En guise de conclusion… De la formation à distance à la formation en ligne…
Points de repères en didactique des langues
p. 241-250
Texte intégral
1Il peut paraître confortable d’avoir le mot de la fin lorsque l’on considère, qu’à défaut de tout, beaucoup vient déjà d’être dit sur le thème Interagir pour apprendre en ligne sous lequel s’inscrit la sélection d’articles issue du colloque ÉPAL 2009. Cependant la difficulté de clore apparaît tout de suite lorsque l’on s’aperçoit que tout au contraire d’une fin, c’est le début, l’avènement de nouvelles pratiques que semblent préfigurer les articles de cet ouvrage, en particulier de nouvelles façons d’enseigner et de nouvelles façons d’apprendre.
2C’est en tant que co-responsable scientifique de ce colloque que l’honneur m’a été fait, par les coordonnateurs, de conclure ce recueil, et c’est davantage en tant que chercheur dans le domaine de l’enseignement des langues lié aux technologies (à ce que l’on appelait, en 1995, le multimédia) que j’ai envie de réagir aux propos qui précèdent, de façon à mettre en évidence le chemin parcouru depuis quelques années.
3Remarquons d’emblée que, dans le titre de cet ouvrage, la locution « apprendre en ligne » ne suscite pas d’ambiguïté aujourd’hui pour le lecteur, il n’associe plus automatiquement le fait d’être en ligne à l’usage du téléphone (ou en tout cas de moins en moins) alors qu’en français, à la différence de l’anglais (on call/ on line), l’emploi de la formule est indifférencié. L’étude des conversations en ligne, qu’elles soient pédagogiques (comme dans plusieurs articles ici même) ou ordinaires (Develotte et al., 2010), se développe impliquant la prise en compte des spécificités multimodales, hypertextuelles, interactives liées à la communication numérique. On peut donc noter, y compris par son inscription dans le langage, l’incorporation des TIC dans la vie sociale de 2010.
4Je ne reprendrai pas le contenu des chapitres qui précèdent, mais je note qu’ils concernent pour plus de la moitié d’entre eux l’analyse des pratiques des apprenants/étudiants, et il me paraît très important que l’on dispose de résultats de recherche concernant les usages si l’on souhaite que les systèmes de conception de plus en plus sophistiqués soient le plus possible adaptés à leurs principaux destinataires.
5Je me propose, dans les lignes qui vont suivre, de prendre appui sur quelques points de repères de l’histoire récente dans l’enseignement et l’apprentissage liés aux TIC pour les comparer à l’avancement du domaine tel qu’il transparaît dans cet ouvrage aujourd’hui. Mon objectif est donc de souligner certaines étapes de la construction de ce champ, de tenter de le jalonner et de mettre en évidence le déplacement des concepts utilisés pour décrire ce terrain très mouvant qui change plus vite que les possibilités d’en rendre compte scientifiquement.
6En 1998, Marie-José Barbot a coordonné un numéro de revue (Ela, n° 112) intitulé « Ressources pour l’apprentissage : excès et accès ». Je ne retiendrai ici que la tension entre excès de ressources et difficultés pour y accéder qui faisait déjà l’objet d’interrogations. Plus de dix ans après, on constate que le phénomène d’excès s’est accentué, en particulier sous l’effet de la démultiplication des systèmes de communication (Facebook, Twitter). On peut de plus souligner l’accélération notable de la vitesse de diffusion que proposent ces derniers : à la gestion de l’excès en termes de quantité s’est ajoutée celle de l’excès en termes de rapidité d’échange. D’autre part, l’accès à Internet s’est amélioré, en particulier sous l’effet des offres commerciales haut débit (en 2007, 62 % des habitants connectés en France et 60 % en Europe), mais la fracture numérique est très importante entre pays développés et en voie de développement. À tel point que pour certains auteurs, « la mondialisation et les technologies de l’information génèrent l’exclusion et vont jusqu’à remettre en question la définition même de l’éducation » (Acedo, 2008, p. 8), point très inquiétant sur lequel nous reviendrons en fin de propos.
1. Éléments de réponse à des questions posées dix ans plus tôt
7En 1999, dans son texte, intitulé « Une distance si proche », introductif à la revue qu’il coordonne (Ela, n° 113, « Enseignement et formation à distance »), Daniel Coste identifie trois questions transversales. Je me propose de reprendre ces questions pour chercher à savoir, dix ans après, quels éléments de réponses peuvent être apportés aujourd’hui à ces questions posées hier. Pour une plus grande clarté du propos, je fragmenterai en trois parties le paragraphe d’origine, afin de juxtaposer mon point de vue à la suite du sien sur chacun des trois points. Daniel Coste en 1999 (p. 5) :
Trois interrogations traversent le présent recueil. La première touche aux limites d’un enseignement à distance des langues : qu’est-ce qui est possible et qu’est-ce qui ne l’est pas hors du « présentiel », du contact direct et à portée de voix et de regard entre élève et maître ou entre natif et non-natif ?
8Force est de constater que cette question renvoie à des réponses différentes en 2010 que celles qui pouvaient être apportées en 1999. Les façons d’enseigner se sont diversifiées sous l’effet de l’intégration de nouveaux dispositifs de communication en éducation. Après l’enseignement à distance en version asynchrone, via les forums, des versions synchrones se développent par le biais des dispositifs de visioconférence poste à poste (deux des contributions du présent recueil y font référence). Ces dispositifs de communication détiennent des potentialités éducatives importantes, en particulier dans l’enseignement et l’apprentissage des langues. Pour en donner un exemple, depuis quatre ans, dans le cadre du dispositif Le français en (première) ligne1, nous2 utilisons la visioconférence poste à poste dans une formation de master professionnel de l’université Lumière - Lyon 2. L’objectif est d’initier de futurs enseignants de français langue étrangère à enseigner le français à travers des échanges synchrones hebdomadaires en « face-à-face distanciel » avec des étudiants de l’UC Berkeley. Si l’on reprend la question formulée en 1999, qui liait « contact direct » et « portée de voix et de regard », on s’aperçoit que les limites de l’enseignement à distance se sont déplacées puisque la distance peut être maintenant à portée de voix et de regard dans le face-à-face distanciel évoqué ci-dessus.
9Des travaux de recherche3 associés à la formation en ligne synchrone évoquée ci-dessus nous ont permis de constater que l’apprentissage par visioconférence poste à poste accroît la motivation à apprendre et la confiance en soi pour parler la langue étrangère, de plus il permet une correction (synchrone et asynchrone) personnalisée. C’est d’ailleurs sur cette fonctionnalité de correction individualisée que s’est développée la plateforme Visu4 utilisée en 2009-2010. Elle donne la possibilité au tuteur aussi bien qu’à l’apprenant de poser des marqueurs correctifs pendant l’interaction synchrone, puis, à partir de l’enregistrement des séquences pédagogiques, de rejouer les moments précis où un problème s’est posé pour l’apprenant de langue pour chercher à l’améliorer. Cette plateforme d’enseignement à distance se fonde sur le traçage des processus d’apprentissage pour doter l’enseignement à distance d’un enrichissement pédagogique : les comportements de l’enseignant et de l’apprenant sont instrumentés et la mémoire de l’interaction pédagogique est conservée de façon à pouvoir être re-travaillée. Dans les nouvelles conditions d’enseignement et d’apprentissage configurées par de telles plateformes pédagogiques, il est possible que l’efficacité des apprentissages soit plus grande que dans des situations de contact direct maître-élève en classe. Il sera en tout cas intéressant de chercher à mesurer les potentialités effectives de ces environnements et de suivre les prochaines générations d’apprenants ayant appris les langues par ce biais.
10Autre distinction pointée dans cette première question : l’opposition « natif/non natif ». Dans la diffusion des langues dans le monde, je ne suis pas sûre que cette opposition tienne durablement ni que le statut de « natif5 » soit connoté des mêmes vertus selon tous les dispositifs d’enseignement. Le métissage du monde actuel amène par exemple nos classes de master professionnel en présentiel à être composées par moitié de « non-natifs » qui enseignent ou enseigneront le français dans leur pays et, pour reprendre le cas de l’enseignement en synchronie décrit précédemment auquel ils s’exercent, il n’est pas sûr que le point de vue d’un futur enseignant « natif » soit plus riche, culturellement parlant, pour un apprenant américain que celui d’un « non-natif » vivant en France. Mon expérience d’enseignante dans ces classes m’amènerait plutôt à penser que des visions différentes enrichissent la classe et que seul le niveau linguistique des étudiants peut être un frein à leur insertion dans ces programmes. Par ailleurs, l’AUF qui promeut Le français en (première) ligne sur son site6 mise précisément sur le fait que des classes de futurs enseignants de français, hors de France, puissent enseigner cette langue à des apprenants ailleurs dans le monde. Je ne m’avancerai pas davantage sur ce terrain mais j’invite le lecteur à chercher à apprécier la pertinence de cette opposition dans les dispositifs de formation qui seront ceux des années à venir.
La seconde a trait aux conditions technologiques actuelles : sommes-nous entrés dans une ère nouvelle et l’enseignement à distance des langues sera-t-il désormais radicalement autre ? (Coste, 1999, p. 5)
11À cette deuxième question, et à la suite de ce qui vient d’être dit et de la lecture des chapitres du présent volume, ma conviction est que oui, on peut penser que nous entrons dans une ère nouvelle d’enseignement et d’apprentissage des langues pour certains individus de la planète, que les changements liés à ce que j’appellerai la culture numérique affecteront de nombreux enseignants et apprenants, alors que plus nombreux sont ceux qui, habitants de pays moins avancés du point de vue équipement technologique, n’en verront pas les effets immédiats.
12Dans la première catégorie des individus entrés dans une culture d’enseignement et d’apprentissage autre que celle qui prévalait jusqu’alors, j’inclus les nouveaux métiers auxquels les étudiants sont actuellement formés, que ce soit en ingénierie pédagogique, en création de cours en ligne, en tutorat de ces cours en ligne et plus largement les enseignants et apprenants qui sont intéressés par les technologies et savent en tirer profit dans leur pratique professionnelle. Les pratiques pédagogiques ou d’apprentissage liées à cette catégorie renvoient à l’appartenance à un choix de réseaux raisonnés et diversifiés, à la gestion de ressources en ligne sans cesse renouvelées, à une attitude de veille concernant techniques ou information susceptibles de rendre plus efficace enseignement ou apprentissage.
13Dans la deuxième catégorie entrent les enseignants et apprenants des sociétés développées ayant accès au haut débit et qui agrémentent, en fonction de leur besoins, intérêts, culture etc., les cours ou les apprentissages par les ressources et outils en ligne qui leur sont offerts. Une récente enquête effectuée dans deux académies (Genevois et Poyet, 2009) met en évidence que dans les établissements d’enseignement secondaire disposant d’un environnement numérique de travail, trois enseignants sur quatre utilisent au moins une des fonctionnalités de cet environnement numérique de travail. Le fait d’appartenir à une association d’enseignants en ligne, d’utiliser Twitter, d’être abonné à des fils rss dans son domaine de compétence ne sont pas des comportements qui, en soi, impliquent un changement radical des pratiques professionnelles ou d’apprentissage, mais ils s’inscrivent cependant dans une circulation des idées accrue, voire à une mise en commun des savoirs susceptible de faire progressivement évoluer la culture d’enseignement des enseignants. D’ailleurs, d’une certaine façon, cet ouvrage prend acte de cette mutualisation des savoirs professionnels si l’on se réfère à plusieurs de ces chapitres qui font Interagir pour apprendre en ligne non pas des apprenants, mais des enseignants.
14En résumé, les limites de ce chapitre conclusif ne m’autorisant pas à d’amples développements, je dirais que je suis de ceux qui pensent que le temps est proche où les formes d’enseignement à distance par le biais de la communication par écran/en réseau permettront des apprentissages plus ciblés et plus efficaces que ceux réalisés en présentiel. Cette position peut étonner, surtout lorsque l’on pense à l’apprentissage des langues, mais l’on peut voir les prémices des résultats que peuvent donner ces apprentissages si l’on prête attention à la nouvelle génération de joueurs d’échecs ou de poker qui viennent de tels contextes d’apprentissage et non plus de la fréquentation assidue des salles de jeux, avec mise en contact physique avec les autres joueurs.
15Les avancées dans un domaine se font souvent par l’apport de disciplines extérieures à ce domaine. Ainsi, en médecine ce sont les progrès de la pharmacologie (biochimie) et des technologies informatiques et électroniques (scanner, IRM, etc.) qui ont permis aux pratiques professionnelles médicales de progresser. Pour les métiers de l’enseignement, il semble bien qu’il en soit de même et que l’informatique et tous les domaines intermédiaires convoqués (ergonomie, design pédagogique, etc.) permettent de redéfinir les pratiques enseignantes. De la même manière que la médecine de praticien s’effectue beaucoup moins par le contact direct avec les patients7, l’enseignement par écran, s’il ne se substitue pas au présentiel, est en voie d’acquérir une légitimité que l’efficacité de ses résultats permettra (ou non) de consolider.
La troisième, incidente, tient au silence dans lequel la didactique des langues a durablement tenu ces formes d’apprentissage quelque peu excentriques par rapport à la co-présence du maître et de l’élève. (Coste, 1999, p. 5)
16En dix ans, sur ce point, les choses ont évolué : en FLE par exemple, des postes d’enseignants spécialisés dans les TIC ou dans l’enseignement en ligne sont proposés, des appels d’offres sont publiés, le domaine de la formation en ligne prend une sorte d’autonomie par rapport à celui de l’enseignement-apprentissage présentiel. D’ailleurs, ces formes d’apprentissage paraissent de moins en moins excentriques au fur et à mesure que les façons de communiquer évoluent : ces dix dernières années ont vu une montée en puissance de la communication par écran et en réseau. Le jeune apprenant d’aujourd’hui est habitué à communiquer à travers les écrans, à jouer et à apprendre par ce biais. L’éducation première des enfants des pays développés est donc configurée par cette médiation qui s’est ajoutée à celle du contact présentiel (avec les amis, les enseignants…). Dans ce que j’ai coutume d’appeler cet espace d’exposition discursive qui constitue leur quotidien, les communications sociales sont, pour une part, présentielles, et pour une autre part, médiées par les écrans ou autres artefacts (téléphone). Si, pour reprendre une autre formule de Daniel Coste, « l’étranger c’est ce qu’une éducation première pose comme telle », « l’étranger éducatif » ce serait donc un monde qui serait totalement extérieur à ces pratiques d’information et de communication via les écrans. Le risque serait alors grand, d’une part, de reléguer les pratiques scolaires dans une vie coupée de la « vraie » vie, d’autre part, de creuser davantage l’écart dû à l’origine socio-culturelle des élèves (en laissant du seul ressort du cercle familial les pratiques d’apprentissage par écran). Des champs entiers sont à défricher en particulier par le biais des environnements virtuels tels que Second Life dont les capacités éducatives commencent juste à être exploitées (voir la présence récente de l’Open University et de la revue Alsic). Cette position volontariste en faveur de l’insertion de pratiques éducatives liées à l’utilisation des TIC ne se veut en rien un dénigrement des pratiques d’enseignement classiques qui forment à des savoirs et savoir-faire spécifiques, mais plutôt un plaidoyer pour le métissage des pratiques d’enseignement, qui va de pair avec une formation des enseignants qui soit en conformité avec l’évolution des ressources et des modes de communication de la société.
2. Arrêt sur image en 2010
17Les réponses apportées ci-dessus mettent en évidence une avancée de « la nouvelle donne » dont parlait Daniel Coste et dont il annonçait avec justesse les éléments qui se sont confirmés depuis dix ans :
Tendanciellement on peut assister non, contrairement à ce que beaucoup craignent, à une uniformisation et à une « technologisation » à outrance de la formation à distance, mais bien à un accroissement des latitudes dont disposeront ceux qui apprennent et à des modulations souples dans le fonctionnement effectif de dispositifs caractérisés tant par un accroissement des ressources d’apprentissage accessibles que par une variété accrue de ces ressources, des moyens de les travailler à distance et des modes de communication avec d’autres partenaires et acteurs de la formation. L’enseignement à distance a été longtemps défini par des schémas rayonnants : un centre émetteur diffusant et seul évaluateur des réponses adressées en retour par les destinataires isolés. Désormais on est entré dans une logique de réseaux où les émetteurs sont multiples et où les destinataires apprenants ont de plus en plus loisir de se connecter à des sources plurielles, à interagir entre eux et, singulièrement pour ce qui est de leur compétence langagière, à affronter de nombreuses instances d’évaluation, formelles ou non, officielles ou non. (Coste, 1999, p. 9-10)
18J’ai souligné le verbe « interagir » pour montrer ce en quoi le propos tout entier du présent ouvrage s’inscrit au cœur de ce que la communication numérique a permis, en modifiant du même coup, qualitativement, le sens de ce terme. En effet, qu’entend-on par « interagir » à différentes périodes de notre médiasphère8 ? L’importance de la vitesse (liée au débit de la connexion) induit des modes de communication plus ou moins multimodaux par exemple (avec, comme on l’a vu, l’entrée en jeu de la synchronie et de la visioconférence poste à poste ; voir les logiciels tels Illuminate, etc.). À l’heure où s’écrivent ces lignes, en janvier 2010, les données audiovisuelles sur Google sont plus nombreuses que les données textuelles. D’autre part, la rapidité de circulation de l’information via les abonnements à des fils rss (voir ce que l’on appelle le « social bookmarking »), et les innombrables possibilités de partage du savoir (entre autres bibliographiques ; voir les extensions de Google comme Zotero) à partir d’outils tels Twitter, dans des environnements de plus en plus globalisants (voir la récente entrée sur scène de Googlewave), impliquent un type d’interaction bien spécifique, différent de celui qui se développe dans un rythme temporel plus lent (via les courriers postaux de l’enseignement à distance par exemple).
19La qualité spatio-temporelle de l’interaction intéresse la didactique des langues dans la mesure où elle implique une prise en charge adaptée dans les enseignements et donc, en amont, une recherche capable de savoir éclairer le développement d’une réflexion métacognitive spécifique à l’apprentissage en ligne et susceptible de développer les comportements les plus appropriés à ses contraintes. D’ores et déjà les formes d’apprentissage collaboratif en ligne sont largement étudiées (dans le domaine du CSCL par exemple) mais d’autres aspects restent à explorer plus précisément, par exemple, l’autonomie (en particulier sous sa forme collective : Raby, 2009) ou encore dans l’apprentissage en visioconférence poste à poste, la polyfocalisation de l’attention liée à la gestion, en simultané parfois, de la multiplicité des sources d’information sur un même écran. Concernant ces derniers aspects, la recherche est aujourd’hui embryonnaire.
20Pour terminer, je souhaiterais reprendre la question relative de la réduction de la fracture numérique en éducation.
21L’histoire récente nous amène à constater que le fait de prendre conscience des potentialités de réduction des inégalités éducatives que peut détenir une technologie ne suffit pas :
Dès les années 1960-1970, la référence à la spécificité revient avec insistance dans le monde de la formation à distance. Max Egly, par exemple, l’un des pionniers avec Étienne Brunswic, Henri Dieuzeide et Jean Valérien des usages éducatifs des médias, rapporte, à propos de l’utilisation des satellites de communication : « Les points qui ont attiré notre attention ont été tournés vers des éléments de spécificité du satellite, c’est-à-dire l’instantanéité et les possibilités de diffusion massive […] la possibilité également de mettre en commun les ressources de plusieurs pays et de créer des réseaux. » (Vidal et al., 2008, p. 339)
22Ces premières intuitions ne résistent cependant pas toujours à l’épreuve du terrain. De nombreux auteurs9 ont décrit, à l’image de Kokou (2007), les expériences de l’enseignement télévisuel et de la radio éducation que certains pays de l’Afrique occidentale francophone ont eues de 1960 à 1980. Kokou montre que ces expériences, bien que soutenues d’un point de vue tant politique que financier, ont fini par être arrêtées. Dès lors, comment faire en sorte de ne pas reproduire, avec les technologies numériques, les erreurs recensées pour celles qui les ont précédées ? On peut penser qu’une voie possible puisse passer par le fait de développer des solidarités éducatives de façon primordiale par rapport aux pouvoirs des entreprises commerciales. Actuellement, nous assistons à une co-existence de la tendance à la privatisation des connaissances avec celle de la liberté d’accès et de la libre diffusion des connaissances10 (ainsi, de nombreux cours d’universités prestigieuses sont en ligne, comme ceux du MIT). Cette situation est-elle amenée à perdurer dans le futur ? Quels seront le poids des uns et des autres dans le développement de liens éducatifs mondialisés ?
23Quel sera au niveau français et européen, l’investissement des régions et des états dans l’intégration des TIC dans l’éducation (via les environnements numériques de travail (ENT), mais pas seulement) ?
24Les évolutions du domaine éducatif dépendent des politiques publiques mais aussi de la volonté des acteurs et de leurs besoins d’échanger (Loiret, à paraître). Sous les stratégies des institutions, de Certeau (1990) a bien montré que les tactiques des acteurs déjouaient les parcours tracés et s’insinuaient dans les interstices de liberté qu’ils ne manquaient pas d’y trouver. Si l’on reprend l’exemple du domaine médical, on voit bien de quelle manière, pléthore de communautés de malades (de parents de malades, de victimes) ont trouvé sur Internet un espace pour Interagir pour apprendre en ligne, mettre en commun des stratégies, des solutions, élargir leur plateforme sociale en vue d’un soutien psycho-affectif mutuel (cette connaissance partagée entre malades modifiant en retour les relations présentielles patients-médecins).
25L’histoire de la télévision scolaire montre à quel point elle dépend des positions des acteurs politiques et des acteurs « militants » (Kattnig, 2008). Quels espaces occuperont les solidarités militantes de l’éducation dans la prochaine décennie ?
Notes de bas de page
1 Ce dispositif que j’ai créé en 2001 met en contact de futurs enseignants de FLE avec des étudiants étrangers apprenant le français à l’université (http://w3.u-grenoble3.fr/fle-1-ligne/index.html).
2 Nicolas Guichon (université Lumière - Lyon 2) et moi-même, en liaison avec Richard Kern et Désirée Pries (UC Berkeley).
3 Plus d’une vingtaine d’articles ont été publiés et cinq thèses sont en cours autour de différents aspects de l’enseignement ou de l’apprentissage par le biais de ce dispositif en visioconférence poste à poste.
4 Développée par les universités de Lyon 1 et Lyon 2 dans le cadre de l’ANR Ithaca.
5 En didactique des langues, la notion d’« enseignant natif » renvoie à un enseignant qui enseigne sa langue maternelle (par opposition aux enseignants de français locaux, quand on se trouve ailleurs qu’en pays francophone).
6 http://www.aidenligne-francais-universite.auf.org/spip.php? page=sommaire_appui_ens_fr
7 Le fameux « déshabillez-vous » s’entend de moins en moins ; - ).
8 Entendu comme le milieu de transmission des messages et des hommes (Debray, 1991).
9 Voir également Distance et savoirs, 2008, vol. 6, n° 2.
10 L’Unesco a été le premier organisme à parler de ces ressources éducatives en libre accès lors d’une conférence en 2002. Le terme « Open Educational Resources » (OER) a été adopté depuis. Sur ce sujet, voir les rapports de l’OCDE : « Les ressources éducatives en libre accès : pour diffuser gratuitement des connaissances » (http://www.oecd.org/dataoecd/63/26/38851885.pdf) et « Open Content Licensing (OCL) for Open Educational Resources » (http://www.oecd.org/dataoecd/33/10/38645489.pdf).
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