Influence de certaines caractéristiques des tâches d’apprentissage sur la production orale en L2
p. 61-76
Texte intégral
1. Introduction
1Depuis les années 1990, l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère fondé sur la tâche et la conception de dispositifs d’enseignement/apprentissag e des langues sont devenus des éléments essentiels dans la réflexion en didactique des langues. Notre recherche, axée sur ces deux éléments, vise à déterminer les effets de la tâche sur la production orale des apprenants dans un environnement d’apprentissage. Plus précisément, cette étude propose des éléments méthodologiques pour évaluer certaines caractéristiques de tâches d’apprentissage sur la production orale dans un environnement d’apprentissage synchrone en ligne. L’objectif secondaire de cette recherche est de fournir des indicateurs utiles au moment de concevoir un parcours pédagogique fondé sur la tâche.
2Dans cette recherche, nous postulons que la tâche est non seulement un pivot conceptuel pour négocier le passage du paradigme d’enseignement au paradigme d’apprentissage (Tardif, 1998) et penser la médiatisation de l’apprentissage (voir Mangenot, 2003 ; Guichon, 2006), mais que l’approche de l’enseignement fondé sur la tâche (Task-Based Language Teaching) constitue également un levier pour organiser la formation des futurs enseignants de langue. En effet, en amenant les enseignants apprentis à concevoir des tâches d’apprentissage en ligne, à les administrer et à en évaluer le potentiel pour le développement des compétences langagières des apprenants, il semble que des compétences pédagogiques spécifiques puissent être développées (Guichon, 2009 ; Ellis, 2003). En reprenant à Doughty et Long (2003) l’idée selon laquelle une tâche constitue « une unité d’analyse appropriée à chaque étape d’un dispositif d’enseignement d’une langue », nous proposons de caractériser les différentes tâches d’apprentissage qui peuvent entrer dans le répertoire de l’enseignant de langue en ligne afin de déterminer leur impact sur la production langagière des apprenants.
3Pour ce faire, la présente recherche s’appuie sur un corpus de tâches conçues et administrées par des apprentis tuteurs pour enseigner le français langue étrangère (FLE) à des étudiants distants. Ce corpus, constitué grâce à des captures d’écran dynamique, est analysé afin de déterminer l’influence d’un certain nombre de caractéristiques d’une tâche sur la production orale des apprenants.
4Pour répondre à nos questions de recherche, nous définirons, dans un premier temps, les éléments qui constituent la tâche d’apprentissage, les types de tâche et nous exposerons les caractéristiques de tâches qui peuvent influencer la production orale des apprenants. Dans un second temps, nous présenterons les mesures de la compétence linguistique, qui nous permettront d’évaluer les tâches de notre corpus et de cerner l’impact de certaines caractéristiques de tâche sur la production langagière de l’apprenant.
2. Cadre théorique
2.1. Éléments de définition de la tâche d’apprentissage
5Fondamentalement, une tâche pour l’apprentissage d’une langue seconde (désormais L2) met la priorité sur la construction du sens (voir Ellis, 2003 ; Nunan, 1989) et comporte une phase de traitement de l’information et une phase de production langagière écrite ou orale. La focalisation sur le sens plutôt que sur la forme (le code linguistique) permet de distinguer une tâche d’un exercice : si la première recourt à la L2 comme à un outil pour faire passer un message signifiant, le second donne principalement l’occasion à l’apprenant de manipuler la L2.
6Un second paramètre, essentiel pour définir une tâche pour l’apprentissage d’une L2, concerne le destinataire du produit langagier. En effet, on ne peut réellement parler de construction du sens qu’à partir du moment où l’apprenant engagé dans une tâche est amené à interagir avec un interlocuteur (ou plusieurs) pour négocier le sens (Gaonac’h, 1991, p. 90). Comme le rappellent Mondada et Pekarek Doehler (2000), l’acquisition d’une langue « est un processus socio-cognitif ancré dans l’emploi instrumental, c’est-à-dire finalisé, de la langue au sein des interactions entre êtres humains ». L’interaction fournit donc des opportunités pour générer des épisodes de pannes de communication propices à la négociation entre les interactants, que ce soit sur le sens ou sur la forme, afin de satisfaire aux besoins d’une compréhension mutuelle (Pica et al., 1989, p. 65 ; Lai et al., 2008, p. 86).
7L’hypothèse de l’interaction, émise par Long (1990) et reformulée par Ellis (2003, p. 80), postule en effet que l’acquisition est facilitée :
lorsque les interactions donnent lieu à des négociations et débouchent sur une production langagière compréhensible grâce à la décomposition et à la segmentation du matériau langagier à disposition ;
lorsqu’une rétroaction est fournie aux apprenants ;
lorsque les apprenants sont incités à reformuler leurs propres énoncés par leurs interlocuteurs.
8Dans le cas de l’enseignement/apprentissage en ligne, l’interlocuteur peut parfois être un pair, que ce soit un locuteur natif avec lequel l’apprenant échange en L1 (Cultura, Galanet) ou bien des apprenants en formation à distance mis en relation pour des séances de cours en ligne (Télé-tandem, Lyceum). Mais l’interactant peut également être l’enseignant-tuteur qui est à la fois l’évaluateur de la production et son destinataire [Le français en (première) ligne]. Les deux catégories d’interaction en ligne donnent lieu à des contrats didactiques redéfinis (voir Porquier et Py, 2004, p. 37) et ces situations d’apprentissage parfois inédites conduisent les protagonistes à renégocier les rôles et le type de comportements afférents quant à l’acceptabilité d’un énoncé, par exemple, ou à la façon de corriger.
2.2. Les types de tâche
9Que ce soit en ligne ou hors ligne, il est possible d’identifier quatre principaux types de tâche : l’échange d’information, l’échange d’opinion, la prise de décision et la résolution de problème (Pica et al., 1993). Chacun de ces types diffère en ce qui concerne les opportunités qu’il fournit pour favoriser tel ou tel paramètre de la compétence langagière (Kost, 2008, p. 160). Le tableau ci-dessous donne le détail de ces quatre types de tâche.
10Il est difficile d’énoncer avec certitude la propriété d’un type de tâche sur un apprentissage langagier, mais on peut avancer avec Ellis (2003, p. 127) que différents types de tâche peuvent potentiellement contribuer à différentes acquisitions et que certaines tâches peuvent faciliter un certain type de productions mais ne peuvent pas les garantir. Il est d’autre part possible de décrire le fonctionnement interactionnel d’une tâche (l’information est-elle partagée ou répartie ? La tâche implique-t-elle une convergence ou une divergence des interactants ?) et de prévoir le type d’actes langagiers qui seront nécessaires à la réalisation (l’argumentation pour une tâche de prise de décision, par exemple, ou la description dans une tâche d’information répartie).
Types | Fonctionnement |
Échange d’information | Les participants détiennent des informations sur un même thème. Quand l’information est répartie à part égale entre les apprenants, les interactants ont des documents différents (un texte, un graphique, un dessin) portant sur un même sujet et ils doivent décrire le contenu de leur document afin, par exemple, de faire des comparaisons (Lamy et Hampel, 2007, p. 117). |
Échange d’opinion | Les participants échangent leurs opinions sur un sujet donné. Ainsi, dans le projet Cultura qui met en relation des étudiants américains et français, les participants doivent débattre au sujet de l’éducation en partant d’une situation (« une mère dans un supermarché gifle son enfant ») et échanger dans leur L1 sur un forum. |
Prise de décision | Il s’agit de parvenir à une décision qui satisfait tous les protagonistes. On donne, par exemple, une liste d’items (couvertures, allumettes, nourriture, etc.) à classer par ordre de priorité en donnant comme contrainte que les participants sont échoués sur une île et doivent survivre en attendant des secours et qu’ils n’ont que cinq choix possibles. |
Résolution de problème | Après l’étude de différents documents, les participants doivent parvenir à une solution qui répond aux contraintes initialement énoncées. Il s’agira, par exemple, de construire un zoo et de faire cohabiter des animaux, ce qui amènera à traiter de l’information sur l’alimentation, les comportements animaux avant de dessiner le plan d’un zoo idéal. |
2.3. Évaluer une tâche d’interaction orale : quelles caractéristiques prendre en compte ?
11Dans cette section, nous allons examiner d’autres caractéristiques d’une tâche qui peuvent influencer la production orale des apprenants.
12En reprenant les travaux d’Ellis (2003, p. 126) et de Robinson (2007, p. 266) qui ont compilé les résultats de plusieurs études empiriques concernant l’impact de certaines caractéristiques de tâches sur la production orale des apprenants, il est possible de repérer trois grandes catégories de caractéristiques :
La première concerne « le matériau langagier (input) fourni en amont de la tâche ». Il s’agit de déterminer si des documents (écrits, oraux, vidéo) fournissent une aide contextuelle (par exemple du lexique utile pour mener la tâche). D’autre part, le thème de la tâche semble important selon que celui-ci est familier ou nouveau, ou bien s’il comporte des éléments potentiellement déclencheurs de conflit.
La seconde catégorie concerne « les conditions de réalisation de la tâche », selon, par exemple, que l’information est partagée ou répartie entre les interactants, selon le temps qui est donné pour planifier la tâche et pour la mener à bien. Une autre caractéristique, peu explorée dans la littérature, concerne la posture énonciative induite par la tâche. En effet, il est possible de distinguer un contrat de vérité (il est demandé à l’apprenant d’exprimer son point de vue personnel) ou, à la suite de Cicurel (1996), un contrat de fiction (un rôle ou un point de vue fictif est imposé à l’apprenant).
La troisième catégorie a trait à « la production langagière attendue » : celle-ci se fera-t-elle sur un mode argumentatif ou narratif ? Devra-t-elle impliquer certaines structures grammaticales ou lexicales ? La tâche est-elle ouverte (l’information peut être discutée selon de multiples perspectives ou bien les problèmes peuvent être résolus de diverses manières) ou bien fermée ?
13Pour les besoins de cette recherche qui s’appuie sur un corpus de tâches administrées dans un dispositif d’enseignement en ligne du FLE, nous avons sélectionné une caractéristique dans chacune des trois catégories ci-dessus et nous proposons d’examiner la question suivante. Quel impact,
la présence ou non d’un support textuel ou iconique en amont de la tâche,
la sollicitation d’un point de vue personnel ou de l’imagination des apprenants,
la nature discursive induite par la tâche (argumentative ou narrative),
14ont-elles sur la production langagière des apprenants ?
3. Contexte et démarche méthodologique
3.1. Le projet Le français en (première) ligne
15Le dispositif d’apprentissage Le français en (première) ligne, mis en place depuis 2002, a pour but de mettre en contact des étudiants en master professionnel didactique du FLE qui apprennent à enseigner en ligne, et des apprenants de langue française (Develotte et al., 2008).
16En 2007-2008, ce projet a réuni 10 apprentis-enseignants de FLE, étudiants à l’université Lyon 2, et 17 apprenants de français, étudiants à l’université de Berkeley, dans un environnement vidéographique synchrone (Skype). La formation s’est déroulée sur 7 séances de 45 minutes, après une formation initiale des étudiants lyonnais au tutorat synchrone (Guichon, 2009). Les apprentis-enseignants français ont été chargés de la conception des tâches en fonction du contenu thématique du manuel utilisé par l’enseignante américaine et du curriculum de niveau intermédiaire proposé à Berkeley. L’objectif principal de ces tâches visait le développement des compétences d’expression orale.
17Les apprentis-enseignants ont travaillé en binôme lors de l’étape de conception des tâches. Chaque binôme a été responsable de la conception de la séquence pédagogique d’une des sept séances en ligne. Lors des interactions, les apprentis-enseignants français étaient chargés de groupes de deux apprenants de Berkeley.
3.2. Les participants
18Les apprenants de français, dont la moyenne d’âge était comprise entre 19 et 31 ans, possédaient un niveau intermédiaire en français (B1 selon le Cadre européen commun de référence pour les langues). La plupart des apprenants avaient déjà suivi des cours de français au collège et au lycée. À l’UC de Berkeley, ils suivaient des cours de français de 50 minutes cinq fois par semaine. Les interactions en ligne avec les apprentis-enseignants français se déroulaient une fois par semaine et s’inscrivaient dans le cadre pédagogique d’un cours de français.
19La moyenne d’âge des apprentis-enseignants français était comprise entre 23 et 45 ans. Sept tuteurs sur dix avaient de l’expérience d’enseignement du FLE en classe présentielle.
3.3. Le corpus d’étude
20Les interactions ont été enregistrées avec un logiciel de capture d’écran dynamique (Screen Video Recorder) et ont été retranscrites. Nous avons constitué notre corpus en choisissant 6 tâches parmi 27 effectuées durant les séances 4, 5 et 6. Nous avons écarté les trois premières séances afin d’éviter les effets de nouveauté. Huit apprenants, organisés en quatre binômes et tutorés par quatre apprentis-enseignants selon une configuration humaine identique pour chaque séance, ont réalisé les six tâches. Le corpus constitué correspond à environ trois heures d’enregistrement. L’annexe 1 donne le détail de toutes les tâches choisies, les thèmes, les objectifs des tâches, les supports et les consignes. Le tableau 2 fournit une présentation synthétique des six tâches selon les caractéristiques que nous proposons d’étudier :
Support | Avec support | T1, T2 |
Sans support | T3, T4, T5, T6 | |
Point de vue personnel / fait appel à l’imagination | Point de vue personnel | T1, T3, T4 |
Imagination | T2, T5, T6 | |
Nature discursive | Narrative | T1, T2, T6 |
Argumentative | T3, T4, T5 |
3.4. Les mesures de la compétence langagière
21Dans la lignée des recherches menées en acquisition des langues secondes (Skehan, 1998 ; Yuan et Ellis, 2003), nous avons choisi d’utiliser les paramètres de fluidité, de correction linguistique et de complexité pour analyser les productions des apprenants et observer l’impact des caractéristiques de la tâche sur leur production orale.
22Selon Skehan (1996), la fluidité renvoie à la vitesse de la production en L2, sans pauses ni hésitations excessives. La correction linguistique détermine la qualité de la langue produite par rapport aux normes de la langue cible. Enfin, la complexité concerne la production des formes complexes de la L2.
23En suivant les propositions de Yuan et Ellis (2003), nous avons calculé le nombre total de syllabes produites par chaque apprenant par minute pour mesurer la fluidité. Pour évaluer la correction linguistique, nous avons calculé le pourcentage de propositions correctes, c’est-à-dire les propositions ne contenant aucune erreur de type morphosyntaxique et lexical. Nous avons compté aussi bien les propositions comprenant un sujet et un verbe que les propositions elliptiques. De plus, le pourcentage de formes verbales correctes en termes de temps, de mode et d’accord sujet-verbe a également été calculé pour compléter la mesure de correction linguistique.
24Enfin, la complexité syntaxique a été évaluée en calculant la proportion de propositions par rapport au nombre total de phrases complètes ou de phrases elliptiques dans chaque production. Une phrase complète est définie comme une proposition principale et une proposition subordonnée rattachée ou insérée, tandis qu’une phrase elliptique correspond à une phrase isolée sans verbe mais qui possède une valeur communicative (Long, 1991, p. 1). Dans notre étude, nous avons pris les deux en compte, étant donné que la plupart des tours de parole des apprenants sont constitués de propositions ou de phrases elliptiques.
25L’analyse de la variance Anova à un facteur a été conduite afin de comparer les résultats pour chaque paramètre et évaluer leur significativité statistique. Enfin, le test Mann-Witney a permis de compléter l’Anova en comparant les valeurs deux à deux entre les différentes tâches.
4. Résultats
26Dans cette partie, le lecteur trouvera les résultats obtenus sous forme de graphique avec leur significativité statistique pour les trois paramètres de la compétence linguistique : tout d’abord la fluidité, puis la correction linguistique et enfin la complexité. La présentation des résultats sera suivie d’une synthèse résumant ces résultats tâche par tâche et selon leurs caractéristiques.
4.1. La fluidité
27La figure 1 présente les moyennes de syllabes produites par minute par les apprenants pour les six tâches.
28Le graphique permet de constater que la première tâche (T1) présente la moyenne de syllabes la plus élevée (42,2 syllabes par minute), tandis que les T2 et T6 présentent les moyennes les plus faibles (environ 27 syllabes par minute). Cependant, l’analyse statistique des données montre que les différences de moyennes pour la fluidité ne sont pas significatives pour les six tâches (Anova : F = 1,18 ; p = 0,33). La comparaison des tâches deux à deux (test Mann-Witney) confirme ce résultat.
4.2. La correction linguistique
29La correction linguistique a été évaluée selon le pourcentage de propositions correctes et le pourcentage de formes verbales correctes. La figure 2 montre les résultats des mesures de la correction linguistique pour les six tâches.
30L’analyse statistique montre que les différences de la correction linguistique pour les six tâches sont statistiquement significatives pour les deux mesures :
Propositions correctes (Anova : F = 3,54 ; p = 0,009). La comparaison des tâches deux à deux révèle des différences statistiquement significatives entre les valeurs des T1 et T6 (MW : Z = – 2,145 ; p = 0,029), des T3 et T6 (MW : Z = – 2,669 ; p = 0,006), des T4 et T6 (MW : Z = – 2,415 ; p = 0,015) et des T5 et T6 (MW : Z = – 2,951 ; p = 0,002).
31En revanche, les différences entre les autres tâches deux à deux ne sont pas statistiquement significatives.
Formes verbales correctes (Anova : F = 2,73 ; p = 0,03). Le test Mann-Witney indique des différences statistiquement significatives entre les paires de tâches suivantes : T3 et T6 (MW : Z = – 2,722 ; p = 0,004), T4 et T6 (MW : Z = – 2,470 ; p = 0,010), T5 et T6 (MW : Z = – 2,104 ; p = 0,038).
32Il résulte que la T6 est la moins favorable à la production de propositions correctes (39 % de propositions correctes), les différences étant statistiquement significatives par rapport aux T1 (58 %), T3 (64 %), T4 (67 %) et T5 (65 %). La T6 s’avère également la moins favorable pour la production de formes verbales correctes (61 %). Les différences statistiquement significatives se situent par rapport aux tâches T3 (82 %), T4 (77 %) et T5 (84 %).
4.3. Complexité
33La complexité des productions des apprenants a été évaluée selon le critère de complexité syntaxique. La figure 3 regroupe les résultats de l’analyse de la complexité syntaxique selon les différentes tâches.
34Le test Anova montre que les différences du degré de complexité pour les six tâches sont statistiquement significatives (Anova : F = 2,82 ; p = 0,2). La comparaison deux à deux révèle des différences statistiquement significatives entre les valeurs des T2 et T3 (MW : Z = – 2,162 ; p = 0,029), entre les valeurs des T2 et T4 (MW : Z = – 2,172 ; p. = 0,028) et entre les valeurs des T4 et T6 (MW : Z = – 2,003 ; p = 0,05). Les différences de valeurs entre les autres tâches ne sont pas statistiquement significatives.
35Ces résultats permettent de constater que la T3 (1,39 proposition par phrase) et la T4 (1,41 proposition par phrase), qui sont toutes les deux de type argumentatif et font appel au point de vue personnel de l’apprenant, s’avèrent les plus favorables à la production des phrases complexes d’un point de vue syntaxique. La T2 (1,1) et la T6 (1,14), toutes deux de type narratif et sollicitant l’imagination de l’apprenant, seraient moins propices à la production de phrases complexes.
5. Discussion
5.1. Synthèse des résultats
36Au terme de cette étude, il est impossible d’affirmer nettement qu’un type de tâche dans une situation d’apprentissage synchrone est plus propice qu’un autre pour développer tel ou tel paramètre. Il est toutefois possible de montrer que certaines caractéristiques peuvent avoir un impact sur la production orale des apprenants. Le tableau 3 synthétise les résultats obtenus pour les six tâches selon que les valeurs sont élevées (+) ou faibles (–) et statistiquement significatives. Ces résultats n’intègrent que deux paramètres de la compétence langagière, à savoir la correction linguistique et la complexité, car les résultats obtenus pour le paramètre de la fluidité ne sont pas statistiquement significatifs.
37Ainsi, nous avons constaté que la présence ou l’absence du matériau langagier aurait un impact sur la complexité et la justesse des productions, ce qui rejoint les observations d’Ellis (2006). Selon cet auteur, les tâches comportant des supports textuels ou iconiques auraient un impact positif sur la complexité de la production langagière, des résultats confirmés par notre étude en particulier pour les supports de type textuel. Ces derniers offrent du matériau langagier que les apprenants peuvent reprendre afin d’exprimer leurs idées et leurs opinions, ce qui s’avérerait favorable à l’acquisition d’une L2 (Prabhu, 1987 ; Joe, 1998). En outre, le travail autour des supports constitue une étape de planification préalable à la réalisation de la tâche qui serait également bénéfique à la production d’un langage complexe (Skehan et Foster, 1997 ; Wendel, 1997 dans Ellis, 2003 ; Yuan et Ellis, 2003).
38En ce qui concerne l’expression d’un point de vue personnel ou le recours au contrat de fiction (voir cadre théorique) pour réaliser la tâche, il semblerait que les tâches qui font appel à l’imagination soient moins favorables à la production d’un langage complexe ou fluide. A contrario, les tâches impliquant des échanges sur l’expérience de l’apprenant privilégieraient la fluidité du langage (voir Ellis, 2003, p. 127) tandis que les tâches qui impliquent l’expression d’un avis personnel ou d’une opinion seraient bénéfiques à la complexité langagière. Toutefois, les résultats obtenus sur la fluidité ne permettent pas à cette étude de trancher nettement sur cet aspect.
| Caractéristiques des tâches | Paramètres de compétence langagière | ||
Correction | Complexité | |||
Verbes | Propositions | |||
T1 | Sans support, point de vue personnel, type narratif | + | * | * |
T2 | Sans support, point de vue fictif, type narratif | – | * | – |
T3 | Support textuel, point de vue personnel, type argumentatif | + | + | + |
T4 | Support textuel, point de vue personnel, type argumentatif | + | + | + |
T5 | Support iconique, point de vue fictif, type argumentatif | + | + | * |
T6 | Support iconique, point de vue fictif, type narratif | – | – | – |
39La nature discursive de la production attendue aurait aussi des effets sur les trois paramètres de la compétence langagière. Comme l’a fait remarquer Ellis (2003, p. 126) la nature discursive des tâches influencerait essentiellement la complexité de la production. Selon cet auteur, les tâches de type narratif favoriseraient davantage la complexité que les tâches argumentatives. Notre étude montre le contraire, les tâches argumentatives ayant obtenu de meilleurs résultats pour la complexité que les tâches narratives. Ceci s’expliquerait par le fait que dans l’étude d’Ellis (2003), les tâches narratives impliquent des productions monologiques, tandis que les tâches narratives dans notre corpus constituent des productions interactives, les tuteurs intervenant durant la production de l’apprenant afin de corriger, élucider ou guider par le biais des questions. Enfin, les tâches argumentatives requérant la recherche d’arguments et la production de justifications favoriseraient la complexité, ce qui confirme les conclusions de Skehan et Foster (1997).
5.2. Limites de l’approche
40Si certaines caractéristiques d’une tâche semblent favoriser tel ou tel paramètre de la compétence de production orale, les résultats sont à nuancer en prenant en compte le type de relation socio-affective qui s’est établie entre les apprenants et leurs enseignants distants. Il est raisonnable de penser que des apprenants évoluant dans un contexte éducatif et culturel autre que celui des étudiants de Berkeley pourraient avoir des comportements langagiers différents que ceux que nous avons observés lors cette étude (Sourisseau, 2003 ; Lee - Le Neindre, 2002). De plus, le fait que les tuteurs soient des apprentis et qu’ils soient à peine plus âgés que leurs apprenants a certainement un impact sur l’interaction (Dejean-Thircuir et Mangenot, 2006), laquelle s’apparente davantage à une « conversation pédagogique » qu’à un échange purement pédagogique (Guichon et Drissi, 2008).
41Il convient en outre de mentionner les habituelles limitations de ce genre d’études menées en situation écologique. Travailler à partir de données recueillies en situation authentique ne va pas sans poser problème au moment de constituer le corpus car les exigences de représentativité et de comparabilité se heurtent à des questions pratiques de recueil des données (Seliger et Shohamy, 1989, p. 158), ce qui explique que le corpus de notre étude se réduise à quelques tâches seulement. De plus, force est de constater que la tâche est moins « monolithique » que nous ne le pensions initialement et qu’elle ne se réduit ni à un format, ni à une consigne, ni même à des objectifs pédagogiques, mais que d’autres facteurs individuels des apprenants (l’âge, le genre), des variables affectives (l’attitude envers l’apprentissage, l’anxiété) et des variables liées à l’aptitude en L2 doivent être pris en considération dans l’interprétation de la tâche et sa réalisation (Robinson, 2007, p. 294). À moins de prendre en compte ces variables et de mener pareille expérience en situation expérimentale, il paraît difficile de parvenir à autre chose qu’à des conclusions peu définitives.
42Enfin, il est important de souligner que les trois paramètres (fluidité, correction linguistique et complexité) qui ont servi de mesures de la performance des apprenants pour cette étude ne donnent qu’une image partielle de la compétence langagière. En effet, une telle approche ne prend pas en compte, par exemple, les compétences socio-discursives ou illocutoires des apprenants (Jordan, 2004, p. 8-9). Malgré ces limitations, nous avons opéré ce choix méthodologique, étant donné que les travaux préalables sur la production orale utilisant ces trois paramètres apportent une robustesse à notre démarche. Adopter une méthodologie éprouvée permet d’inscrire des résultats dans une tradition et de les rendre comparables avec d’autres résultats, ce qui constitue une condition primordiale pour asseoir les recherches menées dans le domaine de la didactique des langues.
6. Conclusion
43En dépit des limitations mentionnées dans la section précédente, notre étude permet de contribuer au champ de recherche très actif de « l’enseignement fondé sur les tâches » en confirmant certains résultats obtenus par d’autres recherches et en précisant d’autres indices sur les caractéristiques d’une tâche qu’un enseignant peut manipuler en amont pour favoriser la fluidité, la correction linguistique ou la complexité dans la production orale des apprenants. Les indices obtenus par cette étude viennent donc s’inscrire dans la visée que Robinson (2001) assigne à ce domaine de recherche qui contribue à élaborer des critères « motivés théoriquement, validés empiriquement et applicables en situation pédagogique » pour concevoir des tâches d’apprentissage.
44La particularité de cette recherche vient de ce qu’elle étudie la notion de tâche dans un dispositif d’enseignement en ligne dans lequel l’enseignant intervient non seulement en amont en manipulant certaines caractéristiques des tâches, mais également au cours de l’interaction avec ses apprenants en déployant des régulations pour optimiser l’apprentissage. Cette étude n’a toutefois pas pris en compte le rôle de l’enseignant dans la réalisation de la tâche. Ainsi, certains apprentis-enseignants ont eu tendance à orienter l’interaction plutôt vers la correction linguistique tandis que d’autres, au contraire, ont valorisé la prise de risque, l’humour ou la créativité, ce qui a eu in fine un impact sur la production orale. Il semble qu’un enseignant peut avoir intérêt à moduler ses attentes sur la correction linguistique afin de maintenir un équilibre entre plusieurs paramètres de la compétence langagière (Wang, 2007). En ce sens, la tâche fonctionne essentiellement comme une trame pédagogique et communicationnelle qui précise une situation d’énonciation, propose des éléments à traiter et détermine un type de production langagière, mais ménage suffisamment de jeu pour que l’enseignant ajuste ses régulations aux besoins de l’apprenant lors de l’interaction.
45Enfin, cette étude a attiré notre attention sur l’enjeu des tâches qui sont proposées aux apprenants. Ce n’est pas seulement de l’authenticité de la tâche que dépend l’engagement de l’apprenant mais de l’authenticité de son enjeu, c’est-à-dire de ce qui motive des apprenants à puiser dans leurs ressources langagières pour mener à bien la tâche parce qu’elle les implique cognitivement et personnellement (Ortega, 2007, p. 183). Certains apprenants peuvent s’acquitter d’une tâche parce qu’ils sont en situation scolaire et que c’est ce qui est attendu d’eux, mais les enjeux de la tâche peuvent leur apparaître factices. Ainsi, il existe une différence notable entre déterminer le menu pour un dîner de fête fictif et raconter ce que l’on a fait lors de la dernière fête à laquelle on a participé. Notre étude indique que l’engagement est d’autant plus intense que les apprenants n’ont pas à se plier à un rôle fictif ou à une situation imaginée, mais au contraire à puiser dans leur expérience personnelle pour mener à bien une tâche orientée par des enjeux partagés et distribués parmi les participants (Fillietaz et Schubauer-Leoni, 2008, p. 12). À la posture énonciative de l’apprenant correspond donc une posture pédagogique de l’enseignant, l’une et l’autre mises en tension par le type d’interaction auquel ils participent et par les attentes et motivations qui les animent.
Type de tâche | Unité thématique | Objectif de la tâche | Support | Consignes |
T1 | L’identité nationale (séance 4) | Parler de sa fête préférée | Ø | « – Quelle est pour vous la fête la plus représentative des États-Unis ? |
T2 | Les voyages (séance 6) | Faire un récit | Ø | « Vous êtes arrivé à votre lieu de vacances, mais vous avez eu des problèmes durant le voyage car vous avez raté une correspondance. Vous téléphonez à votre famille pour raconter vos difficultés de déplacement et votre arrivée sur votre lieu de vacances. » |
T3 | T3 L’identité nationale (séance 4) | Faire des choix. Donner son opinion / argumenter | Témoignages sur forum | « Selon vous et selon les témoignages que vous avez lus, choisissez ensemble cinq critères définissant l’identité nationale. » |
T4 | Les moyens de transport (séance 5) | Exprimer l’obligation et la nécessité Donner son opinion | Texte : « Propositions pour diminuer la pollution » | « Lisez le texte “Propositions pour diminuer la pollution”. – Quelles propositions pour diminuer la pollution sont faites aux États-Unis ? – Proposez d’autres solutions. » |
T5 | Les voyages (séance 6) | Exprimer des hypothèses, des suggestions | Photos : destinations de voyage | « Vous avez gagné ensemble un voyage de 15 jours dans un endroit de rêve. Vous avez quelques photos de l’endroit où vous allez passer vos vacances. Regardez les photos sur le blog et choisissez ensemble la destination qui vous convient à tous les deux. À quel moment décidez-vous de partir, comment ? Qu’est-ce que vous prenez comme bagages ? » |
T6 | Les moyens de transport (séance 5) | Construire une histoire au passé | Photos d’un accident | « À partir des photos sur le blog, imaginez une histoire. Racontez ce qui s’est passé avant et après l’accident. » |
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Christian Degache et Sandra Garbarino (dir.)
2017
Ces lycéens en difficulté avec l’écriture et avec l’école
Marie-Cécile Guernier, Christine Barré-De Miniac, Catherine Brissaud et al.
2017
Le sujet lecteur-scripteur de l'école à l'université
Variété des dispositifs, diversité des élèves
Jean-François Massol (dir.)
2017
La lettre enseignée
Perspective historique et comparaison européenne
Nathalie Denizot et Christophe Ronveaux (dir.)
2019