Chapitre III. Le film d’Histoire et le documentaire
p. 225-238
Texte intégral
L’offre de documentaires et leur réception
1Le Patis aura diffusé au total une cinquantaine de documentaires, mais très inégalement répartis dans le temps. Rares dans les années cinquante, hormis d’une part les deux documentaires sur la guerre programmés en septembre et en octobre 1944 (Libération de Paris et Victoire du désert) – ce que le contexte explique, d’autre part Le Grand Cirque de Moscou (en 1956) et Ça c’est du cirque (en 1959), deux films d’un type qui en vogue auprès du public populaire. On notera aussi en 1953 la programmation du film-reportage sur le couronnement d’Elisabeth II (expérience de transmission télévisée).
2On ne peut pas arguer du fait qu’il était moins tourné de documentaires avant 1960. Il est clair qu’il a fallu l’Art et Essai et le nouveau public qu’il implique pour que le genre trouve une place significative. Tout commence donc en 1964 ou, plus exactement – Paris 1900 étant programmé avec Partie de campagne, en 1965 – avec Le Mystère Picasso, Le Joli Mai et Mourir à Madrid. Très rares seront ensuite les années où il ne sera pas programmé de documentaires. Mais, comme le montre cette année 1965, il faut distinguer entre les documentaires représentant des lieux, des faits ou des personnages de l’actualité, qui représentent un événement récent ou un personnage vivant, et ceux qui représentent un événement éloigné dans le temps ou un personnage disparu. Les seconds et les troisièmes utilisent nécessairement, en tout ou en partie, des images d’archives. Il faut encore distinguer parmi les premiers les films qui se cantonnent dans le reportage, quand ils ne restent pas hagiographiques, et ceux qui proposent une analyse de cette matière actuelle prise comme sujet, qui la mettent d’une manière ou de l’autre « en perspective » : un ensemble différent qui se distingue entre autres en ceci que l’on y utilise également des images d’archives. Il faut distinguer Soleil O (Med Hondo, France, 1969) sur la condition des émigrés et, par exemple, Monterey pop (Donn Alan Pennebaker, États-Unis, 1969) sur le Festival international de musique pop de Monterey. Enquête sur un fait culturel, Monterey pop n’a pas la dimension analytique de Soleil O.
3On peut ainsi distinguer trois catégories : reportages et hagiographies, documentaires historiques et documentaires politiques. Mais, si la seconde et la troisième se distinguent clairement de la première, elles entretiennent sur le fond une relation. Car le documentaire historique recouvre, le plus souvent, une dimension – ou tout du moins une orientation – politique ; n’était-ce la distinction entre présent et passé, la frontière serait difficile à tracer. Ce critère de base posé, La Guerre d’Algérie et Français si vous saviez entrent dans la catégorie des documentaires historiques, Cuba si et Le Fond de l’air est rouge dans celle des documentaires politiques. En termes quantitatifs, Le Patis a passé autant de films de ces trois catégories, et autant de documentaires politiques que de documentaires historiques, les premiers étant de plus en plus nombreux au fur et à mesure que l’on avance dans le temps.
4Les reportages et hagiographies ne disparaissent pas après 1963, comme l’atteste la re-programmation du Grand Cirque de Moscou en 1963, mais on n’en compte pas plus d’une demi-douzaine jusqu’en 1983. Citons Comme un éclair, Continental circus, Challenge one, Le Grand Océan, La Fête sauvage. On trouve aussi un (un seul) documentaire que l’on peut qualifier d’auteur : Le Mystère Picasso. Aucun film d’archives, hormis Paris 1900, programmé en première partie de Partie de campagne. Sauf si on inclut Il était une fois à Hollywood dont la re-programmation (en 1976 et 1978) est notable. Trait essentiel à souligner, de 1976 à 1983 presque tous les documentaires programmés (seules exceptions, hormis Il était une fois à Hollywood, La Fête sauvage et Ce gamin-là) sont consacrés à des groupes ou à de grandes vedettes de la musique pop du moment, et Woodstock sera programmé 4 fois.
5Pas de cinéma-vérité hormis Le Joli Mai. Pas non plus de documentaire social, si l’on excepte Terre sans pain, programmé en 1966 en première partie d’El, et Ce gamin-là (qui est en 1978 complètement isolé.) Mais on est là de facto sur le terrain du documentaire historique et du documentaire politique.
Photographie d’exploitation de Pourquoi l’Amérique
6Le Patis aura finalement passé une douzaine de ce que l’on appelle maintenant des films d’archives, qui traitent, dans un montage de documents, d’événements passés et se veulent analystes de l’Histoire. Presque aucun avant 1963, excepté en 1952 Leclerc, en 1964 Paris 1900. Mais le genre n’était pas alors développé, et il ne paraît guère étonnant que l’offre se soit concentrée entre 1968 et 1978. Le Patis aura programmé dans cette période La Guerre d’Algérie, Français si vous saviez et Le Chagrin et la Pitié, trois films emblématiques de la façon dont le cinéma français entreprenait de revisiter l’Histoire, et du rôle qu’il jouait par rapport à la télévision. Le contexte politique explique aussi cette concentration. Mais, hormis Français si vous saviez (647 entrées), ces films n’enregistrent pas plus de 200 entrées.
7Un cinéaste, dont on remarquera qu’il ne se polarisait pas sur l’histoire nationale, aura eu, sinon en moyenne plus de succès, tout du moins une prégnance dans la programmation : Frédéric Rossif, dont il aura été offert pas moins de 5 films de 1965 à 1977. Cette longévité est peut-être due à la variété de ses sujets, et à la facture plus classique de ses films, qui usent abondamment, comme les documentaires traditionnels, du commentaire, d’une voix over quelque peu lyrique.
Tableau 69 : Les films de Frédéric Rossif au Patis
Titre | Date de production | Date de sortie | Année de programmation et nombre d’entrées | |||||
1965 | 1968 | 1969 | 1971 | 1973 | 1977 | |||
Mourir à Madrid | 1962 | 1963 | 330 entrées | 739 entrées | 184 entrées | |||
Révolution d’Octobre | 1967 | 1967 | 410 entrées | |||||
Un mur à Jérusalem | 1968 | 1968 | 199 entrées | |||||
Pourquoi l’Amérique ? | 1970 | 1970 | 131 entrées | |||||
La Fête sauvage | 1975 | 1976 | 143 entrées |
8On dénombre pareillement une douzaine de documentaires politiques, films qui témoignent d’événements et de situations du présent, avec la volonté plus ou moins affichée de peser dessus. On pourrait parler de cinéma militant tant le partage paraît parfois difficile à faire, la ligne de frontière étant évidemment poreuse : les films d’archives précédemment évoqués ont une dimension politique ; ceux que nous regroupons ici, dont certains utilisent des archives, ouvrent parfois une perspective historique. Mais, concernant cet ensemble de titres, un autre trait apparaît. Concentrée dans la même tranche de temps que celle des documentaires historiques, cette offre de documentaires politiques est constituée pour l’essentiel de films que l’on pourrait appeler tiers-mondistes, concernant le mouvement révolutionnaire mondial. Trois exceptions seulement : Soleil O, Les Bicots-Nègres vos voisins et Mai 68. De Cuba si en 1969 au Fond de l’air est rouge en 1978, en passant par L’Heure des brasiers en 1972 et La Bataille du Chili en 1977, la liste des titres est plus qu’emblématique.
9Mais, vu le peu de résultats probants, il convient encore de constater une distorsion entre l’offre (la volonté de l’équipe d’animation du Patis) et la demande du public. Hormis pour Le fond de l’air est rouge et Mai 68, il ne sera jamais enregistré plus de 50 spectateurs par séance. Le plus radical de ces documentaires politiques, L’Heure des brasiers aura fait, avec 104 entrées en 4 séances, le plus faible score : un échec manifeste. Eu égard au mauvais rang du documentaire au box-office, Le Patis a donné au total une place volontariste à ce genre, et cela est dû essentiellement aux orientations de la programmation Art et Essai, notamment aux inflexions qu’elle a connues après 1968, dans le contexte des années soixante-dix.
Tableau 70 : Les documentaires politiques programmés au Patis de 1968 à 1978
Titre | Année de production | Année de sortie | Année de programmation et nombre d’entrées | |||||||
1969 | 1972 | 1973 | 1974 | 1975 | 1976 | 1977 | 1978 | |||
Cuba si | 1961 | 1963 | 161 | |||||||
L’Heure des brasiers | 1967 | 1969 | 104 | |||||||
Soleil O | 1969 | 1973 | 276 | |||||||
Les Bicots-Nègres vos voisins | 1972 | 1974 | 251 | |||||||
La Bataille du Chili | 1973-1974 | 1977 | 158 | |||||||
Mai 68 | 1974 | 1974 | 208 | |||||||
La Spirale | 1975 | 1976 | 316 | |||||||
Comment Yu-Kong déplaça les montagnes | 1976 | 1976 | 313 | 161 | ||||||
Le fond de l’air est rouge | 1977 | 1977 | 320 |
L’offre de films d’Histoire et leur réception
10Du documentaire à la fresque, les formes du film d’histoire sont diverses ; elles correspondent à des modes de représentation, et surtout de réception, des faits historiques, fort différents. « L’historical film (ou « film historique ») est un genre très ancien au sein duquel se sont développés de multiples sous-genres. La plupart sont devenus autonomes, comme le western, le war film, certains action-adventure films ou encore les péplums. Il convient de souligner deux éléments. D’une part, l’historical film est tout particulièrement associé à la question de l’authenticité et de la crédibilité historique. En effet, les spectateurs ont tendance à considérer comme historical films ceux auxquels ils accordent une certaine véracité. Certains films, qui se situent au croisement du film d’aventure et du film historique, vont être plus aisément considérés comme historical films si l’on soupçonne une volonté de respecter l’Histoire. Ils seront étiquetés adventure films si l’on considère qu’ils ont principalement une fonction divertissante et non didactique, se permettant alors de prendre leurs distances avec la réalité historique (si l’on considère la potentialité d’une réalité historique) ; le paratexte (affiches qui relaient l’inscription générique mobilisée par les studios, etc.) conditionne en grande partie les considérations quant à la véracité historique du récit. D’autre part, l’historical film a ceci de particulier qu’il sert souvent à développer un discours critique sur un évènement contemporain au travers de la représentation d’un évènement historique passé. La dimension spectaculaire se situe cependant au cœur de l’historical film, souvent appuyé par des moyens techniques permis par un budget de production élevé 1».
11On entendra par « films d’Histoire » tous les films qui, prenant comme sujets des évènements ou des personnages historiques, les représentent ou les relatent avec un souci d’exactitude et de réalisme. À la différence des films simplement inspirés par l’Histoire, qui visiblement l’interprètent, fabulent ou extrapolent, que l’on trouvera selon leur mode et leur ton parmi les drames ou les films d’aventure. Leur nombre devient réduit si l’on s’en tient au strict critère de la représentation d’évènements, même agrémentée d’une intrigue romanesque, historiques. Nous ne comptons pas en effet nombre de films que, vu leurs écarts patents avec la véracité historique, nous classons dans la rubrique « aventures historiques », Robin des bois en étant l’emblème.
Graphique 19 - Evolution de l’offre des films d’Histoire
12Le fait dominant réside en ceci qu’une nette majorité de ces films traitent de la Seconde Guerre mondiale, très rarement de la Première. Pour les autres, la liste s’étiole. Il existe assurément une logique, factuelle, liée à la période où a fonctionné Le Patis, la programmation étant le reflet d’une production qui s’est poursuivie durablement, répondant à une demande prolongée.
13Restent les 25 à 30 titres de drames historiques. Un tiers seulement situent leur action avant le XXe siècle, dont fort peu avant le XIXe, et rarement hors de l’Europe. On ne relève guère ici que trois films japonais… qui n’ont guère rassemblé plus de 50 spectateurs à chaque séance. Mais la représentation de l’Histoire est également passée par le filtre d’autres genres : aventures historiques, aventures coloniales, espionnage, péplum, film de pirates, western. Seul vrai succès : Le Docteur Jivago, deuxième au box-office national, avec la première fois 953 entrées en 8 séances (1973) ; mais il ne fera plus en 1979 que 403 entrées en 6 séances. Les meilleurs résultats se situent en amont pour des films ayant une forte composante romanesque (voir infra l’analyse de l’offre de drames).
La prégnance du film de guerre… et sur la Seconde Guerre mondiale
14« C’est à partir de 1941 que se constitue le war film comme ensemble générique autonome. En effet, les films qui traitent de la guerre sont auparavant assimilés à d’autres genres, selon le conflit abordé : les films sur la Guerre de Sécession sont assimilés au western, ceux sur la Première Guerre mondiale au film historique. C’est donc à partir de l’entrée en guerre des États-Unis dans le second conflit mondial – et la profusion conséquente de réalisations sur le sujet –, que se constitue le genre. Plus généralement, le war film doit être rattaché au « film historique ». Deux grandes voies sont empruntées par le genre, qui participent, en parallèle, de son élaboration et de sa codification : les films de propagande officielle (commandes du gouvernement) et les films de fiction »2.
15Les films de ce genre programmés au Patis présentent des effectifs très conséquents avec plus de 50 « films de guerre » et environ 90 « drames de guerre » soit des films dont l’action ne se déroule pas sur le terrain, au front, mais dans la société civile : ils narrent ce qui se passe à l’arrière, ou les effets de la guerre sur les civils. Néanmoins, une fois de plus, la quantité de l’offre se distingue de sa réception, les résultats n’étant pas forcément probants. Seuls 3 films dépassent les 2.000 entrées : Air Force, L’Odyssée du docteur Wassel, tous deux américains, et un film français, La Bataille de l’eau lourde, franco-norvégien, réalisé conjointement par Titus Vibe Muller et Jean Dreville.
Tableau 71 : Nombre de films de guerre programmés
1947 | 1948 | 1949 | 1950 | 1951 | 1952 | 1953 |
4 | 8 | 8 | 4 | 7 | 5 | 5 |
1954 | 1955 | 1956 | 1957 | 1958 | 1959 | |
3 | 1 | 2 | 4 | 2 | 3 |
16Le courant, très contextualisé et militant, des films tournés pendant la guerre 1939-1945 elle-même ou immédiatement après, s’essouffle rapidement. On pointera néanmoins les deux films soviétiques programmés en 1946, dans l’immédiat après-guerre : Les Partisans ou Le Secrétaire de Raikom, (Sekretar raikom, Yvan Pyriev, 1942) et Camarade P, ou Elle défend sa patrie, deux films des années de guerre. On notera que Le Patis reprend là, un peu plus de six mois après, un film dont la programmation dans une salle du centre-ville avait été pour partie due aux communistes sarthois et à leur hebdomadaire L’aurore sarthoise. Les Partisans avaient déjà accueilli 2.051 spectateurs. Avec 2.576 entrées, le public du quartier Saint Lazare suit.
Tableau 72 : Films soviétiques sur la Seconde Guerre mondiale programmés
Titre | Année de production | Année de sortie | Box-office | Année de programmation | Nombre d’entrées |
Les Partisans (Yvan Pyriev) | 1942 | 1945 | 1946 | 2.051 | |
Camarade P (Friedrich Ermler) | 1943 | 1944 | 1946 | 2.576 | |
Le quarante et unième (Grigori Tchoukhrai) | 1956 | 1957 | 1960 | 780 | |
Quand passent les cigognes (Mikhaïl Kalatozov) | 1957 | 1958 | 4e | 1961 | 1.012 |
17Il n’est pas surprenant que n’ait été programmé en 1945 qu’un seul film de guerre français (Passeur d’hommes, 2.832 entrées). Le décalage temporel de la distribution entre cette salle de reprise, située en bout de chaîne, explique aussi qu’il n’y ait été programmé aucun film américain sur la guerre avant 1948. En termes statistiques, les spectateurs de cette salle n’auront vu qu’une proportion infime des 400 films de guerre produits entre 1939 et 1945 par les États-Unis. L’offre américaine (19 films de 1948 à 1952 inclus) aura néanmoins été, loin devant l’offre française (10 films), la plus importante3. Elle croît de 1947 à 1951, le niveau de 1948 et 1949 n’étant jamais atteinte qu’une fois ensuite, en 1974.
Tableau 73 : Films sur la Seconde Guerre mondiale : principaux succès jusqu’en 1960
Titre, pays et année de production | Box-office | Année de programmation et nombre d’entrées | ||
1948 | 1957 | 1960 | ||
Air force, États-Unis, 1943 | 2.075 entrées | |||
L’Odyssée du Docteur Wassel, États-Unis, 1944 | 6e | 2.304 entrées | 1.354 entrées | 418 entrées |
La Bataille de l’eau lourde, France, 1947 | 5e | 2.515 entrées |
18Anzio, Les Vainqueurs, La Fayette, L’Express du colonel von Ryan, Duel dans le Pacifique et Catch 22 sont en revanche des échecs. Bien qu’étant un grand succès national, Les Canons de Navarone ne rencontre pas non plus l’adhésion du public du Patis (voir infra). Les drames, échos de l’Histoire dans les vies des individus, gardent la prééminence sur les films qui représentent les combats eux-mêmes, trait à mettre en parallèle avec le goût du public du Patis pour le mélodrame. Mais on observera également des décalages entre l’accueil du public national et celui du public du Patis. Tant qu’il y aura des hommes, film de 1953 classé en 1954, fait mieux que L’Odyssée du docteur Wassel, 2e au box-office, qui ne fait lors de sa programmation en 1956 que 1.293 entrées. On notera que, s’il n’y avait pas eu Paradis perdu et La Grande Illusion, il n’y aurait eu que 3 drames de guerre français entre 1952 et 1963 : Deux de l’escadrille, Double Destin et Les Évadés en 1957, dont le troisième seulement dépasse les 1.000 entrées. Maints drames de guerre français qui vont suivre auront des résultats médiocres : les scores du Petit Garçon de l’ascenseur (321 entrées en 1963) et de À couteaux tirés (190 entrées en 1966) sont loin de ceux réalisés en 1948 par Nuits d’alerte (1.652) et L’Ange qu’on m’a donné (1.859), en 1951 par Le Père tranquille (1.625).
19Les films de guerre français deviennent plus rares dans les années soixante : Patrouille de choc (1956, 785 entrées), Un taxi pour Tobrouk (1967, 441 entrées)4 ; mais on pointera les 1012 entrées de Normandie-Niemen, classé 9e au box-office. Il faut certes tenir compte, à partir de la fin des années cinquante, des traitements comiques du sujet : Babette s’en va-t-en guerre fait 1.583 entrées. Mais La Traversée de Paris n’en fait que 919.
20Les écarts s’avèrent importants également du côté des films américains. La Grande Évasion, pourtant classé 1er au box-office national, ne fait en 1963 que 792 entrées ; ses deux autres programmations (en 1968 et 1976) confirmeront ce manque d’audience. Plus singulier : les contre-performances, dans le cadre de l’Art et Essai, de Casablanca et Sergent York, déjà programmés avec succès en 1948. Ce ne sont pas les cinéphiles, mais le public populaire du Patis, qui a apprécié ces films, diffusés dès la sortie de la guerre.
21L’offre reprend, provisoirement, à partir de 1970, avec 5 films cette année-là et la suivante, puis 8 en 1974. Les drames continuent à avoir la préséance : un seul film de guerre en 1971 (déjà programmé : Les Canons de Navarone) contre 4 drames ; aucun en 1972 et aucun drame ; un drame, Le Mur de l’Atlantique, en 1973 (638 entrées) ; un seul film de guerre, contre 7 drames, en 1974. Cette année marque un pic, mais avec 4 reprises : Jeux interdits, Casablanca, Le Pont de la rivière Kwaï, Johnny got his gun. Les films nouveaux sont 3 films français récents, de la vague dite alors « rétro » (Le Train, Lacombe Lucien, Les Violons du bal, tous trois de 1973) et R.A.S. Quatre reprises de même, sur 5 titres, en 1976 : Jeux interdits, Les Canons de Navarone, Les Centurions, La Grande Évasion. Le seul film nouveau, Les Sentiers de la gloire, n’en est pas un : on sait que, en butte à la censure, il n’était sorti que depuis 1975.
22Les deux dernières années d’exploitation (1982 et 1983) verront un sursaut : 7 films de guerre, dont 6 drames. Le seul film de guerre (Gallipoli) au demeurant ne concerne pas la Seconde Guerre mondiale. Les meilleurs résultats vont encore à un drame, La Nuit de San Lorenzo : 2.010 entrées, mais en 33 séances sur 2 semaines d’exploitation ! Deux des drames, et non des moindres, Apocalypse now et Voyage au bout de l’enfer, concernent la guerre du Vietnam. Classés respectivement 2e et 13e au box-office, très tardivement diffusés – 4 ans après leur sortie, c’est-à-dire une éternité en cette période d’accélération de la diffusion des films – ils peinent à attirer 500 spectateurs.
Flyer de Johnny s’en va t’en guerre
23L’offre se décentre avec Apocalypse now, Voyage au bout de l’enfer, R.A.S., La 317 e section, vers un autre champ, celui des guerres coloniales. Ces films n’auront pas nécessairement fait recette : Apocalypse now n’aura jamais fait que 607 entrées en 10 séances, Voyage au bout de l’enfer 1.020 entrées en 19 séances, sur 2 semaines.
24On notera que Le Patis aura passé davantage de films sur la guerre d’Algérie que sur celle du Vietnam, alors qu’il en a été produit moins. On relève Le Petit Soldat en 1966 et 1972 : 391 et 156 entrées) ; La Guerre d’Algérie en 1973 ; R.A.S. en 1974 (459 entrées ; il sera reprogrammé en 1975) ; Avoir 20 ans dans les Aurès le sera en 1980 (270 entrées en 4 séances). Faibles audiences généralisées.
25Quoique l’offre ait été abondante, la réception du film de guerre est demeurée centrée sur la Seconde Guerre mondiale, avec des aléas. Conjoncturel dans les premières années, nourri surtout par les drames, le succès – tout relatif – a reposé ensuite sur des films de grande audience, passés et repassés à satiété, tels L’Odyssée du docteur Wassel et Le Pont de la rivière Kwaï.
Tableau 74 : Best-sellers du film de guerre (films étrangers) 1/2
Titre | Pays | Année de sortie | B.O | Année de programmation et nombre d’entrées | ||||||||||
1948 | 1957 | 1960 | 1965 | 1967 | 1968 | |||||||||
Casablanca | EU | 1947 | 17e | 1.500 entrées | ||||||||||
L’Odyssée du docteur Wassel | EU | 1946 | 5e | 2.304 entrées | 1.354 entrées | 418 entrées | ||||||||
Le Pont de la rivière Kwaï | UK | 1957 | 1er | 1.089 entrées | 612 entrées | 822 entrées | ||||||||
La Grande Évasion | EU | 1963 | 1er | 807 entrées | ||||||||||
Le Docteur Jivago | EU | 1966 | 12e | |||||||||||
Apocalypse now | EU | 1979 | 5e |
Tableau 74 : Best-sellers du film de guerre (films étrangers) 2/2
Titre | Pays | Année de sortie | B.O | Année de programmation et nombre d’entrées | ||||
1972 | 1974 | 1976 | 1979 | 1983 | ||||
Casablanca | EU | 1947 | 17e | 125 entrées | ||||
L’Odyssée du docteur Wassel | EU | 1946 | 5e | |||||
Le Pont de la rivière Kwaï | UK | 1957 | 1er | 791 entrées | ||||
La Grande Évasion | EU | 1963 | 1er | 393 entrées | ||||
Le Docteur Jivago | EU | 1966 | 12e | 953 entrées | 403 entrées | |||
Apocalypse now | EU | 1979 | 5e | 607 entrées |
Tableau 75 : Best-sellers du film de guerre (films français) 1/2
Titre | Année de sortie | Box-office | Année de programmation et nombre d’entrées | |||||
1948 | 1950 | 1957 | 1961 | 1963 | 1967 | |||
Le Bataillon du ciel | 1947 | 9e | 1.435 + 1.481 entrées | |||||
La Bataille de l’eau lourde | 1948 | 3e | 2.515 entrées | |||||
Les Évadés | 1955 | 12e | 1.115 entrées | |||||
La Vache et le Prisonnier | 1959 | 1er | 2.466 entrées | 2.018 entrées | 1.069 entrées | |||
La Grande Vadrouille | 1966 | |||||||
Le Mur de l’Atlantique | 1970 |
Tableau 75 : Best-sellers du film de guerre (films français) 2/2
Titre | Année de sortie | Box-office | Année de programmation et nombre d’entrées | |||
1970 | 1971 | 1972 | 1973 | |||
Le Bataillon du ciel | 1947 | 9e | ||||
La Bataille de l’eau lourde | 1948 | 3e | ||||
Les Évadés | 1955 | 12e | ||||
La Vache et le Prisonnier | 1959 | 1er | 150 entrées | |||
La Grande Vadrouille | 1966 | 568 entrées | 659 entrées | |||
Le Mur de l’Atlantique | 1970 | 638 entrées |
L’offre de fresques historiques et leur réception
26On entendra par là des productions au budget élevé, des films de longue durée mettant en scène un grand nombre de personnages et d’événements, où l’Histoire est traitée sur un mode épique. Le genre est ancien (on peut dire qu’il remonte à Cabiria et Naissance d’une nation) et déborde évidemment la représentation de la Seconde Guerre mondiale. Mais, hormis en 1956 Autant en emporte le vent, elles n’ont pratiquement pas été programmées au Patis avant 1960 ; on relève en 1960 Guerre et Paix, et ensuite une à trois chaque année avec quelques absences totales en 1966, 1969 et 1970, 1977 ; on en dénombra encore quatre en 1982.
Tableau 76 : Quelques fresques historiques programmées 1/2
Titre | Année de sortie | B.O | Année de programmation et nombre d’entrées | ||
1971 | 1972 | 1973 | |||
Autant en emporte le vent | 1950 | 1er | 836 entrées | 569 entrées | |
Napoléon | 1955 | 4e | |||
Guerre et Paix | 1956 | 2e | |||
Austerlitz | 1960 | 11e | |||
Lawrence d’Arabie | 1963 | 3e | 346 entrées | ||
Les Damnés | 1970 | 10e | 1.157 entrées | ||
Il était une fois la révolution | 1972 | 4e | 536 entrées | ||
1900 | 1976 | 17e |
Tableau 76 : Quelques fresques historiques programmées 2/2
Titre | Année de sortie | B.O | Année de programmation et nombre d’entrées | ||
1976 | 1979 | 1982 | |||
Autant en emporte le vent | 1950 | 1er | 262 entrées | ||
Napoléon | 1955 | 4e | |||
Guerre et Paix | 1956 | 2e | |||
Austerlitz | 1960 | 11e | |||
Lawrence d’Arabie | 1963 | 3e | 343 entrées | ||
Les Damnés | 1970 | 10e | 1.127 entrées | 228 entrées | |
Il était une fois la révolution | 1972 | 4e | |||
1900 | 1976 | 17e | 499, 415 entrées |
27Trois d’entre elles (L’Homme de fer, 1900, Reds) sont récentes, et ont une dimension politique. L’offre a donc ici des coordonnées idéologiques, ce que la plupart des autres films récents programmés confirment : Lucia, Les Damnés, Chronique des années de braise, Salo, L’Homme de marbre. De même, 6 des 7 fresques classiques programmées (sur un total de 19) ont une visée éminemment politique, avec rien moins que 4 films d’Eisenstein. Le public de l’Art et Essai était certainement curieux de voir ces films qui possédaient tous une aura, d’où le fait que Les Damnés ait été programmé trois fois (1.157, 227 et 228 entrées) comme Le Cuirassé Potemkine. Mais les trois autres films d’Eisenstein n’ont pas attiré grand monde, ni Ludwig : 193 entrées. Lucia et L’Homme de marbre ont aussi été des échecs. 1900 (499 et 415 entrées). Les résultats des fresques les plus « grand public », Guerre et Paix (2 passages), Autant en emporte le vent (3 passages) et Lawrence d’Arabie (3 passages), se sont eux-mêmes tassés.
Tableau 77 : Films d’Eisenstein programmés
Titre | Année de production | Année de sortie | Année de programmation et nombre d’entrées | |||||
1964 | 1965 | 1967 | 1968 | 1972 | 1976 | |||
Le Cuirassé Potemkine | 1925 | 647 entrées | 188 entrées | 445 entrées | ||||
Que viva Mexico ! | 1933 | 1934 | 179 entrées | |||||
Alexandre Nevsky | 1938 | 1950 | 230 entrées | 437 entrées | ||||
Ivan le terrible | 1944 | 1946 | 440 entrées |
L’offre de biopics et leur réception
28« Le biopic, contraction angliciste de biographical picture, « film biographique », propose une catégorie générique ancienne, importée très tôt au cinéma. Il puise ses racines dans une source littéraire, le roman biographique. Centrés autour de la vie d’un personnage plus ou moins célèbre, les biopics cinématographiques eurent très tôt la réputation d’être des films « particuliers » pour qui participait à leur création ; producteurs, réalisateurs et acteurs étant bien souvent récompensés pour ce type de film (financièrement pour les producteurs, les films étant souvent des succès publics, institutionnellement pour les réalisateurs et acteurs surtout, fréquemment gratifiés d’Oscars pour ces rôles). Parce que la réalisation de biopics engage beaucoup, les studios ne choisissent pas le réalisateur et surtout l’acteur principal à la légère. Le genre connaît un vif regain d’intérêt depuis les années 2000 »5.
29Il s’agit de films de fiction centrés sur la description biographique d'un personnage ayant réellement existé. Les événements et l'environnement de l’époque sont subordonnés à cette description. Qu’il s’agisse du présent ou du passé, le récit est romancé, plus ou moins intégral. Le Patis en aura passé 33 : rares sont les années où il n’en a pas été offert un, hormis de 1956 à 1959 inclus ; il en a été proposé autant avant 1963 qu’à partir de cette date. Le premier biopic, Un grand amour de Beethoven, est programmé en 1942, suivi par Marie Stuart en 1943, Adrienne Lecouvreur en 1944, Le Roman d’un génie (sur Verdi) et L’Appel du silence en 1945. Deux musiciens célèbres, une actrice du XVIIIe siècle, Charles de Foucauld.
30Tel qu’offert au public du Patis, le genre effectue une focalisation sur un des types de personnages. On ne comptera en effet que 4 hommes d’Etat 6 représentés, contre 14 artistes : 2 peintres ; 2 poètes et, surtout, une douzaine de musiciens (plusieurs films différents parfois pour certains). Marie Stuart (1.129 entrées), Adrienne Lecouvreur (1.123), Marthe Richard au service de la France (3.225 entrées) : les femmes occupent une place non négligeable. On notera à ce sujet que Le Patis a programmé avec succès en 1952 Jeanne d’Arc (1947, sorti en 1949, 1er au box-office).
31La programmation de films de guerre a, quoique la production soit allée en ce domaine en diminuant, persisté longtemps, en accord avec la tendance du public populaire à privilégier les films qui mettaient en scène la Seconde Guerre mondiale. L’Odyssée du docteur Wassel et La Vache et le Prisonnier, qui avaient obtenu un grand succès national, ont été programmés et repris. Ils ont eu plus d’audience dans cette salle que les fresques, pourtant à très grand succès national, comme Autant en emporte le vent et Guerre et Paix. Mais, au fil des re-programmations, l’audience s’est rétrécie. L’instauration de l’Art et Essai, qui a ouvert la programmation de fresques à l’oeuvre de grands auteurs classiques comme Eisenstein, et à celles de nouveaux auteurs comme Wajda et Bertolucci, en prise sur l’histoire contemporaine, n’a pas redonné au film d’Histoire un second souffle.
Notes de bas de page
1 http://www.europe-hollywood.net/ page consultée le 24 septembre 2012.
2 Ibid.
3 Paradis perdu, dont l’action se déroule pendant la Première Guerre mondiale, se voit re-programmé à ce moment : une guerre comme substitut d’une autre.
4 Le facteur s’en va t’en guerre (1967) traite de la guerre d’Indochine.
5 http://www.europe-hollywood.net/, pages consultées le 24 septembre 2012.
6 Un seul exemple de ce que nous appellerons « biopic décalé » : Simon du désert.
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