F. Schleiermacher : Caractéristiques et critiques de A.-W. Schlegel et F. Schlegel (1801)
p. 101-110
Texte intégral
1L’allusion que fait Schleiermacher au projet d’un institut critique indique en quel sens les réalisations des frères Schlegel s’en rapprochaient, et comment un concept résolument nouveau de la critique commençait d’apparaître, pour lequel il n’était plus vain de « recenser des recensions ». Schleiermacher était alors très impliqué dans le labeur critique, ayant livré des études sur Kant, Fichte, Garve, Engel, Lichtenberg, Ast, Schlegel, et prévoyant des textes sur Adelung, Meiners, l’Alarcos de Schlegel et Heinrich von Ofterdingen de Novalis (voir l’introduction de G. Meckenstock à KGA I, 3, pp. X-XII). On y voit, et particulièrement pour les Caractéristiques et critiques qui reprennent les œuvres essentielles des Schlegel, comment Schleiermacher s’est approprié les concepts originaux du premier romantisme et surtout de Friedrich, avec lequel il est en contact étroit depuis 1797. Il sait apprécier le Sur Wilhelm Meister, le Woldemar, le Forster et le Boccace (il est plus réservé sur la Conclusion de l’essai sur Lessing) comme la recension de Bürger par A.-W. Schlegel ou sa Lettre sur la poésie, la métrique et le langage ; il rappelle les principes de la critique romantique : l’unité de la forme et de la matière ; le rapport de l’œuvre à son genre ; la notion d’auteur tirée de l’analyse de l’œuvre ; la nécessité d’un jugement immanent ; la nature historique et philosophique de la critique telle qu’elle apparaît dans ces textes (il est plus critique au sujet des fragments et de certaines expériences d’écriture de F. Schlegel). Si l’herméneutique que Schleiermacher ébauche à Halle quelques années plus tard est originale, au-delà des reprises nécessaires d’un savoir-faire traditionnel et de nombreux motifs théoriques, il n’est pas interdit de penser que l’ouverture provoquée par la radicale problématisation de la question de l’interprétation dans le premier romantisme y est pour quelque chose. Non qu’il ait été sur ce point un fervent romantique, son intérêt le portait ailleurs, et, pas plus que la raison, il ne voulait absolutiser la chose littéraire. Mais il savait s’instruire, et pouvait trouver dans cette production matière à méditer. Le travail sur Platon, qui dépend pour beaucoup de l’essor autonome de sa pensée, l’atteste pour une part (voir les contributions de La naissance du paradigme herméneutique). Il n’est pas étonnant que la critique romantique débouche si souvent sur la théorie herméneutique, quand elle y aspire en fait dès l’origine. Ce texte a paru dans la Literaturzeitung d’Erlangen dirigé par August Mehmel, no 190, Erlangen, 1801, pp. 1513-1520 (KGA I, 3, pp. 401-411).
2La maxime de ne pas recenser les recensions paraît très bonne. Car quand on rend compte du contenu d’un livre, et que l’on exprime son opinion sur ceci ou cela, on pourrait poursuivre à l’infini ce jeu stérile si l’on procédait de même avec le compte-rendu. Mais on aurait tort d’appliquer cette maxime à un recueil comme celui-ci, où l’on trouve bien autre chose que des recensions habituelles, si bien que ce qui a d’abord pris ce nom a rejeté presque toute ressemblance avec la forme en faveur et, sortant de l’incognito, montre sa supériorité. Au contraire, s’il y a un art critique, qui intéresse nécessairement l’ami et l’amateur de tout autre art par ailleurs, un institut critique vise principalement à rendre attentif à une réunion d’œuvres de cet art, qui donnent des exemples de presque tout ce que peut faire l’activité critique, et fournissent au lecteur l’occasion de s’orienter selon la perspective de l’observateur des œuvres des beaux-arts et, sans trop heurter la conception commune, tantôt exprimer clairement les véritables principes, tantôt les faire valoir à demi-mot.
3Quand on parle des œuvres particulières, il faut avant tout répondre à l’exigence usuelle : ne pas communiquer seulement à peu près le contenu, mais déterminer également la valeur et le caractère de l’œuvre. Il s’agit d’exposer clairement le rapport de la matière à la forme et d’expliquer si cette réunion, en laquelle consiste la conception d’une œuvre d’art, a eu lieu à la bonne heure et comme il faut, et si l’ensemble s’est formé organiquement à partir de ce point originaire. Cela n’a été négligé quelque peu que dans la notice du Barbe bleue et du Chat Botté de Tieck. Pour les besoins d’alors, ces notices pouvaient suffire ; mais peut-être l’effet de ces poèmes qui est bien reflété par le ton d’ensemble des notices a-t-il gêné un éclaircissement plus abouti. Dans ce recueil, les formes parodiques qu’a inventées à sa guise ce poète auraient mérité un peu plus de considération. En outre, le rapport de l’œuvre à son genre est à chaque fois considéré comme essentiel ; non à partir d’un concept scolaire et mort, presque toujours unilatéral et souvent formé de façon ahurissante, mais d’une intuition vivante. Ce qui est dit sur la poésie didactique à l’occasion de la Fontaine de Jouvence de Neubeck et des Elégies de Goethe demeure peut-être trop allusif pour la plupart des lecteurs, même des meilleurs : en revanche, ce qui concerne l’épopée, à propos de Herrmann et Dorothée, chacun en a pris connaissance dès la première parution. C’est en effet écrit avec un si profond savoir de toutes les œuvres d’art s’y rapportant, et avec un enchaînement si convaincant, qui utilise jusqu’aux plus petits détails en guise de preuve (comme par exemple ce qui est dit du non-emploi du présent narratif dans Homère), qu’on espère à présent que le véritable concept de ce genre poétique est établi, et que personne ne prendra plus contre son sentiment les poèmes homériques et le Paradis perdu à côté de la Messiade pour des individus de la même espèce1. – De F. Schlegel, seuls deux essais concernent des œuvres singulières, le Woldemar de Jacobi, et la Caractéristique du Wilhelm Meister. Dans cette dernière, il n’est pas question du rapport de l’œuvre à son genre, bien que de très importantes indications pour une théorie du roman encore à trouver apparaissent ici comme dans la notice du Don Quichotte de Tieck et des romans de Fr. Schulz2. Mais quant au but de cet essai, on ne saurait trop le recommander. On trouvera ici une introduction pour saisir l’originalité de l’œuvre, pour pénétrer dans les profonds mystères de sa composition, apercevoir le rapport du sujet principal aux circonstances et de l’intention de l’artiste à la tendance de l’œuvre ; et qui possède l’attention et le sens de l’ironie remarquera facilement que même « l’admiration dans le doute » n’est pas omise3. La suite, promise à l’occasion de la première parution, n’a pas abouti. Certes, avec la modification du titre, les limites sont plus strictement déterminées, et tout ce qui ne se rapporte pas immédiatement à l’individualité intime de l’œuvre est exclu, mais même à cet égard, la riche matière n’est pas épuisée. – Le caractère propre et l’opinion intime de Woldemar sont examinés avec la même acuité critique. Cependant, l’Α. a dépassé l’œuvre qu’il se proposait de juger. Il pensa rassembler toutes les œuvres de cet écrivain afin de dégager l’unité susceptible de résoudre les contradictions d’une œuvre ; il a même tenté, en exposant la relative similitude des écrits de Jacobi, de déduire cette prétendue unité. Pour autant, il est resté en cela dans les limites de la critique ; mais non plus quand il est remonté à l’écrivain lui-même, quand il a conclu son caractère philosophique à partir des maximes fondant ses œuvres, et quand il indique que bien des choses présentées de lui seraient prises au présentateur lui-même. Car c’est là précisément porter au grand public les dispositions morales d’un homme qui est par ailleurs nommé par A.-W. Schlegel à juste titre dur et cruel. Le ton polémique que prend rapidement le procédé qui s’annonce comme critique, l’allure d’animosité qui transparaît constamment, et une certaine unilatéralité de la conception étaient les conséquences évidentes d’une effraction dans un domaine étranger.
4L’essai Sur les écrits de G. Forster évite mieux ce travers, bien que l’occasion pourtant (non polémique cette fois) s’y fût prêtée. Comme là aussi la forme et la culture artistique ne sont pas essentielles, on ne pouvait rien établir par l’analyse d’un écrit particulier : car l’esprit et la disposition sont bien sûr plus dispersés chez un écrivain dont les productions ne sont pas à proprement parler des œuvres, mais appartiennent plutôt à ses actions. Son caractère individuel est scruté avec beaucoup de compétence, et ainsi, par endroits, ce qui semble être disparate est recomposé avec bonheur de manière stupéfiante. Le concept d’un écrivain social, par opposition à l’artiste proprement dit, est clairement mis en évidence ; il ne manque à la présentation qu’une véritable tenue de l’exposé. Le caractère dissolu qui s’y trouve paraît provenir de la finalité indirecte de l’A., qu’il n’était pas facile de mêler avec la finalité affichée. – Une remarquable contrepartie est représentée par l’Appréciation des œuvres de Bürger d’A.-W. Schl., ajoutée récemment, qui aspire à un jugement esthétique pur, et qui y parvient. Il a fort justement laissé de côté les lamentation de l’ami sur les circonstances diverses ayant empêché la perfection de l’œuvre du défunt ; ses œuvres sont appréciées uniquement à partir d’elles-mêmes et pour elles-mêmes, et ses concepts dominants, à partir desquels il recherche son caractère poétique, sont appréciés uniquement d’après ses expressions publiques. Ce qui est dit des concepts de popularité et de correction est très réjouissant. La popularité est ramenée dans d’étroites limites ; mais la correction n’est pas, comme on le croirait d’emblée, moquée, elle est au contraire rétablie dans sa signification supérieure, si souvent méconnue. Pour éviter tout malentendu, que l’on compare ce qu’en dit Fr. Schlegel, qui partage tout à fait les mêmes principes : une œuvre est correcte quand elle a transformé la force qui l’a produite afin que se correspondent l’intérieur et l’extérieur. Il y a assurément une telle transformation, on ne doit pas prendre trop à la lettre l’exigence qui voudrait que la correction surgisse en même temps que le poème dans le sein maternel. Tant qu’un degré de maîtrise plus élevé n’est pas atteint, celui qui se soucie depuis le début de l’harmonie de l’intérieur et de l’extérieur peut aussi bien atténuer dans le détail une disharmonie en la transformant. Parmi les nombreux péchés de Bürger à l’encontre de la vraie correction, plus d’un sont sans doute de ce genre. Ce qui est proposé au sujet des romances ne se donne pas pour une théorie – qui ne pourrait provenir que d’une liaison du roman et de la nouvelle –, mais contient en revanche d’excellentes données pour une théorie future. Une fine divination, la vérité historique, et la grande sagesse de ne pas établir de caractère trop déterminé éclairera chacun en ce sens. La récapitulation à la fin ne semble, pas plus que pour Herrmann et Dorothée, produire un bon effet, mais plutôt nuire à l’ensemble en rétrécissant la perspective. – Brèves, mais très suggestives, sont les deux caractéristiques de Balde et de Gessner. Personne ne doutera plus de la grande distance entre les peintures de ce dernier et l’idylle des Anciens, et même l’hypothèse que sa poésie a été généralement une peinture mal comprise est très convaincante. – La Relation des œuvres de Boccace de FR. Schlegel, qui paraît à présent pour la première fois et avec laquelle le second volume se conclut de la façon la plus digne, est à bien des égards le plus remarquable, non seulement parmi les essais qui se rapportent à des écrivains, mais dans l’ensemble du recueil. En quelques feuilles, sont couchés les résultats d’une longue et profonde étude, car on la reconnaît facilement telle, bien qu’elle soit trop concise. Ce que l’on nomme habituellement le détail ne pouvait être donné dans cette dimension, et il serait très souhaitable que l’Α. traite un jour plus complètement cet objet. Ici, chaque poème considéré n’est caractérisé qu’en quelques traits, par la main sûre qu’a rendue habile une étude de fond. Ces esquisses sont utilisées dans une quantité de grandes compositions. Il s’agit du poète dans son ensemble, du rapport de sa vie à ses œuvres, et de sa maîtrise en comparaison de ses prédécesseurs : du rapport de son art à la poésie et à la littérature de sa nation. Tout cela, et particulièrement la tentative de construction de la poésie italienne, est tiré des intimes secrets de la critique supérieure. Quant à la conception de la nouvelle de TA., le Rec. aurait beaucoup à dire, si l’espace ne lui manquait ; qu’il lui soit permis au moins une remarque. Si Boccace est le plus subjectif des grands écrivains italiens, et si la Fiammetta est le sommet de sa subjectivité, alors que la nouvelle est son pôle opposé, il faut lui accorder une prédisposition pour la présentation subjective ; ce qui conduit à chercher son caractère dans une certaine constitution de l’objectif. D’autre part, il y a bien des nouvelles, et parmi les plus authentiques, où la subjectivité ne saute pas du tout aux yeux, et comme un grammairien argumente brièvement contre un autre en alléguant Iliade I, 1, le Rec. voudrait prendre sa preuve dans la Gitanilla de Cervantes.
5Les deux essais sur Bürger et Boccace sont les points lumineux où se reflètent distinctement le caractère commun de leur critique et leur individualité. Ce qu’ils visent tous deux : distinguer tout à fait l’art de la poésie des expressions sans art de dispositions poétiques ; rétablir à côté de l’enthousiasme la part de l’entendement réfléchi en chaque œuvre ; apprendre à apercevoir le tout dans chaque détail et l’intériorité dans toute apparence ; repousser l’illusion que, la matière étant une fois donnée au véritable sens artistique du terme, la forme pourrait être quelque chose d’arbitraire ; transmuer les concepts scolaires morts en des intuitions vivantes ; enfin, dans chacun des domaines artistiques, indiquer celui qui l’englobe et, finalement, ce que l’art dans la nature humaine est pour elle. Dans l’exécution, A.-W. a en vue davantage le critique et l’artiste, Fr. davantage le lecteur. Celui-là nous mène jusqu’à l’acte de production originaire et à la présentation, celui-ci en reste à l’opération d’une considération commune. L’un montre où l’artiste a péché, ou quelles ont été ses vertus les plus remarquables ; l’autre veut apprendre au lecteur son métier, et le hisser hors de la vieille querelle entre la jouissance et l’analyse, en sorte qu’il lui fasse voir par expérience comment relier ces deux éléments bruts en une intuition bien formée. C’est pourquoi l’un est fermement ancré dans son champ ; l’autre trouve souvent l’occasion de s’en écarter – ce qui, pour Forster, est sans doute poussé trop loin –, et d’échanger un point de vue pour un autre plus élevé. Les philosophes de profession verront, pour leur déplaisir sans doute, à quel point cette tendance s’exerce également dans la critique philosophique, et comment, là aussi, le point de vue authentiquement historique conduit à de belles divinations, dans la recension du Journal philosophique. Mais ce qui constitue l’excellence de l’un n’est en rien absent chez l’autre. Une même ressemblance et dissemblance se montre également dans leur écriture. La critique, proche de l’histoire dans sa dignité et ses fins et de la philosophie dans son procédé, exige la plus pure clarté, ainsi qu’une aptitude concentrée qu’ils approchent tous deux ; A.-W. aspire plus à la première, et se permet de temps à autre un peu trop de développements ; Fr. vise plus à la dernière, et en est plus difficile, parfois même plus pesant. Chez les deux, on trouve aussi l’expression commune de l’influence nuisible de leurs études aphoristiques. Une pensée qui tient en elle-même doit se distinguer nettement, et il faut que les relations dans lesquelles les lecteurs doivent les replacer soient comprises en elle. Ainsi, pour un Witz soudain, une idée plaisante isolée, la pointe doit en être aussi aiguisée et travaillée que possible. On trouve suffisamment de beaux modèles des deux dans les fameux fragments des A. de l’Athenaeum ; mais des passages d’essais plus amples exposés de la même façon sont nécessairement défectueux ; cela ne peut se produire sans inégalités dans le ton, sans gênes dans la progression et sans des transitions difficiles. Dans le Forster, cela est au pire, mais le Bürger n’en est malheureusement pas épargné. En ce sens, c’est le Boccace qui a le style le plus parfait.
6Il reste quelques essais qui n’ont pas encore été abordés jusqu’ici. Parmi eux, il y a la recension de l’Homère de Voss parue dans la Gazette littéraire universelle et les Lettres sur la poésie, la métrique et le langage, dans les Heures, de A.-W. Pour la première, il ne faut pas comprendre l’Α., dans la remarque placée en annexe, comme si sa réprobation concernait tous les objets de sa critique, et qu’il ne lui accordait qu’une valeur diplomatique. Le lecteur averti y trouvera au contraire bien des choses instructives, et l’essentiel, qui concerne l’esprit et le ton de la traduction de Voss, conserve toujours sa valeur. Que seulement chacun soit capable de reconnaître avec autant de franchise et de dignité quand ses convictions ont effectué un progrès par lequel des prises de positions publiques antérieures se trouvent dépassées. – Les Lettres, par leur contenu, s’écartent considérablement de tout ce qui constitue ce recueil et que promet le titre ; comme elles ne vont pas assez loin pour donner de véritables informations sur les principes rythmiques de l’Α., et qu’elles apparaissent en outre unilatérales dans leur disposition à l’Α. lui-même, la plupart des lecteurs liront à leur place quelque chose des spirituelles Contributions à la critique de la littérature la plus récente ou des réserves critiquées par l’Α. – De Fr. S., il y a encore le début Sur Lessing du Lycée, qui est, si l’on peut dire, achevé ici. Mais on peut à peine le dire, parce que le nouveau est plutôt tout autre chose qu’une continuation de l’ancien. Non seulement l’exposé se transforme subitement en une apostrophe au lecteur, mais on n’y trouve peu de ce que l’on devait attendre d’après l’introduction du précédent ; il n’est même pas question dans l’ensemble de Lessing. Le début en est composé par un sonnet qui pose la valeur proprement ésotérique de Lessing dans sa reconnaissance et sa prédiction d’un Nouvel Evangile ; un certain nombre de ces fragments sont, non pas insérées dans l’ensemble, mais simplement intercalés, entre lesquels beaucoup étaient d’abord dans le même numéro du Lycée où le début du Lessing a été imprimé. Est-ce que l’Α. avait déjà le pressentiment qu’ils deviendraient une partie de l’essai en question ? Suit là-dessus, comme une préface ou une postface glissée là, une explication des fins littéraires de l’Α. et l’indication de ses occupations futures. Puis un bref jugement sur Lessing d’après les catégories de la tendance et de la forme, et une explication de ces catégories critiques établies ici, et, finalement, une élégie intitulée Hercule Musagète accolée là est donnée expressément comme la conclusion de cet essai sur Lessing. Si l’on s’interroge sur la valeur des parties ainsi réunies, il y aurait bien des choses excellentes à en dire, et le contenu aussi est, pour qui s’occupe des perspectives supérieures sur l’art et la science, très recommandable ; mais beaucoup de choses n’avaient simplement rien à voir ici, et d’autres auraient dû avoir une tout autre forme et un tout autre rapport au reste. Chaque lecteur qui s’y entend (et donc l’Α. aussi bien) peut se faire une idée par lui-même sur ce point comme sur l’exécution, en sorte qu’il n’est pas nécessaire d’entrer là-dessus dans les détails. L’unité de l’esprit, l’identité de la tendance et des maximes ne peut en tout cas pas être refusée à toutes ces parties constitutives hétérogènes ; mais les limites d’un tout artistique, et celles de ses parties entre elles, doivent être déterminées par autre chose encore ; car le point de vue selon lequel tout est Un, auquel se ramène cette unité, n’est pas celui de l’artiste lors de la composition d’une œuvre. Ce n’est pas le lieu de faire des hypothèses sur ce ratage, mais c’est bien un ratage ; et quand on procède avec l’A. comme lui avec Lessing, et que l’on a pour ses expressions l’attention qui convient, on voit qu’il le reconnaît lui-même quand il dit : « Je ne peux pas achever de la même façon que j’ai commencé ». Mais pourquoi un écrivain d’un talent si exceptionnel ne le pourrait-il pas ? et celui-là même qui s’est donné un but, se régler selon son bon plaisir ? Et s’il ne le pouvait pas, il aurait certainement trouvé pour la fin une forme de communication meilleure et moins contrainte, et la première partie aurait aussi bien été accueillie comme un fragment, bien qu’il y ait trop de polémique en elle contre maints jugements portés sur Lessing qui n’ont pas autant d’autorité que l’Α. paraît le croire.
Notes de bas de page
1 Respectivement de Milton (Paradise Lost, Londres, 1674) et de Klopstock (Der Messias, Altona, 1780).
2 Il s’agit bien sûr de la traduction du Don Quichotte par Ludwig Tieck, parue en 1799. Quant à Friedrich Schulz, A.-W. Schlegel avait donné un compte rendu de ses romans et récits.
3 Schleiermacher se réfère ici à la définition de la tâche du critique que donnait Lessing en conclusion de ses Lettres sur l’Antiquité (Briefe, Antiquarischen Inhalts, 1769), à laquelle se réfère Schlegel lui-même dans l’essai Sur Lessing (KA II 109) : « Si j’étais un critique, si je me risquais à m’afficher comme un critique, ma règle serait la suivante. Avec le débutant, de la douceur et de la caresse ; avec le maître, de l’admiration dans le doute et du doute dans l’admiration ; avec le bâcleur, de la réprobation et de la critique positive ; avec le vantard, de l’ironie acerbe ; et le plus acide possible avec le faiseur de cabale » (Lettre 57, in G. E. Lessings Werke t. 6, Kunsttheoretische und kunsthistorische Schriften, Hanser, Munich, 1974, p. 398).
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