Chapitre 8. Traitement multimodal des données versus analyse multimodale des interactions : perspective de l’ethnométhodologie et de l’analyse conversationnelle
p. 211-251
Remerciements
L’auteure remercie le LABEX ASLAN (ANR-10-LABX-0081) de l’université de Lyon pour son soutien financier dans le cadre du programme Investissements d’avenir (ANR-11-IDEX-0007) de l’État français géré par l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Texte intégral
Introduction
1L’analyse conversationnelle (AC) est une discipline développée par le sociologue Harvey Sacks à la fin des années 1960, puis en étroite collaboration avec Emanuel A. Schegloff et Gail Jefferson, pour étudier l’organisation sociale de l’action in situ. Elle s’inspire de l’ethnométhodologie de Garfinkel. Initialement axé sur l’étude de l’interaction parlée (à partir de données audio), un travail de plus en plus important est mené (à partir de données audio et vidéo) et prend en compte – au-delà de la parole – le geste, le regard, la posture et d’autres moyens de communication au cours des conversations. Les conversationnalistes qui étudient l’interaction au-delà du discours définissent de plus en plus leur travail en termes de multimodalité, et ce terme commence à gagner pertinence (par exemple, le thème de l’édition 2010 de la Conférence internationale sur l’analyse conversationnelle – ICCA en anglais1 – était « Interaction multimodale »). Les études « multimodales » en AC reposent sur des observations approfondies de personnes impliquées dans une activité donnée. Par exemple, Heath, Hindmarsh et Luff (2010) analysent des fragments d’interaction dans les maisons de vente aux enchères, les salles de consultation et les salles de contrôle. Goodwin (2000b) étudie le travail des archéologues et des enfants qui jouent à la marelle. Les chercheurs dans ce domaine utilisent une transcription fine et une analyse de petites séquences d’enregistrement vidéo (par exemple 10 secondes) pour explorer comment l’interaction multimodale se déroule moment par moment. Ils démontrent :
- comment les gens coordonnent leurs actions et anticipent les actions des autres dans le travail collaboratif ;
- comment pour explorer comment l’interaction multimodale se déroule et se positionnent par rapport aux autres ;
- comment les participants utilisent toutes les parties de leur corps en parallèle ou en l’absence de parole.
2Un concept clé dans ce travail, et plus généralement en AC, est la notion de séquentialité, c’est-à-dire l’ordre temporel de l’action comme un moyen d’atteindre une compréhension mutuelle (MODE, 2012).
3Nous souhaitons aborder dans ce chapitre, d’une part, le traitement multimodal des données d’un point de vue informatique et méthodologique, et d’autre part, l’analyse multimodale des interactions. En effet, aujourd’hui le chercheur a à sa disposition, d’un côté, un éventail d’outils et logiciels informatiques de plus en plus pertinent lui permettant d’enrichir ses méthodologies de travail (en amont des analyses qualitatives). Par conséquent, son approche des données enregistrées relève aussi, de notre point de vue, d’un traitement dit multimodal. D’un autre côté, il nous paraît essentiel de rendre compte de nos pratiques lors d’analyses multimodales des interactions. Il s’agira ici de mener une analyse qualitative à la fois linguistique et interactionnelle (relative au discours et à l’organisation des tours de paroles) et multimodale (relative aux actions, gestes, regards, postures des participants localement situés) à partir d’une situation d’interaction entre une patiente atteinte d’aphasie et son orthophoniste.
4Nous proposons donc trois grandes parties dans ce chapitre. Après une brève explication des deux corpus exploités (partie 1 : corpus Aphasie, corpus Jeux vidéo), nous présentons tout d’abord le traitement multimodal des données en analyse conversationnelle lors de notre travail de chercheur aujourd’hui (partie 2). Nous opérons pour cela différentes modalités d’exploitation des données en fonction de l’objet d’analyse d’une part, des finalités (publication, communication, diffusion, partage, etc.) d’autre part. Nous illustrons nos propos à partir d’exemples extraits du corpus Jeux vidéo. Nous proposons ensuite une analyse linguistique, interactionnelle et multimodale (partie 3) de trois extraits du corpus Aphasie pendant lequel une patiente aphasique est en séance de rééducation avec son orthophoniste. L’objectif de la séance est de réapprendre le geste à la patiente dans le but de communiquer un mot, une action qui ne peut plus être verbalement produit(e). Dans cette analyse qualitative, nous présentons une synthèse théorique non exhaustive de la relation entre gestes/postures/regards et langage dans les interactions avec des personnes aphasiques.
Contexte et corpus exploités
Corpus Aphasie
5Après un AVC, les personnes devenues aphasiques utilisent généralement plus de gestes dans les échanges de discussions. En l’absence d’un mot, cette compensation gestuelle peut prendre une place très importante dans la conversation (Ahlsén, 1991 ; Goodwin, 1995, 2006 ; Hadar, 1991 ; Klippi, 2006). Dans nos données, nous avons observé chez certaines personnes aphasiques qu’en plus des mots manquants, une difficulté supplémentaire était d’associer le bon geste au bon mot. Par conséquent, nous considérons le travail de rééducation du geste effectué par l’orthophoniste pendant des mois (et parfois des années) après l’AVC comme étant aussi important que le travail de rééducation de la parole. C’est pourquoi, dans ce chapitre, nous proposons d’analyser cette rééducation du geste spécifique faite par des personnes aphasiques et leurs familles ou soignants, en particulier en interaction avec l’orthophoniste.
6Pour mieux comprendre le contexte de notre recherche, voici une description de la pathologie de l’aphasie.
L’aphasie est une altération du langage, affectant la production ou la compréhension de la parole et la capacité de lire ou d’écrire. L’aphasie est toujours due à une lésion au cerveau. […] L’aphasie peut être si grave qu’elle rend la communication avec le patient presque impossible, ou elle peut être très légère. Il peut affecter principalement un seul aspect de l’utilisation du langage, comme la capacité de récupérer les noms d’objets, ou la capacité de mettre des mots ensemble dans des phrases, ou la capacité de lire. […] C’est le travail du professionnel de déterminer la quantité de fonctions disponibles dans chacun des canaux pour la compréhension du langage et d’évaluer la possibilité que le traitement puisse améliorer l’utilisation des canaux qui sont disponibles. (National Aphasia Association, 2017)
7Pour notre étude, nous avons enregistré une série d’interactions entre les patients aphasiques et leur entourage privé ou professionnel (famille, amis ou orthophonistes). Toutes ces personnes ont un rôle d’aidant auprès des patients. Dans ce projet, nous sommes particulièrement intéressée à étudier les pratiques d’interaction des patients aphasiques en conversations et à aider les orthophonistes à élargir leur point de vue sur les pratiques interactionnelles de leurs patients ainsi qu’à identifier de nouvelles priorités dans le travail de rééducation. En effet, une analyse détaillée des interactions avec les personnes aphasiques peut aider à donner plus de visibilité à leurs compétences en production de langue, parfois encore marquées par un manque de reconnaissance académique et considérées comme des pratiques particulièrement hétérogènes (Morel, 2008).
8Notre recherche est dans la continuité des travaux en linguistique sur le langage des patients aphasiques (en particulier Pascual, Nespoulous & Virbel, 1997 ; Lindsay & Wilkinson, 1999 ; Goodwin, 2000a ; Nespoulos & Virbel, 2004). Plus généralement, les principaux objectifs sont les suivants :
- étudier les pratiques de communication compensatoires développées par le patient aphasique et son entourage ;
- étudier les processus avec lesquels ils construisent et transmettent des connaissances et des compétences en communication ;
- apporter des réponses et des outils supplémentaires aux préoccupations des professionnels de santé.
9Pour atteindre nos objectifs, nous avons enregistré des données vidéo d’une patiente atteinte d’aphasie, dans deux contextes interactifs différents : lors d’une interaction médicale ou lors d’une interaction informelle. Ces interactions se déroulent à la maison pendant les repas familiaux ou les séances d’orthophonie.
10Par conséquent, les conversations d’une même patiente sont documentées dans deux situations d’interaction (interactions médicale et informelle), ce qui nous permet d’analyser les stratégies de communication compensatoires développées par les participants non aphasiques pour accompagner, aider et soutenir la patiente dans le développement d’une interaction.
11Dans ce chapitre, nous analysons spécifiquement la patiente aphasique Aïcha, enregistrée lors d’une séance d’orthophonie à domicile avec Anna (la thérapeute). Il s’agit d’une patiente âgée de plus de 70 ans, atteinte d’une aphasie de Broca après un AVC. L’ensemble de la conversation (45 minutes) a été transcrit (en utilisant les conventions ICOR) et anonymisé (c’est-à-dire que toutes les informations privées ont été modifiées : nom, prénom, numéro de téléphone, etc.) mais tous les participants ont signé un formulaire d’autorisation qui nous permet de communiquer ou de publier des études basées sur le corpus sans flouter leurs visages.
Corpus Jeux vidéo
12Un second corpus est exploité dans ce chapitre. Il s’agit des données issues du projet LUDESPACE « Les espaces du jeu vidéo en France2 », dans lequel nous avons proposé un panorama et une cartographie des pratiques des jeux vidéo en France. Ce projet fait appel à une approche du jeu vidéo comme système spatial pour analyser les interactions multi-échelles entre l’espace dans le jeu vidéo, l’espace du joueur et l’espace autour du jeu vidéo (Boutet, Colón de Carvajal, Ter Minassian & Triclot 2014). Nous avons questionné quatre thématiques de recherche3 :
- qui joue aux jeux vidéo en France ?
- où, comment et dans quelle configuration spatiale les joueurs jouent-ils ?
- quel rapport à l’espace et au temps les joueurs ont-ils à travers la pratique vidéoludique ?
- quelle est la nature des échanges entre les joueurs, et entre les joueurs et les machines / les jeux vidéo dans le temps et dans l’espace de jeu ?
13En ce qui nous concerne, nous avons travaillé et nous travaillons toujours plus particulièrement sur le dernier axe concernant l’étude des interactions en situation de jeu vidéo.
14Nous avons adopté dans ce projet la méthodologie de travail de terrain et de recueil de corpus développée en linguistique interactionnelle qui donne à voir des expériences vidéoludiques variables selon les contextes. Cette méthodologie vise à capturer des données audio et vidéo afin de rendre disponibles, et donc analysables, les détails linguistiques, multimodaux et situationnels (regards, gestes, mouvements, actions, objets, cadre physique) pertinents pour l’interaction enregistrée (groupe ICOR 2006). Elle permet aussi d’observer précisément l’évolution dans le temps et dans l’espace d’une ou plusieurs sessions de jeu, les interactions sociales et spatiales qui se nouent entre les joueurs et le support de jeu, entre les joueurs et leur environnement, et enfin entre les joueurs eux-mêmes.
15L’utilisation d’enregistrements audiovisuels de situations naturelles de jeux vidéo a permis d’apporter un matériau inédit afin de répondre à des questions qui ne peuvent être traitées pendant les entretiens semi-directifs et au moment de l’enquête. Après une discussion commune au sein de l’équipe de recherche, nous avons privilégié neuf situations de jeux vidéo à enregistrer (Colón de Carvajal, 2013, p. 24-25) en tenant compte de différentes variables et interrogations pertinentes pour notre objet d’étude (Colón de Carvajal, à paraître). Nous avons au minimum deux vues d’une même situation de jeux vidéo : le joueur dans son espace et l’écran du joueur. Pour certaines situations, nous avons la vue supplémentaire des mains du joueur manipulant le contrôleur de la console (ou le clavier et la souris de l’ordinateur), et une source d’enregistrement audio. Dans cet article, nous prenons exemple sur deux situations de jeux :
16Une session de Mario à quatre joueurs sur console Wii.
Une session de jeux en réseau local (LAN) à huit joueurs sur ordinateur :
Traitement multimodal des données
17Il s’agit d’étudier le corpus à l’aide de différentes modalités. Le choix de ces modalités d’exploitation des données varie en fonction de l’objet d’analyse, de la problématique d’analyse précise et également des finalités (publication, communication, diffusion, partage, etc.).
18Aujourd’hui, dans le traitement multimodal de nos données en analyse conversationnelle, nous distinguons trois phases possibles : documenter ; coder/annoter ; décrire/transcrire. Ces étapes correspondent à l’usage de ressources, d’outils, de logiciels externes par rapport aux données primaires afin de les enrichir en informations plus ou moins fines (données secondaires) qui représentent déjà un premier niveau d’analyse des données (primaires). De plus, ces trois phases correspondent à des conditions d’accès qui vont d’un statut privé des données secondaires (non publiables en l’état) à un statut public (pour diffusion et partage).
19Nous résumons les caractéristiques principales de ces trois phases dans le tableau 1 de synthèse.
Tableau 1 – Trois phases possibles dans le traitement multimodal des données en analyse conversationnelle
Documenter | Coder/annoter | Décrire/transcrire | |
Quel contenu ? | Passage lié à une problématique, question générale | Indicateurs, variables, items régis par une typologie précise | Actions avatars, joueurs, événement écran. Gestes, postures, regards, mouvements, du patient aphasique ou Alzheimer ou de l’orthophoniste |
À quelle fin ? Quid du public visé, du lecteur ? | Personnelle Indexation Documentation des données | Statistique Analyse quantitative Communication, colloque Article, chapitre | Actions avatars, joueurs, événement écran. Gestes, postures, regards, mouvements, du patient aphasique ou Alzheimer ou de l’orthophoniste |
Comment ? Avec quels outils méthodologiques et informatiques ? | Texte libre dans ELAN (tour de parole ou description générale de l’action, du geste) | Élaboration grille de codage dans ELAN (Word/papier pour la réflexion) Extraction Excel pour phase de quantification | Conventions ICOR Conventions multimodales LM2008 adaptées ELAN + Word/texte |
Exemples | Problème caméra Problème d’identification/ références Modalités de réparation | Qui pose la question Qui répond Dans quel type de jeu Qui initie la réparation Qui répare De quelle manière la séquence de réparation est-elle initiée | Descriptions d’actions/événements non alignées au tour de parole : ((Dominique est spectateur de l’action en cours en attendant que son avatar revienne dans le jeu)) ((Anna prépare l’exercice suivant et sort des objets de son sac)) Transcription multimodale alignée au tour de parole : DOM @ouh ça sent l` piège\ vas-y tape %(0.2) tape@ Aver @saute 2 fois sur la case pour récupérer la pièce @ Adom %revient dans le jeu en bulle |
20Pour mieux comprendre les ressources et les enjeux que représente chacune de ces étapes, nous allons les développer plus en détail dans la section suivante.
Documenter
21Il s’agit ici plus précisément d’effectuer un travail d’indexation de ces données, d’établir un repérage personnel aligné sur le signal audio et/ou vidéo, à l’aide d’un logiciel d’annotation comme ELAN. Ainsi, dans notre corpus d’interactions multi-joueurs en situation de jeux vidéo, nous avons par exemple indexé les passages d’appropriation possibles du dispositif Kinect, ou les séquences identifiées comme une forme d’encouragement. Nous avons aussi marqué les moments de problèmes techniques lors de l’enregistrement (par exemple l’arrêt d’une caméra, les rideaux fermés qui obscurcissent la pièce, etc.) ou encore les séquences liées à une demande d’identification des joueurs, des avatars dans le jeu.
22Ces différents repérages personnels sont tous alignés sur le signal audiovisuel et permettent ainsi un retour direct à la source, comme une forme de chapitrage des données, d’indexation manuelle des données à des fins de prises de notes alignées sur le signal. À partir de ce travail d’indexation, nous réfléchissons ensuite à une problématique de recherche plus précise et, à des fins d’analyse quantitative, nous construisons une grille de codage à partir d’observables pertinents à renseigner.
Coder
23Pour construire une grille de codage (un template4) utilisable et pertinent sous le logiciel ELAN, il est important de se poser les questions suivantes : quelles sont les données dont nous voulons disposer ? (parole, gestes, un ou plusieurs intervenants, etc.) ? ; quelles informations voulons-nous sur ces données ? (liste des annotations, nombre d’annotations par type, chevauchement possible entre différentes annotations, etc.) ?
24L’ensemble des réponses à ces questions va permettre au chercheur de définir les acteurs (tiers) nécessaires dans l’application, les liens existants entre eux (types linguistiques) et les listes d’annotations (vocabulaire contrôlé)5. Nous avons donc élaboré la grille de codage suivante afin de caractériser spécifiquement les séquences de demande d’identification en situation de jeux vidéo. Nous avons émis l’hypothèse d’une diminution des demandes liées à des références joueurs/avatars au fur et à mesure de la progression dans le jeu :
- qui pose la question ? [Prénoms des joueurs/Néant] ;
- qui répond ? [Prénoms des joueurs/Néant] ;
- à quel jeu sont-ils en train de joueur ? [UT1/UT2/UT3 .../Starcraft1/Starcraft2 .../Counter1/Counter2] ;
- de quelle équipe fait partie la personne qui pose la question ? [individuel/bleu/rouge/terroriste/contre-terroriste] ;
- qui gagne la partie ? [prénom (match à mort)/vainqueur bleu/vainqueur rouge/vainqueur terroriste/vainqueur contre-terroriste] ;
- à quel moment de la partie la production est-elle réalisée ? [Début/milieu/fin/hors-jeu] ;
- délai de la réponse [immédiat/tardif/non-réponse] ;
- forme de la demande [évaluative/descriptive, interrogative].
25L’un des indicateurs significatifs de cette quantification des données6 a été d’observer une forte absence de réponses aux demandes liées à des références aux joueurs ou aux avatars. Ce constat nous a conduite à construire une collection d’extraits spécifique aux demandes d’identification sans réponse en contexte de jeux vidéo.
26C’est ainsi que le travail de codage peut être parfois une étape préliminaire à une analyse linguistique et multimodale particulière, en dégageant, au regard des résultats quantitatifs, une sous-collection d’extraits représentant le même phénomène lié, par exemple, à une problématique qui aura émergé suite à l’analyse des résultats statistiques.
Décrire et transcrire
27En analyse conversationnelle, étudier un phénomène, une activité, une problématique de recherche peut se faire soit à partir d’un exemple unique appelé « single case » (Schegloff, 1987), soit en établissant une « collection » d’extraits qui présentent le même phénomène, la même activité, ou la même problématique (Schegloff, 1993). Le terme « collection » correspond ainsi à une même action et/ou à des mêmes ressources formelles (linguistiques, multimodales) dans le même environnement séquentiel.
28Une fois la collection établie ou le « single case » sélectionné, nous entrons dans la dernière étape de description et transcription des données qui permettra de rendre compte de l’organisation séquentielle et interactionnelle des séquences choisies, et de construire ainsi notre analyse. Nous n’aborderons pas ici la méthodologie de transcription des phénomènes vocaux (bruit) et verbaux (langage) ; nous préférons nous focaliser sur les contraintes liées à la transcription multimodale des données, c’est-à-dire à la transcription des phénomènes non verbaux (action non verbale, gestes, mimiques, etc.). En effet, nous observons trois contraintes fortes lorsque nous sommes confrontés à un travail de transcription multimodale.
- La première contrainte concerne la transcription de la multimodalité pour assurer une compréhension de l’analyse la plus claire, la plus complète, mais la plus brève possible aussi, sans jouer la vidéo (exemple : diffusion dans un article imprimé).
- La deuxième contrainte correspond aux difficultés de généraliser les transcriptions multimodales en analyse conversationnelle. Il n’existe pas de convention de transcription multimodale unique dans notre domaine. Le choix d’une convention de transcription multimodale dépend fortement des données analysées.
- La troisième contrainte est liée à la transcription multimodale parfois non pertinente pour l’analyse. Le chercheur ne doit pas nécessairement tout transcrire, il doit faire des choix qui dépendent ici aussi de la (ou des) problématique(s) de recherche. Il existe effectivement un lien étroit entre la transcription et l’analyse ; et les choix que le chercheur peut faire au niveau de la transcription multimodale relèvent déjà d’une analyse en soi.
29La multimodalité dans les jeux vidéo représente un cluster complexe de phénomènes différents, multimodaux, dans le même environnement séquentiel pour accomplir une même action. La description du geste est souvent moins importante que sa position précise dans le tour de parole, ou que la trajectoire du geste / de l’action alignée sur la parole. Il est également fondamental de garder en mémoire que les trois étapes présentées ici – documenter versus coder/annoter versus décrire/transcrire – sont très différentes.
Valoriser et diffuser ses pratiques méthodologiques
30Comme le conseillent Rousset, Parisse, Boutet et Vincent (2013), nous invitons également vivement les chercheurs, doctorants et jeunes docteurs à valoriser leur méthodologie de travail à travers la publication d’articles ou de documents de travail cent pour cent méthodologiques, où les auteurs partageraient leurs choix, leurs erreurs, les problèmes rencontrés, etc., au moment du traitement et de l’analyse de leur corpus. Les chercheurs consacrent aujourd’hui énormément de temps à ce traitement multimodal des données, et nous pensons qu’il devient aussi important de partager sur nos pratiques méthodologiques que sur nos analyses et résultats scientifiques. Pour cela, les chercheurs peuvent rédiger une sorte de manuel de codage7, de manuel de traitement de leurs données qui leur permettrait de garder une trace des choix d’annotation, de transmettre des indications claires aux partenaires (vacataires, autres chercheurs, etc.) et de publier les choix effectués afin de permettre à d’autres chercheurs de reprendre, discuter, confronter les résultats obtenus.
31Aujourd’hui, avec les archives ouvertes en sciences de l’homme et de la société (HAL-SHS)8, il est possible d’obtenir un numéro d’identification unique par publication, et ainsi de favoriser les citations possibles de son manuel de codage à la communauté.
32Pour obtenir un manuel de codage efficient, il est recommandé de prendre le temps de bien identifier les choix d’annotation : il faut penser qu’on s’adresse à des personnes souvent complètement extérieures au projet, qui n’ont pas nécessairement connaissance des discussions et choix méthodologiques établis en amont dans le cadre d’un projet par exemple. Il faut également trouver des exemples parlants permettant d’illustrer les différentes possibilités : bien donner des exemples pour chaque entrée du vocabulaire contrôlé par exemple dans ELAN. Enfin, faire des copies d’écran permettant de visualiser la mise en place dans ELAN.
33Après cette première entrée en matière sur le traitement multimodal des données du point de vue des corpus et de l’ensemble des questions liées à la construction de corpus multimodaux/plurisémiotiques (textes, images, son et vidéo), leurs exploitations informatiques et leurs diffusions, nous proposons à présent une analyse linguistique, interactionnelle et multimodale de trois extraits du corpus Aphasie pendant lequel une patiente aphasique est en séance de rééducation avec son orthophoniste. L’analyse conversationnelle se différencie ainsi des perspectives informatique et/ou plurisémiotique dans sa définition de la multimodalité en mettant « le focus sur l’action humaine et non sur des systèmes de signes » (Mondada, 2017).
La multimodalité concerne ainsi des ressources pour l’organisation de l’action – comme la grammaire, le regard, le geste, les expressions faciales, les postures du corps, les mouvements, les manipulations d’objets. Ces dimensions ne deviennent des ressources multimodales que lorsqu’elles sont recrutées, utilisées, mobilisées par les participants dans un cours d’action pour en assurer l’organisation publique et intersubjective. La multimodalité dans ce sens est indissociable de ce qu’en font les participants – et n’est pas une propriété d’objets appréhendés en dehors de l’action qui les mobilise9.
Analyse multimodale des interactions : un exemple entre une patiente aphasique et son orthophoniste
34Dans cette troisième partie, nous proposons tout d’abord une synthèse théorique non exhaustive de la relation entre les gestes et le langage dans les interactions entre des patients aphasiques et des membres de leur entourage. Cette synthèse comprend trois sous-parties : premièrement, nous rappelons trois classifications générales des gestes ; deuxièmement, nous resituons particulièrement les recherches sur la notion de « multimodalité » en analyse conversationnelle ; troisièmement, nous présenterons, d’un point de vue plus linguistique clinique, les travaux sur l’analyse de la multimodalité lors des interactions avec des personnes aphasiques.
35Notre objectif ici n’est pas de décrire en détail cet état de l’art non exhaustif sur la notion de geste et de multimodalité, mais plutôt de contextualiser l’analyse qualitative faite ensuite dans cette partie. Nous proposons pour cela l’analyse séquentielle de trois extraits pour illustrer les interactions parfois complexes effectuées entre les participantes – orthophoniste et patiente aphasique – qui sont engagées dans une activité de réapprentissage du geste dans le but de communiquer un mot qui ne peut plus être verbalement produit. Cette analyse contribue à la recherche linguistique et clinique existante en ce qu’elle se concentre non seulement sur le patient, mais aussi sur l’aidant, l’orthophoniste. Nous voulons démontrer que la rééducation gestuelle du patient aphasique est aussi importante que sa rééducation de la parole ; et nous montrons que la façon de travailler de l’orthophoniste est pertinente et essentielle pour le réapprentissage des techniques de communication chez la patiente. De manière plus générale, nous exposons comment les compétences interactives des locuteurs sont constamment mises en question, surtout lorsqu’elles participent à une activité de « répétitions gestuelles ».
36Notre recherche est développée à partir des outils théoriques et méthodologiques de l’analyse conversationnelle (inspirée de l’ethnométhodologie de Garfinkel et de la conception de Goffman du cadre de participation) et de l’approche de la linguistique interactionnelle (exploration des ressources grammaticales et linguistiques mobilisées par les participants dans l’organisation de l’interaction).
Relation entre le geste et la parole
37Tout d’abord, dans le travail de recherche sur le geste, nous différencions trois classifications gestuelles générales, comme l’a déclaré Kendon (2004, p. 103) :
- une première classification comprend des gestes considérés : une distinction est faite ici entre les gestes faits avec les mains et les bras en opposition à d’autres mouvements corporels faits avec la tête, les yeux, etc. (Austin, 1806 ; Ekman et Friesen, 1967) ;
- une deuxième classification établit la connexion entre les gestes et le discours : ce lien existe, mais il est nuancé entre l’expression corporelle et le discours. Une distinction est donc possible par exemple entre les liens unissant une culture et une correspondance gestuelle/discursive (Efron, 1941) et la relation entre les processus de pensée et l’expression linguistique (McNeil, 1992, 2000) ;
- enfin, une troisième classification développe les fonctions sémiotiques des gestes en établissant, par exemple, une distinction entre les gestes déictiques ou démonstratifs, les gestes imitatifs ou les gestes expressifs (Cosnier & Vaysse, 1997).
38Les différentes typologies présentent ici des difficultés inhérentes à la classification, telles que la délimitation efficace des gestes et l’exclusion mutuelle de différentes catégories qui ne correspondent pas aux gestes trouvés en contexte (Kendon, 2004, p. 104).
39Dans ce chapitre, nous considérons les gestes comme une ressource tout comme le langage pour interagir et effectuer des actions quotidiennes.
40Lorsque nous nous concentrons sur les recherches axées sur les gestes, il est également important de considérer les recherches développées en analyse conversationnelle sur la multimodalité pour examiner les enregistrements vidéo. En effet, Lorenza Mondada (2014, p. 139) explique clairement dans son article récent sur « the local constitution of multimodal resources for social interaction » (« la constitution locale de ressources multimodales pour l’interaction sociale ») que l’action humaine est fondamentalement multimodale. En outre, elle évoque plusieurs aspects de la notion de « ressource ». Elle propose trois considérations pour la notion de « ressource » (c’est-à-dire la ressource multimodale), ce qui permet :
i) […] to treat linguistic and embodied resources in principle in the same way, without prioritizing a priori one type of resource over other ones; ii) to identify not only conventionalized sets of resources, as grammar and some types of gesture, but also situatedly occasioned and assembled resources; iii) to study how resources are combined together in various configurations, depending on the activity, its ecology and its material and cultural constraints. (Mondada, 2014, p. 139)
i) […] de traiter les ressources linguistiques et incarnées en principe de la même façon, sans hiérarchiser a priori un type de ressource plus qu’un autre ; ii) d’identifier non seulement des ensembles de ressources conventionnelles, tels que la grammaire et certains types de gestes, mais aussi des ressources provoquées et réunies de façon située ; iii) d’étudier comment les ressources sont combinées ensemble dans des configurations variées, selon l’activité, leurs contraintes écologiques, matérielles et culturelles.
Par conséquent, lorsque nous voulons analyser la relation entre les gestes et la parole, il est également important de considérer comment les participants synchronisent les différentes ressources disponibles en fonction de l’activité en cours :
In some human activities, language plays a crucial role, while in other activities other resources are privileged: thus, the prioritization of one resource over the other is not a matter that can be decided in a principled way, but an empirical issue that depends on the type of situated activity and on the way in which participants format it. (Mondada, 2014, p. 139)
Dans certaines activités humaines, le langage joue un rôle crucial, alors que dans d’autres activités, d’autres ressources sont privilégiées : ainsi, la priorité d’une ressource sur l’autre ne peut être décidée de manière raisonnée, mais repose sur une question empirique qui dépend du type d’activité située et de la façon dont les participants la configurent.
41Les recherches en analyse conversationnelle étudiant les interactions qui impliquent des personnes aphasiques ont découvert plusieurs pratiques d’interaction utilisées par les personnes atteintes de lésions cérébrales et ont bien considéré leur pertinence pour la communication. Une partie de cette recherche a exploré la multimodalité pour évaluer les pratiques de communication de la personne aphasique.
42Plus précisément, nous présentons ici un travail en cours sur la place du geste lorsqu’un mot manque, dans le cadre de conversations entre une patiente aphasique et son orthophoniste. Dans plusieurs recherches en interaction sur la communication aphasique, nous lisons que certaines personnes aphasiques utiliseront plus de gestes (Auer & Bauer, 2011) pour changer et maintenir l’échange ; et quand un mot manque, les gestes peuvent jouer un rôle encore plus important (Ahlsén, 1991 ; Goodwin, 1995, 2006 ; Hadar, 1991 ; Klippi, 2005).
43Enfin, d’un point de vue clinique (orthophonie, etc.), Ballandras (2010, p. 62, p. 65-66) explique que l’utilisation du geste a été peu étudiée en situations réelles. Sur la relation entre les déficiences linguistiques et les troubles gestuels, aucun consensus n’a été observé chez les auteurs (voir les travaux de Nespoulous, 1979, contre Labourel, 1982). Il semble que, pour les patients aphasiques sans incapacité motrice ou praxique associée, cette forme de communication est un moyen intéressant de transmettre des informations, en particulier dans des situations de communication liées aux activités concrètes de la vie quotidienne (Nespoulos, 1979). Selon certains auteurs, il y aurait une altération parallèle du geste et de la production verbale (Daviet, Muller, Stuit, Darrigrand & Mazaux, 2007, 2007). Par la suite, ce point de vue a été nuancé, ce qui montre que cette corrélation entre les troubles gestuels et verbaux n’est pas toujours observable (Daviet, Muller, Stuit, Darrigrand & Mazaux, 2007).
44Nous convenons qu’il est impossible de faire une généralisation de l’augmentation gestuelle par tous les aphasiques, mais comme le dit Goodwin :
Gesture as meaningful action is accomplished not by a speaker’s hand alone, but instead through the relevant juxtaposition of a range of different kinds of semiotic materials which mutually elaborate each other. (2000b, p. 84)
Le geste en tant qu’action significative est accompli non par la seule main du locuteur mais par la juxtaposition pertinente de toute une gamme de matériaux sémiotiques différents qui s’élaborent mutuellement.
45Par conséquent, tous les types de gestes produits par une personne aphasique en interaction avec un partenaire de communication privé ou professionnel peuvent être potentiellement co-interprétés par les coparticipants pour assurer la compréhension mutuelle de l’échange. C’est pourquoi, par le biais de notre analyse, nous cherchons à expliquer l’importance du travail de l’orthophoniste qui essaie de travailler avec une patiente aphasique très limitée dans la production verbale, en expliquant à la patiente comment communiquer avec un geste lorsqu’il manque des mots spécifiques.
46Avant de présenter les résultats de l’analyse qualitative, nous expliquons pourquoi nous avons choisi le verbe « mimer » utilisé dans la transcription multimodale et dans les analyses.
Mimer c’est exprimer par le geste, par le jeu de physionomie, sans parler, les attitudes de quelqu’un, des sentiments, une action ; c’est contrefaire, imiter d’une façon plaisante l’air, les gestes, les manières de quelqu’un. (Larousse, 2017)
Imiter par des gestes, des attitudes, des jeux de physionomie, à l’exclusion de la parole. (CNRTL, 2017)
47Dans ce chapitre, nous utilisons le verbe « mimer » dans sa signification usuelle rappelée dans les citations qui précèdent. Au-delà de ces définitions qui nous semblent pertinentes, il est important de préciser que, dans nos données, c’est précisément le verbe employé par l’orthophoniste lors d’une séance de travail de réadaptation entre le thérapeute et la patiente aphasique (voir l’analyse de l’extrait 1).
48D’un point de vue méthodologique, nous voulons préciser brièvement certains choix opérés dans nos conventions de transcription. En ce qui concerne les silences, les nombres entre parenthèses – (0.6) – indiquent une pause quantifiée en dixièmes de seconde. Un point entre parenthèses – (.) ou (…) ou (…) – indique une micro-pause, un silence sonore de moins de 0,2 seconde. Les silences et les micro-pauses peuvent être marqués soit dans un tour de parole, soit entre les tours. Ils peuvent être analysés comme des points de transition pertinents ou non, selon le contexte interactif et non leur position dans le tour. De plus, nous n’avons transcrit que les intonations montantes et descendantes. Par conséquent, lorsqu’elles ne sont pas spécifiées à la fin de certains tours, il s’agit alors d’intonation continue.
49En ce qui concerne les transcriptions multimodales, elles sont faites à partir des conventions de transcription gestuelles proposées par Mondada (2008). Nous avons spécifiquement choisi deux symboles associés pour chaque participante : le symbole étoile * représente les gestes ou les regards d’Anna ; le symbole de paragraphe § représente les gestes ou les regards d’Aïcha. Ces symboles sont utilisés pour délimiter le début et la fin d’un geste, d’une action ou d’un regard simultanément avec un tour de parole ou un silence. Chaque tour multimodal est initié par les deux initiales du participant en minuscules accompagnées de la lettre G pour le geste ou R pour le regard. Par exemple anG pour un geste produit par Anna, aiR pour un regard d’Aïcha.
50Nous analyserons ces données en nous inscrivant dans une approche méthodologique d’analyse conversationnelle, qui prend en compte le système de prise de parole en tant que processus par lequel les interlocuteurs attribuent le droit ou l’obligation de participer à une activité interactionnelle (Sacks, Schegloff & Jefferson, 1974).
Réapprendre à communiquer par le geste
51Pour résoudre le manque de mots, la patiente a la possibilité d’effectuer des représentations gestuelles. À partir de trois extraits vidéo, nous expliquons que la rééducation gestuelle de la patiente aphasique est aussi importante que sa rééducation de la parole et nous démontrons que le travail de l’orthophoniste est essentiel pour réapprendre à communiquer efficacement. De façon plus générale, nous analysons comment les compétences d’interaction des locuteurs sont constamment remises en question, surtout lorsqu’elles participent à une activité de « répétitions gestuelles ».
52Dans un premier extrait, nous voulons souligner notre choix d’utiliser le verbe spécifique « mimer » dans notre analyse et dans les descriptions multimodales. Cet extrait permet également une meilleure compréhension des objectifs de l’exercice spécifique réalisé en travail de rééducation. Il est analysé plus en détail dans les deux extraits suivants. Le but de l’exercice proposé par l’orthophoniste est précisément de reproduire par des gestes l’action représentée sur une image. Dans un deuxième extrait plus complexe, nous analysons les difficultés rencontrées par la patiente pour identifier l’action représentée sur l’image. Et dans l’extrait final, nous montrons que la réalisation du geste peut également être plus efficace pour la patiente (contrairement au deuxième extrait). Nous faisons l’hypothèse que le type d’action/d’objet représenté sur l’image peut avoir un impact sur la difficulté de reproduire le geste.
Extrait 1 : « Le dire avec les mains »
53Dans ce premier extrait, nous sommes à la fin d’une séance de travail entre Anna et Aïcha. L’orthophoniste propose un exercice final dans le but d’utiliser un geste pour reproduire une action représentée sur une image. Quelques secondes avant le début de cet extrait, la patiente aphasique a eu une logorrhée importante qui l’a distraite. Ce moment inhabituel est thématisé par les participantes. Pour recentrer Aïcha sur l’activité actuelle, Anna explique pourquoi elles prennent le temps de faire ce genre d’exercice et elle-même utilise le verbe « mimer » pour expliquer le but de l’exercice, et c’est cette notion qui nous intéresse particulièrement dans cet extrait.
54Aïcha est en train de rire à la fin de son tour (ligne 1), en chevauchement du tour d’Anna (ligne 2) dans lequel elle produit l’instruction répétée « regardez <((rires)) (0.8)> regardez-moi ». Cette répétition est due à l’ajustement réciproque du regard (voir image 1) complété par le geste d’Anna sur la main d’Aïcha (voir image 2). Ici, Anna n’attend pas qu’Aïcha la regarde, mais qu’elle cesse de parler et l’écoute. En effet, les regards des participantes étaient réciproques depuis le début de l’extrait. Anna cherche ainsi à obtenir l’attention totale d’Aïcha afin d’atteindre avec succès les objectifs de l’exercice.
55Anna expose alors les objectifs de l’exercice en trois tours :
- ligne 4 : « si vous pouvez pas le dire avec la bouche » ;
- ligne 7 : « il faut essayer de le dire avec les mains » ;
- lignes 11 et 12 : « d’accord de mimer les choses montrer (0.5) faire les gestes ».
56Nous observons que ces trois tours sont accompagnés de gestes et ont la même structure séquentielle avec les réactions d’Aïcha : le tour d’Anna + un silence + la réaction d’Aïcha.
57À partir de la ligne 4, Anna produit son premier tour simultanément avec l’action de mimer l’acte de parler avec son index (voir image 3). Après un court silence de 0,5 seconde (ligne 5), Aïcha valide (ligne 6) le premier tour d’Anna.
58À partir de la ligne 7, Anna produit son deuxième tour « il faut essayer de le dire avec les mains » en chevauchement de la fin du tour d’Aïcha. Ce deuxième tour est simultané au mouvement des deux mains (voir image 4). Après un long silence de 1 seconde (ligne 8) au cours duquel Anna tient les mains ouvertes, Aïcha exprime une interjection très allongée (ligne 9) pendant laquelle elle oriente son regard vers le bas. Ligne 10, Aïcha regarde encore une fois vers Anna et produit simultanément un énoncé inintelligible en réaction au deuxième tour d’Anna.
59Aux lignes 11 et 12, Anna produit son troisième tour « d’accord de mimer les choses montrer (0.5) faire les gestes » en chevauchement de la fin du tour d’Aïcha. Ce troisième tour est simultané à la même action que précédemment (ligne 7), c’est-à-dire en déplaçant les deux mains (voir images 5 et 6). Après un court silence de 0,3 seconde (ligne 13) pendant lequel Anna tient les mains ouvertes, Aïcha valide ce troisième tour d’Anna par un continuateur « hm hm » (ligne 14).
60À partir de la ligne 15, Anna initie une première partie de paire adjacente « d’accord/ » qui projette la deuxième partie « oui » (ligne 17) produite par Aïcha. La patiente modifie l’orientation de son regard vers le bas (jusqu’à la fin de la ligne 19). Cette paire adjacente peut être considérée comme une préclôture de la séquence d’explication des objectifs de l’exercice.
61Anna ajoute une postséquence à son explication (ligne 19), en pointant vers sa bouche simultanément avec son tour interrompu « comme ça- ». Elle s’interrompt parce qu’Aïcha n’est plus concentrée sur son explication et regarde plutôt vers le bas (voir image 7). Anna attend une seconde avant de s’adresser explicitement à la patiente par un terme d’adresse « madame kiala » (ligne 19) simultanément avec l’action de mettre la main sur le genou d’Aïcha (voir image 8). À ce moment, Aïcha oriente encore une fois son regard vers Anna et tient compte de sa disponibilité pour la suite de l’interaction (voir image 9). Elle produit un énoncé inintelligible pour confirmer semble-t-il sa disponibilité dans l’échange (ligne 20).
62Anna répète partiellement son tour initial (ligne 21) et reformule les objectifs de l’exercice pendant deux tours de parole :
- lignes 21 à 24 : « comme c’est difficile (0,7) avec la parole » « c’est difficile »
- ligne 27 : « donc on essaye de travailler un petit peu les gestes »
63Comme dans la séquence précédente, les deux tours d’Anna sont accompagnés de gestes et ont la même structure séquentielle que les réactions d’Aïcha : le tour d’Anna + un silence + la réaction d’Aïcha.
64À partir de la ligne 21, Anna produit son premier tour en chevauchement de la fin du tour d’Aïcha simultanément avec l’action de mimer avec son index l’acte de parler (voir image 10). Aïcha chevauche la fin du tour d’Anna par un énoncé inintelligible (ligne 22). Un silence court de 0,4 seconde (ligne 23) est traité par le thérapeute en tant que point de transition pertinent et elle complète son tour précédent par la répétition de l’information « c’est difficile » (ligne 24). Cependant, Aïcha n’a pas terminé son énoncé et, encore une fois, il y a un chevauchement entre les deux participantes.
65À partir de la ligne 25, Anna traite le court silence de 0,5 seconde comme point de transition pertinent et elle produit son deuxième tour de reformulation (ligne 26) simultanément avec, premièrement, l’action de montrer les images sur la table avec sa main droite (voir image 11), et deuxièmement, l’action de déplacer les deux mains (sur les mots « les gestes » à la fin de l’énoncé). Ligne 28, le court silence de 0,5 seconde est traité cette fois comme un point de transition pertinent par Aïcha qui valide la reformulation d’Anna par une brève marque d’accord « hm: » (ligne 29). Cette séquence d’explication se termine par un tour assertif « d’accord/ » (ligne 31) produite par Anna.
66Dans ce premier extrait, nous nous étions intéressée à analyser les instructions expliquées par l’orthophoniste à la patiente aphasique. Cela nous permet de montrer l’importance :
- de ses instructions pour établir un environnement de travail commun clair ;
- de ses gestes qui accompagnent ses instructions verbales en imitant avec son index l’action de parler, lignes 4, 21 ; en déplaçant ses deux mains, lignes 7, 11-12, 26 ;
- de la corrélation significative entre le geste et l’instruction verbale (« avec la bouche », ligne 4, et « avec la langue », ligne 21, imitant l’action de parler ; « avec les mains », ligne 7 ; « mimer les choses, montrer, faire les gestes », lignes 11 et 12, et « travailler un petit peu les gestes », ligne 26, en déplaçant les deux mains, lignes 11 et 12).
67Par conséquent, l’orthophoniste essaie d’expliquer aussi clairement que possible les objectifs de l’exercice à la patiente.
68Cependant, il est difficile de mesurer le niveau de compréhension de la personne aphasique à travers ses réponses intelligibles (« hm hm », ligne 14 ; « oui », ligne 17 et « hm », ligne 29) ou ses réactions visuelles (seules les réorientations du regard dans la direction de l’orthophoniste, vers le bas ou vers l’extérieur). Même si l’orthophoniste garantit que l’attention de la patiente est complète, il n’est pas certain que la transmission de l’information ait été complètement comprise par la patiente, comme nous le verrons dans le deuxième extrait.
69Ce premier extrait nous a permis de rendre compte explicitement des attentes de la thérapeute dans son travail de rééducation du geste avec la patiente aphasique. Dans les deux extraits suivants, nous voulons nous concentrer sur la difficulté de ce travail pour la patiente, d’une part, et pour l’orthophoniste, d’autre part, ce qui ne semble pas évident lorsque la pathologie affecte également le sens des mots pour la patiente.
Extrait 2 : « Je vous demande juste de faire le geste »
70L’extrait 2 dure 47 secondes. L’orthophoniste est engagée dans le même exercice dont le but a été expliqué dans l’extrait 1. Ce deuxième extrait nous permet d’analyser les difficultés rencontrées par la patiente dans l’identification de l’action représentée sur une image qu’elle doit reproduire avec des gestes. Il nous montre aussi les diverses stratégies mobilisées par l’orthophoniste pour aider la patiente dans sa recherche du geste attendu.
71Aux lignes 1 et 2, Anna et Aïcha ont terminé l’action liée à l’exercice précédent par un « oui » assertif en chevauchement. Anna lance la recherche du geste correspondant à l’image suivante par un énoncé interrogatif « et puis lui comment il fait lui » (ligne 2). Simultanément, elle montre une image spécifique sur la table (voir image 1). Elle maintient son geste jusqu’à la fin du long silence de 0,7 seconde (ligne 3) qui peut être analysé comme un point de transition pertinent permettant à Aïcha de faire l’action dessinée sur l’image.
72À la ligne 4, en voyant que le point de transition pertinent n’est pas pris en considération par la patiente, Anna reprend son tour et reformule sa question interrogative par « comment il est lui », en indiquant autrement – avec une différence syntaxique (« il fait lui » versus « comment il est lui ») – la posture à reproduire sur l’image. Parallèlement, Anna retire son doigt de l’image, alors qu’Aïcha déplace sa main vers l’avant et pointe vers l’image sélectionnée (voir images 2 à 4). Le geste de pointage d’Aïcha durera jusqu’à la fin de son long tour inintelligible (lignes 5 et 7). Dès le début de cet extrait, Aïcha regarde l’image située sur la table.
73À la ligne 8, pendant un court silence de 0,3 seconde, la patiente modifie l’orientation de son regard vers l’orthophoniste jusqu’à la ligne 10. Le geste n’a pas encore été réalisé par Aïcha, donc Anna prend ce point de transition pertinent pour reformuler à nouveau sa demande, dans un tour de parole complexe (lignes 9 et 10) composé de quatre unités de construction de tours (UCT) (Sacks, Schegloff & Jefferson, 1974).
- Premier UCT : cette fois, Anna ne demande pas comment le personnage est dessiné sur l’image, mais comment elle (c’est-à-dire la patiente) fait ce geste, cette action (« comment vous faites », ligne 9) ;
- Deuxième UCT : elle poursuit son tour après une micro-pause par un énoncé impératif « allez-y » en parallèle avec un geste de pointage vers Aïcha (voir image 5) ;
- Troisième UCT : après une autre micro-pause, Anna continue en donnant un double conseil, c’est-à-dire l’information verbale « avec les mains » (ligne 10), simultanément à l’action non verbale d’élever les deux mains ouvertes en l’air (voir image 6). Cette action indique à Aïcha qu’elle doit utiliser ses mains pour répondre à la demande.
- Quatrième UCT : après une dernière micro-pause, Anna conclut son tour par une répétition de la première UCT « comment vous faites/ ». À ce moment, Aïcha regarde de nouveau l’image jusqu’à la ligne 20.
74Aïcha chevauche la fin du tour d’Anna (ligne 11) et au même moment elle tourne sa main droite vers la table (voir image 7). Elle produit ensuite un tour inintelligible parallèlement au geste de sa main droite qui pointe vers l’image (voir image 8). Anna chevauche la fin du tour d’Aïcha par un long rire de deux secondes.
75Anna prend alors son tour de parole et rend compte d’une interprétation du long tour inintelligible d’Aïcha et plus généralement de l’action non réalisée. En effet, dans une première UCT ligne 15, où elle dit « non je vous demande pas de courir comme lui », elle montre sa compréhension de la réaction d’Aïcha. Rétrospectivement, le tour d’Aïcha (ligne 12) est inintelligible lexicalement, mais il ne pose pas de problème du point de vue de la compréhension puisqu’il est pris en compte par l’orthophoniste dans l’activité en cours. Dans le même temps, Anna pointe de nouveau sur l’image jusqu’à la fin de la ligne 16 (voir image 9). Elle rend explicitement sa demande en disant : « je vous demande juste de faire le geste » (lignes 15 et 16).
76Anna laisse un long silence de 1,3 seconde, ce qui permet à Aïcha d’intégrer la demande. Après cette pause, elle se reformule une dernière fois sa question interrogative, en se concentrant sur le personnage représenté sur l’image « comment il fait / quand il a gagné » (ligne 16). Pour aider Aïcha, elle donne plus d’informations en nommant l’action (« gagné »).
77Anna termine son long tour par l’énoncé impératif « regardez » simultanément avec l’action de lever les deux mains en l’air. Dans le même temps, Aïcha chevauche la fin du tour d’Anna (ligne 18) et elle oriente de nouveau son doigt sur l’image sans regarder son interlocuteur. Nous observons une différence entre les deux actions « lever les deux mains en l’air » faite par l’orthophoniste. En effet, la première fois, elle maintient ses mains ouvertes (voir extrait 2, image 6) alors que la deuxième fois, elle a les mains fermées (voir extrait 2, image 10).
78L’action d’Anna projette une autre action dans le tour suivant. En effet, les regards des participantes ne sont pas mutuellement alignés et, par les mains fermées sur « regardez », Anna rend visible la nécessité d’avoir l’attention de la patiente pour la suite de l’interaction.
79Après un long silence de 0,7 seconde (ligne 19), Aïcha ne regarde pas Anna malgré son énoncé impératif, donc Anna maintient son geste et produit un terme d’adresse explicite « madame kiala » (ligne 20). À la fin de cette sollicitation, Aïcha arrête son geste de pointage et regarde Anna (voir images 10 et 11), alors qu’Anna initie son action en secouant les bras en l’air trois fois après un long silence de deux secondes. Cette action se réalise simultanément à l’énoncé « comme ça ».
80Aïcha chevauche la fin du tour d’Anna (ligne 21) et réoriente son regard sur l’image. La patiente est encouragée et instruite par l’orthophoniste, qui produit quatre énoncés successifs : « allez-y », « faites-le », « essayez de le faire », « madame kiala essayez de le faire pareil » (entre les lignes 23 à 29). Aïcha initie un geste de main ouvert (voir image 12, ligne 25), après un long silence de 1,4 seconde, et simultanément avec un tour interrompu « i` va ».
81Pendant l’instruction d’Anna (ligne 27), Aïcha pointe de nouveau vers l’image (voir image 13) et elle chevauche (ligne 28) la fin du tour précédent.
82À la fin du tour chevauché d’Aïcha (ligne 28), Anna met sa main droite sur le bras Aïcha et simultanément, elle enlève la photo avec sa main gauche (voir image 14). Rétrospectivement, nous analysons le geste d’Anna comme une action qui projette une autre action, pour recentrer l’attention de la patiente sur l’activité en cours et initier une nouvelle séquence d’aide. En voyant que la patiente ne peut pas exécuter le geste attendu, l’orthophoniste essaie de donner un dernier « soutien pédagogique » (au sens de « scaffolding » en anglais) (Bruner, 1978 ; Vasseur, 1993) pour aider son interlocuteur10.
83À la ligne 29, Anna produit un autre terme d’adresse « madame kiala » qui lui permet d’attirer l’attention d’Aïcha et, en réponse à cette sollicitation, Aïcha modifie l’orientation de son regard et l’oriente vers Anna jusqu’à la fin de l’extrait. Après avoir obtenu l’attention complète de la patiente avec un regard réciproque, Anna fait l’action correspondante : elle soulève les deux mains en l’air (c’est-à-dire la même action qu’à la ligne 10) simultanément avec son énoncé d’instruction « essayez de faire le faire pareil » (voir image 15).
84Aïcha réalise enfin le geste requis de monter les deux mains en l’air (voir image 16), simultanément avec un tour inintelligible (ligne 31). À ce moment, les deux participantes sont alignées sur la réalisation du geste et Anna exprime la réussite d’Aïcha par une sorte de confirmation positive « voilà » en chevauchement de la fin de son tour précédent (ligne 32). Son tour s’accompagne de la fin de son propre geste, alors qu’Aïcha le maintient (voir image 17).
85Anna produit une deuxième évaluation positive « très bien » (ligne 33), tandis qu’Aïcha termine son action. Aïcha exprime un énoncé de rétroaction, répétant trois fois le mot affirmatif « ouais ouais ouais » (ligne 35). Pendant le chevauchement de ce tour, Anna répète son instruction « pareil comme ça » (ligne 36) et, simultanément, elle répète à nouveau la même action, c’est-à-dire qu’elle soulève les deux mains en l’air (voir image 18).
86Immédiatement après l’action répétée d’Anna, la patiente répète aussi le même geste qu’Anna (voir image 19, ligne 37) et on peut observer une situation semblable à la précédente, où les deux participantes sont alignées sur la réalisation du geste. Une fois que le geste a été reproduit avec succès par la patiente, l’orthophoniste le valide positivement (« okay/ », ligne 38) et arrête son propre geste en même temps. Aïcha produit un tour inintelligible (ligne 39) et elle arrête aussi son geste (voir image 20).
87Anna achève cette séquence par une évaluation positive finale « très bien » adressée à la patiente (ligne 41) alors qu’Aïcha regarde de nouveau les images sur la table.
88Grâce à cette analyse, nous concluons que ce deuxième extrait démontre, de façon intéressante, le travail progressif établi par l’orthophoniste pour permettre à la patiente d’accomplir une action spécifique malgré les barrières cognitives, linguistiques et de compréhension. Pour résumer, nous proposons de diviser cet extrait en quatre séquences selon le nombre de tentatives ayant échoué ou réussi.
89Lignes 1 à 16 : une première tentative échouée où Anna produit plusieurs demandes comme « et puis lui comment il fait lui » (ligne 2) ; « non j` vous demande pas d` courir comme lui/ (0.3) j` vous demande juste de faire le geste (1.3) comment il fait/ quand il a gagné/ » (lignes 15 et 16) aligné sur les gestes de pointage (vers l’image ou la patiente). Elle mime l’action dessinée sur l’image avec un regard réciproque entre les participantes et en disant « avec les mains » (ligne 10), alors qu’Aïcha pointe vers l’image et la regarde. À cet instant, elle ne reproduit pas l’action attendue.
90Lignes 17 à 27 : une deuxième tentative échouée où Anna produit plusieurs demandes telles que « regardez » et « madame kiala » (lignes 17 et 20) alignées sur les gestes de la main. Puis elle mime l’action représentée sur l’image (c’est-à-dire en secouant ses bras) avec un regard réciproque entre les participantes et en disant « comme ça » (ligne 20). Avant et après le mime d’Anna, Aïcha regarde vers l’image.
91Lignes 28 à 34 : une première tentative réussie, où Anna enlève l’image sur la table pour isoler cet élément qui semble troubler Aïcha (ligne 28). Ensuite, elle produit une demande d’adresse explicite (« madame kiala essayez de faire le faire pareil », ligne 29) aligné sur le geste mimé de l’action dessinée alors qu’Aïcha oriente son attention à Anna. Aïcha parvient à réaliser le geste attendu (ligne 31) et Anna valide deux fois positivement l’action réussie d’Aïcha (lignes 32 et 33).
92Lignes 35 à 41 : une deuxième tentative réussie, qui peut être analysée comme une séquence de vérification par répétition de la séquence précédente. En effet, la structure interactionnelle est la même que la première tentative réussie (lignes 28 à 34) et par cette répétition, Anna vérifie la bonne compréhension d’Aïcha dans la réalisation du geste lié à l’image.
93Ainsi, les requêtes verbales, le pointage / le geste des mains de l’orthophoniste et le regard réciproque entre les participantes contribuent principalement à faire apprendre ou à reproduire à cette patiente aphasique une action / un geste. Mais nous constatons que l’attention de la patiente est facilement détournée par quelque chose et le travail de l’orthophoniste consiste aussi à déterminer les éléments qui semblent troublants pour la patiente. Dans ce cas, en dépit des différentes stratégies nouvelles à chaque tentative (en ajoutant les termes d’adresse « madame kiala » par exemple), l’orthophoniste détermine rapidement (après seulement deux tentatives) que l’attention de la patiente a été détournée par l’image sur la table (elle pointe plusieurs fois vers l’image). Pour accomplir avec succès l’exercice en cours et réorienter la patiente sur la réalisation de l’action attendue, l’orthophoniste essaie la solution d’enlever la photo de la table (ligne 28).
94Dans un dernier extrait, nous analysons un autre exemple du même exercice, mais nous voulons montrer qu’avec la même patiente aphasique, la réalisation du geste par la patiente peut être aussi plus efficace (en contradiction avec l’extrait précédent). Ce troisième extrait est également intéressant car le début de la tâche suivante (c’est-à-dire la réalisation d’un geste à partir d’une image) n’est pas initié par l’orthophoniste (comme c’est le cas généralement), mais par une action non verbale de la patiente aphasique, ce qui modifie l’ouverture de la séquence.
Extrait 3 : « Comment faites-vous celui-ci »
95Ce troisième extrait commence lorsque la patiente aphasique pointe et regarde une image spécifique sur le côté gauche de la table (voir image 1, ligne 1). Anna lance la tâche suivante en demandant à Aïcha de faire l’action / le geste dessiné sur une image par « alors comment vous l- (0.3) » (ligne 4). Dans le même temps, elle pointe vers une image de droite (voir image 2). Anna interrompt son tour initial car elle remarque que la patiente pointe sur une autre image et maintient son geste de pointage sur cette image précise de gauche. Un ajustement rapide est opéré par l’orthophoniste pour s’aligner à la patiente. Anna valide le choix d’image d’Aïcha « celui-là si vous voulez » et elle ajuste aussi son geste de pointage en réorientant son propre geste sur la photo de gauche sélectionnée par la patiente (voir image 3).
96Anna reformule sa demande initiale (ligne 5) en précisant l’image sélectionnée par Aïcha « comment vous faites celui-là ». Dans le même temps, Aïcha regarde Anna et chevauche le début de son tour par un énoncé affirmatif « ouais ouais » (ligne 6). À la fin du tour d’Anna, l’orthophoniste mime l’action « téléphone » en mettant sa main droite près de son oreille (voir image 4).
97Aïcha regarde l’image à gauche (ligne 7) et initie un tour partiellement inintelligible (ligne 8) où seul le mot « téléphone » est compréhensible. Simultanément, Aïcha lève légèrement sa main gauche, et Anna tient et accompagne la main d’Aïcha (voir image 5). En chevauchement (ligne 9), Anna indique à Aïcha de réaliser l’action « avec les mains » et répète le mot cible identifié par la patiente à son tour de parole « le téléphone ». Le geste d’Anna est maintenu jusqu’à la fin du chevauchement de son tour.
98Anna termine son tour (ligne 10) en expliquant explicitement sa demande « comment vous faites », avec une dislocation à gauche du terme « le téléphone » dans l’UCT précédente. Simultanément, Aïcha met sa main gauche sur sa joue, en réponse à la demande d’Anna (voir image 6). Elle produit l’interjection « ah:: ah » (ligne 11) en accompagnant son geste. Cette exclamation indique une compréhension potentielle d’Aïcha. Cependant, en chevauchement à la fin du tour d’Aïcha, Anna invalide le geste d’Aïcha par trois modalités interactionnelles (ligne 12) : verbalement avec l’énoncé « non pas comme ça le téléphone » ; gestuellement avec les mouvements de négation de la tête ; avec le même geste qu’Aïcha, en ouvrant la main sur sa joue (voir image 7).
99À la fin de son tour, Anna mime encore le geste attendu en mettant sa main près de son oreille (voir image 8). Aïcha chevauche la fin du tour d’Anna et produit à nouveau l’interjection « ah ah » (ligne 13). Immédiatement, elle regarde de nouveau la photo et dit « ah (…) le téléphone/ » et simultanément, elle met sa main gauche sur son oreille (voir image 9).
100Anna valide positivement le geste réussi par la patiente et Aïcha termine son geste simultanément avec son tour « c’est allo » (ligne 17).
101L’orthophoniste termine la séquence en répétant le mot cible « allo » précédemment prononcé par la patiente et par une deuxième validation positive « oui, c’est bien » (ligne 18) adressée à Aïcha. Anna clôture la séquence en disant « okay » (ligne 21).
102Dans ce dernier extrait, nous avons vu que la patiente peut être plus efficace dans la réalisation du geste attendu. Ici, l’action/le geste dessiné était un téléphone, donc apparemment l’action d’appeler quelqu’un. Nous faisons l’hypothèse selon laquelle le type d’action/objet représenté sur l’image peut avoir un impact sur la facilité à reproduire le geste, et dans ce cas, la photo a été choisie par la patiente elle-même. Par conséquent, elle a orienté son choix vers une action/un objet facile à réaliser, une action/un objet qu’elle connaissait déjà.
103Cependant, même si l’action/l’objet pourrait être facile à réaliser, nous avons observé que le travail de l’orthophoniste consiste à accompagner, aider, à guider la patiente dans sa réalisation du geste. Ici, le travail de la thérapeute était de montrer une première fois l’action attendue (ligne 5) et d’aider ainsi la patiente à réaliser le geste. De cette façon, la patiente a orienté une première fois sa main sur sa joue (ce qui n’est pas le geste attendu) et la trajectoire de sa main a été réajustée en collaboration avec l’orthophoniste qui a montré l’action attendue une deuxième fois (ligne 12).
Discussion conclusive
104Pour conclure, nous avons vu que le geste en interaction dépend du rôle du participant et/ou de ses capacités. D’une part, nous avons la patiente aphasique qui, dans ces extraits, n’a accompli que deux types de gestes : gestes de pointage (avec la main ou le doigt) et gestes requis à la fin des deux derniers extraits. D’autre part, nous avons l’orthophoniste, qui a fait des gestes différents (des gestes de pointage, des gestes de la main pour mimer l’action/l’objet) et aider la patiente aphasique dans sa réalisation du geste attendu.
105Dans cette activité spécifique, les rôles des participantes sont clairement identifiés : le thérapeute conduit l’interaction et la patiente tente d’accomplir les instructions. Afin d’obtenir ce résultat, nous avons vu différentes stratégies mobilisées par l’orthophoniste pour réaliser les objectifs d’un exercice spécifique. Même si les instructions sont les plus explicites possibles pour la patiente, l’orthophoniste doit utiliser des ressources interactionnelles verbales et non verbales pour accompagner la patiente à l’objectif donné, c’est-à-dire réaliser le geste attendu. De cette façon, nous avons observé que l’orthophoniste utilise :
- des termes d’adresse associés parfois à un geste de la main (sur sa main ou son genou) ;
- des répétitions et reformulations de la demande ;
- des mimes (répétés ou non) du geste attendu.
106Comme l’ont montré certaines recherches de Goodwin (2000b, 2003), Argyle et Cook (1976), Lerner (1993), Rossano (2012, 2013) et Levinson et Holler (2014), nous avons observé que la thérapeute prête attention à l’orientation du regard de la patiente. En effet, elle s’efforce d’établir un alignement entre leurs regards lorsqu’elle doit transmettre une instruction importante et lorsque la patiente n’est pas concentrée dans l’activité en cours.
107Enfin, lorsque nous comparons nos premiers résultats avec ceux trouvés dans le domaine clinique, nous observons que les études cliniques (Nespoulous & Joannette, 1986 ; Labourel, 1982 ; Laffaire & coll., 2001) ont tendance à montrer que malgré la présence de troubles du langage, la communication n’est pas suspendue dans la mesure où la patiente aphasique peut conserver certaines compétences de communication et développer des stratégies de compensation, soit spontanément, soit avec l’aide du thérapeute. Mais la préservation des compétences en communication n’est pas constante et varie d’un sujet à l’autre. Bien que les patients aphasiques conservent certaines compétences de communication sur un niveau pragmatique malgré leurs troubles de la parole et de la compréhension, pour de Partz (2006), il semble que la préservation de la compétence pragmatique ne s’étend pas à toutes les compétences de conversation car nous observons des échecs dans les interactions qui résultent directement des difficultés verbales du patient aphasique (expressif et/ou réceptif) ; et de travailler avec des limitations possibles de la mémoire.
108Cependant, nous insistons sur le fait que le travail difficile de rééducation du geste par l’orthophoniste est essentiel. Selon le degré de trouble du patient aphasique, l’orthophoniste montre parfaitement qu’elle peut adapter ses stratégies d’apprentissage et prendre en compte les difficultés potentielles de compréhension du patient par rapport à l’objet/l’action représenté sur une image (voir extrait 2). Pour un patient aphasique, réapprendre à communiquer par geste lorsque le mot manque n’est pas plus facile que de réapprendre à parler. « Mimer » un objet simple ou une action représentée sur une image peut sembler simple en soi, mais lorsque la compréhension du mot est également altérée, la communication de l’aphasique peut donc être extrêmement limitée.
109Plus généralement, ce chapitre nous a permis de mettre en regard deux dimensions fondamentales dans notre travail de recherche en analyse conversationnelle aujourd’hui. D’une part, la dimension méthodologique avec le traitement multimodal des données qui, à travers l’outillage à différents niveaux des corpus, permet aux chercheurs de confronter leurs démarches au sein de leur communauté et d’améliorer aussi les logiciels d’exploitation de données linguistiques et interactionnelles en suggérant des développements supplémentaires répondant à des besoins d’analyse. D’autre part, la dimension analytique des situations d’interactions en tenant compte des modalités visuo-gestuelle pertinentes pour une analyse multimodale des interactions. Nous rendons ainsi compte d’un positionnement personnel autour de la notion de multimodalité.
Bibliographie
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Annexe
Conventions de transcription
[ ] | Chevauchement de paroles |
/ \ | Intonations montantes ou descendantes |
° ° | Voix murmurée |
::: | Allongement d’un son ou d’une syllabe |
p`tit | Élision |
trouv- | Troncation d’un mot |
xxx | Syllabe incompréhensible |
= | Enchaînement immédiat |
( ) | Transcription incertaine |
(( )) | Commentaires |
& | Tour du même locuteur interrompu par un chevauchement |
(.) | Micro-pause |
(0.6) | Pause quantifiée |
Notes de bas de page
2 Projet financé par le programme ANR Jeunes chercheurs jusqu’en octobre 2014.
3 Pour cela, nous avons réalisé une enquête statistique portant sur un échantillon représentatif de la population française afin de consolider les recherches sur les jeux vidéo en France et dépasser les débats convenus sur la violence et l’addiction. Cette enquête est complétée par des études qualitatives (entretiens semi-directifs, cartes cognitives et enregistrements multimodaux de situations concrètes de jeu).
4 Template = grille d’annotation = schéma d’annotation = modèle d’annotation.
5 Pour un approfondissement sur l’utilisation technique du logiciel, voir Colón de Carvajal (2013).
6 Les résultats statistiques détaillés de ce travail de codage sont disponibles, voir Colón de Carvajal (2015).
7 Exemple de manuel de codage sur <http://lidilem.u-grenoble3.fr/IMG/pdf/anrmultimodalite-manueldecodage.pdf>[consulté le 21/05/2017].
8 <https://halshs.archives-ouvertes.fr/>.
9 Voir Goodwin (1981) et Heath (1986) pour les premiers travaux, Streeck, Goodwin et LeBaron (2011) pour des travaux contemporains.
10 Le soutien de l’adulte consiste à prendre en main les éléments de la tâche qui excèdent initialement les capacités du débutant, lui permettant de se concentrer sur les éléments qui demeurent dans son domaine de compétences et de les mener à terme.
Auteur
Laboratoire ICAR (UMR 5191), École normale supérieure de Lyon
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