Chapitre I. Rythme et non-linéarité du roman
p. 15-42
Texte intégral
1.1 Raymond Queneau : un surréaliste qui pataphysique l’Oulipo
1Raymond Queneau participe activement à la vie culturelle et politique de son temps en se révélant un intellectuel aux talents multiples1. En 1924, il est introduit par Pierre Naville dans les milieux surréalistes, dont il partage l’« esprit révolutionnaire ». Peu à peu, l’intransigeance des positions de Breton et du groupe éloigne Queneau, qui décide de s’inscrire en 1930 au Cercle communiste démocratique dirigé par Boris Souvarine2, tout en restant en marge du mouvement. C’est l’époque de la collaboration de Queneau à la La Critique sociale3, aux études concernant la philosophie hégélienne et à l’article cosigné avec Bataille, « La critique des fondements de la dialectique hégélienne », paru en 1932. Après sa rupture avec le groupe de Souvarine en raison des contradictions du marxisme devenu, selon l’écrivain, « un dogme et une scolastique de l’action4 », Queneau se dédie au travail littéraire et publie en 1933 son premier roman. Écrit sous l’influence de Joyce, Le Chiendent, qui mêle la méditation cartésienne aux thèmes heideggériens et husserliens5, résume ainsi les suggestions esthétiques que lui avait inspirées la Grèce en 1932 et qui lui permettent de résoudre la contradiction entre la recherche esthétique et la rigueur des sciences exactes, entre Beauté et Mathématique.
2En effet, vécu comme une révélation, le voyage en Grèce (1932) l’a amené à comprendre le sens esthétique de l’union de l’homme et de la nature, qui trouve témoignage dans la coexistence harmonieuse et intemporelle de la nature et des œuvres de l’homme6. Une version manuscrite7 de l’article « Harmonies grecques » témoigne plus nettement que la dernière version de l’état d’âme de l’auteur, que seuls les textes restés intacts après le premier jet peuvent restituer. La Grèce, selon Queneau, a toujours répondu aux exigences du monde occidental, aux érudits de la Renaissance, aux philosophes allemands, à la Révolution française et aux amateurs de Moyen Âge. Le terme d’« exigence » définit ainsi le manque et en même temps la nécessité de le combler, et justifie aussi l’emploi du mot « cri » qui sous forme de litanie occupe la deuxième partie de cette version :
Aussi peut-on dire qu’à tout celui qui va en Grèce avec un œil déformé, elle saura lui donner ce qu’il désirait. À tout cri, elle donne un écho. Mais ce n’est pas un écho unique qu’elle donne, c’est un écho multiplié. Elle donne une ampleur multipliée à sa réponse. À celui qui dit : oui, elle répond oui – et aussi non. À celui qui dit non, l’écho répond non, mais aussi oui. Et cela non comme une contradiction, mais comme une harmonie véritable. À une seule note, elle répond par une orchestration (cosmique)8.
3Le passage cité rend ainsi sensible le processus de transformation du voyageur qui arrive en Grèce avec des préjugés, avec « un œil déformé » et qui reçoit une réponse multiple à son cri. L’union de l’homme et de la nature « où chacun garde sa valeur totale » se fonde alors sur le respect réciproque que semble démontrer l’harmonie intemporelle des rapports entre le monde naturel et les créations artistiques :
[…] Car le théâtre de Dionysos avec le théâtre d’Épidaure est une union fusion, mais où chacun garde sa valeur totale. Car la construction humaine se conforme à la nature qui l’entoure et la respecte, et par là la nature magnifie et respecte l’œuvre de l’homme. Ainsi ce théâtre de Dionysos participe aux montagnes et au ciel et ces montagnes et ciel n’ont pas changés, non plus que ce théâtre bien que ruiné. Et là encore se manifeste une harmonie qui, pour n’être que quotidienne, n’en a pas moins sa valeur ; moins une harmonie qu’un accord. Le simple fait que ces ruines restent là en toute simplicité. Qu’il y a accord entre homme moderne et ces vestiges anciens.9
4Dans cette évocation « du devenir et de l’immuable » (f. 9), qui se concrétise dans l’accord entre « la vie quotidienne et la vie perpétuée10 », dominent ainsi l’élan évocatoire et un style proche de l’oralité qui dénotent le caractère absolument instinctif du texte, lequel acquiert dans sa version définitive l’élégance d’un raisonnement philosophique. Mais au-delà d’un style plus recherché, dans la version définitive, Queneau renonce à personnifier la Grèce, ce qui dans la première version lui permettait de construire la métaphore communicative soutenant le texte :
Oui, à chacun la Grèce est capable de répondre par une harmonie ; sans doute celui qui ne l’entendait pas n’aurait-il pas d’abord jeté son cri. La Grèce n’est pas un manuel où l’on apprend un enseignement ; c’est une réplique vivante à de vivantes préoccupations, quelles qu’elles soient. Seul celui qui ne crie pas n’en tirerait pas réponse.
Je vois maintenant ce qu’elle répondit àÀ Rimbaud [même, je ne] : j’aiassis la Beauté sur mes genoux11.
5Cette coexistence harmonieuse suscite ainsi chez Queneau une série d’interrogations sur le rapport entre Mathématique et Beauté : c’est la naissance de son « arithmomanie » qui finalement résout ses crises face à l’écriture et, surtout, face au roman.
6Ainsi, après Le Chiendent et après un autre roman à forme fixe, Gueule de pierre (septembre 1934), Queneau se dédie à son autobiographie en vers Chêne et chien (1937) et à plusieurs romans caractérisés par le mélange des genres (Les Derniers Jours, 1936, et Les Temps mêlés, 1941).
7Mais c’est Odile (1937), fiction autobiographique et roman « polémique12 », qui définit très clairement ses positions face au surréalisme : basculant entre esprit mathématique et élan surréaliste, le personnage de Roland Travy13 synthétise la lutte entre les sciences exactes et l’intuition, dichotomie qui caractérise, au moins dans un premier temps, la pensée quenienne. Après Les Enfants du limon (1938), mise en fiction de sa recherche sur les fous littéraires, et Un rude hiver (1938), aux allusions autobiographiques, Queneau écrit Pierrot mon ami (1942)14, roman où dominent l’humour et le non-sens, puis en 1947, relevant le défi d’un « livre sur rien », Les Exercices de style, recueil de variations narratives, stylistiques et thématiques sur un thème.
8Mais c’est sous l’influence de Hegel qu’il écrit les romans qui paraissent par la suite : ainsi, selon Alexandre Kojève15, Loin de Rueil (1944), histoire d’un jeune homme à l’existence banale mais aux rêveries ambitieuses, et Le Dimanche de la vie (1952) constituent avec Pierrot mon ami une variation sur la sagesse hégélienne16.
9Après le succès de Zazie dans le métro (1959) et avant son dernier livre Le Vol d’Icare (1968), écho du motif pirandellien du personnage en quête d’auteur, Queneau écrit Les Fleurs bleues (1965) en transposant en fiction ses études sur le temps et sur l’Histoire17.
1.2 De l’arithmomanie
10Dans la production de Queneau, on peut remarquer deux degrés différents d’adaptation des structures mathématiques au texte : à la différence des premiers romans, qui présentent une structure fortement mathématisée, les romans écrits à partir de Pierrot mon ami proposent des rimes linguistiques et sémantiques comme échafaudage narratif. Dans tous les romans qui précèdent Pierrot mon ami, le rythme romanesque suit donc des schémas mathématiques, mais dans la deuxième partie de la production quenienne le rythme, tout en restant l’une des conditions nécessaires à la construction du texte, se réalise sous forme de répétition.
11Dans sa « Technique consciente du roman18 », Queneau propose en effet une théorie innovatrice du rythme en tant que procédé d’organisation du récit, dans sa tentative de rapprocher le plus possible le roman de la poésie. Queneau propose « ce que peut être une technique consciente du roman […]19 » qui naît de la nécessité de donner une systématicité au « flux » de l’écriture pour conférer au roman, après les aventures du surréalisme et du nouveau roman, une structure réglée20. Pour parvenir à cette structure concertée et préétablie, sans jamais aboutir à une forme stérile, Queneau s’inspire aussi des formes poétiques, comme le sonnet, afin d’en saisir la règle générale de composition. Bien qu’il se soit fixé « des règles aussi strictes que celles du sonnet » pour donner au roman « une forme, un rythme21 », le rythme n’est pas une sous-catégorie figée de la forme mais, selon les mots de Benveniste, « une forme en mouvement22 » qui néanmoins n’est pas une répétition infinie du semblable.
12En effet, dans tous les romans de Queneau les principes de répétition coexistent avec les principes de différence et ces deux ensembles créent, comme le remarque François Laforge, « non pas le temps pur où rien ne se passe, ni le temps cyclique de la météorologie, mais le temps héraclitien du devenir et du changement, où rien ne se répète23 ».
13Tout en reconnaissant dans la répétition la marque distinctive de l’écriture quenienne, François Laforge explique la « confusion volontaire » dans la réflexion esthétique de Queneau sur la rime, le rythme et la répétition : « Le rythme est un cas particulier de répétition, qui se présente, dans la rime, sous sa forme la plus simple et la plus générale. […] Et, pour Queneau, c’est bien la rime qui définit fondamentalement la poésie et le nouveau roman qui s’en inspire24. » Ainsi, le principe de répétition qui, par l’imposition des parallélismes et des symétries, détermine la rime et le rythme du texte, se présente dans l’œuvre quenienne sous forme de variante complexe de la rime sémantique25.
14L’exigence formelle de rapprocher le plus possible la prose de la poésie, qui se traduit dans l’écriture quenienne en exigence de régularité, constitue l’une des réponses à la « nouvelle crise du vers26 » qui se développe à la fin des années cinquante et par laquelle l’interaction et la convergence entre poésie et prose « devient forte avec un autre mode de bouleversement prosodique : attaques contre la distinction poésie/prose27 ». La destruction du vers libre standard aboutit alors à une mutation formelle qui trouve son élan dans la migration de la poésie à la prose du concept de rythme.
15Le culte du rythme concrétise ainsi ce que Queneau avait déjà anticipé dans son article « Naissance et avenir de la littérature » (Volontés, no 22, mai 1940)28, dans lequel l’écrivain, en jugeant discutable le livre de René M. Guastalla Le Mythe et la littérature, lui conteste surtout la dévalorisation de la littérature par rapport au mythe. Mais c’est la question de l’opposition entre littérature et poésie soutenue par Guastalla qui permet à Queneau de bâtir une défense de la forme et du rythme. Cependant, au fond de la tentative de Queneau de rapprocher le plus possible le roman de la poésie, il y a surtout la conscience du discrédit jeté sur la littérature de son temps. C’est dans les deux articles publiés dans Volontés (« Qu’est-ce que l’art ?29 » et « Richesse et limite30 ») que Queneau réfléchit sur les causes du processus de dévalorisation de la littérature, qu’il attribue aux tentatives infécondes d’imitation des sciences par la littérature en général, et les écrivains naturalistes et les poètes apollinairiens en particulier. Au fondement de la critique de Queneau réside son analyse du rapport entre recherche et découverte : à la différence des sciences, pour lesquelles la recherche est un processus intermédiaire qui porte à la découverte, la littérature expérimentale a selon lui transformé la recherche en une fin en soi dépourvue de l’ambition de découvrir quoi que ce soit.
16L’interprétation que Queneau donne du rythme entraîne le débat au-delà des études théoriques du formalisme de Chklovski et de l’analyse structurale de Todorov qui, selon Meschonnic, se limitent à proposer une sorte de « grammaire narrative d’actions, de personnages, de fonctions, de rapport au narrateur, de types de narrateur31 » sans rien expliquer à propos du rythme. Remarquant l’importance de l’étude de Benveniste, pour qui le rythme est une « forme distinctive ; figure proportionnée ; disposition32 », et dans la tentative de systématiser un concept si vaste, Meschonnic33 interprète le rythme comme l’expression du sujet34 dans le discours selon trois catégories : le rythme linguistique, à savoir « celui du parler dans chaque langue », le rythme rhétorique, qui est « variable selon les traditions culturelles, les époques stylistiques, les registres », et le rythme poétique, qu’il définit comme les « organisations d’une écriture 35 ».
17C’est dans le domaine de la littérature que l’approche de Raymond Queneau se montre particulièrement innovante. Mais sur ce point, Meschonnic identifie une certaine habitude « esthétique » en poésie tendant bien souvent à considérer le rythme comme synonyme de mètre, tandis que dans la prose le rythme s’articule en trois catégories : « linguistiques, dans tout discours ; rhétoriques, selon les traditions littéraires, où entrent la prose poétique, la prose oratoire, la prose d’apparat, la prose rimée, la prose cadencée ; poétiques, selon la spécificité, qui est système, d’une énonciation, émettrice de ses patrons reconnaissables comme tels36 ». Or dans le roman de Queneau les trois ordres du rythme – linguistique, rhétorique et poétique – ne sont pas soumis à la logique des genres ou de la tradition. Ils sont les instruments pour organiser la répétition, comme le note Laforge, aux différents niveaux du texte : au niveau de l’histoire, par la récurrence des situations, par la construction cyclique et par la construction en abyme, au niveau du discours grâce à l’emploi des leitmotivs et des figures rhétoriques particulières et au niveau de l’intertextualité37.
1.3 Pratique du rythme
18Influencé ainsi par les romans de Joyce, Faulkner et Conrad, Queneau donne avec son premier roman Le Chiendent, publié en 1933, l’exemple du processus d’« échafaudage » de la structure car « les personnages apparaissent d’une façon rythmée, à certains moments et à certains endroits38 ».
19Mais cette rigueur « mathématique » que Queneau appelle « arithmomanie », tout en caractérisant une partie de sa production, n’exclut pas le remaniement subjectif et autonome par rapport à la règle foncière, surtout dans les romans écrits à partir de Pierrot mon ami, qui « sont beaucoup plus libres de ce genre de préoccupations39 ». Cette double approche que Laforge appelle « dialectique de la contrainte et de la liberté40 » est bien visible dans les manuscrits, où il est possible de distinguer différentes chrono-genèses.
20Les notes préparatoires des premiers romans de Queneau révèlent une attention à la structure plus concertée que dans les romans ultérieurs. Son travail sur le Chiendent est ainsi organisé en trois phases : la chronologie, la géographie du chapitre et le plan général. Après avoir esquissé le plan du lieu où se déroule l’action, Queneau commence à formuler l’idée générale des quatre premiers chapitres du roman :
Un monsieur quelconque commence
à philosopher 1er chapitre : il opère
une séduction d’un jeune cartésien
(husserlien). 2e chapitre : il se demande
pourquoi il philosophe, il est inquiet,
angoissé. 3e chapitre, on le ridiculise
4e chapitre : il se ridiculise41.
21Pour chaque chapitre, Queneau organise un tableau des personnages qui règle la périodicité de leur apparition par rapport au temps de la narration et au temps de l’histoire et qui lui permet également de réorganiser l’équilibre et le rythme du roman. Ces tableaux constituent en fait des lieux d’intervention pour la révision du roman, car ils rendent compte de la mise en œuvre des suppressions et des déplacements des séquences dans les chapitres. Toute progression dans la création est soutenue par les « aperçus des événements qui vont suivre » et par les plans récapitulatifs résumant l’intrigue déjà développée. Mais la partie des notes préparatoires qui témoigne de l’arithmomanie de Queneau concerne la subdivision mathématique en parties et chapitres :
22Ce schéma ne précise pas seulement la subdivision du roman en 13 chapitres mais aussi sa structure cyclique basée sur les nombres : bien que Queneau donne les chiffres 7 et 1342 d’une manière en apparence arbitraire, les opérations mathématiques démontrent au contraire une progression dans le raisonnement et la répétition de 98 ((13 x 7) + 7 + 1 + 1 = 100 ; 49 + 49 ; 72 + 72 = (13 x 7) + 7).
23Le roman Les Derniers Jours, écrit du 13 juin au 19 septembre 1934, a quant à lui été construit, comme le remarque Queneau, avec « un rythme extrêmement précis » : tous les personnages à l’exception d’Alfred se disposent en fonction des quatre personnages principaux, qui se répondent deux à deux. Le plan général plusieurs fois remanié43, les synthèses récapitulatives des chapitres et la correction des « points litigieux » démontrent la dialectique de la contrainte et de la liberté que Laforge attribue au procédé de création de Queneau. Ainsi, après avoir montré une certaine attention au détail dans la définition des personnages et dans la succession chronologique des événements, les notes préparatoires44 révèlent plusieurs révisions concernant l’ordre des chapitres :
24Ce tableau, qui a été réétudié plusieurs fois, comme en témoignent les nombreux plans qu’on trouve dans les notes préparatoires, présente les chapitres subdivisés en quatre sections avec des notes qui informent sur le développement chronologique de l’histoire et sur la distribution symétrique des personnages. Dans la première version, le roman se compose de quatre parties de 12 chapitres auxquels Queneau adjoint un dernier chapitre, le XLIX, qui reste à l’état de projet, suivant la formule mathématique (4 x 12) + 1 = 72 qu’on trouve déjà esquissée dans ce plan. Ainsi le chiffre 7, « image numérique45 » de Queneau, est contenu dans le nombre global des chapitres de la première version des Derniers jours, qui n’est pas sans rapport avec les recherches numériques du Chiendent, bien que cette subdivision n’arrive pas à la version définitive car Queneau soumet son roman à un double processus qui comprend la déstructuration et la syncope sémantique :
J’ai dit plus haut que le nombre des Derniers Jours était 49, bien que, tel qu’il a été publié, il ne comprenne que 38 chapitres. C’est que j’ai enlevé l’échafaudage et syncopé le rythme ; certains monologues d’Alfred, supprimés pour la publication, forment des temps zéro ; celui de Jules, inattendu, marque une dissonance avant la résolution finale46.
25Odile, le roman écrit presque simultanément aux Derniers jours, présente la même tentative de structuration mathématique, comme le démontre l’intéressante succession numérique qu’on retrouve dans ses notes préparatoires. Ainsi, même si Odile n’est pas subdivisé visiblement en chapitres ou en sections, les documents préparatoires rendent compte d’un travail de construction très complexe et d’une révision destinée à simplifier la structure par suppression et par condensation des segments diégétiques. Un premier plan préparatoire présente alors une subdivision en 12 chapitres avec un prologue et un épilogue. Cette « formule » fait écho aux romans qui fondent leur composition sur la récurrence du chiffre 7 :
26Comme on peut le remarquer, Queneau essaie de créer une sorte de rapport numérique entre Le Chiendent, Les Derniers Jours et Odile : si l’on ajoute les 91 chapitres du Chiendent au chiffre 7, on obtient 98, un nombre qui, d’une part, décomposé en deux fois 49, fait allusion aux Derniers jours et, d’autre part, résulte de la multiplication de 14 par 7, à savoir de l’une des probables structures d’Odile, pour lequel Queneau propose soit une organisation en 14 parties, soit une subdivision en 13 chapitres avec prologue et épilogue.
27Toutefois, Jean-Pierre Longre remarque que l’effacement de la subdivision visible d’Odile ne découle pas seulement de l’exigence d’une unité structurelle mais aussi d’une certaine antithèse sémantique entre le héros « qui se préoccupe de chiffres jusqu’à l’obsession, et la composition, qui les bannit47 ». Dans Odile, l’arithmomanie quenienne passe donc du plan de l’organisation de la forme au plan de l’intrigue du roman et se transforme en référence intradiégétique utile à la construction du héros.
28Mais à partir de Pierrot mon ami, même si l’organisation mathématique se montre plus vague que dans les romans précédents, les notes préparatoires du roman confirment l’attention constante portée à la distribution des personnages. Dans la tentative de pasticher le genre policier, les avant-textes de Pierrot mon ami s’articulent suivant le rythme d’une prolifération de diégèses qui seront toutefois abandonnées : ainsi, le processus de création vise à la construction d’une herméneutique du récit qui se superpose à l’architecture narrative, tout entière centrée sur la dynastie poldève et sur la mise en scène du crime parfait.
29D’autres romans confirment ensuite un changement dans le processus de création : jusqu’à Pierrot mon ami, la structure précède et impose sa forme à la diégèse, mais ce processus s’inverse dans les romans qui vont suivre. Ainsi les faux départs, les diverses ébauches et les plans récapitulatifs de l’histoire des Fleurs bleues annoncent une architecture où l’arithmomanie de Queneau se limite aux schémas d’organisation des chapitres ou aux tableaux concernant les temps de rédaction et de révision, qu’il compose à partir d’un plan d’axes cartésiens indiquant les temps d’intervention sur le roman (sur l’axe des abscisses) et les nombres de pages écrites/révisées (sur l’axe des ordonnées).
30Et même dans Le Vol d’Icare, son dernier roman, Queneau privilégie la construction diégétique en dépit d’une architecture mathématisable : les notes préparatoires, qui occupent un arc de temps plutôt vaste (août 1965-avril 1968), insistent sur le nombre et l’origine des personnages (27 septembre 1965), sur la « question de l’écrivain » (1er octobre 1965) et sur le genre (2 janvier 1968). Le rythme recherché n’est donc plus d’ordre mathématique mais diégétique : Queneau cherche à construire une polyphonie parfaitement équilibrée qu’il obtiendrait par la répartition ordonnée des apparitions des personnages et du temps de leur présence dans le récit. Cette régularité n’est pas exclusivement présente dans Le Vol d’Icare : elle constitue l’un des éléments de base du roman quenien. C’est par exemple en ces termes que l’auteur conçoit l’absence très notable d’LN dans une partie du roman, avec la formule :
Cela permet aussi de reconsidérer dans Les Fleurs bleues48 l’un des plans qui ne semble pas avoir eu d’explication :
31Ce schéma, composé de huit sections, permet de définir le nombre de pages occupées par le duc d’Auge et par Cidrolin dans les huit premiers chapitres du premier manuscrit. Toutefois, il n’informe pas seulement sur l’équilibre narratif mais aussi sur l’alternance diégétique des séquences des deux personnages, qui reste identique dans les quatre premiers chapitres mais altère sa régularité dans les passages du chapitre cinq au chapitre six, du chapitre six au chapitre sept et du chapitre sept au chapitre huit. Mais au-delà de l’altération qui concerne trois séquences en particulier – la visite des marmitons au duc d’Auge, le dialogue sur les canons entre le duc d’Auge et Onésiphore Biroton et la rencontre de Cidrolin avec Albert –, la mise en ordre narrative suit une démarche en zigzag qui constitue le principe d’entrelacement des micro-récits. Cette structure zigzagante devient alors l’une des formes de transposition de la rime au niveau narratif et impose au roman une structure non linéaire tout en respectant l’ordre logique des événements49. C’est la rime, forme complexe du rythme, qui permet au roman de moduler une structure non linéaire sans que les événements transgressent le principe de causalité. Le roman quenien permet donc de poursuivre le débat sur le rythme, carrefour théorique qui a intéressé les études structuralistes depuis les années soixante, les approches sémiotiques contemporaines50 ainsi que les études de l’oulipien Jacques Roubaud51, en le transposant au domaine de la prose. La question du roman non linéaire52, d’autre part, donne son essor à une approche théorique pouvant expliquer les différents types de rupture de continuité du récit et déboucher sur une nouvelle démarche de classification du roman. Les Notes sur le roman se révèlent alors complémentaires et nécessaires pour mieux définir le rapport entre non-linéarité, ordre temporel et ordre narratif.
1.4 De la rime à la structure non linéaire : le roman zigzagant
32La recherche rythmique chez Queneau découle de l’importance qu’il attribue à la rime, conçue comme variante complexe du rythme : pour rapprocher le plus possible le roman de la poésie, Queneau construit chacun de ses romans à partir d’une structure dont la loi formelle suit le rythme de la rime, qui se décline soit dans sa forme traditionnelle de rime phonétique, soit dans sa transposition sémantique. Tous ses romans sont ainsi organisés autour d’un mouvement rythmique construit sur la présence réitérée et organisée des situations et des personnages. Cette poétique du rythme résulte d’une élaboration préliminaire complexe de la structure du roman qui, comme en témoignent les manuscrits, se concrétise dans la réalisation des plans des occurrences des personnages.
33Dans ses Notes sur le roman53, Queneau définit trois éléments distinctifs du texte en prose : l’action, la description visuelle et la description orale. L’action peut être « simple, une, continue54 » dans le cas d’un roman à la première ou à la troisième personne, tandis que dans un roman polyphonique l’action est complexe, qu’elle mette en scène une reconnaissance ou qu’elle intercale de nombreuses péripéties qui permettent d’accorder une certaine simultanéité diégétique à une « marche en zigzag ». En ce qui concerne la description visuelle, longue dans les romans naturalistes et « à peu près nulle dans le roman américain moderne », elle évoque les lieux et les personnages par des digressions ou des « parenthèses ». Les descriptions orales que Queneau définit comme des « parenthèses orales » concernent les conversations et tous les écrits en général inclus dans la narration. Ces descriptions peuvent constituer une histoire « totalement extérieure au sujet du roman » ou, comme dans les romans à tiroirs, décrire l’aventure d’un personnage. Les descriptions psychologiques du personnage peuvent se concrétiser par les observations d’un narrateur extradiégétique ou intradiégétique, par les confidences autobiographiques comme dans le journal intime, ou par le monologue intérieur que Queneau considère aussi important que les actes, les paroles et les sentiments qui constituent les éléments primitifs du roman.
34Dans cette classification structurelle du roman, Queneau remarque la nature complexe du récit polyphonique, qui lui permet de moduler de façon complexe la non-linéarité du roman par l’introduction d’une structure « zigzagante » : « La simultanéité de deux actions peut amener non pas une rupture de la continuité, mais une marche zigzagante. Qu’a fait celui-là pendant que celui-ci était dans le champ de la narration55 ? » Cette marche zigzagante qui caractérise les récits simple et continu peut aussi concerner le récit complexe, où la péripétie et la reconnaissance (anagnorisis) bouleversent souvent l’ordre narratif : « Un récit d’événements passés se place après le récit de l’action concluante. Le temps est brisé au lieu d’ABC nous avons BAC. Roman policier type : Monsieur Lecoq56. »
35Les deux typologies de récit zigzagant agissent alors sur l’axe temporel de façon différente : la structure du premier type, qui permet l’intersection d’actions simultanées, agit sur le plan narratif sans rompre l’ordre temporel, tandis que la structure qu’on pourrait définir comme elliptique, et qui trouve son modèle dans le roman policier, modifie la succession logique des séquences.
36Tout en étant un récit à la première ou à la troisième personne, le récit continu, où le romancier, le lecteur et le personnage avancent de conserve, peut toutefois devenir, comme le remarque Queneau, un récit « à multiples centres57 » : ce polycentrisme narratif, qui oblige le lecteur à revenir en arrière dans la narration pour en saisir le sens caché, détermine un déraillement de l’axe narratif, qui n’est plus linéaire. La théorie du récit à multiples centres proposée par Queneau semble suggérer une comparaison obligée avec la théorie du récit de Roland Barthes, qui explique les variations de la linéarité du récit par rapport aux séquences qui déterminent « la distorsion et l’irradiation » du récit même. Barthes définit la séquence comme « une suite logique de noyaux, unis entre eux par une relation de solidarité », qui « s’ouvre lorsque l’un de ses termes n’a point d’antécédent solidaire » et qui « se ferme lorsqu’un autre de ses termes n’a plus de conséquent58 ». Toutefois, cette cohérence et cette unité logique ne constituent pas un système imperturbable, car toute séquence n’est pas tout à fait une unité autonome : elle est aussi « le simple terme d’une autre séquence plus large59 ». Cette corrélation, qui fait de chaque séquence un système potentiellement instable et conduit Barthes à la définir comme une « unité logique menacée », découle de l’application du phénomène linguistique de la dystaxie, conçue comme une rupture de la linéarité logique du message, au niveau de la narration, dans laquelle « les unités d’une séquence, quoique formant un tout au niveau de cette séquence même, peuvent être séparées les unes des autres par l’insertion d’unités qui viennent d’autres séquences60 » :
Selon la terminologie de Bally, qui oppose les langues synthétiques, où prédomine la dystaxie (tel l’allemand) et les langues analytiques, qui respectent davantage la linéarité logique et la monosémie (tel le français), le récit serait une langue fortement synthétique, fondée essentiellement sur une syntaxe d’emboîtement et d’enveloppement : chaque point du récit irradie dans plusieurs directions à la fois61.
37Le processus auquel Queneau soumet le roman met ainsi en question les deux pouvoirs qui, selon Barthes, agissent dans l’arrangement du récit : la distorsion permettant la création du temps logique du récit est soumise à l’équilibre narratif (personnage/pages), tandis que l’irradiation perd sa forme hiérarchisée, se transformant en processus d’intégration syncrétique. À titre d’exemple, le schéma cité plus haut, établi par Queneau pour les huit premiers chapitres des Fleurs bleues, résume bien la structure quenienne :
38Le rapport entre personnages et chapitres, qui constitue l’élément sur lequel Queneau s’interroge le plus tout au long de la rédaction de ses romans, rend compte de l’assujettissement du temps logique à l’équilibre arithmétique du récit, qui s’organise par la superposition parallèle et alternée des séquences. Queneau transforme l’irradiation barthienne en structure zigzagante par une nouvelle interprétation de la cohérence et de la logique narratives, car l’intégration d’éléments concourant à faire sens ensemble se réalise au même niveau à travers l’alternance des deux histoires qui se déroulent en parallèle.
39Ainsi, par rapport aux phénomènes d’altération de la consecutio logique et de la durée des micro-récits, Queneau réalise l’ordre chronologique idéal que Todorov définit comme impossible car « pour sauvegarder cet ordre, nous devrions sauter à chaque phrase d’un personnage à un autre pour dire ce que ce second personnage faisait “pendant ce temps-là”62 ».
40Certes, Queneau ne saute pas d’un personnage à l’autre à chaque phrase, mais en fragmentant le récit en micro-séquences, il cherche à préserver cet effet de « l’idéal chronologique ». L’impossibilité de reconstruire un ordre idéal est alors traduite par Raymond Queneau en une esthétique de la discontinuité, qui se réalise dans la structure zigzagante et dans l’imposition d’un rythme spécifique. Si l’interférence postulée entre les séquences (Barthes) ou les micro-récits (Todorov) se produit comme une interaction entre des plans temporels différents, la non-linéarité du roman quenien s’articule comme la coexistence diégétique d’actions contemporaines des personnages. Cette synchronie diégétique, qui détermine une structure complexe, est possible grâce à la relecture du concept de rime, qui se dédouble dans le roman quenien en rime phonétique et rime sémantique, afin d’étayer la structure du roman et de régler la prolifération d’actions et de personnages.
41Parmi les romans de Queneau, Le Chiendent, qui se compose de 7 chapitres comprenant chacun 13 sections, représente l’expérimentation explicite et réussie d’un récit non linéaire : dans les documents préparatoires du roman, Queneau inclut des plans des occurrences des personnages et conçoit pour chaque chapitre un tableau qui met en évidence la répartition des personnages dans chaque section :
42Ce tableau correspond au premier chapitre du roman : sa lecture permet d’établir le temps de l’histoire – qui coïncide avec une semaine (du lundi au dimanche) –, la présence de chaque personnage dans chaque partie du chapitre et son poids actanciel, marqué d’un simple x lorsque le personnage est secondaire et d’un x inscrit dans un cercle si le personnage est fonctionnel au déroulement de l’action.
43La rime sémantique se concrétise au niveau diégétique par la distribution symétrique des personnages et au niveau textuel par une narration polyphonique qui permet de multiplier les points de vue sur un même événement. Ainsi la rime et la prolifération des personnages déterminent un roman qui ne se déroule pas sur un axe linéaire mais qui contredit temporellement le récit continu, car « pendant que l’on observe l’un d’eux, les autres ont mené leur petit train pendant ce temps-là […]63 ». Cependant, la rime sémantique organise aussi les modes d’expression, les genres, qui coexistent dans le roman, toujours conçu en tant que forme accueillant d’autres genres. Dans « Technique du roman », Queneau remarque que chaque section suit, comme une tragédie, la règle de trois unités quant au temps, au lieu et à l’action, et conserve aussi une cohérence générique64. Chaque chapitre maintient une unité stylistique dans chacune de ses sections alternant le récit narratif, le dialogue ou le monologue, tandis que la treizième section, qui alterne le rêve et le monologue, est transposée dans une dimension extradiégétique. La rime sémantique se réalise alors de différentes façons et atteint l’objectif de l’équilibre narratif recherché. Cette recherche d’équilibre transparaît aussi dans les nombreux remaniements auxquels Queneau soumet ses romans tout au long de leur rédaction.
44Le manuscrit du Vol d’Icare65 laisse bien voir les difficultés qu’a rencontrées l’auteur pour établir la succession des séquences et des personnages. Queneau est contraint à changer plusieurs fois la structure du roman. Après avoir modifié l’enchaînement des chapitres, le 18 janvier 1968, dans ses notes préparatoires, Queneau propose un plan avec les occurrences des personnages qui n’aboutira pas à la version définitive, mais dévoile les deux préoccupations qui, selon Henri Godard, caractérisent la rédaction du Vol d’Icare :
La première est, comme cela a toujours été depuis Le Chiendent, d’assurer la réapparition régulière de ses personnages dans le récit. Arrivé à mi-parcours, il vérifie leur répartition au moyen d’un tableau de présence. […] L’autre souci, plus inattendu, vise à maintenir une cohérence des actes des personnages et des événements de l’histoire66.
45Le plan, qu’on retrouve dans la majorité des manuscrits queniens, suivant la structure cartésienne, fait apparaître la densité actancielle de chaque chapitre. Mais ce plan n’est qu’une étape dans le travail préparatoire, car la version définitive procédera au déplacement de plusieurs chapitres (par exemple le chapitre III devient le chapitre VI, le IV est anticipé au chapitre III, etc.) et le monologue d’Icare, qui est absent du plan du 18 janvier, sera introduit dans le chapitre V.
46La construction métafictionnelle, qui enchâsse les romans des écrivains fictifs dans la diégèse principale, représente l’un des éléments destinés à garantir la cohérence du récit tout entier. Ainsi dans Le Vol d’Icare, la structure zigzagante se métatextualise en se superposant à la structure réflexive de la narration. La fictionnalisation de l’acte d’écriture permet en effet d’asservir la structure non linéaire à la nécessité du texte : la distinction entre les personnages-écrivains et les personnages-papier, ainsi que le choix du modèle policier, permettent d’articuler, d’un point de vue structurel, les trois temps qui se succèdent dans le roman policier (récit continu, récit d’un temps antérieur et conclusion). Le récit continu coïncide avec la première histoire, à savoir la recherche d’Icare qui s’est enfui des pages du roman, le récit antérieur coïncide avec les déambulations du personnage d’Icare dans le monde pseudo-réel où il rencontre les autres personnages fictifs, tandis que la conclusion, qui peut être synthétisée par la dernière phrase de Hubert Lubert67, confirme la relation spéculaire des deux récits à laquelle le roman fait souvent allusion dans l’opposition entre les « gens dans les rues » et les personnages-papier. Ainsi, le dialogue entre Icare et Maîtretout explicite la nature métafictionnelle du roman :
Eh bien moi, monsieur Maîtretout, je ne vois aucune différence. Vous, Lubert, Mme de Champvaux, Adélaïde, pour moi, c’est la même chose.
Tout de même… tout de même…
Une fois libres, n’avons-nous pas les mêmes désirs ? les mêmes besoins ? les mêmes facultés ? ne devons-nous pas obéir aux mêmes nécessités de la vie ?
Une fois libres, oui, mais nous risquons toujours de retourner à un autre état, si l’on nous récupère. Pas les autres gens dans les rues.
Qu’en savons-nous ? Tout cela revient peut-être au même. Ils sont peut-être les personnages d’une autre espèce d’auteurs68.
47Si, comme le remarque Barthes, « chaque personnage, même secondaire, est le héros de sa propre séquence69 », la prolifération des personnages dans Le Vol d’Icare détermine une multiplication des séquences parallèles qui permettent de superposer les niveaux de la narration. Et si l’on considère que les quatre écrivains (Hubert, Jacques, Surget, Jean) sont en train d’écrire leurs livres, alors on constatera qu’à la première dimension constituée par le livre réel s’ajointent les quatre dimensions métafictionnelles qui s’entrecroisent et se superposent lorsqu’un personnage sort de sa séquence d’appartenance pour occuper un autre lieu fictionnel.
48Cette construction « à multiples centres » que Queneau avait théorisée dans ses Notes sur le roman, (« Littérature ; Langues », Fonds Queneau, cote D art. 44_1_1) permet en outre de multiplier les points de vue sur un même événement de la même façon que dans Le Chiendent. Par exemple, la séquence du duel en suspens entre Icare et Chamissac-Piéplu, personnage de Jacques, écrivain-confrère de M. Hubert Lubert, occupe à plusieurs reprises les chapitres XIII, XIV, XXIII, XXII et LXII. L’épisode du duel n’appartient pas au roman de Hubert Lubert, mais il fait partie du projet rédactionnel de Jacques. Queneau arrive ainsi à superposer sur le même événement le point de vue d’Icare, pour lequel tout se passe comme une « curieuse, curieuse histoire » – sentiment de dépaysement qui découle de son extranéité au roman de Jacques –, et le point de vue de Chamissac-Piéplu qui, le duel fichu, ne veut pas passer « pour un lâche » mais veut être ramené à « son point de départ » pour accomplir son histoire. Dans ce roman, donc, chaque personnage-papier a son histoire et toutes les histoires s’entrecroisent de manière à donner un récit « zigzagant ».
49Le temps chez Queneau n’est pas le temps fragmentaire du nouveau roman, qui veut restituer l’impossibilité d’une représentation totalisante et harmonique de la vie, car s’il y a chez lui une critique de la littérature contemporaine, cette critique ne se loge pas dans la structure du roman mais dans l’histoire et le discours métalittéraire, comme le remarque Maurice Nadeau dans son article « Pelons l’oignon70 ». Toutefois, dans cette esthétique de la discontinuité et dans la théorie du roman à multiples centres, on peut reconnaître une très claire allusion à Gide, qui constitue comme le remarque Henri Godard « un auteur de référence71 » bien que l’effet constructif du roman quenien, et du Chiendent en particulier, marque une différence substantielle avec le roman gidien72.
50Mais Queneau ne prend pas le risque d’écrire une satire explicite de son époque et choisit de situer l’action à la fin du xixe siècle, bien que son insistance sur la construction du « sujet » dans la description amorcée du personnage d’Icare, les questions d’onomastique et la querelle sur le « roman sans personnages » fassent allusion au nouveau roman. Dans ses notes du 10 mars 1968, il exclut toute possibilité de changer l’époque de son histoire : « On peut changer l’époque. Moderniser. Ça peut facilement tourner à la satire du “nouveau roman”, de Tel Quel, de Lacan, etc. Éviter73. » En effet, son projet d’écriture n’aboutit pas à une déconstruction de la structure et à une annulation de l’identité des personnages, mais il atteint l’équilibre d’une logique poétique qui vise à donner une image totalisante du réel par un processus dialectique circulaire.
51Comme nous l’avons déjà anticipé, dans le roman quenien la non-linéarité ne déstabilise pas la logique temporelle de la narration mais la renforce par la coexistence et la représentation de multiples temps individuels qui se superposent, s’alternent et s’annulent. En effet la superposition, l’alternance et l’annulation constituent les trois phases du « temps quenien » : d’abord les personnages agissent dans le même axe temporel, ensuite ils s’alternent au cours de la narration pour enfin annuler toute évolution diégétique par le retour à la situation du départ qui donne au roman une structure circulaire.
52Ainsi la non-linéarité du temps quenien qui articule les histoires et les personnages se résout souvent en une circularité sémantique qui permet une sorte de structure ad infinitum. Dans ce sens, Le Vol d’Icare et Le Chiendent constituent un exemple spécifique de cette manière de conduire le temps littéraire. Le Vol d’Icare construit sa circularité en élément structurel métafictionnel : le livre terminé évoqué par Hubert Lubert après la chute d’Icare suggère au lecteur le deuxième sens du texte : relire le roman en tant que roman en train de se faire. Dans Le Chiendent, la circularité74 est explicitée par une clôture phraséologique qui propose une identité entre l’incipit et le desinit du roman : « Un masque traversa l’air, escamotant des personnages aux vies multiples et complexes, et prit forme humaine à la terrasse d’un café. La silhouette d’un homme se profila ; simultanément, des milliers. Il y en avait bien des milliers75. » Le roman résume alors les phases du temps quenien : la superposition des temps diégétiques fonctionne en tant que classification exploratoire des personnages, « perdus dans le flux héraclitéen de la vie quotidienne76 », qui dans la seconde phase activent chacun une histoire jusqu’à la réintégration dans leur condition originelle, qui semble confirmer une sorte d’annulation de toute évolution diégétique.
53Si dans Le Chiendent et Le Vol d’Icare la non-linéarité entraîne une prolifération diégétique déterminante, elle se complique dans Les Fleurs bleues par un processus de sémantisation qui découle d’une interprétation spécifique de l’Histoire. Dans ce roman, Queneau modifie la succession des phases de superposition, d’alternance et d’annulation, en échafaudant la structure par l’alternance des aventures des deux personnages, Cidrolin et le duc d’Auge, jusqu’au dix-septième chapitre où les personnages se rencontrent, se superposent pour s’annuler au dernier chapitre, qui assure la circularité du récit en proposant la même situation qu’au début.
54Composé de cinq parties, le roman Les Fleurs bleues s’organise autour de deux histoires : celle du duc d’Auge, dont l’aventure traverse l’Histoire77 et qui s’étend sur sept siècles, et celle que Cidrolin mène dans le présent (1964) et qui s’étend sur sept semaines. Le roman présente alors une structure à la fois linéaire et circulaire qui décrit, à tour de rôle, les aventures des deux personnages : introduites par de « multiples asyndètes narratives78 », les deux histoires se déroulent en alternance et c’est l’état de somnolence, voire de sommeil profond de l’un des deux personnages, qui permet l’entrelacement des récits79. En outre, la structure du roman est complexifiée par l’imposition de la « rime » : la répétition des lieux et des situations, et les parallélismes entre les deux personnages – Cidrolin et le duc d’Auge – permettent l’imposition d’une rime sémantique tandis que la répétition des phrases, ou même d’un seul mot, intensifie le rythme du roman.
55Le dédoublement du système narratif et l’architecture minutieuse construite sur la double présence d’une rime, à la fois sémantique et linguistique, découlent d’une complexification de la structure que l’analyse comparative des avant-textes peut éclairer.
56L’avant-texte des Fleurs bleues se compose d’un cahier de notes préparatoires et de deux dossiers manuscrits : le premier comprend deux cahiers qui contiennent une première mouture des sept premiers chapitres, ainsi que quelques pages éparses d’autres chapitres (VIII, XV, XVI, XX et XXI) ; dans le second manuscrit, composé de sept cahiers, l’écrivain réécrit le roman en modifiant le texte de façon parfois substantielle.
57La rédaction du premier manuscrit commence le 1er novembre 1964 et, comme l’indique Queneau dans la dernière page de son manuscrit, elle se termine le 23 février 1965. En parcourant les notes, on s’aperçoit qu’elles ne témoignent pas seulement de la phase exploratoire du roman, mais aussi des différents états de rédaction et de révision de l’œuvre. Grâce à la comparaison que l’on peut faire entre les notes datées et les manuscrits, il est possible d’isoler trois étapes rédactionnelles : après une longue phase prérédactionnelle (août 1960-août 1964)80, Queneau commence à écrire les premières ébauches de son roman entre les mois de septembre et d’octobre 1964 pour, enfin, soumettre son premier manuscrit au processus de révision en mars 1965 (1er mars-16 mars).
58C’est parmi les notes de projets et les fragments de rédaction exploratoires de la première phase prérédactionnelle qu’on trouve un synopsis et un premier plan, daté d’août 1964 et « modifiable », comme l’écrivain le précise en marge. Ce plan, qui n’annonce rien à propos de l’incipit, propose toutefois une première subdivision du roman en douze chapitres, concernant chacun un fait historique :
II Couronnement de Charlemagne. Invitations
(cf. Paris Match, couronnement reine Elisabeth)
III L’an mille (la bombe)
IV les croisades (la tour de Babel)
V la guerre de cent ans (modifiable)
VI les guerres d’Italie
VII celles de religion
VIII Versailles
IX Louis 15
X Napoléon
XI Louis-Philippe
XII Poincaré-la-guerre
Les Fleurs bleues, « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 17 _1_2, f. 19
59Bien que les notes prérédactionnelles annoncent des projets très différents (un roman d’amour, une « théologie-fiction », un roman policier), elles anticipent toutefois des constantes que Queneau retiendra dans sa version définitive : le fenouil et les mauvais repas, la péniche et le camping, l’immeuble en construction, le voyage temporel, le rêve comme moyen de superposition diégétique, et la cuisine ou la gastronomie qui, selon les notes préparatoires, développerait une opposition improbable entre « l’ancien régime (beurre) et le nouveau régime (sans sel) » (« Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 17 _1_2, f. 13).
60Après le premier plan (août 1964), où chaque chapitre était associé à un événement historique (couronnement, guerre, etc.), Queneau revoit la structure du roman plusieurs fois (voir plans « Notes préparatoires », Fonds Queneau, cote D art. 17_1_2, f. 25-27). Or, dans le premier des deux manuscrits du roman, la structure se révèle plus linéaire que dans la version définitive, car elle permet l’identification précise des dimensions onirique et réelle des axes narratifs du duc d’Auge et de Cidrolin.
61Ainsi donc, au cours de la rédaction, la modification de la structure, qui est soumise à une plus grande segmentation des unités diégétiques, manifeste la difficulté de construire la superposition des deux temporalités. Tout procédé de transformation du roman vise alors à modifier la linéarité du récit, minimisant les références à la réalité et au sommeil, morcelant l’intrigue, éliminant toute connaissance explicite du futur qu’on trouve dans certaines ébauches du premier chapitre.
Notes de bas de page
1 Parmi ses collaborations, on peut compter la revue Volontés (1937-1940), les éditions Gallimard – où en 1944 il reprend le projet de l’« Encyclopédie de la Pléiade » –, l’académie Goncourt et, à partir de 1948, le Collège de ‘Pataphysique. En 1960, il est avec François Le Lionnais cofondateur de l’Oulipo, qui a comme double mission la création de textes nouveaux à partir de l’imposition de contraintes mathématiques et la découverte de procédés semblables dans les textes du passé.
2 Cf. R. Queneau, Journaux 1914-1965, A.-I. Queneau (éd.), 1996.
3 Sur l’engagement politique et social de Queneau, voir E. Souchier, Raymond Queneau, 1991, p. 9-80 et A. Ferraro, « Queneau et La Critique sociale », dans Raymond Queneau et/en son temps, actes du 3e colloque international Raymond Queneau, 1986, Temps mêlés, no 150 + 33-36, juillet 1987, p. 115-123.
4 M. Lécureur, Raymond Queneau. Biographie, ouvr. cité, p. 143.
5 C. Simonnet, Queneau déchiffré. Notes sur “le Chiendent”, 1962, p. 100.
6 Sur le caractère symbolique et initiatique du voyage en Grèce, voir V. Caton, « Le Voyage en Grèce », dans Raymond Queneau et/en son temps, actes du 3e colloque international Raymond Queneau, 1986, Temps mêlés, no 150 + 33-36, juillet 1987, p. 102-110.
7 Toutes les références aux manuscrits de Queneau renvoient au Fonds Queneau de la bibliothèque Droit et Lettres de l’université de Bourgogne.
8 Le voyage en Grèce, « Harmonies grecques », Fonds Queneau, cote D art 42_6, f. 1. Ici et plus loin, la transcription est effectuée par nos soins.
9 Ibid., f. 1-2.
10 R. Queneau, Voyage en Grèce, 1973, p. 58.
11 Le Voyage en Grèce, « Harmonies grecques », Fonds Queneau, cote D art 42_6, f. 3.
12 N. Arnaud, « Politique et polémique dans les romans de Raymond Queneau », dans Queneau aujourd’hui, actes du colloque Raymond Queneau, (1984), 1985, p. 121.
13 Sur le rapport de Queneau avec le surréalisme, voir C. Debon, « Raymond Queneau et le surréalisme : perspectives critiques », dans Œuvres et Critiques, no 18, 1993, p. 159-163 et M. Dyé, « La symbolique du personnage de Roland Travy ou les modalités d’une quête initiatique », dans D. Delbreil (dir.), Le Personnage dans l’œuvre de Raymond Queneau, 2000, p. 291-307.
14 Les romans écrits à partir de Pierrot mon ami s’éloignent d’une structure excessivement mathématisée en proposant la rime soit linguistique soit sémantique en tant qu’échafaudage narratif.
15 A. Kojève, Les Romans de la sagesse. [Compte rendu de Raymond Queneau, Pierrot mon ami (1942) ; Loin de Rueil (1945) ; Le Dimanche de la vie (1952)], dans Critique, no 60, mai 1952, p. 397.
16 Parmi les romans queniens, on peut encore remarquer Saint Glinglin (1948), qui représente une transposition des théories freudiennes concernant le complexe du père et le complexe d’Œdipe, On est toujours bon avec les femmes (1947) et Le Journal intime de Sally Mara (1950) où, sous le pseudonyme de Sally Mara, Queneau essaie de pasticher le roman anglo-saxon.
17 La production poétique accompagne la création romanesque. Il écrit Les Ziaux (1943), son premier recueil poétique, Bucoliques (1947), L’Instant fatal (1948), La Petite Cosmogonie portative (1950), Le Chien à la mandoline (1958), Sonnets (1958), Cent Mille Milliards de Poèmes (1961), Courir les rues (1967), Battre la campagne (1968), Fendre les flots (1969) et Morale élémentaire (1975). Sur l’œuvre de Raymond Queneau, voir : Raymond Queneau, « L’Arc », no 28, 1966 ; P. Gayot, Raymond Queneau, 1967 ; J. Queval, Raymond Queneau, 1971 ; C. Sanders, Raymond Queneau, 1994.
18 R. Queneau, Bâtons, chiffres et lettres, 1965, p. 27-33.
19 Ibid., p. 27-28.
20 Voir sur ce point l’étude que J.-M. Catonné consacre à l’arithmomanie de l’écrivain dans son essai Queneau, 1992, p. 34.
21 R. Queneau, Bâtons, chiffres et lettres, ouvr. cité, p. 41 : « J’ai écrit d’autres romans avec cette idée de rythme, cette intention de faire du roman une sorte de poème. On peut faire rimer des situations ou des personnages comme on fait rimer des mots, on peut même se contenter d’allitérations. »
22 É. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, tome I, 1966, p. 334.
23 F. Laforge, « Forme et sens dans les romans de R. Queneau », dans Queneau aujourd’hui, ouvr. cité, p. 65-83, p. 77.
24 Ibid., p. 71.
25 Ibid., p. 73 : « Le projet romanesque de Queneau apparaît dès lors dans toute sa cohérence : assigner des lois au récit, rapprocher roman et poésie, c’est substituer le principe “poétique” de répétition au principe romanesque de succession. »
26 La crise du vers selon Jacques Roubaud commence par la déstabilisation de l’alexandrin canonique, et se réalise en trois phases qui détériorent les unités linguistiques, sémantiques et syntactiques des hémistiches. À la crise du vers, comme le remarque Roubaud, « la réponse mallarméenne est l’annexion : il faut que les variations du vers, loin d’être le début de sa décomposition, soient un moyen de conquête de la prose », J. Roubaud, La Vieillesse d’Alexandre : essai sur quelques états du vers français récent, 2000, p. 62.
27 Ibid., p. 167.
28 R. Queneau, Le Voyage en Grèce, ouvr. cité, p. 204-211.
29 Volontés, no 3, 20 février 1938, publié aussi dans Le Voyage en Grèce, ouvr. cité, p. 89-96.
30 Volontés, no 4, 20 mars 1938, publié aussi dans Le Voyage en Grèce, ouvr. cité, p. 97-104.
31 H. Meschonnic, Critique du rythme : Anthropologie historique du langage, 1982, p. 444.
32 É. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, ouvr. cité, p. 332.
33 Meschonnic conçoit le rythme dans le langage « comme l’organisation des marques par lesquelles les signifiants, linguistiques et extralinguistiques (dans le cas de la communication orale surtout) produisent une sémantique spécifique, distincte du sens lexical, et qu’[il] appelle la signifiance : c’est-à-dire les valeurs, propres à un discours et à un seul » ; le rythme coïncide alors avec l’organisation du sens dans le discours et « le sens étant l’activité du sujet de l’énonciation, le rythme est l’organisation du sujet comme discours dans et par son discours » (Critique du rythme, ouvr. cité, p. 217).
34 Ibid., p. 71 : « Si le sens est une activité du sujet, si le rythme est une organisation du sens dans le discours, le rythme est nécessairement une organisation ou configuration du sujet dans son discours. »
35 Ibid., p. 223.
36 Ibid., p. 460.
37 À ce propos, Laforge écrit : « […] l’intertextualité constitue aussi une application remarquable du principe de répétition, partielle ou non, fidèle ou infidèle, d’un texte antérieur, qui n’est souvent lui-même que la répétition d’un autre texte, et ainsi de suite à l’infini » (« Forme et sens dans les romans de R. Queneau », ouvr. cité, p. 76). À ce sujet, voir, entre autres, C. Debon, « La récriture dans les Fleurs bleues », dans Roman 20-50 no 4, décembre 1987, p. 5-14 et « Récriture et identité dans Le Vol d’Icare », dans Doukiplèdonktan? – Études sur Raymond Queneau, 1998, p. 111-120.
38 R. Queneau, Entretiens avec Georges Charbonnier, ouvr. cité, p. 49.
39 Ibid., p. 55.
40 F. Laforge, « Forme et sens dans les romans de R. Queneau », ouvr. cité, p. 67.
41 Le Chiendent, « Notes préparatoires – Notes (Claude Debon) », Fonds Queneau, cote D art. 1_1_1, f. 4
42 Dans la « Technique du roman », Queneau précise : « Je voyais dans le 13 un nombre bénéfique parce qu’il niait le bonheur ; quant au 7, je le prenais, et puis le prends encore comme image numérique de moi-même, puisque mon nom et mes deux prénoms se composent chacun de sept lettres et que je suis né un 21 (3 x 7) » (Bâtons, chiffres et lettres, ouvr. cité, p. 29).
43 Cf. S. Meyer-Bagoly, « Les Derniers Jours. Notice », ouvr. cité, p. 1514-1557.
44 Pour le dossier de genèse des Derniers jours, nous renvoyons au Fonds Queneau de la bibliothèque Droit et Lettres de l’université de Bourgogne, cote D art. 3.
45 Ibid., p. 29.
46 Ibid., p. 32.
47 J.-P. Longre, « Odile. Notice », dans R. Queneau, Œuvres complètes, vol. II, Romans, tome I, ouvr. cité, p. 1558.
48 Toutes les références aux manuscrits des Fleurs bleues renvoient au Fonds Queneau de la bibliothèque Droit et Lettres de l’université de Bourgogne, cote D 17.
49 Voir à ce sujet A. Calame, « Les Fleurs bleues : rime et concordance », dans Temps mêlés, no 150 + 17-19, 1983, p. 77-92.
50 Cf. G. Ceriani, Du dispositif rythmique : Arguments pour une sémio-physique, 2000 ; D. Delas, « Approches du rythme », dans Cahiers de sémiotique textuelle, no 14, 1989 ; D. Delas, « Silence et rythme », dans Cahiers de sémiotique textuelle, no 21, 1991 ; T. Georgiades, « La langue comme rythme », dans Philosophie, no 12, 1986 ; Michael Kirkwood et Alexander Halliday, Intonation et rythme : suppléments à la proposition, 1985 ; J. Kristeva, « Rythmes phoniques et sémantiques », dans La Révolution du langage poétique, 1974 ; J. Kristeva, « Contraintes rythmiques et langage poétique », dans Polylogue, 1977 ; P. Leon et H. Mitterand (dir.), Analyse du discours, 1976 ; C. Zilberberg, L’Essor du poème. Information rythmique, 1985 ; C. Zilberberg, « Le rythme revisité », dans Cahiers de sémiotique textuelle, no 14, 1988, p. 25-36 ; C. Zilberberg, « Modalité et pensée modale », Nouveaux Actes Sémiotiques, no 3, 1989.
51 J. Roubaud et P. Lusson inventent la « Théorie du Rythme abstrait ». C’est à partir de la définition de rythme que nous donne P. Lusson dans les Cahiers de poétique comparée (I, 1, p. 49) (« Le rythme est la combinatoire séquentielle hiérarchisée d’événements considérés sous le seul aspect du même et du différent ») que J. Roubaud définit sa « Théorie du Rythme abstrait » en tant qu’« entrelacement d’une famille de théories ayant en commun une combinatoire séquentielle hiérarchisée d’événements élémentaires discrets observés sous le seul aspect du “même” et du “différent” », J. Roubaud, « T.R.A. (M,m) (question d’une poétique formelle, I) », dans Papiers du Collège international de philosophie, no 6, 1990.
52 Dans la définition proposée par M. O’Reilly, qui nie la possibilité d’un récit non linéaire en parlant plutôt de récit anti-linéaire, le rythme est caractérisé en tant qu’élément qu’on peut détourner de sa régularité. Ainsi M. O’Reilly reconnaît deux typologies de rythme : « À chaque niveau textuel opèrent deux principes, c’est-à-dire deux facteurs se combinant pour conditionner le rythme. En effet, il y a deux sortes de rythme : rythme sémantique et rythme formel. Sur le plan sémantique la linéarité lie la cause à l’effet, l’événement à sa conséquence, établit des rapports entre des scènes, conditionne le développement thématique, créant ainsi le rythme sémantique », « Subversion du rythme. Le roman anti-linéaire », dans Études littéraires, vol. 29, no 1, 1996, p. 95-103, p. 95.
53 Notes sur le roman, « Littérature ; Langues », Fonds Queneau, cote D art. 44_1_1.
54 Ibid., f. 1.
55 Ibid., f. 3.
56 Ibidem.
57 Ibid., f. 15.
58 R. Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits », dans Communications, no 8, 1966, p. 1-27, p. 13.
59 Ibid., p. 14.
60 Ibid., p. 23.
61 Ibidem.
62 T. Todorov, « Les catégories du récit littéraire », dans Communications, no 8, 1966, p. 125-151, p. 127.
63 R. Queneau, « Technique du roman » [version préparatoire A], dans Œuvres complètes, vol. II, Romans, tome I, 2002, p. 1241.
64 R. Queneau, « Technique du roman », ouvr. cité, p. 30.
65 Pour le dossier de genèse du Vol d’Icare, nous renvoyons au Fonds Queneau de la bibliothèque Droit et Lettres de l’université de Bourgogne, cote D art 18.
66 H. Godard, « Le Vol d’Icare. Notice », ouvr. cité, p. 1799.
67 La superposition diégétique finale est explicitée par les mots du romancier Hubert Lubert : « Tout se passa comme prévu ; mon roman est terminé », R. Queneau, Le Vol d’Icare, 1968, p. 304.
68 Ibid., p. 262.
69 R. Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits », ouvr. cité, p. 16.
70 M. Nadeau, « Pelons l’oignon », dans La Quinzaine littéraire, no 62, 1er-15 déc., 1968, p. 7.
71 H. Godard, « Le Vol d’Icare. Notice », ouvr. cité, p. 1807.
72 C. Simmonet, Queneau déchiffré, ouvr. cité, p. 40 : « Loin de jouer de l’apparente liberté du romancier, comme Gide par exemple, pour créer une œuvre systématiquement anarchique, il va mettre cette liberté au service d’une construction rigoureuse. »
73 Le Vol d’Icare, « Notes préparatoires : Notes », Fonds Queneau, cote D art. 18_1_1, f. 32.
74 Pour un approfondissement sur la circularité dans Le Chiendent, voir A. Calame, « Le Chiendent : des mythes à la structure », dans Queneau aujourd'hui, actes du colloque Raymond Queneau, (1984), 1985, p. 29-64.
75 R. Queneau, Le Chiendent, 1974, p. 432.
76 C. Simonnet, Queneau déchiffré, ouvr. cité, p. 65.
77 R. Queneau, « Prière d’insérer », dans Les Fleurs bleues, 1978, p. 7 : « On suit le duc d’Auge à travers l’histoire, un intervalle de cent soixante-quinze années séparent chacune de ses apparitions. En 1264, il rencontre Saint Louis ; en 1439, il s’achète des canons ; en 1614, il découvre un alchimiste ; en 1789, il se livre à une curieuse activité dans les cavernes du Périgord. En 1964 enfin, il retrouve Cidrolin qu’il a vu dans ses songes se consacrer à une inactivité totale sur une péniche amarrée à demeure. »
78 A.-M. Jaton, « Les Fleurs bleues. Notice », ouvr. cité, p. 1753.
79 Pour une analyse exhaustive du roman, cf. A.-M. Jaton, Lecture(s) des « Fleurs bleues » de Raymond Queneau, 1998.
80 La deuxième phase des notes se compose tout d’abord d’un plan de travail ou d’avancement d’écriture qui prévoit une sorte de productivité journalière : il s’agit de deux diagrammes où l’abscisse indique le temps de rédaction tandis que l’ordonnée représente le nombre de pages à écrire. La troisième phase des notes commence le 1er mars et se termine le 16 mars 1965, coïncidant avec la révision de la première version, travail annoncé par un autre diagramme de l’activité scripturale. Pour le dossier de genèse des Fleurs bleues, nous renvoyons au Fonds Queneau de la bibliothèque Droit et Lettres de l’université de Bourgogne, cote D art. 17.
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GénétiQueneau
Sur la genèse de Pierrot mon ami, Les Fleurs bleues et Le Vol d’Icare
Daniela Tononi
2019