Chapitre 5. Être une grande âme
p. 145-170
Texte intégral
5.1. Être désœuvré
5.1.1. Ne faire grand cas de rien
1La cruauté de Rinieri dévoile la fausse grandeur de l’estime déplacée de soi, qui justifiait la fierté des maîtres universitaires. Il montre également les conséquences néfastes de l’amour-propre qui cherche à singer la magnanimité. Mais la magnanimité n’est pas seulement la vertu que les maîtres universitaires revendiquaient pour eux-mêmes. Il caractérise surtout le portrait idéal du sage ancien, voire du philosophe. Car être un magnus animus signifie tout simplement être le meilleur1. Le magnanime est considéré comme l’homme qui exerce la comparaison des autres grandeurs à partir de son excellence propre, en possédant en lui la juste mesure. Puisqu’il est le meilleur, le magnanime peut juger de la petitesse et de la grandeur des autres choses, en établissant une hiérarchie. Par rapport à lui, qui est le plus grand, tous les autres biens sont des grandeurs plus petites. Il peut faire preuve de largesse ou de magnificence, en donnant plus à celui qui a moins, suivant son propre jugement.
2Que la dernière journée du Décaméron soit consacrée aux spiriti magni qui se sont conduits, en amour ou dans tout autre domaine, avec « largesse ou avec magnificence » (“liberamente o vero magnificamente”), exprime le désir de prendre position relativement à la déjà longue tradition de réflexion sur la grandeur d’âme. Car la réflexion sur la grande âme permet de penser ensemble d’une manière cohérente l’estime de soi, le rapport à autrui ainsi que la part que les biens extérieurs peuvent prendre dans la « vie bonne ». Ce réseau de concepts, qui définit une des figures majeures de l’éthique classique fit l’objet d’une réorganisation constante de ses éléments constitutifs, si bien que des différences significatives en caractérisent l’interprétation, malgré une familiarité apparente. C’est pourquoi il faut reconstruire les différentes figures de la grande âme, avec lesquelles Boccace se confronte, afin de cerner les déplacements de significations et la nouvelle configuration de sens qu’elle acquiert dans le Décaméron.
3La figure du magnanime est définie nettement par Aristote. L’analyse de la magnanimité (megalopsyche) se trouve dans le quatrième livre de l’Éthique à Nicomaque2 après l’étude des vertus du courage, de la tempérance3, de la libéralité et de la magnificence4 et avant celle de l’ambition, de la placidité, de l’amabilité, de la véracité, de l’enjouement, de la pudeur5. Il s’agit de l’examen détaillé des vertus et des vices particuliers, avant la réflexion sur la justice et l’équité6, après avoir traité en général de la nature du bonheur, de la vertu et du vice7.
4Toute vertu de ce genre définit une médiation entre des grandeurs différentes : elle ne cherche pas une moyenne, mais établit, compte tenu des circonstances, de la nature de l’action et du rôle du sujet, une mesure précise entre un plus et un moins. Ainsi le courage est-il la vertu qui détermine la juste mesure entre l’audace et la crainte, à partir du fait que les objets de crainte diffèrent en grandeur, au sens où ils sont plus ou moins effrayants. La maladie et la pauvreté sont des motifs d’appréhension plus petits que la mort, notamment dans le contexte de la guerre8, si bien que c’est seulement par analogie que l’on dit courageux celui qui les affronte9.
5Le magnanime porte ce balancement entre le plus et le moins à son comble, en opérant même un retournement. Car si la libéralité est l’expression de ce qui est plus grand dans le donner et le recevoir des biens matériels, tandis que la magnificence est la grandeur dans la dépense en vue de la construction de plus grandes œuvres, la magnanimité est la grandeur superlative : elle a pour objet les choses les plus grandes dont le sujet s’estime digne. C’est pourquoi elle accomplit et dépasse à la fois la juste mesure :
Le magnanime donne donc, par la grandeur de ce dont il s’estime digne, dans un extrême, mais par la façon dont il s’estime comme il se doit, il se tient dans un juste milieu, car il se juge digne de ce dont il est digne ; les autres au contraire pèchent, les uns par excès, les autres par défaut10.
6Le magnanime donne, en vertu de sa grandeur même, une solution optimale au problème du rapport entre la possession des biens extérieurs et la vertu du sage. Non seulement les biens secondaires sont une condition de la réalisation du bonheur vertueux11, mais aussi un élément significatif dans la logique de la grandeur du magnus animus. Puisque le magnanime est le plus parfait des hommes, étant donné qu’il accomplit les plus grandes actions12, il est digne du plus grand des biens secondaires, qui est l’honneur13, bien qu’il ne le recherche point14. Par conséquent, tous les autres biens sont plus petits par rapport à la grandeur superlative de l’honneur15. De surcroît, le magnanime, qui ne fait même pas grand cas de l’honneur, ne fait à plus forte raison pas grand cas non plus des autres biens mineurs. En conclusion, le magnanime ne fait grand cas de rien16.
7Le trait majeur du magnanime est donc l’estime de soi qui l’amène à dévaluer la petitesse de toute autre chose. C’est pourquoi le vice contraire est la pusillanimité, à savoir l’ignorance ou la non reconnaissance de sa propre valeur. Une telle négligence est bien pire que la timidité ou la vanité entendue comme une estime inconsidérée de soi17. Bien qu’Aristote ne définisse pas la nature des grandes actions du magnanime, il suggère qu’elle consiste dans l’exercice de la philosophie. Le magnanime est « désœuvré »18 et « il ne se laisse pas facilement émerveiller, car il ne fait grand cas de rien »19. Son activité est essentiellement la contemplation20, tandis que sa force réside dans la conscience de sa valeur superlative lui permettant de ne s’étonner de rien, se détachant ainsi de ce qui n’est pas le souverain bien21.
8Le magnanime est donc centré sur sa propre valeur, si bien qu’il ne recherche pas le commerce avec autrui. S’il se lie d’amitié, il le fait en considérant autrui comme un autre soi-même, l’aimant parce qu’il lui ressemble : ce qui prévaut est l’amitié avec soi-même22. Ainsi le magnanime aristotélicien est-il le philosophe contemplatif, dont la structure principale est l’estime de soi, qui peut aller jusqu’à l’amour-propre. Le rapport aux biens extérieurs ne se traduit pas par un refus, mais par un détachement, qui est la conséquence d’un raisonnement sur le plus et le moins.
9Par contre, la générosité du magnanime ne doit pas être confondue avec la magnificence, laquelle caractérise l’homme public et fortuné23 qui dépense ses richesses pour que de grandes œuvres soient bâties. Toutefois, il y a un déplacement possible de la grandeur de la dépense à la grandeur de l’œuvre, laquelle dépend de la signification de sa valeur. De la sorte, un ballon de peu de prix peut être un cadeau magnifique pour un enfant24. Au contraire, le magnanime ne se consacre pas aux choses utiles pour le bien public : il préfère posséder des choses luxueuses, bien qu’il ne les recherche pas spécialement. La plupart de fois, il les accepte comme un don25. Le magnanime ne méprise donc pas les biens extérieurs, mais il leur donne leur juste valeur, s’en détachant comme d’une chose de peu d’importance. Il en fait peu de cas, mais ne les rejette pas26. L’impassibilité face à la fortune, qui donne et ôte les biens, est d’ailleurs seulement une des conséquences de l’estime de soi et n’occupe pas une place centrale dans la réflexion d’Aristote27.
10On comprend alors aisément que la magnanimité aristotélicienne ait pu être comprise comme la vertu propre au philosophe de profession dans les universités, notamment à Paris, au XIIIe siècle28. Le magnanime caractérise alors le philosophe, conscient de sa valeur, puisqu’il se consacre à la meilleure partie de soi, à l’exercice de l’intellect, poursuivant par là une forme de félicité immanente, de part en part mentale. Cette priorité de l’estime de soi par l’exercice de la contemplation sur l’impassibilité face à la fortune ainsi que sur le mépris des biens extérieurs fonde la signification de la vertu chez l’intellectuel médiéval. Son excellence et sa fierté, liée à la noblesse de l’intellect, définissent la nouvelle signification de la magnanimité aristotélicienne29.
5.1.2. Faire le vide
11Au modèle aristotélicien de la grande âme du philosophe, la réflexion stoïcienne oppose le sage magnanime. Apparemment les deux figures ont beaucoup en commun : l’estime de soi, le détachement des biens extérieurs, une forme de générosité, la rencontre parcimonieuse avec les amis à partir de la priorité de l’amour de soi. Pourtant, ces éléments sont distribués autrement et le magnanime ne l’est pas pour les mêmes raisons, ni de la même manière.
12Si le pivot du magnanime aristotélicien est l’estime de soi, comme conscience de sa propre valeur, le magnus animus stoïcien se fonde sur le retrait en soi-même pour devenir à lui-même sa seule mesure. Tandis que celui-là exige de droit la reconnaissance publique comme son dû, celui-ci vise l’absolue appartenance à lui-même, dans un mouvement tout intérieur, qui ne se soucie guère de l’approbation extérieure. Quatre conséquences majeures s’ensuivent, qui permettent de saisir la spécificité stoïcienne par rapport au modèle aristotélicien : la priorité du tout sur la partie ; l’inversion du plein et du vide, ou du plus et du moins ; la centralité de la contemptio ; le lien entre la magnanimité et le courage.
13Tout d’abord, le philosophe magnanime fonde l’estime de soi sur le plus grand de ses biens : la vie contemplative, entendue comme la véritable forme de la vie bonne. Le sage stoïcien ne le peut pas, pour la simple raison qu’il ne pense pas qu’il y ait des facultés distinctes, comme la volonté, la raison, l’instinct30. L’âme est unitaire et le désir lui-même, l’ hormé ou impetus, est une forme d’assentiment, de sunkatathesis31, à une proposition qui porte sur ce qu’il est apparemment approprié de faire dans telle ou telle circonstance32.
14Ce point de vue est étroitement lié à la thérapie des passions, notamment de la colère ou du chagrin, puisque les passions sont considérées comme des modalités de jugement33. Face aux troubles de l’âme, deux jugements doivent être formulés : le premier qui décide si telle ou telle chose est un bien ou un mal (une injure est-elle véritablement un dommage ? La mort d’un ami est-elle une perte ?). Le second jugement évalue si telle ou telle conduite est appropriée (comme par exemple pleurer ou s’arracher les cheveux à un enterrement). La passion se traduit, somme toute, par l’assentiment à une apparence et exige la détermination de ce qu’il est convenable de faire, à savoir le kathekon34. Ainsi, puisqu’il n’y a pas de parties différenciées dans l’âme stoïcienne, le sage ne peut en choisir une comme étant la meilleure. Il radicalise le choix, en le changeant de nature : il se possède entièrement, ou aucunement.
15Pourtant, cette possession est très problématique, puisqu’elle n’est point une propriété. Le soi véritable n’est pas donné au départ, mais il est l’issue d’un processus d’appropriation qui n’est pas par nature légitime, mais seulement légal :
C’est pourquoi une grande âme, consciente de la supériorité de sa nature, a soin de se comporter au poste où elle est placée, avec honneur et zèle ; au demeurant, elle ne considère comme sien aucun des objets qui l’entourent ; elle en use comme d’objets prêtés, en voyageuse pressée qu’elle est35.
16La terminologie juridique est ici prégnante36. Sénèque utilise en fait plusieurs expressions tirées de la jurisprudence, parmi lesquelles l’invitation célèbre d’appartenir à soi-même, se habere :
Fais le tour de ces faux biens qui nous entraînent à la folie, que nous perdons avec tant de larmes : tu sauras que ce n’est pas le dommage qui afflige, mais l’idée d’un dommage ; ces disparitions-là, on ne les sent pas, on les rumine. Qui se possède n’a rien perdu ; mais combien sont-ils qui ont le bonheur de se posséder ?37
17Le retrait en soi-même est parfois également considéré comme une procédure juridique, notamment dans la recognitio sui, l’examen de conscience vespéral où le sujet joue lui-même les rôles de l’accusé, de l’avocat et du juge38. Ce qui compte est le mouvement de revendication de soi comme d’une chose qui demande une instance tierce pour pouvoir être attribuée. Être soi-même n’est ni une donnée, ni un droit.
18Somme toute, appartenir à soi-même, ce qui est le propre d’une grande âme, est un état constamment menacé. Le soi, ce qu’il y a de plus intérieur, se présente alors comme ce qu’il y a de plus extérieur, à savoir un bien qui, comme tout patrimoine, est soumis aux circonstances les plus fortuites : il peut être perdu, augmenté, devenir l’objet d’un crédit ou d’une dette. Pour l’acquérir de manière stable, une inversion de signe entre le positif et le négatif, le plus et le moins, est nécessaire. Le retrait en soi, en tant que condition de la possession de soi, n’est pas l’effet d’une haute estime de soi, mais la conséquence d’un jugement selon lequel le seul véritable bien qui demeure, lorsqu’on a tout perdu, est soi-même.
19L’appartenance à soi-même ne dépend donc pas d’un « plus », d’une supériorité présumée de ce qui nous est propre, mais d’un « moins », d’un retranchement de tout ce que nous ne pouvons pas nous approprier réellement. Rien n’est à nous, puisque tous les biens extérieurs sont provisoires et prêtés par la fortune39. Nous ne devons emprunter qu’à nous-mêmes40. Tout ce qui constitue notre bonheur, la santé, les amis, la famille, est caduc. Pour échapper à cette forme de dépendance, il faudrait alors opérer des « soustractions ». En ce sens, le magnanime stoïcien ne s’appuie pas sur la plénitude de sa valeur, mais sur le vide qu’il a pu faire à l’intérieur de soi41.
20C’est pourquoi le centre de la magnanimité stoïcienne est la contemptio et non, à la différence du magnanime aristotélicien, l’estime de soi. Le dispositif lui-même est inversé : ce n’est pas l’estime de soi qui donne la mesure de la dévaluation des choses, c’est par celle-ci que l’on parvient à celle-là. Par conséquent, ce qui était une forme de détachement chez le philosophe magnanime devient chez le sage un véritable mépris42. Par cette transformation, c’est la nature même du jugement sur le plus et le moins qui change, en introduisant une modalité sceptique. Car les choses ne sont pas considérées plus ou moins les unes par rapport aux autres, mais on estime qu’elles ne valent ni plus ni moins les unes que les autres. C’est ici que la notion d’équipollence se greffe sur les indifférents préférables43.
21En définitive, chez Aristote, les biens extérieurs sont plus petits relativement à la grandeur de l’estime de soi, si bien que le magnanime peut les évaluer exactement et en faire peu de cas. Pour Sénèque, en revanche, leur valeur relative ne peut être mesurée à l’aune d’une grandeur supérieure, qui établirait une hiérarchie. Tous les biens sont, en ligne de principe, égaux puisqu’ils sont tous pareillement dépourvus de valeur devant les aléas de la fortune. C’est celle-ci qui rend nulle toute tentative d’estimation différenciée : les biens extérieurs s’équivalent-indifféremment44.
22Ainsi le magnanime stoïcien possède-t-il une disposition mentale que le philosophe aristotélicien n’avait pas : son âme est toujours égale, il fait preuve d’ aequanimitas . Le sage accueille tout événement aequo animo, au sens qu’il lui ôte toute valeur, positive ou négative, en reconnaissant que tout se vaut, c’est-à-dire que les choses ne valent rien du tout :
Supposons que la Nature nous dise : ‘Ces choses dont tu te plains existent pour les autres comme pour toi. Je n’ai rien de plus facile à offrir à personne ; cependant quiconque les voudra saura se les rendre faciles’. Comment ? ‘ Par l’égalité de l’âme’45.
23L’impassibilité du sage dérive donc d’un jugement qui n’évalue pas la gradation d’un plus ou d’un moins, mais reconnaît que le plus et le moins s’annulent réciproquement. Les biens relatifs ne sont pas méprisés par rapport à un bien supérieur, qui les dépasserait en grandeur, mais parce qu’ils s’anéantissent l’un l’autre. Somme toute, le jugement sur les grandeurs relatives s’annule de lui-même.
24Ce jugement sur l’équipollence des valeurs extérieures, qui se traduit par la disposition de l’aequanimitas46 commande les traits essentiels du magnanime stoïcien. Tout d’abord, il est, à la différence du philosophe aristotélicien, courageux. La fortitudo est son caractère essentiel. Le magnanime stoïcien méprise la valeur nulle de tout bien et sait faire front aux adversités. Son impassibilité, qui le soustrait aux coups de la fortune, est une forme de patience guerrière47, une exaltation de l’andreia, de la uirilis uia48. Ce courage mental conduit à des états d’âme constants, comme la joie49 ou la légèreté, suscités par la conviction du caractère inéluctable et profondément rationnel du destin50. Parmi ces états d’âme se détache la tranquillité, et non la fierté aristotélicienne51 : elle est la conséquence, non le but, de la magnanimité lorsque le sage atteint le bonheur, grâce au jugement sur la valeur égale des choses et la disposition de l’aequanimitas52.
25Bien que cette tranquillité ne soit pas l’isolement des Epicuriens53, qui adoptent une forme de vie essentiellement non politique, le magnanime stoïcien ne fait pas non plus preuve de largesse ou de socialité. Certes, il aime autrui comme un autre soi-même54, mais le meilleur ami reste soi-même55. Bien souvent on est en droit de s’exclamer : « Personne ne peut te comprendre ! »56. Au juste, puisque seul le sage, et bien difficilement, s’appartient à lui-même, il ne peut que se prêter aux amis :
Ma liberté, Lucilius, est pleine et entière : où que je sois, je suis à moi ; je ne me livre pas aux choses, je me prête à elles et ne cours pas après les prétextes à gaspiller mon temps. En quelque lieu que je séjourne, je brasse mes réflexions, je rumine en mon esprit une vérité salutaire. Quand je me donne à mes amis, je ne m’absente pas pour autant de moi-même. Je ne me laisse pas retenir par les personnes avec qui une occasion ou une obligation sociale m’a mis en rapport : j’appartiens exclusivement aux meilleurs. Où que soit leur patrie, en quelque siècle qu’ils aient vécu, c’est vers eux que je reporte ma pensée57.
26Le sage magnanime a, tout comme le philosophe aristotélicien, très peu de goût pour autrui. Sa motivation en est néanmoins différente : chez Aristote, cette parcimonie dépend de l’autonomie souveraine du philosophe contemplatif ; chez Sénèque, de la dévaluation de toute chose. On parvient cependant au même résultat : le magnanime a peu d’amis ou pas du tout, qu’il aime avec modération, jamais plus que soi-même, et encore, à la condition de les reconnaître comme d’autres « soi-même ».
5.2. La mesure de l’action
5.2.1. Le désintérêt du magnifique
27À première vue, le magnanime cicéronien résulte d’un savant démontage et remontage de caractères stoïciens et aristotéliciens. Mais il présente, en réalité, une figure inédite, puisqu’il introduit un élément nouveau58 : le désintérêt. Celui-ci conduit à privilégier la magnificence et à remplacer la grandeur du sujet par la grandeur de l’œuvre.
28Tout d’abord, le magnanime cicéronien semble plus proche du sage stoïcien que du philosophe aristotélicien, puisqu’il est un homme courageux, accomplissant des gesta fortiter excellenterque59. En fait, la critique du magnanime aristotélicien apparaît particulièrement sévère, lorsque Cicéron dénonce les méfaits de l’estime de soi, qui se cristallisent dans la recherche de la renommée. Il s’agit d’un point délicat, car il y va de la supériorité même du magnanime qui doit, par définition, être reconnue. Cicéron pointe le danger que cette supériorité se mue en vantardise. Le désir d’être le meilleur se traduit bien souvent par la volonté d’être à tout prix le premier :
On trouve en effet chez Platon que tout le caractère des Lacédémoniens avait été enflammé par le désir de vaincre ; et de même, plus on est remarquable par la grandeur d’âme, plus on veut être le premier de tous ou plutôt le seul. Or il est difficile, quand on désire l’emporter sur tous, de sauvegarder l’équité, qui est ce qu’il y a de plus propre à la justice60.
29Tandis qu’Aristote ne liait aucunement la supériorité du magnanime à la vantardise61, Cicéron montre nettement que la conviction d’être digne de plus grands honneurs peut conduire à l’arrogance. Au lieu d’être un jugement moral, c’est une conséquence logique : plus on veut être le meilleur, plus on veut être le premier, devenir le superlatif absolu. Il est difficile qu’il en aille autrement : comment ne pas récompenser le magnanime, sinon en reconnaissant qu’il est le meilleur de tous62 ?
30Ainsi une faille s’ouvre-t-elle dans le sentiment de supériorité qui caractérise le magnanime. La solution originale de Cicéron est d’attribuer la magnanimité non plus au philosophe, mais à l’homme politique, se consacrant à l’intérêt de l’État. Il introduit deux changements : d’abord, le courage du magnanime ne se prouve plus face à la crainte de la mort, notamment à la guerre, mais devant ce qui est difficile et ardu : c’est là que réside la cause du mérite63. Ensuite, le magnanime est lié étroitement à l’exercice de l’équité, de sorte que la supériorité passe du sujet à l’objet, l’équité représentant la partie la plus grande, donc la meilleure de la justice. C’est la justice elle-même qui devient magnanime.
31Par conséquent, puisque l’équité est la vertu politique par excellence, les véritables magnanimes sont les hommes d’État, qui peuvent décider de ce qui revient de droit à tout un chacun. Du fait de leur souci généreux du bien commun, par lequel des grandes œuvres sont réalisées, la magnificence pragmatique prend le pas sur la magnanimité contemplative. La grandeur désigne ici l’œuvre et non le sujet, ou le sujet seulement par l’éclat de l’œuvre64. L’équité comme justice implique une forme de largesse publique, qui ne suit pas une distribution des parties égales : elle peut donner plus, eu égard au mérite ou à l’intérêt public65. Par ce rapprochement, le magnifique, opérant pour le bien public, donne congé à l’oisiveté contemplative du philosophe66, tout en transférant ses vertus magnanimes aux hommes politiques. Ce que les philosophes peuvent faire, les hommes politiques le font encore mieux :
Or ceux qui prennent en main l’État n’ont pas moins que les philosophes-je ne sais s’ils ne l’ont pas plus encore- l’obligation de pratiquer la magnificence, et le mépris des choses humaines, dont je parle souvent, et la tranquillité et l’assurance de l’âme, puisqu’ils devront n’être pas tourmentés et vivre avec gravité et constance. Ceci est plus facile aux philosophes du fait qu’ils offrent dans leur vie moins de prises aux coups de la fortune, qu’ils ont moins de besoins et parce que, si quelque adversité survient, ils ne peuvent faire une chute aussi grave. En conséquence, ce n’est pas sans motif que ceux qui gouvernent l’État, éprouvent de plus grands mouvements de l’âme-en particulier, pour accomplir de plus grandes choses-que les gens en repos et il leur faut attribuer d’autant plus de grandeur d’âme et la capacité de se vider des inquiétudes67.
32Dans ce passage crucial, Cicéron transforme l’idéal du sage stoïcien. Chez celui-ci, le courage du magnanime se mesure surtout au mépris qu’il affiche à l’égard des choses extérieures et à l’aequanimitas dont il fait preuve contre les assauts de la fortune68. Chez celui-là, la constance et la capacité de faire le vide appartiennent par contre à l’homme politique. La magnificence devient donc la mesure de l’action grande et par là le caractère propre au magnus animus.
33Car la tranquillité d’âme n’est pas la conséquence d’un dépouillement, ramenant l’individu dans sa propre « citadelle intérieure », mais l’expression d’une résistance à ce qui pourrait détourner l’homme politique de la poursuite du bien commun. L’absence de trouble de l’âme est une condition permettant d’assumer des décisions politiques qui peuvent changer le cours des choses, et non l’acceptation consciente de l’ordre cosmologique. Par conséquent, l’homme politique doit pouvoir se détacher des biens extérieurs, dans la mesure où il pourrait être tenté de préférer son propre intérêt à l’intérêt commun69.
34Cette perspective du bien commun permet à Cicéron de donner une nouvelle signification au mépris des biens extérieurs et de le lier, apparemment paradoxalement, à la recherche de l’utilitas. À cet égard, il introduit une dialectique originale entre l’intérêt et le désintérêt, dessinant un portrait inédit de la grande âme. Celle-ci méprise les biens extérieurs, mais elle les poursuit pour le bien public. C’est là son tourment :
L’autre chose consiste en ce que, doué de cette âme que j’ai dite plus haut, l’on mène ces entreprises, grandes et assurément très utiles, mais vraiment très difficiles et pleines de tourments et de dangers, tant pour la vie que pour bien des choses qui intéressent la vie70.
35La contradiction est levée par la distinction entre l’utilitas privée et l’utilitas commune, laquelle n’est pas donnée comme une prémisse, mais comme la conclusion d’un raisonnement sur le « plus et le moins ». Le raisonnement est le suivant : le mépris des biens est la cause ou le principe de la recherche des utilitates communes. Le magnifique entreprend avec courage des choses pénibles et ardues, en résistant aux coups de la fortune71. Puisqu’il peut résister à ce qui est le plus pénible, il peut résister à plus forte raison à ce qui est moins pénible. Ainsi peut-il combattre la convoitise, si bien que le magnifique ne recherche pas son profit, mais seulement le bien de l’État72.
36La prémisse omise ici se trouve chez Aristote : « il est plus difficile de tenir bon contre la peine que de s’abstenir d’un plaisir73 ». Le geste cicéronien consiste à transformer la nature de cette prémisse d’une manière décisive : d’une constatation anthropologique, presque physiologique74, elle devient un jugement de valeur, qui cache son statut, puisqu’elle se présente comme un antécédent logique. Tout se passe comme si l’on disait : puisqu’il est plus difficile de tenir bon contre la peine que de s’abstenir du plaisir, alors renoncer à la convoitise est moins difficile que résister à la peine, c’est pourquoi la grande âme ne poursuit pas son propre intérêt.
37On en comprend aisément la raison : ce qui est plus difficile et pénible est caractérisé ici comme ce qui est plus ardu dans l’accomplissement des actions en vue du bien commun. C’est là un jugement de valeur apparemment équipollent avec bien d’autres, mais sa force probante dépend de sa forme argumentative. Elle peut être entendue comme la spécification d’un raisonnement topique. À partir du schème topique : « ce qui est plus difficile vaut plus que ce qui est moins difficile », on peut tirer la conditionnelle suivante : « si l’on concède que ce qui est plus difficile vaut plus que ce qui est moins difficile, alors résister à la peine est plus difficile que résister à la convoitise ».
38C’est pourquoi l’insistance sur ce qui est pénible et difficile est le pivot permettant de lier la dévaluation des biens et leur poursuite. Si le magnifique les recherche, ce n’est pas pour lui, mais pour l’État, puisqu’il sait résister à la convoitise, sachant résister à la peine, ce qui est bien plus difficile. Le magnus animus devient donc cette figure paradoxale : il est absolument désintéressé, tout en accumulant les intérêts. Il pourvoit à l’utilitas de la cité, tout en délaissant la sienne :
Somme toute, que ceux qui sont destinés à gouverner l’État s’en tiennent à deux préceptes de Platon : le premier veut qu’ils veillent sur ce qui est utile aux citoyens de telle sorte que, quoi qu’ils fassent, ils le rapportent à cette utilité, en oubliant leurs propres avantages ; le second, qu’ils aient soin de tout le corps de l’État en se gardant, tandis qu’ils veillent sur une partie, d’abandonner les autres. Comme la tutelle en effet, l’administration de l’État doit être exécutée dans l’intérêt de ceux qui lui ont été confiés et non pas de ceux à qui elle a été confiée75.
39Le résultat le plus patent est le retournement, dans la conclusion de cette partie sur la grande âme, de la signification des biens extérieurs, voire de la richesse. Tandis que, précédemment Cicéron mettait l’accent sur le détachement à l’égard des biens de la fortune et sur les dangers mêmes de la prospérité76, le dernier passage ignore le mépris, la crainte et la tranquillité. Il s’attarde, par contre, sur l’usage des richesses pour l’intérêt commun : si l’on vise celui-ci, on peut même en accumuler beaucoup.
40Cicéron a ainsi trouvé la solution au problème soulevé par la possession des biens extérieurs pour l’homme vertueux. Celui-ci est d’abord l’homme politique, ceux-là ne sont pas accumulés pour soi, mais pour l’État. C’est pourquoi le magnifique, qui accomplit des grandes œuvres pour le bien commun, donne congé au magnanime contemplatif. Pour Cicéron, le mépris des choses n’est ni le détachement du philosophe aristotélicien, ni la dévaluation du sage stoïcien, mais le désintérêt : la grande âme est généreuse d’une manière désintéressée. La supériorité de la grande âme ne vient ni de la conscience de sa valeur, ni de son autonomie, mais de ce désintérêt souverain. C’est parce qu’il n’a pas cure de soi qu’il peut se préoccuper du bien commun.
41L’indifférence et la magnificence acquièrent donc une signification nouvelle : la première devient une forme d’impartialité devant les parties adverses, se soustrayant aussi bien à la logique contradictoire des biens préférables qu’à l’équipollence des opinions ; la seconde abandonne le schème du plus et du moins au profit de la priorité de la totalité sur la partie. Il s’agit toujours de quantités, qui ne sont cependant pas prises dans une perspective comparative, laquelle est caractérisée par des opérations constantes d’addition ou de soustraction. Il y a, par contre, un critère déterminant la valeur relative des choses, à savoir la totalité constituée par le bien commun.
42Dans la morale cicéronienne des kathekonta, les biens extérieurs peuvent encore être considérés comme des valeurs préférables, mais le bien souverain est défini par l’intérêt de l’État. Il n’y a pas de place pour l’intérêt propre. C’est pourquoi l’homme politique est un homme fiable :
À qui respecte ses préceptes il est permis de vivre avec magnificence, avec gravité, avec fierté, en même temps que simplement, avec fidélité et confiance, vraiment en ami des hommes77.
43Le rôle central attribué au magnifique ouvre donc un espace inédit aux amis. La grande âme cicéronienne, à la différence du philosophe et du sage, ne cultive pas avec parcimonie les amis. Au contraire, il est généreux parce qu’il est au-dessus des parties, c’est pourquoi il est « ami des hommes » et non seulement ami de ses amis. Il est ami du tiers anonyme, du tout un chacun, à savoir du citoyen en tant que membre de la communauté politique. Certes, Aristote avait jadis observé que les hommes généreux sont les plus aimés parce qu’ils sont les plus utiles78. Cicéron reprend cependant cette utilité dans un espace public, comme le fondement concret de toute société où l’on doit reconnaître son « dû » à l’anonyme. Cette amitié élargie se constitue fideliter, à savoir par le lien qui établit la confiance :
Mais le fondement de la stabilité et de la constance que nous exigeons dans l’amitié est la confiance, puisque rien n’est stable, s’il y a de la méfiance79.
44Dans ce cadre, on ne recherche pas seulement en autrui un autre soi-même, mais aussi quelqu’un en qui on puisse avoir confiance dans la pratique des negotia. Car l’amitié n’est pas un rapport idéal, qui ne se trouverait que dans nos rêves, mais une forme de sagesse pratique qui caractérise la vie de tous les jours80. Par conséquent, l’amitié ne doit pas expressément rechercher l’utilité, bien que celle-ci puisse en être une des conséquences, à condition que l’avantage se produise spontanément et de manière désintéressée, en un mot : magnifiquement. Lorsqu’on reconnaît en un autre la « même lumière », on va à sa rencontre de sorte que :
De ce rapport s’embrase l’amour, ou si tu préfères l’amitié, puisque les deux termes dérivent d’« aimer ». Aimer n’est rien d’autre que chérir la personne aimée, sans poursuivre d’intérêt ou d’avantage particuliers. Toutefois, l’utilité peut fleurir de l’amitié, même si tu ne la recherches guère81.
45La communauté des êtres soluti, pris dans leur projet de contemplation et s’adonnant à l’égoïsme, fût-il vertueux, n’est décidément pas un modèle viable (in usu) d’amitié.
5.2.2. La force de la magnanimité
46Si la magnanimité constituait la vertu par excellence des maîtres universitaires, elle n’était cependant pas leur marque exclusive de reconnaissance. Au contraire, la magnanimité assume des significations différentes dans la philosophie médiévale, bien que les sources soient en grande partie les mêmes. À cet égard, Thomas d’Aquin considère que la magnanimité est une partie de la force, même si elles semblent s’opposer. La force, ou le courage, vise la grandeur dans les maux qu’il faut craindre ou affronter, tandis que la magnanimité recherche la grandeur dans les biens extérieurs, dans lesquels les honneurs occupent la première place82.
47Pourtant, l’acte de la force est double : attaquer et supporter. Ce dernier moment exige la fermeté d’âme qui est un mode général de la vertu. Puisque aussi bien la force que la magnanimité tendent à quelque chose d’ardu, contrer la peur de la mort et rechercher l’honneur, elles partagent le même impératif83. Mais la seconde est subordonnée à la première :
Or il est plus difficile de rester ferme dans les dangers mortels où ce qui confirme l’âme est la force, que dans l’espoir de la conquête des plus grands biens, pour lesquels l’âme est confirmée par la magnanimité. Car de même que l’homme aime au maximum sa propre vie, il fuit au maximum les dangers de la mort. Ainsi est-il clair que la magnanimité rejoint la force en tant qu’elle fortifie l’âme pour quelque chose d’ardu. Mais elle s’en éloigne en ce qu’elle fortifie l’âme dans un domaine où il est plus facile de rester ferme. Aussi la magnanimité fait-elle partie de la force parce qu’elle s’adjoint comme une vertu secondaire à la principale84.
48On retrouve ici le critère de ce qui est plus pénible, d’origine aristotélicienne, puis développé par Cicéron : la résistance à ce qui est ardu et difficile est la cause d’un plus grand mérite par rapport à ce qui est plus facile. Pour Thomas, c’est la fermeté devant la peur de la mort. L’homme vertueux romain est le magnifique, alors que le chrétien demeure magnanine. Ce déplacement s’explique par deux raisons principales : la conception de l’action et la justification du martyre.
49D’abord, plus que la capacité de produire quelque chose de nouveau dans une série d’événements, l’action dénote la force ou le courage de résister aux obstacles, en premier lieu la peur de la mort, qui pourraient détourner de la réalisation effective. La vertu n’est pas comprise sous les espèces de l’obligation, mais du bonheur en tant qu’accomplissement de la nature rationnelle de l’homme85. Les obstacles qui peuvent empêcher une telle réussite doivent être également examinés. Si la Prima Secundae86, après avoir déterminé que le bonheur réside dans la béatitude divine87, étudie la nature des actes humains qui peuvent atteindre un tel achèvement88, la Secunda Secundae porte sur les vices et les vertus qui dirigent concrètement l’agir humain dans la bonne ou dans la mauvaise direction89. Comme les Anciens, Thomas estime que les vertus cardinales, qui orientent la vie pratique, sont la prudence, la justice90, la force91 et la tempérance92 :
Ce bien (i. e. le bien de la raison comme le bien de l’homme) est possédé essentiellement par la prudence, ce qui est la perfection de la raison. Quant à la justice, elle réalise le bien en ce qu’il lui revient d’établir l’ordre de la raison dans toutes les affaires humaines. Et les autres vertus ont pour rôle de conserver ce bien, en ce qu’elles modèrent les passions, pour que celles-ci ne détournent pas l’homme du bien de la raison. Et à ce rang, la force occupe la première place, parce que la crainte du danger de la mort est particulièrement efficace pour détourner du bien de la raison. Après elle vient la tempérance, parce que les plaisirs du toucher sont, plus que les autres, ce qui fait obstacle au bien de la raison. Or ce qui est attribué à titre essentiel est plus important que ce qui est attribué à titre de réalisation, et cela est plus important que ce qui a un office de conservation par éloignement d’un obstacle. Aussi, parmi les vertus cardinales, la plus importante est la prudence : la deuxième la justice ; la troisième la force ; la quatrième, la tempérance. Et après elles les autres vertus93.
50La priorité de la prudence, d’origine aristotélicienne, est due à son rapport privilégié avec la raison : elle sait bien conseiller, juger et commander. Elle connecte toutes les autres vertus et permet le passage aux vertus théologales, faisant signe vers la charité. Ensuite, la justice met en œuvre la recherche du bien souverain dans le commerce humain. La force et la tempérance considèrent davantage ce bien comme le but suprême dans les rapports que l’on entretient avec soi-même, en maîtrisant les passions94. La fortitudo devance néanmoins la tempérance parce que la crainte de la mort est la raison la plus puissante qui détourne l’exercice de la vertu. Dès lors, la magnanimité, comme recherche de ce qui mérite le plus grand honneur, vise le plus ardu, la fermeté face à la peur de la mort. Au lieu de revendiquer la fierté des philosophes universitaires, la magnanimité thomasienne fait montre d’humilité :
On trouve chez l’homme de la grandeur, qui est un don de Dieu, et une insuffisance, qui lui vient de la faiblesse de sa nature. Donc la magnanimité permet à l’homme de voir sa dignité en considérant les dons qu’il tient de Dieu. Et s’il a une grande vertu elle le fera tendre aux œuvres de perfection. Et il en est de même de tout autre bien, comme la science ou la fortune. Mais l’humilité engage l’homme à se juger peu de chose en considérant son insuffisance propre95.
51L’expression « se juger peu de chose » va à rebours de la formule aristotélicienne selon laquelle le magnanime « ne fait grand cas de rien », tout en se considérant digne de plus grandes honneurs. Pour Thomas, la grandeur est un don divin et non le signe de l’autonomie spirituelle du philosophe. La reconnaissance de sa propre faiblesse est la condition essentielle pour mener à terme nos fragiles résolutions. Ce n’est pas l’honneur, mais l’espérance qui prime dans la magnanimité :
Si l’honneur n’est ni une passion ni une action, il est pourtant l’objet d’une passion, l’espérance qui tend au bien ardu. C’est pourquoi la magnanimité concerne immédiatement la passion de l’espérance, et médiatement l’honneur…96
52L’indigence humaine est telle que la force a besoin de s’appuyer sur d’autres vertus, qui lui sont subordonnées : la fidentia, la magnificence, la patience et la persévérance. Cette théorie des vertus reprend un passage tiré du De inuentione de Cicéron, où la magnificentia, la fidentia, la patientia et la perseverantia sont considérées comme des parties de la fortitudo97. Ce classement est revu par Macrobe en confiance, magnificence, tolérance, fermeté, magnanimité et sécurité98. Thomas réduit les vertus secondaires de la force à la magnanimité, la magnificence, la patience et à la persévérance. Le courage permet d’accomplir une action droite, dont la valeur réside dans son exécution effective. Il est la capacité de poursuivre jusqu’au bout l’action vertueuse, sans se faire détourner par la crainte, en particulier par la peur de la mort. Ainsi une action se définit-elle aussi bien par le but visé que par la résistance à toute tentation de s’écarter du droit chemin. C’est pourquoi l’acte principal de la force est de supporter plutôt que d’attaquer :
Supporter est plus difficile qu’attaquer pour trois raisons. 1e : parce que supporter s’impose à celui qu’un homme plus fort attaque alors que l’attaquant est en position de force. Or il est plus difficile de combattre un ennemi plus fort qu’un ennemi plus faible. 2e : Parce que celui qui supporte éprouve déjà les périls comme présents ; celui qui attaque les tient pour futurs. Or il est plus difficile de ne pas se laisser émouvoir par des maux présents que par des maux futurs. 3e : Parce que supporter demande un temps prolongé, mais on peut attaquer par un élan subit. Or il est plus difficile de rester longtemps immobile que de s’élancer brusquement vers quelque chose de difficile99.
53Cette insistance sur la force de supporter le danger peut se comprendre comme une tentative de ne pas réduire la vertu à l’intention et de ne pas considérer l’action morale comme le calcul des moyens en vue d’une fin. Mais elle renvoie aussi à la justification du martyre chrétien :
Sans doute la charité incline à l’acte du martyre comme étant son motif premier et principal ; elle est la vertu qui le commande ; mais la force y incline comme étant son motif propre : elle est la vertu d’où il émane. De là vient qu’il manifeste ces deux vertus (…) L’acte principal de la force, c’est de supporter ; c’est de cela que relève le martyre, non de son acte secondaire qui est d’attaquer. Et parce que la patience vient à l’aide de la force pour son acte principal qui est de supporter, on comprend que, dans l’éloge des martyres, on loue aussi leur patience100.
54À cet égard, on peut mieux cerner la spécificité du cortège des vertus de la force. Si la magnanimité, la magnificence, la patience et la persévérance sont des vertus spécifiques, dans un sens plus large101, elles constituent les conditions propres à la mise en œuvre de l’action courageuse102. Puisque la magnanimité renvoie à l’espérance d’un bien ardu103, elle est liée à la fiducia, voire à la fides, à la confiance104, qui fortifie l’âme dans la recherche ardue des biens :
Or la confiance implique une certaine vigueur de l’espérance ; c’est pourquoi, comme celle-ci, elle s’oppose à la crainte. Mais, parce que le propre de la force est de fortifier l’homme concernant les maux, et celui de la magnanimité de le fortifier concernant la conquête des biens, il en résulte que la confiance se rattache plus proprement à la magnanimité qu’à la force105.
55La magnificence implique l’accomplissement de l’œuvre choisie, car :
Il revient à la magnificence non seulement de tenir bon dans la réalisation d’œuvres grandioses, ce qui revient à la constance, mais encore de les exécuter avec une prudence et un zèle viril, qui reviennent à la bravoure106.
56La magnanimité et la magnificence se distinguent donc selon la signification de la grandeur :
Il appartient à la magnanimité non seulement de tendre au grand, mais encore d’« agir avec grandeur dans toutes les vertus » soit par une fabrication, soit par une action, mais de telle sorte que la magnanimité, à ce sujet, regarde seulement la raison de la grandeur. Quant aux autres vertus, si elles sont parfaites, elles agissent grandement ; mais elles ne dirigent pas leur intention à titre principal vers ce qui est grand, mais vers ce qui est propre à chaque vertu, la grandeur découlant de la puissance de cette vertu. Tandis qu’il revient à la magnificence non seulement de faire quelque chose de grand, en prenant « faire » dans son sens propre, mais aussi de tendre à faire grand dans son intention. Aussi Cicéron définit-il la magnificence : « Un projet et une gestion d’affaires grandes et sublimes, dans une vaste et brillante perspective ». Le « projet » se rapporte à l’intention intérieure, la « gestion » à l’intention extérieure107.
57Toutefois, la magnificence ne concerne pas quelque chose d’ardu de manière absolue, comme la magnanimité, mais seulement dans la valeur des choses :
Mais la magnificence est inférieure à la force en ce que l’ardu auquel s’applique la force tient sa difficulté du danger qui menace la personne ; l’ardu auquel s’applique la magnificence tient sa difficulté de la cherté des choses, ce qui est bien moins que le péril personnel108.
58Le propre de la patience permet de supporter la tristesse plutôt que la crainte :
Et cependant la force concerne au premier chef les craintes dont la nature porte à la fuite, que la force refuse. Quant à la patience, elle concerne davantage, à titre principal, les tristesses ; car on appelle patient non pas celui qui ne fuit pas, mais celui qui a une conduite éthique digne d’éloges en soufrant ce qui nuit présentement, de telle sorte qu’il n’en ressent pas une tristesse désordonnée109.
59Finalement, la persévérance enseigne à endurer la souffrance dans le temps pour que l’action délibérée soit accomplie. Elle se distingue de la constance :
Sans doute la persévérance et la constance se rejoignent-elles par leur fin qui est, pour toutes deux, de persister fermement dans un certain bien. Mais elles diffèrent selon les causes qui rendent cette persistance difficile. Car la vertu de persévérance a pour rôle propre de faire persister fermement dans le bien contre la difficulté qui vient de la longue durée de l’acte ; tandis que la constance fait persister fermement dans le bien contre la difficulté qui provient d’obstacles extérieurs110.
60À cet égard, il faut souligner la distinction entre la patience et la persévérance. D’une part, Thomas s’insère dans la tradition chrétienne qui avait réélaboré la notion ancienne de patience111. Tandis que, chez Sénèque, la patientia est essentiellement une vertu militante qui requiert des adversités pour s’exercer112, la patientia chrétienne devient la capacité de supporter la douleur la plus extrême : les martyrs sont patients, à l’imitation de la patience du Christ. Pour Sénèque, au contraire, Dieu ne peut pas souffrir, tandis que le sage apprend à ne pas pâtir, comme il le souligne par un raccourci saisissant :
Lui (i. e. Dieu) est au-delà de la patience, vous (i. e. les sages) au-dessus de la patience113.
61De surcroît, l’exercice de la patience conduit à l’autonomie du sage alors qu’il est lié, pour le chrétien, à l’espérance de la vie future. Dans ce cadre, Thomas reprend à Augustin le recoupement (illicite !) entre l’égalité d’âme (aequanimitas) avec laquelle le sage accueille aussi bien les joies que les souffrances d’un revers de la main avec la patience chrétienne, qui est la capacité de supporter les maux présents114. Toutefois, Thomas d’Aquin introduit une modification significative. Bien que la patientia soutienne la force dans l’acte de supporter, elle ne fait pas face à la crainte de la mort, mais impose une discipline finalisée à endiguer la tristitia devant un mal présent115. Une tristesse désordonnée n’apporte que de la confusion et du désarroi. Mais la véritable vertu qui conforte la résolution de ne pas céder devant la peur de la mort est la persévérance, laquelle a besoin du secours des vertus théologales et de l’intervention de la grâce. Sur la durée d’une vie et jusqu’à la fin, la peur de la mort doit être affrontée avec le secours gratuit de Dieu :
On voit que « persévérance » s’entend en deux sens. D’abord comme désignant l’habitus de la persévérance ; c’est alors une vertu. Et alors elle a besoin du don de la grâce habituelle, comme les autres vertus infuses. Mais aussi on peut l’entendre comme l’acte de la persévérance qui dure jusqu’à la mort. Et en ce sens elle n’a pas besoin seulement de la grâce habituelle, mais encore du secours gratuit par lequel Dieu garde l’homme dans le bien jusqu’à la fin de sa vie… En effet, de soi, le libre arbitre est changeant, et ce défaut ne lui est pas enlevé par la grâce, de se fixer immuablement dans le bien, quoiqu’il soit en son pouvoir de faire ce choix ; en effet, il arrive souvent que le choix soit en notre pouvoir, mais non l’exécution116.
62Ainsi le martyr est-il plus courageux que patient ou magnanime, puisqu’il ne se détourne pas de ce qui s’était proposé, sus à la crainte de la mort117.
63Somme toute, la grande âme manifeste une forme de courage qui implique une modalité presque passive, la résistance à la crainte. La véritable action est la capacité de mener à bien les projets les plus difficiles, comme le témoignage sacrificiel du martyr. Celui-ci demeure un personnage solitaire, préoccupé de rendre hommage à Dieu, soutenu dans sa résolution par l’espérance de la véritable félicité. La magnanimité, comme critère de l’action, n’est que la mesure de son exécution résolue. C’est pourquoi tout en étant courageux, il n’est pas magnifique. Pour le magnanime thomasien, le désir des biens extérieurs n’est donc pas un problème essentiel. Les biens préférables ont souvent un effet nuisible, conduisant à l’arrogance, et sont fondamentalement étrangers à la nature de l’homme, puisqu’ils appartiennent seulement à la fortune118. La conservation de soi ne touche que le corps, alors que la fin ultime doit concerner également l’âme119. C’est pourquoi le martyr peut sacrifier sa vie, sans aller contre les lois naturelles. Bien plus : si l’exercice de la vertu s’accompagne de joie, ce sentiment de plénitude demeure trompeur. Car la delectatio, tout en accompagnant la béatitude, reste un accident ou un propre et ne saisit pas l’essence de la véritable jouissance de Dieu, qui a lieu après la mort120.
Notes de bas de page
1 Augustin, De Trin., VI, 8.
2 Sur les traits de la grande âme avant Aristote, cf. R. -A. Gauthier, Magnanimité. L’idéal de la grandeur dans la philosophie païenne et dans la théologie chrétienne, Paris, Vrin, 1951, p. 17-40 ; sur la conception d’Aristote, ibid., p. 55-115.
3 Aristote, EN, III, 1115a4-1119b18.
4 Aristote, EN, IV, 1119b22-1121a33.
5 Aristote, EN, IV, 1125b1-1129b33.
6 Aristote, EN, livre V.
7 Aristote, EN, livres I-III.
8 Aristote, EN, III, 1115a 24-25 : « De tous les objets de crainte, quels sont ceux qui sont l’objet du courage ? Ne serait-ce pas les plus grands ?… Or le plus redoutable des objets de crainte c’est la mort ». Et peu après, ibid., 1115a 29-30 : « En quelles circonstances, alors, la mort devra-t-elle se produire pour être l’objet du courage ? Ne sera-ce pas dans les plus belles ? Or, ces morts-là, ce sont celles qu’on trouve à la guerre : on les trouve en efet alors dans le danger le plus grand et le plus beau ».
9 Aristote, EN, III, 115a 12-16.
10 Aristote, EN, IV, 1123b13-14.
11 Personne ne peut soufrir les peines de Priam et être dit heureux : Aristote, EN, I, 1100a5-10 et 1100b 35 ; le bonheur doit être stable et exige, outre la vertu, les biens extérieurs qui jouent une fonction instrumentale, comme les amis, la richesse, le pouvoir, ou complètent notre bonheur, comme la beauté, une progéniture nombreuse. Ce sont les conditions qui permettent d’exercer efectivement la vertu et rendent la vie « belle et sereine comme un beau jour » : cf. Aristote, EN, I, 1099a 31-1099b5.
12 Aristote, EN, IV, 1123b 26-30 : « Le magnanime, s’il est digne des plus grandes choses, doit être le plus parfait des hommes. Car toujours est digne de plus celui qui est plus parfait, et des plus grandes choses celui qui est le plus parfait ».
13 Aristote, EN, IV, 1123b15-21 et IX, 1165a27-29.
14 Aristote, EN, IV, 1124a4-11 : il reçoit les honneurs avec mesure et joie, « en homme qui obtient ce qui lui revient, ou plutôt moins, car d’une vertu accomplie il n’y a pas d’honneur qui soit digne ».
15 C’est pourquoi il n’éprouve ni excès de joie dans la bonne fortune ni excès de chagrin dans la mauvaise fortune : Aristote, EN, IV, 1124a 12sq.
16 Aristote, EN, IV, 1124a18-19. Cela se traduit également par leur démarche lente, la voix grave et posée : « Pas de hâte en efet chez celui qui ne sollicitent que peu d’afaire, pas de tension d’esprit chez celui qui ne fait grand cas de rien » et ibid., 1125a12-16.
17 Aristote, EN, IV, 1125a19-32.
18 Aristote, EN, IV, 1124b24.
19 Aristote, EN, IV, 1125a2.
20 Sur le sens de l’expression argos comme signe manifeste du contemplatif, cf. le commentaire de R. -A. Gauthier à L’Ethique à Nicomaque, t. 2, p. 288-292. Sur le portrait du philosophe et son sens de la grandeur, cf. Platon, République, 486a-b.
21 Sur le sens de l’expression oudè thaumastikòs, cf. le commentaire de R. -A. Gauthier à L’Ethique à Nicomaque, t. 2, p. 293-295. Toutes les autres qualités du magnanime, que souligne Aristote, EN, IV, 1124b6-1125a12, comme la franchise, la générosité ou l’autonomie dépendent de cette estime de soi et de ce détachement à l’égard des biens secondaires, qui peuvent le conduire à ne pas donner trop de prix à la vie elle-même.
22 Aristote, EN, IX, 1166b26-29.
23 Aristote, EN, IV, 1122b13 : un pauvre ne peut pas être magnifique.
24 Aristote, EN, IV, 1123a10-18.
25 Aristote, EN, IV, 112a511-12.
26 Je ne partage donc pas l’opinion de R. -A. Gauthier, dans son commentaire à L’Ethique à Nicomaque, t. 2, p. 272-273, selon laquelle le magnanime aristotélicien rejoindrait le magnanime stoïcien sur deux points, le mépris des choses et l’impassibilité.
27 Il ne me semble pas, à la diférence de R. -A. Gauthier, dans son commentaire à L’Ethique à Nicomaque, t. 2, p. 273, qu’Aristote privilégie l’acception d’impassibilité au lieu de l’estime de soi, laquelle est célébrée dans l’Ethique à Eudème, III, 5, même si la tension entre ces deux notions se trouve dans An. Po., II, 1397b15-25.
28 L’idéal de la magnanimité comme forme de vie du philosophe universitaire est mis en lumière, mais diféremment, par J. Le Goff, Les Intellectuels au Moyen Âge, p. 116-129 et par A. de Libera, Penser au Moyen Âge, p. 196-197.
29 Cf. supra, chap. 1.
30 Ceci fut une des questions les plus discutées dans l’école stoïcienne qui chercha, avec Panétius et Aspanius, une conciliation avec la théorie aristotélicienne de l’âme. Dans la tradition la plus ancienne, le diférent significatif porta sur les modalités de l’unité de l’âme. Si, pour Chrysippe, il y a une seule faculté, si bien que toute horné implique un jugement sous la forme de l’assentiment, pour Zénon, la horné peut être causée par la raison sans s’identifier avec elle : cf. Diogène Laërce, Vies, VII, 110-116 ; en particulier, VII, 158, p. 882 : « La partie directrice est la partie principale de l’âme, dans laquelle les représentations et les impulsions se produisent et à partir de laquelle le langage est émis ».
31 Diogène Laërce, Vies, VII, 49, p. 823 : « Les Stoïciens considèrent qu’il faut mettre en premier lieu la théorie relative à la représentation et à la sensation, dans la mesure où le critère, par lequel la vérité des choses est connue, est génériquement une représentation, et dans la mesure où la théorie de l’assentiment-et celle de l’appréhension et de l’intellection-, qui vient avant les autres, ne peut exister sans la représentation. La représentation vient en efet en tête, puis la pensée, qui est prédisposée pour la parole, exprime par la langage ce qu’elle éprouve du fait de la représentation ».
32 Sénèque, Ep., 113, 18, p. 1035 : « Tout animal raisonnable ne fait rien sans que d’abord la représentation d’une chose l’ait incité, puis il a un élan, finalement l’assentiment sanctionne cet élan ». (« Omne rationale animal nihil agit nisi primum specie alicuius rei inritatum est, deinde impetum cepit, deinde adsensio confirmauit hunc impetum »).
33 Diogène Laërce, Vies, VII, 111-112 ; Sénèque, De Ira, 2 4, 1.
34 En réalité, un des sujets controversés à cet égard concerne la présence ou non chez Sénèque d’une faculté à part comme la volonté. B. Inwood, “The Will and the Self in Seneca”, Reading Seneca. Stoic Philosophy at Rome, p. 224sq. et R. Sorabji, Emotion and Peace, p. 42-44 et p. 328-333, soutiennent de manière, me semble-t-il, persuasive qu’il n’y a pas de concept autonome de volonté.
35 Sénèque, Ep., 120, 18, p. 1073 : « Ideo magnus animus conscius sibi melioris naturae dat quidem operam ut in hac statione qua positus est, honeste se atque industrie gerat, ceterum nihil horum quae circa sunt, suum iudicat, sed ut commodatis utitur, peregrinus et properans ». On pense à Lucrèce, La nature des choses, III, 970-971 : « Sic aliud ex alio numquam desistet oriri/Vitaque mancipio nulli datur, omnibus usu ». À savoir : « Les êtres ne cessent de naître les uns des autres : la vie est donnée à tous comme usufruit, à personne comme propriété ». Cf. encore Sénèque, Ep., 98, 11.
36 Sur cet aspect, cf. G. Lolito, Suum esse. Forme dell’interiorità senecana, Bologna, Pàtrona, 2002, p. 131-175.
37 Sénèque, Ep., 42, 10, p. 697 : « Circumspice ista, quae nos agunt in insaniam, quae cum plurimis lacrimis amittimus : scies non damnum in his molestum esse, sed opinionem damni. Nemo illa perisse sentit, sed cogitat. Qui se habet, nihil perdidit : sed quoto cuique habere se contigit ? ».
38 Sénèque, De Ira, III, 36, 1-4.
39 Car, comme le souligne Sénèque lui-même, Ep., 87, 36, p. 880-881 : « Les commodités et les biens ne sont point du même ordre. On appelle commodité ce qui apporte plus d’utilité que de désagrément. Un bien doit être sans mélange et n’avoir rien en soi de nuisible. La caractéristique du bien, ce n’est pas une utilité relative, mais l’utilité tout court ». (« Alia est commodorum condicio, alia bonorum : commodum est, quod plus usus habet quam molestiae ; bonum sincerum esse debet et ab omni parte innoxium. Non est id bonum, quod plus prodest, sed quod tantum prodest »).
40 Sénèque, Ep., 119, 2, p. 1064 : « J’ai pour toi un créancier tout prêt, celui qui recommande Caton l’Ancien : « N’emprunte qu’à toi-même ». (« Paratum tibi creditorem dabo Catonianum illum-a te mutuum sumes »).
41 Sénèque, De Vita beata, II, 2.
42 Sénèque, Ep., 71, 7, p. 787 : « Or, nul n’accomplira ce devoir (i. e. d’accomplir la vertu), s’il n’a pas lui-même et en premier conçu du mépris pour toutes choses, s’il n’a considéré comme égaux tous les biens. Car un bien suppose toujours la beauté morale, et la beauté morale se manifeste en tous biens au même degré ». (« Hoc nemo praestabit, nisi qui omnia prior ipse contempserit, nisi qui omnia bona exaequauerit, quia nec bonum sine honesto est et honestum in omnibus par est »). Cf. aussi Sénèque, Ep., 74, 13.
43 Non seulement les biens s’équivalent, ne valant pas plus les uns que les autres, mais les vertus ont également la même valeur : comme le souligne Sénèque lui-même, Ep., 66, 28, p. 767 : « Pourquoi nul bien n’est-il supérieur en grandeur à un autre ? Parce qu’il n’est rien de mieux agencé que l’agencement, de plus uni que l’uni. Tu ne saurais dire de deux choses égales à une troisième que l’une lui est plus égale que l’autre. De même on ne saurait concevoir rien de plus honnête que l’honnête ». (« Quare non est ullum bonum altero maius ? Quia non est quicquam apto aptius, quia plano nihil est planius. Non potes dicere hoc magis par esse alicui quam illud : ergo nec honesto honestius quicquam est »).
44 En ligne de principe, puisque la paralysie dans la vie pratique produite par une telle discipline conduit les Stoïciens et Sénèque lui-même à introduire les indiférents préférables.
45 Sénèque, Ep., 91, 18, p. 920 : « Hoc puta rerum naturam dicere : ‘Ista de quibus quereris, omnibus eadem sunt. Nulli dare faciliora possum, sed quisquis uolet, sibi ipse illa reddet faciliora’. Quomodo ? Aequanimitate ». Cf. aussi Sénèque, Ep., 120, 10.
46 Je me permets de parler d’équipollence (isostheneia) car ce qui prime ici est un jugement Toutefois, le jugement sur l’équivalence des valeurs peut porter également à l’aphasie, voire à l’autosuppression de toute thèse, y compris celle des sceptiques. Sur les paradoxes de cette position, cf. M. Burnyeat, “Can the Skeptic Live this Skepticism ?”, p. 117-148. Sur les points de convergence entre le scepticisme et le stoïcisme, cf. R. Laurent, “Epitteto e lo scetticismo”, dans G. Giannantoni (éd.), Lo Scetticismo antico, Napoli, Bibliopolis, 1981, p. 377-392. Il ne faut naturellement pas confondre, tant s’en faut, les deux formes du scepticisme ancien, cf. F. Decleva Caizzi, “Pirroniani e Accademici nel III secolo AC”, dans H. Flashar et O. Gigon (éds.), Aspects de la philosophie hellénistique, Genève, Fondation Hardt, Entretiens XXXII, 1985, p. 146-183 ; M. Bonazzi, Accademici e platonici : il dibattito antico sullo scetticismo di Platone.
47 Sénèque, De Vita beata, 25, 6 ; Ep., 96, 5. Sur ce sujet, cf. I. Dionigi, “La pazienza : Seneca contro i Cristiani”, dans A. P. Martibna (éd.), Seneca e i Cristiani, Milano, Vita e Pensiero, 2001, p. 413-443.
48 Contre la solution faible et non virile des Epicuriens, cf. Sénèque, De Constantia sapientis, dans Seneca, Moral Essays, éd. et tr. ang. de J. W. Basore, vol. 1, 1928 ; tr. fr. dans Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius, 1. 1. Cicéron se moquait, cependant, aussi bien de l’attitude des Epicuriens, Tusc., II, 17 que de celle des Stoïciens, ibid., II, 29-30.
49 Le sage stoïcien ne peut, sans tomber en contradiction, éprouver de passions. Toutefois ce retrait en lui-même, qui le rend inaccessible à la fortune, lui procure des états d’âme particuliers, les eupatheiai, parmi lesquels la joie : cf. Diogène Laërce, Vies, VII, 6. Naturellement cet aspect demeure problématique : d’une part, parce que les Stoïciens ne trouvèrent pas de nom pour un état d’âme opposé à la douleur ; d’autre part, parce que comme les kathekonta dans les cas de la vertu, ces états d’âme produisent la fissure par laquelle les troubles de l’âme peuvent s’insinuer.
50 Ici réside naturellement la diférence macroscopique avec les Epicuriens. Le sage stoïcien ne reste toutefois pas inactif par rapport au destin : il cherche à s’y conformer, même s’il ne le connaît pas pleinement, c’est pourquoi il a droit à une forme de « réserve » que Sénèque, De Ben., 4, 34, 4sq. ; De Tranq., 13, 2-14, traduit par exceptio . Cf. B. Inwood, Ethics and Human Action in Early Stoicism, Oxford, Oxford University Press, 1985, p. 119sq.
51 Sénèque, Ep., 95, 57, p. 964 : « Il n’y a tranquillité que chez ceux qui ont acquis un jugement immuable et assuré ». (« Non contingit tranquillitas nisi immutabile certumque iudicium adeptis »).
52 Sénèque, De Vita beata, 15, 2 ; Ep., 66, 13. À la différence donc de Démocrite, dont pourtant Sénèque reprend le titre du De tranquillate animi. Cicéron, De Fin., V, 23, avait déjà traduit l’euthymia de Démocrite de la même manière. Sur l’évolution de la tranquillitas, comprise initialement comme fin, puis comme conséquence, cf. Cicéron, De Fin ., V, 87 ; Sénèque, De Ira, III, 6, 3.
53 Sénèque, De Ben., 4, 13.
54 Mais le sage se suffit à lui-même et peut vivre sans les amis. Cela n’implique pas qu’il le veuille : cf. Sénèque, Ep., 9, 5.
55 Sénèque, Ep., 6, 7 : « ’Je suis devenu l’ami de moi-même’. Progrès considérable : il ne sera jamais seul. Une telle amitié, sache-le, est à la portée de tous ». (« ‘Amicus esse mihi coepi’. Multum profecit : numquam erit solus. Scito hunc amicum omnibus esse »).
56 Sénèque, Ep., 7, 9 : « Nemo est, qui intellegere te possit ».
57 Sénèque, Ep., 62, 1-2, p. 748-749 : « Vaco, Lucili, uaco et ubicumque sum, ibi meus sum. Rebus enim me non trado, sed commodo, nec consector perdendi temporis causas : et quocumque constiti loco, ibi cogitationes meas tracto et aliquid in animo salutare conuerso. Cum me amicis dedi, non tamen mihi abduco nec cum illis moror, quibus me tempus aliquod congregauit aut causa ex officio nata ciuili, sed cum optimo quoque sum : ad illos, in quocumque loco, in quocumque saeculo fuerunt, animum meum mitto ».
58 C’est pourquoi j’examine son point de vue après Sénèque, bien qu’il ait vécu auparavant.
59 Cicéron, De Off., I, 61.
60 Cicéron, De Off., l, 64 : « Ut enim apud Platonem est, omnem morem Lacedaemoniorum inflammatum esse cupiditate uincendi, sic, ut quisque animi magnitudine maxime excellet, ita maxime uult princeps omnium uel potius solus esse. Difficile autem est, cum praestare omnibus concupieris, seruare aequitatem quae est justitiae maxima propria ».
61 La vantardise est, pour Aristote, EN, IV, 1127a13-1127b19, un vice contraire à la mediates de la véracité.
62 Cicéron, De Off., I, 65
63 Ainsi le magnanime n’est-il pas foncièrement un homme d’arme : le magnanime civil, qui administra les biens de l’État, peut être courageux ; cf. le long développement dans Cicéron, De Off., I, 74-84.
64 Dans l’analyse de la magnificence, Aristote, EN, 1122a35-12122b11, passe de la grandeur de la dépense à la grandeur de l’œuvre pour laquelle l’argent a été investi.
65 La magnificence est une vertu qui vise l’intérêt public, même dans les circonstances privées comme une fête de mariage ; cf. Aristote, EN, 1123a1-8.
66 Dans le long passage consacré à l’otium, De Off., I, 69-73 et 92, Cicéron reconnaît son utilité comme forme de vie.
67 Cicéron, De Off., I, 72-73 : « Capessentibus autem rem publicam nihil minus quam philosophis-haud scio an magis etiam-et magnificentia et despicientia adhibenda sit rerum humanarum, quam saepe dico, et tranquillitas animi atque securitas, si quidem nec anxii futuri sunt et cum grauitate constantiaque uicturi. Quae faciliora sunt philosophis, quo minus multa patent in eorum uita, quae fortuna feriat, et quo minus multis rebus egent et quia, si quid aduersi eueniat, tam grauiter cadere non possunt. Quocirca non sine causa maiores motus animorum concitantur-maioraque efficiendi-rem publicam gerentibus quam quietis, quo magis iis et magnitudo est animi adhibenda et uacuitas ab angoribus ».
68 Cicéron, De Off., I, 17 ; 66-67 ; 72-73 ; 90.
69 Cicéron, De Off., I, 84-85 et 92.
70 Cicéron, De Off., I, 66 : « Altera est res ut, cum ita sis afectus animo, ut supra dixi, res geras magnas illas quidem et maxime utiles, sed ut uehementer arduas plenasque laborum et periculorum cum uitae tum multarum rerum quae ad uitam pertinent ».
71 Cicéron, De Off., I, 67.
72 Cicéron, De Off., I, 68 : « Or il n’est pas raisonnable que celui qui n’est pas fléchi par la crainte, soit fléchi par la convoitise, que celui qui s’est montré invincible par la fatigue, soit vaincu par le plaisir. Aussi cette passion est-elle à éviter et celle de l’argent est-elle à fuir ». (« Non est autem consentaneum, qui metu non frangatur, eum frangi cupiditate nec, qui inuictum se a labore praestiterit, uinci a uoluptate. Quam ob rem et haec uitanda et pecuniae fugienda cupiditas »).
73 Aristote, EN, III, 1117ba34.
74 Qui a son pendant dans le fait que l’on ne peut pas prendre moins jouissance qu’on ne le doit, car cette forme d’insensibilité ne fait pas partie de notre nature : cf. Aristote, EN, 1119a1-9.
75 Cicéron, De Off., I, 85 : « Omnino qui rei publicae praefuturi sunt, duo Platonis praecepta teneant, unum, ut utilitatem ciuium sic tueantur ut, quaecumque agunt, ad eam referant, obliti commodorum suorum ; alterum, ut totum corpus rei publicae curent, ne, dum partem aliquam tuentur, reliquas deserant. Vt enim tutela, sic procuratio rei publicae ad eorum utilitatem qui commissi sunt, non ad eorum quibus commissa est, gerenda est ».
76 Cicéron, De Off., I, 90-91.
77 Cicéron, De Off., I, 92 : « Haec praescripta seruantem licet magnifice, grauiter animoseque uiuere atque etiam simpliciter, fideliter, uere hominum amice ».
78 Aristote, EN, IV, 1120a11.
79 Cicéron, De Am., 18 (65) : « Firmamentum autem stabilitatis constantiaeque est eius quam in amicitia quaerimus, fides ; nihil est enim stabile quod infidum est ».
80 Cicéron, De Am., 5 (18).
81 Cicéron, De Am., 27 (100) : « … ex quo exardescit sive amor sive amicitia ; utrumque enim dictum est ab amando ; amare autem nihil est aliud nisi eum ipsum diligere quem ames, nulla indigentia, nulla utilitate quaesita ; quae tamen ipsa efflorescit ex amicitia, etiamsi tu eam minus secutus sis ».
82 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 129, art. 3, réponse (p. 763) et art. 5, objection 3 (p. 765).
83 Elles font également partie, comme la magnificence, de l’irascible : Thomas d’Aquin, ST qu. 134, art. 4, solution 1 (p. 784).
84 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 129, art. 5, réponse (p. 765).
85 Thomas d’Aquin, ST, Ia IIae, qu. 2, art. 5.
86 La deuxième partie de la Somme comprend la Prima Secundae et la Secunda Secundae.
87 Thomas d’Aquin, ST, Ia IIae, qu. 2, art. 8. Sur cela cf. les cinq premières questions.
88 C’est pourquoi la Prima Secondae analyse d’abord les actes comme volontaires et libres, susceptibles donc d’être considérés bons ou mauvais (qu. 6-21) ; puis elle examine les passions, liées à l’âme par le corps (qu. 22-48). Suit l’étude des habitus (qu. 49-54) qui en prend en compte également les mauvaises manifestations (qu. 71-89). Les vertus cardinales sont examinées dans les qu. 55-67, précédant un court traité sur les dons de l’Esprit (qu. 68-70). La partie finale est consacrée à la Loi et à la Grâce (qu. 90-114). Cf. E. Gilson, S. Thomas moraliste, Paris, Vrin, 1974 ; M. D. Chenu, « Les Passions vertueuses. L’anthropologie de S. Thomas », RPL 72, 1974 et J. -P. Torrell, « Thomas d’Aquin : la philosophie morale », dans M. Canto (éd.), Dictionnaire d’Ethique et de philosophie morale, Paris, PUF, 1996, p. 1516-1523 ; S. J. Pope (éd.), The Ethics of Aquinas, Washington, Georgetown University Press, 2002.
89 Après avoir traité des vertus théologales (qu. 1-46), l’analyse se porte sur les règles de l’agir concret (qu. 47-170). L’adaptation des vertus et des vices à des catégories spécifiques de personnes (selon l’intervention de la Grâce, le partage entre la vie active et la vie contemplative et la séparation entre les religieux et les laïcs) est examinée dans les qu. 171-189.
90 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 57-122.
91 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 123-140.
92 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 141-170.
93 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 123, art. 12, réponse (p. 743).
94 Cf. M. D. Chenu, « Les Passions vertueuses. L’anthropologie de S. Thomas », p. 11sq.
95 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 129, art. 3, solution 4 (p. 763). Toutefois, la magnanimité est une partie de la force, tandis que l’humilité est une partie de la tempérance, donc du concupiscible. De même que la tempérance refrène l’emportement d’une passion, de même l’humilité réprime le mouvement d’espoir, qui est un élan de l’esprit tendant vers de grandes choses. L’humble reconnaît qu’il a besoin du secours de la grâce divine. Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 161, arts. 4 et 6.
96 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 129, art. 1, (p.760).
97 Cicéron, De Inuentione, 2, 163.
98 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 128, article unique, solution 6.
99 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae qu. 123, art. 6, solution 1 (p. 739).
100 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 124, art. 2 ad. 1.
101 La distinction entre un sens large et un sens spécifique des vertus vient à Thomas du commentaire d’Albert le Grand à l’Ethique à Nicomaque, Super Ethica, Pars I : Libri 1-5, et Pars II : libri 6-10, éd. de W. Kübel, Münster, Ed. Colon., 1968 (Alberti Magni Opera Omnia, tomus XIV, partes I et II ), 2, 6, où cependant les vertus cardinales sont interprétées à la lumière des vertus propres aux quatre dispositions naturelles du De Officia de Cicéron. Cf. O. Lottin, « Les Vertus cardinales et leur ramifications chez les théologiens de 1230 à 1250 », dans id., Psychologie et morale aux XIIe et XIIIe siècles, vol. 3, Louvain, Abbaye du Mont César, 1949, p. 154-195.
102 Sur cet aspect, cf. R. E. Houser, “The Virtue of Courage”, dans The Ethics Aquinas, p. 304-320.
103 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 128, art. 1, solution 6.
104 La confiance est étroitement liée à l’espérance : Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 128, article unique (p. 758-759) : « Or l’espérance de quoi que ce soit présuppose un appétit tendu par le désir vers de grandes choses, ce qui se rattache à la magnanimité ; nous avons dit plus haut (ibid., qu. 40, art, 7) en efet que l’espérance présuppose l’amour et le désir de son objet. Ou bien on peut dire, ce qui est mieux, que la confiance se rattache à la certitude de l’espérance, la magnanimité, à la grandeur de la chose espérée ».
105 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 129, art. 6, solution 2 (p. 766-767).
106 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 128, art. unique, solution 6 (p. 759).
107 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 134, art. 2, solution 2 (p. 782).
108 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 134, art. 4, réponse (p. 784).
109 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 136, art. 4, réponse (p. 790).
110 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 137, art. 3, réponse (p. 794).
111 Tertullien, De Patientia, éd. de J. G. Ph. Borlefs, Turnhout, Brepols, 1954, p. 299-317.
112 Sénèque, De Vita beata, 25, 6 où la patience est liée à la persévérance ; cf. aussi Sénèque, Ep., 67, 10.
113 Sénèque, De Providentia (désormais abrégé par Sénèque, De prov.), éd. et trad. angl. de J. W. Basore, dans Seneca, Moral Essays, vol. 1 ; tr. fr. dans Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius ; ici 6, 6 : « Ille extra patientiam malorum est, uos supra patientiam ».
114 Augustin, De Patientia, éd. de J. Zycha, Vienne, CSEL XLI, 1900, p. 663-691, repris par Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 136, art. 1, réponse.
115 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 136, art. 4, ad 2. C’est pourquoi elle réside, comme la tempérance, dans le concupiscible. Toutefois, ibid., (p. 790) : « La patience n’est pas donnée comme faisant partie de la tempérance, quoique ces deux vertus aient leur siège dans la concupiscible. Parce que la tempérance concerne seulement les tristesses qui s’opposent aux plaisirs du toucher comme celles qui viennent de l’abstinence d’aliments ou de plaisirs sexuels ; mais la patience concerne surtout les tristesses que les autres nous infligent. De plus, il revient à la tempérance de refréner ces tristesses, ainsi que les délectations opposées ; à la patience il appartient d’empêcher l’homme de s’éloigner du bien de la vertu à cause de ce genre de tristesses, si grandes soient elles ».
116 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 137, art. 1 et art. 4, réponse (p.795).
117 Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 123, art. 3 et 4 et qu. 129, art. 5, solution 3 (p. 766) : « … un mal ardu contredit un bien ardu. C’est pourquoi la vertu de la force est plus primordiale que la magnanimité ; le bien a beau être absolument plus primordial que le mal, le mal est plus primordial sous ce rapport ».
118 Thomas d’Aquin, ST, Ia IIae qu. 2, art. 4.
119 Thomas d’Aquin, ST, Ia IIae, qu. 2, art. 5.
120 Thomas d’Aquin, ST, Ia IIae, qu. 2, art. 6, conclusion.
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