Chapitre III. Alternance de l’ordre et du désordre
p. 71-115
Texte intégral
3.1 Le manuscrit ou l’hypotexte génétique
1Même si Genette considère le manuscrit comme paratexte1, le rapport que les avant-textes entretiennent avec le texte édité semble respecter les principes qui règlent l’hypertextualité. Pour qu’il y ait hypertextualité, les trois conditions suivantes doivent en effet être réalisées : l’existence de deux textes, à savoir l’hypertexte et l’hypotexte, l’antériorité de l’hypotexte par rapport à l’hypertexte, et l’incidence transformative de l’action portée. Si l’on tient compte de l’axe temporel qui marque la relation entre l’hypotexte et l’hypertexte, on pourra proposer une reformulation du concept d’hypotexte, qui vient alors englober l’avant-texte même, et les opérations envisagées par Genette pour décrire les transformations auxquelles l’écrivain soumet son texte. En expliquant le concept de transformation quantitative qu’on peut faire subir à un hypertexte par rapport à l’hypotexte de référence, Genette emploie le terme de concision en se référant à un brouillon imaginaire de Chateaubriand, c’est-à-dire une forme fictive qui unit les différentes versions de la description des chutes du Niagara publiées dans l’Essai sur les révolutions (1797) et dans Atala (1801)2. L’application de cette opération de réduction au brouillon imaginaire qui constitue l’hypotexte du texte publié justifie alors l’extension du concept d’hypotexte et de ses transformations quantitatives aux manuscrits aussi bien qu’à leurs variantes. Bien que le rapport entre le texte et ses avant-textes ne soit qu’esquissé par Genette, les phénomènes de réduction et d’amplification peuvent synthétiser l’une des actions multiples qui transforment le texte au cours de sa rédaction : « Lorsqu’un écrivain, pour telle ou telle raison “reprend” et corrige une de ses œuvres antérieures ou simplement le “premier jet” d’une œuvre en cours, cette correction peut avoir pour tendance dominante soit la réduction soit l’amplification.3 »
2Toutefois, il faut remarquer que les transformations quantitatives appliquées à un hypotexte allographe et les transformations que l’auteur fait subir à son manuscrit se différencient par les effets qu’elles produisent et qui se manifestent dans le texte. Tandis que les transformations d’un hypotexte allographe ne bouleversent que rarement le modèle qu’elles transforment, dans le manuscrit ces transformations ne sont pas a priori purement formelles et sans incidence thématique. Au premier procédé réducteur, l’excision, qui détermine « une suppression pure et simple » et qui se concrétise par amputation massive, par excisions multiples et disséminées et par élagage, Genette associe la concision, procédé partiel « qui se donne pour règle d’abréger un texte sans en supprimer aucune partie thématiquement significative4 », et la condensation, qu’il qualifie comme réduction globale d’un texte. En revanche, l’augmentation peut être conçue en tant qu’amplificatio et englober deux procédés, l’un quantitatif, l’autre qualitatif : l’extension qui procède par addition thématique et l’expansion qui réalise une « dilatation stylistique5 ».
3Tout en accordant à Louis Hay qu’une systématisation et une homologation des opérations qui enrichissent le manuscrit sont impossibles, car elles sont des « paramètres d’un champ variable où viennent s’inscrire des réalisations toujours diverses de l’acte d’écrire6 », la réduction et l’augmentation peuvent être considérées comme les opérations les plus fréquentes dans la révision d’un texte et acquièrent une survaleur sémantique dans les œuvres où l’équilibre de la structure motive le sens de l’œuvre. En outre, ce sont les opérations qui déterminent les blancs ou « zones d’indétermination » dans le texte et qui permettent d’arranger une séquence descriptive, ce qui produit, comme le remarque Noëlle Batt, une alternance de phases désordonnées et de phases ordonnées dans le texte.
4Dans tout système chaotique en effet, l’ordre et le désordre coexistent : l’ordre est un équilibre précaire qui peut être perturbé et qui peut déterminer le désordre, mais la présence d’états désordonnés ne compromet pas le rétablissement de l’ordre car « le chaos donne naissance à l’ordre, qui à son tour laisse la place à de nouvelles formes de chaos7 ».
5Par rapport aux opérations les plus fréquentes de révision du texte, c’est-à-dire la réduction et l’amplification, les blancs ou « zones d’indétermination » et les descriptions deviennent ainsi les exemples les plus intéressants à questionner du point de vue génétique pour comprendre les traces de ce basculement déterministe dans le texte. En effet, si les blancs peuvent être considérés comme le résultat d’un processus soustractif ou réductif qui peut se développer pendant la genèse du texte, les descriptions constituent en revanche une modulation de l’amplificatio, car selon Riffaterre, l’expansion est « le mécanisme par lequel la phrase passe du narratif au descriptif8 ».
6C’est ainsi du point de vue de la réception de l’œuvre que Noëlle Batt s’interroge sur la question de l’alternance entre phases ordonnées et phases désordonnées, puisque la présence d’un passage indéterminé dans un texte ordonné ou la présence d’une séquence bien structurée dans un texte flou contraignent le lecteur à s’approcher du texte de manière différente :
On peut considérer que le texte littéraire est un ensemble ordonné sur fond duquel se repèrent des passages plus flous, indéterminés, des passages d’indécision; ce que Ingarden (1931)9 a appelé des « zones d’indétermination » ou Iser (1976)10 des « blancs ».
On peut aussi considérer que le texte est un ensemble désordonné ou du moins fluide, non marqué, sur fond duquel se détachent des passages à forte structuration et à forte redondance, en général des passages descriptifs, saturés sémantiquement, où s’exerce souvent un travail stylistique très soutenu11.
7Tout en remarquant l’importance de l’approche phénoménologique d’Ingarden, la théorie proposée par Iser offre une nouvelle approche de la notion d’indétermination en proposant une interaction entre le texte et le lecteur. Ainsi le « blanc », qui constitue une « disjonction entre les segments du texte12 », demande l’intervention du lecteur, lequel doit rétablir « les liaisons entre les parties disjointes du récit13 ». La nécessité d’établir une continuité textuelle sollicite ainsi l’imagination du lecteur, car « le blanc rend la structure dynamique dans la mesure où il marque certaines ouvertures qui ne peuvent être fermées que par le lecteur qui agit sur elle. C’est par ce processus que la structure acquiert sa fonction14 ».
8En reconnaissant dans les textes modernes « […] une ordonnance qui évoque les procédés attendus en vue de les transformer en blancs15 », Iser remarque une complexification de la perspective narrative, qui n’offre plus au lecteur « les orientations directrices » fondamentales à tout processus de représentation. Dans un texte ordonné, ce sont ainsi les disjonctions narratives qui, par un effet de discontinuité textuelle, permettent de percevoir l’existence de phases désordonnées dans le texte. Bien que l’approche proposée par Batt se limite à l’acte de réception, à bien voir, ces « zones d’indétermination » constituent le résultat d’un processus d’écriture complexe que l’analyse génétique peut expliquer.
9Dans sa deuxième typologie de réception, qui remarque l’existence des segments « saturés sémantiquement » dans un texte se révélant désordonné, l’approche de Noëlle Batt se focalise sur le travail stylistique. Il faut toutefois préciser que tout texte à l’apparence désordonnée répond en réalité à un échafaudage textuel dont la visibilité conditionne la réception, car l’effet de désordre peut dépendre d’une règle de composition que le lecteur ne comprend pas. Toutefois, il y a des passages descriptifs dont la nature complexe16 demande à l’écrivain un travail stylistique soutenu. Autonome par rapport au texte, la séquence descriptive alors peut être considérée comme un micro-récit17 : cette forte structuration, qui fonctionne selon Riffaterre18 par métonymie du nucleus19 (thème-titre), peut être interrogée à partir des avant-textes pour en saisir la mise en ordre, qui coïncide avec la saturation de la séquence descriptive par rapport à l’ensemble plus « fluide » du texte.
3.2 Pierrot mon ami ou le roman des blancs par excision
10Comme le remarque Iser, les blancs soulignent un nécessaire travail combinatoire que le lecteur entreprend dans l’acte de réception. En tant que disjonctions entre les segments textuels, les blancs demandent alors au lecteur un effort de connexion afin de reconstruire la relation entre segments qui est omise dans le texte. La présence des blancs dans le texte suggère alors des perspectives fragmentées qui ne peuvent aboutir à la cohérence que par « l’activité de représentation du lecteur », car « la jonction des schémas résulte des décisions sélectives du lecteur20 ». Si les blancs signalent la potentialité herméneutique d’une œuvre sollicitant l’imagination du lecteur, leur présence dans Pierrot mon ami ne permet pas de résoudre les collisions21 produites par les représentations que le lecteur se fait car, comme le remarque Blanchot, « chaque fois qu’une fin se propose à l’ouvrage, le mouvement du récit l’échange contre une autre, puis celle-ci contre une troisième, et enfin le tout contre rien22 ».
11Le problème des blancs dans Pierrot mon ami ne se limite pas seulement aux différentes perspectives qui se combinent dans le texte, mais il résulte aussi d’un processus de transgression qui, détruisant les vraisemblances23 générique et diégétique du texte, complique aussi le rapport auteur/lecteur (catégories empirique et pragmatique)24.
12Du point de vue générique, le processus de transgression des règles du roman policier se concrétise alors par la mise en œuvre des procédés-moins, qui constituent selon Iser les procédés déployés des procédés abandonnés, mais la cohérence diégétique est démantelée par un progressif desserrement des intrigues qui résulte d’un processus exploratoire fort complexe. En effet, si au niveau formel le roman bouleverse le genre policier, aux niveaux thématique et modal ce sont les histoires qui, nous présentant des personnages fortement typisés, contredisent leur modèle générique de référence.
13Dans une note du 9 novembre 1941, écrite après la rédaction des deux premiers chapitres, Queneau décrit une typologie générique particulière, c’est-à-dire, « un roman policier “littéraire” », « du mauvais roman d’aventure », un « simple picaresque », un roman sans solution. Par l’apposition « littéraire » à l’expression « roman policier », la note identifie le policier en tant que genre accueillant un discours métalittéraire bâti sur la coexistence d’une sous-dimension composée par d’autres genres25.
14Ainsi les genres qu’on peut retrouver dans Pierrot mon ami correspondent aux différentes histoires : l’histoire de l’Uni-Park mime le roman populiste, l’aventure amoureuse de Léonie fait allusion aux caractéristiques du roman baroque, le triangle amoureux Yvonne-Paradis-Pierrot peut être considéré comme une condensation du roman sentimental, l’expérience de Pierrot au cirque Mamar suggère le roman de formation et l’histoire de la chapelle poldève articule les codes du roman à énigme26.
15L’impossibilité d’imposer un genre détermine de surcroît une sorte d’anarchie de l’espace littéraire qui prive le lecteur des instruments de reconnaissance et de décryptage du genre établissant un horizon d’attente « cinétique27 ».
16Ainsi l’intersection qui se réalise au niveau générique se traduit par le choix des motifs et des personnages28, qui appartiennent en même temps à plusieurs genres. Ce sont alors les dislocations diégétiques et topographiques des personnages qui permettent le passage d’une histoire à l’autre et qui fonctionnent comme mécanisme d’enchaînement narratif. Et c’est surtout dans le passage d’une histoire à l’autre, d’un genre à l’autre, que le roman présente des blancs, des zones d’indétermination. Le rapport entre les genres et les personnages peut être ainsi schématisé :
17Tous les genres questionnés existent dans les notes préparatoires comme projets exploratoires plus ou moins esquissés. En ce qui concerne le roman populiste, bien que Michel Bigot29 remarque que la dimension populiste découle plus du langage populaire que d’une imitation spécifique du genre, il faut remarquer que Queneau, dans les notes préparatoires, essaie de récréer l’Uni-Park en s’appuyant sur l’observation directe du Luna-Park de la porte Maillot. Si, en effet, dans le texte définitif, l’allusion au roman populiste reste donc confiée au langage, les manuscrits montrent bien avec quel souci de réalisme Queneau s’engage dans les premières étapes de son projet30. Après avoir établi le premier plan de l’Uni-Park et avoir réfléchi sur ses fondateurs en se souciant de donner à cet ensemble des « stratifications chronologiques », Queneau doit revoir l’architecture du parc d’attractions car il ne l’a pas conçu comme un milieu forain :
Je n’ai pas conçu le milieu de l’Uni-Park comme un milieu « forain ». La lecture de Malato, Money, etc., me fait revenir à ma conception primitive
Petit problème : que font les employés de luna-park durant la journée?
Ce qu’ils font pendant l’hiver?
Autre nécessité :
Un immeuble voisin de l’U.P.31
Ce qui pousse Queneau à aller voir le Luna-Park trois jours plus tard et à esquisser un nouveau plan :
18C’est alors le souci réaliste du détail des notes préparatoires et le choix d’un lieu urbain qui nous permettent de retracer certains éléments du roman populiste. Mais il ne s’agit pas d’un lieu urbain quelconque : l’Uni-Park est un lieu de travail qui fonctionne comme une coopérative, un lieu de passage, une imitation de ville faite d’apparences. La nature ambivalente du lieu permet ainsi d’introduire plusieurs personnages et surtout, pour employer les mots de Léon Lemonnier, « des gens médiocres qui sont la masse de la société et dont la vie, elle aussi, compte des drames32 ». Ainsi le choix des personnages semble alors faire allusion aux personnages conventionnels du roman populiste, comme le remarque Queneau dans ses notes préparatoires :
Choisir des personnages conventionnels :
La putain au grand cœur
Le vilain
L’ouvrier honnête mais pauvre, etc.33
19Bien que Queneau n’inclue pas « l’ouvrier honnête mais pauvre » parmi les personnages du roman, il lui donne le statut de personnage conventionnel, remarquant ainsi l’influence de la querelle qui se développe pendant les années trente autour de l’« école populiste », à savoir le rapport entre les pauvres et le prolétariat. Cette question qui engagea Camus et Sartre a été en effet considérée comme l’un des motifs de l’échec du populisme littéraire, car elle « a contribué à rendre les pauvres invisibles et la pauvreté indicible, nous laissant orphelins et du pauvre, et du prolétaire, et du Peuple34 ».
20S’opposant à la littérature d’analyse, le romancier populiste veut relater les vies modestes et banales « “sans importance collective” dirait Céline (l’expression se trouve dans L’Église, écrite en 1926), mais non sans valeur humaine : des vies pauvres mais surtout grises et “médiocres”35 ». Ainsi Queneau, après avoir à peine esquissé la structure anti-policière du roman, s’interroge sur « l’homme qui passe inaperçu » et qui n’est jamais reconnu par les autres personnages :
Le début α est engagé au Palais du Rire. Chargé de tenir les femmes au premier passage. Il doit enlever ses lunettes. La bagarre.
L’un des personnages un ancien enfant martyr. Peut être assassiné?
α - sera le coupable?
Une ancienne chanteuse de nuit
Thème déjà découvert avant ces notes
L’homme qui passe inaperçu. Ses expériences. Revient tous les jours dans un bistro. Demande la même consommation. On ne le reconnaît pas. Etc.
Serait-il criminel ou détective?36
21Cette référence à l’« homme inaperçu » permet d’introduire l’une des caractéristiques qui permettent de rapprocher le roman quenien du populisme littéraire. Dans Pierrot mon ami, c’est Pierrot qui joue le rôle de l’homme qui n’est pas reconnu par les autres personnages, ce qui transforme le processus de reconnaissance en mécanisme de superposition des diégèses.
22Mais le populisme présente aussi « […] un ensemble d’individus que rien n’assemble; qui sont à la fois trop prisonniers de leurs destins séparés pour faire masse et trop uniformes dans leur médiocrité pour qu’aucune figure marquante (encore moins exemplaire) se détache du récit37 ». Cette coexistence des destins sans cohésion n’est-elle pas l’une des caractéristiques du roman quenien? Dans ce dernier, les destins séparés des personnages ont toutefois une fonction narratologique : les destins se jouent suivant des règles bien établies qui contraignent les personnages à acquérir les caractéristiques des personnages stéréotypés, des personnages factices38 à qui il manque de pouvoir évoluer.
23Ce manque d’évolution39 est exaspéré par rapport à leur mobilité diégétique, qui fait fonction de mécanisme génératif dans Pierrot mon ami : la classification typologique des personnages permet de distinguer des personnages fortement typisés qui jouent leur rôle dans l’une des histoires composant le roman et des personnages qui voient leurs traits codifiés au fur et à mesure que la narration avance. Ces derniers participent à deux ou trois intrigues jusqu’à s’encadrer dans l’histoire qui consent à les accueillir comme personnages. Et si l’on considère que les histoires qui s’entrelacent dans le roman n’appartiennent pas aux mêmes genres, il est possible d’établir une coïncidence entre l’histoire et son genre de référence, car à une analyse plus attentive, les intrigues présentent des codes génériques tout à fait différents.
24Si la transmigration des personnages d’une histoire à l’autre métaphorise le passage à un autre genre, le processus d’inclusion des personnages dans l’une des histoires constitue alors le mécanisme diégétique consacré à la typisation des personnages, qui conquièrent leur statut générique définitif : seul Pierrot n’accomplit jamais une inclusion complète dans un genre et, par rapport aux autres personnages, il déambule40 d’une histoire à l’autre sans jamais trouver sa place. Pierrot constitue un personnage indéfini, l’homme qui passe inaperçu et qui participe à chaque histoire après un processus d’assimilation provisoire se réalisant par imitation des actions d’autres personnages41.
25L’introduction du roman sentimental ne détermine pas seulement le changement de registre, qui se manifeste par un langage émotionnel épuré de toute expression argotique, mais aussi par des allusions explicites au genre dont Queneau renverse les codes : si l’on prend en considération les cinq motifs stables que les théoriciens42 ont reconnu en tant que phases du programme narratif du roman Harlequin, c’est-à-dire la rencontre, la confrontation polémique, la séduction, la révélation et le mariage, l’histoire de Pierrot et d’Yvonne en représente la parfaite négation.
26D’abord, comme nous l’avons déjà remarqué, Queneau insère le projet d’une histoire sentimentale pour transgresser les codes du roman policier et perturber le processus de résolution de l’énigme. Toutefois, dans les documents préparatoires, il n’y a que des notes éparses qui concernent les amours de Pierrot et d’Yvonne. C’est Pierrot qui tombe amoureux d’Yvonne bien qu’elle ne s’aperçoive pas de sa présence. En effet, dans une note du 30 septembre 1941, Queneau esquisse un projet du roman en cinq étapes :
C’est elle la coupable
Ils se moquent de lui
A - Les amours de I.
B - Le crime
C - Détection
D - C’est elle
E - Cœur Fidèle (Manon Lescaut)43
27Le schéma proposé témoigne de la superposition d’une intrigue policière et des « amours » de Pierrot avec un personnage féminin qui est en même temps le coupable du crime. L’expression « cœur fidèle » qui résume l’intrigue amoureuse et qu’on retrouve en tête de note, ainsi que l’allusion explicite au roman prévostien entre parenthèses, mettent en évidence la vertu de la fidélité, qui aurait dû être le sujet d’un dialogue entre Pierrot et Léonie :
« Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 68
p. 195- insérer conversation entre Léonie et Pierrot sur l’amour et la fidélité Elle rencontre Voussois. Télégr. de PP – Tiens dit-il aux 2 autres – Une dame qui s’est évanouie. Pradonet revient. On présente. S’évanouit de nouveau. ————— IX Pierrot chez lui – que va-t-il faire – il pense à Yvonne. Retourner à chez Voussois? Passe au cirque Mamar. L’Uni-Park toujours détruit. Le cirque Mamar s’en va. Psermis? Il va voir Mounnezergues. Mounnezergues est malade. Très malade, Lui dit qu’il le fait son héritier. |
28Si Queneau avait d’abord pensé au mariage de Pierrot et d’Yvonne (Cf. Pierrot mon ami, « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 57), il abandonne ensuite cette idée et décide de croiser le destin de la jeune femme avec le destin de Paradis, qui joue alors le rôle d’opposant bien que dans la version définitive Queneau laisse au lecteur l’interprétation de la nature de leur relation. Que reste-t-il alors des amours de Pierrot et d’Yvonne? Il ne reste que le seul Pierrot44. Queneau nous présente celui-ci comme un personnage doté d’une prédisposition naturelle à l’amour (« Depuis l’âge de douze ans, Pierrot avait été une centaine de fois amoureux45 ») qui explique le pluriel « amours » employé dans les notes préparatoires. Mais Pierrot, qui trouve « son amour tout nouveau, avec une saveur inédite et des perspectives originales46 », acquiert grâce « au vrai amour » le pouvoir imaginatif qui lui permet de transmuter la réalité et d’entrer en communion avec ce qui l’entoure :
Il crut s’évanouir, Il rouvrit les yeux. La Seine coulait aussi belle, aussi graillonneuse. Les pailles immobiles surveillaient leurs lignes stériles. Un chien, roquet bâtard, se roulait joyeux dans la crotte. Sur le pont d’Argenteuil et la route nationale, autos et camions couraient toujours47.
29Contrairement au roman sentimental, après leur première rencontre Yvonne et Pierrot ne forment pas un couple et le rival, Paradis, sera celui qui, par contre, atteindra la dernière phase du programme narratif, le mariage.
30Après avoir esquissé le roman sentimental, au chapitre II le texte se conforme aux thèmes du roman baroque car il joue sur le motif de l’apparence, de l’illusion, du travesti et des métamorphoses : la confusion du vrai et du faux, l’ambiguïté de l’identité de Crouia-Bey, la fausse mort de Jojo Mouilleminche en tant que forme de déguisement de l’identité et la poursuite de la recherche de l’être aimé créent l’atmosphère baroque du roman, comme le résume Mme Prouillot :
Léonie s’intéresse à la femme pour laquelle est mort un homme qui l’avait aimée elle, c’est bien naturel. Des idées comme celle-là et même des plus baroques, il en pousse tous les jours sous le crâne de tout le monde, tu le sauras quand tu auras mon expérience48.
31En effet, le roman englobe les « variations infinies du démon baroque49 » pour le décor (l’Uni-Park, la chapelle poldève, le parc zoologique) tout autant que pour les effets que Bigot appelle de « déréalisation50 ». Toutefois, c’est dans l’histoire de Léonie et de Jojo Mouilleminche/Voussois, articulée en termes de variation de la topique amoureuse, qu’il est possible d’examiner la confluence des thèmes liés à la poétique baroque. Il faut d’abord remarquer que les notes préparatoires donnent une certaine centralité à la thématique amoureuse51 et, par conséquent, à tout le développement baroque de l’histoire de Léonie : de fait, le 16 août 1941, parmi les thèmes provisoires de son roman, Queneau considère aussi « l’amour déçu par surprise52 » en essayant d’entrelacer l’aventure amoureuse de Léonie à l’histoire des princes poldèves. Si les thèmes baroques de la fausse mort de l’amant et du masque confirment l’allusion générique au roman du xviie siècle, c’est leur inclusion dans l’histoire de Léonie qui produit les blancs textuels du roman.
32Et si l’on considère la version définitive, il est bien évident que l’intrigue baroque n’est qu’amorcée, cependant certains de ses éléments suggèrent l’existence avant-textuelle d’un roman baroque resté à l’état d’ébauche. Du point de vue thématique en effet, l’épisode de Léonie reprend les thèmes du mensonge et de la dissimulation, mais son architecture aussi imite la structure traditionnelle du récit baroque, car l’histoire, qui commence in media res, est perturbée par l’alternance des contes rétrospectifs de Léonie et du fakir. C’est sur cette structure construite sur une ellipse initiale et sur sa reconstruction narrative que se penche Queneau, à plusieurs reprises, dans ses notes (« Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1) :
1 décembre 19410 f. 49 | Le prince Polygène envoyé à Paris avec le prince Luigi tombe amoureux de Léonie, une chanteuse de café-concert qu’il quitte après la mort du prince Luigi en retournant en Poldévie. |
12 décembre 1941 f. 54 | Le prince Luigi et son oncle (élève de Zebby-bey) envoyés à Paris tombent amoureux de Léonie mais après la mort accidentelle du prince Luigi, Polygène retourne dans son pays. |
28 décembre 1941 f. 60 | Jojo Mouilleminche est vivant sous le nom de Joseph Trépois. Crouia-Bey est son frère. Jojo fait tuer le prince Luigi pour régner. |
13 février 1942 f. 64 | Plans des chapitres VIII et IX : au chapitre IX Queneau annonce la mort de « Mounnezergues qui est Luigi ». Le tombeau est vide, c’est une invention de Mounnezergues, amoureux de Léonie, pour se venger de Pradonet. |
9 mars 1942 f. 69 | Pierrot et Léonie reviennent ensemble car Léonie ne reconnaît plus Jojo et ne l’aime plus. |
33Les hésitations de Queneau sur l’identité et sur la mort du prince Luigi engendrent ainsi le blanc diégétique qui s’articule dans la version définitive autour des thèmes du masque et de la fausse mort. Queneau soumet alors son texte à une sorte d’enfoncement des hypothèses diégétiques étudiées pendant la rédaction du roman, ce qui explique l’ambiguïté du texte.
34Ainsi dans Pierrot mon ami, le thème baroque du masque n’aboutit pas au dénouement final attendu car l’identité de Voussois/Jojo Mouilleminche reste toujours ambiguë et ouverte à toutes les interprétations. Cette ambiguïté découle de la superposition des identités (et des histoires) esquissées dans les notes préparatoires, car bien que Queneau maintienne le noyau thématique, c’est à propos du personnage de Jojo qu’il hésite le plus. Ainsi le projet abandonné du 1er décembre 1941 permet d’expliquer le nom du fakir par association avec Zebbi-Bey et le rapport avec les princes poldèves et le terrain de l’Uni-Park :
« Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 54
développer | Le prince Luigi et son oncle, tous deux du même âge furent envoyés à Paris y faire leurs études. Mais ils y acquirent tous deux le goût du théâtre, du music-hall. Le prince Luigi monta sur les planches, son oncle devint un élève de Zebbi-Bey et se fit montrer ses trucs. Ils devinrent amoureux de la même femme. Jaloux se haïrent. Une petite chanteuse. C’était Léonie. Un accident : le prince Luigi est tué. Remords du prince P. qui retourne dans son pays. Renvoyé en France. Y acquièrent le grand terrain, puis le petit. |
35L’association Crouia-Bey/prince Polygène est confirmée par la note (f. 71) : /Un signe (une cicatrice) permettant d’identifier Mounnezergues Crouia-Bey (= oncle prince Luigi)/. Si Queneau fait d’abord coïncider Crouia-Bey avec Jojo Mouilleminche (f. 63), le 28 décembre 1941, il modifie l’histoire : Jojo Mouilleminche, frère de Crouia-Bey, est le meurtrier du prince Luigi (f. 60)53. Pour démontrer le processus d’enfoncement diégétique d’une version avant-textuelle, nous pouvons nous appuyer sur la coïncidence éventuelle entre Crouia-Bey et Jojo Mouilleminche. À peine esquissée dans les notes préparatoires, l’idée d’un seul personnage Crouia-Bey/Jojo Mouilleminche dans la version définitive se traduit par l’alternance ambigüe, dans les didascalies du dialogue entre Léonie et le fakir, des patronymes de Crouia-Bey et de Mouilleminche, tous les deux employés par Queneau pour indiquer le fakir. Cette trouvaille transforme alors une version ébauchée du roman en effet potentiel sur le lecteur qui, par l’acte de réception, fait ressortir d’une certaine façon l’avant-texte du roman.
36Le roman baroque amorcé, la déambulation diégétique de Pierrot aboutit à l’histoire poldève, pour laquelle Queneau esquisse plusieurs projets exploratoires qui ont été abandonnés, ou plutôt recouverts, dans la version définitive. Par rapport aux autres diégèses, l’histoire poldève aurait dû constituer avec l’histoire de l’Uni-Park l’intrigue principale liée à la vente du terrain où se dressent le parc d’attractions et la chapelle. Les notes préparatoires restituent donc de façon fragmentaire une intrigue bien plus complexe, développée seulement dans la version définitive, où il n’en reste qu’une trace au troisième chapitre, dans le monologue de Mounnezergues.
37Mais la construction du monologue, qui déstabilise l’illusion romanesque en mettant en évidence le statut de personnage de Mounnezergues – « qui toussa trois fois » avant de prononcer son discours54 –, ne comble pas le blanc diégétique qui enfonce l’histoire de la chapelle poldève. D’ailleurs, si l’on tient compte des notes préparatoires, on remarquera que tous les projets concernant ce personnage et son rôle dans l’histoire ont été abandonnés. En effet, l’enfoncement des projets avant-textuels se révèle finalement très complexe et, bien que l’histoire semble apporter quelques éclaircissements, une lecture plus attentive ne permet de résoudre ni le rapport ambigu entre les histoires du prince poldève et de l’incendie de l’Uni-Park, ni l’identité de Jojo Mouilleminche, car « en tout cas le récit du vieux ne révèle ni ne dévoile rien55 ». L’analyse des projets abandonnés par Queneau qui insistent sur la dynastie poldève et, surtout, sur le sort énigmatique du prince Luigi, tombé de cheval dans le lieu où les princes poldèves avaient ensuite bâti une chapelle pour le commémorer, peuvent alors donner des « pistes » à suivre pour une relecture du monologue de Mounnezergues.
38Après avoir esquissé la dynastie poldève, Queneau note à propos d’un personnage qu’il appelle « le vieux » : « Tout ceci n’intervient pas dans le récit du vieux. Son père un poldève B exilé? C’est lui qui a tué le prince L56 » et un peu plus tard : « on pourrait supposer qu’il n’y eut qu’une génération et que le gardien, fils naturel du prince Luigi, fut l’exécuteur de l’autre fils57 ». D’abord il faut remarquer que Queneau s’interroge plusieurs fois sur l’identité de Mounnezergues et sur son rapport avec la dynastie poldève, qui se réduit dans la version définitive à son rôle de gardien de la chapelle. Mais si Queneau avait pensé inclure Mounnezergues dans la dynastie poldève, que serait-il resté, dans la version définitive, de son origine poldève? Les notes préparatoires permettent alors d’interpréter l’histoire de Mounnezergues selon plusieurs hypothèses. Dans la construction de l’intrigue, Queneau s’interroge sur la nature fictive ou réelle de la mort du prince Luigi Voudzoi, ambiguïté qui reste irrésolue dans la version définitive, où l’assonance entre le prince Voudzoi et Voussois58 ne permet pas de décoder l’énigme. Mais le 13 février 1942, Queneau fait en effet coïncider Mounnezergues avec le prince Luigi, expliquant ainsi l’invention d’un tombeau vide :
« Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 64
VIII - Voussois-Mouilleminche - Reçoit son père - Puis - Amoureux de Léonie. Tableau! IX – Pierrot rentre à Paris - Mort de Mounnezergues qui est Luigi | Vendredi 13 février (suite) Le tombeau est peut-être vide. Il n’y a jamais eu de prince poldève. Mais ces dialogues avec Pradonet deviennent inexplicables. Ce n’est pas un prince poldève… Il faut dans l’intérêt de [illisible] mieux que le corps soit enterré en terre étrangère. Invention de Mounnezergues Pour ne pas vendre son terrain à Pradonet Amoureux de Léonie… Vengeance… Mais l’incendie? LUI! |
39Par le processus de raréfaction, Queneau omet tous les éléments qui auraient pu éclaircir tant le sort du prince Luigi que l’identité de Mounnezergues et, en dépit de toute conclusion simpliste, transforme Mounnezergues en personnage fort complexe, donnant un tout autre sens au rôle qu’il joue dans le roman.
3.3 Les blancs par concision dans Les Fleurs bleues
40Si, par rapport au manuscrit imaginaire de Pierrot mon ami, le roman construit sa discontinuité par un processus d’excision59 avec l’enfoncement progressif des variantes avant-textuelles, dans Les Fleurs bleues les zones d’indétermination sont produites par la structure binaire du roman, qui permet l’alternance des histoires du duc d’Auge et de Cidrolin. Ces zones d’indétermination se créent à partir de la réduction du premier manuscrit par les procédés d’excision (partielle ou totale) et de condensation, qui entraînent des effets sémantiques. Il faut d’ailleurs remarquer que dans le roman de Queneau, toute réduction minime, même la réduction purement quantitative, a une incidence thématique. Mais dans Les Fleurs bleues, le processus de réduction inclut d’autres formes d’intervention : la segmentation, à savoir la subdivision d’une séquence en deux micro-séquences, et le déplacement, qui permet de différer seulement l’une des deux micro-séquences obtenues dans le temps du roman.
41Dans les premiers chapitres du roman qui, comme en témoignent les versions manuscrites, ont été les plus difficiles à écrire, le processus de révision répond donc à la réduction, souvent accompagnée par le déplacement diégétique de la séquence syncopée. Les quatre premiers chapitres du roman sont soumis aux plus profondes transformations et influencent le rééquilibrage des parties qui suivent. Queneau revoit la structure du roman et propose un plan de 21 chapitres subdivisés en 7 parties, dont la dernière est dédiée aux temps futurs :
42Queneau choisira de modifier ce plan ultérieurement, en préférant une datation plus précise avec une subdivision différente des chapitres, tout en gardant leur nombre. Le nouveau plan organise le roman en vingt chapitres répartis en cinq parties, auxquelles il ajoute un chapitre de conclusion qui assure la circularité temporelle :
43Cette nouvelle version du plan, jugée par Queneau « épatante! », indique, en bas de page et entre parenthèses, l’écart temporel (« 175 ans ») qui séparera les époques visitées par le duc et lui permet de fixer la structure quasi définitive du roman, qui s’organisera autour de trois épisodes vécus par le duc d’Auge (révolte des nobles, états généraux, révolution).
44Après avoir défini l’ordre de succession des événements, Queneau hésite encore sur l’organisation des axes narratifs et sur leur superposition au début du roman; ainsi, le 1er mars 1965, pendant la révision du premier manuscrit, Queneau note que « tout le début est entièrement à refaire60 ». Ainsi les transformations des quatre premiers chapitres du roman influenceront le rééquilibrage des chapitres successifs. En effet, quelques longues séquences, comme les épisodes de l’auberge et des deux Canadiens, sont soumises à un processus de révision/réécriture complexe que Queneau réalisera à l’aide de trois procédés : la condensation, la segmentation et le déplacement. Nous appellerons condensation la réduction significative du segment diégétique, segmentation la subdivision d’une séquence en deux micro-séquences et déplacement le procédé qui revient à différer seulement une partie de la séquence transformée dans un autre chapitre.
45Il faut remarquer que les procédés qui sont à l’œuvre dans le roman quenien ne sont pas sans rapport avec les ratures de suppression, de substitution et de déplacement, lesquelles constituent les opérations de révision les plus fréquentes61. En effet, lorsqu’on parle de condensation, on se réfère à un processus bi-phasique ou « intégré » qui combine suppression et substitution par ellipse : le syntagme substitutif n’est pas seulement plus court que le segment biffé, il garde aussi avec celui-ci une analogie sémantique. En ce qui concerne la segmentation, elle constitue toujours la phase préliminaire au déplacement, car elle permet la formation des deux segments autonomes. C’est après la segmentation que la deuxième partie du segment est replacée à un endroit différent.
46Parmi les séquences condensées, on compte par exemple la scène d’ouverture du roman, à savoir la promenade du duc et de son cheval parlant, Sthène, vers la capitale. Le premier manuscrit permet d’identifier le mécanisme de condensation, mais aussi de distinguer les modifications apportées par l’écrivain :
Premier manuscrit | Texte édité |
Sur la grandroute, la circulation se fit plus rare jusqu’même devenir nulle, Sthène trottait de bon cœur et finit même par se taire et comme Stéphane et Trouscaillot partageaient sa réserve, le rythme des sabots sur les dalles romaines d’origine, | Sur la grand’route, Sthène allait bon train et finit par se taire, ne trouvant plus d’interlocuteur, la circulation étant nulle; il ne voulait importuner son cavalier qu’il sentait somnoler; comme Stèphe et Mouscaillot partageaient cette réserve le duc d’Auge finit par s’endormir. Il habitait une péniche amarrée à demeure près d’une grande ville et il s’appelait Cidrolinb. |
a. Les Fleurs bleues, « Ms très lacunaire », Fonds Queneau, cote D 17 art. 2_2, f. 6. b. R. Queneau, Les Fleurs bleues, ouvr. cité, p. 16. Pour tout approfondissement sur le roman, voir l’étude de J.-Y. Pouilloux, Les Fleurs bleues de Raymond Queneau, 1991. |
47Dans le premier manuscrit, le passage où apparaît la première transition d’une histoire à l’autre, du duc d’Auge à Cidrolin, est bien plus long et descriptif que dans le deuxième manuscrit, très proche du texte définitif, où il est remplacé par l’asyndète narrative « […] le duc d’Auge finit par s’endormir. Il habitait une péniche […] ». Par la condensation, les séquences perdent plusieurs éléments descriptifs, notamment ceux qui permettent au lecteur de comprendre facilement s’il s’agit des aventures de Cidrolin ou du duc d’Auge. Cette réduction descriptive produit donc une certaine ambiguïté dans la superposition des histoires de Cidrolin et du duc d’Auge, et détermine également des choix linguistiques particuliers.
48Ainsi, la famille sémantique du mot « sommeil » est beaucoup plus représentée dans la séquence du premier manuscrit citée ci-dessus que dans la version définitive : l’écrivain privilégie l’expression « pratiquer la somnolence » à « s’embarquer carrément dans un sommeil profond ». Il supprime également le segment qui décrit le passage à l’état onirique (« Puis il rêva… »), qui devient, dans la version définitive « […] le duc d’Auge finit par s’endormir. Il habitait une péniche amarrée à demeure près d’une grande ville et il s’appelait Cidrolin ». La suppression du verbe « rêver » est essentielle ici, puisqu’elle renforce l’ambiguïté de la séquence dans laquelle une excessive précision dans la description de l’état du personnage indiquerait trop explicitement la superposition des deux dimensions, que le lecteur doit démêler au fur et à mesure de sa lecture. Queneau annule alors toute corrélation entre l’état de semi-conscience et l’activité onirique par la réduction des phases somnolence-sommeil-rêve au seul verbe « s’endormir » et par la suppression du connecteur temporel « puis ». Le pronom « il » renforce l’effet de dépaysement : le lecteur ne peut pas encore identifier le sujet du verbe « habiter », alors que le changement du temps verbal, du passé simple à l’imparfait, suggère le passage à l’autre dimension narrative.
49Le même processus affecte les indices topographiques. Pour ne donner qu’un exemple, dans la version définitive, Queneau supprime la référence précise à la Seine, un choix qui déterminera la substitution du nom de la ville de « Paris », qu’on trouve dans le premier manuscrit, par des périphrases nominales comme « la capitale » ou « la grande ville ». L’absence de repères topographiques, surtout dans le monde de Cidrolin, a pour effet de créer une dimension à mi-chemin entre rêve et réalité.
50La condensation, pour sa part, agit donc comme réduction d’un segment narratif. La segmentation et le déplacement, en revanche, modifient l’ordre de succession des séquences. Après avoir terminé la première version du roman (25 février 1965), Queneau propose dans son cahier de révision un schéma récapitulatif des premiers chapitres en résumant, dans un tableau à deux colonnes, les aventures du duc d’Auge et les événements mineurs qui caractérisent l’histoire de Cidrolin :
51Dans le processus de révision, la modification des premiers chapitres est immédiate, puisque c’est après le plan récapitulatif cité que Queneau propose une nouvelle succession des épisodes qui font l’objet de segmentation et de déplacement. Dans le nouveau plan, Queneau transforme l’épisode de l’héberge en deux séquences, dont la deuxième sera déplacée dans un autre chapitre :
52Après la séquence du repas de Cidrolin62, la scène qui se déroule dans l’auberge de « La Sirène Torte » est soumise, dans son passage à l’état définitif, aux trois opérations génétiques que nous avons décrites plus haut : condensation/suppression, segmentation et déplacement. Dans les notes de révision, cet épisode est réduit et subdivisé en deux parties, que Queneau appelle héberge 1 et héberge 2 : dans le texte édité, l’allusion du duc aux événements futurs (héberge 1) reste au premier chapitre, tandis que la deuxième partie de l’épisode – à savoir la question du cheval parlant (héberge 2), qui devait initialement se situer dans le troisième chapitre (voir le plan ci-dessus) – a été déplacée au deuxième chapitre dans le texte publié. La référence à la sorcellerie, dont le duc pourrait être accusé, est introduite dans le premier manuscrit par Sthène avant d’arriver à l’hôtellerie :
— Chouette, dit Sthène, nous y voilà mais maintenant je vais taire ma gueule. Si l’on m’entendait, tu serais accusé de sorcellerie, petit père.
— Brr, fit le sire de Ciry
— Ne crains rien.
Et il hennit de nouveau, conformément à l’usage de ce temps là […]63
53Dans la dernière phrase, « conformément à l’usage de ce temps-là » suggère l’opposition entre passé et futur car la particule « là » suppose un « ici », terme de référence sous-entendu mais qui permet d’établir le rapport entre deux dimensions différentes.
54Cependant, Queneau ne soumet pas cette séquence aux seules opérations de segmentation et de déplacement : le processus de condensation/suppression réduit la séquence qui, dans le premier manuscrit, renfermait un long dialogue sur l’état des travaux de la « ville », en général, et de la Sainte Chapelle en particulier. Le texte publié s’écarte alors du manuscrit initial car après avoir supprimé toute référence à la Sainte Chapelle, l’écrivain condense le long dialogue entre le duc et le tavernier sur les travaux de la ville :
Premier manuscrit | Texte édité |
— Alors, dit-il à l’hôtelier, où en sont ces travaux? — Lesquels? on en a mis partout. — Ceux de Notre-Dame bien sûr, l’église en la Cité. — Future cathédrale. — Mais maintenant? quelle allure a-t-elle? — Messire, seriez-vous thomiste? — Et la Sainte-Chapelle? Ce joyau de l’art gothique. — Elle est finie depuis longtemps. Elle fut consacrée le 21 avril 1248, il y a donc seize ans de cela. — Et elle brûlera en 1630 et elle manquera d’être démolie en 1790. — Comment Diable savez-vous tout cela? Le tavernier eut un hoquet. — Dieu! n’ai-je point dit diable? Diable! En seriez vous un? Il s’éloigna de quelques pas. Un marmiton ayant entendu ce propos s’en assit d’émotion sur des braises et une maritorne [ — Doux Jésus, murmura-t-elle. — Doux Jésus, répondit le sire de Ciry bien hypocritement. Oh que Pâques viennent où les temps s’éprennent. Les Fleurs bleues, « Ms très lacunaire », Fonds Queneau, cote D art 17_2_ 2, f. 10-11 | Le duc d’Auge descendit à la Sirène torte, qu’un trover de passage lui avait un jour recommandée. — Nom, prénoms, qualités? demanda Martin, l’hébergeur. — Duc d’Auge, répondit le duc d’Auge, Joachim me prénomme et suis accompagné de mon dévoué page Mouscaillot […] — Tu ne vas pas encore me demander ce que je viens faire dans la ville capitale? — Nul besoin! Messire vient voir nos putains qui sont les plus belles de toute la chrétienté. […] — […] Je viens voir où en sont les travaux de l’église Notre-Damea. |
a. R. Queneau, Les Fleurs bleues, ouvr. cité, p. 18. |
55Cette version, qui précède la séquence du « cheval parlant », a été entièrement supprimée dans le premier chapitre de la version définitive, où il n’y a qu’une courte allusion aux travaux en cours de Notre-Dame. D’ailleurs l’allusion à la Sainte Chapelle est réduite et déplacée dans le deuxième chapitre, dans lequel l’église est réintégrée dans son contexte historique :
Il est grand temps que nous quittions cette ville, dit le duc. Nous avons vu les travaux de Notre-Dame, admiré la Sainte Chapelle, ce joyau de l’art gothique, rendu hommage comme il faut à notre saint roi, tout cela est fort bien, mais je sens que cela va se gâter avec la population […]64.
56Cette condensation/suppression montre que la description des travaux de la ville et les allusions aux événements futurs disparaissent au profit d’une courte allusion à l’église Notre-Dame.
57Mais il ne s’agit pas d’une simple réduction. Dans le premier manuscrit, l’allusion à l’histoire de la Sainte Chapelle confère une autre nature au personnage du duc, qui semble connaître déjà le futur.
58L’hypothèse de trois temps (passé, présent et futur) qui s’alternent dans la narration n’était donc pas restée à l’état de projet : les premiers chapitres du roman cachent sans doute des éléments préparatoires au développement du voyage dans le futur que Queneau avait déjà mentionné dans le plan du 7 décembre 1964. Ainsi l’avenir est évoqué par le personnage du duc d’Auge et détermine un développement de la séquence tout à fait différent par rapport à sa version définitive.
59Cette idée d’une coexistence de passé/présent/futur n’est pas tout à fait abandonnée : dans l’histoire du duc, l’évocation de l’avenir se trouve déplacée du niveau narratif au niveau linguistique. Queneau donne en effet au duc la faculté de « néologiser », comme l’on peut voir dans le dialogue avec l’abbé, où D’Auge semble inventer des mots qui n’existent pas à son époque : la connaissance de ces faux néologismes ou parachronismes linguistiques que manifeste le duc montre qu’il connaît les époques à venir :
Je rêve souvent que je suis sur une péniche, je m’assois sur une chaise longue, je me mets un mouchoir sur la figure et je fais une petite sieste.
— Sieste… mouchoir… péniche…qu’est-ce que c’est que tous ces mots-là? Je ne les entrave point.
— Ce sont des mots que j’ai inventés pour désigner des choses que je vois dans mes rêves.
— Vous pratiqueriez donc le néologisme, messire?
— Ne néologise pas toi-même : c’est là privilège de duc. Aussi de l’espagnol pinaça je tire pinasse puis péniche, du latin sexta hora l’espagnol siesta puis sieste, et à la place de mouchenez que je trouve vulgaire, je dérive du bas-latin mucare un vocable bien françoué selon les règles les plus acceptées et les plus diachroniques.
— Nous voilà bien loin de l’onirologie […]65.
60Si toute référence à l’accusation de sorcellerie a été soumise à excision, la deuxième partie de l’épisode de l’hôtellerie, à savoir la séquence du cheval parlant, exemplifie les processus de concision, segmentation et déplacement. L’épisode présente en effet une structure plus dynamique que sa version définitive et l’excision se produit par la suppression de toute une partie, c’est-à-dire le procès du cheval et du valet d’écurie, qui détermine la réhabilitation du duc suspecté de sorcellerie. La suppression de cette partie contraint Queneau à modifier la fin et influe donc sur la progression de la narration. Ainsi réduite, la séquence est syncopée en deux micro-séquences qui sont incluses dans les deux premiers chapitres.
61L’une des hypothèses qui peut expliquer le travail rédactionnel sur cette séquence dérive d’un conditionnement structurel probable : on sait que Queneau répartissait minutieusement les occurrences de chaque personnage dans chaque chapitre afin de faire rimer les personnages et les situations de la même façon que les mots dans la poésie. On peut donc avancer que la longueur de cette séquence déterminerait un déséquilibre diégétique par rapport à la présence des personnages et affaiblirait la rime sémantique qui caractérise le roman quenien. Au-delà d’une exigence structurelle, on peut aussi envisager la nécessité d’une plus rapide superposition entre les deux dimensions : rompre la linéarité du récit crée donc un effet de suspension qui soutient la narration fluctuante des premiers chapitres, où l’auteur ne peut pas révéler ses plans trop vite au lecteur.
62Parmi les séquences qui ont été soumises à une transformation substantielle, on peut mentionner également l’épisode des deux Canadiens, puisqu’il a été réduit et déplacé du deuxième au premier chapitre. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une segmentation mais d’un simple déplacement de toute la séquence, sa condensation détermine des transformations stylistiques considérables. Ainsi, dans le premier manuscrit, l’épisode est placé au début du deuxième chapitre et impose une focalisation tout à fait différente par rapport à la version définitive, car le point de vue adopté initialement est celui de deux Canadiens qui nous permettent de voir le personnage qui somnole :
Deux nomadesPerdus dans un désert peuplé d’automobiles voraces mais ˂d’utilité nulle pour ce qui était de donner des renseignements˃ peu renseigneuses, deux nomades aperçurent un homme qui somnolait sur la seine, une péniche entre les deux, ou tout du moins ce qui fut une péniche. Comme l’homme semblait quelque peu agité, frémissant, sursautant sur sa chaise longue, comme astiqué de tics, et comme d’autre part, on approchait des quatre heures et que, par conséquent, il ne serait pas indécent de le réveiller et de sortir de sa sieste, les deux nomades poussèrent la petite porte en bois et son inscription Sam Suffy et descendirent le talus de la berge, prirent la passerelle qui surplombait de cinquante centimètres un fleuve fangeux et se trouvèrent ainsi sur le pont de la péniche qui se nommait simplement l’Arche66.
Cette séquence sera considérablement réduite dans la version définitive :
Le duc mangea copieusement, puis il alla se coucher et dormit de fort bon appétit.
Il n’avait pas encore terminé sa sieste que deux nomades le réveillèrent en l’interpellant du haut de la berge. Cidrolin leur répondit par signes, mais sans doute les autres n’entendaient-ils pas ce langage, car ils descendirent le talus jusqu’à la planche passerelle et montèrent sur la péniche. Il y avait un campeur mâle et un campeur femelle67.
63Or, ce segment descriptif a été soumis à un procédé de réduction. Dans le premier état génétique, la longue description et la focalisation externe permettaient au lecteur d’appréhender cet épisode en tant qu’épisode réel et de situer les voyageurs et Cidrolin sur le même plan, tandis que dans la version définitive, par la focalisation interne, le lecteur partage le point de vue de Cidrolin et n’arrive pas à déterminer si les deux visiteurs sont les projections oniriques du personnage :
Et Sidolin continue à penser comme ça; il y a des rêves comme ça, ils se déroulent comme les événements les plus infimes et les moins marqués de la vie quotidienne,
et puisc’est des choses dont on se souvient même plus de la vie éveillée, de la vie éveillée on ne retient pas des choses comme ça, et pourtant des rêves il reste parfois de ces récits insignifiants et qui n’intéressent strictement personne. Et Sidolin se demande si – peut-être – il n’avait pas rêvé.
Mais comment le savoir?
On pouvait rêver comme lui. Quant à s’en aller au camp des nomades, regarder dans les tentes et dans les caravanes pour retrouver ce duo, ça ne l’amusait pas même au prix d’une grande vérité68.
64Cette version diffère du texte imprimé en ce qui concerne le style énonciatif et la construction du discours de Cidrolin sur le rêve. La première version a une certaine spontanéité, qui se manifeste par un effet d’oralité créé par l’emploi du discours indirect libre qui fait avancer le faux-raisonnement de Cidrolin. Dans le texte définitif, la séquence est transformée en dialogue entre Cidrolin et Lamélie qui joue le rôle d’une fausse auditrice, dialogue qui introduit un changement de perspective dans le roman :
— Ils vont revenir? demanda Lamélie.
— Je ne crois pas. Non, ils ne reviendront jamais. Qu’est-ce que j’en aurais fait? Ils sont à peine partis que c’est tout juste si je me souviens d’eux. Ils existent pourtant, ils méritent sans doute d’exister. Ils ne reviendront jamais s’égarer dans le labyrinthe de ma mémoire. C’était un incident sans importance. Il y a des rêves qui se déroulent comme des incidents sans importance, de la vie éveillée on ne retiendrait pas des choses comme ça et cependant ils intéressent lorsqu’on les saisit au matin se poussant en désordre contre la porte des paupières. Peut-être ai-je rêvé?
Lamélie n’avait pas à lui dire oui ou non; d’ailleurs elle n’avait pas attendu la fin de ce discours69.
65Queneau supprime la référence aux vérifications que Cidrolin pourrait entreprendre pour démontrer l’existence réelle des deux Canadiens, tandis que la curiosité de Cidrolin, dans la version imprimée, s’arrête sur une question sans réponse : « Peut-être ai-je rêvé? » Queneau élimine ainsi toute hypothèse possible sur les deux visiteurs, qui restent de la sorte des présences peu déterminées afin de rendre le roman le plus flou possible.
66Ce remaniement explique en conséquence les modifications apportées à l’épisode des Canadiens du troisième chapitre, qui résulte d’une transformation complexe de la version du premier manuscrit. Dans celui-ci, le troisième chapitre fait suivre sans alternance les longues séquences de Cidrolin et du duc : ainsi la séquence de Cidrolin comprend le dialogue avec le passant (f. 34-36) et la rencontre avec la Canadienne (f. 38-41), tandis que toute la séquence du duc qui suit immédiatement s’organise autour de la rencontre avec le roi Louis IX.
67Dans le passage à la version définitive, Queneau anticipe au deuxième chapitre le dialogue avec le passant et fait commencer le troisième chapitre par la rencontre de Cidrolin avec la Canadienne : c’est le remaniement de la succession des séquences et de leur modalité de superposition qui détermine ainsi la « disjonction entre les segments du texte » dont parle Iser et qui, dans le roman quenien, répond à la nécessité formelle d’imposer une structure binaire. Ces « zones d’indétermination » sont d’autant plus évidentes si l’on compare dans deux versions du texte le passage d’une séquence à l’autre. Dans le premier manuscrit70, la transition du dialogue avec le passant à la rencontre avec la Canadienne, qui se déroule dans la même dimension (Cidrolin), se réalise par la description longue et détaillée des phases qui précèdent la sieste de Cidrolin :
Premier manuscrit | Texte édité |
Chap. III, f. 37 C’est écœurant, oui, encore un dfoutu. Il n’en verra donc jamais la fin. Heureusement, reusement qu’il a la sieste pour se | Chap. II, p. 31 Cidrolin soupire et murmure: — Encore un de foutu. — Que mange-t-on en votre taverne de luxe ? demande le duc d’Auge. […] |
f. 38 « hou ! hou ! », un houhou qui se rapproche, ses pas sur la passerelle, et puis : — Msieur ! msieur ! Il entend un mesieumesieu tout près, c’est une voix de femme qui l’a dit. Il va falloir qu’il enlève son mouchoir de dessus sa face, qu’il ouvre les yeux, qu’il se lève, qu’il parle. Il marmonne : — Encore un dfoutu C’est rare qu’il ait à dire ça d’une sieste, parceque sa sieste c’est très respecté, on ne le dérange jamais. Qui ose, qui a le culot de venir ainsi troubler son somme méridien ? <On n’ose, on ne trouble pas> Il a tout de suite deviné : c’est la Canadienne, la nomade. Eh bien, non ce n’est pas la Canadienne, la nomade ; en fait, il ne la reverra jamais cette Canadienne, cette nomade. Il enlève son mouchoir de dessus sa face, il ouvre les yeux, il se lève, il se tourne vers la personne qui a crié « hou hou » puis « msieu msieu ». Effectivement, c’est une Canadienne, une nomade. | Chap. III, p. 37 — Hou hou, cria-t-on. Cidrolin ne bouge pas ; sa respiration fait se soulever à petits intervalles réguliers le mouchoir dont il s’est couvert le visage. — Hou hou, cria-t-on plus fort. — Encore une Canadienne et son joueur de banjo, murmura Cidrolin sous son mouchoir. — Hou hou. C’est un hou hou qui se rapproche. — Elle est seule. Elle ne manque pas de culot. Cidrolin se décide à sortir de sa sieste. Il baille et se lève. […] |
68La minutieuse description qui précède le dialogue avec la Canadienne est donc soumise aux procédés de concision, de segmentation et de déplacement. Par concision, Queneau élimine aussi bien les phases de préparation à la sieste que toute considération du narrateur qui occupe la deuxième partie. Dans la version définitive, le lecteur n’accède pas progressivement à la séquence de Cidrolin, mais il passe d’une histoire à l’autre sans aucune phase intermédiaire. Le procédé auquel Queneau soumet ce texte permet d’aborder le processus de saturation sémantique qui caractérise la révision des descriptions dans le roman. Il ne s’agit pas seulement d’un processus de réduction quantitative, mais aussi d’un processus d’assemblage diégétique qui recèle une variation sémantique.
3.4 Saturation sémantique de la description
69La description possède une « structure hiérarchique non linéaire71 » qui trouve son degré zéro dans l’inventaire conçu en tant qu’énumération des parties et/ou des propriétés d’un tout. C’est par des « procédures de mise en séquence » que la description acquiert une structure arborescente puisque le thème-titre72 qui « garantit l’unité sémantico-référentielle de la séquence » et domine celle-ci peut être « soumis à une ou à plusieurs reformulations73 ». Parmi les opérations de reformulation qui, avec l’ancrage référentiel et l’affectation, assurent l’unité d’une séquence descriptive, on distingue la reformulation qui, agissant par condensation, donne lieu à la dénomination, de celle qui trouve dans l’expansion son mécanisme de fonctionnement et produit une définition74. Ainsi, la reformulation par expansion agit par les opérations d’aspectualisation, de mise en relation et de sous-thématisation. Si l’aspectualisation produit aussi bien la fragmentation des éléments du sujet de la description que la thématisation (« attribution d’une ou de plusieurs propriétés au thème-titre75 »), la mise en relation permet de faire remarquer le principe qui règle l’association entre les parties et le tout. Mais c’est surtout l’opération de sous-thématisation qui permet l’expansion descriptive, car « une partie sélectionnée par aspectualisation peut être choisie comme sous-thème et, à son tour, envisagée sous différents aspects : propriétés éventuelles et sous-parties76 ».
70Il faut d’abord remarquer que la description quenienne dans les Fleurs bleues accomplit plusieurs fonctions : par l’emploi d’un métalangage implicite, la description oriente la lecture, elle participe au passage d’une dimension à l’autre, assurant l’architecture binaire du roman, et détournée de sa fonction explicative, elle accroît l’ambiguïté du texte. Ainsi, étant donné le lien entre métalangage et système descriptif77, dans le roman quenien les descriptions sont souvent surchargées par des termes, adjectifs ou substantifs, qu’Hamon appelle « embrayeurs génériques » du texte78. Répondant à un métalangage implicite, ils renvoient à une « prescription (de lecture) » plutôt qu’à une description.
71Parmi les séquences descriptives soumises à reformulation, il faut prendre en compte les segments narratifs qu’on appellera segments charnière car ils articulent le passage d’une histoire à l’autre. Si l’on confronte le premier manuscrit et la version éditée, on s’aperçoit que le roman a été soumis à un procédé soustractif, comme le démontre le segment charnière qui introduit la deuxième séquence du duc :
Il ne répond pas, sa chaise-longue l’attend sur le pont. Il y a un petit toit protecteur, l’eau coule emportant les débris
d’autres repas< les repas d’autres>, les autos roulent sur le boulevard qui longe le fleuve. Sidolin se couvre le visage d’un mouchoir etil atteint bientôtle voilà bien vite en vue des murailles de la ville capitale. Sthène hennit “quoi? ”
Le sire de Ciry s’est doucement éveillé <et mal y pense, sot mal y pense> il a un peu mal au cœur à cause de la mangouste bayonnaise, il ne sait d’ailleurs pas ce que c’est.
— Chouette, dit Sthène, nous y voilà mais maintenant je vais taire ma gueule.79
72Le premier manuscrit inclut en effet une description, absente dans la version définitive, de la chaise-longue et des éléments du paysage autour de Cidrolin (nommé encore Sidolin). Les références tant au toit protecteur et à son étrange fonction qu’à la circulation ont été omises dans le passage à la version définitive. Alors que la description fonctionne souvent en tant qu’échangeur de focalisation pour assurer le passage d’un personnage (P1) à l’autre (P2), Queneau essaie donc dans ce segment narratif d’obtenir l’effet contraire puisqu’il accentue la focalisation sur le personnage de Cidrolin (P1) avant de passer à la séquence du duc d’Auge (P2).
73Dans ce cas, le passage d’un personnage à l’autre se réalise ainsi par une accentuation de la focalisation sur le personnage qui s’endort (P1), ce qui permet le passage progressif au duc d’Auge « qui s’éveille doucement ». Mais dans la version définitive, Queneau supprime le segment descriptif et transforme le segment charnière cité en : « Il ne répond pas; sa chaise longue l’attend sur le pont. Il se couvre le visage d’un mouchoir et le voilà bientôt en vue des murailles de la ville capitale, sans se préoccuper du nombre des étapes. — Chouette, s’écria Sthène, nous y sommes80. » La suppression du segment descriptif instaure une focalisation basculante où l’emploi du pronom « il » suscite l’ambiguïté de l’axe narratif, qui peut appartenir en même temps à P1 et à P2 : si c’est Cidrolin qui se couvre le visage d’un mouchoir, ce n’est pas lui qui se trouve en vue des murailles de la ville capitale même si l’emploi de la conjonction « et » demande l’identité du sujet.
74Dans le roman, la description garantit le fonctionnement romanesque de la structure binaire et constitue la première étape des segments charnière qui, dans le manuscrit, réitèrent toujours le même schéma, faisant succéder à la description l’interruption du rêve du personnage qui se réveille. Au-delà des exceptions, les descriptions, bien moins longues que dans le manuscrit, respectent aussi leur fonction traditionnelle d’échangeur de focalisation81, même si elles produisent toujours un certain dépaysement réceptif résultant de l’élision ou de la réduction par rapport au premier manuscrit. Ainsi l’épisode des Canadiens anticipé au premier chapitre de la version définitive permet d’observer le procédé de réduction d’un segment descriptif et de mieux analyser le poids de la focalisation dans l’assemblage du texte. Dans le premier manuscrit, l’épisode est placé au début du deuxième chapitre et impose une focalisation absente de la version définitive : le point de vue des deux personnages s’approchant de Cidrolin :
« Ms très lacunaire », Fonds Queneau, cote D art 17_2_ 2, f. 17
Premier manuscrit | Texte édité |
A l’intérieur, il y avait quelque activité. Les deux nomades n’eurent pas besoin de parler, Sidolin ouvrit les yeux; il les vit (les nomades, pas ses yeux). — Vous désirez? — Esquiouze euss, mà wie sind lost. — Bon début, dit Sidolin. | Le duc mangea copieusement, puis il alla se coucher et dormit de fort bon appétit. Il n’avait pas encore terminé sa sieste que deux nomades le réveillèrent en l’interpellant du haut de la berge. Cidrolin leur répondit par signes, mais sans doute les autres n’entendaient-ils pas ce langage, car ils descendirent le talus jusqu’à la planche passerelle et montèrent sur la péniche. Il y avait un campeur mâle et un campeur femelle. — Esquiouze euss, dit le campeur mâle, mà wie sind lost. — Bon début, réplique Cidrolina. |
a. R. Queneau, Les Fleurs bleues, ouvr. cité, p. 18 |
75Dans la version manuscrite de l’épisode, Queneau choisit alors le point de vue des deux visiteurs en imposant une distanciation qui a pour fonction de faire comprendre dans quelle dimension se situe le passage : tandis que Cidrolin (P1) fait la sieste et suggère donc une possible progression de l’axe du duc d’Auge (P2), l’histoire de Cidrolin s’attarde sur l’épisode des deux Canadiens. Mais cette séquence est en quelque sorte hybride et, si l’on veut, détachée des deux axes narratifs, car elle n’appartient ni au duc, ni au duc qui rêve de Cidrolin, ni à Cidrolin qui rêve du duc parce que son sommeil a été interrompu. La description ainsi saturée permet donc d’accroître l’ambiguïté de certains passages et remplit une fonction diégétique qui assure la bonne marche du roman. La description quenienne est alors démarquante82 et elle est en fin de compte encadrée par deux énoncés narratifs en corrélation qui coïncident avec la montée des Canadiens sur la péniche de Cidrolin et leur descente. Le schéma proposé par Hamon peut être ainsi simplifié :
8376Dans le premier manuscrit, la description de la montée sur la péniche, bien plus détaillée que dans la version définitive, est introduite par l’ouverture de la porte de bois qui joue le rôle de frontière entre l’espace pseudo-réel des Canadiens et l’espace de Cidrolin. Il faut toutefois remarquer que la réduction de la description trouve son explication dans la réflexion de Cidrolin sur la nature de cet épisode : dans le manuscrit, la longue description et la focalisation externe permettent au lecteur de distinguer l’épisode en tant qu’épisode réel bien qu’à la fin Cidrolin se demande « si – peut-être – il n’avait pas rêvé » (« Ms très lacunaire », Fonds Queneau, cote D art 17_2_ 2, f. 23), tandis que dans la version définitive, par la focalisation interne, le lecteur partage le point de vue de Cidrolin et n’arrive pas à déterminer si celui-ci a rêvé ou non les Canadiens.
77La description n’est donc rien d’accessoire mais devient un outil d’échafaudage romanesque. Les romans comme Le Vol d’Icare le mettent particulièrement en évidence, car dans ce dernier, la révision de Queneau atteint des proportions massives, surtout en ce qui concerne le portrait du personnage d’Icare. En effet, les notes préparatoires et les deux manuscrits démontrent une certaine difficulté dans la définition d’Icare déterminée par son double statut par rapport au roman, car Queneau unit à sa fonction canonique de personnage celle d’être de papier qui s’enfuit des pages du roman que l’écrivain Hubert Lubert est en train d’écrire pour commencer une existence nouvelle avant de retourner à son état. L’oscillation entre les dimensions du réel et de la fiction qui s’alternent dans le roman aboutit à une collision provoquée par la présence d’Icare qui – comme le remarque Claude Debon – essaie de construire son existence réelle sans résoudre l’ambiguïté des deux dimensions : « Si Icare vit sa vie, passe du fictif au réel, il ne fait jamais que la démonstration du caractère réel de la fiction, ou du caractère fictif de la réalité romanesque : parti du manuscrit, Icare reste dans le livre et retourne au manuscrit […]84. »
78La fin du roman révèle ainsi la toute-puissance de l’écrivain face à sa création qui, au lieu d’être indépendante de la volonté de son créateur, en suit le dessein préétabli : « Hubert, refermant son manuscrit sur Icare — tout se passa comme prévu; mon roman est terminé85. »
79La structure métalittéraire et la nécessité d’une progression simultanée du roman réel et du roman fictionnalisé de Hubert Lubert contraignent Queneau à revoir à plusieurs reprises les descriptions du personnage pour mieux réaliser sa double nature et permettre, à la fin du roman, la superposition des dimensions questionnées.
80L’analyse des premières ébauches du roman et des manuscrits permet de retracer les phases de construction du personnage d’Icare, qui perd beaucoup de ses traits distinctifs au fur et la mesure que Queneau réduit l’état d’avancement du roman de Hubert Lubert. Dans les premières ébauches (« Fragments », Fonds Queneau, cote D art 18_2_1) du premier chapitre, Hubert Lubert (nommé encore Laubert) perd son personnage après avoir écrit plusieurs pages :
f. 17
Je veux dire ce que vous entendez. Ce matin, je me mets à ma table pour écrire la p. 239 de mon roman Le vol d’Icare lorsque je découvre pou! pfft! que Lécuchet avait disparu!
f. 21
A.
Mais mon cher vous vous moquez vous raillez
L.
Hélas non, je ne plaisante pas. Ce matin au moment d’écrire la p. 777 de mon prochain roman Le Vol d’Icare, qu’est-ce que je constate que … plus d’Icare! envolé! c’est le cas de le dire! enfin je veux dire Lécuchet. Plus de Lécuchet! Mon personnage principal! […]
81Toutefois, dans le premier manuscrit, Queneau modifie la séquence : Lubert affirme n’avoir conçu que 17 pages environ et lit à Moncol certains passages de son manuscrit. C’est donc dans ce premier dialogue avec Moncol et dans le manuscrit reporté qu’on peut identifier une première description d’Icare :
Moncol
Mille excuses… mais revenons au fait. Comment se présente votre Icare?
Lubert
Je m’attendais à cette question et je vous ai apporté la page 17 de mon manuscrit.
[…] alors je vais vous lire cela.
« Icare appartenait à la trentaine. Svelte, il ne négligeait ce que les anglais appellent le sport, un vieux mot français d’ailleurs les desport. Il pratiquait l’escrime, la boxe française et la natation en Seine. Intelligent, il ne négligeait pas sa culture et suivait les cours de […] au Collège de France. Riche, il ne négligeait pas sa fortune et suivait les cours de la Bourse où il faisait chaque jour une apparition » (s’interrompant) Tiens86.
82Cette description, qui procède par une chaîne anaphorique (constituée par un adjectif suivi par « il ne négligeait pas » et par le complément objet), n’est pas physique mais insiste sur les attitudes du personnage qu’intéressent le sport et la culture, et sur son statut social résumé par l’adjectif « riche ».
83Mais c’est un passage raturé dans le manuscrit de Lubert qui offre une description plus précise, bien que Lubert n’arrive pas à déchiffrer certains mots :
Je vais vous dire cela. Un personnage que j’ai rayé. Voyons voir, p. 17 bis Icare n’était ni précisément brun, ni précisément blond. Son nez aquilin euh … des mots illisibles… sa bouche bien dessinée… une moustache fine et soignée … des oreilles bien collées. Encore du gribouillis… bref un garçon [
illisible] <très bien de sa personne >87.
84Et lorsque Moncol demande au romancier une description plus précise (/Tout cela est insuffisant! Sa famille! ses relations! ses amis! ses habitudes! son vêtement! (à part lui) quel drôle de romancier/ f. 27) Lubert lui répond : « Son père est ingénieur, sa mère de la petite noblesse (il s’arrête avec un soupir). Le plus simple c’est de vous faire lire les 250 premières pages de mon manuscrit88. »
85C’est tout au cours de la rédaction (« Ms. Lacunaires », Fonds Queneau, cote D art 18_2_2, f. 33-36) que Queneau rature toute référence à une histoire déjà arrangée et toute référence à un manuscrit bien avancé, lui substituant un roman à peine amorcé où il n’est pas possible de retrouver de description précise d’Icare :
86Dans le passage à l’état définitif du texte, Queneau opère donc une réduction significative de la description d’Icare : Hubert Lubert, qui a à peine esquissé son personnage, substitue à sa description les caractéristiques hypothétiques qu’il lui aurait attribuées dans le roman et qui sont introduites par l’emploi d’expressions fonctionnant en tant que signaux introductifs (« Je voudrais », « Je ne suis pas encore décidé », « Je crois », « Je comptais »). Il ne s’agit donc pas d’une simple réduction, mais plutôt d’un processus complexe qui substitue à la retranscription d’un hypotexte in absentia (le manuscrit d’Hubert Lubert) le projet d’une description encore à développer. Cet appauvrissement descriptif concerne plusieurs aspects du personnage d’Icare, par exemple sa formation :
Premier manuscrit | Texte édité |
Icare se levait toujours le premier, car LN flemmait au pieu jusqu’à des heures hindoues, comme elle le disait plaisamment car de ses origines modestes elle avait gardé le goût des calembours bons, Icare se montrait beaucoup plus austère en matière de langage. Quoique destiné à une carrière scientifique, son forgeron-père lui avait fait faire des études classiques estimant que la culture ne s’improvise pas […]. Inutile de dire qu’il connaissait par cœur les cinq chefs d’œuvres de Corneille, les six de Racine et les sept de Molière sans compter Le lac de Lamartine qu’il n’aimait d’ailleurs pas à cause du « suspends ton vol » impératif qui lui déplaisait sans savoir pourquoi. Icare donc choquait parfois des intempérances langagières d’LN, mais, le matin, c’est-à-dire vers les onze heures midi, il ne risquait rien puisqu’elle pionçait à poings fermés. Il descendit acheter des croissants, du beurre et une miche de pain, le tout à crédit car il avait une bonne tête et, en ce temps-là, le crédit n’avait pas été tué par les mauvais payeurs et le commerce à la petite semaine s’attendrissait facilement devant une gueule sympathique. | Icare se levait le premier, il descendait s’acheter des croissants à crédit, lequel n’avait pas encore été tué par les mauvais payeurs. Il remontait se confectionner du café et petitdéjeunait tandis qu’LN dormait encore. Ensuite il lisait son traité de mécanique rationnelle avec d’autant plus de plaisir qu’il le comprenait moins. LN s’éveillait ensuite, ce n’était alors que jeux et que ris, puis elle entamait sa journée non avec des croissants et du café mais avec de la salade de museau de bœuf […]a. |
Le Vol d’Icare, « Ms. Lacunaires », Fonds Queneau, cote D art. 18_2_2, f. 105 | |
a. R. Queneau, Le Vol d’Icare, ouvr. cité, p. 102. |
87La rédaction du chapitre XVII démontre bien le processus de réduction auquel Queneau soumet son roman : le premier manuscrit comporte en effet deux versions successives du même chapitre, dont la première, qu’on a proposée en extrait, est bien plus longue que dans la version définitive. Queneau élimine tout référence explicite à l’éducation d’Icare et toute allusion littéraire car il ne peut donner un passé au personnage d’Icare, qui acquiert son identité au fur et à mesure que la narration avance. L’exigence métalittéraire et le processus de fictionnalisation auquel Queneau soumet son écriture déterminent alors tantôt la contraction, tantôt la banalisation de plusieurs passages descriptifs, qui n’ont plus la fonction d’éclaircir ou de nous présenter le personnage d’Icare mais paradoxalement de le rendre indéfinissable, inachevé. La description se charge alors d’un sens bien plus complexe : si par Le Vol d’Icare Queneau construit une critique du roman de fin de siècle, il prend aussi ses distances par rapport au nouveau roman en menant au paradoxe la dépersonnalisation du personnage, qui n’a pas de traits physiques, pas d’identité, et que Queneau dans le chapitre IX nous présente nu comme un ver.
88Mais la réduction des traits physiques et psychologiques donne alors au personnage d’Icare une sorte de virtualité anonyme, point de départ d’une transformation qu’Icare réalise par degrés différents d’accès à la réalité et qui lui permet de comprendre sa nature d’être de fiction. Grâce à cette nature dynamique qu’il partage avec tous les autres personnages queniens, Icare cherche à atteindre une existence réelle au fil d’un parcours qui se révèle pour finir illusoire, car bien que le héros quenien soit par définition un être qui se cherche, cette conquête de soi peut être interprétée comme prise de conscience de sa pseudo-existence, de l’impossibilité d’exister hors des pages du livre.
89À titre d’exemple des transformations d’Icare, on peut sans doute citer la séquence de la taverne « du Globe et des Deux Mondes », où Icare est mis à l’épreuve dans la préparation de l’absinthe. Cette taverne représente un lieu initiatique et, d’un point de vue narratif, l’espace romanesque de collision entre la fiction et le réel. Suivant un principe d’inversion, dans la taverne les personnages du roman sont identifiés par leur nom, tandis que les personnes réelles ne sont pas nommées mais désignées par l’appellatif général de « consommateur ». Dans Le Vol d’Icare, la fiction et la réalité échangent leurs caractéristiques pour mieux construire la superposition finale. Le rite de l’absinthe se révèle ainsi capital pour la fictionnalisation du personnage d’Icare :
Vous posez la cuiller sur le verre dans lequel repose déjà l’absinthe, puis vous mettez un caillou de sucre sur ladite cuiller dont vous n’avez pas été sans remarquer la forme singulière. Puis vous versez de l’eau très lentement sur le caillou de sucre, lequel se met à fondre et goutte à goutte une pluie fécondante et saccharifère tombe dans l’élixir qu’il rend nuageux. Vous reversez à nouveau de l’eau, qui perle, qui perle, et ainsi de suite jusqu’à ce que le sucre soit fondu et que l’élixir n’acquière pas une consistance trop aqueuse. Regardez, mon jeune ami, l’opération s’effectuer… une inconcevable alchimie…90
90La préparation de l’absinthe devient dans le roman quenien un processus alchimique qui permet la métamorphose d’Icare : la transmutation des composants (sucre, eau, absinthe) par degrés progressifs produit un élixir qui donne à Icare une imagination active et lui permet de « rêver » et de manger du « fromage de tête ». La référence à l’activité onirique et son rapport avec l’absinthe constitue le thème du monologue dans lequel Icare exalte les vertus de l’élixir :
Je comparerai volontiers l’absinthe à la montgolfière. Elle élève l’esprit comme le ballon la nacelle. Elle transporte l’âme comme le ballon le voyageur. Elle multiplie les mirages de l’imagination comme le ballon les points de vue sur la sphère terrestre. Elle est le flux qui emporte le rêve comme le ballon se laisse guider par le vent. Buvons donc, nageons dans le flot laiteux et verdâtre des images oniriques désagrégées, en compagnie des habitués qui m’entourent : leur face est sinistre, mais leur cœur absinthé s’absente le long d’abscisses abstruses et peut-être abyssines91.
91Cette séquence synthétise ainsi la théorie bachelardienne de l’eau considérée « vraiment l’élément transitoire » car « il est la métamorphose ontologique essentielle entre le feu et la terre92 ». Le monologue d’Icare réalise en effet ce que Bachelard appelle l’imagination matérielle : Icare associe par similitude des objets qui n’ont aucune relation, en termes de matière, avec l’absinthe. Cette imagination est un acte de liberté parce qu’elle permet de transformer une image pour en inventer une autre. Ainsi, après cette expérience alchimique, le personnage absorbé dans ce flux onirique change d’état. En effet, en accord avec les théories de Bachelard, la métamorphose d’Icare assume une sorte de valeur cosmogonique, car « Quand une rêverie, quand un rêve vient s’absorber ainsi dans une substance, l’être entier en reçoit une étrange permanence. Le rêve s’endort, le rêve se stabilise. […] il se cosmose93. » Une autre version de ce monologue qu’on trouve dans le premier manuscrit du roman indique une certaine prolifération des similitudes qui accroît le pouvoir imaginatif de l’absinthe :
Je comparerai volontiers l’absinthe à la montgolfière. Elle élève l’esprit comme le ballon soulève le corps. Transporte l’âme comme le ballon support le voyageur. Elle multiplie les données de l’imagination comme le ballon forme des vues circulaires. Elle exalte les idées comme le ballon la respiration quand la pression atmosphérique s’abaisse.
Elle est le moteur du rêve comme le ballon profite des courants d’air pour se déplacer au dessus des montagnes et des océans. Je comparerai encore l’absinthe à une sauterelle qui vous porterait sur son dos pour faire faire des sauts acridiens, ou bien encore la dernière lueur du soleil au dessus de l’horizon qui a […].Elle est le flux qui emporte le rêve comme le ballon se laisse guider par le vent. Rêvons donc, nageons dans le flot laiteux et verdâtre des images oniriques et patentées, en compagnie des joyeux compagnons qui m’entourent : leur face est sinistre, mais leur cœur absinthé s’absente le long d’abscisses abstruses et peut-être abyssines…94
92La présence du verbe « rêver » à la place du définitif « boire » et l’association de l’un et l’autre au verbe « nager » démontrent la fonction interchangeable du rêve et de l’eau comme générateurs du flux de l’imagination. C’est dans le rêve en effet que, selon Bachelard, naît la passion esthétique, et c’est le rêve qui précède la véritable contemplation parce qu’« on ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu’on a d’abord vus en rêve95 ». Le monologue d’Icare ne témoigne donc pas d’une ivresse irrationnelle et onirique mais révèle sa capacité de créer des images, et en ce sens, il préfigure un processus cosmogonique qui fait clairement allusion à la création. Cette lecture cosmogonique trouve un écho dans l’allusion au paradis terrestre qu’on retrouve dans les notes du cahier préparatoire. Le 14 novembre 1965, Queneau écrit :
L’auteur retrouve Icare.
« qu’as-tu fait? Tu n’as pas agi comme je le désirais? Tu es ma créature et tu m’as désobéi ».
Icare a mangé le fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal qui est au milieu du jardin.
« Le voilà devenu semblable à l’un de nous pour la connaissance du Bien et du Mal. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger et de vivre éternellement96.
93Queneau choisit alors, dans le passage au texte définitif, de substituer au fruit de la connaissance l’absinthe, un philtre « qui console, hélas, et qui fait vivre, c’est le but de la vie et c’est le seul espoir qui, comme un élixir – c’en est un d’ailleurs – nous monte et nous enivre et nous donne le cœur de marcher jusqu’au soir97 ». Après l’intervention de LN, la femme tentatrice qui substitue Ève, Icare, détenteur d’un pouvoir qui lui manquait – la capacité d’imaginer –, entre dans une autre existence. Ainsi, de produit de l’imagination d’autrui, Icare devient sujet imaginatif au point qu’il se sent « devenir poète98 ».
Notes de bas de page
1 Cf. G. Genette, Palimpsestes. La Littérature au second degré, 1982.
Genette distingue cinq formes de ce qu’il appelle la transcendance textuelle : l’intertextualité, explorée par Julia Kristeva, qui indique une relation de coprésence d’un texte dans un autre et s’explicite par la citation, le plagiat ou l’allusion ; la paratextualité, à savoir la relation entre le texte et son paratexte (titre, paragraphe, prière d’insérer, etc.) ; la métatextualité, « qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer » (p. 11) ; l’hypertextualité, c’est-à-dire « toute relation unissant un texte B (hypertexte) à un texte antérieur A (hypotexte) sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire » (p. 13) ; l’architextualité ou l’« ensemble des catégories générales, ou transcendantes […] dont relève chaque texte singulier » (p. 7).
2 Voir G. Genette, Palimpsestes, ouvr. cité, p. 335-340.
3 Ibid., p. 328.
4 Ibid., p. 332.
5 Genette note : « Il faut donc plutôt considérer l’extension thématique et l’expansion stylistique comme les deux voies fondamentales d’une augmentation généralisée, qui consiste le plus souvent en leur synthèse et en leur coopération, et pour laquelle je réservais le terme classique d’amplification » (ibid., p. 375).
6 L. Hay, La Littérature des écrivains : questions de critique génétique, ouvr. cité, p. 54.
7 I. Stewart, Dieu joue-t-il aux dés ? Les Nouvelles Mathématiques du chaos, 1994, p. 15. Stewart précise : « Les mathématiciens commencent à considérer l’ordre et le chaos comme deux manifestations distinctes d’un déterminisme sous-jacent. Et aucun des deux n’existe séparément » (p. 42).
8 M. Riffaterre, La Production du texte, 1979, p. 58.
9 R. Ingarden, L’Œuvre d’art littéraire, 1983.
10 W. Iser, L’Acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, 1985.
11 N. Batt, ouvr. cité, p. 197.
12 W. Iser, L’Acte de lecture, ouvr. cité, p. 338.
13 Ibid., p. 333.
14 Ibid., p. 352.
15 Iser poursuit ainsi : « Ceci se produit en général par le rejet d’une fonction qu’ils assument traditionnellement. La perspective narrative n’offre plus au lecteur les orientations directrices qui auraient pu servir de point de départ pour ses évaluations. La perspective des personnages ne lui présente plus une histoire linéaire qui permettait, en tant qu’action, la mise en évidence des normes et des valeurs représentées par les personnages », ibid., p. 359.
16 Hamon distingue la description, qui est un moment local, du descriptif conçu en tant que mouvement global : « l’essence du descriptif, s’il devait en avoir une, son effet, serait dans un effort : un effort pour résister à la linéarité contraignante du texte, au post hoc ergo propter hoc des algorithmes narratifs, au dynamisme orienté de tout texte écrit qui, du seul fait qu’il accumule des termes différents, introduit des différences, une vectorisation, des transformations de contenus », P. Hamon, Introduction à l’analyse du descriptif, 1981, p. 5.
17 A.-J. Greimas, Du sens II, 1983, p. 154.
18 Cf. M. Riffaterre, La Production du texte, 1979.
19 En parlant de la règle d’expansion qui caractérise les passages descriptifs, Riffaterre précise : « […] étant donné une phrase minimale (nucléaire, matricielle), chacune de ses composantes engendre une forme plus complexe », ibid., p. 57.
20 W. Iser, L’Acte de lecture, ouvr. cité, p. 321-322.
21 Voir A. Camus, « Pierrot mon ami », dans Le Mot d’ordre, 12 décembre 1942, repris dans Essais, p. 1928-1929 : « Les livres de Raymond Queneau sont des féeries ambiguës où les spectacles de la vie quotidienne se mêlent à une mélancolie sans âge. Quoique l’amertume ne leur fasse pas défaut, il semble que leur auteur se refuse toujours aux conclusions et qu’il obéisse à une sorte d’horreur du sérieux. »
22 M. Blanchot, « De l’humour romanesque », Le Journal des débats, 2 septembre 1942, p. 3.
23 Cavillac considère que le relativisme de la notion de vraisemblance découle du rapport variable selon les époques et les genres entre les vraisemblances structurelles et leurs variantes idéologiques et énonciatives.
24 Il faut remarquer les niveaux d’intervention des quatre catégories repérées par Andrée Mercier, Daniel Pernot et Cécilia Cavillac pour mieux comprendre la manière selon laquelle la transgression produit les blancs dans le texte quenien. En opérant au niveau du discours, la vraisemblance générique – qui désigne le respect des règles propres à un genre – et la vraisemblance diégétique – qui désigne « la cohérence de la mise en intrigue » – déterminent la structure de l’œuvre. Les catégories empirique et pragmatique, de nature idéologique et énonciative, concernent le rapport auteur/lecteurs tantôt dans le sens de la réception individuelle, tantôt en termes de conformité à la doxa et à l’expérience commune. La vraisemblance empirique porte « sur la conformité à l’expérience commune, mesurée à l’aune de la raison et/ou de l’opinion », C. Cavillac, « Vraisemblance pragmatique et autorité fictionnelle », Poétique, no 101 (février), 1995, p. 23-46, p. 24. En revanche, la vraisemblance pragmatique concerne « la fictivité de l’acte de narration », D. Pernot, « Vraisemblance », dans P. Aron, D. Saint-Jacques et A. Viala (dir.), Le Dictionnaire du littéraire, 2e édition revue et augmentée, 2004, p. 646-647. Voir aussi A. Mercier, « La vraisemblance : état de la question historique et théorique », dans Temps zéro. Revue d’étude des écritures contemporaines, nº 2, 2009, en ligne : <http://tempszero.contemporain.info/document393> (consulté le 13 août 2019
).25 Pierrot mon ami, « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 43.
26 Sur le rapport entre les énigmes et le fonctionnement romanesque, voir M.-L. Billot, « En quête d’énigmes dans Pierrot mon ami », dans Queneau aujourd’hui, ouvr. cité, p. 85-112. À propos de ce roman, voir aussi l’article de C. Debon : « Pierrot mon ami, roman des initiales ? », dans Lectures de Raymond Queneau, no 2, » Pierrot mon ami », Trames, 1989, p. 29-31.
27 En ce qui concerne l’assemblage diégétique, le roman de Queneau peut être considéré comme une articulation ou une variante du concept de roman intersectif proposé par l’écrivain : « On pourrait écrire un roman intersectif en prenant deux romans, en se donnant comme règle de ne se servir que de mots communs aux deux romans […]. Pour revenir à l’intersection, on pourrait également choisir celle des situations, des personnages, c’est-à-dire déterminer les situations qui sont communes aux deux romans, les personnages, les types de personnages, les décors, les paysages, les descriptions des objets et écrire un roman qui ne serait que l’utilisation de ce qui est commun à ces deux œuvres », R. Queneau, Entretiens avec Georges Charbonnier, ouvr. cité, p. 136-137.
28 En effet dans le roman quenien en général, et dans Pierrot mon ami en particulier, la prolifération diégétique et la multiplication des personnages se trouvent en rapport d’interdépendance, comme le remarque Queneau dans sa « Technique du roman » : « N’importe qui peut pousser devant lui comme un troupeau d’oies un nombre indéterminé de personnages apparemment réels à travers une lande longue d’un nombre indéterminé de pages ou de chapitres. Le résultat, quel qu’il soit, sera toujours un roman », Bâtons, chiffres et lettres, ouvr. cité, p. 27.
29 Cf. M. Bigot, Pierrot mon ami de Raymond Queneau, 1999, p. 43-52.
30 Cette adhésion à la réalité est confirmée par la description du Palace de la Rigolade de l’Uni-Park, qui reprend, mot par mot, celle du Palais du Rire du parc installé à la porte Maillot contenue dans l’essai « Philosophes et voyous » paru dans Les Temps modernes en 1951. Cf. Philosophes et voyous, dans Journal 1939-1940, texte établi par A.-I. Queneau, 1986, p. 223-238.
31 « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 15
32 Cité dans Histoire de la littérature française, tome II (xviiie, xixe, xxe siècles), 1988, p. 519.
33 « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 1.
34 P. Roger, « Le roman du populisme », dans Critique, 2012/1, no 776-777, p. 5-23.
35 Ibid., p. 6.
36 « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 11.
37 Ibid., p. 14.
38 Le nombre indéterminé de personnages et leur réalité illusoire constituent alors les axiomes du roman quenien : la condition sine qua non du personnage quenien est son existence illusoire. Ce statut flou permet de construire ainsi des personnages stéréotypés, c’est-à-dire des personnages fonctionnels, des personnages factices qui, comme le remarque Lecomte, ne s’accroissent ni dans leur vie professionnelle ni dans leur vie sociale, voir Nelly Lecomte, « La notion d’irréalité », dans D. Delbreil (éd.), Le Personnage dans l’œuvre de Raymond Queneau, ouvr. cité, p. 69. Sur le rapport entre personnage et existence, voir en outre A. Bergens, « Les personnages de Raymond Queneau », dans A. Bergens (dir.) Raymond Queneau [1975], coll. « Cahiers de L’Herne », no 29, 1999, p. 88-97.
39 Tout à fait détaché de la réalité, le personnage n’est défini que par sa fictivité qui lui donne son rôle d’acteur dans le théâtre de la vie. Ainsi l’incendie qui détruit l’Uni-Park, lieu d’illusion, métaphorise « l’anéantissement du lieu de l’action » et accroît l’évanescence même des personnages qui « ne sont que vanité, des baudruches, au même titre que l’existence », Nelly Lecomte, « La notion d’irréalité », ouvr. cité, p. 71.
40 Raymond Queneau, Pierrot mon ami, ouvr. cité, p. 25 : « Il déambulait charrié par la foule, parfois stationnaire comme une épave abandonnée par les flots sur la grève, puis de nouveau déambulant comme repris dans le bouillonnement d’une charge triomphante des vagues […] mais le Tir à la Mitrailleuse l’attira. »
41 Ibid., p. 8 : « Comme les autres Pierrot alluma une cigarette. »
42 J. Bettinotti, « Répétition et invention dans le roman d’amour : l’évolution des collections Harlequin », dans Le Roman sentimental : actes du colloque des 14-15-16 mars 1989, vol. 1, 1990, p. 201.
43 Pierrot mon ami, « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 29
44 Sur le rôle joué par l’amour dans les romans de Queneau, voir J. Bens, Queneau, 1962, p. 85-89.
45 R. Queneau, Pierrot mon ami, ouvr. cité, p. 81.
46 Ibidem.
47 Ibid., p. 82.
48 Ibid., p. 104.
49 A. Camus, « Pierrot mon ami de Raymond Queneau », dans Œuvres complètes, Essais Critiques, 1965, p. 1928-1930 : « Les fakirs, les attractions mécaniques, les animaux exotiques, les masques de cire, les princes poldèves, les clowns et les illusionnistes, toutes les créatures de la foire et du rêve donnent à ce roman un visage fantastique. »
50 M. Bigot, Pierrot mon ami de Raymond Queneau, ouvr. cité, p. 53.
51 P.-D. Huet, Traité de l’origine des romans, Paris, N.-L.-M. Desessarts, 1798-1799, p. 3 : « […] ce que l’on appelle proprement Romans sont des fictions d’aventures amoureuses, écrites en Prose avec art, pour le plaisir et l’instruction des Lecteurs. Je dis des fictions, pour les distinguer des Histoires véritables. J’ajoute, d’aventures amoureuses, parce que l’amour doit être le principal sujet du Roman ».
52 Pierrot mon ami, « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 10.
53 Toutes les références renvoient aux « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1.
54 R. Queneau, Pierrot mon ami, ouvr. cité, p. 68.
55 « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1, f. 38.
56 Ibid., f. 41.
57 Ibid., f. 42.
58 Dans les notes préparatoires, on lit : « De plus. La disparition de Mouilleminche s’effectue vingt ans auparavant, alors qu’à cette même date s’éteint un prince du nom Voudzoï, et que, quelque temps après, resurgit un personnage nommé Voussois. » (« Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 8_1).
59 G. Genette, Palimpsestes, ouvr. cité, p. 323 : « Le procédé réducteur le plus simple, mais aussi le plus brutal et le plus attentatoire à sa structure et à sa signification, consiste donc en une suppression pure et simple, ou excision, sans autre forme d’intervention. »
60 Les Fleurs bleues, « Notes préparatoires – Notes », Fonds Queneau, cote D art. 17_1_2, f. 43.
61 P.-M. De Biasi, La Génétique des textes, 2005.
62 R. Queneau, Les Fleurs bleues, ouvr. cité, p. 16-17 : « Il habitait une péniche amarrée à demeure près d’une grande ville et il s’appelait Cidrolin. On lui servait à manger de la langouste pas trop fraîche avec une mayonnaise glauque. […] On apporte ensuite le fromage. Du plâtre. Un fruit. […] il se couvre le visage d’un mouchoir et le voilà bientôt en vue des murailles de la ville capitale. — Chouette s’écria Sthène, nous y sommes.
Le duc d’Auge s’éveillait, avec l’impression d’avoir fait un mauvais repas. »
63 « Ms très lacunaire », Fonds Queneau, cote D art. 17 2_ 2, f. 8.
64 Ibid., p. 27.
65 R. Queneau, Les Fleurs bleues, ouvr. cité, p. 42.
66 Les Fleurs bleues, « Ms très lacunaire », Fonds Queneau, cote D art 17_2_ 2, f. 17.
67 R. Queneau, Les Fleurs bleues, ouvr. cité, p. 18.
68 Les Fleurs bleues, « Ms très lacunaire », Fonds Queneau, cote D art 17_2_ 2, f. 23.
69 R. Queneau, Les Fleurs bleues, ouvr. cité, p. 22-23.
70 Ms. I, Fonds Queneau, cote D 17 art. 2.2.
71 J.-M. Adam, f. Revaz, « Aspects de la structuration du texte descriptif : les marqueurs d’énumération et de reformulation », dans Langue française, no 81, 1989, p. 59-98, p. 61.
72 J.-M. Adam, La Description, 1993, p. 104 : « Par l’opération d’ancrage référentiel, la séquence descriptive signale, au moyen d’un nom (pivot nominal que nous appelons thème-titre qu’il s’agisse d’un nom propre ou d’un nom commun) […] ».
73 J.-M. Adam, f. Revaz, « Aspects de la structuration du texte descriptif », ouvr. cité, p. 62.
74 Ibid., p. 90 : « La reformulation peut donner lieu soit à une condensation (donner une dénomination), soit – mécanisme inverse – à une expansion (définition). »
75 J.-M. Adam, La Description, ouvr. cité, p. 109.
76 Ibid., p. 113.
77 P. Hamon, Du descriptif, 1993, p. 78.
78 Ibid., p. 69.
79 « Ms très lacunaire », Fonds Queneau, cote D art 17_2_ 2, f. 8.
80 R. Queneau, Les Fleurs bleues, ouvr. cité, p. 17.
81 Hamon, Du descriptif, ouvr. cité, p. 166 : « La description, souvent, est un échangeur de focalisation entre une partie du texte centrée sur un personnage P1 et une partie centrée sur un personnage P2. »
82 Hamon (Du descriptif, ouvr. cité, p. 166) emploie ce terme pour toute description insérée dans un système narratif enchâssant.
83 Il s’agit des termes d’une corrélation dans les deux énoncés narratifs (EN). Cf. Hamon, Du descriptif, ouvr. cité, p. 167.
84 C. Debon, Doukiplèdonktan?, ouvr. cité, p. 112.
85 R. Queneau, Le Vol d’Icare, ouvr. cité, p. 304.
86 « Ms. Lacunaires », Fonds Queneau, cote D art 18_2_2, f. 26.
87 Ibidem.
88 Ibid. f. 27.
89 Transcription de la rature par substitution en marge :
/Lubert
Non bien sûr. Et je n’en avais encore qu’une connaissance assez confuse. Dix, quinze pages vous comprenez j’en étais plutôt aux descriptions de lieux. Vous savez dans le roman moderne on ne commence pas par exhiber le personnage central, on n’y vient que peu à peu/ f. 33
90 Ibid., p. 27.
91 Ibid., p. 109.
92 G. Bachelard, L’Eau et les rêves : Essai sur l’imagination de la matière, 1947, p. 8-9.
93 Ibid., p. 123.
94 « Ms. Lacunaires », Fonds Queneau, cote D art 18_2_2, f. 110.
95 G. Bachelard, L’Eau et les rêves, ouvr. cité, p. 6.
96 « Notes », Fonds Queneau, cote D art 18 1_1, f. 15.
97 R. Queneau, Le Vol d’Icare, ouvr. cité, p. 26-27. Citation de La Mort des pauvres de Charles Baudelaire.
98 Ibid., p. 189.
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GénétiQueneau
Sur la genèse de Pierrot mon ami, Les Fleurs bleues et Le Vol d’Icare
Daniela Tononi
2019