Chapitre 6. Largesse et désintéressement
p. 171-196
Texte intégral
6.1. Le primat de la magnificence
6.1.1. De la magnanimité à la magnificence
1Ainsi la grandeur d’âme apparaît-elle comme le résultat d’un réseau constant de notions, lequel donne lieu cependant à des configurations diférentes. Le choix de consacrer la dernière journée du Décaméron aux spiriti magni n’est donc pas l’expression d’un usage ordinaire, mais le signe d’une réflexion cohérente qui cherche à prendre position sur la signification de l’une des vertus médiévales les plus éminentes que la morale de l’intérêt et de l’amour-propre impose de repenser à nouveaux frais. Car c’est la détermination de la grande âme qui permet d’organiser dans une unité cohérente des éléments apparemment hétérogènes comme les rapports entre l’estime de soi et la reconnaissance d’autrui, le rôle que peuvent jouer les biens secondaires dans l’exercice de la vertu, la noblesse acquise par le mérite et les privilèges sociaux, la relation entre l’humilité et l’orgueil, l’échange des bienfaits qui régit l’économie des passions.
2À cet égard, la critique tend à interpréter les spiriti magni comme des figures de la magnanimité, en soulignant tantôt la composante aristotélicothomasienne, tantôt l’emprunt à la tradition stoïcienne1. La magnanimité serait ainsi associée, d’une part, avec la fortitudo, d’autre part avec la patientia, en signifiant en tout cas la palinodie des contes précédents. Toutefois, Boccace consacre expressément la dernière journée aux contes « dans laquelle on devise de ceux qui ont agi en amour ou en autre matière avec libéralité ou magnificence » (“nella quale si ragione di chi liberamente o vero magnificamente alcuna cosa operasse intorno à fatti d’amore o d’altra cosa”)2. On a par ailleurs souligné que la magnanimité et la magnificence étaient synonymes3.
3Il me semble, par contre, que le choix de l’expression est sciemment assumé par Boccace. Si l’on lisait, ne fût-ce que cursivement, les nouvelles de la dernière journée, on remarquerait que les personnages se conduisent avec magnificence et libéralité, comme le signale Boccace lui-même, et non avec magnanimité. Car le trait distinctif des spiriti magni réside dans le désintéressement à l’égard de ses propres biens, voire de soi-même, qui permet de contrecarrer les conséquences inacceptables dues à la morale de l’amour-propre. C’est dans ce cadre que les composantes de la grande âme sont agencées à l’intérieur d’une nouvelle conception, qui prend une forme spécifique au fil des contes. À cet égard, on peut souligner trois moments : le déplacement de la magnanimité à la magnificence ; la centralité du désintéressement à l’égard des biens4 ; enfin sa radicalisation dans la désappropriation de soi5. De la sorte, la magnificence, marquée par la générosité désintéressée qui n’exige aucune forme de gratitude, met fin aux ambiguïtés propres à la morale des bienfaits.
4D’abord, les magnifiques de la dernière journée engagent une confrontation critique avec les magnanimes, dont ils font apparaître certains aspects critiques. D’une part, deux nouvelles pointent les limites de l’estime de soi caractérisant le magnanime aristotélicien, notamment l’exigence contradictoire de la reconnaissance et sa vulnérabilité face aux coups de la fortune6. D’autre part, trois contes font toucher du doigt la fragilité de la fides, ou confiance, lorsqu’elle s’appuie sur la logique stoïcienne des bienfaits, dénonçant ainsi le compromis néfaste entre la grande âme et la morale des indiférents préférables7.
5Ensuite, le magnifique généreux est présenté comme la figure morale en mesure de contrecarrer le philosophe magnanime, dont il dévoile l’accointance avec l’amour-propre et la recherche de l’intérêt propre. Le déplacement de la magnanimité à la magnificence est opéré pour définir la grande âme, comme c’était déjà le cas chez Cicéron. Les magnifiques de Boccace empruntent aux magnifiques cicéroniens leur trait essentiel : le désintéressement. Ils ne soucient pas de rechercher leur profit pas plus qu’ils ne calculent les entrées ou les pertes : s’ils accumulent les biens ou les avantages, ils peuvent aisément s’en débarrasser avec largesse. De plus, il s’agit la plupart des fois d’hommes qui sont éngagés dans la vie active, laissant la contemplation aux magnanimes désœuvrés. Toutefois, tandis que le désintéressement est cultivé par les magnifiques de Cicéron pour le profit anonyme du bien de l’État, il structure, chez Boccace, des rapports interpersonnels inédits, qui se soustraient à l’économie des passions, régie par l’amour-propre.
6Ensuite, les magnifiques mettent fin à toute vertu qui ferait place à une quelconque recherche de l’intérêt propre. Tandis que le dévouement, chez Cicéron, permettait à l’homme vertueux d’accumuler des biens au nom de l’utilité commune, la magnificence de Boccace radicalise le désintéressement, lui ôtant toute finalité qu’elle soit mondaine ou religieuse, politique ou personnelle. C’est seulement à cette condition que l’on peut rompre avec la comptabilité propre à la morale de bienfaits. Ainsi les spiriti magni opposent-ils un excès de générosité désintéressée à la recherche d’un surcroît qui est constitutive de la logique de l’intérêt propre. Une série de nouvelles est donc consacrée à la mise en scène du retournement de ce qui est dû en don8. Toutefois, si la gratuité du don peut contrecarrer la recherche de l’intérêt propre, elle ne peut empêcher que l’amour-propre se déguise sous les espèces de la vertu. À cet égard, deux nouvelles ofrent apparemment des exemples de largesse qui confinent au sacrifice de soi, au nom de l’amitié ou de la magnificence elle-même9. Mais elles dégagent aussi un certain malaise, puisque l’amour-propre ternit quelque peu la noblesse et la générosité des personnages. Ceux-ci ne savent pas renoncer à vouloir être les meilleurs, sinon les seuls, ne fût-ce que dans l’exercice de la vertu.
7C’est pourquoi la magnificence n’est pas le dernier mot du Décaméron. Il ne s’agit pas de revenir à la vertu ancienne, en la débarrassant des mésinterprétations qui ont accompagné son évolution. La morale des bienfaits, l’équilibre entre la générosité et l’obligation, la grandeur du magnanine et le désintéressement à l’egard des biens préférables ne sont plus des formes de vie possibles. Les magnifiques montrent ici les limites du cadre conceptuel à partir duquel Boccace a tenté d’interroger les transformations morales de la société marchande. Il faut alors développer jusqu’au bout les modalités de pensée traditionnelles, pour les dépasser de l’intérieur, en inventant de nouvelles figures morales. Car la conduite de Griselda, dans la dernière nouvelle, radicalise la largesse désintéressée jusqu’à aboutir à la désappropriation de soi. Celle-ci ne doit pas être cependant réduite à la vertu stoïcienne de la patience, pas plus qu’à une forme de délaissement, confinant au sacrifice de soi. Il s’agit plutôt de se soustraire par une forme d’indifférence souveraine à toute logique des bienfaits ainsi qu’à tout résidu d’amour-propre. Si le magnifique accomplit les œuvres les plus grandes par des donations généreuses, tandis que le magnanime est lui-même le plus grand, la largesse de Griselda dépasse l’un et l’autre, puisqu’elle réalise l’exploit de se donner elle-même, comme s’il n’y allait pas d’elle-même.
6.1.2. Le problème de la reconnaissance
8Les deux premières nouvelles pointent l’autonomie fallacieuse de la grande âme aristotélicienne. Car l’estime de soi du magnanime, qui se considère comme le meilleur pour apprécier la valeur relative des choses, est dépendant de la reconnaissance d’autrui, au point qu’une telle fragilité l’expose sans défense aux aléas de la fortune.
9Justement, le magnanime et le magnifique s’afrontent sur le problème de la reconnaissance dans la première nouvelle de la dernière journée. Ici un chevalier mercenaire, Ruggieri, à la solde du roi Alfonso d’Espagne, se plaint de ne pas avoir été dûment récompensé par le souverain. Ruggieri est présenté littérairement comme un magnus animus. Il est sans doute le meilleur de tous les chevaliers, de sorte qu’il possède deux traits majeurs du magnanime : une haute estime de soi et l’exigence d’être considéré comme le premier :
Vous devez donc savoir que, parmi les valeureux chevaliers qui depuis longtemps vécurent dans notre cité, il y eut messir Ruggieri de’Figiovanni, peut-être le meilleur de tous, lequel était riche et avait une grande âme. Il comprit qu’étant donnés le mode de vie et les coutumes de la Toscane il ne pourrait guère ou pas du tout montrer sa valeur. Il prit ainsi le parti de se rendre un certain temps auprès d’Alphonse roi d’Espagne, dont la renommée surpassait celle de tous les autres princes de ce tempslà. Honorablement équipé en armes et en chevaux et bien escorté, il partit donc pour l’Espagne et fut gracieusement reçu par le roi10.
10Mais une première difficulté surgit aussitôt : puisque la grande âme doit être reconnue en tant que telle, que se passe-t-il si elle est dépréciée ? Certes, on peut penser que la haute estime de soi n’a pas besoin de l’attestation d’autrui, mais la reconnaissance demeure un élément central de la grandeur d’âme. Celle-ci a beau ne faire grand cas de rien, elle risque d’être rapetissée si elle n’est pas estimée à sa juste valeur. Quel sens y a-t-il à être le meilleur, si personne ne le reconnaît ? C’est pourquoi Ruggieri cherche la reconnaissance auprès du roi le plus valeureux. Suffit-il alors d’être estimé par des autres magnanimes ? Mais Ruggieri déchante bien vite : les grandes âmes peuvent ne pas se reconnaître les unes les autres. Car le roi ne le gratifie pas suffisamment, de sorte que le chevalier ressent l’absence de marques d’estime comme une dépréciation, voire une perte, de sa valeur qui mine le sentiment même de sa propre grandeur11. Il décide alors de quitter le royaume :
Comme il connaissait sa valeur et qu’à lui rien n’était donné, il estima que sa renommée s’en trouvait amoindrie ; aussi décida-t-il de partir, et il demanda congé au roi12.
11Le Roi, ayant eu vent de la déception du chevalier, le fait mander et lui demande de choisir entre deux cofres, l’un plein de biens précieux, l’autre de terre. Le chevalier choisit malheureusement le cofre dépourvu de valeur. Le Roi désire lui montrer que la cause de sa déception est sa malchance et non l’absence de reconnaissance de sa grandeur. La haute estime de soi n’est pas un barrage suffisant contre la mauvaise fortune. Il manque au magnanime aristotélicien la disposition stoïcienne du courage qui accueille toute circonstance avec un esprit toujours égal. Il ne trouve pas sa force, à la diférence du sage stoïcien, dans le retrait en soi-même, mais dans le témoignage de son excellence, comme le souligne Ruggieri lui-même13. Si non seulement la reconnaissance d’autrui fait défaut au magnanime, mais aussi le cours des événements, que reste-t-il de sa grandeur de l’âme ?
12À ce propos, il faut souligner que le roi Alphonse ne se conduit pas en magnanime, mais en magnifique. Il fait don au chevalier malheureux du cofre riche en biens précieux parmi lesquels se trouve sa couronne. Les mauvais coups de la fortune ne sont donc pas amendés par un surcroît d’estime de soi et de mépris des autres, mais par un excès de générosité magnifique qui cesse de distribuer les louanges et les blâmes selon le mérite et le démérite. Le roi veut montrer au chevalier que le désir de reconnaissance, liée à la haute estime de soi, est contradictoire, puisqu’il ébranle nécessairement la supériorité revendiquée par le magnanime. Par contre, la reconnaissance de la valeur passe par le respect de la liberté d’autrui, non par le témoignage rendu à son excellence. C’est pourquoi le roi affirme ne pas avoir ofert au chevalier de châteaux ou de terres : il ne voulait pas le contraindre à devenir espagnol14. Seul un don qui échappe à la logique des bienfaits, du prêt et de la dette, et qui n’attend rien en échange, peut témoigner d’une estime véritable. Celle-ci devrait au juste se passer de marques de reconnaissance, comme semble le comprendre le chevalier lui-même, lorsqu’il avoue, avant de choisir le cofre :
… je suis prêt à voir ce qui vous plaira, encore que je vous croie sans besoin de témoignage15.
13Croire sans gage est la marque de la grande âme. Car le roi magnifique ne se borne pas à juger le chevalier à sa juste valeur : il exprime une appréciation confiante qui va bien au-delà des mérites (comme le geste de donner la couronne royale en témoigne) et des dettes (le chevalier est libre de quitter l’Espagne). De la sorte, la confiance magnifique fait signe vers une conception respectueuse d’autrui, lequel n’est ni considéré comme le simple miroir de soi-même, ni utilisé comme un moyen pour accroître le sentiment de sa propre valeur.
14Le magnifique, à la diférence du magnanime, n’est pas retranché dans sa fière solitude, jugeant les méfaits des autres, mais il peut lier, par sa générosité et sa confiance, une véritable amitié. Celle-ci requiert la reconnaissance réciproque et le respect de la grandeur d’autrui, qui peut aller jusqu’à l’appréciation de son ennemi, que la générosité réciproque et désintéressée transforme en ami. Dans la deuxième nouvelle, Ghino di Tacco, un noble seigneur qui a dû, par les revers de la fortune, devenir brigand, se retrouve pardonné et élevé à un haut rang par le pape, grâce à la médiation de l’abbé de Cluny, que Ghino avait jadis enlevé, mais aussi soigné, avant de le libérer. Ainsi commente Elissa, avant de raconter sa nouvelle :
Gracieuses amies, avoir été un roi magnifique et avoir montré sa magnificence envers son serviteur est une grande action digne de louange, on ne peut le nier, mais que dirons-nous d’un homme d’Église qui usa d’une admirable magnificence à l’égard de quelqu’un que personne ne l’aurait blâmé de traiter en ennemi ?16
15Ce qui est ici expressément considéré comme « un miracle » est l’excès de générosité vers un ennemi, au lieu de la plus prévisible chaîne de vengeance qui caractérise en particulier la conduite ordinaire du clergé17. La largesse désintéressée de Ghino, qui a reconnu en son prisonnier un homme de mérite, crève l’accès de colère de l’abbé, lequel peut repartir libre avec tous ses biens. Bien plus : elle suscite une confiance, non dépourvue de risque, qui pousse l’abbé à demander au Pape de réintégrer Ghino dans son rang. La magnificence désintéressée corrige les aléas de la fortune et se soustrait au calcul des gains et des pertes, tandis que la confiance permet aux deux ennemis de nouer une véritable amitié, là où il n’y avait d’abord que soupçon et mépris. C’est la magnificence qui transforme la compétition en coopération, ce que le magnanime, dans sa vertu solitaire et dédaigneuse, ne peut accomplir.
16La mise à l’écart du magnanime implique également l’abandon de sa conduite à l’égard d’autrui, dirigée par l’appréciation sévère des mérites des uns et des autres, à partir de la valeur absolue conférée à soi-même. Car l’amitié généreuse pour l’ennemi ne rompt pas seulement avec l’indiférence que le sage stoïcien affiche aussi bien à l’égard du plus fort que du plus faible, mais aussi de la charité thomasienne. Thomas d’Aquin, en efet, répondit à la question : « Doit-on aimer de charité ses ennemis ? », en se livrant à des distinctions méticuleuses qui tendent à encourager un attachement parcimonieux et conditionné, lequel n’a pas la nature désintéressée et excessive du lien entre Ghino et l’abbé. Thomas distingue entre l’amour intérieur envers les ennemis pris en général, qui est une obligation morale, et l’amour à l’égard d’un ennemi en particulier, qui n’est qu’une disposition de l’âme18. De la sorte, les ennemis ne sont pas aimés en tant qu’ennemis, mais en tant qu’êtres humains.
17En revanche, Ghino et l’abbé se lient d’une amitié particulière qui naît presque nécessairement de l’appréciation équitable de leur valeur spécifique, sans déboucher dans une rivalité. Tandis que l’amitié pour l’ennemi trouve, chez Thomas, son fondement dans l’amour de Dieu, étant donné qu’autrui n’est aimé que pour Dieu19, Ghino et l’abbé n’ont pas besoin d’un tiers : leur solidarité est l’issue de leur reconnaissance réciproque qui considère le prochain de manière autonome et non comme dépendant de l’amour pour une instance supérieure. Qui plus est, c’est leur amitié qui fait changer d’avis le vicaire de Dieu sur terre.
6.1.3. La confiance à outrance
18Si le magnifique l’emporte nettement sur le magnanime aristotélicien, en exhibant la faiblesse du dispositif de l’estime de soi face à l’absence de reconnaissance et aux coups de la fortune, trois nouvelles montrent les défaillances de la morale des bienfaits que les philosophes romains avaient cherché à grefer sur la conception stoïcienne des biens secondaires, considérés comme des valeurs indiférentes, mais préférables. Si le besoin de reconnaissance sape la supériorité supposée du magnanime aristotélicien, l’introduction des biens préférables compromet l’autonomie du sage stoïcien et ruine les rapports interpersonnels dans la communauté accablée par le fléau de la peste. Le pouvoir destructeur de l’épidémie, aussi bien physique que morale, transforme la logique des bénéfices en la poursuite de l’intérêt propre aux dépens d’autrui. De la sorte, la fides, la confiance ou croyance, garantissant l’échange équitable entre la dette et le crédit, le prêt et la possession, se trouve minée, laissant libre cours à la méfiance, la tromperie, la fraude.
19C’est pourquoi les nouvelles, ci-dessus mentionnées, contrecarrent manifestement l’échange mesquin des bénéfices et des intérêts, par une pratique démesurée de la fides, c’est-à-dire du réseau de notions qui signifie à la fois la confiance, la fidélité, la loyauté et la croyance. La nature généreuse de la confiance ne permet pas seulement de remédier à une économie stricte des bienfaits, dirigée par l’amour-propre, afin de sauvegarder les pactes qui structurent la société. Elle est surtout créatrice des liens afectifs solides et inédits qui ne recherchent ni la gratitude ni le profit. Car la confiance, exercée à outrance, n’est pas donnée sur la base des attentes raisonnables, qui mesurent la faisabilité et la fiabilité du contrat, calculant par avance un possible gain. Au contraire, son pouvoir performatif engage une croyance par anticipation, comme si elle était déjà réalisée.
20Il apparaît clairement, dans ces nouvelles, que la confiance excessive est considérée comme le fondement de la véritable morale des bienfaits qui devrait être en tant que telle désintéressée. Elle permet également de recomposer l’entier paysage afectif. Cette conviction est exprimée avec force par rapport à deux passions très significatives, souvent entremêlées dans l’économie narrative du Décaméron : le désir de pouvoir, avec ses abus ; la concupiscence amoureuse, avec son inconvenance. Dans la sixième nouvelle, le Roi Charles l’Ancien voudrait profiter de son pouvoir pour jouir d’une des deux jeunes beautés, les filles d’un de ses sujets loyaux. En tant que souverain, il pourrait imposer son choix. Toutefois, le Comte Guido morigène le roi. Son pouvoir doit être magnifique, non magnanime, au sens où il ne lui est pas permis de se conduire « en loup rapace », en trahissant la confiance de ses sujets afin de prendre possession de leurs biens. Le roi doit donc maîtriser l’incontinence de son désir, car :
Vous qui devez corriger les autres, sachez vaincre et refréner cet appétit et ne veuillez point ternir la gloire que vous avez acquise20.
21Le roi est si durement frappé par ces justes reproches qu’il prend la résolution de vaincre sa convoitise au prix d’eforts considérables. Si la honte est le sentiment qui inaugure en partie l’entrée en société, la magnificence permet de renverser de fond en comble les abus du pouvoir, et d’établir des rapports de loyauté qui ne sont pas dépendants de la seule autorité. Le roi décide de marier « magnifiquement » les deux demoiselles et d’honorer leur père avec une grande libéralité. Charles se conduit comme un véritable sage stoïcien : il se maîtrise soi-même et endigue ses désirs par une discipline sévère. Le conseil du Comte Guido est fort avisé : c’est par l’exercice du jugement réfléchi que l’on peut vaincre les passions.
22Pourtant, plus que la maîtrise de soi c’est la générosité désintéressée qui caractérise la conduite de Charles. Elle établit un lien inédit de loyauté avec autrui, plus étroit que le nœud de la simple obligation formelle. Le roi ne doit imposer la fidélité de ses sujets, mais la conquérir. Si, dans le geste de Charles, on peut sûrement apercevoir en arrière-fond les rapports médiévaux de fidélité entre un roi et ses vassaux, Boccace leur enlève un trait essentiel qui renvoie à la logique des bienfaits : l’obligation de la gratitude. C’est ainsi que le roi n’est pas tant magnanime que magnifique. Charles n’exige aucune marque de reconnaissance de la part du chevalier qu’il récompense d’ailleurs plus que sa loyauté et son rang le justifieraient :
Ainsi donc sut agir le roi magnifique, récompensant hautement le noble chevalier, comblant d’honneurs les jeunes filles aimées et restant victorieux de soi-même21.
23La récriture de la fides chevaleresque est également l’objet de la nouvelle suivante, qui raconte l’amour socialement impossible de Lisa, la fille d’un apothicaire, pour le roi Pierre. La jeune femme tombe malade de désespoir, mais le roi, ayant su la cause de sa maladie, la réconforte et lui promet de la marier à un noble jeune homme. Il se déclare finalement son chevalier servant : il portera les enseignes de la jeune femme dans tous ses faits d’arme. Encore une fois, le roi se conduit avec largesse, mais l’âme vraiment magnifique, c’est Lisa. Bien que’elle sache qu’elle ne pourra jamais être aimée par le roi, elle résout sur le champ de se conformer toujours à la volonté de son roi :
… j’ai résolu de toujours me conformer à votre volonté ; c’est pourquoi, non seulement je prendrai volontiers un mari et chérirai celui qu’il vous plaira de me donner, qui m’apportera honneur et prestige, mais encore, si vous m’ordonniez d’entrer dans les flammes, croyant vous plaire, cela me serait agréable22.
24Une telle fidélité, amenant au sacrifice de soi, peut certes être exigée du paladin, lequel est censé servir corps et âme le roi. Mais ici le paladin est remplacé par une jeune fille modeste qui montre une fidélité et une abnégation bien au-delà des obligations qui lient un chevalier à son souverain. S’il est vrai que le roi entend récompenser l’amour que Lisa lui porte, en lui donnant un mari noble, les rapports de sujétion semblent inversés. Il ne s’agit pas en efet d’échanger la protection royale avec l’obéissance du sujet, mais de renverser le rapport d’autorité. Car le roi se définit comme le « chevalier » de la jeune dame, dont il portera les couleurs. Cet hommage ne signifie pas, à la diférence des us chevaleresques, que Lisa ait été ou soit sa maîtresse. Au contraire, cette coutume est adoptée pour exprimer la chasteté de l’afection réciproque, qu’un baiser pudique, donné avec le consentement de la reine, ne fait que sceller.
25Peu importe cependant à Lisa d’avoir un mari fortuné, étant donné qu’elle est prête à se jeter dans les flammes pour le roi. La beauté du geste magnifique, qui ne prend point en considération les avantages ou les désavantages de son accomplissement, non plus que l’espoir d’obtenir un gain, définit la conduite de Lisa. Si le paladin peut se sacrifier pour sauver son roi, Lisa est prête à le faire seulement pour lui faire plaisir. La loyauté, qui est un aspect significatif de la fides, dépasse tout pacte de vasselage et ouvre l’espace pour des rapports inédits de fidélité et confiance.
26Etroitement liée à la fides est la crédibilité, se traduisant surtout par l’injonction morale de tenir ses promesses. Par définition, la fidélité à la parole donnée se soustrait au calcul des pertes et des profits ainsi qu’aux prétentions de l’amour-propre. Tout au long du Décaméron, la tromperie, la méfiance, le mensonge, l’infidélité ont marqué le primat des passions tristes. Or, dans la cinquième nouvelle de la dernière journée, non seulement la promesse est mise en valeur, mais elle est aussi maintenue aux dépenses de l’intérêt propre. Ici, un amoureux aussi transi qu’obstiné, Ansaldo, arrive à établir un pacte avec Dianora laquelle, ne l’aimant point, cherche à se débarrasser de lui. Car la dame promet qu’elle cédera à Ansaldo, s’il était en mesure d’agencer en hiver un beau jardin fleuri comme au printemps. C’est sans compter que les amants fastidieux ont plus d’un tour dans leur sac. Ansaldo réussit son pari grâce au concours d’un mage. Le mari de Dianora, Gilberto, s’étant aperçu de la tristesse de sa femme, lui en demande la cause. Dianora avoue alors avoir établi un pacte saugrenu avec Ansaldo. Son mari se met très brièvement en colère, reprochant à sa femme la légèreté avec laquelle elle a engagé sa promesse. Toutefois, Gilberto, en reconnaissant que Dianora a agi par ingénuité, lui accorde de céder à Ansaldo, tout en gardant la fidélité conjugale de son âme :
Tu as donc eu tort, d’abord en écoutant, puis en acceptant un tel contrat. Mais comme je connais la pureté de ton cœur, pour te libérer de la promesse que tu as faite, je vais t’accorder ce que probablement aucun autre ne ferait ; d’ailleurs je redoute l’art de ce magicien, par qui messir Ansaldo, si tu trompais son attente, nous enverrait peut-être quelque mal. Je veux donc que tu ailles le trouver et, si tu le peux de quelque façon, eforce-toi, en préservant ton honnêteté, de te dégager de ta promesse ; si cela ne se pouvait, pour cette fois accorde-lui ton corps, mais non ton âme23.
27Deux raisons motivent la décision de Gilberto : la peur des représailles de la part du magicien et la conviction morale selon laquelle il faut rester fidèle à ses promesses. Dianora se rend chez Ansaldo et lui révèle que la raison de sa venue n’est ni l’amour de son hôte, ni la promesse qu’elle a auparavant proférée, mais l’injonction de son mari. Ansaldo est si ému par une telle libéralité que sa convoitise cède soudainement à un sentiment de compassion et d’amitié pour le mari. Il laisse alors rentrer la dame chez elle. Qui plus est, le mage, venant à connaissant de la libéralité avec laquelle l’un a renoncé à son honneur, l’autre à sa passion, veut également faire preuve de largesse et refuse d’être récompensé pour la création du jardin.
28Puisque la promesse à la parole donnée est tenue contre ses propres intérêts, elle rompt avec tout échange en vue d’un profit et établit des rapports inédits de respect et de fidélité. Non seulement les personnages ne cherchent plus à obtenir un surcroit, mais renoncent à ce qui leur est dû. C’est le principe même de l’échange entre la dette et le crédit qui est ruiné. Ce qui dans bien d’autres nouvelles avait été l’occasion de tromperies et d’innombrables beffe, liées à l’adultère, se retourne ici dans l’établissement des pactes amicaux, qui sortent complètement de la logique des bienfaits. C’est justement le renoncement à tout bénéfice qui rend possible une tout autre sorte de générosité et de gratitude. Ainsi Dianora s’exclame-t-elle :
Connaissant votre manière de vivre, rien ne put jamais me laisser croire que de ma venue chez vous pourrait s’ensuivre autre chose qu’un tel geste, et j’en serai toujours votre obligée24.
29Or, l’homme confiant, mais non arrogant, est présenté par Cicéron comme la figure du sage. La confiance n’est pas seulement une modalité afective qui rompt avec la neutralité de l’apathie ou les parcimonieuses concessions émotives du sage25, mais une attitude cognitive qui sait, sous l’égide de l’espoir, anticiper les conséquences et les efets de manière raisonnable. Comme l’écrit Cicéron :
Et si la confiance ou la ferme sécurité de l’âme, est une forme de connaissance, une opinion sérieuse de celui qui ne donne pas son consentement au hasard, la peur est au contraire l’absence de confiance, due à l’attente d’un mal immanent, et si l’espoir est l’attente d’un bien, il est nécessaire que la peur soit l’attente d’un mal26.
30Toutefois, si l’anticipation confiante est, chez Cicéron, l’issue d’un jugement raisonnable et pondéré par rapport à ce qu’il faut suivre ou fuir, le réseau de notions propre à la fides qui structure les gestes de magnificence chez Boccace est caractérisé par la nature inconsidérée de sa générosité, qui élude toute évaluation établie avec mesure et circonspection. C’est par cette confiance à outrance que la logique compromissoire des bienfaits est ébranlée et que des liens affectifs originaux peuvent fideliter se nouer.
6.2. Une largesse excessive
6.2.1. Le dû et le don
31C’est cependant le retournement du dû en don qui sape définitivement la logique des bénéfices. Deux nouvelles de la dixième (la quatrième et la neuvième) journée du Décaméron mettent en scène notamment des gestes de magnificence, caractérisés par le renoncement à son propre bien et par la générosité démesurée du don. À l’accumulation des intérêts est opposée la désappropriation de ses biens légitimes, tandis que la largesse oublieuse de ses bienfaits est préférée à l’évaluation minutieuse des prêts, des dettes, des crédits ou des faveurs. L’excès de la magnificence se manifeste dans la substitution de ce qui est dû par la donation, laquelle arrive même à offrir le plus à celui qui mérite le moins.
32Si les nouvelles des rois Charles et Pierre corrigent la morale de la fides chevaleresque, le récit ayant comme protagoniste Saladin, en revanche, traite de la vertu courtisane par excellence, la courtoisie, qui sera l’un des mots d’ordre du mouvement humaniste. La courtoisie s’exprime ici dans l’hospitalité laquelle implique une série codée de bienfaits, qui ne sont pas élargis en suivant les conditions d’un contrat, mais les us et coutumes d’une certaine urbanité. Dans la neuvième nouvelle de Boccace, messire Torello accueille avec beaucoup de faste Saladin, qu’il croit être un simple marchand, le sultan voulant garder l’anonymat. Par la suite, Torello doit partir en croisade et fixe un délai à sa femme pour se remarier, s’il ne devait pas revenir. Puisqu’il est fait prisonnier en Orient, mais reconnu par Saladin, il est libéré et comblé de tous les honneurs. Cependant, Torello obtient du Sultan de rentrer chez lui juste avant que le délai ne soit passé et que sa femme ne soit obligée par les parents à se remarier. Il renonce de la sorte à gouverner de concert avec le sultan lui-même. Le sultan est donc un souverain magnifique, mais Torello exerce une plus grande largesse : il sait donner avec magnificence, sans connaître la véritable identité de Saladin, ainsi que refuser les bienfaits que celui-ci lui ofre, avec élégance, au nom d’un bien supérieur, l’amour fidèle pour sa femme.
33Ainsi la véritable courtoisie est-elle gratuite et ne tient pas compte des faveurs ofertes. Comme le souligne en conclusion Dioneo :
Ainsi donc prirent fin les mésaventures de messire Torello et de sa chère femme, et furent récompensées leurs joyeuses et promptes actions de courtoisie. Beaucoup de gens s’eforcent d’en faire, mais, bien qu’ils en aient les moyens, ils s’y prennent de si mauvaise façon qu’ils les font payer beaucoup plus cher qu’elles ne valent, avant même de les avoir faites. C’est pourquoi, s’ils n’en retirent point bénéfice, personne ni eux-mêmes ne doivent s’en étonner27.
34Que cet éloge de la courtoisie soit prononcé par Dione, c’est un élément digne d’être souligné pour deux raisons. Tout d’abord, par l’éclairage qu’il ofre sur le personnage de Dioneo lui-même. Celui-ci est le membre le plus cynique et espiègle de la compagnie, doué du don de la saillie spirituelle. Il est, en d’autres termes, l’incarnation de l’homme de cour, puisque ses boutades ne sont que, tout comme les beffe, des morsures de brebis qui ne font pas trop mal : de simples égratignures. Sa liberté de parole, comme il le reconnaît lui-même, ne vise à changer aucune situation en profondeur. Plutôt, elle est destinée à faire sourire une communauté qui se reconnaît dans les conventions de son urbanité.
35Ensuite, la nature du courtisan est caractérisée par la tension entre un idéal universel et une norme sociale. D’une part, l’homme de cour est censé exprimer au plus haut point les qualités de l’humanité, étant formé à l’étude des lettres anciennes. D’autre part, il incarne décidément les attentes sociales de la cour de sorte qu’il peut se réduire à se conduire comme un simple gentilhomme, instruit dans les conventions de la bienséance. Les reparties astucieuses de Dioneo semblent exprimer une telle contradiction : lui, homme de cour aussi brillant qu’impuissant, regrette amèrement l’absence d’une véritable courtoisie, à savoir d’une largesse qui ne soit pas prise dans la computation des services à rendre.
36Si l’absence d’une véritable courtoisie montre la faillite de la logique des bienfaits dans le milieu de la cour, la mort vient rappeler dans deux autres nouvelles que la vie, comme le soulignaient déjà Lucrèce ou Sénèque, est un bien accordé en usufruit et jamais en propriété. Dès lors, le calcul fastidieux des bénéfices apparaît comme dépourvu de sens.
37À cet égard, dans la quatrième nouvelle, Gentil de’ Carisendi, ayant trouvé sa bien-aimée, qui ne l’aime point, donnée pour morte et enterrée par sa famille, la réveille et la soigne honnêtement chez lui, jusqu’au moment où elle accouche l’enfant qu’elle portait. Gentil demande alors expressément à la dame de récompenser le bénéfice qu’elle a reçu (le réveil à la vie), en restant secrètement avec lui jusqu’à l’accouchement :
Mais le bienfait que vous avez reçu cette nuit mérite quelque récompense. C’est pourquoi je vous prie de ne pas me refuser la grâce que je vais vous demander28.
38Gentil semblerait donc suivre les dispositions propres aux échanges des bénéfices. Toutefois, il s’agit d’une procédure explicite de retournement de ce qui est dû en don. Car, comme le souligne Gentil tout de suite après :
La raison pour laquelle je vous fais cette requête est que j’ai l’intention de faire de vous le don le plus précieux et solennel à votre époux, en présence des meilleurs citoyens de cette ville29.
39La mort présupposée de l’aimée a changé Gentil lui-même. Il s’est transformé d’amant dépourvu de scrupules, prêt à profiter du cadavre de Dame Catalina pour lui voler quelques baisers30, en homme compatissant. Après avoir réuni la famille de la dame, et l’avoir poussée à reconnaître qu’une chose abandonnée par négligence appartient à celui qui la trouve et s’en occupe, Gentil montre la femme et l’enfant, pour qu’ils puissent retrouver le mari et le père légitimes. Toutefois, il souligne qu’il serait en droit de garder les deux, s’il suivait les raisons de son intérêt et de ce qui lui serait dû. Mais Gentil rompt avec cette logique, en ofrant la dame et l’enfant comme un don :
Lève-toi, compère : je ne te rends point ta femme, que ta famille et la sienne abandonnèrent, mais je veux te faire don de cette femme et de son fils…31.
40La conduite de Gentil renverse la logique des bénéfices, en affirmant le primat du don sur le dû, en mettant fin ainsi à toute négociation possible. Pourtant, elle demeure ambiguë. La libéralité de Gentil consiste à restituer ce qu’il avait volé, sous l’espèce d’un don et non d’un rendu. Car le voleur est devenu, par la négligence du premier possesseur, le propriétaire légitime. Comme le rappelle Lauretta, à la fin de son récit :
Jeune et ardent (i. e. Gentil), alors qu’il lui semblait avoir acquis plein droit de posséder la personne que la négligence d’autrui avait abandonnée et que lui par chance avait recueillie, non seulement il modéra honnêtement sa flamme, mais il restitua à la fin en toute libéralité ce qu’il désirait de toutes ses forces et cherchait à dérober32.
41La restitution d’un don est manifestement une expression contradictoire, mais montre que les modalités de l’échange des bénéfices se révèlent fort douteuses. Seule la largesse inconditionnelle permet de sortir d’une telle ambiguïté, parce qu’elle ôte aux bienfaits leur raison d’être. Elle se soustrait à toute appréciation comparative et se débarrasse des biens, du pouvoir, des intérêts, voire de ce qui est dû.
6.2.2. Le déséquilibre de l’amour-propre
42Pourtant, les conteurs de la dixième journée ne semblent pas avoir complètement abandonné toute forme de rivalité. Chacun estime que son propre récit présente un acte de magnificence plus grand que les précédents33, comme si la largesse elle-même était sujette à la logique de la compétition34.
43À cet égard, Boccace ne remet pas seulement en question la magnanimité d’origine aristotélicienne, désireuse de reconnaissance, ainsi que la grandeur d’âme du sage stoïcien, pris dans les contradictions de la logique des bienfaits, mais il montre aussi la nature sournoise de l’amour-propre. Celui-ci, étant le fondement de la recherche de l’intérêt propre, peut ruiner l’amitié la plus sincère ainsi que l’action la plus vertueuse. Dans ce cadre, Boccace s’attache à mettre en scène les infortunes du désir (fût-il vertueux) d’être le meilleur, sinon le seul. La question inédite est ici la suivante : n’est-il pas contradictoire d’être compétitif dans la vertu, ici dans la magnificence ?
44Deux nouvelles sont, à ce propos, particulièrement significatives : la huitième, racontant l’amitié entre Gisippe et Titus Quintius Flavius35, et la quatrième, concernant la rivalité entre Mitridanes et Natan en matière de vertu36. Apparemment, les deux contes mettent au premier plan la nature désintéressée et excessive du don, de sorte que la largesse va jusqu’au sacrifice du bien le plus précieux, la femme aimée ou sa propre vie. Toutefois, les deux récits présentent des éléments qui ne cadrent pas avec ce point de vue, suscitant même un certain malaise.
45Quant à l’amitié entre Gisippe et Titus, nul ne peut douter qu’elle ne fût exemplaire, comme le souligne Fiammetta37 :
Très sainte est donc l’amitié, digne non seulement d’un singulier respect, mais d’une perpétuelle louange, comme sage mère de magnificence et de honnêteté, sœur de gratitude et de charité, et ennemie de haine et d’avarice, toujours prête, sans attendre qu’on la prie, à faire vertueusement en faveur d’autrui ce que l’on voudrait pour soi-même. Si aujourd’hui ses admirables efets ne se manifestent que de très rares fois entre deux hommes, la faute et la honte en reviennent à la misérable cupidité des mortels ; celle-ci, considérant uniquement son propre intérêt, a relégué désormais l’amitié hors des confins du monde en perpétuel exil38.
46On dit donc explicitement qu’une telle amitié s’oppose à la poursuite de son propre intérêt. Elle ne recherche pas l’utilité et retourne drastiquement les conditions de réciprocité de l’amitié antique, dans laquelle l’ami est aimé comme un autre soi-même. L’amitié est ici, par contre, la capacité de se mettre à la place de l’autre et de lui ofrir ce qu’il aimerait recevoir, c’est pourquoi la notion de charité est évoquée. Toutefois, l’accent tombe sur la nature magnifique de l’amitié, dont la relation souligne l’excellence de la chose oferte, ou du geste, plus que la grandeur du sujet donateur. C’est pourquoi l’amitié est magnifique et non magnanime. Titus et Gisippe semblent bien correspondre au modèle idéal cicéronien : ils partagent les mêmes goûts, ils se fient l’un à l’autre, semblent par moments former un seul être39.
47Pourtant, une telle amitié magnifique n’est pas dépourvue d’équivocité. D’une part, pour Cicéron, elle peut être délaissée pour le bien de l’État40, de même que le magnifique peut accumuler les biens extérieurs de manière désintéressée, pour le bénéfice de l’intérêt public. D’autre part, elle n’échappe point à la comptabilité des bienfaits, puisque :
En toute circonstance tu dois considérer ce que tu peux demander à un ami et ce que tu permets que l’ami obtienne de toi41.
48Titus cultive, au début, une largesse modérée. Si la ressemblance est la condition de l’amitié et s’il convient d’élever les amis qui nous sont inférieurs, il n’en demeure pas moins qu’on « doit donner ce que l’on peut »42. Une fois tombé amoureux de la fiancée de l’ami, Titus s’interroge en fait sur ce qu’il est en droit d’obtenir de son ami. Le critère réglant l’échange semble être l’amourpropre ou l’estime de soi. Plusieurs signes indiquent que Titus croit être meilleur que, voire supérieur à Gisippe.
49En premier lieu, Titus est, tout comme les autres étudiants de philosophie du Décaméron, Guido ou Rinieri, un personnage équivoque. Il semble être une âme grande et généreuse, mais il ne sait pas résister aux afres de la passion amoureuse. Il se livre à des disputes dialectiques intérieures, par lesquelles il continue ses exercices de philosophie, en examinant le pour et le contre à propos de la légitimité de son amour pour la fiancée de l’ami. La controverse oppose les lois naturelles de l’amour et de la jeunesse, dont les revendications traversent maintes nouvelles du Décaméron, ainsi que la fidélité de l’amitié :
‘Il ne faut pas que tu consentes à cet amour, cela n’est pas honnête. Même si tu étais certain de l’obtenir, car en fait tu ne l’es point, ce que tu te disposes à rechercher, tu devrais le fuir, si tu considérais ce qu’exige la véritable amitié et ce qui est ton devoir’... Mais ensuite, au souvenir de Sophronie, se retournant en sens contraire, il réfutait tout ce qu’il venait de dire : ‘ Les lois d’amour sont plus puissantes que toutes les autres : elles efacent, non seulement celles de l’amitié, mais encore les lois divines43’.
50Cette dispute n’aboutit à aucune délibération. Titus a beau invoquer les « yeux de l’intellect », ses leçons de philosophie à Athènes n’ont pas été intégrées dans une forme de vie constante. La sagesse est manifestement l’issue d’un chemin ardu, dont les obstacles les plus difficiles sont érigés par l’amour-propre. Car, parmi les arguments que Titus présente pour tromper la confiance de son ami, prime la conviction d’être bien supérieur à lui, au point que le pauvre Gisippe devrait être content de céder la belle à un être meilleur que lui :
C’est la faute de la fortune qui l’a accordée à Gisippe, mon ami, plutôt qu’à un autre ; et si elle doit être aimée, et à juste titre pour sa beauté, Gisippe en l’apprenant doit se réjouir que ce soit moi qui l’aime plutôt qu’un autre44.
51La conviction de cette supériorité apparaît plus nettement dans la série d’arguments que Titus présente au courroux de la famille de Sophronie, trompée par l’échange des époux. Le dispositif de l’argumentation de Titus est l’argument juridique « à plus forte raison », qui s’appuie à la fois sur la ressemblance entre deux éléments, qui peuvent donc être comparés, et sur la supériorité de l’un des deux, auquel une certaine propriété commune peut être attribuée de manière éminente. Bien qu’il lui répugne de se comparer avec son ami, il s’adonne avec zèle à cet exercice afin de montrer aux parents de la dame consternés que non seulement les deux amis ont les mêmes qualités, mais que lui, Titus, les possède de manière excellente. Ainsi la jeune femme a-t-elle encore plus de raison d’avoir épousé Titus à la place de Gisippe : elle a gagné un surcroît dans l’échange :
… j’aime mieux me limiter à des raisons purement humaines, voulant en traiter il me faudra faire deux choses tout à fait contraires à mes habitudes. L’une sera de faire, dans une certaine mesure, mon propre éloge ; l’autre, de dénigrer autrui, voire de le rabaisser. Mais, comme je n’entends pas m’éloigner du vrai, ni pour l’une, ni pour l’autre, et que le débat présent l’exige, je vais malgré tout le faire45.
52On ne pourrait pas mieux appliquer le dicton, tiré d’Aristote, chéri par les philosophes universitaires, affirmant que l’on aime plus la vérité que les amis46. Titus décline avec talent-à quelque chose l’enseignement de philosophie a été bon-la comparaison avec l’ami : les deux sont philosophes, jeunes, nobles et aiment la jeune femme. Mais Titus est encore plus noble et encore plus aimant que Gisippe. Bien plus, Titus est romain, citoyen d’une cité libre, tandis que Gisippe est citoyen d’Athènes, donc d’une ville subordonnée. Gisippe est présenté par son ami, somme toute, comme un être inférieur. Par ailleurs, la noble oraison se conclut par la force de persuasion propre à la menace : Titus peut nuire lourdement à la famille de Sophronie, si elle refusait le mariage. Tous ne sont pas sensibles aux arguments philosophiques.
53Face à cette déferlante manifestation d’amour-propre, Gisippe demeure l’ami fidèle et timide, aimant l’autre plus que soi-même, convaincu de la supériorité de son ami romain. En renonçant à Sophronie, il affirme :
Sophronie sera donc à toi, car tu ne trouverais pas aisément une autre femme qui te plaise autant qu’elle ; quant à moi, portant facilement mon amour ailleurs, je t’aurai rendu heureux et moi de même. Peut-être seraije moins libéral si les épouses étaient aussi rares et difficiles à trouver que les amis ; étant donné qu’il m’est très facile de trouver une autre épouse mais non pas un autre ami, je préfère (je ne dis pas la perdre, car ce ne sera pas la perdre que te la donner, mais à un autre moi-même je la transmettrai d’un bon à un meilleur), je préfère, dis-je, t’en faire le don plutôt que de te perdre47.
54Certes, Titus évolue au cours de la nouvelle et fait montre finalement de largesse, au péril de sa vie. Toutefois, plus que l’amitié c’est la gratitude qui le pousse, comme il l’avait lui-même souhaité :
Fassent les dieux qu’il me soit possible pour ton honneur et ton bien, de te prouver ma gratitude pour ce que tu accomplis en ma faveur, toi qui es plus compatissant envers moi que je ne l’étais moi-même48.
55Manifestement les deux amis ne s’aiment pas de la même afection. Titus est l’ami magnanime, imbu de son talent philosophique, rapportant tout à soi-même, convaincu de sa supériorité. Gisippe est, par contre, l’ami magnifique, généreux et modeste, se mettant efectivement à la place d’autrui. La ressemblance qui, depuis Cicéron, est considérée comme la condition de l’amitié est remise en question. Car l’amour-propre introduit un déséquilibre qui affecte tout rapport, y compris l’amitié la plus sincère. C’est pourquoi l’amitié ne peut être, pour Boccace, à la diférence de Cicéron, le modèle pour repenser le lien interpersonnel49. L’amitié est toujours menacée par l’amour-propre.
6.2.3. Le meilleur des vertueux
56C’est dans la nouvelle de Mitridanes et de Natan que l’amour-propre est intimement lié à la conduite vertueuse. La vertu elle-même peut être considérée comme un bien pouvant accroître l’estime de soi, étant intégrée dans une logique de rivalité, où être le meilleur signifie-ici comme ailleurs-être le seul. Le désir, apparemment louable, d’être le plus vertueux peut, tout aussi bien que la colère, camoufler sous des nobles revendications un amour déplacé de soi.
57Natan est un noble seigneur chinois dont la renommée tient à sa largesse inconditionnée. Mitridanes, vivant à quelques lieues de Natan, est jaloux d’une telle réputation. Il cherche donc à se conduire de manière encore plus généreuse, mais il doit reconnaître à son corps défendant que sa libéralité n’arrive pas à dépasser la largesse de son rival en vertu. Ne supportant plus de ne pas être le meilleur des magnifiques, il décide de tuer Natan. Il part, déguisé. Une fois arrivé dans la contrée de Natan, il le rencontre par hasard, sans pouvoir le reconnaître. Natan cache lui aussi, par une inspiration soudaine, son identité. Devenus amis, Mitridanes avoue finalement la raison de sa venue. Natan, un moment décontenancé, lui donne un renseignement précieux, lui indiquant le lieu où il pourra en toute tranquillité tuer sa victime ainsi que le chemin par où il pourra fuir. Le lendemain, Mitridanes surprend Natan dans le bois, où il a l’habitude de se promeneur seul. Alors qu’il s’apprête à le tuer, il le reconnaît soudain au son de sa voix. Sa fureur tombe instantanément, laissant place à une honte si douloureuse qu’il supplie Natan de le tuer sur le coup. Mais Natan refuse de se venger et, de surcroît, conforte doucement Mitridanes, lequel apprend ainsi à accepter la supériorité du sage chinois, sans plus l’envier.
58De prime abord, on pourrait souligner le courage de Natan, qui poursuit jusqu’au bout son action vertueuse, sans se laisser détourner par la peur de la mort. À cet égard, on peut rappeler que la magnanimité est, pour Thomas d’Aquin, étroitement liée au courage. Celui-ci réside dans la résolution de mener à bien l’action vertueuse, en dominant la peur de la mort, laquelle est la cause principale du dévoiement de la vertu. Toutefois, chez Thomas, le courage du magnanime dépend de l’espoir, voire de la certitude donnée par l’attente d’un bien supérieur, à savoir la rencontre avec Dieu après la mort, ce dont justement le martyr chrétien témoigne.
59Mais Natan n’est pas par hasard présenté comme « chinois », appartenant à une culture religieuse bien étrangère au christianisme. Il ne mentionne aucune forme d’espérance que ce soit. En acceptant de mourir, pour ne pas contredire son intention d’être toujours généreux, Natan fait montre de résolution et de fermeté, mais non pour les raisons qu’évoquait Thomas d’Aquin. Le sage chinois ne se départit pas de sa vertu, en attendant avec espoir et certitude de se retrouver face à face avec Dieu, mais tout simplement pour ne pas se désavouer soi-même. Une conduite vertueuse est cohérente dans la durée, ou bien elle n’est point vertueuse. Une telle maîtrise de soi, dépourvue de concession et ne supportant aucune indulgence avec soi-même, rapproche Natan plus du sage stoïcien que du martyr chrétien. Pourtant, le discours tenu par le sage chinois à Mitridanes, déconfit par la honte, est à bien des égards déroutant, c’est pourquoi Natan ne peut pas être interprété comme l’expression de la fermeté stoïcienne.
60Natan présente, en efet, une série d’arguments pour expliquer à un Mitridanes abasourdi les raisons de son excès de largesse. Les deux premières raisons concernent le geste de Mitridanes, les autres motifs renvoient à la conduite de Natan. Tout d’abord, Natan estime que Mitridanes n’était pas mû par la haine, mais par le désir d’être considéré comme le plus vertueux. La motivation de son geste n’était pas mauvaise. Ensuite, il reconnaît que le désir de renommée a toujours poussé les rois à semer la destruction, de sorte que le meurtre d’une seule personne n’est pas grand-chose, toute comparaison faite. Précisément :
Mon fils, pour ton dessein, de quelque façon que tu veuilles l’appeler, mauvais ou autrement, il n’est pas besoin de demander ni d’accorder le pardon, car tu ne voulais point l’accomplir par haine, mais afin de pouvoir être tenu pour meilleur … N’aie pas honte non plus d’avoir voulu me tuer pour devenir célèbre et ne crois pas que je m’en étonne. Les plus hauts empereurs et les grands rois n’ont presque jamais étendu leurs royaumes, et par conséquent leur renommée, autrement que par l’art de tuer, non point un seul homme comme tu voulais le faire, mais un nombre infini, en brûlant des contrées entières et en détruisant les villes. De sorte que, si tu voulais acquérir plus de gloire en me tuant moi seul, ce n’étais pas une chose étonnante ni nouvelle que tu faisais, mais d’un usage très courant50.
61Ce discours, sous son indulgence étonnante, invite Mitridanes à prendre conscience de la véritable motivation de son désir d’être vertueux. Natan adopte d’abord le point de vue de son rival, pour en faire ressortir de l’intérieur les contradictions. Il démasque avec douceur la raison profonde qui meut Mitridane : son désir d’être le meilleur, qui mène à vouloir être le seul, selon la logique interne à la recherche de la renommée, est mû par un amour déplacé de soi. Qu’il s’agisse de primer dans la vertu ou dans le vice, les dispositifs de comparaison et de rivalité reviennent au même. Ce qui peut encore faire la diférence est le nombre de victimes. Les rois n’hésitent pas à décimer les populations, c’est pourquoi l’assassinat d’une seule personne n’est, eu égard à la méchanceté des grands seigneurs, qu’un moindre forfait.
62Dans le discours de Natan résonne la conviction de Sénèque à propos de la colère. L’homme se trompe souvent sur ses motivations, même les plus apparemment louables. Par contre, le sage prend en compte, comme le général expérimenté, tous les intentions méchantes qui sont, somme toute, prévisibles. Pourquoi s’étonner avec candeur qu’un ami nous déçoive ? Se demandait Sénèque. Pourquoi perdre contenance si quelqu’un veut nous tuer pour passer pour le meilleur des vertueux ? souligne Natan. Qu’à cela ne tienne.
63Pourtant, le sage chinois, à la diférence du sage stoïcien, ne se borne pas à se retrancher dans sa citadelle intérieure ou à chercher à guérir seulement ceux qui aspirent à la sagesse. Il œuvre, en fait, pour que même le plus fou des sots-car vouloir être tenu pour le meilleur des vertueux est folie-prenne conscience de ses motivations secrètes et convertisse ses dispositions morales. La conduite de Natan se départit alors radicalement de la vertu stoïcienne ainsi que de la magnanimité thomasienne par sa largesse magnifique. Celle-ci, et non sa magnanimité ou son courage, est ce qui motive chez lui l’insouciance avec laquelle il est disposé à mourir pour exaucer le désir, fût-il mesquin, de Mitridanes. Il déclare résolument que :
En effet, depuis que je fus mon propre maître et que je résolus d’accomplir ce que toi-même a entrepris de faire, jamais personne n’est venu dans ma maison que je ne lui aie donné la chose demandée, dans la mesure de mes moyens . Toi, tu es venu ici avec le désir de m’ôter la vie, de sorte qu’à ta requête, afin que tu ne sois pas le seul à partir d’ici sans être satisfait, tout de suite j’ai décidé de te donner ma vie et, pour que tu réussisses à l’avoir, je t’ai donné le conseil qui m’a semblé bon de façon que tu obtiennes ma vie sans perdre la tienne51.
64Cet argument, exposant les raisons de Natan, développe les conséquences extrêmes de la logique désintéressée de la largesse magnifique. Celle-ci se transforme en une capacité de donation, qui n’implique aucune condition préalable, c’est pourquoi elle peut faire fi de la vie elle-même. Par contre, les Stoïciens ont souvent revendiqué une avarice vertueuse, la magnificence pouvant dangereusement ressembler au gaspillage, à savoir à l’un des vices les plus exécrés52. Pour Thomas, la magnificence n’est d’ailleurs que la capacité de réaliser avec prudence et zèle des grandes œuvres, mais elle ne concerne pas explicitement la mort.
65Natan semble donc suggérer que son rival en matière de vertu demeure lié à la logique contradictoire des bienfaits, où le don lui-même n’est qu’un bénéfice parmi les autres, également soumis à des conditions, dont le ressort principal est l’utilité, voire son propre intérêt. On peut sans doute mieux comprendre le second et surprenant argument de Natan. Après avoir revendiqué une largesse magnifique qui ne prend pas en compte la valeur toujours très relative des biens, le sage chinois justifie son indiférence par rapport à la mort, en dépréciant sa propre vie. Celle-ci se trouve valorisée parce que quelqu’un veut la lui ôter, ce que personne n’a jamais exigé. La vie de Natan perdrait son prix si Mitridanes renonçait à la prendre, car plus le temps passe, plus la vieillesse dévalorise son existence :
Prends donc ma vie, si tu la désires, je t’en prie. Pendant toute mon existence, je n’ai pas encore trouvé quelqu’un qui l’ait voulue, et je sais quand j’en trouverai un autre si, toi qui la demandes, tu ne la prends pas. Et quand même il m’arriverait d’en trouver un autre, je sais que plus je la garderai, moins elle aura de valeur. Avant qu’elle ne perde de sa valeur, prends-la, je t’en prie53.
66Une acceptation aussi sereine de la nature comparative et fluctuante des valeurs, après avoir assumé en son nom une largesse désintéressée ne signifie certainement pas que Natan partage le point de vue de Mitridanes. Plutôt, de même qu’il avait auparavant adopté la perspective de l’amour-propre, pour en montrer de l’intérieur les contradictions, de même il révèle maintenant la nature absurde des conséquences que l’on peut tirer de la logique de l’intérêt, selon laquelle tout a un prix et peut faire partie du commerce des bienfaits.
67C’est en confrontant Mitridanes aux principes ainsi qu’aux déductions de ses propres raisonnements que Natan suscite chez l’aspirant meurtrier une nouvelle conscience morale. Celle-ci le conduit à refuser la dernière proposition du sage, à savoir d’échanger leurs noms et leurs rôles. Car Mitridanes, désormais dépourvu d’envie et lucide quant à ses propres motivations, reconnaît la situation :
Mais, comme il m’apparaît très certain que mes œuvres diminueraient la renommée de Natan, et que je n’entends point gâcher chez autrui ce que je ne sais pas accomplir en moi-même, je ne puis le prendre54.
68Pourtant, une pointe de malaise demeure. Si Natan assume provisoirement le point de vue de Mitridanes pour en montrer la nature inconséquente, il n’en reste pas moins que celui-ci ne lui est pas tout à fait étranger. D’une part, il le connaît assez bien pour pouvoir en imiter les arguments et dénoncer les dispositifs ; d’autre part, il montre un zeste d’amour-propre, lorsqu’il évalue la cherté de sa vie. Surout, il revendique avec fierté qu’il n’a jamais refusé quelque chose à quelqu’un. Ainsi le don de sa propre vie, que son rival en vertu réclame, est-il présenté comme l’expression d’une valeur supérieure, d’une autonomie farouche, qui ne supporte pas de recevoir quelque chose d’autrui. Décidément, Mitridanes ne peut pas rivaliser avec Natan :
Tu me feras faire alors pour toi ce que je n’ai fait pour personne, à savoir de prendre de toi quelque chose, car jamais je n’ai rien reçu d’autrui55.
69Somme toute, Natan garde quelque chose d’ambigu. Il est vrai qu’il prend radicalement congé du magnanime ainsi que du magnifique prudent, pour représenter une figure inédite : le généreux à outrance, désintéressé, qui donne sans poser des conditions préalables, sans s’attendre à un bien supérieur ou divin. Cependant, tout en dénonçant le fait que les actions apparemment vertueuses puissent être motivées par l’amour-propre et la recherche de son propre intérêt, Natan ne rompt pas complètement avec la conviction d’être le meilleur, bien qu’il sache que la plupart des fois ceci signifie vouloir être le seul. Bien plus, il évalue exactement le prix de sa vie ainsi que de sa mort dans le cours fluctuant des valeurs.
70Même le magnifique n’est pas à l’abri de l’amour-propre.
Notes de bas de page
1 Cf. F. Bausi, “Gli spiriti magni” ; K. Flasch, Vernunft und Vergnügung ; L. Rossi, “La Maschera della magnificenza amorosa : la decima giornata”, dans Introduzione, pp 267-289 ; P. Cerchi, L’Onestade e l’onesto raccontare del ‘Decameron’, Firenze, Cadmo, 2004.
2 D., p. 759 (p. 802).
3 En particulier, en langue vernaculaire magnifico traduirait la plupart des fois magnanime. Cf. les remarques de M. Corti, La felicità mentale, p. 47-48, reprises par F. Bausi, “Gli spiriti magni”, p. 209-212.
4 Les deux premiers aspects seront traités dans ce chapitre.
5 Qui sera traitée dans le chapitre suivant.
6 D., X, 1 et 2.
7 D., X, 5-7.
8 D., X, 4 et 9.
9 D., X, 5 et 8.
10 D., X, 1, p. 760 (p. 806) : “Dovete adunque sapere che, fra gli altri valorosi cavalieri che da gran tempo in qua sono stati nella nostra città, fu un di quegli, e forse il più da bene, messer Ruggieri de’Figiovanni ; il quale, essendo e ricco e di grande animo e veggendo che, considerata la qualità del vivere e de’costumi di Toscana, egli in quella dimorando poco o niente potrebbe del suo valor dimostrare, prese per partito di volere un tempo essere appresso a Anfonso re di Spagna, la fama del valore del quale quella di ciascun altro signor trapassava a que’tempi ; e assai onorevolmente in arme e in cavalli e in compagnia a lui se n’andò in Ispagna, e graziosamente fu dal re ricevuto”.
11 La renommée est donc essentielle au magnanime.
12 D., X, 1, p. 761 (p. 807) : “… e per ciò che a lui, che da quello che egli era si teneva, niente era donato, estimò che molto ne diminuisse la fama sua : per che di partirsi diliberò e al re domandò commiato”.
13 D., X, 1, 763 (p. 808). Ruggieri se plaint, en efet, que le roi n’ait pas rendu témoignage à sa vaillance.
14 D., X, 1, p. 763 (p. 809).
15 D., X, 1, p. 762 (p. 808) : “… e son presto di veder cio che vi piacerà, quantunque io vi creda senza testimonio”.
16 D., X, 2, p. 763 (p. 810) : “Dilicate donne, l’essere stato un re magnifico e l’avere la sua magnificenzia usata verso colui che servito l’avea non si può dire che laudevole e gran cosa non sia : ma che direm noi se si racconterà un cherico aver mirabil magnificenzia usata verso persona che se, inimicato l’avesse, non ne sarebbe stato biasimato da persona ?”.
17 D., X, 2, p. 763 (p. 811).
18 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 25, art. 8 et 9.
19 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 25, art. 8, réponse (p. 189) : « En efet, puisque la charité fait aimer le prochain pour Dieu, plus on aime Dieu, plus on témoigne d’amour envers le prochain, sans être arrêté par son inimitié ».
20 D., X, 6, p. 793 (p. 843) : “… e per ciò voi, che avete gli altri a correggere, vincete voi medesimo e questo appetito rafrenate, né vogliate con così fatta macchia ciò che gloriosamente acquistato avete guastare”. Cf. Sénèque, De Ira, III, XVIII, 1. Guido souligne qu’une telle concupiscence n’est pas digne d’un roi « magnanime », mais d’un « jeune homme pusillanime ».
21 D., X, 6, p. 794 (p. 844) : “Così adunque il magnifico re operò, il nobile cavaliere altamente premiando, l’amate giovinette laudevolmente onorando e se medesimo fortemente vincendo”. Il faut remarquer que la nouvelle souligne la loyauté du chevalier, laquelle serait, comme le dit le Comte, brisée par la conduite rapace du roi.
22 D., X, 7, p. 801 (p. 851-852) : “… così mi disposi di far sempre del vostro voler mio ; e per ciò, non che io faccia questo di prender volontier marito e d’aver caro quello il quale vi piacerà di donarmi, che mio onore e stato sarà, ma se voi diceste che io dimorassi nel fuoco, credendovi io piacere, mi sarebbe diletto”.
23 D., X, 5, p. 786 (p. 835) : “Male adunque facesti prima a ascoltare e poscia a pattovire ; ma per ciò che io conosco la purità dello animo tuo, per solverti da’legame della promessa, quello ti concederò che forse alcuno altro non farebbe, inducendomi ancora la paura del nigromante, al quale forse messer Ansaldo, se tu il befassi, far ci farebbe dolenti. Voglio io che tu a lui vada e, se per modo alcun non puoi, t’ingegni di far che, servata la tua onestà, tu sii da questa promessa disciolta : dove altramenti non si potesse, per questa volta il corpo ma non l’animo gli concedi”.
24 D., X, 5, p. 786 (p. 836) : “Niuna cosa mi poté mai far credere, avendo riguardo a’ vostri costumi, che altro mi dovesse seguir della mia venuta che quello che io veggio che voi ne fate ; di che io vi sarò sempre obligata”.
25 Comme la joie : cf. Sénèque, De Constantia (désormais abrégé par Sénèque, De Const.) dans Seneca, Moral Essays, éd. et tr. ang. de J. W. Basore, Harvard, Harvard University Press, Loeb Classical Library, vol. 2, 1932 ; tr. fr. dans Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius, IX, 2.
26 Cicéron, Tusc., IV, XXXVII, 80 : « Et si fidentia id est firma animi confisio, scientia quaedam est et opinio grauis non temere adsentientis, metus quoque est diffidentia expectati et impendentis mali, et, si spes est expectatio boni, mali expectationem esse necesse est metum ».
27 D., X, 9, p. 840 (p. 891) : “Cotale adunque fu il fine delle noie di messer Torello e di quelle della sua cara donna e il guiderdone delle loro liete e preste cortesie ; le quali molti si sforzano di fare che, benché abbian di che, sì mal far le sanno, che prima le fanno assai più comperar che non vagliono, che fatte l’abbiano : per che, se loro merito non ne segue, né essi né altri maravigliar se ne dee”.
28 D., X, 4, p. 778 (p. 827) : “Ma questo mio benificio operato in voi questa notte merita alcun guiderdone ; e per ciò voglio che voi non mi neghiate una grazia la quale io vi domanderò”.
29 D., X, 4, p. 779 (p. 827) : “E la cagione per che io questo vi cheggio è per ciò che io intendo di voi, in presenzia de’migliori cittadini di questa terra, fare un caro e uno solenne dono al vostro marito”.
30 D., X, 4, p. 777 (p. 825) : « Maintenant que tu ne pourras t’en défendre, puisque tu es morte, il me faut te dérober quelques baisers ». (“… per che, ora che difender non ti potrai, convien per certo che, cosi’morta come tu se’, io alcun bascio ti tolga”).
31 D., X, 4, p. 782 (p. 830) : “Leva sù, compare ; io non ti rendo tua mogliere, la quale i tuoi e i suoi parenti gittarono via, ma io ti voglio donare questa donna mia comare con questo suo figlioletto...”.
32 D., X, 4, p. 783 (p. 831) : “Il quale giovane e ardente, e giusto titolo parendogli avere in ciò che la tracutaggine altrui aveva gittato via e egli per la sua buona fortuna aveva ricolto, non solo temperò onestamente il suo fuoco, ma liberalmente quello che egli soleva con tutto il pensier disiderare e cercare di rubare, avendolo, restituì”.
33 Dans ce sens convergent les introductions et les conclusions de tous les récits, sauf la dernière.
34 Les conteurs soulignent constamment cette émulation compétitive : cf. par exemple les propos de Lauretta, commentant la nouvelle de Gentile : D., X, 4, p. 783 (p. 831) : « Estimerez-vous le fait qu’un roi ait donné sa couronne et son sceptre, ou qu’un abbé, sans qu’il lui en coûta, ait réconcilié un brigand avec le Pape, ou qu’un vieillard ait ofert sa gorge au coup de son ennemi, estimerez-vous, dis-je, que toutes ces actions puissent égaler ce que fit messire Gentile ?.... Certes, aucune des grandes actions déjà racontées ne me semble l’égaler ». (“Che adunque qui, benigne donne, direte ? Estimerete l’aver donato un re lo scettro e la corona, e uno abate senza suo costo aver riconciliato un malfattore al Papa, ou un vecchio porgere la sua gola al coltello del nimico, essere stato da aguagliare al fatto di messer Gentile ?… Per certo niuna delle già dette a questa mi par somigliante ”). Mais Emilia, après avoir raconté les vicissitudes d’Ansaldo, réplique, D., X, 5, p. 788 (p. 837) : « Que dirons-nous donc, amoureuses amies ? Allons-nous placer la dame à demi morte et l’amour déjà attiédi par la lassitude de l’espoir avant la libéralité de messire Ansaldo, alors qu’il aimait plus passionnément que jamais, brûlant d’une nouvelle espérance et qu’il tenait en son pouvoir la proie tant désirée ? Il serait sot, me semble-t-il, de croire que le précédent exemple de libéralité soit comparable à ce dernier ». (“Che direm qui, amorevoli donne ? Preporremo la quasi morta donna e il già rattiepidito amore per la spossata speranza a questa liberalità di messer Ansaldo, più fervementemente che mai amando ancora e quasi da più speranza acceso e nelle sue mani tenente la preda tanto seguita ? Sciocca cosa mi parrebbe a dover credere che quella liberalità a questa comparar si potesse”). Et voilà que la compétition dans le domaine de la libéralité aboutit à l’insulte !
35 D., X, 8. Cf. R. Hyatte, “Reconfiguring Ancient Amicitia Perfecta in the ‘ Decameron’X. 8”, Italian Quarterly 125-126, 1995, p. 27-37.
36 D., X, 3.
37 Titus, le fils d’un patricien romain, va à Athènes pour s’instruire, où il devient ami de Gisippe. Les deux sont inséparables et nourrissent le même amour pour la philosophie. Mais Titus a le malheur de tomber amoureux de Sophronie, la fiancée de Gisippe. Rendu malade par les tourments, il en avoue la cause à l’ami qui lui propose de se marier avec sa promise, en lui faisant croire qu’elle prend comme époux Gisippe. La ruse réussit et Titus s’en va à Rome avec sa femme. Gisippe, par contre, tombe en disgrâce et part chercher son ami à Rome, qui ne le reconnaît pas dans la rue. Bien pire : Gisippe est accusé par malchance d’un délit qu’il n’a pas commis. Toutefois, Titus, venu par hasard au prétoire, reconnaît finalement l’ami et affirme être le meurtrier, pour le sauver. Gisippe s’accuse à son tour, de sorte que le véritable assassin, ému par cette rivalité sacrificielle, reconnaît son crime. Gisippe est donc accueilli comme un frère chez Titus, dont il épouse la sœur, devenant ainsi citoyen romain.
38 D., X, 8, p. 820 (p. 870-871) : “Santissima cosa adunque è l’amistà, e non solomenta di singular reverenzia degna ma d’esser con perpetua laude commendata, sì come discretissima madre di magnificentia e di onestà, sorella di gratitudine e di carità, e d’odio e d’avarizia nemica, sempre, senza priego aspettar, pronta a quello in altrui virtuosamente operare che in sé vorrebbe che fosse operato ; li cui sacratissimi efetti oggi radissime volte si veggiono in due, colpa e vergogna della misera cupidigia de’mortali, la qual solo alla propria utilità riguardando ha costei fuor degli estremi termini della terra in essilio perpetuo rilegata”.
39 On peut comparer la description de leur amitié, p. 803 (p. 854) avec Cicéron, De Am., 6 (22) ; 9 (29) ; 21 (80).
40 Cicéron, De Am., 12 (22).
41 Cicéron, De Am., 20 (76) : « Atque in omni re considerandum est et quid postules ab amico et quid patiare a te impetrari ».
42 Cicéron, De Am., 20 (73) : « Tantum autem cuique tribuendum, primum quntum ipese efficere possis… ». Sur le rapport avec les inférieurs, ibid., 20 (71-72).
43 D., X, 8, p. 805 (p. 855-856) : “‘ Questo non si conviene che tu vuogli, questo non è onesto ; questo a che tu seguir ti disponi, eziandio essendo certo di giugnerlo, che non se’, tu il dovresti fuggire, se quello riguardassi che la vera amistà richiede e che tu dei’… E poi di Sofronia ricordandosi, in contrario volgendo, ogni cosa detta dannava dicendo : ‘ Le leggi d’amore sono di maggior potenzia che alcune altre : elle rompono non che quelle della amistà ma le divine’”.
44 D., X, 8, p. 805 (p. 856) : “Qui pecca la fortuna che a Gisippo mio amico l’ha conceduta più tosto che a un altro ; e se ella dee essere amata, che dee e meritamente per la sua bellezza, più dee esser contento Gisippo, risappiendolo, che io l’ami io che un altro”. Le fait de se nommer deux fois : « io… io » en dit long sur l’amour-propre !
45 D. X, 8, p. 812 (p. 862-863) : “… mi piace di condiscendere a’ consigli degli uomini ; de’ quali dicendo, mi converrà far due cose molto a’ miei costumi contrarie. L’una fia alquanto me commendare ; e l’altra il biasimare alquanto altrui o avvilire. Ma per ciò che dal vero né nell’una né nell’altra non intendo partirmi, e la presente materia il richiede, il pur farò”.
46 Aristote, EN, IX, 9, 1170b, 18-19.
47 D., X, 8, p. 809 (p. 859) : “Sarà adunque Sofronia tua, ché di leggiere altra che così ti piacesse non troverresti ; e io, il mio amore leggiermente a un’altra volgendo, avro’ te e me contentato. Alla qual cosa forse così liberal non sarei, se cosi’ rade o con quella difficulta’ le mogli si trovasser che si truovan gli amici : e per ciò, potend’io leggerissimamente altra moglie trovare ma non altro amico, io voglio innanzi (non vò dir perder lei, ché non la perderò dandola a te, ma a un altro me la transmuterò di bene in meglio) transmutarla che perder te”. À première vue, le sacrifice ne semble pas très pénible, les bons amis étant plus rares que les bonnes épouses. Cependant, Gisippe cherche, encore une fois, à protéger son ami.
48 D., X, 8, p. 808 (p. 860) : “Facciano gl’iddii, se esser può, che con onore e con ben di te io possa ancora mostrare quanto a grado mi sia ciò che tu verso me, più pietoso di me che io medesimo, adoperi”.
49 Nous l’avons déjà souligne : les amis sont dissous. Cf. supra, chap. 1.
50 D., X, 3, p. 773 (p. 821) : “Figliuol mio, alla tua impresa, chente che tu la vogli chiamara o malvagia o altrimenti, non bisogna di domandar né di dar perdono, per ciò che non per odio la seguivi ma per poter essere tenuto migliore … Né ti vergognare d’avermi voluto uccidere per divenir famoso, né credere che io me ne maravigli. I sommi imperadori e i grandissimi re non hanno quasi con altra arte che d’uccidere, non uno uomo come tu volevi fare ma infiniti, e ardere paesi e abbattere le città, li loro regni ampliati, e per conseguente la fama loro : per che, se tu per più farti famoso me solo uccider volevi, non maravigliosa cosa né nuova facevi ma molto usata”.
51 D., X, 3, p. 774 (p. 821) : “… poi che io nel mio albitrio fui e disposto a fare quello medesimo che tu hai a fare impreso, niun fu che mai a casa mia capitasse, che io nol contentasse a mio potere di ciò che da lui mi fu domandato . Venistivi tu vago della mia vita, per che, sentendolati domandare, acciò che tu non fossi solo colui che sanza la sua dimanda di qui si partisse, prestamente diliberai di donarlati, e acciò che tu l’avessi quel consiglio ti diedi che io credetti che buon ti fossi a aver la mia e non perder la tua...”.
52 À partir du bien précieux du temps-bref-de la vie : cf. Sénèque, De Breuitate uitae, dans Seneca, Moral essays, éd. et tr. ang. de J. W. Basore, vol. 2, 1932 ; tr. fr. dans Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius ; III, 1, passim.
53 D., X, 3, p. 774 (p. 822) : “Prendila adunque, se ella t’agrada, io te ne priego ; per ciò che, mentre vivuto ci sono, niuno ho ancor trovato che disiderata l’abbia né so quando trovar me ne possa veruno, se tu non la prendi che la dimandi. E se pure avvenisse che io ne dovessi alcun trovare, conosco che quanto più la guarderò di minor pregio sarà ; e però, anzi che ella divenga più vile, prendila, io te ne priego”.
54 D., X, 3, p. 775 (p. 822-823) : “… ma per ciò che egli mi pare esser molto certo che le mie opere sarebbon diminuimento della fama di Natan, e io non intendo di guastare in altrui quello che che in me io non so acconciare, nol prenderò”.
55 D., X, 3, p. 774-775 (p. 822) : “E farai a me fare verso di te quello che mai verso alcuno altro non feci, cioè delle tue cose pigliare, che mai dell’altrui non pigliai”.
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