Moduler l’encadrement tutoral dans la scénarisation d’activités à distance
p. 123-146
Texte intégral
1. La problématique
1Une des caractéristiques principales de l’enseignement à distance s’inscrit dans la nécessité pour l’apprenant de gérer sa formation de manière autonome. En effet, la formation à distance réclame de sa part une prise en charge de certains aspects de l’organisation de ses processus d’apprentissage. La mise en œuvre de ce transfert vers l’apprenant de prérogatives habituellement associées à l’enseignant n’est cependant pas aussi aisée qu’on pourrait le supposer. Les détracteurs de la possibilité de rendre les apprenants autonomes se fondent sur les taux d’abandon élevés mis en évidence par différents auteurs : 50 % dans l’enseignement par correspondance selon Marchand (1992, cité par Bernatchez, 2003), entre 37 et 50 % selon Gerbier (1997, cité par Bernatchez, 2000), entre 25 et 44 % selon De Lièvre (2005). Parmi les causes évoquées de l’abandon, celle qui est la plus généralement mise en avant est l’isolement de l’apprenant (Bernatchez, 2000).
2Pour rompre ce sentiment d’isolement, de nombreux auteurs proposent la mise en place d’un encadrement des apprentissages réalisés à distance (Bernatchez, 2000 ; Gagné et al., 2001 ; Cain et Lockee, 2002). Cet encadrement est défini comme l’ensemble des activités qui visent à fournir une aide aux apprenants de manière à favoriser la prise en charge par chacun de sa propre formation (Deschênes et al., 2003).
3Parmi les différentes formes de soutien proposées aux apprenants, la qualité du tutorat dont ils bénéficient constitue une variable déterminante de l’efficacité d’un dispositif de formation à distance et du taux de persistance (De Lièvre et al., 2003 ; Lebel et Michaud, 1989 ; Bertrand et al., 1994 ; Depover et al., 1998 ; Desmarais, 2000). Le tutorat serait donc une des réponses possibles qui permettrait de réduire les nombreux abandons rencontrés lors de formations à distance.
4Dans cette étude, nous nous intéresserons aux effets de différentes modalités de tutorat sur les apprentissages réalisés dans le cadre d’une formation organisée à distance. Il s’agit plus précisément de vérifier si une modalité de tutorat est susceptible de mieux convenir à une activité donnée et si l’alternance de deux modalités de tutorat conduit à mettre en évidence des différences en termes de performances, de processus ou d’opinions auprès des apprenants.
2. Les caractéristiques de la mise en œuvre de l’encadrement tutoral
5Trois points de vue peuvent être associés à l’encadrement tutoral : la modalité de mise en œuvre du tutorat, sa temporalité et les fonctions prises en charge par les interventions tutorales.
2.1. De la modalité d’intervention réactive à la proactivité
6La modalité d’intervention du tuteur est soit réactive, soit proactive. Un tutorat est qualifié de réactif lorsque l’intervention du tuteur répond à une demande plus ou moins explicite de l’étudiant. Il s’agit de la modalité la plus répandue d’intervention du tuteur. Dans ce cas de figure, le tuteur attend d’être sollicité par l’apprenant avant d’intervenir. Il est disponible, mais ne s’impose pas dans le processus d’apprentissage de l’étudiant en intervenant d’une manière qui peut être vécue parfois comme intrusive (Demaizière, 2003 ; De Lièvre, 2000). Ne pas anticiper certaines demandes de l’étudiant, comme le propose classiquement cette modalité réactive, a toutefois des désavantages parmi lesquels ceux relevés par De Lièvre et al. (2006) comme la sous-utilisation des ressources disponibles et un taux de défection élevé. La modalité proactive aurait quant à elle de nombreux avantages à savoir qu’elle procure aux étudiants le sentiment d’être suivis et qu’elle assure un usage plus intense des aides mises à disposition dans le dispositif de formation (De Lièvre et al., 2006). La modalité proactive est celle que le tuteur met en œuvre à son initiative, il n’attend pas que l’étudiant formule une demande d’assistance. Au contraire, il tente de la devancer autant que possible pour inciter l’apprenant à ne pas relâcher son attention et à s’engager pleinement dans le processus d’apprentissage. Pour Duplàa et al. (2003), l’attitude proactive du tuteur permet d’anticiper les difficultés que les apprenants sont susceptibles de rencontrer et, en y répondant, de réduire les perturbations qui pourraient y être associées. Nous sommes en accord avec Quintin (2007) qui situe le modèle proactif plutôt dans une approche constructiviste et socialisante du processus d’apprentissage. Les interventions proactives sont plus souvent centrées sur le processus alors que les interventions réactives sont davantage ciblées sur le produit de l’apprentissage.
2.2. La temporalité des interventions tutorales
7La modalité d’intervention se définit aussi par le moment et par le caractère plus ou moins continu de son application. Une modalité peut ainsi être permanente ou occasionnelle. Le tuteur peut décider d’intervenir de manière proactive tout au long d’une formation ou à des moments précis de son déroulement. Cette intervention peut être systématique lorsque, par exemple, à l’issue d’une étape, le tuteur apporte des informations signifiantes pour la suite de l’activité. Mais cette intervention peut aussi être opportune dans le sens où un indice déclencheur (une erreur particulière commise, un choix non pertinent, etc.) est l’occasion pour le tuteur de réorienter l’apprenant vers des stratégies d’apprentissage plus efficientes. Lorsque la modalité proactive doit être mise en œuvre, il est généralement préférable de déterminer dans quelles conditions elle s’exerce plutôt que de laisser au tuteur le choix intuitif du moment et de l’objet de son intervention. Si cette difficulté ne se pose pas pour la modalité réactive, puisque le tuteur répond à la demande de l’apprenant, il faut cependant s’interroger aussi sur la manière de répondre (ou d’intervenir). En effet, le tuteur peut fournir la réponse explicite à la question posée ou orienter l’apprenant vers la réponse en lui fournissant des indices pour faciliter son cheminement. Il n’y a donc pas de règles prédéfinies régissant l’usage de ces deux modalités d’intervention ou de leur usage combiné. Elles sont à préciser à chaque fois en prenant en considération leurs avantages et inconvénients parmi lesquels la disponibilité du tuteur n’est pas à négliger. En effet, celui-ci ne peut assurer une permanence 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il faut donc préciser quand le tuteur sera disponible et prendre en compte le fait qu’assurer un encadrement proactif intense est consommateur en temps, et donc exige de mobiliser des ressources humaines en matière de tutorat importantes et souvent coûteuses.
2.3. Les fonctions de l’encadrement tutoral
8En termes de rôles, le tuteur est à la fois correcteur, instructeur, facilitateur, animateur, intervenant, agent d’encadrement ou moniteur (Henri et Kaye, 1985). En plus de ces rôles, il remplit également un certain nombre de fonctions qui ont été catégorisées de multiples façons (Dionne et al., 1999 ; De Lièvre, 2000 ; Daele et Docq, 2002 ; Bernatchez, 2003). Les différences entre les typologies sont bien souvent de l’ordre du détail ou sont liées à la manière de regrouper ou de préciser certaines modalités tutorales (Feenberg, 1989 ; Mason, 1992 ; Berge et Collins, 1995 ; Dionne et al., 1999 ; De Lièvre, 2000 ; Daele et Docq, 2002 ; Quintin, 2007). Dans le cadre de cette recherche, nous nous appuierons essentiellement sur la typologie proposée par Quintin (2007) et synthétisée dans la figure 1 :
- Le tuteur a une fonction socio-affective : il encourage, donne du sens aux buts d’apprentissage, crée un espace convivial, suscite un esprit de groupe, etc.
- Le tuteur a un rôle pédagogique : il facilite l’apprentissage, attire l’attention sur les difficultés, offre des aides à la réussite, suscite les échanges d’idées, précise les contenus, sollicite le questionnement, fait émerger les stratégies pertinentes pour la réussite, etc.
- Le tuteur a une fonction organisationnelle : il organise le temps, facilite la répartition des tâches, rappelle les délais, fait des synthèses, assiste les prises de décisions, etc.
- Le tuteur a un rôle technique et administratif : il assiste l’apprenant dans la mise en œuvre du dispositif pédagogique et technologique, il résout les problèmes techniques, il rend aisés les contacts qui prennent place entre l’institution et l’étudiant.
9Ces fonctions peuvent être prises en charge, en tout ou en partie, par un ou plusieurs intervenants dans un temps défini. Le plus souvent, plusieurs intervenants seront mobilisés pour prendre en charge ces tâches, renforçant ainsi l’idée que la formation à distance est gérée par une équipe pédagogique plutôt que par un seul intervenant. Cette situation justifie pleinement la nécessité de coordonner à travers un scénario d’encadrement les actions mises en œuvre par chacun de façon à les préciser pour un tuteur donné. Le fait de préciser les actions à prendre en charge permet aussi une cohérence entre les pratiques tutorales, à les rendre complémentaires dès lors que plusieurs tuteurs sont associés au dispositif. Qui plus est, dans un dispositif expérimental, il est également important de s’assurer que les tuteurs remplissent bien la fonction qui leur a été assignée, ce qui nécessite de les former. À cet égard, le meilleur outil pour concevoir leur formation est de déterminer la séquence et le contenu des actions qu’ils auront à mener, ce qui est l’objectif d’un scénario d’encadrement.
3. Les questions de recherche
10L’objectif de cette recherche est d’observer l’impact de deux modalités d’intervention tutorale (réactive et proactive) et l’effet d’alternance de ces deux modalités sur deux activités collaboratives (conceptualisation et discussion de cas) intégrées dans un dispositif d’enseignement à distance. Ces activités sont présentées de manière consécutive dans le temps, la première activité préparant la mise en place de concepts et des notions théoriques qui seront utilisées dans la seconde activité.
11Les questions de recherche s’articulent autour de trois axes que sont les performances des apprenants, leur processus d’apprentissage et leur opinion concernant la qualité de la formation.
3.1. Les questions en lien avec les performances des apprenants
12Au niveau de l’efficacité d’abord, nous tenterons de déterminer si les traitements appliqués apportent des résultats contrastés lors de l’évaluation des travaux issus des activités collectives. La question qui nous intéresse plus particulièrement est de savoir si une modalité d’encadrement engendre des résultats différents lorsqu’elle est proposée dans le cadre d’un type d’activité particulier :
13Q1 : La modalité d’encadrement, qu’elle soit proactive ou réactive, continue ou discontinue, a-t-elle une influence sur les performances des apprenants ?
3.2. Les questions en lien avec le processus d’apprentissage
14Au niveau du processus, nous analyserons la participation des étudiants dans les forums à partir du nombre et de la nature des messages qu’ils ont rédigés ainsi qu’à partir du temps qu’ils estiment avoir consacré à la réalisation de chacune des activités :
15Q2 : La participation des apprenants aux activités est-elle différente selon le type d’encadrement tutoral mis en œuvre ?
3.3. Les questions en lien avec l’opinion des apprenants
16Nous étudierons l’opinion qu’expriment les étudiants concernant l’efficacité des activités réalisées, le type de difficultés auxquelles ils ont dû faire face ainsi que l’efficacité du forum et du tutorat :
17Q3 : Les apprenants qui bénéficient d’un tutorat proactif ont-ils une meilleure opinion vis-à-vis des travaux pratiques que ceux qui ont bénéficié d’un tutorat réactif ?
4. Dispositif de formation
4.1. Le contexte
18Le contexte de cette expérience peut être qualifié d’écologique dans la mesure où la formation qui sert d’objet d’étude est une formation réelle avec des étudiants qui doivent suivre le cours, y effectuer un certain nombre d’activités et présenter les épreuves qui y sont associées. Le cours concerné s’intitule « Psychologie de l’éducation » et est dispensé aux étudiants de la 2 e année de bachelier en sciences psychologiques et de l’éducation à l’université de Mons. Le contenu du cours concerne les modèles d’enseignement et d’apprentissage, lesquels sont présentés de manière classique aux étudiants lors de quinze heures de cours théorique. Le cours en auditoire introduit et développe les concepts relatifs aux modèles d’enseignement-apprentisage que sont le béhaviorisme, l’approche socio-culturelle, le socio-constructivisme, le constructivisme, le cognitivisme, le néo-béhaviorisme, le traitement de l’information, les modèles gestaltistes, l’apprentissage social, l’intelligence distribuée et la pédagogie de la maîtrise. Les cours théoriques abordent les modèles selon des points de vue historiques, centrés sur des résultats de recherches, mais aussi sur les conséquences de l’usage de ces modèles dans les pratiques pédagogiques. Avant de commencer les travaux pratiques, les apprenants ont donc pris connaissance du cours théorique et ont une conception de ce que recouvrent les différents modèles et les concepts qui y sont associés.
19Ces exposés théoriques sont suivis de travaux pratiques organisés à distance (15 h) via un site Internet dédié à la formation (la plateforme Esprit1). Lors de ces activités, les apprenants ont la possibilité de s’approprier les différents concepts dans des contextes concrets de mise en œuvre. Les documents de référence pour réaliser les travaux pratiques sont ceux qui servent de supports au cours théorique. Les étudiants sont évalués sur leur connaissance des modèles et plus spécifiquement sur les caractéristiques qui les distinguent ou les rassemblent, mais aussi sur la manière d’exploiter ces modèles dans des contextes réels d’apprentissage. Les travaux pratiques les préparent essentiellement à cette seconde partie de l’évaluation pour laquelle les travaux pratiques interviennent à hauteur de 30 % des points dans la note finale.
20Les activités organisées à distance permettent aux apprenants d’appréhender plus clairement les particularités de chacun des modèles d’une part, pour les différencier, d’autre part pour en extraire les éléments exploitables dans une situation donnée. Ce qui leur permet d’envisager la coexistence des concepts sans les opposer les uns par rapport aux autres d’une manière qui les rendrait mutuellement exclusifs, mais bien plus en insistant sur la pertinence des apports des uns et des autres ainsi que sur la nécessaire complémentarité des approches.
21Les étudiants ont bénéficié d’une phase de préparation commune avant que ne commence l’expérimentation elle-même. À l’occasion d’une présentation réalisée en auditoire, ils ont reçu des informations relatives à l’organisation des travaux pratiques, à leurs objectifs et modalités d’évaluation ainsi qu’à la prise en main du dispositif technologique (Esprit) qui a supporté la formation. Le traitement expérimental a été mis en œuvre sur une période de cinq semaines, de mi-novembre à mi-décembre 2006. Les étudiants ont eu la possibilité de travailler intégralement à distance. Toutefois, pour ne pas défavoriser ceux qui connaîtraient des difficultés de connexion, le laboratoire du service, comprenant dix ordinateurs, a été mis à leur disposition durant cette période. Au cours de cette formation, il s’avère qu’aucun étudiant n’a manifesté la nécessité d’utiliser le laboratoire informatique. Les informations pour lesquelles ils avaient besoin d’une réponse leur ont été fournies essentiellement par les tuteurs du dispositif de formation, et ce, à distance. Si la possibilité de rencontrer un responsable de la formation en présentiel était offerte en vue de régler des problèmes personnels, techniques ou organisationnels, celle-ci n’a jamais été utilisée par les apprenants.
4.2. Le scénario pédagogique des activités de formation
22Les activités qui constituent les travaux pratiques organisés à distance sont articulées autour de quatre phases successives : la première phase est une phase d’initiation aux outils ; la deuxième se concrétise par la réalisation d’un travail individuel ; la troisième propose deux activités collaboratives ; et la dernière phase clôture les travaux pratiques par une synthèse personnelle.
23Dans cette progression, les étudiants passent d’abord par une phase individuelle qui constitue une activité préalable indispensable au travail collectif. Lors de la seconde phase, l’étudiant devait se forger une idée personnelle de la situation découverte avant de la soumettre aux autres et de la voir enrichie ensuite par la confrontation avec ses coéquipiers. Dans la phase collaborative (phase 3), la nature des différentes tâches inhérentes à la démarche de conception d’une carte conceptuelle commune et à l’étude de cas (tri des informations, formulation, évaluation, décision, etc.) contraint les étudiants à coordonner leurs actions, à interagir et à être responsables de manière conjointe par rapport à l’activité. Dans cette perspective, les deux activités nous paraissent en mesure d’induire une réelle dynamique collaborative entre apprenants. Lors de la quatrième et dernière phase, les étudiants réalisent une synthèse personnelle sur la base des travaux qu’ils ont réalisés en phases 2 et 3.
24Chaque phase se termine par la remise d’un travail qui fait l’objet d’une évaluation critériée. Le scénario d’encadrement prévoit que celle-ci doit être communiquée à l’étudiant avant le début de la phase suivante de manière à lui permettre d’en tenir compte pour la suite des activités.
25Les phases 1, 2 et 4 ont chacune été organisées sur une période d’une semaine. La phase 3 du scénario pédagogique des travaux pratiques s’est déroulée sur une période de deux fois deux semaines au cours desquelles les étudiants ont réalisé deux activités successives : une activité de conceptualisation à partir de la création de cartes conceptuelles (activité 1) et une activité d’analyse et de discussion de cas (activité 2). C’est sur les deux activités de cette phase 3 que portera l’analyse présentée dans cette recherche.
4.3. Les activités collaboratives
4.3.1. L’activité 1 : conceptualisation
26La première activité collective (conceptualisation) a pour objectif d’amener les étudiants à identifier les caractéristiques principales de chacun des modèles théoriques. Au terme de l’activité, les étudiants doivent concevoir, à l’aide d’un logiciel de conception spécifique (MOT), une carte conceptuelle par équipe représentant les six familles de modèles théoriques. Pour y parvenir, les étapes suivantes leur sont proposées :
Étape 1 : Mettre à disposition les cartes conceptuelles qui ont été réalisées par les membres de l’équipe lors de la phase individuelle (phase 2).
Étape 2 : Comparer les cartes conceptuelles qui ont été réalisées individuellement par famille de modèles.
Étape 3 : Établir des points de comparaison (similitudes et divergences) entre les six familles de modèles.
Étape 4 : Concevoir une carte conceptuelle commune représentant les six familles de modèles et les liens de similitude et/ou d’opposition qui les relient.
Tableau 1. Les quatre étapes de réalisation de l’activité 1 (conceptualisation).
4.3.2. L’activité 2 : discussion de cas
27La seconde activité (discussion de cas) s’appuie sur la démarche par étude de cas (Mucchielli, 1979). L’objectif de cette activité consiste à utiliser les outils, les concepts et les démarches propres à chacun des modèles pour traiter une situation qui présente une difficulté rencontrée par un élève afin d’en proposer une analyse diagnostique ainsi que des pistes de solution. Pour réaliser cette activité, les étudiants doivent passer par un certain nombre d’étapes successives (Poirier-Proulx, 1999) :
Étape 1 : Analyse individuelle de la situation pour aboutir à un diagnostic et formulation des propositions de remédiation.
Étape 2 : Exploration de la situation en équipe pour dégager une compréhension commune du problème.
Étape 3 : Analyse collective pour trier les informations pertinentes et dégager les liens en fonction de la tâche demandée.
Étape 4 : Formulation et évaluation de solutions pour résoudre le problème.
Étape 5 : Sélection de la solution la plus appropriée au problème avec le plus large consensus possible.
Étape 6 : Rédaction d’un rapport final avec les conclusions sur le cas proposé
Tableau 2. Les six étapes de réalisation de l’activité 2 (discussion de cas).
4.4. Les caractéristiques distinctives des deux activités collaboratives
28La spécification des activités (tableau 3) est réalisée à partir des dimensions et critères d’analyse d’un scénario d’apprentissage proposés par Depover et al. (2003).
29Les deux activités collaboratives ont un certain nombre de caractéristiques communes :
- Il s’agit de deux activités intégrées à la plateforme Esprit et supportées par des outils d’interaction (forum) et de structuration (collecticiel et tableau de bord).
- La composition des équipes est identique d’une activité à l’autre (trois apprenants par équipe).
- La finalité de ces deux activités est d’aboutir à un produit se présentant sous la forme d’une carte conceptuelle pour l’activité 1 (conceptualisation) et d’un compte-rendu présentant une analyse du cas et des propositions de remédiation pour l’activité 2 (discussion de cas).
- Les consignes et les étapes de réalisation de ces activités présentent un caractère prescriptif centré à la fois sur le produit attendu et sur le processus qui est mis en place au sein des forums de discussion.
30Ce qui différencie les deux activités, et qui nous donne la possibilité de contraster les scénarios d’apprentissage, relève de la nature du matériel soumis et de l’enchaînement des activités :
- Les produits d’apprentissage mobilisent des systèmes symboliques différents : l’activité 1 (conceptualisation) s’appuie sur un matériel scripto-visuel à travers la réalisation de cartes conceptuelles alors que pour l’activité 2, l’analyse et la discussion de cas se réalisent au travers d’un matériel textuel par l’analyse du cas et la formulation de propositions de remédiation.
- Concernant l’enchaînement des activités proposées, alors que l’objet de l’activité 1 dépend du produit de l’activité individuelle précédente (continuité), celui de l’activité 2 prend appui sur les résultats des activités antérieures sans constituer pour autant le point de départ de cette activité (référent).
Description des tâches | Nature du matériel soumis et résultats attendus | Enchaînement des tâches | Modalités d’organisation des équipes | Modalités d’interaction | Outils de structuration et de régulation | |
Activité 1 : conceptualisation | Synthèse : | Matériel scripto-iconique élaboré en interne : | En continuité et sous condition que l’activité précédente soit réussie : | Composition des équipes aléatoire : | Forum d’équipe : | – Collecticiel |
Activité 2 : discussion de cas | Analyse d’un cas : | Matériel scripto brut et conçu en vue de l’apprentissage ; élaboration externe : | Référent : | En continuité avec l’activité précédente : | Forum d’équipe : | – Collecticiel |
31Ces caractéristiques distinctives justifient une différenciation des scénarios d’apprentissage proposés aux apprenants et l’analyse de l’impact de ces activités sur leurs apprentissages.
4.5. Les caractéristiques distinctives des deux modalités d’encadrement
32Après avoir mis en évidence ce qui caractérise le scénario d’apprentissage, il s’agit maintenant de présenter les spécificités du scénario d’encadrement. Ce sont les modalités du tutorat qui nous permettent de caractériser ce scénario. Ainsi, tous les apprenants bénéficient de l’intervention directe du tuteur, mais pour la moitié de l’échantillon, ces interventions sont à l’initiative du tuteur (suivi proactif), alors que pour l’autre moitié, les interventions se font uniquement à la demande des apprenants (suivi réactif).
33Toutefois, pour préserver le caractère écologique du contexte de l’expérience et respecter le comportement spontané des apprenants, la modalité proactive prévoit que le tuteur réponde également aux demandes des apprenants. La modalité proactive sera dès lors définie comme la somme des interventions réactives du tuteur et de celles prises à son initiative, et ce, tant au niveau pédagogique, organisationnel que socio-affectif.
34Pour ce qui concerne la modalité d’encadrement appliquée aux groupes « réactifs », elle n’exclut pas que les étudiants puissent bénéficier de certaines interventions proactives. Il en est ainsi lorsque le coordinateur de la formation prend l’initiative de rappeler les échéances, annonce le démarrage d’une nouvelle activité ou propose le bilan d’une activité terminée. Ces interventions proactives s’adressent à l’ensemble des étudiants.
35L’activité de tutorat mise en œuvre dans cette expérience est caractérisée dans la figure 3 ci-dessus en référence au modèle descriptif de Gounon et al. (2004) :
- Les tutorants sont des personnes qui sont formées au tutorat et qui ont développé une expérience relativement approfondie de la formation à distance. Deux des tuteurs ont une expérience dans le domaine de la formation à distance de plus de cinq ans et les deux autres sont relativement novices puisqu’il s’agit de leur deuxième expérience de tutorat.
- Les tutorés sont des étudiants de 2 e BAC regroupés par équipe de trois. Pour la majorité d’entre eux, c’est la première fois qu’ils participent à une formation organisée à distance leur demandant d’utiliser des outils mis à leur disposition sur une plateforme pour interagir avec les autres apprenants et leur tuteur.
- Les modalités de tutorat (proactive et réactive) sont structurées à partir d’un scénario d’encadrement précis, à savoir : un tutorat asynchrone, délivré à partir des forums et mis en œuvre au travers de fonctions (sociale-motivationnelle, pédagogique, organisationnelle, technique et administrative) et à des moments bien déterminés.
5. Dispositif de recherche
5.1. La méthode d’expérimentation
36Dans cette expérience, réalisée en contexte réel de formation, notre objectif est d’analyser l’impact du scénario d’encadrement sur les apprentissages réalisés au sein de deux activités successives : une activité de conceptualisation (activité 1) et une activité de discussion de cas (activité 2). La combinaison de ces deux facteurs donne lieu à une expérience factorielle à plan mixte, la modalité d’encadrement constituant le facteur à groupes indépendants (facteur inter sujets) et le type d’activité correspondant au facteur manipulé à mesures répétées (facteur intra sujets).
37Les 96 apprenants qui constituent l’échantillon ont été répartis en quatre groupes expérimentaux :
- Deux groupes (PP et RR) pour lesquels les modalités d’intervention tutorales restent stables lors des activités : les équipes du groupe (PP) bénéficient d’un tutorat proactif alors que les équipes du groupe RR profitent d’un tutorat réactif.
- Deux groupes (PR et RP) pour lesquels les modalités de tutorat alternent d’une activité à l’autre, les tuteurs intervenant de manière proactive pour l’activité 1 et de manière réactive pour l’activité 2 avec le groupe PR, et inversement avec le groupe RP.
38Chaque groupe expérimental est lui-même composé de huit équipes de trois apprenants, soit 24 étudiants par groupe. Au total, 32 équipes ont été formées en répartissant les apprenants au sein des équipes de manière aléatoire. Quatre tuteurs ont assuré l’encadrement de l’ensemble des apprenants. Pour neutraliser un éventuel effet lié au niveau d’expertise des tuteurs, les groupes ont été répartis de manière équilibrée entre les tuteurs, donnant à chaque tuteur la responsabilité d’encadrer deux équipes de chaque groupe.
39Si ce type de plan nous permet d’établir une comparaison de plusieurs modalités d’encadrement pour des sujets identiques au travers de deux activités successives, il faut toutefois en reconnaître certaines limites. Parmi les effets que le scénario d’apprentissage peut induire, il y a d’abord l’effet de l’exercice. Des modifications de performance, de processus ou d’opinion peuvent être attribuées à la pratique liée aux activités elles-mêmes. La deuxième activité peut, par exemple, être perçue par les apprenants comme étant plus facile parce qu’ils ont pu bénéficier de la dynamique d’équipe qui s’est développée lors de la première activité. À l’inverse, un effet de fatigue pourrait être à l’origine de moins bonnes performances à la seconde activité. Si ces limites existent, il n’empêche que d’un point de vue pédagogique, la séquence d’apprentissage qui conduit les apprenants à réaliser une activité de conceptualisation (activité 1) pour ensuite réinvestir ces notions dans l’analyse d’un cas concret (activité 2) se justifie selon des principes de progression pédagogique.
5.2. La variable expérimentale
40La modalité d’encadrement des apprenants représente la variable indépendante manipulée du plan. Ce sont les types de médiation qui permettent de distinguer le type des interventions selon qu’elles se déclenchent à l’initiative du tuteur (proactif) ou en réponse à une demande d’un étudiant (réactif). Concernant les interventions proactives, elles sont mises en œuvre à des moments bien spécifiques du déroulement du scénario d’apprentissage et sont ciblées sur des fonctions particulières prises en charge par le tuteur.
41Dans une approche identique à celle adoptée par Quintin (2007), qui associe le modèle proactif à une approche constructiviste et socialisante du processus d’apprentissage, les interventions proactives sont davantage centrées sur le processus. Les interventions réactives surviennent, quant à elles, de manière ciblée, soit pour donner une information qualitative sur une production, l’intervention portant alors sur le produit de l’apprentissage, soit pour réagir à une sollicitation de l’apprenant, l’intervention se focalisant dans ce cas sur le processus.
5.3. Les variables dépendantes
42L’étude des effets principaux (tutorat et activité) prend en considération trois variables dépendantes principales :
- la performance des apprenants en cours d’apprentissage (note collective) et au terme de l’apprentissage (note individuelle) ;
- le processus (nombre de messages déposés dans les forums et temps estimé par les apprenants pour la réalisation des activités) ;
- l’opinion des apprenants au terme de la formation (réponses aux questionnaires en ligne).
6. Analyse des résultats
6.1. L’effet du scénario d’encadrement sur les performances des étudiants
43Conscients que les effets sur l’apprentissage dans un contexte « écologique » sont bien souvent dus à une combinaison de variables dont nous ne maîtrisons qu’une partie, notre intérêt est de vérifier si nos variables expérimentales ont un effet sur le niveau d’apprentissage des étudiants. En cas de réponse positive, nous aurions ainsi un indicateur mettant en évidence un type de pratique pédagogique à développer pour améliorer le niveau des acquis des apprenants.
44Pour observer les performances des apprenants (Q1 : La modalité d’encadrement, qu’elle soit proactive ou réactive, continue ou discontinue, a-t-elle une influence sur les performances des apprenants ?), nous prendrons en considération les résultats obtenus au cours des apprentissages pour les activités qui se sont déroulées selon une modalité collaborative (tableau 4). Il s’agit de la note d’équipe attribuée par le tuteur pour chacune des activités sur base d’une évaluation critériée. La note maximale est de 60 points par activité.
Groupes | Activité 1 : carte conceptuelle (sur 60) | Activité 2 : étude de cas (sur 60) | Moyennes (sur 60) |
PP | 34,88(9,031) | 44,38(4,470) | 39,63(5,72) |
PR | 45,88(5,719) | 46,75(6,606) | 46,31(3,52) |
RP | 46,38(7,050) | 45,83(6,186) | 46,10(5,39) |
RR | 45,88(6,312) | 46,88(5,987) | 46,38(3,68) |
Moyennes | 43,25(8,378) | 45,96(5,670) | 44,60(5,43) |
Source | Somme des carrés de type III | ddl | Moyenne des carrés | F | Signification |
Scénario d'encadrement | 524,672 | 3 | 174,891 | 3,634 | ,025 |
45Un effet global significatif (tableau 5) met en évidence une différence entre les groupes, et ce, pour les deux activités confondues (F (3) = 3,634 ; p < 0,05). Nous avons réalisé un test des effets simples principaux de la variable « activité » aux différents niveaux des groupes expérimentaux. Dans le tableau 6, nous constatons que le groupe PP se différencie significativement des trois autres groupes par ses résultats moins élevés (p < 0,01).
Activités 1 et 2 | Groupe PR | Groupe RP | Groupe RR |
Groupe PP | .005 | .001 | .001 |
Groupe PR | 1.00 | 1.00 | |
Groupe RP | 1.00 |
46A priori, l’effet de la modalité d’encadrement semble donc jouer en faveur du tutorat réactif qu’il soit appliqué de manière continue ou précédé de la modalité proactive. Cependant, les résultats de l’analyse de l’interaction entre le mode de tutorat et l’activité indiquent que cette différence entre les moyennes est présente pour ce groupe dans les deux activités, mais qu’elle est surtout marquée dans l’activité 1 (tableau 1 : PP = 34,88).
Source | Somme des carrés de type III | ddl | Moyenne des carrés | F | Signification |
Scénario d'apprentissage* | 772,266 | 3 | 257,422 | 7,567 | ,000 |
47Sur le plan statistique, l’interaction entre les activités et la modalité de suivi (tableau 7) est significative : F (3) = 7,567 ; p =, 000. Par conséquent, c’est seulement lors de l’activité 1 que le groupe suivi selon la modalité proactive (groupe PP) se démarque des trois autres groupes expérimentaux par ses moins bonnes performances.
6.2. L’effet du scénario d’encadrement sur le processus d’apprentissage
48Pour discuter de la production commune à réaliser pour chacune des deux activités, les apprenants devaient échanger leur avis dans des forums de la plateforme d’apprentissage. Nous analyserons dans cette partie comment ces outils de discussion asynchrone ont été investis en fonction de la modalité d’encadrement assurée par les tuteurs (Q2 : La participation des apprenants aux activités est-elle différente selon le type d’encadrement tutoral mis en œuvre ?).
49Pour mesurer la participation au forum d’équipe, nous avons pris en considération les messages qui relèvent de la fonction pédagogique (centrés sur la tâche) et qui ont pour fonction soit d’initier une discussion autour de l’activité (messages initiatifs) ; soit de répondre à une intervention (messages réactifs) ; soit d’évaluer une proposition émanant d’un des membres de l’équipe (évaluatif). L’ensemble de ces messages est regroupé sous l’abréviation IRE pour « initiatif-réactif-évaluatif » empruntée aux travaux de George (2003). À partir du nombre de messages IRE déposés par les apprenants, nous pouvons établir leur « profil participatif », ce qui dans le cadre d’une activité collaborative nous paraît être un élément à étudier avec attention.
Groupes | Moyenne des messages Fil de discussion centré sur la tâche (IRE) |
PP | 14,52 (8,69) |
PR | 10,79 (5,12) |
RP | 12,20 (5,84) |
RR | 14,85 (7,12) |
Moyennes | 13,09 (6,93) |
50La seconde variable est relative à l’estimation du temps que les apprenants disent avoir consacré pour la réalisation des activités. Ne possédant pas d’informations relatives au temps réel passé à la tâche, nous avons voulu considérer si le temps que les apprenants estiment avoir passé aux activités collaboratives leur a semblé se différencier selon les modalités expérimentales auxquelles ils ont été soumis.
51Concernant le nombre de messages IRE déposés par les apprenants (tableau 8), nous constatons que bien que la moyenne des messages soit supérieure pour les groupes qui ont été encadrés selon une modalité continue (PP = 14,52 et RR = 14,85) par rapport aux groupes qui ont changé de modalité d’encadrement entre les deux activités (PR = 10,79 et RP = 12,20), ces différences ne sont pas suffisantes pour pouvoir conclure à un effet d’encadrement : F (3) = 1,921 ; p > 0,05. Le fait de proposer une modalité proactive ou réactive, de manière continue ou alternée, n’a pas d’incidence sur le nombre de messages émis par les apprenants.
52Si l’on considère les messages selon la fonction qu’ils jouent dans les échanges entre apprenants (messages de type initiatif, réactif ou évaluatif) comme l’illustre la figure 5, nous observons un effet d’interaction en activité 1 sur le groupe PR mais uniquement pour les messages de type réactif : F (3) = 0,552 ; p = 0,000.
53Ainsi, ce groupe PR se distingue par un degré de participation nettement inférieur aux autres groupes et, cela, principalement par manque de réactivité aux messages déposés par leurs coéquipiers comparativement aux autres groupes. Concrètement, les membres des équipes du groupe PR produisent très peu de messages en réponse à une question émise précédemment et pour soumettre une question à leurs coéquipiers. L’effet de contraste entre les modalités serait atténué par le fait d’avoir bénéficié d’un tutorat proactif. Le groupe PR a commencé avec le niveau d’investissement le plus bas en activité 1 (activité 1 : 11,54) et il maintient ce niveau en deuxième activité (activité 2 : 10,04). À l’inverse, le RP qui est lui aussi soumis à un encadrement contrasté se démarque des autres groupes par un investissement lui aussi moins important (mais non significatif) en activité 2 (activité 2 : 7,66) alors qu’il manifestait en activité 1 un niveau de participation élevé (16,75).
54Le test de l’Anova réalisé à partir du temps estimé par les apprenants confirme qu’il n’existe pas d’effet de la modalité d’encadrement : F (3) = 1,518 ; p = 2,15. Néanmoins, comme l’indique la figure 6, des effets d’interaction apparaissent entre les groupes ayant bénéficié d’une modalité d’encadrement continue (PP et RR) et entre les groupes encadrés par un tutorat contrasté (PR et RP).
6.3. L’effet du scénario d’encadrement sur l’opinion des apprenants
55Pour apprécier l’opinion des étudiants, un questionnaire individuel leur a été soumis après la réalisation de chacune des deux activités collaboratives. Ces deux questionnaires contiennent des items identiques ce qui nous permettra d’étudier l’évolution des avis d’une activité à l’autre. Les items sont répartis en différentes catégories qui traitent des informations générales relatives à l’appréciation des activités et aux difficultés rencontrées lors de celles-ci (Q01 à Q09 et Q20 et Q21) ; au travail collaboratif (Q10 à Q12) ; à la manière dont le tutorat a été apprécié (Q13 à Q18) et à l’outil de communication (le forum) (Q19).
56Pour répondre à la question relative aux effets du scénario d’encadrement (Q3 : Les apprenants qui bénéficient d’un tutorat proactif ont-ils une meilleure opinion vis-à-vis des travaux pratiques que ceux qui ont bénéficié d’un tutorat réactif ?), nous allons considérer les résultats au test de Kruskal-Wallis qui nous permettront pour chacune des deux activités de déterminer si l’opinion des apprenants se différencie selon que le tutorat mis en œuvre est proactif ou réactif.
57Dans le tableau 9, nous trouvons pour chacune des deux activités (1 et 2), les valeurs des rangs au test U de Mann-Whitney qui permettent de différencier pour chacun des items les opinions des apprenants qui ont bénéficié soit d’un tutorat proactif, soit d’un tutorat réactif. La valeur du Z et son degré de significativité nous permettent de déterminer si les différences observées entre les modalités proactive et réactive sont significatives. Dans le tableau, dans les cases noires, les valeurs (< 45) sont plutôt positionnées sur la partie gauche de l’échelle (catégories les moins favorables), dans les cases grises, les valeurs (> 55) sont plutôt positionnées sur la partie droite de l’échelle (catégories les plus favorables), dans les cases blanches, les valeurs (45 < = n < = 55) se situent davantage sur la partie médiane de l’échelle.
58Nous constatons qu’un seul item met en évidence une différence significative entre les apprenants qui bénéficient d’un tutorat proactif et ceux qui bénéficient d’un tutorat réactif. Il s’agit de l’appréciation par les apprenants de la quantité d’interventions dont ils ont bénéficié de la part de leur tuteur. Notons que cette différence significative s’observe pour les deux activités (activité 1 : Z = – 3,440, significativité à 0,001 ; et activité 2 : Z = – 3,530, significativité à 0,000).
59Les valeurs des rangs dans le tableau 9 montrent que la tendance des opinions relatives à cet aspect du tutorat va dans le sens d’une quantité plus importante d’interventions du tuteur perçues par les apprenants qui bénéficient d’un tutorat proactif (pour l’activité 1 : 56,91 [proactif] et 40,09 [réactif] ; et pour l’activité 2 : 57,35 [proactif] et 39,65 [réactif]). Quelle que soit l’activité, les apprenants qui ont bénéficié d’un tutorat proactif perçoivent que le tuteur est intervenu de manière plus fréquente par rapport aux apprenants qui ont bénéficié d’un tutorat réactif. Cette constatation met en avant le fait que les apprenants ont correctement ressenti les modalités spécifiques d’intervention des tuteurs.
7. Conclusion
60Le scénario d’encadrement proposé dans cette recherche se caractérise par un tutorat proactif ou réactif selon que les interventions du tuteur anticipent ou répondent à une demande de la part des apprenants. Alors que de nombreux auteurs s’accordent à dire que la qualité du tutorat est une variable déterminante de l’efficacité d’un dispositif de formation à distance (Lebel et Michaud, 1989 ; Bertrand et al., 1994 ; Depover et al., 1998 ; Desmarais, 2000, repris par De Lièvre et al., 2006) et, a fortiori, que la modalité tutorale proactive a une influence sur le nombre d’interventions élaborées par les étudiants (Burges, 1991, cité par De Lièvre et al., 2006 ; Bernatchez et Marchand, 2005), nos résultats ne permettent pas de mettre en avant les bénéfices d’apprentissage liés à la mise en œuvre d’une modalité particulière de tutorat. En effet, le tutorat proactif tel qu’il est proposé dans le cadre de cette recherche ne se différencie pas de la modalité réactive, si ce n’est par le fait que les apprenants ont effectivement perçu une différence quant au nombre de messages que les tuteurs leur ont délivrés selon la condition expérimentale qui leur avait été assignée. Ces résultats nous incitent à penser que la modalité proactive, telle que nous l’avons appliquée, ne se distingue pas suffisamment de son correspondant réactif pour induire un effet significatif de la modalité de tutorat. Ceci rejoint les résultats de plusieurs recherches qui tendent à montrer que ce n’est pas le nombre d’interactions qui influence les performances, mais plutôt la nature de celles-ci (Webb, 1991 et Cohen, 1995, cités par Gillies et Ashman, 2003 ; Quintin, 2007).
61Si la modalité d’encadrement ne semble pas intervenir sur les apprentissages, les observations faites sur les performances et les processus pour la première activité ont mis en exergue de fortes divergences entre les groupes « PP » et « PR » alors qu’ils étaient placés pour cette première activité dans les mêmes conditions de tutorat (modalité proactive). Cette variance intragroupe pourrait être liée à des caractéristiques individuelles. À ce niveau, nous rejoignons les conclusions de Quintin (2005) en formulant l’hypothèse que la prise en compte de cette variabilité à l’entame des travaux pratiques permettrait de mieux cerner la portée réelle du traitement expérimental. En effet, les analyses corrélationnelles réalisées par Decamps (2008), François (2008) et Cambier (2008) ont montré que les profils des étudiants qui ont été établis à partir du questionnaire sur les styles d’apprentissage de Grasha (2002) avant que la formation ne commence, se révèlent très prédictifs des comportements observés en cours de formation (pour les styles « participant » et « fuyant »), voire de leurs performances au terme de la formation pour le style « fuyant ». Ces apprenants caractérisés par un style d’apprentissage « fuyant » au test de Grasha interagissent peu avec leurs coéquipiers au sein du forum et ont une perception plutôt négative de l’efficacité de cet outil de communication asynchrone. Leur niveau d’implication est relativement faible, tout comme leur degré de motivation. Ces caractéristiques individuelles rejoignent la description de Grasha (2002, p. 385) qui associe au style d’apprentissage « fuyant » un profil d’apprenants « qui manifestent peu d’enthousiasme à apprendre et à assister aux cours. Ils ne sont pas intéressés et sont dépassés par les activités qui leur sont proposées dans le cadre d’une formation ». Il semblerait donc approprié d’adapter le type d’encadrement au style de l’apprenant en agissant à la fois sur la modalité pédagogique et sur les outils mis à disposition dans le dispositif de formation. Au niveau du dispositif technico-pédagogique, une approche intéressante consisterait à faire correspondre les ressources offertes par les technologies de l’information et de la communication aux besoins des apprenants en mettant, par exemple, à disposition des outils d’awareness permettant aux apprenants et aux tuteurs de prendre la mesure de leur niveau d’activité par rapport aux autres apprenants (Temperman et al., 2007). Concernant la modalité pédagogique, l’attitude proactive du tuteur devrait être mieux ciblée en fonction du style de l’apprenant de sorte que le tuteur puisse devancer les difficultés que certains apprenants sont susceptibles de rencontrer, et en y répondant, de réduire les perturbations qui pourraient y être associées au sein du groupe. Nous envisageons aussi de poursuivre nos travaux en étudiant l’impact du style d’apprentissage sur le groupe de pairs de manière à former des équipes modérément hétérogènes et de promouvoir ainsi le développement des interactions entre apprenants (Doise et Mugny, 1984 ; Webb, 1991).
Notes de bas de page
1 Plateforme Esprit : http://ute3.umh.ac.be/esprit/
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