il a vingt-et-un ans et prend le nom de Molière. Mais la troupe accumule les dettes et doit quitter Paris. Elle parcourt alors la province et joue souvent des farces ». Dans ce manuel, le discours textuel ne dit rien des conditions de vie de Molière et de ses compagnons. Cependant, trois photogrammes du film d’Ariane Mnouchkine sont apportés en illustration. On y voit Molière et ses compagnons déambulant dans la campagne française, tirant un chariot lourdement chargé puis, donnant une représentation, en plein champ, sur des tréteaux de fortune. Les conditions de vie des gens de théâtre semblent très précaires et le public est peu nombreux. Ces images se superposent au discours textuel et confortent à nouveau la ressemblance avec les comédiens du Roman comique. Or, dès la fin du xxe siècle, les travaux de Roger Duchêne ont bien confirmé, comme l’avait déjà montré Gustave Michaut, que Molière lors de cette période de sa vie n’a jamais été dans le besoin, vivant, comme le veut la légende, de petits spectacles donnés au petit bonheur la chance51 : « Grâce aux protections dont ils ont bénéficié, les comédiens de la troupe de Dufresne ne sont pas de pauvres hères errant dans la campagne à la recherche d’un public rare et malintentionné. […] Ils jouissent d’une honnête aisance ».
25Quant aux fameuses années d’apprentissage, François Rey, en 2010, remet en doute la légende52 :
Années d’apprentissage ? La faillite de L’Illustre théâtre serait due au manque de métier de ses membres ? […] C’est faire bon marché des succès de 1644, des erreurs de gestion, de l’insuffisance du public parisien, trop réduit encore pour permettre à trois troupes permanentes de coexister, enfin de l’étonnante rapidité avec laquelle les rescapés de L’Illustre théâtre et leurs nouveaux camarades vont s’imposer sur les scènes et auprès des élites politiques de province.
26La survivance de cet aspect de la légende corrobore l’image scolaire actuelle de Molière dans les ouvrages de Français. Si c’est cette relecture qu’on retient, alors que les biographes actuels de Molière attestent du fait qu’elle ne correspond pas à la réalité, c’est parce que c’est cette lecture-là, laquelle fait du périple en province des années de misère et d’errance, qui sert le mieux l’image scolaire fondatrice du Molière homme de combats et comédien par excellence. Dans les ouvrages scolaires, les années d’errance font ainsi partie de l’éthos de l’homme de théâtre. Elles participent à la construction de la représentation d’un artiste dont la vie n’a pas toujours été facile, mais qui a toujours su faire face à l’adversité. Elles induisent l’image d’un dramaturge qui, en dépit des longues années de misère qu’il a dû affronter au cours de sa jeunesse, n’a jamais fini de se battre pour parvenir à réaliser son idéal. En ce sens, le parcours de Molière incarne des valeurs chères à l’école : le travail, la persévérance, le courage, la ténacité. Alors qu’on ne cesse de parler de « projet de l’élève », l’exemple de Molière devient propre à ancrer dans l’esprit des futurs citoyens l’idée que la réussite sociale passe nécessairement par la construction d’un projet et par la volonté de se donner les moyens de le réaliser.
Les années parisiennes
27Les anthologies littéraires s’étendent longuement sur les années parisiennes. Dès la fin du xixe siècle et, jusqu’à la fin de la première moitié du xxe siècle, le récit commence souvent en rapportant l’anecdote du vieillard qui encourage Molière lors d’une représentation des Précieuses ridicules. Même si les auteurs de ces manuels prennent une certaine distance par rapport à sa crédibilité, ce qui témoigne de l’influence de l’ouvrage de Louis Moland, il n’en reste pas moins qu’on retrouve cette anecdote de façon très régulière. Si l’on exploite cette petite histoire, alors qu’on met en doute sa crédibilité, c’est pour son aspect symbolique ; c’est parce qu’elle illustre la reconnaissance de la naissance du génie de Molière. Après ce premier succès, la vie de Molière semble placée sous le signe du bonheur. Heureux dans son métier, Molière est aussi entouré de ses amis avec qui il forme une joyeuse troupe. Le récit de l’anecdote d’Auteuil, que les auteurs des anthologies retranscrivent dans tous ses détails jusqu’au début du xxe siècle, permet d’illustrer la légèreté des premières années parisiennes, tout en mettant l’accent sur l’influence positive de Molière sur ses compagnons. Ainsi, cette anecdote est-elle exploitée à double emploi puisqu’elle contribue aussi à la construction du portrait de Molière53. Mais ce bonheur est de courte durée et la première ombre vient du surmenage de Molière, toujours obligé de répondre, dans les plus brefs délais, aux commandes royales. Si les auteurs des ouvrages scolaires, jusque dans les années 1970, attachent autant d’importance à cet aspect de la vie de Molière, c’est pour deux raisons. D’abord, parce que le portrait du dramaturge qui « succombe à la tâche » contribue à l’image romantique de l’homme blessé et ensuite, parce qu’il permet de dédouaner Molière de l’écriture de ce qu’on estime être, jusque dans le dernier quart du xxe siècle, des œuvres mineures, lesquelles n’auraient pas d’autre intérêt que d’avoir été écrites pour une raison alimentaire : « Molière subissait une charge écrasante. Son génie le portait à la haute comédie de caractère. […] Mais, pour plaire au roi, il devait écrire pour lui des comédies-ballets ; et, pour faire vivre son théâtre, il lui fallait bâcler des farces populaires. […] Il succomba à la tâche54 ». Ces propos témoignent de l’influence de la lecture de l’œuvre de Molière faite par la génération romantique. C’est la conception, chère à Victor Hugo, du génie opprimé sous le joug de la monarchie qui est ici mise en œuvre. À partir des années 1970, la reconnaissance de la farce et son introduction dans les programmes des petites classes du collège vont entraîner la modification de ce type de remarque. Seule demeure la référence au surmenage de Molière, sans cesse obligé de répondre dans l’urgence aux commandes royales, ployant au fur et à mesure des années, sous une charge de travail toujours plus écrasante.
28Ensuite, il y a les luttes de Molière pour défendre ses comédies des attaques de ses adversaires. Leur évocation dans les manuels va servir à consolider l’image de Molière homme de combats à l’esprit libre. Cette lecture doit, elle aussi, beaucoup à la génération romantique, laquelle a vu dans Molière, comme le dit Maurice Descottes, « un chevalier de l’idéal, qui ne succombe qu’après avoir dit leur fait aux puissants55 ». Heureusement, dit-on, dans les manuels, jusqu’à aujourd’hui, le roi apporte un soutien sans faille à l’auteur-acteur. L’exemple suivant en témoigne à travers la référence à Louis XIV qui accepte, d’être le parrain du petit Louis : « En 1664, le roi m’a fait l’honneur de devenir le parrain de mon premier enfant56 ». On continue à accorder une grande importance au soutien que Louis XIV a apporté à Molière. On consolide ainsi l’image romantique de l’auteur-acteur victime de ses ennemis. Par exemple au collège, dans Jardin des lettres, le manuel pour la classe de sixième des éditions Magnard, dont nous avons déjà parlé, un photogramme du film d’Ariane Mnouchkine « illustre le triomphe de Molière devant le roi57 ».
29Dans les manuels du lycée, les liens entre Molière et Louis XIV sont aussi amplement évoqués, mais le discours est plus approfondi. Lors de l’étude du Tartuffe ou de celle de Dom Juan, on parle souvent des ennemis de Molière dans leurs particularités. On parle des bigots, des faux dévots, et de la cabale religieuse. On insiste aussi sur la dimension politique que revêt l’attaque des pièces du dramaturge par les défenseurs de la religion et des principes moraux qu’elle véhicule. On peut citer en exemple ces propos sur Tartuffe, issus de L’écho des lettres, manuel pour la classe de seconde, publié en 201658 : « Molière doit affronter l’hostilité de la Compagnie du Saint-Sacrement. En s’attaquant à Molière, les autorités religieuses visent directement son protecteur, Louis XIV, auquel elles reprochent une vie licencieuse ». Il faut aussi noter que dans certains manuels du lycée du xxie siècle, en référence aux liens qui unissent Molière au monarque, dans le cadre de l’analyse des morceaux choisis du Tartuffe, on donne à lire aux élèves un des deux placets au Roi. Lorsque c’est le cas, ces textes sont toujours exploités selon deux entrées : comme documents argumentatifs, et comme illustration des relations qui unissent le dramaturge au Roi-Soleil. C’est le cas, par exemple, en 2005, d’un manuel pour la classe de première59. À travers la référence qui unit Molière à Louis XIV, c’est non seulement la reconnaissance du génie de Molière par le monarque qu’on souligne, mais aussi l’étroitesse des liens que l’auteur-acteur aurait entretenus avec le Roi-Soleil qui se place en défenseur et en protecteur des artistes, en retour d’un Molière qui, dans ses pièces, défend les valeurs de la monarchie. Si l’on accorde autant d’importance à ces éléments, c’est parce qu’ils contribuent à la constitution de l’image scolaire de Molière homme de combats soutenu par Louis XIV.
30Et puis, il y a les problèmes conjugaux de Molière, lesquels vont parfaire la construction de la représentation romantique de l’auteur-acteur. C’est dans ce domaine que l’influence de la lecture que les romantiques ont faite de l’œuvre de Molière est la plus importante. Pour la génération de Victor Hugo, la comédie moliéresque est tout entachée d’une gaieté triste et profonde, laquelle prend sa source dans la mélancolie qui a assombri toute la vie du dramaturge. Celui-ci, en plus de devoir faire face aux adversaires de son théâtre, s’est trouvé confronté aux tourments d’un mariage malheureux. En 1825, c’est Honoré de Balzac qui va donner toute son ampleur à cette image d’un Molière homme tourmenté et humilié. Dans La Vie de Molière qu’il rédige à la demande du libraire Urbain Canel pour une édition complète de l’œuvre du dramaturge, le romancier fait le portrait d’un Molière tourmenté par les malheurs domestiques60 :
Son visage portait l’empreinte d’une mélancolie profonde ; et lorsqu’il répandait autour de lui et sur la scène la gaieté la plus franche, seul il était en proie à la tristesse. […] Molière fut mari ombrageux, il paya cette dette à la faiblesse humaine : lui qui poursuivait de railleries si piquantes la jalousie conjugale, il en fut dévoré.
31C’est cette image-là qui va servir à alimenter la légende scolaire d’un Molière malheureux victime de la coquetterie excessive d’une Armande à qui ont fait tous les reproches ; légende qui demeure très vivace aujourd’hui. Suivant les manuels, Armande est présentée comme la sœur ou la fille de Madeleine, voire même sa nièce. Quoi qu’il en soit, la jeune femme est toujours l’objet d’un regard très réprobateur. On condamne son attitude, on dénonce sa « coquetterie » qui, dit-on, le « fit beaucoup souffrir61 », on la rend responsable de la mélancolie de Molière. L’évocation systématique dans les manuels de cette question du mariage mal assorti est étonnante. Si, pendant longtemps, dans les pages des manuels, on juge toujours de façon aussi négative le mariage du dramaturge avec la jeune Armande, c’est certainement d’abord, parce que les auteurs de ces ouvrages subissent l’influence de la critique, laquelle s’est arrêtée à la représentation construite par la génération romantique. Celle-ci est reprise par les spécialistes de Molière dans tous les ouvrages parus pratiquement jusqu’à la fin de la première moitié du xxe siècle. Ainsi, Louis Moland rend Armande responsable de l’aggravation de l’état dépressif de Molière :
À côté des rudes combats de sa vie d’artiste et d’écrivain, Molière était à cette époque éprouvé dans sa vie intime par de cruelles souffrances. Les infortunes domestiques du poète sont datées ordinairement des brillantes fêtes de l’an 1664. […] Molière, le peintre des maris jaloux et trompés, n’eut plus […] qu’à observer sur le vif et à dépeindre son propre supplice62.
32Pour attester de la vérité de ses propos, Louis Moland rapporte intégralement une conversation que l’auteur de La fausse comédienne fait tenir par Molière dans le jardin de sa maison de campagne. Le dramaturge s’y plaint d’Armande, dont il se déclare toujours passionnément amoureux, en dépit de la « méchante conduite » de la jeune femme63.
33Au début du xxe siècle, Émile Faguet revient sur cette question du mariage mal assorti. Dans ses propos, on reconnaît quasiment à l’identique les termes employés par les auteurs des ouvrages scolaires que nous avons précédemment cités : « Le mariage devait être malheureux. Il le fut aussi complètement que possible64 ». Sans doute, tous ces manuels sont-ils, profondément influencés par l’Histoire illustrée de la littérature française de Gustave Lanson, dans laquelle le critique reprend les éléments de son ouvrage de 1895 en les illustrant d’une riche iconographie. Il fait un portrait d’Armande en des termes similaires à ceux que nous venons de citer65. Cinquante ans plus tard, Georges Bordonove, dans la biographie qu’il consacre à Molière, est beaucoup plus nuancé à ce propos. S’il reconnaît la coquetterie d’Armande, il l’excuse par son extrême jeunesse. Il certifie avec véhémence qu’elle ne pouvait être la fille de Madeleine et se demande « en quelles poubelles des écrivains de bonne foi ont ramassé les médisances dont ils font état66 ». Quant aux relations entre les deux époux, elles n’étaient certainement pas si mauvaises que cela et Georges Bordonove réfute l’idée d’une Armande ambitieuse qui aurait voulu se faire épouser par pur calcul, image qui remonte au récit de Grimarest. On accuse, dit-il, la jeune femme à tort et on la juge mal. Pourtant, en ce qui concerne le mariage de Molière, dans les ouvrages scolaires de la seconde moitié du xxe siècle, on continue à porter un regard négatif sur Armande, comme on peut le voir, par exemple, dans l’ouvrage de Robert Horville pour le lycée : « La comédienne Armande Béjart, qu’il a épousée en 1662, a vingt ans de moins que lui, et est de plus une redoutable coquette, ce qui rend la vie commune bien agitée67 ». De tels propos n’ont pas disparu des manuels du xxie siècle, comme en témoigne cet exemple, d’autant plus révélateur que la notice biographique dont il est extrait n’excède pas vingt lignes : « Il fait scandale en épousant la jeune sœur de Madeleine Béjart (qui passe pour être sa fille et le fait souffrir de jalousie)68 ». On peut penser que, si dans les manuels de la première moitié du xxe siècle, cette question du mariage mal assorti se retrouve systématiquement évoquée, c’est peut-être parce qu’elle est porteuse d’une visée axiologique. Dans une société, encore très puritaine, on peut juger d’un mauvais œil un tel mariage. Par cette référence on veut peut-être, aussi, prévenir les élèves d’un danger d’une telle union, laquelle par la différence d’âge serait vouée à l’échec. On devrait donc voir disparaître ce type de remarques au lendemain des évènements de mai 1968. Or ce n’est pas le cas. Si, à la fin du xxe siècle, malgré la libération des mœurs apportée par 1968, on constate que les auteurs des manuels n’ont toujours pas modifié leur regard sur la jeune épouse du dramaturge, en dépit aussi des avancées de la critique à ce sujet, c’est certainement parce que cette image est un mythème constitutif de la légende de Molière. Le discours scolaire sur Molière véhicule encore la représentation romantique du Molière-homme blessé. Ainsi, les souffrances intimes s’ajoutent aux luttes de l’artiste pour défendre ses comédies. Le discours moral contre la coquetterie superficielle d’Armande, qui a fait souffrir le grand homme, contribue donc à la construction du mythe scolaire d’un homme dont la vie n’a pas été facile et qui, cependant, n’a jamais cessé de se battre.
34Et enfin, il y a la santé de Molière. Jusqu’à aujourd’hui, en dépit du fait qu’à la fin du xxe siècle, les travaux de Roger Duchêne ont montré que le dramaturge n’a jamais été atteint d’une maladie chronique et qu’il était même plutôt de santé robuste, on continue pourtant à parler de lui en disant qu’il a toujours été de santé fragile. Même dans les manuels d’aujourd’hui, on évoque encore la « maladie » de Molière. On peut le constater, par exemple, dans l’édition 2014 de Fleurs d’encre, manuel pour la classe de sixième. On peut y lire un paragraphe intitulé « Molière et la maladie », dans lequel on indique que « toute sa vie » le dramaturge a été atteint de « nombreux problèmes de santé que les médecins ne savent pas résoudre69 ». Or, Molière, selon Roger Duchêne, « était de robuste constitution70 ». La première alerte de ses problèmes date de 1666-1668. À la suite de cette première alerte, nous dit le critique, il n’est pas resté chétif et malingre. Alors, cette légende d’un mauvais état de santé auquel Molière aurait été sujet tout au long de sa vie, à qui la doit-on ?
35C’est dans l’Élomire hypocondre71 de Boulanger de Chalussay qu’on trouve la première référence à une maladie chronique de Molière, laquelle aurait débuté l’année de L’Amour médecin, soit en 1665 ; date qui est inexacte selon Roger Duchêne. Il s’agirait, nous dit l’auteur de L’Élomire hypocondre, en fonction des connaissances médicales du siècle, de l’hypocondrie qui serait un effet pervers de l’atrabile ; c’est-à-dire de la « bile noire », laquelle est reliée à la terre, dont les propriétés sont d’être froide et sèche. La médecine de l’époque de Molière fonctionne encore sur la théorie des quatre humeurs, associées aux quatre éléments et à leurs propriétés ainsi qu’à des éléments du corps. Pour être en bonne santé, il faut que ces quatre humeurs cohabitent en harmonie dans le corps, un déséquilibre entraînant des problèmes de santé. La bile noire, ou atrabile est ainsi source de mélancolie. Selon la définition du dictionnaire de l’Académie française, l’atrabilaire, se dit de celui qu’une bile noire « rend triste et chagrin72 ». Pour Roger Duchêne, l’idée d’un Molière malade n’est que pure invention. Cependant, la comédie de Boulanger de Chalussay va ancrer dans l’esprit du public l’image d’un Molière fragile, hypocondriaque et souffrant d’une maladie chronique, dont on va faire remonter les premières atteintes avant même l’époque fixée par l’auteur de L’Élomire hypocondre73. C’est ainsi que s’est élaborée au début du xxe siècle, l’image de Molière, telle que nous la retrouvons dans les ouvrages scolaires : un homme souffrant tout au long de sa vie de diverses maladies, lesquelles en raison d’une vie trépidante et de nombreux soucis domestiques, vont ruiner sa santé : « avec cette existence surmenée sa santé, naturellement délicate s’use vite. Aux fatigues s’ajoutent les tristesses : marié en 1662, il souffre de la coquetterie de sa femme, Armande Béjart, fille de Madeleine Béjart74 ». C’est d’ailleurs la permanence, depuis la jeunesse de Molière, de problèmes de santé qui explique, nous dit-on, l’importance accordée dans son œuvre à la critique de la médecine : « On excusera facilement l’animosité montrée par le poète contre les médecins du xviie siècle en songeant qu’il avait à venger de douloureux mécomptes personnels : souvent malade, il avait fait une trop amère expérience de la médecine pour ne pas être tenté de lui faire expier ses propres déceptions75 ». On retrouve encore dans les manuels d’aujourd’hui cette lecture biographique de l’œuvre de Molière. Par exemple, en 2011, dans Terres littéraires, manuel pour la classe de seconde, on demande aux élèves de faire une recherche dans la vie du dramaturge afin de la mettre en rapport avec son œuvre76 : « Cette critique des médecins trouve-t-elle un écho dans la vie de Molière ? Effectuez vos recherches dans une biographie de l’auteur ». Si dans les manuels, on accorde autant d’importance à la maladie de l’écrivain, c’est certainement parce que le portrait d’un homme fragile et souvent malade contribue à la constitution de l’image romantique : ce grand écrivain est un homme blessé. On peut retrouver cette image, par exemple, en 1863 dans l’ouvrage de Louis Moland. C’est vers 1666, dit-il, que le dramaturge éprouva « un accès de maladie aiguë ». Le critique fait alors le portrait d’un homme accablé de toutes parts par différents soucis : « Épuisé par les veilles, les passions, les chagrins, Molière était attaqué, en effet, aux sources vives de l’existence. Ces accès, qui mettaient ses jours en danger, se renouvelleront désormais par intervalles77 ». Molière, dit Louis Moland, « aurait pu de ce moment renoncer au théâtre, s’épargner des fatigues accablantes, se soigner et prolonger ses jours menacés. Il n’en fit rien ». Sous la plume du critique, on voit alors se mettre en place l’aboutissement de l’image du Molière-homme blessé qui devient Molière-martyr : « Il demeura dans l’ardente mêlée, résistant avec une obstination invincible au mal, qui voulait le dompter, et raillant ceux qui prétendaient le guérir78 ».
Le Molière-martyr
36Dans les manuels, tous les jalons de la légende de Molière aboutissent à donner du dramaturge l’image d’un martyr. Cette image englobe toutes les précédentes. Elle est celle qui synthétise les différents mythèmes qui construisent la représentation romantique de Molière : Molière, l’homme de combats, génie opprimé sous le joug de la monarchie ; Molière, l’homme-blessé que l’on donne en exemple pour ses qualités de l’âme et du cœur. La réunion de ces représentations de Molière s’effectue à travers l’image toute romantique de l’homme-auteur-acteur martyr : martyre de l’homme blessé par la coquetterie excessive d’Armande et affaibli par la maladie ; martyre de l’auteur de génie succombant à la tâche, obligé de produire des comédies dans les plus brefs délais pour répondre aux commandes royales ; martyre du comédien mourant quasiment sur scène pour ne pas léser ses compagnons d’une journée de salaire. Ce portrait hagiographique d’un Molière-martyr, on le doit aux moliéristes, qui demeurent profondément influencés par la lecture que la génération romantique a effectuée de Molière et de son œuvre. On le trouve, par exemple, dans la Notice qu’Auguste Poulet-Malassis rédige pour La Vie de Molière par Grimarest79 :
Le récit de la vie de ce génie si profondément humain, rien de plus qu’humain, qui dans ses actions privées faisait sans cesse honneur à l’homme, à plaindre dans ses faiblesses, excusable dans ses défauts, fut comme un scandale auquel l’esprit public s’associa vite, dont en quelque sorte il se chargea.
37Au xxe siècle, dans les manuels, les exemples sont très nombreux. En voici un parmi tant d’autres. Notons, l’utilisation de la figure de l’accumulation, pour produire cette image du grand écrivain, homme martyr : « Ni les chagrins domestiques qui avaient suivi son mariage avec Armande Béjart, ni les premières atteintes du mal qui devait l’emporter, ne purent refroidir sa verve et tarir sa fécondité : la série de ses œuvres, d’une gaieté entraînante ou si profonde se continue80 ». Si Molière est montré comme un martyr, c’est en raison de ses qualités de l’âme et du cœur, lesquelles sont célébrées par tous les auteurs des manuels. Celles-ci contribuent à la construction de l’image de l’homme blessé puisqu’elles induisent l’idée qu’un homme doté de telles qualités ne méritait pas de souffrir ainsi.
Conclusion
38Dans les ouvrages scolaires, on loue les qualités de Molière. Cet hommage rendu à l’homme doit beaucoup à certains de ses biographes, lesquels depuis Grimarest, continuent à donner du dramaturge une image idéalisée. Ainsi, en 1987, Georges Bordonove définit Molière comme « le héros de sa propre vie81 ». Dans les manuels, le portrait de Molière reste profondément influencé par cette représentation. Pendant longtemps, on fait explicitement référence au récit de Grimarest. C’est souvent dans le récit de la mort de l’auteur que vont s’amalgamer tous les jalons de cette légende romantique de Molière pour en faire un symbole de l’auteur-homme-comédien-martyr. Ce thème de la mort vient d’une double conception du héros. D’un côté, il y a le héros antique et philosophique dont l’exemple est la mort de Socrate ; de l’autre, il y a le héros chrétien, dont Jésus est le parangon. Dans le discours chrétien, les derniers instants peuvent racheter toute une vie de pêcheur aussi, faut-il se repentir « in extremis ». C’est d’ailleurs ce que fera Louis XIV en confessant, avant de mourir, avoir trop aimé la guerre. La grandeur du héros est en lien avec la construction de la figure du martyr, conformément à la figure du saint, familière à l’admiration de tout un chacun. Insister sur les derniers instants de la vie de Molière et sur sa volonté de mourir en chrétien, revient à faire accéder le dramaturge au statut de héros, traditionnellement réservé aux personnes qui, au cours de leur vie, se sont singularisées par l’excellence de leurs actes ou de leur être. Au xxe siècle, dans les manuels, on ne fait pas le récit détaillé de la mort de Molière, mais on la retrace toujours en quelques phrases dans lesquelles on insiste sur une vie teintée de souffrances et de sacrifices, à l’instar de celle d’un martyr82.
39C’est à partir de la fin du xxe siècle, nous l’avons vu, que l’image de Molière-comédien martyr va prendre toute son ampleur et qu’on va, de plus en plus souvent, voir Molière mourir sur scène. C’est donc tout récemment que s’est imposé ce mythème. S’il est encore très vivace, c’est certainement parce qu’il est le meilleur atout pour illustrer l’image qui est aujourd’hui celle de Molière dans les manuels : un artiste par excellence dont toute la vie, en dépit des souffrances qu’il a dû endurer, a été consacrée au théâtre. Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, la vie de Molière, telle qu’elle est retracée dans les manuels tient encore beaucoup de la légende de l’auteur-acteur. C’est peut-être la puissance de cette image instituée qui explique l’inertie scolaire. En effet, il semblerait que ce qui prime avant tout, c’est un double intérêt pédagogique : à travers Molière, c’est une vie d’homme de bien que l’on donne en exemple à suivre, mais c’est aussi un héros que l’on propose à l’admiration des élèves. Toutefois, on peut penser que cette inertie scolaire s’explique par le fait que la critique littéraire elle-même, telle qu’elle est exploitée par les manuels, n’en est pas vraiment une. Face à Gustave Michaud qui tente d’extraire de la vie de Molière tout ce qui n’est que légende, dans les ouvrages scolaires, c’est la lecture-confidence du théâtre de Molière qui perdure. Dans les manuels, on constate, encore au xxie siècle, la survivance de certaines des anecdotes. Même si l’on sait que ces éléments relèvent plus du conte que de la réalité, on continue à les conserver parce qu’ils font partie de l’image scolaire du dramaturge. Molière illustre la représentation de l’auteur de génie et de l’homme de théâtre exemplaire qui, par excellence, incarne, encore aujourd’hui, l’éthos du comédien et l’image de l’artiste pour qui le théâtre représente l’engagement de toute une vie.
Notes de bas de page
1 J.M.J.A, Histoire de la littérature française depuis les origines jusqu’à nos jours, extraits de nos meilleurs auteurs des divers siècles, ouvrage dédié aux institutions et aux familles, Nantes, Vincent Foreste et Émile Grimaud, 1879, p. 128.
2 Vial Francisque, Les auteurs français du brevet supérieur, Paris, Delagrave, 1912, p. 238.
3 Horville Robert, Itinéraires littéraires, xviie siècle, ouvr. cit., p. 171.
4 Marais Odile (dir.), Fil d’Ariane 4e, Paris, Didier, 2011, p. 219.
5 Michaud Louis-Gabriel, Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes, Paris, Delagrave, 1856, p. 555.
6 Filippi Florence, « Les vies de Molière (xviiie-xixe siècles) du parcours exemplaire à l’hagiographie », ouvr. cit., p. 205-206.
7 Loiseleur Jules, Les points obscurs de la vie de Molière, Première partie, « Les années d’études », Paris Lisieux, 1877, p. 19-20.
8 Des Granges Charles-Marie, Précis de littérature française à l’usage des élèves de l’enseignement secondaire ou primaire qui veulent s’initier rapidement à la connaissance de nos grands écrivains, ouvr. cit.
9 Castex Pierre, Surer Paul & Becker Georges, Manuel des études littéraires françaises, à l’usage du second cycle, ouvr. cit., p. 103-136.
10 Michaut Gustave, La Jeunesse de Molière (i), Les Débuts de Molière à Paris (ii), Les Luttes de Molière (iii), Paris, Hachette, 1923-1925.
11 Mouchard A. & Blanchet C., Les auteurs français du baccalauréat moderne, t. i, Les poètes du xviie siècle, Paris, Librairie C. Poussielgue, 1895, p. 145.
12 Le Boulanger de Salussay, Élomire hypocondre, ou les médecins vengez, Paris, Charles de Cercy, 1669.
13 Demogeot Jules, Textes classiques de la littérature française, ouvr. cit., p. 217.
14 Ibid.
15 Lanson Gustave & Tuffrau Paul, Manuel illustré d’histoire de la littérature française des origines à l’époque contemporaine, ouvr. cit.
16 Vial Francisque, Les auteurs français du brevet supérieur, ouvr. cit., p. 234.
17 Faguet Émile, En lisant Molière, Paris, Hachette, 1914 (6e édition), p. 4.
18 Ibid.
19 Ibid., p. 6
20 Michaut Gustave, La jeunesse de Molière, Paris, Hachette, 1923, p. 93.
21 Ibid., p. 95.
22 Duchêne Roger, Molière, ouvr. cit., p. 41.
23 Rey François, Album Molière, ouvr. cit., p. 33-39.
24 Briat Catherine, Cavrois Jean-Michel, Durand-Degranges Corinne, Lahana Kareen & Zobel Michael, Jardins des lettres, 6e, Paris, Magnard, 2009, p. 246.
25 Marais Odile (dir.), Français 2de, ouvr. cit., p. 142.
26 Niderst Alain, Molière, Paris, Perrin, 2004, p. 16.
27 Poisson Georges, Tel était Molière, Arles, Actes Sud-Papiers, 2014, p. 28-29.
28 Demogeot Jules, Textes classiques de la littérature française, ouvr. cit., p. 217.
29 Mainard Louis, Études littéraires, analyse des auteurs demandés à l’examen du Brevet supérieur, Paris, Delalain, 1883, p. 129.
30 Lagarde André et Michard Laurent, Les grands auteurs français, xviie siècle, ouvr. cit., p. 173.
31 Mesnard Paul, « Notice Biographique sur Molière, » dans Les Grands écrivains de France, t. x, Paris, Hachette, 1889, p. 18.
32 Michaut Gustave, La Jeunesse de Molière, ouvr. cit., p. 54.
33 Bordonove Georges, Molière, ouvr. cit., p. 33.
34 Ballanfat Evelyne (dir.), Jardin des lettres 6e, Paris, Magnard, 2013, p. 220.
35 Lepère Pierre, La Jeunesse de Molière, Paris, Gallimard Jeunesse, 1999, p. 21-24.
36 Moland Louis, Molière, sa vie et ses ouvrages, le théâtre et la troupe de Molière, édition critique, ouvr. cit., p. 61.
37 Jurgens Madeleine & Maxfield-Miller Elizabeth, Cent ans de recherches sur Molière ; sur sa famille et sa troupe, Paris, 1963, SEVPEN, p. 110.
38 Cailhava Jean-François, Études sur Molière, Paris, Debray, 1802, p. 305.
39 Taschereau Jules, Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, Paris, Ponthieu, 1825, p. 27.
40 Jouy Victor Joseph (de), L’Hermite en province, t. ii, Paris, Pillet ; cité par Bonvallet Pierre, Molière de tous les jours, ouvr. cit., p. 27.
41 Duchêne Roger, Molière, ouvr. cit., p. 143-144.
42 Vaubourdolle René, Molière, Le Misanthrope, ouvr. cit., p. 4.
43 Lanson Gustave & Tuffrau Paul, Manuel illustré d’histoire de la littérature française des origines à l’époque contemporaine, ouvr. cit., p. 254.
44 Braunschvig Marcel, Notre littérature étudiée dans les textes, t. i : Des origines à la fin du xviie siècle, ouvr. cit., p. 671.
45 Moland Louis, Molière, sa vie et ses ouvrages, le théâtre et la troupe de Molière, édition critique, ouvr. cit., p. 63.
46 Michaut Gustave, « Molière en province » dans La Jeunesse de Molière, ouvr. cit., p. 168-206.
47 Lagarde André & Michard Laurent, Les Grands auteurs français, xviie siècle, ouvr. cit., p. 173.
48 Horville Robert, xviie siècle, ouvr. cit., p. 169.
49 Lagarde André & Michard Laurent, Les grands auteurs français, xviie siècle, ouvr. cit., p. 174.
50 Ballanfat Evelyne (dir.) Jardin des lettres 6e, Paris, Magnard, 2013, p. 221.
51 Duchêne Roger, Molière, ouvr. cit., p. 118.
52 Rey François, Album Molière, ouvr. cit., p. 62.
53 Mainard Louis, Études littéraires, ouvr. cit., p. 131.
54 Calvet Jules, Petite histoire de la littérature française, 5e, 4e, ouvr. cit., p. 104-105.
55 Descottes Maurice, Molière et sa fortune littéraire, ouvr. cit., p. 82.
56 Fredon Audrey, Molière, Les Fourberies de Scapin, Paris, Belin, coll. « Classico Collège », 2013, p. 145.
57 Ballanfat Evelyne (dir.), Jardin des lettres 6e, ouvr. cit., p. 221.
58 Marais Odile (dir.), Français 2de, Paris, Belin, coll. « L’écho des lettres », 2016, p. 142.
59 Sabbah Hélène, Des textes aux séquences, 1ère, Paris, Hatier, 2005, p. 79-80.
60 Balzac, Honoré (de), « La Vie de Molière », dans Œuvres complètes, Paris, Conard, 1935, p. 144.
61 Calvet Jules, Petite histoire illustrée de la littérature française, 5e, 4e, ouvr. cit., p. 99.
62 Moland Louis, Molière, sa vie et ses ouvrages, le théâtre et la troupe de Molière, édition critique, ouvr. cit., p. 245.
63 Ibid., p. 246-249.
64 Faguet Émile, En lisant Molière, ouvr. cit., p. 6-7.
65 Lanson Gustave, Histoire illustrée de la littérature française, 2 t., ouvr. cit., p. 385.
66 Bordonove Georges, Molière, ouvr. cit., p. 157.
67 Horville Robert, xviie siècle, ouvr. cit., p. 170.
68 Langray-Javal Romain (dir.), Littérature 2de, Paris, Hachette, 2004, p. 165.
69 Bertagna Chantal & Carrier-Nayrolles Françoise, Fleurs d’encre 6e, Paris, Hachette, 2014, p. 234.
70 Duchêne Roger, Molière, ouvr. cit., p. 564.
71 Le Boulanger de Chalussay, Élomire Hypocondre ou les médecins vengés, 1670.
72 Dictionnaire de l’Académie Française, édition de 1762.
73 Duchêne Roger, Molière, ouvr. cit., p. 564.
74 Braunschvig Marcel, Notre littérature étudiée dans les textes, t. i, des origines à la fin du xviie siècle, second cycle, ouvr. cit., p. 671.
75 Boitel Jules, Les auteurs français, ouvr. cit., p. 10.
76 Damas Xavier, Terres littéraires 2de, ouvr. cit., p. 61.
77 Moland Louis, Molière, sa vie et ses ouvrages, le théâtre et la troupe de Molière, édition critique, ouvr. cit., p. 264.
78 Ibid., p. 265.
79 Poulet-Malassis Auguste, Notice à La vie de Molière par Grimarest, Paris, Isidore Liseux, 1877, p. vi.
80 Brunetière Ferdinand & Pellisson Maurice, Morceaux choisis du xvie au xixe siècle, Paris, Delagrave, 1902, p. 89.
81 Bordonove Georges, Molière, ouvr. cit., p. 490.
82 Abry Émile, Bernès Jacques, Crouzet Paul & Léger Jean, Les grands écrivains de France, ouvr. cit., p. 468.
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