Chapitre IV. L’Église verte
p. 57-68
Texte intégral
1Les sympathies connues, espérées ou supposées des seigneurs, les hésitations du pouvoir à Bruxelles, la perplexité des autorités locales devant l’évolution possible et les représailles éventuelles, le nombre croissant de convertis et le retour d’émigrés donnent une confiance et un espoir considérables aux réformés. Ils pensent que le jour est proche où « la nouvelle religion » supplantera et remplacera « l’ancienne ». D’Anvers à Béthune, d’Hondschoote au Cateau-Cambrésis, se multiplient les prêches à la campagne et pour cette raison appelés prêches des haies (hagepreken) et même « l’Église verte ». Les tableaux de P. Bruegel et d’autres peintres représentant la prédication de saint Jean-Baptiste, le précurseur, sont une évocation indirecte de ce phénomène.
Des prédicants intrépides
2Avant d’évoquer quelques-uns de ces grands rassemblements et le message transmis à cette occasion, il faut retracer quelques figures de ceux qui les animent, les prédicants, hommes intrépides, imprégnés de leur foi, condamnés à la clandestinité, se déplaçant la nuit ou entourés de quelques amis, risquant la torture, le bûcher ou la pendaison. Pontus Payen écrit avec mépris « que la doctrine de Luther et de Calvin se prêchait au début par des couvreurs de cuir, des teinturiers, des triacleurs et des charlatans ». On compte effectivement parmi eux « des gens mécaniques », (manuels) autodidactes ayant approfondi leur foi, et meneurs d’hommes. Mais les anciens prêtres et religieux, des hommes doctes convertis à la nouvelle religion y sont aussi nombreux. Ils viennent d’horizons divers, ont des tempéraments différents et des idées parfois divergentes notamment sur le recours à la violence. De nombreuses discussions interviennent dans les consistoires pour savoir, par exemple, s’il est légitime ou non d’attaquer les prisons ou les échafauds pour libérer leurs coreligionnaires. De même le débat est vif sur l’iconoclasme, certains soutenant avec Calvin qu’il ne faut passer à l’acte que sur ordre ou avec l’accord des autorités.
En Flandre, au pays de Lalleu et dans la châtellenie de Lille
3Il semble en effet que certains ministres flamands, ayant vécu temporairement en Angleterre et prêchant dans une zone plus marquée par l’anabaptisme, en contact avec des seigneurs confédérés activistes, sont plus portés à passer à l’acte que d’autres ministres tournaisiens ou hennuyers plus respectueux des consignes données par Calvin. Mais ce ne sont que des tendances décelées çà et là.
4Parmi les ministres flamands se détache Jacques de Buyzère, natif d’Hondeghem, ancien augustin au couvent d’Ypres et donc qualifié d’apostat. Il épouse une veuve de Neuve-Église, Catherine de Raedt, séjourne en Angleterre après 1561, avant de revenir sillonner le West-quartier. Il prêche avant le saccage de la chapelle Saint-Laurent de Steenvoorde (10 août) et du prieuré Saint-Antoine de Bailleul (13 août). Pierre Hazard, pour sa part, natif de Bailleul, apostat lui aussi et marié, est actif dans le secteur de Comines-Warneton. Il faut encore citer François-Antoine De Zwarte, ancien dominicain d’Ypres, Charles Ryckewaert dit Théophile natif de Neuve-Église ou Jean Lamoot, tisserand de Reninghelst. Les frères Damman, Guillaume et Ghislain sont aussi très connus. Le premier, dominicain apostat d’Ypres, est très actif dans le secteur d’Hondschoote. Nous avons vu qu’après son arrestation en 1562, ses amis le libèrent en attaquant la prison d’Ypres et de là gagnent l’Angleterre. Quant à son frère Ghislain, tisserand « laïc et indocte » selon l’inquisiteur Titelmans, c’est le prédicateur du prêche de Boeschepe qui a tant ému l’opinion.
5Dans la châtellenie de Bergues et à Hondschoote s’illustre Sébastien Matte, bonnetier-chapelier à Ypres, « homme à la barbe noire, court et trapu », qui après un séjour en Angleterre est de retour à la fin de mai 1566. Il est un des grands meneurs à Hondschoote, avec Gilles de Quekere un de ses adjoints. Enfin, il faut rappeler que Pierre Dathenus, qui va être une des grandes voix du mouvement gantois, est natif de Cassel et parcourt la Flandre.
6Dans le pays de Lalleu, à Armentières et dans la châtellenie de Lille, les documents mentionnent souvent deux prédicants. Le mystérieux Julien, omniprésent jusqu’en août 1566 semble s’évanouir ensuite au profit de Gilles du Mont, dont c’était peut-être le pseudonyme. Se confondent-ils ? Très actif, redouté et insaisissable dans la châtellenie de Lille, Cornille de Lézennes est le fils d’un maréchal-ferrant de Roubaix. En 1566, on trouve aussi Octavien Bécourt, ancien dominicain à Laventie, Antoine Lescaillet à La Gorgue, Jehan Doutrelauwe à Estaires.
En Hainaut et Cambrésis
7Dans l’est de la châtellenie de Lille et au pays de Saint-Amand, les ministres tournaisiens Ambroise Wille, Nicolas Taffin, ont une grande influence. Mais le plus célèbre est le grand ministre montois Guy de Bray (ou Debrés). Né vers 1522 à Mons-en-Hainaut, artisan-verrier, converti peu après le passage de Pierre Brully vers 1545, il part en Angleterre où il reçoit une forte formation. Il est de retour vers 1552 et actif dans le secteur de Lille, Valenciennes et Mons. On lui doit à cette date deux petits livres, le Baston de la Foy, critiquant les pratiques catholiques, et un autre défendant l’orthodoxie calviniste contre les anabaptistes. Après les poursuites de 1555, il gagne Francfort et Lausanne où il est ami de Théodore de Bèze. De retour vers 1559 à Tournai, il est un des grands ministres de toute cette zone et rédige la Confessio Belgica, qui préside à l’organisation de l’église calviniste en cette région. Nous allons le retrouver à Valenciennes, la Genève du Nord. Dans cette ville, dès l’été 1565 est arrivé le français Pérégrin de la Grange, très impliqué dans la révolte de Rouen, fin lettré, « ayant la langue fort à commandement, turbulent et séditieux si possible » selon Pontus Payen. Sa venue et son implantation ont été facilitées par les riches marchands valenciennois.
8À l’été 1566, arrive également au Cateau-Cambrésis, Jean Lesur, un ancien carme d’Arras qui après avoir défroqué pendant ses études à Louvain, est allé ensuite à Anvers, Orléans, Genève, parfaire sa formation, a été ministre à Montcornet. Il se marie à Crépy-en-Valois avec une Liégeoise dont il a une fille, Abigaïl. Il séjourne onze mois comme ministre sous le nom de Monsieur Philippe à Tuppigny où les membres de la communauté calviniste du Cateau-Cambrésis viennent le chercher pour être ministre de leur communauté.
9On pourrait en citer encore bien d’autres, mentionnés par Crespin. Comme on le voit, si parmi les prédicants du nouvel Évangile on trouve des « gens mécaniques », les anciens religieux ou les prêtres sont également nombreux. Tous sont animés d’une même foi, d’un ardent prosélytisme et quelques-uns doués d’un charisme exceptionnel vont passionner et entraîner les foules.
Les grands prêches des haies
Les prêches de Bondues et de Baisieux
10En mai, juin et juillet 1566, les prêches rassemblant des milliers de personnes des deux sexes se multiplient un peu partout, sauf en Artois où ils sont moins nombreux. On possède une enquête détaillée sur celui de Bondues qui s’est tenu à la fin de mai 1 566, à la Cense du Vert Bois. Le lieutenant de la gouvernance de Lille, Baulde Cuvillon, vient auditionner au logis du Bel Arbre à Bondues des témoins qui, bien entendu, n’ont reconnu aucun des participants et s’y trouvaient éventuellement présents par simple curiosité ! Le barbier Jehan Le Mesre a vu vers 10 heures du soir, venant de Wambrechies, des personnes bien accoustrées « montrant qu’ils n’étaient pas du village », et il les a suivies vers le Vert Bois. Là, il a vu 4 000 à 5 000 personnes, tant hommes que femmes et enfants qui chantaient et un homme qui prêchait. Toussaint Caudrelier, un Lillois, dépeint ce dernier comme un quidam ayant un noir bonnet, un manteau noir à rebords de velours, jeune, sans barbe. Selon Mahieu Desremaulx, fossoyeur à Tourcoing, ce prêcheur avait été maréchal-ferrant à Roubaix. Ce serait donc Cornille de Lezennes. Jehan Cochon, un gantier qui était avec lui, précise que « les femmes étaient au mitant, les hommes autour avec des bâtons de défense, des fourches, hallebardes, épieux ». Jacques Lhoir, manouvrier demeurant au Ploich à Marcq-en-Barœul, accompagné de son demi-frère Jean Gadenne, a vu passer des petits groupes qu’il a suivis, et sortir « la demoiselle du Vert Bois ayant un page » pour y aller. Selon ces témoins, le prédicant a dit qu’il ne fallait pas prier les Saints et la Vierge Marie. Il a recommandé les pauvres et deux hommes passaient quêter pour eux. Au moment de la dispersion, « on cria à haute voix Lille, Mouvaux, Wasquehal, Roubaix, Tourcoing, Tournai », pour retourner vers ces lieux en groupe. Certains mirent une perche en haut avec une enseigne.
11De son côté, l’évêque de Tournai a envoyé le doyen de chrétienté, Pierre Martin, interroger les curés et leurs dépositions sont très pessimistes. Le curé de Bondues, Jean Grandis, déclare que le dimanche à l’heure de la grand-messe la plupart de ses paroissiens « sont dans les tavernes et cabarets, jouent aux boules auprès de l’église, ou participent à des conventicules ». Paul Le Candre, curé de Quesnoy-sur-Deûle, se dit menacé, et pense qu’il n’y a plus besoin de curé dans son village « tant il voit ses paroissiens corrompus et dégoûtés du service divin ». S’il n’y est mis ordre, il abandonne sa cure. Même résolution chez Engrand Carvel, curé de Verlinghem, que des habitants menacent de jeter dans la Lys. Otte Boulanger, curé de Wambrechies, fait état de menaces similaires. Le doyen conclut que « tous d’une même bouche » disent « qu’il n’est plus possible qu’ils se maintiennent dans leur cure et qu’avant peu de temps il n’y aura messe ni confession ».
12À l’est de la châtellenie de Lille, vers Tournai, les réformés se rassemblent aussi. Rassenghien informe la gouvernante générale qu’au cours du prêche tenu à Baisieux le 2 juillet par Cornille de Lezennes, celui-ci a dissuadé des participants de s’en prendre à leur retour à des lieux de culte catholique parce qu’il n’était pas encore temps, qu’il leur dirait quand il serait l’heure, et qu’il espérait que ce serait assez tôt. Le 2 juillet, le gouveneur signale qu’à Bondues a eu lieu un nouveau prêche, le plus grand tenu près de Lille rassemblant près de 7000 personnes, où « pour la première fois se sont faits baptêmes et mariages selon la religion de Calvin ». Il estime à 2 000 le nombre de Lillois qui y participaient et, sans le contrôle strict qu’il avait installé aux portes, il pense « que plus de la moitié de cettte ville y fut allé ». Bientôt d’ailleurs, Arnould Tiberghien, greffier d’Armentières, va présenter au Magistrat de Lille une requête réclamant la liberté de religion, « acceptant que la conscience demeure sauve, sur laquelle il n’y a personne qui puisse dominer ».
En Flandre et en Hainaut
13Partout se tiennent de tels prêches. Morillon dans une lettre datée du 7 juillet en signale à Béthune, Laventie, La Gorgue, Armentières, Merville, près de l’abbaye de Beaupré. Le 10 juillet, de retour d’un prêche qui s’est tenu à Poperinghe, des Armentiérois, après avoir demandé les clés de la prison au Magistrat qui les a refusées, ont fracturé celle-ci, libéré leurs coreligionnaires prisonniers et un anabaptiste et ensuite ont chanté des cantiques sur la place du marché. Le 21 juillet, l’évêque d’Arras, François Richardot, vient courageusement prêcher dans cette ville ; un coup de pistolet est tiré en sa direction. Le 22 juillet, à Hondschoote, Sébastien Matte gardé par près de deux cents hommes réunit près de 8 000 auditeurs et baptise publiquement deux enfants. Il a fait crier que le jour de Saint-Jacques il prêchera près de Beveren « en plus grand nombre que jamais ». Le 25 juillet, Julien commence un prêche sur le marché de Laventie qu’Octavien Bécourt achève « dans le jardin des Wattepatte ». Dans le même bourg, le 10 août, jour de la dédicace de l’église, cinq cents personnes écoutent Julien sur le cimetière. Quelques-uns font descendre de chaire le cordelier qui prêchait, raillent le curé pendant l’élévation et traînent de force, ces deux « cafards », écouter le véritable Évangile.
14Les prédicants laissaient entendre que ces prêches et assemblées se faisaient avec l’accord des chevaliers de la Toison d’Or et du comte d’Egmont. Celui-ci adresse le 22 juillet au Magistrat de Bergues, un démenti formel. « Ceci est entièrement contraire à la vérité et bien malheureusement inventé ». Il lui demande de le faire savoir partout et que soient averties les villes et châtellenies subalternes. Le lendemain Marguerite de Parme fait connaître au bailli de Furnes que le comte d’Egmont « écrit partout comment ledit propos du prêcheur est tout controuvé et faux ».
15Dans le Tournaisis et le Valenciennois, « les esprits sont échauffés ». Le 7 juillet à Valenciennes, des centaines de personnes se rassemblent sur la place du marché et sur un signe suivent le prédicant hors de la porte de Tournai. Celui-ci prêche deux heures au marais de la Seigneurie de Bruay devant 3 000 à 4 000 personnes. Entre le 7 juillet et le 18 août, on compte 19 prêches assurés par Guy de Bray et Pérégrin de La Grange. Certains jours le mont d’Anzin est couvert de monde. Il est vrai que dans cette ville les réformés étaient puissants au Magistrat, et contrôlaient l’aumône générale. Une enquête ultérieure établit que « le Magistrat n’avait fait aucun devoir pour empêcher ces assemblées ». Certains de ses membres avaient même rabroué les dénonciateurs comme « scandalisant la ville ». De surcroît depuis le départ des soldats royaux en 1565, les calvinistes contrôlaient largement les trois cents hommes des trois compagnies bourgeoises chargées du maintien de l’ordre. L’une était d’ailleurs commandée par le riche marchand calviniste Michel Herlin, et les deux autres par des sympathisants.
Le Cambrésis aussi
16Cambrai et le Cambrésis sont encore à cette époque sous la souveraineté temporelle de l’archevêque Maximilien de Berghes. Mais le calvinisme s’était bien implanté le long de la frontière avec la France et notamment au Cateau-Cambrésis. Dans cette ville, « les bons bourgeois avec leurs familles conversaient ensemble et parlaient familièrement des Saintes Écritures » selon Claude Raverdy, secrétaire du consistoire, « mais secrètement en raison des persécutions contre les frères du Saint Évangile ». Ils allaient suivre les prêches en France, notamment à Premont, terre appartenant à Marguerite de Navarre, à Honnechy. Après que le châtelain de Cambrai en ait arrêté quelques-uns de retour d’Honnechy, condamnés au bannissement, ils vont un peu plus loin vers Crépy, Chauny, Tuppigny.
17À la Pentecôte 1566, un grave tumulte se produit, lorsqu’à Saint-Soupplet Jacques Grégoire, prêtre apostat venant de Tuppigny, est arrêté et enfermé dans la « Cour l’Evêque » au Cateau. Lorsque le bailli de Cambrai vient avec une soixantaine d’hommes le chercher, c’est l’émeute. Le bailli, molesté, est invité à déguerpir « avec quelques coups d’épée du plat sur le dos », traitement que subissent aussi quelques soldats. Comme c’est un acte de rébellion, le Magistrat du Cateau envoie à Cambrai une délégation de quatre personnes dont au moins deux calvinistes. Ceux-ci sont emprisonnés et libérés au retour de l’archevêque. Celui-ci défend les prêches et envoie au Cateau le chanoine Gemelli soutenir une dispute théologique avec les hérétiques. Ceux-ci sont bien organisés avec un consistoire comprenant des laboureurs et un écolâtre pour instruire les enfants. On trouvera chez lui une caricature représentant une truie conduite par Hypocrisie, allaitant le pape et quatre moines. À l’arrière, un singe tenait une hostie et dessous la queue de la truie tombait de l’or et de l’argent au lieu de la fiente. Le tout était intitulé « La messe ». Vers le 18 août, la communauté va chercher Jean Lesur, alias monsieur Philippe, à Tuppigny, pour être son ministre.
Le message des « Frères de l’Évangile »
18Témoignages, enquêtes, correspondances, procès, permettent de dégager quelques lignes directrices du message délivré par les prédicants et autres responsables aux foules et ce que les convertis en retenaient. Celui-ci évidemment s’alimente aux doctrines et positions développées par Luther, Zwingli et surtout Calvin puisqu’en 1566 la très grande majorité des réformés en ces provinces sont calvinistes.
19Pour eux, l’Écriture Sainte est la grande et unique référence. Chacun doit la lire, la méditer, en discuter avec ses frères. Hubert de Bapasme, marchand lillois réfugié à Strasbourg, insiste beaucoup sur ce point. À son frère Pierre il écrit : « Trouvez quelque petit espace de temps pour scrutiner les Saintes Écritures, qui est la vertu de Dieu et est salut à tous croiants ». Et sa cousine Mariette Déliot lui répond en écho. « C’est un beau passe-temps de lire et s’y aprend beaucoup de choses... Je suis bien marrie qu’on dit qu’on va défendre les livres ». Comme ses sœurs, elle le remercie de les avoir « bien endoctrinées ».
20L’Église catholique, ses prêtres, ses religieux, sont accusés d’avoir volontairement travesti le message du Christ. Comme l’a fait observer L. Febvre, les réformés leur reprochent de mal croire avant que de mal vivre. L’Église est appelée « la putain de Babylone ». « Faux prophètes, renards, cafards, hypocrites » sont les termes courants pour dénoncer les ecclésiastiques, car on leur reproche d’avoir sciemment induit le peuple en erreur, par cupidité et intérêt. Dans la farce jouée à Mouvaux en 1563, n’oublions pas que le Prêtre empêche le Peuple de découvrir Vérité jetée à terre sous un drap de moulin, « sinon nous sommes perdus ». Pour Pierre Cappoen, lieutenant du bailli de Bailleul, « mensonges et fourberies, c’est tout ce que font les prêtres ».
21L’opposition est vive sur les sacrements, puisque les calvinistes ne reconnaissent que le baptême et la Cène comme sacrements institués par le Christ. Ils dénoncent la confession, instrument de domination sur les consciences et source de gains illicites. L’Eucharistie et la messe sont au cœur de la controverse. Le récit de la discussion menée au Cateau-Cambrésis entre le chanoine Gemelli et les membres du Consistoire le montre : « Monsieur le docteur, lui dit-on, est la messe composée et édifiée tout autrement que Jésus-Christ a institué la Sainte Cène à ses apostres... Vous autres prêtres, à votre autel, tournez le dos au peuple et le montrez par-dessus votre tête et après vous seul sans le distribuer à nul autre. En quoi donc ressemble la messe à la Cène instituée par notre Seigneur Jésus-Christ ? » Ils nient tout aussi radicalement la transsubstantiation, c’est-à-dire que l’hostie consacrée devient le corps et le sang du Christ. « Ne croyons point que le corps de Jésus-Christ soit en notre Cène ; lui dîmes que nous le recepvions spirituellement ». D’où l’appellation « Jehan Le Blancq » donnée par dérision à l’hostie consacrée. Nicolas Salengré, échevin calviniste de Laventie va plus loin puisqu’il assimile la consécration à un acte magique. Accusé d’avoir cassé la pierre d’autel contenant la relique d’un saint, il rétorque : « Dans celle-ci était l’enchanterie et sorcellerie que lui (le curé) et ses semblables prêtres faisaient en célébrant la messe ». L’usage du latin est aussi mis en cause. « Spreckt u moeders teele vlamsch, dat men u versteen mugh », « Parle flamand, ta langue maternelle pour qu’on te comprenne » lance Jacques de Rycke à Gilles, un frère carme d’Ypres qui prêchait dans l’église d’Hillewaaars-Cappel.
22Radicale et souvent incriminée dans les procès est la négation du Purgatoire. « Si l’âme sortant du corps a son jugement particulier attendant le jugement général que chacune âme reprendra son corps selon les livres (diffusés par un Jésuite), où a donc l’âme besoin de purgatoire ? » font observer les réformés du Cateau-Cambrésis. Cette négation entraîne automatiquement la mise en cause des messes privées, des indulgences, des quêtes et offrandes pour les âmes des trépassés ainsi que les trafics d’argent qu’elles génèrent. Le gouverneur Rassenghien relate qu’au retour d’un prêche les calvinistes s’étaient arrêtés devant l’église et la maison du curé de La Gorgue en criant : « la messe à 4 sols, à 3 sols, à 3 gros, à un gros... à la fin, à rien du tout ».
23Le culte n’était dû qu’à Dieu seul. Celui des saints et de la Vierge Marie est donc rejeté, ainsi que leur représentation et celui de la divinité. Sur le culte des images c’est « un vieux débat rallumé » (S. Deyon) puisqu’il agite le christianisme depuis les origines. S’appuyant sur l’Exode (20,4) et le Deutéronome. « Tu ne feras point d’images taillées, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux et qui sont dans les eaux plus bas que terre », Calvin reprend et adapte la position de Zwingli : « Dieu ne peut souffrir qu’on représente sa majesté infinie sous de la pierre ou du bois, ni en peinture... Ce n’est point à nous de l’attacher ici-bas, ni de lui faire quelqu’idole ou marmouset » (Institution chrétienne). Statues, tableaux et autres sont donc assimilés à des idoles. Toutefois Calvin précise notamment dans une lettre datée de 1561, adressée aux protestants du midi, qu’il appartient seulement aux autorités légitimes de décider de leur destruction. Ce qui n’empêche pas une vague sans précédent d’iconoclasme en 1562 en France.
Gueux et calvinistes : « même combat ? »
24La multiplication des prêches et des assemblées inquiète vivement Marguerite de Parme qui le 3 juillet les interdit « à peine de la vie », promettant 700 écus à celui qui livrera un prédicant. En vain, car comme l’écrit Pontus Payen « nul n’osait entreprendre sur eux, à cause des gentilhommes confédérés qui leur soutenaient le menton ». Quant aux réformés, ils considéraient « qu’il fallait mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ». Cependant couraient d’inquiétantes rumeurs selon lesquelles le roi levait des soldats en Italie pour venir aux Pays-Bas. Quant à la Gouvernante, elle consultait les grands nobles sur l’éventualité de rassembler les bandes d’ordonnances pour marcher contre les sectaires. Quant à Egmont, « l’épée du pays », Marguerite de Parme le considérait comme opposé à la politique du roi, mais certains nobles du compromis le trouvaient tiède et « nageant entre deux eaux ».
25Les confédérés, pour se concerter, se réunissent au nombre de 200 environ à Saint-Trond dans la principauté de Liège. Les marchands calvinistes d’Anvers leur offrent de l’argent pour recruter des soldats en Allemagne. La Gouvernante générale, qui leur imputait « les prêches et assemblées du peuple qui se faisaient partout », charge Egmont et Orange d’obtenir d’eux qu’ils les fassent cesser. Une délégation des confédérés comprenant aux côtés de Louis de Nassau, de Philippe et Jean Marnix de Sainte-Aldegonde, trois gentilshommes de ces provinces, Esquerdes, Longastre et Olhain vient les retrouver à Duffle, à deux lieues d’Anvers le 18 juillet. Le prince et le comte leur remontrent que « selon le bruit commun, la requête du 5 avril 1566 était la cause de toutes ces assemblées et qu’ils serviraient leur cause en les faisant cesser ». Mais les confédérés font observer que ceci n’est pas en leur pouvoir, et que le roi est le grand responsable de tout. Le comte d’Egmont s’engage à ce que personne ne soit recherché pour sa religion et le Compromis. Le 30 juillet, une députation des confédérés, conduite par Louis de Nassau, et comprenant notamment Esquerdes, Escobecques, Noyelles, Villers, a une rencontre assez orageuse avec Marguerite de Parme. Ils accusent le roi de ne pas avoir tenu ses promesses et répètent prendre « ceux de la religion réformée » sous leur protection.
26Avec la réaffirmation de ce soutien, les prêches reprennent de plus belle à Anvers, en Flandre, près de Valenciennes et Tournai. L’étincelle jaillit le 10 août à Steenvoorde et embrase la Flandre et de nombreux lieux à partir du 15 août, comme nous l’avons vu. Jean de Morbecque, gouveneur d’Aire-sur-la-Lys, a bien compris le sens de cet iconoclasme qui n’est pas seulement une destruction des « idoles ». Après avoir « ramoné » les églises, les réformés « commencent à venir pour y faire leurs prières comme à forme de temple, disant qu’ils ont été assez prêché aux champs ». Et tout ce mouvement a pris une allure patriotique, le terme de Gueux faisant la synthèse entre les deux mouvements. Un acteur de base, le laboureur William Leplat, témoigne parfaitement de cette fusion. En revenant de saccager l’abbaye de Cysoing, il portait une couronne sur sa tête criant qu’il était le roi des Gueux, et incitait sa bande à l’acclamer comme tel.
27Nous avons vu que l’iconoclasme a gagné la Flandre, le Brabant, la Hollande. Après Anvers et Gand, Bruxelles est directement menacée.
28Pour tenter d’endiguer ce mouvement, Marguerite de Parme et ses conseillers vont devoir négocier avec ces seigneurs confédérés « qui n’étaient que des Gueux ».
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