Chapitre 5 : Classicisme viennois
p. 77-115
Texte intégral
Haydn
1En 1809, Napoléon et son armée occupent Vienne pour la seconde fois. Beyle fait partie de l’expédition. Au printemps, Haydn décède ; dans la ville occupée, Beyle assiste à un service funèbre en son honneur. En 1814, sous le pseudonyme de Bombet, paraissent les Vies de Haydn, Mozart et Métastase. Il s’ensuit une polémique avec Carpani, auteur des Haydine1, et une accusation de plagiat portant surtout sur la première des Vies.
2Le plagiat est certain et concerne les trois vies. Daniel Muller, Romain Rolland2, Paul Hazard3 l’ont documenté et démontré. Mais on n’a peut-être pas bien compris le contexte, et on sous-estime maintenant encore le livre signé Bombet.
3À Vienne, Stendhal n’a pas seulement soupiré pour la comtesse Palfy. Dans cette capitale, à cette époque, Haydn n’est pas du tout n’importe qui. Cela fait que, dans la Vie de Haydn, par la nature même du sujet, s’énoncent, au-delà du plagiat, une sociologie personnelle de la musique ainsi qu’une certaine philosophie de l’art.
La Grande Armée à Vienne
4Au moment où Napoléon Bonaparte entraîne les armées françaises à Vienne (10-12 mai 1809) tout un cortège civil, intéressant, intéressé, l’accompagne. Et beaucoup se trouvent liés à Beyle d’une manière ou d’une autre.
5Par exemple il y a Maret, duc de Bassano, qui favorise assez la carrière de notre homme ; il y a le Maréchal Soult, pillard mais amateur de bonne peinture ; il y a le réquisitionnaire en chef, Vivant Denon, directeur du Musée Napoléon ; ce n’est pas encore le supérieur hiérarchique de Beyle mais c’est lui qui entraîne le commissaire des guerres au service funèbre de Haydn, dans l’église du couvent des Écossais (le Schottenstift), sur la Freyung ; deux versions de l’événement existent, elles se corroborent :
Pour se consoler du malheur de vendre ses chevaux […] M. Darlincourt fit la Vie de Haydn, Mozart et Métastase ; il avait réellement assisté au convoi de Haydn, à Vienne, en mai 1809. Il y fut conduit par M. Denon4.
Pourquoi Vivant Denon et tant d’officiels français se sont-ils rendus là ? Denon, membre de l’Institut de France, entendait sans doute rendre hommage à un confrère, à l’artiste qui avait été élu, dès la fin de la Révolution, le 26 décembre 1801, membre de cette même compagnie :
À M. Haydn, célèbre compositeur de musique, à Vienne,
Monsieur, l’Institut National des sciences et des arts, dans sa séance générale de ce jour vient de vous élire associé étranger, pour la classe de Littérature et Beaux-Arts5.
Il n’y avait, dans ce geste et dans le texte, quasi-certainement rien de spontané ; au contraire, il s’agissait d’un geste de propagande, d’une courtoisie calculée. Le détail des réalités autrichiennes n’était nullement méconnu par les Français ; ces derniers avaient déjà tenté une opération de charme au moment d’Austerlitz, plus exactement le 20 juin 1805 :
Je désirerais, Monsieur, que vous prissiez assez d’intérêt à la classe des Beaux-Arts de l’Institut de France pour lui faire part de vos savantes observations sur l’art que vous professez avec tant de gloire en Europe6.
Nous saisissons ensuite l’ambiance de cette seconde campagne grâce au témoignage d’un autre voyageur : le pharmacien Cadet de Gassicourt, employé dans les services de santé de la Grande Armée. Son Voyage en Autriche, en Moravie et en Bavière, publié à Paris en 1818, fournit un intéressant tableau des curiosités de la vie viennoise7. Daru y paraît ; on peut estimer que Beyle y figure aussi, anonymement ; par exemple, au hasard d’un relais de poste, lorsque les voitures de tout ce petit monde fort dégourdi se croisent pour un soir :
Nous étions réunis à deux secrétaires du cabinet de l’Empereur, au payeur de la Couronne et au Préfet du Palais ; nous fîmes gaîment un grand lit de paille, pour nous coucher tous ensemble, sans quitter nos uniformes, bien persuadés que le lendemain serait marqué par quelque grand événement8.
Le Voyage de Cadet nous détaille les monuments les plus remarquables, ceux dont Beyle – ou Denon – ne parlent pas ou ne veulent pas parler ; ainsi notre pharmacien admire les statues qui parsèment la ville, en particulier celle de Joseph II devant la Bibliothèque impériale et royale ; il visite consciencieusement les églises, la cathédrale Saint-Étienne évidemment, les sanctuaires baroques de Saint Pierre, Saint Charles Borromée, Saint Michel, église paroissiale de la Cour ; chez les Augustins (précisément là où Marie-Louise va épouser Napoléon un an plus tard), il s’extasie devant une magnifique réalisation de Canova :
Le mausolée de Christine, duchesse d’Albert, est un chef-d’œuvre de Canova. Je suis allé dix fois pour le voir et chaque fois il m’a fait un plaisir nouveau. Nous ne possédons rien en France qui puisse lui être comparé […]. On ne peut s’imaginer que ces belles figures qui s’acheminent tristement vers cette pyramide égyptienne, dont la porte ouverte laisse entrevoir le sépulcre de la duchesse, soient des figures allégoriques. Leur mélancolie est si vraie, leurs attitudes si naturelles qu’on les prend pour les enfants, pour les sœurs de Christine. Ce génie étendu qui pleure sur un lion consterné est si beau qu’on lui pardonne d’être là9.
On observera en passant que le journal de Félix Faure, venu voir son ami Beyle, comporte la même remarque : « Je n’ai encore vu que l’admirable mausolée de Marie-Christine (de Canova). Je le suis allé visiter tous les jours10. » Beyle, pour sa part, n’évoque le nom de Canova qu’à partir de 1810. Quelle en est l’explication ? Comment se fait-il que ni Beyle – ni Denon d’ailleurs – n’aient compris dès ce moment la nouveauté de l’artiste ?
6De même pour le château de Laxenburg : Cadet, pour sa part, éprouvait, en visitant ce domaine très intéressant, des sentiments romantiques :
Un bosquet plus considérable et fort curieux est celui des ruines. Autour d’un bassin en partie dégradé sont les restes d’un temple et d’un aqueduc, des colonnes tronquées, des statues brisées, des tombeaux, des bas-reliefs, des vases mutilés. Plusieurs inscriptions latines, et la mousse qui couvre une partie de ces débris, leur donnent l’aspect de fragments antiques11.
Beyle y est passé, mais sa lettre à Pauline du 25 juillet 1809 donne peu d’explications sur ce haut lieu artistique ; on pourrait se demander s’il a compris l’originalité du Franzensburg, qui est un des premiers exemples du gothic revival ; la chambre de tortures, la salle des chevaliers, la galerie des empereurs du Saint-Empire font de ce castel fantaisiste et fantastique, entouré d’eaux et de frondaisons, une promenade délicieuse, précisément en ces chaudes journées de juin 1809 :
C’est là, dit-on, et sur les bords de la route que, pendant l’été, l’Empereur et les Archiducs se plaisent à dîner au milieu des bons bourgeois de Laxenburg, n’ayant pour défense que quatre ou cinq gardes-chasse. Aimable confiance qui fait l’éloge des princes et du peuple12.
La raison de Stendhal tient sans doute à autre chose. Laxenburg se trouve au bord de la route qui mène à Eisenstadt, la capitale des princes Esterhazy, dont Haydn a si longtemps été le maître de chapelle. Et ce contexte appelle quelques explications supplémentaires13.
7Lorsque les armées françaises entrent à Vienne en mai 1809, elles s’emparent des imprimeries et des moyens d’information ; la Wiener Zeitung, par exemple, était devenue un journal d’occupation, reproduisant en allemand les bulletins de la Grande Armée ! Pour faire pièce à cette propagande, le gouvernement autrichien replié à Olmütz (aujourd’hui Olomouc en République Tchèque) fonde l’Oesterreichische Zeitung. La rédaction est dirigée par Friedrich Schlegel, l’ami et le compagnon de voyage de Madame de Staël ; l’impression est réalisée sur des presses militaires confiées, comme la censure, à l’autorité directe du généralissime : l’archiduc Charles, et installées en Hongrie du côté de Pressburg (Pozsony/Bratislava), capitale officielle du Royaume de Hongrie. Cela explique, au moins en partie, les opérations militaires qui débordent dans ce royaume jusqu’à Raab (Györ). La presse de guerre autrichienne insistait beaucoup sur les dégâts et pillages occasionnés par la France. Par exemple, on a dans le n° 3 en date du 1er juin, un article sur le comportement scandaleux des Français vis-à-vis des propriétaires hongrois ; un noble nommé Feyks les a reçus courtoisement, leur a livré les réquisitions demandées ; mais en retour « Zur Erwiderung ward er ausgeplündert und seine Gestüte hinweggeführt » (il a été complètement pillé et ses chevaux lui ont été enlevés). Denon n’aurait-il pas envoyé Beyle sur la trace des tableaux du Musée Impérial cachés effectivement par là ?
8Un autre article, encore plus piquant, dans le numéro du 13 août 1809, ironise sur les intrigues françaises visant à débaucher les Magyars, loyaux sujets de l’Empereur François. Schlegel se moque de la sottise des agents napoléoniens qui méconnaissent le patriotisme hongrois (« mit einer grossen Unkenntnis der edlen ungarischen Nation ») ; car le résultat est tout le contraire de ce qui était visé : « noch ein Sporn mehr zur Anstrengung aller Kräfte der Nation gegen den gemeinschaftlichen Feind gewesen sein » (encore une incitation supplémentaire pour le rassemblement de toutes les forces de la nation contre l’ennemi commun). Henri Beyle est l’un de ces agents d’influence, comme il l’avoue dans la lettre à Pauline du 25 juillet : « Dernièrement j’ai été chargé d’une mission en Hongrie ; je me suis promis en sortant de Vienne de ne plus songer pendant vingt-quatre heures à ce qu’il renfermait14. »
9Quel est vraiment, pour Beyle, l’intérêt d’avoir assisté au service de la Schottenkirche sinon de frapper, en compagnie d’autres Français, l’opinion viennoise, de jauger aussi l’importance sociale, artistique, politique des Esterhazy ? Napoléon envisageait de les substituer aux Habsbourg sur le trône hongrois ; dans cette optique, les participants du service funèbre ont tenu à souligner d’abord le statut international de l’ancien maître de chapelle. C’était, en quelque sorte, une annexion culturelle.
Haydn et les Français
10D’abord de par la situation de son quartier, de sa paroisse – Maria-Hilf (Marie Auxiliatrice, fort bien nommée en l’occurrence) – Haydn s’est trouvé littéralement en première ligne des combats. La maison située aujourd’hui dans la Haydngasse – jadis appelée Steingasse –, à quelques mètres du boulevard circulaire (le Gürtel), se situait aux avant-postes autrichiens. Lorsque commence le bombardement français, le 10 mai, c’est d’abord cette position qui est visée. Des boulets tombent sur ce petit quartier jusqu’alors si calme et causent quelques dommages à l’habitation du maestro.
11Alors, suivant tous les chroniqueurs, le compositeur sort de sa torpeur ; il raffermit le courage de ses familiers ; Bombet ne parle pas de ce détail, mais Carpani cite ce trait ainsi que le suivant : « Le vieux musicien joue sans arrêt l’hymne impérial », « Gott erhalte unseren Kaiser Franz », inventé par lui-même d’après un lied populaire quelques années auparavant. On a parlé de sénilité ? Mais en réalité cela semble plutôt une manifestation de patriotisme et de loyalisme. Bombet va réinterpréter tout cela dans un autre sens.
12Quand cessent les bombardements l’occupation commence : les Français dispensent Haydn de l’obligation de loger un militaire ; Elssler, le copiste-secrétaire de Haydn, exagère, peut-être, en parlant de deux grenadiers qui se seraient trouvés en faction à la porte de la maison. En revanche, il est avéré qu’un officier de hussards, le capitaine Clément Sulemy, se présente le 25 mai chez le compositeur ; pour lui témoigner son admiration il lui chante un air de La Création dans sa traduction italienne15. Or cette traduction est tout simplement l’œuvre de Giuseppe Carpani ! Quel Français de l’époque ignore que c’est un soir de décembre 1800, lors de la première interprétation parisienne de cet oratorio, à laquelle assistait Bonaparte, que se produit l’attentat de la rue Saint-Nicaise, avec la machine infernale de Cadoudal ? Bombet rappelle le fait, Carpani aussi. Le jeune Beyle n’assistait pas à cette première audition, mais il a entendu la reprise de l’œuvre, en avril 1811, au cours d’un concert dans lequel chantait sa maîtresse Angéline Bereyter : « La bonne musique me fait penser à mes torts. Hier je voyais, pendant La Création ce que je dois […] à beaucoup de gens16. »
13La réception de Haydn en France a été un phénomène de première importance17. Dans ce cadre, il faut insister sur deux Français : Nicolas-Étienne Framery, compositeur, collectionneur, musicographe, et Joachim Le Breton, secrétaire de l’Institut. Voici quelques extraits de la lettre inspirée par Framery, publiée dans Le Moniteur du 26 juillet 1801 :
De Paris ce 1 Thermidor an IX de la République Françoise :
Les artistes François réunis au Théâtre des Arts pour exécuter l’immortel ouvrage de La Création du monde [sic] composé par le célèbre Haydn, pénétrés d’une juste admiration pour son génie, le supplient de recevoir ici l’hommage du respect, de l’enthousiasme, qu’il leur inspire […]. Il ne se passe pas une année qu’une nouvelle production de ce compositeur sublime ne vienne enchanter les Artistes, éclairer leurs travaux, ajouter au progrès de l’art, étendre encore les routes immenses de l’harmonie et prouver qu’elles n’ont point de bornes, en suivant les traces lumineuses, dont Haydn embellit le présent et sait enrichir l’avenir18.
Nous serions myopes de réduire le problème des Vies à une sorte de duel personnel entre Bombet et Carpani. C’était un enjeu international. Bien avant Carpani, tout le monde écrit sur Haydn, surtout en France, tout le monde connaît le maestro ; on l’admire, on le joue.
Tout le monde connaît les symphonies de Haydn, devenues une partie obligée de tous les concerts. L’unité du plan, la clarté et la variété des développements, la richesse de l’orchestration, la vivacité des coloris permettent d’entendre tous les jours ces délicieuses compositions sans qu’on puisse s’en rassasier.
écrit un journaliste19, ce qui devient, sous la plume du recopieur Carpani : « la semplicità della melodia, l’ordine […] la simmetria del tutto20 ».
14Beyle suivait le mouvement, observait la mode ; il a connu le nom de Haydn très tôt. Par exemple, il y a cette note du Journal en date du 4 mars 1802 : « À sept heures du soir elle s’exerçait à répéter une symphonie d’Haydn qu’elle devait jouer le même soir chez Mme Périer21. » Une symphonie au piano ? On doit s’arrêter un instant sur ce qui paraîtrait à tort un point de détail, un lapsus. Voici deux hypothèses sur le sujet. Le premier commentaire possible s’appuierait sur le fait que les papiers de jeunesse comportent le texte d’un poème intitulé Fidélité22, daté de Paris, entre avril 1802 et juin 1803. Or il se trouve que Haydn a composé un lied : Fidelity (Hoboken XXVIa30). Ce morceau d’un caractère pré-romantique est fort célèbre, maintenant encore, beaucoup enregistré et toujours magnifiquement chanté ; il a eu un tel succès qu’il a été affublé, au gré des éditions, très vite, presque dès sa publication23 de paroles allemandes, italiennes, françaises, qui remplaçaient les vers anglais de Ann Hunter24. Mais il a existé aussi des transcriptions pour piano seul. La musicologie allemande parle en ce cas, pour Haydn spécialement, de Klavierlied25. D’ailleurs, l’édition première d’Artaria précisait : Aria in F minore für das Forte-Piano. Ne serait-ce pas de cela qu’il s’agit pour cette soirée musicale du 4 mars 1802 ? Et le texte du poème Fidélité de l’édition des Journaux et papiers ne pourrait-il être une version personnelle du jeune Beyle contribuant à ces succès publics haydniens ? Si l’on trouve trop extravagante ou impossible cette idée, on se rabattra sur une seconde hypothèse qui valorise littéralement – si l’on peut dire – le mot « symphonie ». Les arrangements des symphonies de Haydn ont été encore plus nombreux. Les catalogues des bibliothèques musicales en foisonnent, pour les formations les plus variées. Le fait est connu et banal. En tous les cas et par conséquent, la jolie pianiste n’est pas une invention et notre auteur n’écrit pas une sottise. Il est certain que Haydn a été pour le jeune Beyle un objet bien réel, mêlé à son quotidien, un catalyseur pour son émotion et son écriture26.
15Quant à préciser ce que Beyle pouvait connaître, c’est une autre affaire. « Thèmes à être traités en fa mineur, comme la 8e symphonie de M. Haydn », ce genre d’apostille, toujours dans le Journal du 29 juin 1810, pose d’épineux problèmes. La 8e Symphonie, dite « Le Soir », est écrite en sol ; en revanche, il en existe une autre dans la tonalité de fa mineur, le n° 49, dite « La Passion » (1768), plus connue, et trois symphonies en fa majeur, les n° 58, 67, 79 ; enfin il y a surtout la symphonie n° 45 en fa dièze mineur, dite « Les Adieux » (1772). Elle est la plus célèbre, la plus frappante de la série.
16On le comprend : la voie avait été très tôt et très fort ouverte par les sociétés de concerts, les diseurs d’anecdotes. Il y avait en France et en général un phénomène Haydn : Carpani et Bombet pouvaient facilement y joindre leur refrain personnel.
Bombet vs. Carpani
17On ne s’est pas interrogé sur le premier pseudonyme adopté par Beyle, d’autant que, dans la suite, les Vies paraissent sous d’autres noms d’auteur. Y aurait-il, par hasard, quelque vague rapport d’assonance avec Babet Rothe, la maîtresse viennoise ? Babet-Bombet ? Babet, on l’a dit, chantait au Theater an der Wien27. On se souvient que le Theater an der Wien présentait avant tout les ouvrages des compositeurs dernier cri… On dénombre huit fois le nom de Haydn dans le registre de l’année 180928.
18Giuseppe Carpani, quant à lui, nous est maintenant assez connu grâce à Richard Coe29. Carpani était un Italien acquis aux Habsbourg ; censeur des théâtres de Venise, adversaire déclaré de Napoléon et des libéraux. Carpani paraît annoncer le marchese Del Dongo : fuyard, froussard, venimeux. Or, de même que le lieutenant Robert fait un enfant au marchese en fuite, Beyle – alias Bombet – n’a pas hésité à voler à Carpani ses idées sur la musique, ses connaissances précises sur Haydn. Richard Coe puis Suzel Esquier30 ont plusieurs fois insisté sur le fait que les théories musicales de Carpani sont réellement devenues les idées de Stendhal. Il en a été de même vis-à-vis de Destutt de Tracy ou de Fauriel dans De l’Amour. Or personne, dans ce dernier cas, n’a crié au plagiat ; le phénomène se répète donc, mais il est à chaque fois légèrement plus varié et toujours compliqué.
19Beyle apporte systématiquement à ses sources, copieuses et copiées, un éclairage distinct, personnel. D’où peut-être le prologue fantaisiste situé dans l’Île de Wight ou bien encore ces étapes aux noms romantiques qui s’appellent Salzbourg, Hallein, Baden. Carpani, en ce qui le concerne, n’en parle pas ; il ne sortait guère ; il était un habitué des salons des capitales, des journaux du gouvernement, une sorte de La Harpe, ou de Morellet si l’on préfère. Bombet, pour se démarquer, se présente donc comme un dilettante :
Dans une société plus riche et plus civilisée, ce n’est pas du fonds de l’histoire, mais de la manière de la conter, que celui qui parle attend une bonne récolte de jouissance de vanité31.
Par exemple, il flotte une sorte de parfum rustique et frais dans la Vie de Haydn : « Êtes-vous allé dans la vallée de Chamouny ? Le mont Blanc luit, au milieu des sommets voisins, couverts de neige comme lui32. » La forêt viennoise, les guinguettes où l’on boit le Heuriger bien frais se profilent à l’arrière-plan de la Vie de Haydn. Ainsi, quand Bombet évoque certains passages des Saisons, il est beaucoup plus fin que Carpani : « L’abattement, l’anéantissement de tout ce qui respire et même des plantes pendant la grande chaleur d’un jour d’été est parfaitement bien rendu33. » Avant l’heure, n’est-ce pas l’ambiance, le ton que l’on retrouve dans les chapitres nancéens et forestiers de Leuwen ? Rien de tel dans les Haydine qui ne sont jamais poétiques ! Bombet humanise Haydn, en particulier en inventant un destinataire – Louis (Crozet ?) – ce qui métamorphose le factum en un petit roman par lettres :
De retour dans la capitale de l’Autriche, j’ai à vous apprendre, mon cher Louis, que la larve de Haydn nous a quittés. Ce grand homme n’existe plus que dans notre mémoire […]. Il s’approchait de son piano, les vertiges paraissaient et ses mains quittaient les touches pour prendre le rosaire, dernière consolation34.
La lettre XVI de Carpani comporte, certes elle aussi, les mêmes mots. Mais ils sont noyés dans trois longs paragraphes qui rendent l’ensemble pédant. Or Bombet condense, vivifie, humanise ! Voilà qu’apparaît donc dès cette première publication l’aimable humour stendhalien.
20A-t-on assez remarqué comment Bombet parle des familiarités de la noblesse viennoise ? Ces protecteurs de Haydn – les Lobkowitz, Schwarzenberg, Erdödy, Esterhazy – qui deviendront ensuite ceux de Beethoven, ne sont pas de grands personnages gourmés. On les côtoie, on peut s’asseoir auprès d’eux ; on dirait presque « J’y étais aussi » ! Cela est évidemment prétentieux et Carpani n’osait pas se comporter de la sorte ; mais admettons que cette hardiesse est bien efficace, elle est littéraire et piquante. La fameuse « Société des amis de la musique », que ces aristocrates fondent à leurs frais – en 1812 – et qui continue d’exister de nos jours (Gesellschaft der Musikfreunde) formait un pilier très exclusif de la vie artistique viennoise ; elle devient sous la plume de Bombet une aimable société de dilettanti35 ; Carpani est plus proche de la vérité : ces sociétaires sont des clubmen, des snobs et des financiers36. Voilà peut-être pourquoi, lors d’un fait aussi connu que le concert de 1808, autour de La Création, Bombet travestit les faits et décide, sans doute tout à fait intentionnellement, qu’il a eu lieu au palais Lobkowitz. Carpani ne s’embarrasse pas de ces subtilités socio-artistiques ; il ne comprend pas ce phénomène de « crossing over37 ».
21Beyle/Bombet trouve chez Carpani l’explication, argumentée, de ce qu’il sentait confusément : l’opposition entre musique italienne – mélodique – et musique allemande – harmonique et contrapuntique. Il radicalise, en bon lecteur des Lumières – ou de Mme de Staël – la théorie des climats appliquée aux arts. Et il reprend donc tel quel à Carpani « l’état du Parnasse musical en Italie » pour la conclusion de son livre.
22Il n’est pas sûr que notre dilettante ait tellement apprécié la musique de Haydn ; on peut le penser parce qu’il ne suit pas partout intégralement l’avis de l’Italien. On a cité plus haut cette note intime où il est parlé d’une certaine huitième « en fa, qui n’existe pas ; Carpani signale, lui, explicitement, le finale de la symphonie en fa dièze mineur (« Les Adieux »), et il joint cela à l’analyse de la symphonie « Roulement de tambour » (« col colpo staminato d’orchestra »/« mit dem Paukenschlag38»). On estimera que la savante volubilité carpanienne concernant ces symphonies – traitées en trois longues pages – rentre dans la catégorie de ce que Brulard nommera « le bête de la musique39 ». Plus tard, lorsque Bombet sera devenu Stendhal, on retrouvera Haydn : « De même ici : d’abord l’intrigue d’amour, puis les ridicules qui viennent encombrer l’amour, retarder ses jouissances, comme dans une symphonie Haydn retarde la conclusion de la phrase40 » note-t-il dans ses plans, à propos de Leuwen. Comme dans le cas de la soi-disant symphonie n° 8, on doutera de pouvoir arriver à déterminer catégoriquement l’œuvre de Haydn ici évoquée. En revanche, on sera frappé par le début du premier mouvement de la symphonie Hoboken n° 93 : après quatre vigoureux accords du tutti orchestral suit une petite transition aux cordes – adagio – et, enfin, avec retard, s’énonce aux premiers violons – allegro assai – une jolie cantilène qui est le premier thème de ce mouvement. Notre esprit se délie, notre oreille s’enchante d’être enfin libérés de la tension par laquelle commençait la symphonie. Cette manière de faire comporte quelque chose de très allègre. L’allure est jeune, un peu naïve, très contrastée comme sont Lucien et Bathilde. Mais la symphonie est en ré majeur… Même climat, mêmes tempi, mêmes effets, encore plus évidents, dans la symphonie Hoboken n° 94, la deuxième de cette série des symphonies dites « londoniennes ». Mais les jouait-on à Vienne en 1809 ? Pour la symphonie n° 94 en sol majeur, dite « La Surprise », il est sûr qu’elle a tout de suite été jouée partout. Elle forme depuis toujours un pilier du répertoire symphonique et les chefs d’orchestre l’adorent.
23On peut estimer qu’à l’époque où la musique de Haydn était moderne, à la naissance du Classicisme viennois, Beyle avait particulièrement senti cette modernité qui ne se donnait pourtant pas en spectacle, à la différence de ce qui se passe sur les planches d’un théâtre d’opéra. Bombet a repris pour terminer sa Vie de Haydn une phrase de Carpani qui soulignait ce progrès de l’art incarné par Haydn ; mais sous la plume de Beyle la même phrase devient une libre paraphrase ; elle sonne différemment, son esprit change ; grâce à un mot souligné, elle se transforme en manifeste primesautier et progressiste :
[Les jeunes artistes] voient les livres qui ont paru depuis et tous ceux qui s’impriment journellement [mais seulement] pour les faits qu’ils peuvent contenir […]. [Qu’]ils cherchent à se garantir de la contagion de leur style. […] Sans cela quel moyen de se garantir de ce sénéquisme général qui vicie tous les arts et auxquels je ne connais d’exception vivante que Canova, car Paisiello ne travaille plus [et Haydn nous a quittés]41.
La question revient de façon centrale, en particulier dans le livre suivant, plus polémique, plus programmatique, dans Racine et Shakespeare, où l’auteur, devenu Stendhal, reliera explicitement le théâtre étranger de son temps au nécessaire progrès des sensibilités : « Les jouissances que les Italiens demandent aux arts vont revenir sous nos yeux42. » Mais il ne s’agit pas que des yeux, les oreilles aussi ont un rôle, une place, des plus essentiels43. Heureusement, faute de quoi « les carrières des arts peuvent être épuisées44 ».
24Beyle a discerné chez Haydn un modèle d’exigence professionnelle et de style45. Certes, Carpani le lui a expliqué en détail. Mais le problème de l’historicité, de la mode, la connotation progressiste, voilà le propre de notre auteur. Carpani n’a été qu’une sorte de réactif. Et donc la question du plagiat devient assez peu essentielle.
Mozart et la Vie de Mozart
25Il n’est pas fréquent, non plus, d’apprécier la Vie de Mozart. Même si l’ouvrage n’a pas excité autant de critiques que la Vie de Haydn.
26Les sources livresques multiples jettent une fois de plus la suspicion sur l’auteur qui débute. Celui-ci se voulait moderne, il regardait ardemment vers l’avenir et escomptait une reconnaissance postérieure46. Or, les éléments qui entrent en ligne de compte dans sa formation intellectuelle et morale nous renvoient de façon paradoxale vers les temps antérieurs, vers des problèmes et des querelles hérités particulièrement du siècle des Lumières :
Cet amour pour Shakespeare, l’Arioste et la Nouvelle Héloïse, en second rang, qui étaient les maîtres de mon cœur littéraire à mon arrivée à Paris à la fin de 1799 me préserva du mauvais goût […] de là mon amour presque exclusif pour l’opera buffa47.
Ne craignons pas de le souligner : en ce qui concerne la musique, Stendhal a été largement dépendant des goûts, des idées, des compositeurs du XVIIIe siècle48. Même la carrière du moderne Rossini se mesure par comparaison avec les compositeurs précédents. Entre Haydn et Rossini, quelle est la place de Mozart ? Ses charmes, son attrait sont-ils balancés par ceux de Cimarosa ? Tout cela relève d’un passé que Stendhal semble, en tout cas, résolument privilégier : « Je n’ai aimé avec passion en ma vie que : Cimarosa, Mozart et Shakespeare49. »
Mozart s’était trouvé au centre de l’actualité, précisément au moment où Beyle arrivait à Paris, quand il commence à écrire, d’abord pour lui-même, et à argumenter autour de ses idées. D’autre part, du fait de ses voyages et de son habitude des théâtres, Stendhal a, par la suite et successivement, vu et entendu un Mozart français, un Mozart germanique, un Mozart milanais ; toutes ces expériences convergent-elles ? Le fait même que Beyle ait multiplié pratiquement tout au long de sa carrière ses réflexions, qu’il ait éparpillé, passablement, ses opinions musicales ne facilite pas l’appréhension d’un portrait net et précis. Mozart a tenu une place littéralement remarquable, dans l’esprit de notre auteur, mais suivant quelle perspective, avec quelles conséquences ? Y-t-il une césure entre les opinions affichées et la culture personnelle, entre la critique et la production romanesque ? En un mot, Beyle a-t-il aimé toujours les mêmes opéras de Mozart ? Quelles nuances se sont progressivement dessinées ? Et comment appréhender les opéras dont il ne parle pas, comment sentir, peut-être, à quels moments, pourquoi il n’en parle guère ?
Plagiat, plagiaires, querelles
27La Vie de Mozart doit avant tout être regardée comme une étape dans la réception de Mozart en France50. Ce travail était en réalité un ouvrage d’actualité ; il dépend d’un contexte plus général qu’il faut connaître. Beyle-Bombet n’est, en matière mozartienne, ni le seul, ni le premier, ni le dernier. Comme l’observait le Magasin Encyclopédique :
Les compositions de Mozart font depuis longtemps les délices de tous les amateurs de la bonne musique, et deux fois ceux de Paris ont été à portée d’admirer son grand et rare talent51.
En fait, la Vie de Mozart se distingue assez de la Vie de Haydn et des Lettres sur Métastase. Haydn était, en quelque mesure, le contemporain de Beyle. C’était un personnage public, une réputation européenne, pendant les années de la Révolution et de l’Empire. Il était membre de l’Institut de France. Sa gloire n’était plus à établir. Beyle, comme on l’a vu, avait assisté au service funèbre en son honneur, à Vienne, en juin 1809, en ce jour où l’on avait joué le Requiem de Mozart52. Métastase, de son côté, paraît avoir été avant tout une coquetterie personnelle de Bombet53. Le célèbre librettiste italien ne joue pas un rôle dans le débat d’idées de l’époque.
28Pour Mozart, rien de tel. Sa musique a toujours été fort discutée. Beyle aimait ses opéras : « À ma première question en arrivant à Bologne : “Y-a-t-il opéra ? — Oui, Monsieur, La Clémence de Titus.” Je vole au théâtre, l’ouverture commence comme j’entre54. » Du fait de ses voyages, Beyle a été mieux informé que beaucoup d’autres : « Voici, ma chère Pauline, les principaux ouvrages de Mozart, musicien né pour son art55 » avait-il écrit depuis Brunswick, en 1807. Cependant, le compositeur, disparu en 1791, laissait des amis, une famille et une réputation contrastée. Les différents aspects de cette fortune ne laissent pas, aujourd’hui encore, d’être discutés56. Mozart faisait continuellement débat dans les années du Consulat et de l’Empire.
29Or, en France, il existe une longue tradition de disputes : Querelle des Anciens et des Modernes, Querelle des Bouffons, etc. ; cette manie nationale s’accentue au XVIIIe siècle57. Dès 1778, au cours de son dernier séjour parisien, Mozart en a été la victime. Grimm, en son temps, pouvait ainsi écrire à Léopold Mozart : « Le public est dans ce moment-ci ridiculement partagé entre Piccinni et Gluck ; il est donc très difficile pour votre fils de réussir entre ces deux partis58. » L’aventure continue bien au-delà du XVIIIe siècle, alimentée par les premières représentations parisiennes des opéras de Mozart et par la personnalité des débatteurs59.
30En 1793 l’Académie de musique avait donné, avec ses exigences et ses traditions très singulières, Les Noces de Figaro. En 1801 il y avait eu Les Mystères d’Isis, extravagante adaptation de La Flûte enchantée60. Ensuite, toujours sur la même scène, Don Juan61. Parallèlement il y avait eu, en 1801, les tentatives du Théâtre Mozart, particulièrement pour die Entführung aus dem Serail 62. Et puis surtout, on avait remarqué les brillantes créations du Théâtre Italien : Le Nozze en 1807, Cosi fan tutte en 1809, Don Giovanni en 181163. Beyle en fait état dans la Vie de Mozart64, il en parle encore, surtout en privé, dans ses œuvres intimes ou sa correspondance65.
31En d’autres termes, Mozart, du moins pour ses opéras, demeurait un sujet fort à la mode66. La critique s’en est emparée et une vive discussion s’est généralisée. Elle n’était pas, bien au contraire, unanimement favorable à Mozart, à la différence de ce qui s’est passé pour Haydn. Le critique le plus hostile est sans doute le ci-devant abbé Geoffroy (1743-1814), chef de rubrique au Journal de l’Empire des frères Bertin67. Parmi ses articles réunis ensuite en un Cours de littérature dramatique, trois concernent Mozart : à propos des Mystères d’Isis, de Don Juan et de Cosi fan tutte68. Geoffroy affecte de ne voir dans ces nouveautés qu’un succès de mode :
L’opéra de Mozart fait plaisir ; il est conforme au goût des amateurs du jour ; la plupart des morceaux d’ensemble sont fort applaudis et méritent de l’être. Mais le charme de la nouveauté s’évanouira bientôt69.
Il consent un compliment hypocrite : « Faire l’éloge de Mozart est un devoir qu’on remplirait plus volontiers, si ce compositeur n’était pas l’objet d’un enthousiasme extraordinaire70. » Voilà bien les vieilles polémiques, les termes connus et rebattus, qu’on aurait voulu oublier, que l’on retrouvera pourtant chez Stendhal, jusque dans la Vie de Rossini.
Mozart parut dans la carrière vers le temps où la révolte de l’harmonie contre la mélodie jetait un désordre dans l’empire musical, en plaçant la suivante sur le trône de la maîtresse. Il a su profiter de cette révolution musicale et fonda sa gloire sur la corruption du siècle71.
Mozart serait-il une menace pour le goût et l’ordre ? « Mozart est un métis formé de la race allemande et de la race italienne72. »
32Il est curieux de voir comme l’esprit de la Révolution se trouve, sous la plume de Geoffroy, confondu avec le parti de l’étranger. Mozart, c’est la germanité, or Mozart incarne la révolution harmonique, donc Mozart « n’est point français », comme a dit Savary en 1810, interdisant à Mme de Staël de publier De l’Allemagne. On pointe là quelques arguments qui ré-alimenteront sous la Restauration la bataille autour du théâtre français, du drame, de Racine, de Shakespeare. Mozart forme un chaînon qu’on ne voyait peut-être pas assez entre l’esprit des Lumières françaises et les ambitions du cosmopolitisme romantique. On sent peut-être mieux ainsi la réaction personnelle qui a pu décider Beyle à publier cette Vie, juste au moment où Geoffroy disparaissait.
33Face à Geoffroy s’est dressé Ginguené, figure majeure du clan des Idéologues. Ginguené (1748-1816) aimait vraiment la musique, peut-être plus que la poésie. Il composait même des romances73. Depuis longtemps on avait remarqué cette espèce d’allégeance étrange d’un rationaliste affirmé à l’irrationnel musical74. Beyle ne pouvait pas négliger cet homme-là :
Moi j’ai achevé le 1er volume de Ginguené. Il faut voir la littérature comme un remède à l’espèce d’ennui que le gouvernement d’un peuple lui commande75.
Déjà, à propos de Haydn, les Idéologues avaient mené la croisade pour la musique allemande en général. En particulier dans La Décade philosophique, périodique dont Ginguené avait garanti la naissance. La Décade a commenté la publication des Anecdotes sur Mozart de Cramer76. Pourtant la nouveauté n’était pas, par principe, aveuglément défendue par ce journal. Par exemple Ginguené avait écrit des articles hostiles aussi bien à Delille qu’à Chateaubriand. Le même Ginguené participe également à la Grande Encyclopédie méthodique. Le tome 1 paraît en 1791, le tome 2 en 1818. Dans le premier volume, à l’article « Allemagne », Ginguené déplore l’étroitesse du goût français :
Est-ce à un Français qu’il convient de parler avec mépris d’un pays qui a produit des Händel […], les Bach, les Haydn ? On doit voir avec surprise ces déclarations frivoles et inconsidérées contre la musique allemande, le goût allemand, auxquelles a pu donner lieu le désir d’attaquer un homme de génie qui est venu déranger de petites théories musicales trop peu réfléchies et trop prématurées77.
Plus loin, dans l’article « Opéra », le rédacteur distingue cinq écoles ou cinq manières, et il ponctue spacialement le couplet portant sur Mozart : « La plus belle sous le rapport de la force musicale est celle de Mozart78. » À vrai dire, l’idéologue estime que le génie français n’a rien à redouter de l’étranger. La suprématie nationale va se renforcer au contact de la musique italienne comme de la musique allemande. Le goût français ne signifie pas l’isolement. Geoffroy pouvait bien s’étrangler devant les succès des « mozartomanes », comme on les appelait, tant pis pour lui !
L’école allemande triomphe partout, tous les orchestres sont ligués pour Mozart qui est le Dieu du Conservatoire de la Musique. Hors de Mozart, il n’y a pas de messie en musique79.
Il importait donc, et d’autant plus, d’expliquer pourquoi Mozart était le meilleur ou – inversement – pourquoi sa gloire pouvait surprendre le « goût français ». C’est dans cet espace que Bombet puis Stendhal vont se glisser. Telle est, par exemple, probablement, la raison de la note que Bombet ajoute à propos de La Flûte enchantée : « Les personnes qui se rappelleront l’original et l’imitation y trouveront, ce semble, la lutte du genre classique et du genre romantique80. » Ou bien encore tel est le sens du jugement bizarre sur Cosi : « La pièce de Cosi fan tutte était […] tout à fait contraire au talent de Mozart81. »
34En tout cas, c’est du point de vue polémique qu’il faut considérer les diverses Vies, toutes les Vies, toutes les anecdotes, pas seulement celles arrangées par Bombet, parues en ces années mouvementées82. La question du plagiat stendhalien devient, du même coup, un peu secondaire. Il s’agissait d’un usage répandu.
35Tout le monde le sait ; tout le monde le fait ; tous les journalistes, les polémistes se copient, se recopient sans arrêt. C’est à la fois la cause et l’effet du succès médiatique. En fait Ginguené, tout le premier, paraphrase, dans son compte rendu, la brochure de Cramer, qui lui-même s’alimentait auprès de Winckler. Or Winckler adaptait déjà Rochlitz et Schlichtegroll83… D’où ces tissus perpétuels d’anecdotes variées, reprises d’un auteur à l’autre. La vision qu’on voulait donner de Mozart se devait d’être vivante, humaine ; mais après coup, aujourd’hui, pour nous, tout cela paraît terriblement naïf :
Vous désirez, mon cher ami, une notice sur la vie de Mozart. J’ai demandé ce qu’on avait de mieux pour cet homme célèbre, et j’ai eu la patience de traduire pour vous la biographie […]. Je vous la présente, excusez son air simple84.
Evidemment le mot est ici malvenu. Bombet n’a pas eu la patience de « traduire » quoi que ce soit, pas plus, d’ailleurs, que ne l’avait fait Ginguené. Tous ont pourtant alimenté une hagiographie à l’état naissant et ils l’imposent à l’opinion française.
Questions de chronologie
36Il vaut la peine de situer à présent la Vie de Mozart dans une chronologie un peu plus complexe, c’est-à-dire en rapportant la réception des opéras de Mozart au calendrier stendhalien proprement dit : « Enfin j’ai adoré la musique et avec le plus grand bonheur pour moi de 1806 à 1810 en Allemagne. De 1814 à 1821 en Italie85. »
37Si l’on se guide sur les écrits intimes de notre auteur, la toute première mention du compositeur n’intervient qu’en 1807 ; il s’agit de la lettre à Pauline du 6 octobre, dont on a cité plus haut le début. Beyle est alors à Brunswick ; il s’ennuie et semble mettre en balance Mozart et Cimarosa :
Comme homme à idées et homme sensible, il [Mozart] est infiniment préférable, disent les artistes, à tous les médiocres auteurs italiens ; cependant il est très loin, en général, de Cimarosa ; c’est celui-là que je voudrais t’envoyer ; tâche de lire Il Matrimonio segreto, Il Principe di Tarento. La musique me console de bien des choses : Un petit air de Cimarosa que je fredonne d’une voix fausse me délasse de deux heures de paperasserie86.
Voilà qui est tout de même assez maigre ; il ne s’agit présentement que de musique distrayante, celle qui donne du plaisir physique et empêche de penser. Presque à la fin du courrier, sans aucune transition, sans explication, Beyle ajoute, tout à trac : « La Clemenza di Tito, Don Juan, Le Maître de chapelle, L’Enlèvement au sérail, Titus87. » Quelle valeur a cette énumération ? D’autant qu’elle mélange un petit intermède de Cimarosa – Le Maître de chapelle – à de longs opéras de Mozart, en particulier à La Clemenza, deux fois nommée… L’indication ne semble donc n’avoir ici qu’une valeur référentielle. Il est très probable qu’à l’époque, Beyle a surtout lu des avis sur ces opéras ; il a peut-être entendu des extraits en concert ou en soirée ; il n’ignore pas les anciennes campagnes de la presse parisienne ; il a probablement remarqué les nombreuses publicités éditoriales dans les gazettes88. On comprendrait alors mieux les réserves et les notes de la Vie de Mozart, quand bien même – comme le précisait Richard Coe – l’auteur recopie Winckler qui contredisait pourtant parfois Cramer89… Que de complications ! Pourtant chez Beyle cela devient littéralement exact : « À l’époque où l’on donna les Mystères d’Isis à l’Opéra… j’ai vu les Mystères… ai-je vu la pièce de Mozart ? Nullement90. » Beyle ne parle réellement de la Flûte qu’à l’occasion de la création italienne à la Scala en 181691. Il n’avait pas bien vu non plus, ou pas bien compris, les représentations berlinoises données par Iffland au Schauspielhaus à Berlin en 1806, juste au moment de l’occupation française92.
38Il en est à peu près de même pour la Clemenza, vue d’abord à Bologne en 181793 puis à la Scala en 181894. Certes, dans la « Lettre sur Mozart » qui clôt la Vie de Mozart, on lit :
On peut dire avec vérité et sans tomber dans les illusions exagérantes auxquelles on est sans cesse conduit lorsqu’il s’agit d’un homme tel que Mozart que rien absolument ne peut être comparé à l’Idoménée. J’avoue que contre l’opinion de toute l’Italie ce ne sont pas les Horaces qui, pour moi, sont le premier opéra seria existant : c’est Idoménée ou la Clémence de Titus95.
Mais il est probable que nous ne trouvons – entre 1812 et 1818 – guère trace fiable d’une représentation intégrale et réelle de ces deux opéras « sérieux » ; tout au plus ce sont seulement les échos de conversations, le souvenir de quelques morceaux de concert ou quelques réminiscences livresques. Par exemple la mention du théâtre de Koenigsberg apparaît assez bizarre :
C’est ce que j’ai vu à Koenigsberg, après la terrible retraite de Moscou. En réabordant au monde civilisé, nous trouvâmes la Clémence de Titus très bien montée dans cette ville, où les Russes eurent la politesse de nous donner vingt jours de repos dont, en vérité, nous avions grand besoin96.
Une autre fois, en appendice à la Vie de Rossini, la « Notice sur la vie et les ouvrages de Mozart » mentionne encore Idomeneo : « Mozart écrivit cet opéra à Munich en 1781 ; il était alors éperdument amoureux97 » .
39Laissons les détails de côté, au moins pour l’instant98 ; il faut plutôt bien pénétrer la thèse de Stendhal : Mozart est un génie du Nord, car il excelle dans la représentation de la mélancolie, de la tendresse. En d’autres termes, il s’agit d’une sentimentalité propre à une certaine époque, une ambiance particulière, tel est le sens de la remarque à Pauline : « Tu pourras remarquer que les deux plus grands artistes du XVIIIe siècle : Mozart et Mengs sont Allemands99. »
40Il n’en est pas de même pour les opéras de la trilogie da pontienne.
41Le premier opéra mentionné est Cosi fan tutte, associé d’ailleurs aux entreprises amoureuses de notre écrivain :
4 et 5 février 1809 – Toute la journée du 4 a été animée par l’idée de voir le soir la fille du Vaudeville, à laquelle je prêtais mille charmes. Je suis monté chez elle à 5 heures, elle venait de sortir ; à 6 j’ai mieux aimé aller à la deuxième représentation de Cosi fan tutte de Mozart. Musique suave, mais c’est une comédie100.
Pourtant, la comédie rejoindra vite la vie : comme on sait, la nouvelle conquête s’appellera Angelina Bereyter, interprète du rôle de Dorabella, sur la scène du Théâtre Italien. Beyle serait-il inopinément devenu Guglielmo ? En novembre 1809, il voit Don Giovanni à Vienne, alors qu’il ne sait trop comment se comporter avec Alexandrine Daru : « Il est 3 heures et demie ; je l’accompagne, mais elle me laisse au B. Le soir le commencement de Don Juan. Je rentre chez moi à 10 heures et demie, sans aller au Bourg101. » Les autres visites aux théâtres viennois sont implicites :
Je commence à comprendre Don Juan qu’on donne en allemand, presque toutes les semaines, au théâtre de Widen.
Je ne sais si tu as reçu la partition que je t’envoyai de Brunswick, je crois. À la fin, Don Juan chante un air sous les fenêtres de je ne sais qui, accompagné par un simple violon ; c’est l’air qui suit celui-là qui me fait le plus d’impression : nous arrivons toujours ventre à terre pour l’entendre ; hier nous vînmes comme on le finissait ; nous ne daignâmes pas descendre et allâmes voir le ballet de Paul et Virginie102.
On l’a déjà dit : le théâtre de Widen est le Theater an der Wien, car Wien ou Widen est le nom d’un quartier ainsi que d’une petite rivière. Dans ce théâtre, Schikaneder avait créé la Zauberflöte. Pourtant pas un mot sur la Flûte, ni sur Elisabeth/Babeth Rothe, l’autre maîtresse-cantatrice qui chantait les soubrettes103, donc également Zerlina et peut-être bien aussi Papagena. L’air « sous les fenêtres » est évidemment la sérénade accompagnée à la mandoline (ou au violon, faute de mieux) : « Deh ! vieni alla finestra » (n° 16, canzonetta). « L’air qui suit » est-il bien le n° 17 – « Meta di voi vadano » – qui achève la confusion calculée entre Giovanni et Leporello ? Ne s’agirait-il pas plutôt du terzetto n° 15 qui précède la sérénade, lorsqu’Elvire commence par ces mots « Ah taci ingiusto core, non palpitarmi in seno » ? Si l’on penche pour le premier terme de l’alternative, on souligne le côté assez désabusé des personnages, comme chez Denon ou Laclos. Si l’on privilégie le second, on valorise les personnages féminins et leur sentimentalité à l’allemande. Quoi qu’il en soit, Stendhal y trouve son compte, toujours bien balancé entre Lumières et Romantisme.
42Les Nozze di Figaro sont souvent évoquées dans le Journal ; la première mention indubitable est parisienne : « 9 octobre 1810 : j’ai tellement senti hier les Nozze di Figaro que j’en ai mal à la poitrine aujourd’hui104. » Antérieurement ou en dehors de Paris il ne s’agit que de conjectures. En tout cas, Beyle ressent intensément le mélange de sentiment et de sensualité qui caractérise spécialement cet opéra :
Hier, chez le duc de Rovigo, soirée très brillante. Sensation délicieuse en arrivant aux Nozze di Figaro, au moment de ce duo si voluptueux dans lequel le comte demande à sa femme la clef du cabinet où Suzanne vient de se renfermer. Mon cœur, ému par la contemplation de la belle gorge de Mme Lacuée et de la belle tête de Mme Pallavicini, boit avec avidité ces sons délicieux105.
Il est probable que les Nozze parisiennes ont été le spectacle le plus prisé par notre auteur, surtout quand il réagit par l’antiphrase ou avec quelque dépit :
1er janvier 1811 : […] Huit jours auparavant, étant disposé à la force et à l’action, les divines Nozze di Figaro ne m’avaient pas touché du tout, m’avaient presqu’ennuyé106.
Tout cela demeure en tout cas exclusivement parisien, impérial ; le 9 octobre 1810, alors que les projets de majorat vont au mieux : « Hier ; nous avons tant joui aux Nozze di Figaro que ce matin nous en sommes accablés. Nous avons jasé tout du long avec une Italienne très jolie107. »
43De cette vétilleuse enquête il ressort que les idées mozartiennes de Stendhal sont très dépendantes des représentations du Théâtre Italien de Paris. L’étranger, Brunswick, Vienne ont joué un rôle certes indispensable, mais pas définitif, en ce sens qu’il n’affecte ni l’intellect ni le cœur. Notre auteur voit en Mozart un auteur contrasté et contesté. Un peu plus tard, Rossini, par exemple, pourra bien devenir – pour son plus grand avantage – le parfait symbole des temps nouveaux. Il n’en demeure pas moins que Mozart, aux yeux de Stendhal, reflète dans sa vie et son œuvre les contrastes et les querelles d’antan.
Portraits de Mozart
J’ai devant moi une charmante gravure de Porporati intitulée Il Bagno di Leda… à côté… j’ai le portrait de ce divin Mozart que j’ai acheté à Vienne d’Artaria, qui connaissait beaucoup Mozart et qui m’a assuré qu’il était très ressemblant. On donne demain les Nozze di Figaro108 […].
Stendhal nous a laissé plusieurs portraits de Mozart qui réemploient vite des formules similaires. En quelle mesure infirment-ils ou confirment-ils l’opus bombeticum ? On a dit les pages qui terminent la Vie de Haydn ; mais ensuite il y a tout le développement au début de la Vie de Rossini, il y a encore les Notes d’un dilettante et enfin les deux articles destinés au Spettatore. Tous ces textes ne sont pourtant pas uniformes ou univoques. Les Notes d’un dilettante sont des articles de critique, comme les notices du Spettatore ; ils nous offrent un portrait de Mozart tel qu’on voulait le représenter au théâtre. De leur côté, les réflexions qui clôturent Haydn, celles qui ouvrent la Vie de Rossini relèvent de l’histoire de la musique et de la musicologie inaugurées, par exemple, par le docteur Burney : « Quant à la musique, pour jouir ici […] demande à la bibliothèque The History of Music by Burney109. »
44À ce propos, on n’a pas tellement souligné que Stendhal confondait deux ouvrages de Burney : son voyage musical The Present State of Music in France and Italy or the Journal of a Tour (1771), d’ailleurs traduit en français par Charles Brack et publié à Gênes en 1810, et The General History of Music qui date de 1789. Dans les deux cas, Burney parle évidemment de Mozart. Mais pas à la façon de Geoffroy ou de Ginguené. Burney écrit sur la musique dans une perspective diachronique, opposée à la manière des Lumières, qui était théorique ou normative. Burney a implicitement inauguré la recherche des faits historiques, le catalogage des œuvres, le classement par genres110. On peut en voir l’effet – certes caricatural – dans la recherche complaisante des témoins et des témoignages, dans la collation et la collection des « anecdotes ». En d’autres termes les notices de Winckler, Cramer, Schlichtegroll relèvent du même esprit ; ce sont des dérivés journalistiques de la démarche inaugurée par Burney. Cela reparaît chez Stendhal, dans ses portraits répétés de Mozart. Beyle y teste surtout sa propre méthode : d’abord il y a les petits faits vrais – les anecdotes – ensuite leur mise en perspective suivant les variables du temps, du lieu, de l’espace. Cette double approche s’applique déjà, à une échelle réduite, pour Haydn ; elle se déploie, par la suite, complètement avec Rossini. Ce sera surtout aussi, évidemment, la méthode de Racine et Shakespeare ou de De l’amour.
J’ai cherché à analyser le sentiment que nous avons en France pour la musique […] je me suis aperçu que pour donner quelque agrément à l’analyse philosophique que j’avais entreprise, il fallait écrire les vies111…
Dans ses portraits successifs de Mozart, Stendhal distingue trois caractéristiques, trois traits éminents. En premier lieu il y a, de toute évidence, l’inventivité mélodique. Comme l’explique la lettre VIII de la Vie de Haydn :
C’est […] ce qu’un amateur sensible […] et peu instruit a retenu en sortant d’un opéra […]. C’est l’âme de la musique, c’est la vie, l’esprit d’une composition […]. Qui est-ce qui a entendu le Figaro de Mozart, et qui ne chante pas en sortant […] : « Non piu andrai, farfallone amoroso112 » ?
Sur ce point, Stendhal argumente d’une manière historique convaincante. Le « beau chant », dit-il, est un chant moderne : Monteverdi, le premier, avait eu l’idée d’introduire, dans la ligne mélodique, des dissonances, pour parler comme Stendhal ; et elles revêtent un caractère expressif113 ; mais ensuite Mozart seul est arrivé à une pleine maîtrise du procédé :
[…] cet homme plein de tant d’idées et d’un goût si grandiose, cet auteur de l’air : « Non so piu cosa son, cosa facio » a quelquefois un peu abusé des modulations… quelquefois, il met des chants trop différents de celui de l’acteur en scène mais que ne pardonnerait-on pas en faveur du chant de l’orchestre, vers le milieu de l’air :
Vedro mentr’io sospiro… Felice un servo mio ! chant divin, et que tout homme qui souffre d’amour se rappelle involontairement114.
Stendhal a bien raison de souligner la qualité du cantabile ; quels que soient les types de chant, Mozart est le maître, par rapport au passé comme au présent : « Contre l’opinion de toute l’Italie, ce ne sont pas les Horaces qui, pour moi, sont le premier opera seria existant 115. » Et cela bien que du temps de Haydn la musique chantée eût déjà montré toute sa gloire :
Pergolèse, Leo, Scarlatti, Guglielmi, Piccinni et vingt autres l’avaient portée à un point de perfection qui depuis n’a été atteint et quelquefois surpassé que par Cimarosa et Mozart116.
Il en découle que chez Mozart : « La base de la musique est ce plaisir physique ; et je croirais que notre oreille jouit encore plus que notre cœur en entendant Mme Barilli chanter : “Voi che sapete, Che cosa è amor”117. » La justesse de l’exemple, renforcée par l’accent personnel du dilettante, garantit la vérité de l’idée ; le premier caractère du génie mozartien réside effectivement dans l’exceptionnelle efficacité, dissimulée en élégance, du chant :
Quelques faiseurs d’opéra ont voulu […] partager l’exposition de leurs idées entre l’orchestre et la voix […] mais chez la plupart des hommes sensibles et faits pour la musique plus le chant est clair et donné avec netteté, plus le plaisir est grand. Je ne vois d’exception à cela que dans certains morceaux de Mozart118.
En second lieu, Stendhal affirme que Mozart est le « La Fontaine de la musique119 ». Cette comparaison suggère que tout, chez Mozart, est heureusement trouvé, tout s’agence à merveille, de manière toujours subtile et très personnelle. Les plus authentiques chefs-d’œuvre s’appellent Don Juan et Figaro120, dont les inventions musicales, les tours dramatiques atteignent une perfection quasi inexplicable :
Comme ceux qui ont voulu imiter le naturel du premier poète de la langue française n’ont attrapé que le niais, de même les compositeurs qui veulent suivre Mozart tombent dans le baroque le plus abominable121.
Notre critique a finement discerné l’essence du naturel mozartien :
Mozart a peint la tendresse la plus passionnée et la plus délicate dans les airs :
« Vedro mentr’io sospiro » du comte Almaviva
« Non so più cosa son, cosa faccio » de Chérubin
« Dove sono i bei’momenti » de la Comtesse
« Andiam, moi bene » de Don Juan
La grâce la plus pure dans :
« La mia Doralice capace non è » de Cosi fan tutte
Et dans : « Giovanni, che fate all’amore » de Don Juan122.
Stendhal souligne enfin, d’une manière très sentie, la sentimentalité des Nozze, cet opéra où le compositeur transmue l’argument de Beaumarchais en un chef-d’œuvre de spontanéité. Le dernier chapitre de la Vie de Mozart l’explique avec finesse :
La première réflexion, qui se présente sur Figaro, c’est que le musicien dominé par sa sensibilité, a changé en véritables passions les goûts assez légers qui, dans Beaumarchais, amusent les aimables habitants du château d’Aguas-Frescas123.
Dans cet opéra, le comte n’est plus seulement un grand seigneur égoïste, assez méchant ; il est parent de Don Juan : tout au moment présent, et même sincère – si l’on peut dire – dans les promesses d’un instant : « Crudel ! Perchè finora far mi languir cosi », enflammé de désir, jaloux de toute rivalité : « Vedro mentre ch’io sospiro, felice un serve mio ! » On est loin de l’homme cynique qui se demande, à l’acte III scène l, dans la pièce française :
Qui donc m’enchaîne à cette fantaisie ? J’ai voulu vingt fois y renoncer… Étrange effet de l’irrésolution ! si je la voulais sans débat, je la désirerais mille fois moins124.
En face d’Almaviva, la comtesse n’est plus une grande dame blasée, assez ironique, mais une femme qui aime toujours un mari volage ; mieux encore, elle requiert d’être aimée. « Dove sono i bei momenti? » chante-telle, pensive, méditant sur le temps ravageur :
On sent, dans la comédie, que le goût de Rosine pour le petit page pourrait devenir plus sérieux : la situation de son âme, cette douce mélancolie, ces réflexions sur la portion de bonheur que le destin nous accorde, tout ce trouble qui précède la naissance des grandes passions, est infiniment plus développé chez Mozart que dans le comique français. Cette situation de l’âme n’a presque pas de termes pour l’exprimer, et c’est peut-être une de celles que la musique peut beaucoup mieux peindre que la parole. Les airs de la comtesse font donc une peinture absolument neuve125.
Il y a aussi Figaro : « La jalousie de Figaro, dans l’air : “Se vuol ballare signor contino” est bien éloignée de la légèreté du Figaro français126. » Dans l’opéra, le héros cesse d’être l’astucieux représentant du Tiers État humilié ; de même que pour son adversaire, Almaviva, Mozart lui confère une aura sentimentale ; Figaro devient profond ; il découvre tout le champ contrasté de l’amour humain : « Il faut avouer qu’il est faiblement rendu par le seul air gai de Mozart : “Non più andrai, farfallone amoroso”127. » Le sens des Nozze di Figaro s’est transformé en une réflexion sur la tentation et la rédemption :
Pour achever le déguisement, Mozart […] a changé entièrement le tableau de Beaumarchais ; l’esprit ne reste plus que dans les situations ; tous les caractères ont tourné au tendre et au passionné128.
Ainsi notre auteur souligne, en termes simples et « exactissimes », le caractère spécial du théâtre de Mozart, bien différent des usages de l’époque : « L’opéra de Mozart est un mélange sublime d’esprit et de mélancolie, tel qu’il ne s’en trouve pas un second exemple129. »
Burney, Bombet, Stendhal
45Et les autres portraits ? Ce sont des analyses plutôt dramaturgiques, des considérations sur la façon ou les raisons de représenter Mozart. C’est d’abord Bombet qui prend la plume ; ensuite the Author devient Stendhal, mais toujours persiste le propos qui s’associe avec celui de Burney : « Ajoute ici Figaro ou Don Juan du mélancolique Mozart et ton cœur sera préparé. Si tu veux […] demande […] the Travel of Burney130. » Mozart, ses spectacles, que ce soit à Paris, à Milan ou encore ailleurs, servent à mesurer l’état de la vie musicale, sa pratique, ses connexions sociales. Les trois pôles sont nettement identifiés, toujours en référence avec le mouvement du temps.
46Dans la « Lettre sur l’état actuel de la musique en Italie », prétendûment écrite de Venise le 29 août 1814, à la fin des Lettres sur Métastase, il est dit :
Vous vous souvenez donc encore, mon ami, des lettres que je vous écrivais de Vienne il y a six ans […]. Mes idées ont bien changé de cours depuis cette époque […]. Je ne vous dirai rien de nos théâtres de Vienne […] on exécutait supérieurement Don Juan, le Mariage secret, la Clémence de Titus […]. En musique, comme pour beaucoup d’autres choses, hélas ! je suis un homme d’un autre siècle131.
Voilà le rapport difficile avec la diachronie, la dialectique du social et de l’intime. Autre mouvement, autre basculement, même intention, au début de la « Lettre sur Mozart », écrite encore prétendûment de Monticello, toujours le 29 août 1814 : « On ne connaît à Paris que Figaro, Don Juan et Cosi, qui ont été joués à l’Odéon132. » Et semblablement enfin, dix ans plus tard, dans l’introduction à la Vie de Rossini :
J’oubliais qu’il faut encore parler de Mozart, avant de nous occuper pour toujours et exclusivement de Rossini […]. Mozart parut tout à coup comme un colosse au milieu de tous ces petits compositeurs italiens, qui n’étaient grands que par l’absence de grands hommes […]. En Italie vers l’an 1800 Mozart était un barbare romantique, voulant envahir la terre classique des beaux-arts. Il ne faut pas croire que cette révolution, qui nous semble si naturelle aujourd’hui, se soit faite en un jour […]. Vers 1803, les triomphes de Mozart à Munich et à Vienne vinrent impressionner les dilettanti d’Italie […]. Aujourd’hui, en 1823, les Italiens, après une belle résistance de dix ans, ayant cessé d’être hypocrites en parlant de Mozart, leur voix mérite d’être comptée et leur jugement pris en considération133.
Stendhal a situé Mozart non seulement dans l’absolu, mais encore dans la variété des époques et la relativité du progrès. Il n’emploie pas le terme de « beau idéal » mais l’idée est déjà bien présente. Avec cette réserve mentale, tellement typique et essentielle, en vertu de quoi le beau idéal d’un siècle donné ne convient plus au siècle d’après :
Quand toute la France le voudrait à l’unanimité, nous ne pourrions nous refaire des hommes de 1780. L’admirable libretto de Don Juan mis en musique par Mozart fut écrit à Vienne [pour] l’oligarchie viennoise […]. Dans la scène du bal […] à Louvois en 1825 […] il a bien fallu ordonner à Don Juan de chanter « viva l’ilarità »134.
Il y a lieu, pour finir, d’évoquer la place particulière des articles destinés au Spettatore, en 1816. L’histoire de ces textes ne nous concerne pas. Et les critiques de Stendhal ne nous intéressent pas du point de vue circonstanciel. Que nous importent les distributions de tel ou tel théâtre ? En revanche, il ressort que grâce aux créations de la Scala, puis du Théâtre Italien, sous la Restauration, Stendhal a connu davantage d’opéras que ceux qui paraissent dans les Vies : il s’agit, cette fois, de La Flûte, de La Clemenza et même de Cosi pourtant toujours traité de façon oblique, par allusion135. Tous les spectacles de la Scala ont été mis en scène selon une esthétique néoclassique. Le musée de ce théâtre conserve des dessins de costumes, de décors, de ballets conçus par Gonzaga, Landriani, Sanquirico136. Le succès de ces créations a été mitigé. Par exemple le début du texte du 20 mars 1816, sur Don Giovanni, remarque très justement :
Cette musique singulière a besoin d’être entendue plusieurs fois pour être comprise et nous la sentons bien mieux aujourd’hui qu’il y a un an137.
Ou, plus explicitement encore, dans l’original italien :
Questa impareggiabil musica ha mestieri d’essere udita più volte perchè appieno sen comprendano I pregi, simile in cio a tutti I capi d’opera delle arti, ch’esaminar conviene in ogni lor particolare per rivelarne le supreme bellezze138.
En d’autres termes, il y a un « a-chronisme » de la musique de Mozart ; mais cela ne se révèle qu’à l’auditeur capable de dépasser les contingences et les circonstances. En un sens, Mozart est d’un autre temps ; mais quel temps ? Son inactualité garantit sa modernité ou sa pérennité auprès des tempéraments les plus avertis. Traditionnel ? Peut-être ; progressiste ? Peut-être aussi ; mais secret, à coup sûr, donc réservé, pour quelques-uns seulement :
En 1807, quelques Italiens de distinction que Napoléon avait menés à sa suite dans ses campagnes […] se mirent à reparler de Mozart ; on se décida à essayer une de ses pièces, L’Enlèvement du sérail je crois […] il ne s’agissait plus de cette musique qui s’apprend d’oreille, en l’entendant chanter une fois ou deux […] comme « di tanti palpiti » de Tancrède […] on faillit renoncer à Mozart. Cependant quelques jeunes gens riches […] et l’on donna enfin l’œuvre de Mozart. Pauvre Mozart ! […] le même soir il se forma deux partis139…
Le cas de La Flûte n’a pas été très différent. Comme à l’Académie de musique de Paris, la Scala faisait chanter l’œuvre en langue nationale, c’est-à-dire en italien, et l’accompagnait de ballets et de récitatifs. En d’autres termes, disparaissait tout ce qui constitue l’essence même du Singspiel, tout ce qui préfigure l’opérette. L’esprit viennois n’y est plus. Bien sûr, Beyle et tant d’autres n’y avaient guère accès, en aucune façon : « Cette musique est pleine de détails délicieux qu’il faut saisir140. » Quelle importance de savoir, dans la longue énumération de l’article, si l’on a bien ou mal chanté, qui a mal ou bien joué ? « On nous fait espérer La Flûte enchantée, je ne sais si elle réussira141. » Malgré les efforts du critique qui ne signe pas (encore) Stendhal, les représentations milanaises n’eurent pas beaucoup de succès. Quelques années plus tard, Pietro Lichtenthal, ancien élève de Salieri, admirateur de Liszt, fort loyal serviteur des Habsbourg, comme Carpani, s’en tire lui aussi par une pirouette :
In questa opera si hanno risoluti tutti I quesiti estetici della musica, qualora la morale costituisca pur essa condizione principale del piacere142.
Mozart est donc insondable et parfait ; c’est un univers clos, lisse, absolument singulier : « C’est qu’il a été inventeur de tous points et dans tous les sens ; il ne ressemble à personne et Rossini ressemble encore un peu à Cimarosa, à Guglielmi, à Haydn143. » Apparemment on le croit ancien, de son temps, mais il domine tout et tout le monde : « Raphaël avait justement plusieurs des qualités tendres et des perfections modestes qui caractérisent Mozart144 » ; ni daté, ni précurseur ; lui-même tout simplement. Stendhal, dans un feuilleton du Journal de Paris du 2 juillet 1825, consacré à La Clemenza, tourne et retourne cette idée ; il sent le mystère de cet art et l’exprime avec une pointe de fatalisme :
La Clemenza a été bien chantée […]. Ce grand homme s’est rapproché de l’ancienne musique […], c’est peut-être pour cela que, avant-hier, il a paru si languissant et si froid. Mozart n’est plus à la mode, il faut en convenir. Or de toutes les qualités qui peuvent briller dans un opéra, dans un tableau, dans une statue, celle qui perd le plus à n’être plus à la mode, c’est la grâce. C’est que le commun des mortels méprise facilement la grâce. Ce qui est énergique et fort plaît plus longtemps ; c’est le propre des âmes vulgaires […]. Le public qui applaudit au théâtre Louvois se compose d’un petit nombre d’amateurs, qui ne jugent que d’après leur sensation, et d’une immense majorité qui couvre de bravos ce que les journaux lui ont désigné comme étant beau. Dans le moment présent, cette immense majorité, un peu moutonne, manque entièrement à Mozart145.
Serait-il malvenu de rappeler, ici, Hegel ?
La tâche principale de la musique consiste donc, non pas à reproduire les objets réels, mais à faire résonner le moi le plus intime, sa subjectivité la plus profonde, son âme idéelle […]. Elle s’adresse à l’intériorité subjective la plus profonde ; elle est l’art dont l’âme se sert pour agir sur les âmes […]. Les sons ne trouvent leur écho qu’au plus profond de l’âme, atteinte et remuée dans sa subjectivité idéelle146.
L’art romantique, au sens du philosophe, est celui qui exprime l’infinité de l’intériorité ; il se trouve le plus à son aise dans la musique. Stendhal ne pense pas différemment. Chaque forme d’art trouve son medium le meilleur dans un certain mode d’expression, dans un genre, dans une technique. Peut-être est-ce ce qui s’appelle le style :
Mozart […] c’est tout simple, sa musique n’est pas calculée pour le climat, elle est destinée surtout à toucher, en présentant à l’âme des images mélancoliques et qui font songer aux malheurs de la plus aimable et la plus tendre des passions. Or l’amour147…
On songe, à ce propos, à Fabrice, ébranlé jusqu’au tréfonds de l’âme, lors du concert de la Princesse de Parme. Lorsque Mozart, justement, succède à Cimarosa :
Fabrice pleura à chaudes larmes pendant plus d’une demi-heure. Par bonheur une symphonie de Mozart, horriblement écorchée, comme c’est l’usage en Italie, vint à son secours et l’aida à sécher ses larmes. Il tint ferme et ne tourna pas les yeux vers la marquise Crescenzi148.
Quelle symphonie ? On ne saurait le dire et peu importe ; en revanche se souvient-on de La Flûte ? Sur les mots de Fabrice « et mes yeux ne te regarderont jamais149 » ne se rappelle-t-on pas Tamino : « Dies’ Bildnis ist bezaubernd schön » (acte 1, air n° 3) ? Paraphrase ? Coïncidence ? Fabrice veut accomplir exactement le contraire de ce que fait Tamino. Pourtant, ce sont émerveillements similaires, élans d’une subjectivité tout intériorisée ; chez l’un et l’autre les mots et les sons se répondent, la couleur est proprement sublime.
« Ce génie de la douce mélancolie »
47En définitive, Stendhal suit discrètement une certaine ligne dans son appréciation sur Mozart. Dans la Vie de Haydn notre compositeur est : « ce génie de la douce mélancolie150 ». La formule va un peu plus loin dans la Vie de Rossini : « Le pays qui a produit les sombres et attachantes images d’Ossian […] peut incontestablement donner à l’Europe […] un Mozart151. » Qu’est-ce qu’un génie germanique ? Un romantisme venu du Nord152 ? Celui de Minna, de Wilhelmine, d’Armance ? Ou d’Octave, qui rabâche toute une nuit Don Giovanni pour retrouver la paix de l’âme ? On peut certes rappeler ici les théories de Mme de Staël sur les climats, ou celles de Tracy sur les humeurs153; mais on doit rapprocher cela avec d’autres passages. Par exemple, lorsque Mme Derville s’exclame, devant les « aspects sublimes » des monts qui ceignent Vergy : « C’est pour moi comme de la musique de Mozart154 », elle exprime la même jubilation que les héros de Cosi, si jeunes, tellement euphoriques : « Una bella serenata »… (Cosi, n° 3). Stendhal ne décrit pas plus le cirque des montagnes que Mozart ne donne à voir la baie de Naples. Mais la situation est la même, la couleur similaire, les tempéraments également authentiques :
C’est comme un peintre qui entreprendrait de faire mieux que le Titien, pour la vérité et la force des couleurs, ou mieux que Racine pour la beauté des vers, la délicatesse et la convenance des sentiments155.
Stendhal hésite, parfois il est vrai, dans ses parallèles ; Mozart est comparé tantôt à La Fontaine, tantôt à Raphaël, ou encore au Dominiquin qui devrait atteindre « un caractère encore plus mélancolique pour lui ressembler entièrement156 ». Peut-être ces variations tiennent-elles à l’absolue singularité de cette musique surprenante.
48Par exemple Stendhal a senti un trait assez typé. Il a observé ce que l’on pourrait appeler l’art du raptus chez Mozart. Dans cet esprit il souligne « le plus beau chant d’église » qui retentit soudain dans le dernier finale des Nozze : « Contessa, perdona157 ! » Effectivement, en quelques secondes la lumière change, l’écriture tend vers le contrepoint. Archaïsme calculé ? En tout cas la sévérité signale l’émergence d’une intériorité profondément humaine. On trouverait d’autres occurrences. Il y aurait les trois mesures qui marquent l’intrusion du Commandeur, au milieu du dîner dans le deuxième finale de Don Giovanni ; il y a surtout le quatuor de L’Enlèvement (acte II, scène 9), lorsque Belmonte se prend à douter de la sincérité de Constanze et que Pedrillo s’interroge lui aussi sur celle de Blonde. Et pourtant Stendhal – à ce que l’on tient pour acquis – n’a jamais vu L’Enlèvement, nulle part.
49Cet art du double-fond ou du double-sens est particulièrement élaboré dans Cosi fan tutte. Telle est d’ailleurs toute la difficulté que bien peu de mises en scène réussissent à rendre. Il est probable que la troupe des Italiens ou celle de la Scala ou du San Carlo ne cultivaient pas ces subtilités. Cela expliquerait-il l’opinion de Stendhal, présentée, en quelque sorte, à l’envers : « La pièce de Cosi fan tutte était faite pour Cimarosa » ? Peut-être faut-il comprendre que le livret était typiquement italien, spontanément simpliste ; or Mozart « ne pouvait badiner avec l’amour158 » ; en vérité, à de certains moments Mozart fait exploser la simplicité ; il illumine en plein l’ambiguïté du cœur humain. Si l’on y songe, c’est un pareil malentendu qui gêne et excite à la fois, la relation de Leuwen et de Mme de Chasteller ; chacun des deux amants est régulièrement saisi par le doute, chacun soupçonne l’autre de ne vouloir que badiner. Ils sont rares, leurs moments de grâce. Pourtant ils existent. Telle est la beauté des instants où Lucien et Bathilde se promènent en silence dans les bois environnant le Chasseur vert. Dans le lointain résonne la musique de Mozart. Ce sont des morceaux de Don Juan et des Nozze. Pourquoi pas tel morceau de Cosi ? On songerait à la promenade du deuxième acte lorsque Dorabella et Guglielmo découvrent qu’ils seraient faits l’un pour l’autre : « Il core vi dono, bel’idol mio » (n° 23). Notre romancier, pour sa part, a écrit : « Donnez-moi le bras, monsieur Leuwen. Leuwen serra le bras qu’on lui offrait et le mouvement fut presque rendu159. » Instant de grâce toute mélancolique. Taine, comme Stendhal, sentait vivement l’espèce de singularité redoutable de Cosi et l’expliquait fort bien :
La pièce n’a pas le sens commun, et c’est tant mieux […]. Sur le théâtre il y a deux coquettes qui rient et qui mentent, mais dans la musique personne ne ment et personne ne rit. On sourit tout au plus. Même les larmes sont voisines du sourire160.
Taine aurait-il, par hasard, pu implicitement faire aussi allusion à Leuwen161 ? En tout cas on doit admettre que certaines remarques, certaines situations des romans de Stendhal consonnent parfaitement avec les plus beaux moments de Mozart.
50On n’en a jamais fini avec cette musique. Stendhal l’avait vivement éprouvée ; il a donc multiplié les appréciations, retouché sans cesse, au fil de sa propre réflexion, le portrait du compositeur. Au-delà d’une question de mode et d’un problème de réception, l’écrivain semble donc avoir voulu concilier les contraires, rejointoyer l’impossible ; Mozart était indubitablement un musicien de l’ancien temps, mais ses opéras, ses meilleurs opéras dénotent une subtilité, une émotion qu’on peut assez bien appeler romantiques. On entendra par là une profondeur qui alimente la vie intérieure la plus complexe. Mais par-dessus tout Mozart, musicien fétiche des Idéologues, a peu à peu favorisé l’épanouissement d’un romanesque très personnel. Grâce à Mozart, Beyle devient Bombet et grâce aux opéras de Mozart, spécialement grâce à la trilogie dapontienne, Bombet devient Stendhal. Intéressante métamorphose.
Notes de bas de page
1 Giuseppe Carpani, Le Haydine, rééd. Padova, Minerva, 1823.
2 Dans l’édition Champion, Vies de Haydn, Mozart et Métastase, Paris, 1914, reprise par V. Del Litto et E. Abravanel dans l’édition du Cercle du Bibliophile, Œuvres complètes, vol. 41, Aran, 1970.
3 P. Hazard, Les Plagiats de Stendhal, Paris, 1921.
4 Œuvres intimes, ouvr. cité, II, p. 971. Le nom de Darlincourt est un des pseudonymes de l’écrivain lui-même. L’autre récit se trouve dans une lettre à Pauline du 25 juillet 1809 (Correspondance, I, ouvr. cité, p. 536). Carpani va dans le même sens : « Intervennero alla sacra funzione molti distinti personaggi appartenanti all’armata francese e i primi signori della città. » (Le Haydine, rééd. Padova, la Minerva, p. 262.)
5 Cité par Marc Vignal, Joseph Haydn, Premières biographies, Paris, Flammarion, 1996, p. 253.
6 Ibid.
7 Stendhal cite son Voyage dans De l’Amour, à propos de l’amour allemand.
8 Cadet de Gassicourt, Voyage en Autriche, Paris, 1818, p. 249.
9 Ibid., p. 168.
10 Ce journal de Félix Faure se trouve dans Un compagnon de Stendhal, Félix Faure, pair de France (Aran, Éditions du Grand Chêne, 1978) et il est également intégré dans l’édition VDL des Œuvres intimes, I ; la citation se trouve p. 1050.
11 C. de Gassicourt, ouvr. cité, p. 192.
12 Ibid., p. 193.
13 Voir F. Claudon « Diplomates, espions ou réquisitionnaires : les Français à Vienne », dans Vivant Denon (actes du 4e colloque de Chalon-sur-Saône), B. Bailly et F. Claudon (éds.), Chalon-sur-Saône, UTB, 2003, p. 125-136 ; toutes les citations allemandes qui suivent sont reprises de cet article.
14 Lettre à Pauline du 25 juillet 1809, Correspondance, I, ouvr. cité, p. 536.
15 Voir Marc Vignal, Joseph Haydn, Paris, Fayard, 1988, p. 727-730.
16 Journal, O.I., I, ouvr. cité, p. 673.
17 Voir J. Mongrédien, La Musique en France, ouvr. cité, p. 307 et suiv. ; et Alexandre Dratwicki : « La réception des symphonies de Haydn à Paris », dans Annales historiques de la Révolution française : <http://ahrf.revues.org/documents2083.html> [consulté le 22/10/2009].
18 Cité par Vignal, Biographies, p. 98.
19 Ibid., p. 312.
20 Carpani, Haydine, p. 262.
21 O.I., I, ouvr. cité, p. 34 ; même texte, similitude parfaite – mais graphie légèrement différente – dans Journaux et papiers, ouvr. cité, p. 98.
22 Journaux et papiers, ouvr. cité, p. 108.
23 La première édition est celle de Artaria, à Vienne, en 1794 ; surviennent ensuite Cori & Dussek à Londres en 1796, Breitkopf & Härtel à Berlin en 1803, enfin Simrock à Bonn et à Paris en 1805 (Six romances avec paroles allemandes et françaises [sic]) – pour ne parler que de l’époque de Stendhal.
24 Pour les détails musicologiques haydniens, voir David Wyn Jones, The Haydn Companion, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 160, et M. Vignal, ouvr. cité, p. 1230.
25 Voir l’introduction d’O. Landshoff pour l’édition Peters, Berlin, 1931 (Kanzonetten und Lieder) p. IV.
26 Journal, O.I., I, ouvr. cité, 10 juin 1810, p. 595 : « Un mince volume in-8°. […] Il contiendra les vies de […] Pergolèse, Durante, Cimarosa, Mozart, Haydn […]. » Pour l’intégralité et le contexte de la citation voir supra note 85.
27 Voir Lives of Haydn…, ouvr. cité, particulièrement l’index relatif à Babet Rothe.
28 Voir Tia De Nora, Beethoven and the construction of genius: musical politics in Vienna, Londres, University Press, 1997, p. 31.
29 Richard Coe, « Stendhal et Giuseppe Carpani » dans Stendhal et Bologna (a cura di Liano Petroni) : IX° Congresso stendhaliano, Bologna 1971-1973, t. II, p. 597 et suiv.
30 Vie de Haydn, ouvr. cité, p. 13.
31 Ibid.
32 Ibid., p. 115.
33 Ibid., p. 137. Carpani se contentait d’écrire, dans sa XIIe lettre : « La natura oppressa dall’eccesso del calore si consuma, langue e vien’ meno. » (éd. citée, p. 35)
34 Vie de Haydn, ouvr. cité, p. 147.
35 Ibid., lettre XVIII, p. 117.
36 Voir Carpani, lettre XI.
37 Voir le catalogue de l’exposition Phänomen Haydn, ouvr. cité, p. 235 et suiv.
38 Carpani, ouvr. cité, p. 124.
39 Voir supra note 49.
40 Lucien Leuwen¸ dans Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, t. II, p. 284.
41 Vies de Haydn, Mozart et Métastase, ouvr. cité, p. 151 ; ensuite Carpani écrivait, XV : « Ma l’avare natura impiega de’secoli a preparare i Raffaelli, i Palladii, i Pergolesi, gli Haydn, i Sacchini, i Canova. State sano ! » (éd. citée, p. 266).
42 Racine et Shakespeare, Martineau (éd.), Le Divan, p. 193, en particulier Ire partie, chap. III : « Ce que c’est que le romanticisme » repris dans O.C., VDL (éd. ), Journal littéraire, III, vol. 35, p. 120 et suiv.
43 Voir dans Racine et Shakespeare, O.C., ouvr. cité, vol. 33, p. 267, le développement et le parallèle entre Mozart et Cimarosa.
44 Pensées-Filosofia nova, Martineau (éd.), Le Divan, I, p.65 ; et VDL (éd.), O.C., 33, Journal littéraire, I, p. 120.
45 Voir, dans le même sens, l’opinion de Michel Crouzet (La Poétique de Stendhal, I, Paris, Flammarion, 1983, p. 10) : « L’égotisme repose alors sur un style et dépend d’une rhétorique… le Moi ne se retrouve que dans la maîtrise du discours. »
46 Voir Henri Beyle, un écrivain méconnu (1797-1814), ouvr. cité ; et plus particulièrement Serge Linkès , « Les poétiques de Beyle et de Stendhal : rupture ou continuité ? », p. 301-324.
47 Vie de Henry Brulard, t II, O.I., ouvr. cité, chap. XL, p. 912 ; et Y. Ansel, Stendhal, le temps et l’histoire, Toulouse, Presses de l’université Toulouse-le Mirail, 2000.
48 Voir sur ce point L’Année Stendhalienne, n° 17, Paris, Champion, 2018, « Mozart et la Vie de Mozart, des Lumières au Romantisme » (p. 199-225).
49 Souvenirs d’égotisme, ouvr. cité, p. 472. Rappelons dans le même sens l’épitaphe théâtrale, en italien, du chap. 6, évoquée supra note 50.
50 Voir J. Mongrédien : « Paris à la découverte de Mozart : 1789/1815 » dans Mozart à Paris, catalogue de l’exposition du musée Carnavalet, Paris-Musées, 1991, p. 52-56.
51 Il s’agit ici du compte rendu de la Notice sur Jean-Chrysostome-Wolfgang-Théophile Mozart, né à Salzbourg le 27 janvier 1756, mort à Vienne en Autriche le 5 décembre 1792. La notice est de Winckler, le compte rendu est de Ginguené dans le Magasin encyclopédique, 7e année, t. III, an IX, 1801, p. 29 et suiv. Les deux occasions parisiennes dont parle le journaliste font certainement référence aux deux derniers voyages de Mozart à Paris, celui de 1766 et celui de 1778.
52 Voir F. Claudon : « Beyle et Haydn », dans Recherches et Travaux, n° 79, « Stendhal, Vienne, l’Autriche », 2011, p. 99-112.
53 « Il y a quelques faits à prendre dans la vie de Métastase », Journal, O.I., I, ouvr. cité, 24 mai 1815, p. 933.
54 Rome, Naples et Florence, ouvr. cité, p. 77.
55 Correspondance, ouvr. cité, I, p. 366, lettre 166 du 6 octobre 1807.
56 Voir J. Mongrédien, La Musique en France, ouvr. cité, en particulier le chapitre VII : « La Pénétration de l’école allemande en France », p. 315 et suiv.
57 Voir Marc Fumaroli : « Ce que Mozart a pu voir à Paris », dans Mozart à Paris, ouvr. cité, p. 46-51.
58 Ibid., p. 106.
59 Voir B. Didier , « Le “goût français” obstacle à la réception de Mozart sous la Révolution et l’Empire », dans Itinéraires mozartiens en Bourgogne, textes recueillis par F. Claudon, Paris, Klincksieck, 1992, p. 227 et suiv.
60 Voir Alexandre Dratwicki : « Les Mystères d’Isis : Mozart-Lachnith », www.academia.édu/7657677/ [consulté le 01/02/2016].
61 Voir la thèse de Laurent Marty (Université Paris 12, 2003) : La création de Don Juan à l’Opéra de Paris, Paris, L’Harmattan, 2005.
62 Voir J. Mongrédien, La Musique en France, ouvr. cité, p. 318.
63 Voir l’étude détaillée de ces réceptions dans J. Mongrédien, Le Théâtre Italien de Paris, Lyon, Symétrie, 2008.
64 « Des ouvrages de Mozart, on ne connaît à Paris que Figaro, Don Juan et Cosi fan tutte, qui ont été joués à l’Odéon. », Lettre sur Mozart, Vie de Mozart, Esquier (éd.), p. 196. R. Coe rappelle que Angéline Bereyter chantait le rôle de Chérubin et le rôle de Dorabella (Lives of Haydn…, ouvr. cité, p. 279).
65 Voir La Musique des Romantiques, ouvr. cité, 1992, « Physiologie musicale : les écrivains et leur goût » p. 51 et suiv. ; et la préface de S. Esquier, ouvr. cité, p. IV.
66 Voir Belinda Cannone, La Réception des opéras de Mozart dans la presse parisienne, Paris, Klincksieck, 1991.
67 Sur Geoffroy, voir la notice de Jean Sgard dans le Dictionnaire des journalistes. 1600-1789 (PUG, 1976), en ligne sur <http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/341-julien-geoffroy> [consulté le 02/02/2016].
68 J.-L. Geoffroy, Cours de littérature dramatique, 2e éd., Paris, Blanchard, 1825, t. V, p. 186 et suiv. : Les Mystères d’Isis ; p.194 et suiv. : Don Juan ; p. 459 et suiv. : Cosi fan tutte.
69 Ibid., p. 463.
70 Ibid., p. 459.
71 Ibid., p. 451.
72 Ibid., p. 461.
73 Voir P.-L. Ginguené, Journal, 1807-1808, P. Hazard (éd.), Paris, Hachette, 1910, p. 4 : « Mes fantaisies musicales m’ont repris. J’avais commencé les années précédentes à corriger et à mettre au net douze airs avec accompagnement. »
74 Voir F. Baldensperger, Sensibilité musicale et romantisme, Paris, Les Presses Françaises, 1925 ; et M.-C. Lemoigne-Mussat, « Ginguené musicologue », dans Ginguené idéologue et médiateur, textes rassemblés par Édouard Guitton, Rennes, PUR, 1995, p. 39 et suiv.
75 Journal, O.I., I, ouvr. cité, 3 mai 1811, p. 677.
76 La Décade philosophique, littéraire et politique, 10e année de la République, 1er trimestre, p. 403-414.
77 Encyclopédie méthodique, « Musique », par N.-É. Framery, J.-J. de Momigny, P.-L. Ginguené, C.-J. Panckoucke, Paris, 1791, t. I, art. « Allemagne », p. 324.
78 Ibid., t. II, Paris, 1818, art. « Opéra », p. 336.
79 Geoffroy, Journal de l’Empire, 27 janvier 1808 (cité dans Jean-Louis Jam, Mozart, origines et transformations d’un mythe, actes du colloque international organisé dans le cadre du bicentenaire de la mort de Mozart, Clermont-Ferrand, décembre 1991, textes recueillis par Jean-Louis Jam, Université de Clermont-Ferrand II, Bern, P. Lang, 1994 ; p. 76).
80 Vie de Mozart, ouvr. cité, p. 193.
81 Ibid., p. 200.
82 Voir Mozart, origines et transformations d’un mythe, ouvr. cité.
83 Voir Georges Favier, Vie de Mozart, par Franz Xaver Niemetschek précédée du nécrologe de Schlichtegroll, préface de Carl de Nys, présentation, traduction et notes de Georges Favier, Saint-Étienne, Presses de l’Université de Saint-Etienne, 1976, en particulier note 180, p. 51.
84 Vie de Mozart, ouvr. cité, p. 163.
85 Souvenirs d’égotisme, ouvr. cité, p. 494.
86 Correspondance, ouvr. cité, I, p. 366.
87 Ibid., p. 367.
88 Voir « Mozart et la France : de l’enfant prodige au génie (1764-1830) », sous la dir. de Jean Gribenski et Patrick Taïeb, Lyon, Symétrie, 2014, p. 52 : « Il apparaît clairement que, dans les quelque vingt premières années du XIXe siècle, celle-ci accède à une dimension nouvelle, dont témoignent tant les programmes de concert que l’activité des éditeurs de musique. »
89 Voir Lives of Haydn…, ouvr. cité, p. 279, note 195.
90 Vie de Haydn, ouvr. cité, p. 191.
91 Voir la lettre en italien projetée pour le Spettatore, reprise dans Stendhal alla Scala¸a cura di Giuseppe Pintorno, Milano, Museo teatrale alla Scala, 1980, p. 125-126.
92 Voir la lettre à Pauline du 3 novembre 1806, Correspondance, ouvr. cité, I, p. 330.
93 Rome, Naples et Florence (1817), ouvr. cité, p. 80.
94 « Le 26 décembre [1818] nous avons ici La Clemenza di Tito de Mozart, par Crivelli, la froide Camporesi , habillée en homme et la froide Festa. » À Mareste, Correspondance, ouvr. cité, I, p. 953, lettre 664.
95 Vie de Mozart, ouvr. cité, p. 199.
96 Ibid.
97 Ibid., p.675
98 On reviendra sur ces points d’érudition infra, notes 900 et 908.
99 À Pauline, le 8 décembre 1811, Correspondance, ouvr. cité, I, p. 625, lettre 440.
100 Journal, O.I., I, ouvr. cité, p. 515.
101 Ibid., novembre 1809, p. 542.
102 À Pauline, le 25 juillet 1809, lettre 374, Correspondance, ouvr. cité, II, p. 53.
103 Voir Lives of Haydn…, ouvr. cité, p. 249 ; et Lettres sur Métastase, ouvr. cité, p. 240 : « Les gens qui reviennent de Naples[…] on exécutait supérieurement Don Juan, Le Mariage secret, La Clémence de Titus, Le Sargines de Paër, Eliska de Cherubini, une Lisbeth folle par amour, et plusieurs autres ouvrages allemands justement estimés. »
104 Journal, O.I., I, ouvr. cité, p. 634.
105 Ibid., 27 novembre 1810, p. 636.
106 Ibid., p. 654.
107 À Pauline, Correspondance, ouvr. cité, I, lettre 413, 9 octobre 1810, p. 592.
108 Ibid., lettre 420, 25 décembre 1810, p. 601.
109 Ibid., lettre 438, 29 octobre 1811, p. 622.
110 Voir Zdravko Blažeković et Barbara Dobbs Mackenzie: “Music’s intellectual history: founders, followers & fads”, First conference of the Répertoire International de Littérature Musicale. The City University of New York Graduate Center, 17-19 March 2005 dans R.I.L.M. Repertoire International de la Littérature Musicale, 2009.
111 Vies de Haydn, Mozart et Métastase, Esquier (éd.), ouvr. cité, « note ajoutée en 1817 », p. 25.
112 Vie de Haydn, ouvr. cité, p. 64. Le choix des exemples n’est évidemment pas dans Carpani, il est de Stendhal seul.
113 Ibid.
114 Ibid.
115 Vie de Mozart, Lettre sur Mozart, , ouvr. cité, p. 199.
116 Vie de Haydn, ouvr. cité, lettre XII, p. 85.
117 Ibid., p. 186.
118 Ibid., lettre VII, p. 76.
119 Ibid.
120 Ibid., lettre XVIII, p. 115.
121 Ibid., p. 77.
122 Ibid., lettre XX, p. 142.
123 Vie de Mozart, ouvr. cité, p. 196.
124 Ibid., p. 197.
125 Ibid., p. 197.
126 Ibid.
127 Ibid., p. 198.
128 Ibid., p. 197.
129 Ibid., p. 198, juste après avoir vanté le caractère « tendre » et « passionné » de l’air dit « des marronniers » (n° 27 de la partition : « Deh vieni non tardar »).
130 À Pauline, Correspondance, ouvr. cité, I, lettre 438, p. 622.
131 Vies de Haydn, Mozart et Métastase, ouvr. cité, respectivement p. 233, 240, puis p. 246.
132 Ibid., p. 197.
133 Vie de Rossini, ouvr. cité, respectivement p. 371, 372 et 375.
134 Racine et Shakespeare, O.C., ouvr. cité, vol. 37, p. 119.
135 Voir Sergio Martinotti, La musica a Milano, Milano, Vita e Pensiero, 2000, t. II, p. 239 et suiv., qui indique 19 septembre 1807 pour Cosi, reprise en 1814, puis 15 avril 1816 pour la première représentation du Flauto magico, puis 1818 pour la première de La Clemenza, pour Don Giovanni première le 17 octobre 1814, reprises régulières à partir de 1816.
136 Voir le catalogue de l’exposition Duecento Anni alla Scala : 1778-1978, Milano, Electa éd., 1978, p. 92 pour Cosi, p. 103 pour Il Flauto magico, décors de Gonzaga, p. 109 pour La Clemenza, décors de Sanquirico.
137 « Teatro alla Scala », O.C. , ouvr. cité, vol. 46 : Mélanges, II, Journalisme, p. 20 pour l’italien puis p. 25 pour le français ; les deux versions sont de Stendhal.
138 « Cette musique incomparable a vocation à être écoutée plusieurs fois pour qu’on en perçoive tous les mérites, semblable en ce sens à tous les chefs-d’œuvre des arts qu’il convient d’examiner dans toute leur singularité pour que se révèlent leurs beautés supérieures. »
139 Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 372-373.
140 Journalisme, O.C., éd. citée, p. 29.
141 Ibid., p. 28.
142 « Dans cet opéra se trouvent satisfaites toutes les exigences esthétiques de la musique, alors même que la morale constitue la principale condition du plaisir. » Pietro Lichtenthal, Mozart e le sue creazioni, Milano, Ricordi, 1842, p. 29.
143 Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 376.
144 Ibid., p. 377.
145 Notes d’un dilettante, ouvr. cité, chap. XIX, 2e acte de La Clemenza (au bénéfice de Mlle Schiassetti), p. 818.
146 Georg Friedrich Hegel, Esthétique, trad. Jankélévitch, Paris, Flammarion, 1979, t. 3, p. 322.
147 Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 375.
148 La Chartreuse de Parme, O.R.C., ouvr. cité, t. III, p. 566.
149 Ibid.
150 Vie de Haydn, ouvr. cité, p. 64.
151 Vie de Rossini, ouvr. cité, chap. XLVI, « Des gens du Nord », p. 667.
152 Voir François-René de Toreinx , Histoire du Romantisme (Paris, 1829), le chapitre 9 est exclusivement consacré à la musique et commente le sentiment de nouveauté ressenti dans les œuvres de Gluck, Paesiello, Cimarosa, Mozart, Weber et Rossini .
153 Voir A. Pion, Stendhal et l’érotisme romantique, Rennes, PUR, 2010, p. 105, ainsi que M.-R. Corredor, Stendhal et la chimère absente, Essai sur la mélancolie, thèse, Paris 3, 1999.
154 Le Rouge et le Noir, O.R.C., ouvr. cité, I, p. 395.
155 Vie de Rossini, ouvr. cité, p. 376.
156 Vie de Mozart, ouvr. cité, p. 142.
157 Ibid., p. 197.
158 Ibid., p. 200.
159 Lucien Leuwen, chap. XXVI, O.R.C., ouvr. cité, II, p. 282.
160 Hippolyte Taine, Vie et opinions de M. Frédéric-Thomas Graindorge, Paris, Hachette, 1913, p. 159.
161 Sur le beylisme de Taine, cf. Adophe Paupe, La Vie littéraire de Stendhal, Paris, Champion, 1914, p. 166.
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