Usages et perceptions des forums dans des contextes universitaires diversifiés
p. 99-122
Texte intégral
1. Introduction
1.1. Contexte et hypothèse de recherche
1Depuis nombre d’années, les universités sont régulièrement interpellées sur les taux d’échec de leurs étudiants, en particulier en premier cycle. En Communauté française de Belgique, le taux d’échec en première année est relativement stable et tourne autour de 60 % (Droesbeke et al., 2001). S’il se dégage une conclusion claire des nombreuses recherches qui ont tenté d’éclairer les sources du problème, c’est bien que l’échec est un phénomène complexe, aux causes multiples et interdépendantes (Galand et al., 2005b). Romainville (2000) regroupe les multiples facteurs identifiés dans la littérature en trois groupes : les caractéristiques d’entrée de l’étudiant, la gestion par l’étudiant de son nouveau métier, et enfin l’enseignement.
2Si les universités n’ont guère de prise sur les facteurs de la première catégorie, il est possible d’agir sur les deux autres. Sur cette base, les universités belges ont massivement investi dans une grande variété de dispositifs de lutte contre l’échec (Parmentier, 2006 ; Cobut et al., 2004). Des efforts substantiels sont consentis dans un espace situé entre les cours proprement dit et le travail personnel de l’étudiant, et l’offre revêt de nombreuses formes : séances d’accueil, permanences, cours de propédeutique ou de remédiation, tests diagnostiques, entretiens individuels, etc. Si ces actions sont évidemment indispensables, elles soulèvent de manière récurrente la question de savoir si elles touchent les étudiants qui en ont le plus besoin (Galand et al., 2005a). Il est donc important de se pencher également sur les formes de soutien susceptibles d’être apportées au sein même des enseignements.
3Tentant une synthèse des travaux sur les rôles du tuteur, Bernatchez (2003) montre la récurrence et la cohérence des catégories relevées dans la littérature sur la fonction tutorale et distingue in fine trois grandes catégories de soutien : pédagogico-intellectuel, socio-affectif et technique/logistique. Il nous paraît cependant fécond de dissocier les besoins des apprenants en termes de soutien, d’une part, et les acteurs en charge de ce soutien, d’autre part. Nous postulons donc ici que l’apprenant, pour réussir, a besoin d’un triple soutien (pédagogico-intellectuel, socio-affectif et technique/logistique), et que ce soutien peut être apporté par une série d’acteurs (enseignant titulaire, tuteur, étudiants, etc.). Par ailleurs, il existe différents médias par lesquels ces différents soutiens peuvent être demandés et/ou apportés.
4Pour assurer l’encadrement au sein des grands groupes, le forum de discussion peut se révéler un média pertinent. L’hypothèse à la base de cette recherche est dès lors que le forum est susceptible, en tant que dispositif de communication asynchrone, structurée, publique et écrite (Mangenot, 2002), d’augmenter la « portance » du soutien à l’apprentissage au sein d’un dispositif de formation traditionnel. Du côté de la demande, l’aspect asynchrone du forum élargit en effet la gamme des moments pendant lesquels les apprenants sont susceptibles d’exprimer des besoins de soutien de différents ordres, tandis que, du côté de l’offre, le caractère public du forum permet de faire entendre l’expression de ces besoins par un public plus large (en multipliant ainsi statistiquement les chances que quelqu’un soit à l’écoute et réponde).
5Cette hypothèse a été investiguée via une approche multi-cas, en suivant, parfois durant trois sessions consécutives, huit dispositifs pédagogiques recourant aux forums dans trois institutions. Financé par le Fonds national de la recherche scientifique, le projet de recherche Agora a été mené de janvier 2007 à décembre 2008 par l’Université libre de Bruxelles (ULB), l’université de Mons-Hainaut (UMH) et la Faculté polytechnique de Mons (FPMs)1. Ces trois universités, qui constituent l’académie universitaire Wallonie-Bruxelles en Communauté française de Belgique, sont des institutions unimodales traditionnelles (elles ne dispensent pas ou quasi pas de cursus à distance). Toutes trois mettent à la disposition de leurs enseignants et de leurs étudiants des plateformes déployées au niveau de l’institution (WebCT-Blackboard pour l’ULB, Moodle et Esprit pour l’UMH, et Moodle pour la FPMs) qui intègrent des forums dans leurs fonctionnalités standards.
1.2. Questions de recherche
6La part de la recherche Agora détaillée dans cet article porte sur les questions de recherche suivantes :
- Q1. Les discussions au sein des forums portent-elles effectivement sur le cours ?
- Q2. Quelle est la part respective des échanges pédagogico-intellectuels, socio-affectifs et organisationnels au sein des forums :
- Q2a. chez les étudiants ?
- Q2b. chez les agents d’encadrement2 ?
- Q3. Quelle perception les étudiants ont-ils de l’apport des forums :
- Q3a. sur le plan pédagogico-intellectuel ?
- Q3b. sur le plan socio-affectif ?
- Q3c. sur le plan organisationnel ?
2. Méthodologie
2.1. La sélection des cas
7Afin d’appréhender au mieux une réalité complexe, nous avons opté pour une approche par cas multiples inspirée par Huberman et Miles (1991). Huit cas ont été sélectionnés en fonction de deux facteurs principaux : le degré d’intégration du forum au scénario pédagogique (faible, moyen ou élevé) et le niveau d’encadrement offert (important ou réduit).
8Une intégration élevée au scénario signifie qu’une part des activités du cours se déroule exclusivement en ligne et que l’usage du forum en fait partie intégrante (il n’est pas possible, pour réaliser l’activité, de se passer du forum). Une intégration moyenne signifie qu’une part des activités du cours se déroule en ligne sans que le recours au forum soit pour autant obligatoire. Enfin, dans le cas d’une intégration faible, un forum est à disposition des étudiants pour qu’ils posent leurs questions, sans que son usage soit en aucune façon requis ou intégré à une activité particulière.
Cas | Titre du cours | Institution | Nombre d’étudiants | Taille des groupes | Degré d’intégration du forum au scénario | Degré d’encadrement | Cycle |
(1) | Psychologie de l’éducation 2006-2007 | UMH | 24 | 3 personnes par équipe (8 équipes) | Élevé | Important | BA2* |
(2) | Psychologie de l’éducation 2007-2008 | UMH | 90 | 6 personnes par équipe (16 équipes) | Élevé | Important | BA2 |
(3) | Pédagogie générale | UMH | 43 | 11 personnes par équipe | Élevé | Réduit (auto-tutoré) | BA1 |
(4) | CAP-ORDI (3 sessions) | ULB | 1 : 5102 : 943 : 340 | Moyen | Important | BA2 | |
(5) | Mécanique rationnelle I (2 sessions) | FPMs | 1 : 1932 : 208 | Faible | Important | BA1 | |
(6) | Mécanique rationnelle II (2 sessions) | FPMs | 1 : 1642 : 160 | Faible | Important | BA2 | |
(7) | Guidance de chimie (2 sessions) | ULB | 1 : 2 4232 : 2 577 | Faible | Important | BA1 | |
(8) | Chimie générale (2 sessions) | ULB | 1 : 4802 : 505 | Faible | Réduit | BA1 |
9En ce qui concerne le niveau d’encadrement, la modalité encadrement important signifie que les agents d’encadrement suivent de près les échanges au sein du forum et répondent aux étudiants si nécessaire. À l’inverse, un encadrement réduit signifie que les agents d’encadrement ne se sont pas engagés à répondre et ne sont, de manière générale, pas présents de manière régulière sur le forum. On notera que dans un cas (le cas 3), une partie des fonctions de tutorat est volontairement dévolue a priori aux étudiants eux-mêmes (forum « autotutoré ») ; la prise de distance des agents d’encadrement nous a conduits à ranger ce cas sous la modalité « encadrement réduit ».
10Le caractère interuniversitaire de la recherche a permis de sélectionner des cas contrastés en multipliant les contextes d’usage. Les cours examinés varient selon plusieurs dimensions : nos deux variables principales, mais aussi discipline, taille du groupe-classe, existence ou non de sous-groupes, etc. Le tableau ci-dessous offre une vue synoptique des différents cas et de leurs dimensions essentielles.
2.2. Une triangulation de méthodes
11Dans une tentative de synthèse des méthodes d’analyse des forums d’apprentissage, Huynh-Kim-Bang (2005) distingue les analyses basées sur des indices externes ou internes aux messages. Les indices externes sont ceux qui ne nécessitent pas d’accès au contenu et qu’il est facile d’extraire ou de construire à partir des traces informatiques générées par la plupart des outils (nombre de messages lus, envoyés, etc.). Si de telles analyses sont relativement aisées à mener, elles atteignent cependant vite leurs limites puisqu’elles ne permettent guère d’accéder au sens des interactions. Quant aux traitements des indices internes, ils reposent le plus souvent sur l’analyse de contenu. Or, indépendamment des problèmes méthodologiques que celle-ci soulève (voir par exemple Rourke et al., 2001), cette méthode a le défaut majeur de se focaliser sur des indices purement textuels en délaissant toutes les autres composantes du dispositif pédagogique : comme le soulignent Henri et Charlier (2005), « la participation à un forum constitue une activité située, finalisée et cadrée par un contexte ». Une méthode qui coupe un texte de son contexte risque fort de laisser dans l’ombre des éléments essentiels.
12Tenant compte de ces limites des différentes méthodes d’analyse prises individuellement, nous avons opté pour une triangulation des méthodes (Pourtois et Desmet, 2000) : l’analyse des indices externes (les traces informatiques) a systématiquement été croisée à la fois avec une analyse de contenu et avec des entrevues menées auprès des étudiants. Nous détaillons ci-dessous les trois approches.
2.3. L’analyse des indices externes
13Les indices externes, malgré leurs limites bien connues, offrent un premier niveau commode de traitement et permettent d’avoir une vue globale de l’activité au sein du forum. Afin d’obtenir une première vision de l’usage réel de l’outil par les différents acteurs (étudiants et agents d’encadrement) dans chaque contexte d’usage, nous avons relevé le nombre total de messages produits. Lorsque cela était techniquement possible, nous avons également relevé le nombre de messages lus par chaque participant3. Dans un second temps, nous avons ainsi pu calculer la proportion d’étudiants actifs (ayant posté au moins un message) par rapport à l’ensemble des inscrits, ainsi que, dans certains cas, la proportion d’étudiants passifs (ayant lu au moins au message sans jamais en poster).
2.4. L’analyse de contenu
14Afin d’analyser les comportements des étudiants et des agents d’encadrement, nous avons tenté de déterminer quelles formes prennent les conversations enregistrées au sein des différents forums étudiés à travers une analyse de contenu (Bardin, 1983). Nous avons d’abord distingué les productions liées aux cours des productions sans lien avec les cours. Les productions ont ensuite été classées en trois catégories selon qu’elles relevaient du domaine pédagogico-intellectuel, socio-affectif ou organisationnel.
2.5. Les entrevues
15Enfin, pour compléter l’analyse des données externes et internes, nous avons mené avec les étudiants, pour chaque forum, une série d’entretiens semi-directifs portant sur trois grandes questions : les raisons motivant le recours à l’outil, la manière dont celui-ci est utilisé ainsi que sa perception par les étudiants.
16Les entrevues ont été menées sur base d’un guide d’entretien commun assez large pour englober un maximum d’aspects liés à l’utilisation des forums par les étudiants, et structuré autour de huit thèmes principaux, dont la participation, l’encadrement, les apports cognitifs, métacognitifs, sociaux, organisationnels, etc.4.
17Tous les entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement. Sur base d’une première lecture, une grille d’analyse a été élaborée. Étant donné la diversité des contextes, nous avons choisi, plutôt que de procéder à une analyse question par question, de nous livrer à une analyse thématique transversale de tous les entretiens, mettant en évidence les thèmes abordés de façon redondante et qui apparaissaient comme les fils conducteurs les plus pertinents.
3. Difficultés rencontrées
18Lors des analyses de contenu, les codages de forums fortement intégrés dans un scénario pédagogique de l’université de Mons (cas 1 à 3) ont nécessité plusieurs adaptations méthodologiques. La première est relative au nombre important de messages à traiter (plus de 20 000), qui nous a contraints à procéder à un échantillonnage aléatoire afin d’obtenir la même précision qu’à partir de l’échantillon complet. La seconde adaptation porte sur l’unité de sens privilégiée. Il est en effet apparu que l’unité « message » n’était pas appropriée au codage de forum utilisé par des groupes restreints, d’une part par la longueur des messages, d’autre part par le nombre d’unités de sens qu’ils intégraient. L’unité retenue a été ici la phrase.
19En ce qui concerne les entretiens, notre objectif initial était d’en réaliser un minimum de dix pour chacun des forums étudiés. Cependant, il s’est avéré assez difficile d’intéresser des étudiants déjà fort sollicités à participer à une recherche dont ils ne percevaient pas forcément les retombées directes. Par ailleurs, certains forums étaient très proches par l’utilisation et la composition du public. Nous avons dès lors opté pour des entretiens conjoints pour les forums des cours de mécanique rationnelle I et II (cas 5 et 6), ainsi que pour les forums du cours de chimie et de la guidance de chimie (cas 7 et 8). Malgré ses inconvénients, cette option offrait l’opportunité de mieux saisir ce qui motive l’utilisation d’un forum par rapport à un autre, à un moment donné, en fonction des besoins et des attentes des utilisateurs.
20Enfin, les étudiants, étant volontaires pour les entrevues, peuvent présenter certaines caractéristiques particulières. Par exemple, nous avons constaté que les étudiants qui ont répondu positivement à l’invitation dans le cadre du cas 4 souhaitaient généralement s’exprimer sur le cours en lui-même, pour manifester leur satisfaction ou leur mécontentement vis-à-vis de ce cours et non spécifiquement par rapport au forum.
4. Résultats et discussion
4.1. La proportion des échanges relatifs au cours (Q1)
21Il n’est pas rare que les enseignants hésitent à mettre en place un forum de peur que les discussions leur échappent et dévient sur autre chose que le cours proprement dit. Certains résultats de recherche peuvent en effet étayer cette crainte. C’est ainsi par exemple qu’Audran (2005) constate que dans les forums libres (nos forums « faiblement intégrés au scénario »), la part de messages spontanés liés au contenu du cours s’avère relativement faible.
22Nos résultats vont cependant dans un sens opposé. Dans 5 cas sur 8, la proportion de messages hors cours est tout simplement nulle. Dans le cas 4, elle ne dépasse jamais 0,5 % sur 3 sessions consécutives. Dans le cas 7, elle s’élève à 1 % pour une session et un peu moins de 5 % pour l’autre. On voit donc que l’écrasante majorité des échanges, dans quasiment tous les cas étudiés, concerne exclusivement le cours, et ceci que le forum soit étroitement intégré au scénario ou non.
23La seule exception notable concerne le cas 8 (dispositif à encadrement réduit), où l’on relève respectivement 47 et 65 % de messages hors cours pour les 2 sessions. Cette importante proportion demande ici à être creusée.
24Tout d’abord, l’analyse montre que ces messages « hors cours » se divisent en fait en deux sous-catégories : les messages concernant d’autres cours de la même faculté et les messages hors cours au sens large. Pour les étudiants de l’année concernée, le forum du cas 8 est le seul forum officiel disponible dans les cours de leur programme ; le forum de chimie joue dès lors un rôle clé pour pallier l’absence de forums disponibles pour d’autres cours, et pour lesquels les étudiants sentent un réel besoin de poser des questions à leurs pairs.
25Si l’on analyse les résultats selon cette nouvelle distinction, on constate que la proportion de messages qui ne concernent aucun cours ne s’élève plus qu’à 8 et 20 % respectivement dans les 2 sessions. Par ailleurs, on remarque que ces messages restent cependant souvent en lien avec les études au sens large (voir, ci-dessous, 4.3.2. Les indices de soutien organisationnel, pour une liste d’exemples). Ils jouent généralement un rôle social et participent donc d’un mouvement d’affiliation au groupe, à l’institution et aux études.
26Par ailleurs, les entretiens mettent nettement en avant l’effet de spirale positive ou négative qui résulte de la participation, importante ou faible, des pairs : si leurs messages rencontrent un écho, les étudiants ont tendance à revenir sur le forum, tandis qu’ils ont tendance à le déserter si leurs questions restent sans réponse – avec dans les deux cas un effet boule de neige :
Tout d’abord parce que c’est un forum de chimie que je l’utilise plus qu’un autre c’est juste parce que c’est un forum sur lequel tout le monde va, ‘ fin il y a beaucoup d’élèves qui vont dessus et donc si on a une question à poser sur l’organisation d’un cours ou quoi, on est sur d’avoir des réponses sur le forum de chimie. (cas 7, entretien 7)
27Il est dès lors probable que dans ce cas précis, un interventionnisme plus grand de la part de l’équipe pédagogique pour limiter les échanges au cadre strict du cours ferait chuter le nombre d’échanges et par là même, le nombre de participants actifs.
4.2. La part relative des différents types de soutien au sein du forum (Q2)
28Dans cette étude, nous avons retenu une classification tripartite des fonctions de soutien : le soutien à l’apprentissage, le soutien socio-affectif et le soutien organisationnel. Les deux premières catégories correspondent grosso modo aux catégories « soutien pédagogico-intellectuel » et « socio-affectif » chez Bernatchez (2003). La troisième regroupe chez Bernatchez le soutien technique et logistique et le soutien à la communication.
29Dans chacune de nos études de cas, nous avons classé les productions des participants du forum en fonction de ces catégories. Pour des raisons expliquées en 2. Méthodologie, il nous a paru nécessaire pour les cas 1, 2 et 3, après travail sur un échantillon, d’opérer ce classement non au niveau du message mais au niveau de la phrase. Nous présentons ci-dessous une synthèse des résultats en deux tableaux, selon le type d’unité de sens retenu (messages ou phrases). Dans les cinq dernières colonnes, les chiffres de gauche se réfèrent aux apprenants tandis que ceux de droite concernent les agents d’encadrement.
4.2.1. La part relative du soutien à l’apprentissage
30L’examen de la proportion de messages des apprenants relevant de nos trois catégories (tableau 2) indique que dans presque tous les cas étudiés, les étudiants postent en majorité des messages dédiés à l’apprentissage. Remarquons (sans préjuger d’un lien) que tous ces cas relèvent des types 1 et 2, soit des forums faiblement ou moyennement intégrés dans le dispositif pédagogique. Même dans les forums plus « libres », il est intéressant de constater que les étudiants utilisent l’outil en vue d’obtenir un soutien d’ordre essentiellement cognitif. Ceci, couplé au fait que la proportion de messages qui ne concernent pas le cours est généralement minime, montre que le forum est pris au sérieux par les étudiants et qu’il est mobilisé au service d’objectifs d’apprentissage.
31Il y a à ce constat deux exceptions sur lesquelles il est utile de s’attarder. L’organisation devient plus saillante durant une des sessions du cas 4, alors que l’apprentissage domine les échanges des deux autres sessions. Il se trouve que la session 2 a été perturbée par un problème technique. Les difficultés rencontrées par les étudiants pour renvoyer leurs travaux se sont traduites par un nombre élevés d’appels à l’aide de nature technique et organisationnelle, faisant passer les discussions de fond à l’arrière-plan. Seconde exception, le cas 8, a déjà été évoqué plus haut dans la mesure où il se démarque par le dynamisme des échanges menés essentiellement entre étudiants. Par son succès, ce forum est devenu une sorte de « carrefour d’informations » pour la filière considérée : beaucoup d’informations pratiques y transitent donc. Mais l’explication serait incomplète si l’on ne rappelait pas que les étudiants accédant à ce forum peuvent également accéder au forum de la guidance de chimie (cas 7). Or, ce forum-là se caractérise précisément par une proportion très élevée de messages dédiés à l’apprentissage, et les entretiens montrent que les étudiants le préfèrent pour poser des questions de fond sur la chimie parce qu’il est fortement encadré. Il y a donc ici un effet de vases communicants, et l’on constate que les étudiants qui disposent de deux forums pour la même matière ne les mobilisent pas au service des mêmes objectifs.
32Le tableau 3, quant à lui, indique la même répartition non plus pour les messages mais pour les phrases des étudiants des cas 1, 2 et 3. Constatons qu’ici, c’est l’organisationnel qui domine, assez nettement, trois fois sur quatre. On peut ici émettre deux hypothèses. La première, c’est que le changement d’unité de sens (du message à la phrase) pourrait avoir un impact sur la répartition. Une seconde explication, qui nous paraît plausible (seule ou en conjonction avec la première), est que la différence pourrait résulter du fait que le forum est ici étroitement intégré dans un scénario pédagogique et plus précisément à une activité de nature collaborative. L’aspect collaboratif de la tâche augmente les besoins en termes d’organisation et donc le nombre de messages en ce sens (d’autant, pour rappel, que nous avons choisi d’inclure dans cette catégorie organisationnelle la régulation de la communication).
Cas | Cours | Degré d’intégration2 | Degré d’encadrement | Nombre de participants | Nombre de messages | Messages relatifs à l’apprentissage | Messages relatifs à l’organisation | Messages socio-affectifs |
4 | CAP-ORDI Session 1 | 2 | Important | 510 / 10 | 1286 / 551 | 56 % / 58 % | 32 % / 40 % | 12 % / 2 % |
4 | CAP-ORDI Session 2 | 2 | Important | 94 / 4 | 183 / 90 | 40 % / 27 % | 54 % / 72 % | 6 % / 1 % |
4 | CAP-ORDI Session 3 | 2 | Important | 340 / 10 | 837 / 314 | 51 % / 39 % | 41 % / 60 % | 8 % / 1 % |
5 | Mécanique rationnelle I Session 1 | 1 | Important | 224 / 4 | 129 / 64 | 90 % / 72 % | 10 % / 28 % | 0 % / 0 % |
5 | Mécanique rationnelle I Session 2 | 1 | Important | 228 / 4 | 127 / 53 | 68 % / 62 % | 29 % / 36 % | 3 % / 2 % |
6 | Mécanique rationnelle II Session 1 | 1 | Important | 196 / 2 | 59 / 30 | 66 % / 57 % | 29 % / 43 % | 5 % / 0 % |
6 | Mécaniquerationnelle IISession 2 | 1 | Important | 192 / 2 | 75 / 29 | 77 % / 52 % | 21 % / 48 % | 0 % / 0 % |
7 | Guidance de chimie Session 1 | 1 | Important | 2423 / 2 | 865 / 190 | 71 % / 78 % | 15 % / 21 % | 14 % / 1 % |
7 | Guidance de chimie Session 2 | 1 | Important | 2577 / 1 | 411 / 175 | 76 % / 88,5 % | 12 % / 10 % | 12 % / 1,5 % |
8 | Chimie générale Session 1 | 1 | Réduit | 480 / 9 | 2673 / 117 | 28 % / 3 % | 53 % / 94 % | 19 % / 3 % |
8 | Chimie générale Session 2 | 1 | Réduit | 505 / 13 | 2659 / 104 | 23 % / 11,5 % | 59 % / 87,5 % | 18 % / 1 % |
Cas | Cours | Degré d’intégration | Degré d’encadrement | Nombre de participants | Total des phrases | Phrases relatives à l’apprentissage | Phrases relatives à l’organisation | Phrases socio-affectif |
1 | Psychologie de l’éducation 2006-2007 Activité 1 | 3 | Important | 24 / 4 | 1904 / 702 | 31 % / 2,3 % | 51 % / 70,1 % | 17 % / 27,6 % |
1 | Psychologie de l’éducation 2006-2007 Activité 2 | 3 | Important | 24 / 4 | 1353 / 416 | 42 % / 6,7 % | 37 % / 57 % | 21 % / 36,3 % |
2 | Psychologie de l’éducation2007-2008 | 3 | Important | 90 / 4 | 4477 / 1033 | 33 % / 3,3 % | 48 % / 82,3 % | 19 % / 14,4 % |
3 | 3 Pédagogie générale | 3 | Réduit | 43 / 1 | 4434 / 118 | 23 % / 1,7 % | 58 % / 81,4 % | 19 % / 16,9 % |
33Si l’on passe aux messages produits par les agents d’encadrement, on se rend compte que la dominance des aspects d’apprentissage ou organisationnels dans le tableau 2 est grosso modo parallèle à ce que nous constatons pour les productions étudiantes. Quand la part de l’organisation l’emporte sur celle de l’apprentissage, l’écart est plus net chez les encadrants : c’est le cas pour la session 2 du cas 4 (où le problème technique déjà évoqué a mobilisé les agents d’encadrement sur les questions organisationnelles) et pour le cas 8 (où les encadrants sont peu présents et n’interviennent en général que pour diffuser des informations d’intérêt général). Dans le tableau 3, à présent, le parallélisme se perpétue avec ici aussi une dominance plus nette de l’organisationnel : comme expliqué plus haut, on peut supposer que les tâches collaboratives nécessitent davantage de soutien organisationnel et que les agents d’encadrement jouent un rôle important à cet égard. Dans le même temps, on ne peut qu’être frappé, dans le même tableau, par la proportion très faible de phrases relatives à l’apprentissage produites par les encadrants.
4.2.2. La part relative du soutien organisationnel
34A priori, nous n’avions pas vraiment anticipé le rôle qu’occupe dans les échanges le soutien organisationnel. Dans les cas examinés, on peut dire que ce soutien occupe la 2 e place dans les messages des étudiants, après le soutien lié à l’apprentissage.
35Il y a à ce constat général quelques exceptions déjà évoquées qui confirment la règle : la session 2 du cas 4 et le cas 8 sur lesquels nous ne reviendrons pas. Quant aux cas 1 à 3, on constate une domination des échanges organisationnels également, sans que nous puissions dire si le fait est dû au changement d’unité de sens (du message à la phrase) ou à la nature collaborative de la tâche.
36Nous avons déjà relevé que la répartition des messages des encadrants est largement parallèle à celle des messages étudiants, comme si les agents d’encadrement se focalisaient sur les aspects saillants des interventions étudiantes. Un autre constat assez interpellant à propos des encadrants concerne la proportion particulièrement élevée des messages d’ordre organisationnel (jusqu’à plus de 80 %) pour les cas 1 à 3 où le forum est très intégré au scénario pédagogique, comme si l’organisation des activités collaboratives prévues dans le scénario (assez complexe) mobilisait toute l’attention des agents d’encadrement.
4.2.3. La part relative du soutien socio-affectif
37Les tableaux 2 et 3, ci-dessus, permettent de dégager un certain nombre de constats sur la part d’unités de sens de nature socio-affective chez les apprenants.
38On remarque d’abord que chez les étudiants, quels que soient le cas, le degré d’intégration au scénario et le degré d’encadrement, le soutien socio-affectif vient toujours en dernière position dans la masse des échanges. Si, en enseignement à distance, le rôle que joue le forum sur le plan social et affectif est souvent mis en avant (voir, par exemple, Mangenot, 2002), il semble que, pour nos étudiants qui suivent des cursus traditionnels (et qui ont donc plus d’occasion de tisser des relations sociales), cette dimension passe à l’arrière-plan. C’est d’ailleurs également ce qui ressort très nettement de nos entretiens, la citation suivante étant éclairante et représentative : « C’est pas trop là qu’on va discuter on va dire. […] C’est pas ici qu’on va discuter de la pluie et du beau temps. » (Cas 5 et 6, entretien 11.)
39Le forum du cours, pour nos étudiants, est donc un canal de communication officiel et essentiellement scolaire. Pour d’autres besoins, les étudiants mobilisent d’autres canaux (échanges en présentiel, clavardage, téléphone, forums « officieux » étudiants, etc.).
40En ce qui concerne les tuteurs à présent, on peut faire le même constat au sein du tableau 2 : non seulement le soutien socio-affectif n’occupe que la dernière position, mais l’examen des chiffres montre qu’il est chez les encadrants totalement marginal (et ceci que l’encadrement soit réduit ou important). Dans les cas 4, 7 et 8, on voit que ce soutien est essentiellement apporté par les pairs (même si, comme nous venons de le voir, ce n’est pas pour les étudiants le rôle essentiel du forum). Dans les cas 5 et 6 (où le forum est en fait très peu utilisé de manière générale), ce soutien est globalement inexistant (il n’est pris en charge par aucun des acteurs).
41Dans les cas 1 à 3, en revanche (tableau 3), on voit que la proportion d’unités de sens socio-affectives produites par les tuteurs n’est pas négligeable : c’est le seul endroit où, dans les échanges, le socio-affectif occupe la deuxième place, derrière l’organisationnel. Il est difficile de dire si cette proportion plus élevée d’unités socio-affectives est due au fait que l’on se trouve devant des forums étroitement intégrés au scénario pédagogique, s’il s’agit d’un effet du changement d’unité (du message à la phrase), ou encore d’une différence due aux encadrants, par exemple.
4.3. Les bénéfices des échanges : apports (méta-) cognitifs, socio-affectifs et organisationnels des forums (Q3)
42Notre troisième question de recherche portait sur la nature des bénéfices qui peuvent résulter, dans la perception des étudiants, de l’usage des forums de discussion. Nous passerons respectivement en revue les bénéfices relevant des trois catégories retenues.
4.3.1. Les indices de soutien à l’apprentissage
Les indices de soutien cognitif
43En termes d’apprentissage, la plupart des étudiants qui ont utilisé le forum disent y avoir trouvé de l’aide, une réponse à une question, un éclaircissement sur les consignes, etc. Il y a donc consensus chez les étudiants pour trouver que le forum est une aide utile à l’apprentissage, même lorsqu’ils n’en sont qu’utilisateurs passifs.
44Cependant, les étudiants ne considèrent en général le forum que comme une source d’aide parmi d’autres. On constate chez eux une volonté d’utiliser tous les outils mis à disposition en fonction des avantages relatifs qu’ils procurent et en fonction des besoins du moment.
45Dans la lignée d’autres recherches, nos entretiens montrent qu’on est généralement loin de l’idéal socio-constructiviste de co-construction du savoir et que les étudiants ont un usage essentiellement ponctuel et opportuniste du forum. Celui-ci est généralement mobilisé (spontanément, lorsque le scénario pédagogique n’impose pas de contraintes fortes) pour obtenir une réponse à une question sur un problème précis (et non pour discuter en profondeur un concept, une théorie, etc.).
[…] parce que c’était une aide directe encore une fois, c’était ça qui était intéressant. […] Ben que j’ai une question et que je la pose et la réponse n’est pas générale, c’est une réponse précise à ma question. (cas 4, entretien 8)
46Face à une incompréhension ou un problème, les étudiants semblent d’abord essayer de le résoudre seuls ; ils recourent au forum seulement dans un second temps, lorsqu’ils ne s’en sortent pas par leurs propres moyens : « si j’avais un problème, j’allais sur le forum et je regardais à ce moment-là quoi, mais jamais j’allais voir sur le forum avant » (cas 4, entretien 11).
47Par rapport aux questions en amphithéâtre, le passage par le média offre divers avantages. Le forum permet de soulever des problèmes que les étudiants n’auraient jamais le temps de poser à l’enseignant à la fin d’un cours :
Si on l’avait pas [le forum] ce serait dommage parce que c’est grâce à ça qu’on peut poser des questions et pas devoir commencer à voir chaque fois le prof à la fin de l’heure et une file de 30 000 personnes pour poser des questions […]. (cas 8, entretien 8)
48La distance induite par le média, ou peut-être la dilution des destinataires, permet également de se lancer plus facilement à l’eau et de vaincre plus facilement la peur d’être ridicule :
Euh je pense qu’on va plus facilement dire quelque chose de faux, pas intentionnellement bien sûr, sur le forum que devant un prof ou un assistant […] c’est difficile à expliquer mais toujours un peu la peur de dire quelque chose de mauvais devant le prof même si on sait que c’est un exercice, que le prof sait qu’on ne connaît pas encore toute la matière. Mais moi ça me fait encore peur de poser une question au prof. (cas 8, entretien 7)
49Enfin, les explications données par un autre étudiant qui a compris la matière sont parfois considérées plus accessibles que les explications de l’enseignant :
Non justement parce que t’as une information du prof, traduite par un étudiant dans un langage que tu comprends mieux. Justement ça permet d’avancer plus et de voir la matière plus en profondeur. (cas 8, entretien 1)
50Au rang des bémols, il n’est pas impossible dans certains contextes que ce jeu de questions-réponses puisse parfois faciliter l’apprentissage en surface sans pour autant susciter d’apprentissage en profondeur. C’est le cas par exemple du cas 4, centré sur des compétences informatiques, où le forum est largement utilisé par les étudiants pour s’échanger des « recettes » sur la manière de réaliser les travaux demandés. Les entretiens avec les étudiants montrent qu’il n’est pas certain que les échanges aient pu avoir un réel impact à long terme, au-delà de la résolution du problème immédiat : « je réalisais les travaux mais je comprenais pas vraiment ce que je faisais » (cas 4, entretien 9).
51Bien entendu, la clé est ici l’activité au service de laquelle est placé le forum – c’est elle qui fait la différence entre apprentissage en surface ou en profondeur. On rapprochera utilement le cas que nous venons d’évoquer avec le cas 3, où la tâche proposée aux étudiants est basée sur des objectifs cognitifs de haut niveau (évaluation, synthèse) :
Enfin, cela se ressent à l’examen, celui qui avait vraiment fait le travail et les deux TP, c’était plus facile à étudier après pour l’examen, parce qu’il se souvenait forcément : « Tiens, ça je l’ai utilisé » ou « Oui, ça veut dire ça ». C’était quand même plus facile. (cas 3, entretien 2)
52Au-delà de cette prégnance des échanges « question ponctuelle - réponse ponctuelle », on peut cependant relever quelques exemples de réelle co-construction du savoir. On sait que pour des auteurs comme Doise et Mugny (1981), les interactions sociales et notamment les interactions entre apprenants peuvent être sources d’apprentissage dès lors qu’elles génèrent un conflit socio-cognitif : la confrontation de points de vue différents et la tentative de résoudre la tension ainsi constatée peut, à certaines conditions, mener à une restructuration cognitive chez le sujet. La capacité du forum de générer de tels conflits socio-cognitifs est souvent mise en avant parmi les avantages théoriques de l’outil. Henri et Charlier (2005) notent cependant que, dans la pratique, de tels moments de confrontation/restructuration sont rares.
53Dans nos entrevues, les apprenants apprécient cette possibilité de mener des dialogues à plusieurs voix et de confronter leurs idées à celles des autres. Çà et là, on relève des indices clairs de conflits socio-cognitifs chez certains étudiants. Il est intéressant de constater que le conflit peut certes naître des réponses reçues des pairs, mais aussi des questions posées par d’autres : la question enclenche chez l’apprenant un processus de réponse (dans un premier temps « intérieure ») qui lui permet de mesurer ce qu’il ne maîtrise pas, imparfaitement, ou avait compris de manière erronée.
… et euh… sinon beh y a, comme j’ai dit, y a des choses auxquelles je pensais pas et que (ben oui) les réponses enfin même les questions m’ont fait réfléchir sur des trucs que j’avais jamais pensé. Là, à ce niveau-là, ça m’aide beaucoup aussi. (cas 5-6, entretien 8)
54Enfin, pour les étudiants actifs, le fait de poster des messages apporte un bénéfice supplémentaire grâce à la dimension écrite du forum. Ces étudiants sont conscients de l’intérêt de ce passage par l’écrit, qui les oblige à structurer et à clarifier leur propre pensée : « Ben, pouvoir répondre aux messages ça permet de structurer la pensée. De bien structurer les connaissances acquises, quoi. On voit vraiment si on est capable d’expliquer un sujet ou si on l’est pas. » (Cas 8, entretien 4.)
55Quant à la question de savoir si, in fine, la fréquentation du forum a eu un poids réel dans leur réussite, les avis sont partagés. Pour certains, la réponse est non : « ça apporte un petit plus quoi mais c’est pas vraiment ce qui va faire euh… la différence » (cas 5-6, entretien 2) ; « y a pas eu d’impact… mais j’ai pas vu d’impact » (cas 5-6, entretien 7). Cependant, on notera que, pour certains étudiants, les échanges au sein du forum paraissent réellement avoir fait la différence entre réussite et échec :
C’est… ça m’a empêché d’être en échec dans plusieurs… certaines matières je pense […] Je pense que c’est parce que… parce qu’on est obligé d’exprimer clairement ses questions par écrit… euh… de manière… de manière plus scientifique on va dire euh… Déjà rien que de… de réfléchir à une question, des fois on trouve la réponse. (cas 5-6, entretien 9)
Les indices de soutien métacognitif
56Leclercq et Poumay (2005) définissent la métacognition par :
[…] trois processus : le jugement ou l’analyse ou la régulation appliqués à deux types d’objets (nos propres processus et/ou nos propres produits cognitifs) à trois moments (avant, pendant ou après – pré-per-post) par rapport à deux situations (une performance d’apprentissage ou d’évaluation).
57L’apport métacognitif des forums a été beaucoup moins étudié que leurs apports cognitifs et sociaux (Caron-Bouchard, 2005). Dans les entretiens menés auprès des étudiants, et notamment dans les questions relatives aux bénéfices vécus ou attendus, la métacognition n’occupe certes pas une place centrale. Néanmoins, certains indices émergent çà et là qui nous font dire qu’il s’agit d’un chantier qui serait à creuser.
58La plupart des allusions à des bénéfices de nature métacognitive ont trait à des situations de pré-évaluation : face aux propos de leurs pairs, les étudiants se situent – qu’ils le veuillent ou non – dans leur maîtrise de la matière. Nous pouvons ici distinguer deux cas d’espèce. Dans le premier cas, la comparaison est à l’avantage de l’étudiant qui y trouve un réconfort et une indication que sa stratégie actuelle est satisfaisante : « Oui, il y avait beaucoup de questions sur des matières que je maîtrisais et donc je voyais très bien que cette matière-là était acquise quoi. Je n’avais pas besoin de les revoir. » (Cas 8, entretien 2.)
59Dans le cas inverse, la confrontation met à jour des lacunes plus ou moins importantes dans la compréhension, et déclenche le cas échéant des comportements régulateurs :
[…] il y a toujours des petits points auxquels on n’a pas pensé par exemple. On pense que le chapitre est facile parce qu’on l’a déjà vu au cours par exemple et on refait, ça se fait facilement je vais dire, mais il suffit qu’on change un peu l’énoncé ou quoi pour qu’on soit totalement perdu et alors on se rend compte « tiens ça je ne sais pas ». (cas 8, entretien 7)
60La régulation peut également être de nature temporelle : le forum permet aussi parfois d’évaluer si son rythme de travail et son degré d’avancement dans l’étude sont « dans la norme ».
[…] avec certains messages je peux savoir euh… je peux voir où j’en suis euh dans mon étude euh… par rapport à celle des autres. Par exemple en CDI, je me suis pris un coup de stress, je voyais tout le monde qui parlait de la fin du cours et moi j’avais même pas encore commencé alors […]. (cas 5-6, entretien 9)
61Si de manière générale, les entretiens tendent à montrer que les étudiants ne modifient pas en profondeur leurs stratégies d’apprentissage suite à leur utilisation du forum, quelques étudiants font cependant exception à cette règle. L’un d’eux explique ainsi que, pour se préparer à l’examen, il s’est entraîné à répondre aux questions de ses pairs, alors que la manière traditionnelle d’étudier l’endort. Ou encore cet autre étudiant qui a intégré, à partir de son expérience du forum, une nouvelle démarche dans sa méthode de travail en recourant à un système de fiches avec questions et réponses.
4.3.2. Les indices de soutien organisationnel
62Les messages relatifs à l’organisation constituent une catégorie relativement large recouvrant des demandes très variées. À l’analyse, et sans prétendre à l’exhaustivité, on y trouve des questions et des réponses concernant l’organisation générale des études, l’organisation générale du cours (horaires, locaux, supports de cours, personnes à contacter, etc.), l’évaluation (critères, pondération, résultats, etc.), l’organisation des tâches (délais, consignes, etc.), l’organisation du ou des groupes (planification d’une rencontre, répartition des tâches, etc.), ou encore les problèmes techniques.
63Il est intéressant d’examiner ces données à la lueur du modèle de Tinto (1993) sur l’attrition et la persévérance dans l’enseignement postsecondaire. Selon Tinto, la décision de persévérer dans ses études dépend notamment de l’intégration simultanée de l’étudiant dans deux systèmes : le système académique et le système social. Nous aurons l’occasion de revenir sur l’intégration sociale. Quant à l’intégration académique, il s’agit d’un processus qui passe par des échanges avec les enseignants, les pairs ou le personnel de l’institution sur des sujets relatifs aux études. À travers ces échanges, l’étudiant intègre les attentes, les normes et les valeurs de l’institution. Selon le modèle de Tinto, des interactions suffisantes mènent à une meilleure intégration et donc à une meilleure persévérance aux études.
64Or on constate, au vu de ce que recouvre la catégorie organisationnelle dans nos forums, qu’il s’agit essentiellement d’échanges participant d’un processus d’intégration académique5. L’étudiant utilise les forums de discussion pour mieux comprendre ou se faire préciser les « règles du jeu », les attentes de l’enseignant et de l’institution.
[…] il y a certains cours on ne savait pas du tout le genre de questions qu’on posait et là des élèves, fin des gens qui ont déjà eu ce cours avant ou qui ont recommencé, là ils ont dit « oui mais alors attention ce prof-là, ils posent surtout ce genre de questions là-dessus, revois bien telle partie parce qu’en général il aime bien et chaque année ça revient ». (cas 8, entretien 7)
65Dès lors, même si ces échanges peuvent sembler plus prosaïques que ceux relatifs à l’apprentissage, il est possible qu’ils jouent un rôle non négligeable dans le processus de transition secondaire-supérieur.
4.3.3. Les indices de soutien socio-affectif
66Après le soutien à l’apprentissage et le soutien organisationnel, passons à présent en revue les indices de soutien socio-affectif. Nous distinguerons ici, par souci de clarté, le soutien affectif, le soutien motivationnel et le soutien social, même si nous savons que ces catégories ne sont pas forcément étanches.
Les indices de soutien affectif
67La part de l’affectif est très faible dans les forums examinés. On relève cependant une exception : le rôle éventuel du forum comme exutoire pour exprimer sa frustration ou son stress. Si ce rôle est généralement marginal, il prend plus de relief dans le cas 4 (session 2) où le scénario a été perturbé par des problèmes techniques sur la plateforme. Les étudiants sont donc ici dans une situation de stress importante car pris en tenaille entre l’obligation de rendre certaines tâches et l’impossibilité d’y arriver en raison des caprices de l’outil. La fonction d’exutoire du forum prend alors une importance accrue : « Ben c’était un peu… c’est l’espace pour se… plaindre. » (Cas 4, entretien 2.)
Les indices de soutien motivationnel
68Certains éléments indiquent que les échanges au sein du forum peuvent avoir un impact positif sur la motivation. Bien entendu, il est difficile, comme souvent, de faire la part de ce qui relève du média et de ce qui relève de la tâche. Lorsqu’un étudiant déclare, par exemple, « je trouve que c’est plus motivant et amusant de travailler comme ça et d’apprendre un cours comme ça que de lire un livre ou bien d’ingurgiter une matière » (cas 1, entretien 6), il est probable que le facteur clé soit ici le scénario collaboratif plutôt que l’outil de communication.
69Dans la section consacrée aux apports métacognitifs, nous avons déjà souligné la tendance générale des étudiants à comparer leur degré d’avancement dans l’étude ou leur compréhension de la matière à ceux de leurs pairs. Lorsque la comparaison est favorable, l’effet sur la motivation est a priori positif : les étudiants observent qu’ils ne sont pas seuls à être confrontés à des difficultés et que tout le monde « est dans le même bateau ».
[…] comme tu vois que les autres se posent les mêmes questions que toi ou bien les mêmes difficultés que toi c’est vrai que ça permet de ne pas baisser les bras directement quoi. Tu te dis que t’es pas seule dans ton cas et que ça peut être normal. (cas 8, entretien 1)
70D’autres étudiants sont cependant plus nuancés sur la question de la motivation. Une personne déclare que le forum « ça permet de motiver ceux qui sont motivés » (cas 4, entretien 10). Quelqu’un d’autre souligne l’effet décourageant d’une question difficile qui reste sans réponse :
Ben des fois, fin quand je commençais par exemple à faire mon travail et que j’allais voir sur le forum, je voyais que personne savait m’aider, ben alors je baissais les bras en me disant « toute façon, j’y arriverais pas, je recommence dans…’fin dans deux heures ou euh… » (cas 4, entretien 1)
71Soulignons enfin que si les agents d’encadrement sont moins présents qu’on ne pourrait l’attendre a priori sur le terrain socio-motivationnel, leurs interventions dans ce domaine sont toujours très appréciées des étudiants.
Les indices de soutien social
72On sait que l’intégration, et notamment l’intégration sociale, est considérée comme l’un des facteurs de la réussite (Tinto, 1993). La capacité à se créer un réseau social serait ainsi l’une des variables prédictives de la réussite dans la transition secondaire-supérieur. Les échanges au sein des forums étudiés favorisent-ils cette intégration sociale ? L’outil aide-t-il le groupe à se souder, les liens à se créer entre les étudiants ?
73Encore une fois, la tendance générale des étudiants est plutôt de voir dans le forum un outil de communication pour des échanges centrés sur le cours ou les études elles-mêmes. Dans la majorité des cas, les étudiants déclarent nouer leurs contacts par d’autres canaux que le forum. Le fait que le contexte soit ici celui des universités traditionnelles n’est évidemment pas anodin : dans la plupart des cas étudiés, les étudiants se voient potentiellement tous les jours ou presque et disposent donc de nombreuses autres occasions de tisser des liens sociaux. Les cas 5 et 6 en offrent la démonstration la plus nette : les messages socio-affectifs ne constituent qu’entre 0 et 5 % des échanges selon le cours et la session ; or, les étudiants font ici partie d’une institution de taille réduite (une faculté unique) et habitent souvent les mêmes logements étudiants.
74Il existe cependant une exception notable : au sein de grands groupes, comme c’est souvent le cas dans les auditoires anonymes de première année de Bachelier, le forum peut parfois clairement favoriser l’intégration sociale de certains individus :
Mon groupe d’amis, je l’ai rencontré sur le forum […]. En fait j’étais le seul à venir ici de mon ancienne école (hm hm) et je connaissais personne. […] À force d’aller sur le forum, quelqu’un a proposé qu’on se rencontre pour travailler et c’est comme ça. On s’est assis à côté les uns des autres et puis on a lié amitié […]. C’est mes bons copains maintenant, on est toujours ensemble tout le temps. (cas 5-6, entretien 9)
75Une variante est celle du « groupe dans le groupe » : les étudiants de certaines filières, en début de cursus, sont quasiment systématiquement mélangés aux étudiants d’autres filières. Le forum leur permet alors de se repérer comme condisciples au sein d’une communauté plus large :
On a un seul cours et un labo entre nous. […] généralement on est assez mélangés aux autres. On n’a qu’un cours qui est propre à nous mais euh malgré tout c’est vrai […]. C’est vrai qu’au début on se demandait qui étaient les géographes. On se demandait « t’es quoi ? t’es quoi ? » (cas 8, entretien 1)
76Dans de tels cas, le forum peut permettre d’accélérer ou de faciliter la prise de contact pour des échanges qui se feront ensuite essentiellement en présentiel. À ce titre, il peut donc jouer un rôle dans l’intégration sociale effective d’un certain nombre d’étudiants.
77Mentionnons enfin que dans les cas 1 à 3, les étudiants interrogés sont très nombreux (5 sur 10 pour le cas 1, 2 sur 5 pour le cas 2 et 8 sur 8 pour le cas 3) à déclarer avoir gardé des contacts avec les autres étudiants avec qui ils travaillaient en ligne. Dans ces trois cas cependant, le forum est mis au service d’une tâche collaborative en petits groupes et ces deux éléments du scénario (la répartition en petits groupes et la nature collaborative de la tâche) ont vraisemblablement joué un rôle central dans la création de liens sociaux.
5. Conclusions
78Citant Perrenoud (1996) à propos de l’échec dans le secondaire, Romainville (2000) appelle à abandonner la « pensée magique » qui fait croire qu’il existerait une solution miracle pour vaincre l’échec dans le supérieur. « La multiplicité des facteurs qui l’engendrent », écrit Romainville (p. 9), « et plus encore leurs relations complexes prônent pour une analyse réellement systémique de ce phénomène. » Pour lutter contre un mal qui possède de nombreuses racines, il est utopique de rechercher une quelconque potion magique.
79Le recours à des forums électroniques de discussion au sein de cursus traditionnels, et en particulier pour les grands auditoires de niveau bachelier, apparaît au terme de notre recherche comme une composante potentiellement utile des dispositifs de lutte contre l’échec, même lorsque l’encadrement au sein du forum est réduit.
80Notre étude montre que malgré les craintes de certains enseignants, les forums sont mobilisés par les étudiants dans un but essentiellement scolaire. La proportion de messages « hors cours » est extrêmement faible. Dans le seul de nos huit cas qui fait exception à la règle, on réalise d’une part qu’une proportion importante de messages « hors cours » est cependant liée aux études et participe pleinement de l’intégration académique, et d’autre part que ces échanges soudent le groupe et jouent probablement un rôle essentiel dans la dynamique globale du forum.
81Malgré des motivations et des stratégies variables pour chaque étudiant pris individuellement, on voit aussi clairement que les forums servent de vecteur aux trois types de soutiens identifiés par Bernatchez (2003) : pédagogico-intellectuel, socio-affectif et technique/logistique. Si les demandes de soutien émanent des étudiants, la réponse à ces demandes vient tout autant, sinon plus, des étudiants eux-mêmes que des agents d’encadrement. On constate fréquemment la mise en place spontanée d’une forme de « tutorat par les pairs », parfois extrêmement dynamique.
82Sur le plan pédagogico-intellectuel, les forums sont le plus souvent utilisés pour obtenir des réponses à des questions ponctuelles, sans modification en profondeur des stratégies d’apprentissage. La confrontation aux questions et aux réponses d’autrui peut conduire çà et là à la prise de conscience de lacunes. Pour les étudiants actifs, le passage par l’écrit offre un bénéfice accru dans la mesure où il force à expliciter et à structurer sa pensée. La confrontation aux messages d’autrui peut également avoir un impact métacognitif, entraînant des stratégies de régulation lorsque l’étudiant sent qu’il ne maîtrise pas suffisamment la matière ou qu’il n’est pas assez loin dans son étude.
83Les forums sont également le vecteur d’un soutien important dans le registre organisationnel. Des informations importantes sur le cours, ses objectifs, ses modalités d’évaluation, sur les attentes de l’enseignant, ou encore sur les études en général, circulent et participent pleinement de ce que Tinto (1993) appelle l’intégration académique.
84Enfin, notre recherche montre que dans le contexte d’universités traditionnelles où les étudiants se rencontrent tous les jours sur le campus, la dimension socio-affective n’est pas la plus saillante au sein des forums. Cependant, le forum peut permettre au sein des grands auditoires de nouer un premier contact avec les pairs, ou encore de se reconnaître entre membres d’une même filière au sein d’un groupe plus large. Pour quelques étudiants, le forum permet réellement de se faire des amis. Tout comme les échanges peuvent soutenir le processus d’intégration académique, ils peuvent donc également soutenir, à des degrés variables, l’intégration sociale (Tinto, 1993).
85En résumé, donc, ce que le forum peut apporter à un étudiant pris individuellement est difficile à prévoir. On dispose cependant de témoignages individuels montrant que le soutien obtenu au travers du forum a pu faire une réelle différence entre la réussite et l’échec.
86Terminons par une remarque importante en termes d’implication sur la formation et l’accompagnement des enseignants notamment : qu’il s’agisse des apports intellectuels, sociaux ou encore motivationnels, les bénéfices potentiels des échanges varient fortement en fonction du scénario pédagogique au service duquel le forum est mobilisé. Pour ne prendre que deux exemples, nos entrevues tendent à montrer que l’intégration sociale est davantage favorisée par une activité collaborative, ou encore que la co-construction du savoir est plus fréquente dans le cadre de tâches impliquant des objectifs cognitifs de haut niveau. Le forum est donc un vecteur utile par lequel l’étudiant peut obtenir différents types de soutien de différents acteurs, mais l’élément clé est et reste le scénario pédagogique.
Notes de bas de page
1 Depuis le 1er janvier 2009, ces deux dernières institutions ont fusionné pour devenir l’université de Mons.
2 Dans cet article, nous préférons le terme « agent d’encadrement » à celui de « tuteur », dans la mesure où selon le cas considéré, l’encadrement peut être assuré par un enseignant titulaire, par des assistants, par des tuteurs spécialement désignés pour la tâche, ou encore par plusieurs de ces profils.
3 Ces données ne sont pas disponibles pour les plateformes qui permettent aux étudiants de se faire notifier par courrier électronique des nouveautés dans le forum – la lecture éventuelle de ces messages échappe donc au système d’enregistrement des traces.
4 Pour des raisons de place, nous ne pouvons inclure en annexe le guide d’entretien, mais il est disponible à la demande.
5 D’autant plus que, pour rappel, les forums étudiés s’adressent en majorité à des étudiants de 1re année.
Notes de fin
Auteurs
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