Chapitre 3. Suivre son propre intérêt
p. 89-125
Texte intégral
3.1. La recherche d’un surcroît
3.1.1. Le jugement sur le plus et le moins
1Les nouvelles peuvent représenter de manière plus significative que l’argumentation philosophique la nature fonctionnelle des choses et des mots. Elles adhèrent par leur nature plastique aux contours flous des situations particulières, toujours circonstanciées et fluctuantes. Toutefois, bien que les conduites de vie soient plurielles et multiformes, elles décrivent le plus souvent des opérations de crédit, de dette, de prêt ou de don. Le ressort narratif est donné par l’échange des biens matériels et symboliques, caractérisé par l’évaluation des pertes et des profits. Même le commerce affectif avec autrui est orienté par l’appréciation de la grandeur relative des valeurs et du gain escompté.
2Il s’agit là de la modalité spécifique du jugement moral exercé dans les nouvelles, qui se traduit la plupart des fois par l’appréciation d’un plus ou d’un moins. Il est vrai que le jugement sur le plus et le moins définit constitutivement l’argumentation propre aux problèmes moraux, liés au commerce quotidien avec autrui. La déduction nécessaire leur est étrangère parce que leurs prémisses sont des jugements de valeur en compétition et non des axiomes. Par conséquent, leurs raisonnements utilisent essentiellement le schème topique du « plus et du moins »1, qui permet d’élaborer des arguments comparatifs ou analogiques. Ceux-ci sont appropriés aux discussions sur les décisions morales particulières dont le but est de parvenir à déterminer ce qu’il est préférable de faire, et non ce qu’il faudrait faire dans tous les cas.
3Mais ce qui caractérise les attitudes morales après la peste est la radicalisation des modalités de jugement sur le plus et le moins. Puisque celui-ci ne peut plus se référer au critère objectif de la vertu, ni à une échelle graduelle déterminée, il se traduit par une opération de comparaison entre des valeurs constamment instables, lesquelles sont toujours plus ou moins grandes de manière relative, les unes par rapport aux autres. Perdant toute mesure commune, le raisonnement sur le plus et le moins est développé jusque dans ses conséquences extrêmes et conduit, en l’absence d’une norme qui en fixe la limite, à la recherche d’un « toujours plus ». Ainsi l’orientation morale se mue-t-elle en la poursuite d’un superlatif au sens d’un surcroît et la comparaison se transforme aisément en compétition, suivant le désir d’être non pas seulement le meilleur, mais le premier. La recherche d’un surcroît, dans un univers de conflit, devient ainsi le critère de ce qui est préférable dans toute situation contingente.
4De la sorte, l’acquisition des biens extérieurs, comme la santé, la richesse, ou le pouvoir constitue l’expression la plus manifeste de ce gain. C’est justement le lien entre la recherche d’un surcroît et sa réalisation par l’accumulation des biens qui définit l’inspiration unitaire des nouvelles. Autrement dit : au centre des péripéties multiples du Décaméron se situe la recherche de son propre intérêt.
3.1.2. Encore plus
5L’évolution de la structure du jugement sur le plus et le moins dans la recherche d’un surcroît traverse les nouvelles du Décaméron. Bien qu’elles portent sur des sujets variés, notamment l’amour, la fortune, l’intelligence astucieuse et efficace (l’industria)2, leur trait commun est la poursuite de l’intérêt propre3. Celui-ci est compris comme le gain d’un surcroît, allant au-delà de la juste distribution selon le principe : « à chacun son dû ». L’acquisition, la perte, la restitution, l’exploitation des biens extérieurs caractérisent les vicissitudes des nouvelles. Les passions, le désir, la jalousie, la colère, mais aussi l’amour, l’amitié, la générosité sont également soumises à cette économie, où l’on calcule les pertes et les profits et l’on recherche constamment un surcroît.
6Dans le Décaméron, le plaisir traduit parfaitement cette économie des passions. Plus que l’expression d’une forme de vie sensuelle, emancipée des conventions sociales, le plaisir est la modalité affective majeure qui correspond à la satisfaction due à l’obtention d’un surcroît. À y regarder de près, le plaisir est rarement immédiat ou lié à la jouissance du bien désiré, mais il est d’autant plus intense qu’il s’octroie un gain supplémentaire, le plus souvent aux dépens d’autrui. Car il est différé par le récit, mais aussi par les détours, la tromperie, le masque. Il est loin d’être l’affirmation d’une spontanéité naturelle : il lui faut nombre de médiations pour remplir ses attentes. De plus, il ne repose presque jamais sur la recherche d’un rapport d’égalité, le plaisir de la reconnaissance réciproque ne lui suffit guère. Au contraire, il s’accomplit en portant attente aux biens d’autrui.
7On peut se rendre compte du caractère central de son propre intérêt, si l’on passe simplement en revue les sujets des nouvelles. Le thème de la première journée est libre, mais la plupart des récits porte sur le pouvoir que la parole possède de faire payer avec les intérêts, par un surcroît de honte et de ridicule, une mauvaise conduite telle que l’avarice, l’hypocrisie, la lâcheté, la frivolité, la méchanceté. Au cours du deuxième jour, on devise de la Fortune, notamment de “chi, da diverse cose infestato, sia oltre alla speranza riuscito a lieto fine” (« de ceux qui, tourmentés par le destin, finissent au-delà de toute espérance par se tirer d’affaire »). Le troisième jour porte sur “chi alcuna cosa molto da lui disiderata con industria acquistasse o la perduta ricoverasse” (« ceux qui par leur ingéniosité ont obtenu une chose très désirée, ou recouvré ce qu’ils avaient perdu ») et il est présenté explicitement comme une restriction du thème précédent de la fortune. Apparemment cette série de nouvelles ne tourne pas autour de la poursuite d’un gain supplémentaire. Les malheureux de la deuxième journée “ritornano al proprio stato”, sont donc rétablis dans leur état initial, tandis que les bienheureux de la troisième journée retrouvent ce qu’ils ont perdu ou acquièrent ce qu’ils ont passionnément désiré, bien qu’ils ne l’aient pas pour autant mérité.
8Pourtant, les procédures du « rétablissement » sont parodiques puisqu’elles dépendent plus du hasard, de la tromperie et de l’astuce que de la justice. Surtout, il ne s’agit pas à proprement parler d’un « rétablissement » par lequel ce qui avait été soustrait ou dérobé se trouve restitué en parties égales ou avec équité. Le gain d’un plus et la perte d’un moins prédominent. Les détours sont tels que la rétribution est apparente4 ou bien chacun y retrouve son compte, mais en ayant toujours acquis ou perdu quelque chose5. De même, dans la troisième journée, le désir trouve satisfaction d’une manière indirecte, par le déguisement, la supercherie, la farce. Le plaisir majeur réside dans la mise en œuvre des moyens retors d’arriver à une forme de jouissance, qui est essentiellement médiate.
9La quatrième journée, concernant les amours tragiques, met en scène la perte ruineuse qui est due à une surévaluation ou à une fausse appréciation de son propre intérêt : le gâchis de ses richesses et même de la vie de ses proches6. Dans la cinquième journée “si ragiona di cio’ che a alcuno amante, dopo alcuni fieri o sventurati accidenti, felicemente avvenisse” (« on devise des issues heureuses couronnant des amours cruelles et tragiques »), mais ici l’issue heureuse n’en est pas vraiment une. Federigo peut épouser sa belle, puisqu’elle est mue par un jugement sur le moins et le plus. La dame ne l’aime point, mais éprouve un sentiment mineur, la gratitude, qui peut bien tenir lieu d’une passion. Il est plus convenable d’ailleurs de se remarier après son veuvage et il en va de son propre intérêt de choisir l’homme le plus probe. Nastagio degli Onesti, comme nous l’avons vu, obtient le consentement d’une femme récalcitrante en lui infligeant une peur bleue par la représentation d’une punition infernale. Il y va de l’intérêt de la femme de lui céder de bon gré. Il faut souligner d’ailleurs que, dans cette journée, la passion est présentée comme une mauvaise gestion des biens, les amants se ruinant en dépensant tout leur argent pour séduire leur belle, ainsi que comme un investissement profitable, la femme autant aimée que convoitée étant inévitablement riche.
10Les sixième, septième et huitième journées, concernant les mots d’esprits et les tours joués aux dépens d’autrui, expriment de manière apparemment enjouée la recherche d’un surcroît qui conforte l’estime de soi. En effet, l’acquisition d’un bien n’est pas ici centrale : au contraire, les mots d’esprit et les tours bien joués sont gratuits et ne modifient la plupart des fois qu’une situation fastidieuse, mais passagère. Une telle gratuité ne renverse pas seulement la logique généreuse du don, mais surtout confère une valeur supplémentaire aux plaisanteries douteuses : l’estime de soi est d’autant plus grande que l’enjeu est moindre. La répartie astucieuse de même que la farce gratuite n’ont comme but principal que l’accroissement du sentiment de sa propre excellence, qui s’y manifeste à l’état pur, justement parce que le gain et la perte ne sont pas significatifs. Une farce ou un bon mot permettent de se tirer provisoirement d’affaire, en y ajoutant le surcroît du rire. Rire méchamment et un peu lâchement des autres est certes une passion, que Spinoza définirait « triste », mais intensifie le sentiment de complaisance que l’on nourrit pour soi-même.
11Le thème de l’avant-dernière journée est libre : “si ragiona ciascuno secondo che gli piace e di quello che più gli aggrada” (« chacun devise à son gré de ce qui lui plaît davantage »). Ici chaque conteur trouve son intérêt accru par la satisfaction de choisir son sujet, après avoir été élu le roi d’une journée. La parole se fait plus audacieuse, libérée par la conscience que cela ne sera plus le cas après. Les vicissitudes, les farces, les pratiques d’acquisition ou de soustraction des biens d’autrui sont développées dans les situations les plus extrêmes, les plus grotesques et les plus loufoques. C’est ici que se trouve la série de nouvelles sur les beffe amères de Buffalmacco et de Calandrino, où l’intérêt apparaît sous la forme manifeste de l’argent7. La possession du corps d’autrui8 ou le surcroît de la vengeance9 sont particulièrement gratuits, crus, mal dégrossis. La dernière journée porte, en revanche, sur les spiriti magni, généreux et désintéressés : elle constitue un retournement radical de la recherche de l’intérêt propre, introduisant une tout autre conception du surcroît.
3.2. La morale du second ordre
3.2.1. Les indifférents préférables
12Le rôle central de l’intérêt propre semble conforter l’impression que Boccace veut mettre en scène, dans ses nouvelles, la société marchande de son époque et la nouvelle appréciation des rapports humains qui s’ensuit. On ne peut cependant pas considérer le Décaméron comme une « épopée des marchands »10. Tandis que l’épopée est le récit de fondation d’une communauté, exposant les hauts-faits d’un héros ou d’un peuple, le Décaméron narre la déstructuration d’une société, relatant les gestes souvent mesquins d’individus égoïstes. L’épopée décrit une totalité achevée par elle-même, où le crime ou la folie ne sont que « le point symbolique lumineux où se fait jour la relation de l’âme à son destin », tandis que, dans la nouvelle, « le regard saisit le non-sens dans sa nudité, sans aucun ménagement… »11. On peut concéder qu’une telle réécriture de l’épopée est ironique, mais elle n’implique aucun projet de recomposition sociale. La brigade se dissout et la peste n’a pas disparu. C’est pourquoi il est vain de voir dans les nouvelles un récit de refondation, fût-il chevaleresque12. Le marchand n’est pas encore un héros ; le chevalier ne l’est plus.
13Pour comprendre le projet du Décaméron, l’analyse du cadre narratif ou la description des modalités sémiotiques ne sont pas suffisantes. Il faut également en déterminer le cadre conceptuel, qui non seulement offre une unité à la multiplicité des nouvelles, mais en donne surtout les clefs interprétatives. Dit autrement : quand même Boccace aurait voulu décrire, de manière parodique et en homme de lettre, les transformations de la société médiévale, encore faudrait-il définir les catégories de pensée à partir desquelles il pouvait appréhender de tels changements. Il ne s’agit pas de sélectionner des motifs isolés, mais de reconstruire un réseau conceptuel dans sa configuration intégrale qui prend forme autour d’une question centrale. Il me semble alors que Boccace tente de penser l’évolution de la société marchande à partir de l’interrogation traditionnelle sur la place des biens secondaires (matériels comme la richesse ou symboliques comme la renommée) dans la « vie bonne », la vie à la fois vertueuse et heureuse. Ce réseau conceptuel, hérité de la tradition romaine, notamment de Cicéron et Sénèque, est celui de la réflexion sur les biens indifférents, mais préférables, et sur la morale du second ordre, consacrée à ce qu’il est préférable de suivre ou de fuir dans toute circonstance particulière13. Son expression dans la vie des affaires, des negotia, est la conviction que tout rapport entre les hommes se traduit par un échange de bienfaits, caractérisé par la générosité du donateur et la reconnaissance du débiteur14. La magnanimité, la magnificence et la largesse constituent les vertus qui permettent de concilier la sagesse avec les biens secondaires, mais préférables. Par rapport aux morales hellénistiques, la pensée romaine a souligné l’autonomie des biens préférables et mis en avant l’utilitas dans la recherche de la « vie bonne »15.
14Certes, Boccace n’était pas un philosophe par profession. Il faut alors justifier ici une lecture « philosophique » du Décaméron. À cet égard, deux remarques s’imposent. D’une part, la réduction de Cicéron ou de Sénèque à des modèles littéraires, voire stylistiques, est une démarche qui s’est imposée tardivement16. Tout au long du Moyen Âge, ils ont été considérés surtout comme des maîtres de philosophie17 morale. Si Cicéron et Sénèque ont pu exercer une influence considérable dans la tradition latine, ce n’est ni par la beauté de leur style, ni par la prégnance de leur réflexion, mais parce que celle-ci avait trouvé dans celui-là une expression pertinente18.
15Car l’un des aspects les plus originaux de la pensée romaine est l’abolition de la césure, propre aux morales hellénistiques, entre le sage et le sot. La difficulté de se conduire selon la vertu dans les negotia a ébranlé à Rome la supériorité supposée du sage sur le sot, à savoir l’homme qui se laisse emporter par les tourments quotidiens de la vie19. L’âme du sage se découvre aussi faible, voire « malade », que l’âme du sot20. De la sorte, la pensée romaine a renouvelé l’interrogation sur le lien entre la vertu et ses conditions effectives d’exercice. Elle privilégie ainsi les apologues, les exemples, les préceptes, les lettres et les dialogues, vrais ou fictifs pour initier efficacement le sot à la sagesse21.
16Ce n’est donc pas un hasard si Boccace lut soigneusement Sénèque et Cicéron, de même que le firent les lettrés de sa génération dans les universités ou dans les cours22. Comme tant d’autres, il y trouva un modèle d’écriture à la fois philosophique et littéraire, s’adressant à un public cultivé qui n’appartenait pas nécessairement à une école de pensée.
17D’autre part, on ne prétend pas que Boccace ait appliqué directement le cadre conceptuel tantôt mentionné à ses nouvelles. Car les catégories de pensée philosophiques ne définissent pas tant un programme qu’un horizon de problèmes et de notions à partir desquels on tente d’interpréter tel ou tel phénomène, fût-il inédit. À ce propos, un homme de lettre comme Boccace, qui voulait écrire une œuvre en langue vernaculaire sur la société des marchands, ne pouvait que faire recours à la réflexion romaine sur la compatibilité entre la vertu, le bonheur et l’utilité. Il a emprunté alors des instruments conceptuels qui lui permettaient d’interpréter les transformations morales introduites par la recherche de son propre intérêt. Mais la multiplicité des vicissitudes ainsi que l’ambigüité des personnages témoignent aussi des limites de cette approche. Car le foisonnement des exemples contradictoires et la suspension du jugement, imposée par la variété des points de vue, révèlent également une indigence conceptuelle que la logique des bienfaits et la morale des biens préférables ne remplit pas.
18Ce sont les nouvelles qui comblent ce vide, non pas par de nouvelles notions qu’elles nommeraient, mais par l’expérimentation fictive sur les possibles. Les variations sur thème montrent les faiblesses propres à la logique des bienfaits et tirent les conséquences néfastes du compromis entre la vertu et la recherche des biens préférables. Elles inventent des situations inédites pour lesquelles les catégories de pensée traditionnelles sont inadaptées ou devraient être pensées à nouveaux frais. C’est justement ce qui se passe ici. La vie après la peste fait toucher du doigt l’insuffisance de la notion d’utilité qu’il faudrait remplacer par celle d’intérêt. Pareillement, la fierté du sage et de la grande âme dégénèrent dans l’amour-propre, qui est la source de tout conflit en société.
19Boccace ne juge pas comme un censeur, mais se plaît à imaginer, comme un homme de lettre initié à la philosophie morale ainsi qu’au maniement de l’ironie et de la parodie, les conséquences extrêmes que la recherche de l’intérêt et de l’amour-propre introduisent dans le commerce humain. Il anticipe, par la fiction, ce que deviendraient les passions comme la bienveillance, l’amour, la pitié mais aussi la colère ou la haine dans les échanges régies par l’amour-propre. L’ironie est une déduction au futur. Elle permet de représenter ce que l’on ne peut pas encore définir.
20C’est en ce sens qu’une lecture « philosophique » du Décaméron peut être justifiée. Elle exige donc que le réseau conceptuel à partir duquel se déploie l’interrogation sur la « vie bonne » dans les nouvelles soit à chaque pas précisément reconstruit.
21En premier lieu, les récits de Boccace montrent que ce qui n’est plus indifférent après la peste est justement ce que les Stoïciens appelaient les adiaphora, les « indifférents », à savoir :
N’est ni bon ni mauvais tout ce qui ne profite ni ne nuit, comme vie, santé, plaisir, beauté, force, richesse, bonne réputation, bonne naissance et leurs contraires : mort, maladie, souffrance, laideur, faiblesse, pauvreté, mauvaise réputation, basse extraction…23
22Ces biens étaient considérés comme des valeurs neutres, ni bonnes ni mauvaises, puisque seule comptait l’acquisition du summum bonum de la vertu, qui est à elle-même sa propre mesure, c’est pourquoi tous les biens véritables sont égaux24. Toutefois, parmi les biens indifférents, certains sont préférables :
Parmi les indifférents, ils (i. e. les Stoïciens) disent que les uns sont préférables, les autres rejetables. Sont préférables ceux qui ont de la valeur, rejetables ceux qui sont sans valeur. À propos de la valeur, ils disent que l’une est une certaine contribution à la vie harmonieuse, ce qui s’applique à tout bien. L’autre est une certaine faculté ou une utilité médiane qui contribue à la vie conforme à la nature, ce qui revient à désigner l’utilité que richesse ou santé procurent pour mener la vie conforme à la nature. La valeur est enfin la compensation financière que fixerait l’homme qui a l’expérience de ces choses, ce qui revient à dire que le blé est échangé contre de l’avoine à raison de trois mesures pour deux25.
23Le sage peut admettre certains de ses préférables, à condition qu’ils ne modifient pas l’exercice de la vertu. Car, comme le souligne Sénèque :
Si les éléments étrangers à la vertu ont le pouvoir de l’amoindrir ou de l’accroître, on ne doit plus dire que cela seul est bien qui est honnête. Cède-t-on sur ce point ? Toute idée d’honnêteté est détruite26.
24Mais la discussion sur les préférables mina de l’intérieur l’école stoïcienne laquelle, revendiquant l’idéal de l’autonomie du sage, donna une puissante réponse éthique à toute catastrophe politique, sociale ou naturelle27. Car le sage stoïcien, frappé par le mal, ne se console pas : il l’ignore. Son âme trouve son véritable bien, en se retirant en soi-même28, considérant que sa vertu, comprise comme l’accomplissement de sa faculté rationnelle, est conforme à l’ordre cosmologique29 :
Le sage n’a pas à prendre un pas timide ou tâtonnant : sa foi en lui-même est si grande qu’il n’hésite pas à se porter à la rencontre de la fortune et que jamais il ne cédera devant elle30.
25Cette position n’est pas défensive, tant s’en faut, mais militante puisqu’elle permet à l’homme vertueux d’être inaccessible à la souffrance, en se forgeant une force d’âme invincible dans l’intériorité de son âme31. Par conséquent, tout ce qui est santé, richesse, pouvoir, mais aussi l’amour pour les proches -tout cela est écarté d’un revers de la main. Le sage évite ainsi la dispersion et la dissolution32.
26L’autonomie du sage implique cependant une double césure : d’une part, entre le retrait du sage en lui-même et tout ce qui lie l’individu à une existence réelle, comme la santé, la liberté extérieure, les affects, le corps propre ; d’autre part, entre l’univers cosmologique auquel le sage doit se conformer33 et la naturalité d’une première et intime proximité à soi (oikeiosis)34. Cette affection primitive caractérise la tendance de tout être vivant, dès la naissance, à se conserver, car :
Age infantile, croissance, jeunesse, vieillesse ne sont pas la même chose ; et cependant je ne fais qu’un avec le petit enfant, l’enfant, l’adolescent que j’ai été . Ainsi la constitution de chacun a beau passer par des états différents, la proximité de chacun à sa constitution reste la même ; ce n’est pas un enfant, un jeune homme, un vieillard, c’est moi-même que la nature me recommande. Par conséquent, l’enfant s’adapte à la constitution qui pour lors lui est échue, non à celle qu’il aura demain, devenu jeune homme. Et de fait, si un état supérieur l’attend auquel il devra passer, le modeste état où il naît ne laisse pas d’être conforme à la nature. Je cherche le plaisir : pour qui ? Pour moi : je me soucie donc de moi . Je suis la douleur : pour l’amour de qui ? Pour l’amour de moi : je me soucie donc de moi. Si je fais tout, en me souciant de moi, c’est que le souci de moi précède tout. Ceci appartient à tous les animaux et il n’est pas greffé en eux, mais inné35.
27Le souci prioritaire de soi tombe donc en contradiction avec le détachement que le sage doit afficher par rapport aux douceurs et aux douleurs de l’existence. La conformité à la nature universelle semble exiger un geste contraire à la nature : le renoncement à cette proximité primitive, telle que je fais un avec l’enfant que j’étais et le vieillard que je serai. Bien plus, par cette double césure, la vie active concrète devient impraticable et le progrès moral impossible, d’autant plus que les actions du sage, les kathortoma, sont dites « bonnes » indépendamment de ce qu’il fait. Ou bien l’on est sage, ou bien l’on est sot : la première possibilité étant idéale, il ne reste aux hommes que d’être ignorants, malades ou fous36.
28Ainsi l’exigence s’imposa-t-elle de résoudre une telle contradiction et de justifier par là la possibilité du progrès moral et de garantir l’effectivité de l’action morale. On souligna alors la nature plutôt préférable qu’indifférente de certaines valeurs37 :
S’ils ont la même appellation que les biens véritables, ils ne possèdent pas la marque distinctive du bien. Tenons-les donc pour des commodités que nous appellerons, pour le dire en notre langue, « choses préférables ». Au reste, sachons que, simples effets mobiliers, ces avantages ne sont point partie de notre personne. Logeons-les chez nous, à condition de ne pas oublier qu’ils sont hors de nous. Même logeant chez nous, qu’ils soient comptés comme possessions secondaires, de rang inférieur, qui ne confèrent à personne le droit de se rengorger38.
29On releva également qu’il serait invraisemblable que l’impulsion à se conserver soi-même disparût au fil de l’âge :
Il ne serait pas vraisemblable en effet que la nature ait rendu l’être vivant étranger à soi-même, ni qu’après l’avoir fait, elle ne l’ait rendu ni étranger ni approprié à lui-même. Reste donc à dire qu’en le constituant elle l’a approprié à lui-même, c’est ainsi en effet qu’il repousse ce qui lui est nuisible et poursuit ce qui lui est propre39.
30On comprend aisément que ces deux niveaux, la vertu et le préférable, ne pouvaient que tomber en contradiction. Ou bien le sage est autonome, ou bien il ne l’est pas. Mais s’il n’est pas autonome, alors il n’est pas sage. Or, par l’introduction des préférables dans l’exercice de la vertu, le sage n’est plus autonome. Il n’est donc plus sage.
31Cette crise, fatale pour la doctrine stoïcienne, permit cependant aux philosophes qui, ne faisant partie de cette École, en reconnaissaient la puissance théorique, d’ouvrir un espace inédit pour inventer une morale émancipée de la mesure absolue du summum bonum. Par conséquent, les préférables et les tâches qu’il convient d’accomplir à leur propos, les officia, devinrent un élément essentiel de la réflexion morale hellénistique.
3.2.2. Les devoirs moyens
32Ce n’est pas un hasard si Cicéron souligne l’insuffisance du souverain bien pour l’orientation pratique des conduites. La supériorité du premier bien ne permettrait aucune mesure commune avec ce qu’il faut réellement faire ou ne pas faire dans la vie courante, constituant même un obstacle pour l’amitié ou l’exercice des vertus :
Il n’est pas de secteurs de la vie, qu’il s’agisse d’affaires publiques ou privées, du forum ou de la famille, que l’on agite une question à part soi ou que l’on traite avec autrui, qui puisse être étranger au devoir ; à l’observer consiste la beauté de la vie, et toute infamie à ne pas s’en soucier. Or cette recherche justement est commune à tous les philosophes. Qui donc, sans donner aucun enseignement sur le devoir, oserait se dire philosophe ? Mais il existe quelques doctrines qui aboutissent, en raison du bien et du mal ultime qu’elles posent, à renverser toute notion du devoir. Celui qui définit le souverain bien de telle sorte qu’il n’y ait rien de commun avec la vertu, et qui le mesure aux avantages qu’il en retire et non pas à sa beauté, celui-là, s’il était conséquent avec lui-même et si la bonté de sa nature ne l’emportait parfois, ne pourrait pratiquer ni l’amitié, ni la justice, ni la générosité. Il est bien certain que celui qui considère la douleur comme le souverain mal ne peut en aucune façon être courageux ; que celui qui juge le plaisir comme le souverain bien ne peut en aucune façon être tempérant40.
33Les devoirs sont ainsi étroitement liés aux préférables, qui circonscrivent ce qu’il est convenable de faire dans tous les secteurs de la vie. Les préférables ont droit de cité dans l’orientation morale qui, étant caractérisée par les jugements de valeur, nécessite des critères de distinction :
On explique ensuite la différence des choses : si nous disions que cette différence n’existe pas, tout dans la vie serait confondu pour nous, comme pour Ariston, et l’on chercherait en vain, pour la sagesse, un office à remplir, une tâche à exercer, du moment qu’entre les choses qui intéressent la conduite de la vie il n’existerait absolument aucune distinction et qu’il n’y aurait forcément place pour aucun choix. Voilà pourquoi les Stoïciens, après avoir suffisamment établi le principe que seul est bien ce qui est moralement beau et seul est mal ce qui est moralement laid, ont estimé que les choses qui ne peuvent en rien déterminer le bonheur ou le malheur de la vie ont pourtant quelque chose qui les différencie les unes des autres, les unes ayant une certaine valeur, d’autres n’en ayant pas du tout, d’autres n’étant ni l’un ni l’autre. Parmi les choses auxquelles il y a lieu d’accorder de la valeur, il y en a, disent-ils, qui justifient suffisamment d’elles une préférence en leur faveur, comme la bonne santé, l’intégrité des sens, l’absence de douleur, la gloire, la richesse et autres choses semblables ; il y en a, d’autre part, qui ne sont pas de même sorte41.
34Ainsi les préférables concernent-ils, par rapport au niveau du souverain bien, un second niveau, « moyen », qui explicite ce qu’il est convenable de faire (officium), de même que l’action peut être distinguée en « parfaite » et en « moyenne ». De la sorte, les préférables sont transformés par Cicéron en des valeurs « convenables », qui déterminent exactement en chaque situation ce qu’il faut fuir ou suivre, sauvegardant sa propre constitution naturelle, son oikeiosis42. C’est pourquoi Cicéron reconnaît qu’il suit ici les Stoïciens, tout en gardant son jugement43 :
Toute enquête sur les devoirs est double. Une partie comporte ce qui concerne le souverain bien, l’autre partie, ce qui a trait aux préceptes qui, en tous domaines, peuvent assurer la conduite pratique de la vie… C’est de ces préceptes que je dois m’expliquer dans ces livres. Mais il est encore une autre division du devoir. On nomme en effet certain devoir « moyen » et certain devoir « parfait ». Nous pourrions appeler, je pense, le devoir « parfait » l’action droite, puisque les Grecs l’appellent kathortoma, tandis qu’ils appellent l’acte ordinaire qui nous occupe, kathekon. Et ils les définissent ainsi : ce qui est droit, c’est cela le devoir parfait, mais ils nomment devoir « moyen » cette action qu’une raison plausible peut justifier44.
35La tâche ordinaire (le kathekon, traduit par officium, ce qu’il est convenable de faire) n’est cependant pas dépourvue de critères objectifs. Elle peut en fait exhiber une ratio probabilis, une preuve vraisemblable de sa justification, susceptible d’être vérifiée. L’officium qui promeut l’action droite se réfère à un horizon naturel de légitimité. Car ce qu’il faut faire dans le domaine moyen des préférables est, pour Cicéron, étroitement lié à la proximité avec soi-même, avec l’oikeiosis, laquelle est pensée à nouveaux frais. Pour Cicéron, une telle familiarité avec soi-même ne se borne pas à la tendance à se conserver, mais implique constitutivement l’usage de la raison. Car, si tout être vivant tend par nature à se conserver, évitant ce qui lui est nuisible et recherchant ce qui est nécessaire à sa vie et à la survie de son espèce, une tout autre oikeiosis caractérise l’homme. Elle se manifeste dans sa tendance naturelle à prévoir ce qui sera nécessaire, sans se borner aux seuls besoins du présent, se traduisant par la recherche des causes et par l’examen du lien entre les antécédents et les conséquents. L’immédiateté n’est pas humaine : au contraire, celle-ci est marquée par le fait de pouvoir prendre du temps, de retarder ses réponses, s’engageant dans la longue durée.
36Ce qui semble un simple écart de temporalité par rapport à l’animal est en réalité une différence de nature qui s’affirme par une oikeiosis différente. Chez l’homme, il s’agit d’une participation naturelle à la raison, s’exprimant dans une orientation cohérente du cours de la vie45. La rationalité de l’oikeiosis humaine se traduit, pour Cicéron, par quatre dispositions majeures46 qui délimitent le champ des kathekonta, des officia media : la connaissance du vrai47, la justice48, la grandeur d’âme (magnanimitas)49, ce qui est adapté à toute circonstance (decorum)50. Les trois dernières sont les plus importantes puisqu’elles assurent ce qui concerne l’actio vitae51, le mérite se mesurant essentiellement à l’aune de l’action dans l’espace d’une vie52.
37Par un raccourci saisissant, Cicéron les résume ainsi :
Mais tout ce qui est beau tire son origine de l’une de ses quatre divisions : ou bien en effet il consiste dans le discernement perspicace du vrai ; ou bien dans la sauvegarde de la société humaine, en accordant à chacun son dû et par la fidélité aux engagements conclus ; ou bien dans la grandeur et la force de l’âme élevée et invincible ; ou bien dans l’ordre et la mesure de tous les actes et de toutes les paroles, en quoi résident la modération et la tempérance53.
38À chacune de ses dispositions correspond une série d’officia spécifique, qui établissent méticuleusement ce qu’il est préférable de faire ou de ne pas faire dans ces domaines. Dans cette perspective, les commoditates ou les utilitates appartiennent à la sphère de cette proximité familière et rationnelle avec soi-même : quae pertinent ad uitae cultum et ad earum rerum, quibus utuntur homines, facultatem, ad opes, ad copias, ce qui concerne l’entretien de la vie, la libre disposition de ce qu’on utilise, le pouvoir, les richesses54. Car le maintien des commoditates ne dérive pas d’un désir égoïste, mais il présente une exigence propre à la nature sociale de l’homme. Ce qui est utile ou nuisible pour la conservation de la vie dépend assurément du commerce avec les autres hommes55.
39Par conséquent, les officia de l’utile, de ce qu’il est préférable de faire en ce domaine, impliquent deux démarches majeures : d’une part, la tentative d’obtenir des autres hommes ce dont nous avons besoin par nature, mais aussi les moyens de nous défendre des torts que tel ou tel pourrait nous faire subir56. D’autre part, le développement de l’échange entre donner et recevoir, qui se traduit par des préceptes très précis sur les bienfaits57 structurant les rapports sociaux. Une telle régulation des échanges (à savoir des modalités de la dette, du crédit, du prêt ou du don) signifie que les bénéfices cessent d’être considérés comme des simples biens préférables, mais contribuent décidément à la constitution de la « vie bonne », laquelle est, pour Cicéron, un trait de la communauté politique et non l’accomplissement d’un individu isolé. La civilisation elle-même est le résultat de ces rapports d’échange :
L’adoucissement des âmes et le respect suivirent, et il en résulta que la vie fut mieux protégée, qu’en donnant et recevant, en échangeant des moyens d’existence et des avantages, on ne manqua de rien58.
40L’acquisition et l’échange des biens extérieurs, comme expressions de l’utilitas, sont donc un élément essentiel de la vie en communauté qui assure aussi bien la survie que la cohésion politique ou le développement culturel.
3.2.3. L’échange des bienfaits : générosité et gratitude
41La réflexion sur l’échange des biens extérieurs et sur l’utilitas, dans le cadre de la morale des préférables, a été développée par Sénèque, dans le De beneficiis59, qui demeurera le texte de référence sur ce sujet. Le bienfait définit le rapport entre le don désintéressé et l’obligation de la gratitude. Sénèque s’efforce, en fait, de distinguer les bienfaits, spécialement le don et le prêt, de la créance et des dispositifs propres au clientélisme60. Le bienfait n’est pas soumis à la loi, mais c’est un rapport libre de confiance entre deux individus61. Le bienfaiteur donne avec largesse : il ne permet pas qu’on le remercie et ne réclame point d’être remboursé. L’obligé restitue spontanément par gratitude et non par nécessité62. Sinon le bienfaiteur se conduirait comme un vil usurier63 et l’obligé comme un piètre débiteur impatient64. La générosité est donc la vertu du bienfaiteur65, la gratitude celle de l’obligé, qui est mesurée par son intention et non par sa capacité effective de se montrer reconnaissant66. Ce qui compte est la valeur morale et non objective du bien donné ou reçu.67 Rechercher l’intérêt propre est exclu68.
42D’autre part, Sénèque reconnaît que dans le monde des aspirants sages, les sots sont légion, de sorte que la générosité désintéressée du bienfaiteur ainsi que la reconnaissance spontanée de l’obligé doivent être soumises à condition. Il faut éviter que la largesse tourne à la prodigalité69. Une certaine « avarice honnête »70 est d’ailleurs recommandée, puisqu’un bienfait serait dépourvu de valeur s’il n’était capable de rendre l’âme meilleure71. On doit encourager une gratitude qui a quelques difficultés à s’exprimer. C’est un second bienfait que de ne pas permettre à quelqu’un d’être ingrat. Le bienfaiteur ne peut abandonner l’obligé à son inadvertance, car il se doit d’en « guérir » la paresse. La meurtrissure d’un avertissement permet à l’ingrat de retrouver sa fidélité quelque peu défaillante72.
43On touche ici du doigt une des contradictions majeures de la morale des bienfaits. Celle-ci se fonde sur la confiance entre les parties établissant un pacte, mais la bonne foi peut être aisément trompée. Si l’obligation ne doit pas être réglée par la loi, pour ne pas être l’expression d’un simple commerce, des restrictions drastiques sont introduites quant aux modalités du don et de la reconnaissance. Sénèque se lance dans un examen casuistique approfondi, duquel deux conclusions significatives résultent : le don doit être justifié par le bienfaiteur et restitué par l’obligé73.
44Dès lors, on ne peut plus aisément distinguer la morale des bienfaits de l’échange commercial, notamment de sa séquence de dette et de prêt, si proche de l’usure. Le bienfait ressemble dangereusement à la créance et peut facilement se muer en la recherche de l’intérêt propre. À son corps défendant, Sénèque utilise l’expression d’« échange des bienfaits », entendu comme la réciprocité des bons offices74. Une tension constitutive demeure entre le bienfait, compris comme un acte joyeux et spontané de bienveillance75, et l’obligation de la gratitude, sans laquelle le lien social, noué par la confiance, se défait et sépare violemment les hommes les uns des autres76.
45Le choix du destinataire est également l’objet d’un tiraillement. D’une part, Sénèque soutient qu’il faut donner sans aucune pensée de retour, de sorte que :
À l’ingrat je ferai parfois des dons, mais ce ne sera pas précisément à cause de lui77.
46L’ingrat en effet ne fait tort qu’à lui-même et il n’est pas important de donner un bienfait en pure perte, car :
Il n’est pas propre à une grande âme de donner et de perdre un bénéfice ; il est d’une grande âme de le perdre et de le donner78.
47Toutefois, non seulement il faut tôt ou tard exiger son dû, mais choisir aussi un obligé qui soit digne de confiance :
Ce n’est ni le profit que j’essaie de tirer du bienfait, ni le plaisir, ni la gloire ; me bornant à faire plaisir à un être entre tous, je n’aurais d’autre but en donnant que de faire ce qu’il faut. Or cela suppose choix. Sur quelle sorte de personnes portera le mien ? Si tu veux le savoir, il portera sur l’homme intègre, candide, qui se souvient et qui le prouve, qui respecte le bien d’autrui, qui n’est pas égoïstement attaché au sien, qui a un bon cœur ; quand je l’aurai choisi, même si la Fortune ne lui donne point le moyen de s’acquitter, j’aurai atteint mon but79.
48De la sorte, aussi bien la nature désintéressée de la donation que la reconnaissance spontanée de la gratitude sont dûment restreintes. On établit judicieusement ce qu’on donne et à qui on le donne. Avarice, égoïsme, contrainte et rancune minent profondément la morale des bienfaits.
3.2.4. Les bons calculateurs des devoirs
49Compte tenu de ces tensions constitutives, l’honestum de second ordre peut s’émanciper du souverain bien au point que la distinction entre les deux, qui est la condition du progrès moral80, se transforme en une rupture. Celle-ci apparaît notamment dans le caractère autonome et spécifique du jugement qui est requis pour l’évaluation des officia media. C’est une modalité qui ne renvoie pas à des critères préalables et objectifs, mais qui s’exerce de manière toujours circonstanciée, dirigée par la comparaison constante de grandeurs relatives.
50À cet égard, l’originalité de Cicéron, par rapport à Panétius, réside dans la radicalisation de ce jugement comparatif sur le plus et le moins, qui institue ce qu’il faut faire dans les conduites réelles de la vie. Ce jugement opère dans trois domaines : à l’intérieur de chaque officium ou usus ; dans la comparaison des officia ou des utilitates, pour établir lequel ou laquelle il faut préférer81 ; dans la confrontation conflictuelle entre l’honestum et ce qui est vitae usus.
51C’est donc par ce biais que les officia media s’émancipent du souverain bien, en trouvant dans cette comparaison continuelle leur propre forme de jugement. Dans le premier cas, au-delà des préceptes comme l’impératif de ne nuire à personne, il faut tenir compte des circonstances, si bien que l’officium peut changer, à mesure qu’évolue la situation de départ82 . Par exemple, s’il est vrai qu’il faut tenir ses promesses, la fides étant le fondement de la justice, il n’en reste pas moins qu’il est parfois préférable de ne pas le faire, comme dans le cas suivant, qui renvoie à l’évaluation d’un plus ou d’un moins :
Il ne faut pas tenir les promesses qui peuvent être nuisibles à qui tu les as faites, et d’autre part, si ces promesses te font plus de tort qu’elles ne profitent à qui tu les as faites, il n’est pas contraire au devoir de préférer le plus grand au moindre…83
52Le conflit entre les officia est également réglé par la comparaison de la relativité des valeurs. Une véritable hiérarchie est établie : ce qu’on doit à la communauté est préférable à ce qu’on doit à la connaissance et à la science, parce que celle-ci peut être exercée par un seul sage et n’être profitable qu’à lui, tandis que le bien commun sert un plus grand nombre d’individus. Le critère de ce qui est plus grand par rapport à quelque chose de plus petit oriente la résolution du conflit entre l’utile et l’honestum, qui assume des figures différentes selon les quatre dispositions naturelles84. Au-delà de la profusion des préceptes et des situations, la règle qui s’impose commande de préférer, dans tous les cas, ce qui est utile à la plupart des individus, notamment à la communauté politique.
53Par conséquent, le jugement sur le plus et le moins devient la modalité spécifique de l’évaluation morale, comme le reconnaît Cicéron lui-même :
Mais pour remplir tous ces devoirs, il faudra considérer ce qui est le plus nécessaire à chacun et ce que chacun, même sans nous, peut ou ne peut pas obtenir. C’est ainsi que l’ordre des nécessités ne sera pas le même que celui des circonstances, et il est des devoirs qui nous lient envers les uns plus qu’envers les autres : de la sorte, on aidera un voisin pour sa récolte plutôt qu’un frère ou un ami, mais en revanche, si un procès vient en justice, c’est le parent de l’ami que l’on défendra plutôt que le voisin. Ce sont ces éléments et d’autres du même genre qu’il faut examiner en tout devoir ; il faut en prendre l’habitude et la pratique, en sorte que nous puissions être de bons calculateurs des devoirs et, par un jeu d’addition et de soustraction, voir quel est le montant du reste, à partir de quoi on sait combien on doit à chacun85.
54On touche ici du doigt la difficulté principale de ce jeu d’addition et de soustraction. Les quantités ne sont pas aisément déterminées. Leur mesure est changeante, selon le point de vue assumé, la situation et la comparaison avec d’autres valeurs qui sont tout aussi bien relatives. L’argumentation sur les préférables se situe dans l’univers « académicien » de Cicéron, traversé par l’incertitude de la connaissance. C’est pourquoi on ne peut apprécier les choses que par la comparaison de leur valeur provisoire. Répondant à l’objection, selon laquelle il se permet de discuter des officia, tout en affirmant que l’on ne peut pas en fixer la valeur, Cicéron revendique sa méthode de la sorte :
Pour moi, de même que les autres hommes disent que des choses sont certaines et d’autres incertaines, de même, différant d’eux, je dis que des choses sont probantes par opposition à d’autres. Qu’y a-t-il donc qui puisse m’empêcher de m’attacher à ce qui me paraît plausible, de rejeter ce qui me paraît à l’opposé et, en évitant la présomption de l’affirmation, de fuir la témérité qui est ce qui s’écarte le plus de la sagesse ? Or à l’inverse, les hommes de mon école discutent tout, dans cette pensée que cela même qui est plausible ne pourrait apparaître si la confrontation n’avait été faite entre l’un et l’autre parti dans les questions étudiées86.
55Le jugement sur les grandeurs relatives détermine alors le champ de toute évaluation sur un sujet controversé, présentant des positions contradictoires, mais également cohérentes. C’est leur confrontation réciproque qui permet de conclure que l’une est plus probante que l’autre, qu’elle résiste mieux aux procédures de vérification, pouvant enfin être considérée comme celle qui peut le plus être tenue pour vraie87.
56Toutefois, afin que l’honestum de second ordre ne mine pas la recherche véritable de la vertu, Cicéron avance deux conditions majeures. D’abord, il souligne que les officia media ne sont que les images de l’honestum comme souverain bien88. Ainsi faut-il reprendre l’enseignement des Stoïciens : l’utile se déduit de l’honestum89 et l’on peut ramener l’un à l’autre selon une règle précise90. Ensuite, la morale du second ordre possède un critère interne, à savoir le bien public, qui en fixe la limite. Son fondement est encore la nature rationnelle de l’oikeiosis, qui prend en charge le souci de ses proches et s’étend à la communauté entière :
Cette même nature, par la vertu de la raison, incline l’homme vers l’homme en vue d’une communauté de langage et de vie ; elle met en lui surtout un amour spécial pour ceux qu’il a engendrés ; elle le pousse à vouloir qu’il y ait des réunions et des assemblées, et à les fréquenter ; elle le pousse en conséquence à l’efort de se procurer de quoi subvenir à son entretien et à sa subsistance, non pas seulement pour lui, mais aussi pour son épouse, ses enfants et les autres êtres qui peuvent lui être chers et qu’il doit protéger : or, ce souci stimule aussi les âmes et les rend plus grandes pour l’action91.
57Dans ce cadre, la comparaison des grandeurs relatives est réglée par le critère de ce qui est plus utile au plus grand nombre, donc à la communauté, considérée comme une totalité. La bienveillance elle-même, bien qu’elle exige d’accorder « plus à qui nous aime le plus »92, oriente notre afection la plus puissante vers la patrie :
Nos parents nous sont chers, chers nos enfants, nos proches, nos amis, mais la patrie à elle seule embrasse toutes nos afections pour eux tous ; et pour elle, quel homme de bien hésiterait à s’ofrir à la mort si cela devait lui être profitable ?93
58La morale du second ordre trouve en définitive dans le bien de l’État son critère de mesure, qui est justifié rationnellement par la nature politique de l’oikeiosis. Néanmoins, la position centrale dévolue au bien commun constitue la limite manifeste de la conception de Cicéron. La recherche de son propre avantage n’est pas exclue94, puisque la bienveillance doit toujours évaluer précisément le besoin d’autrui ainsi que sa propre disponibilité. Par conséquent, la générosité des bienfaits doit être exercée avec modération :
Que la générosité ne dépasse guère nos forces95.
59Mais l’égoïsme doit être fermement écarté, puisqu’il sape le fondement de la vie en commun, remplaçant la coopération par le conflit :
Il est donc une chose que tous doivent se donner pour but : que ce qui est utile à chacun soit le même que ce qui l’est à tous, pris dans leur ensemble ; car si chacun doit tirer à soi ce qui lui est utile, ce sera la dissolution de toute association humaine96.
60Pourtant, l’utilitas pour tous, qui définit le bien commun, introduit l’arbitraire dans la morale des officia, comme il appert particulièrement dans la question concernant l’appropriation des biens d’autrui. Le transfert des biens des proscrits est durement critiqué par Cicéron97. Il est toutefois justifié si trois conditions sont remplies : si l’on soustrait des biens à un homme inique ; si ce transfert est profitable à l’État ; si l’estime de soi n’est pas la cause de ce dépouillement :
Aussi est-ce la loi de la nature elle-même-qui sauvegarde et contient l’intérêt des hommes-qui décidera assurément du transfert des biens nécessaires à la vie, des mains de l’homme inactif et inutile, à celles de l’homme sage, bon et courageux qui, s’il eût péri, eût beaucoup compromis l’intérêt général : pourvu toutefois que cet homme le fasse de telle façon que sa bonne opinion de lui-même et l’amour de sa propre personne ne soient pas sa raison de causer du tort. Ainsi s’acquitterat-il toujours de son devoir, en veillant à l’intérêt des hommes et, je le rappelle souvent, au lien social entre les hommes98.
61La nature problématique de cette perspective est manifeste puisqu’elle signifie l’écrasement de ce qui est préférable sur ce qui est utile. Ainsi l’exercice même du jugement est-il miné. Tandis que l’évaluation de ce qui est préférable implique la comparaison argumentée de la légitimité de toute valeur, l’estimation de l’utilité déterminée de l’État introduit une simple donnée. Le jugement sur le préférable devrait porter sur une prétention « de droit », alors que l’utilité de l’État n’est qu’une nécessité « de fait ». De la sorte, la centralité de l’utilité de l’État présuppose une prémisse tacite : que l’utilité de l’État corresponde à ce qui est le plus utile pour tous, en tant que bien commun. Pourtant, le quantificateur tous peut être compris comme la totalité des parties, ou bien comme tout un chacun. Manifestement, la légitimité du transfert des biens écarte l’hypothèse que ce qui est utile à tous soit ce qui est utile à tout un chacun, puisque tel ou tel est ruiné. Toutefois, la totalité du bien commun n’est pas constituée de parties homogènes, puisque la comparaison de grandeurs inégales la caractérise.
62Somme toute, le bien commun semble désigner le bien de tous, au sens où il ne concerne pas plus l’un que l’autre. L’égoïsme peut se frayer un chemin : le bien commun, n’intéressant personne en particulier, peut être établi de manière conventionnelle, voire autoritaire. Un tyran peut décider que l’exploitation de tel ou tel bien est légitime au nom du bien commun. L’argumentation de Cicéron n’est pas en mesure de contrecarrer une telle revendication. Si le dépouillement du bien d’autrui ne doit pas dépendre d’une motivation personnelle, il n’en reste pas moins que cette condition se situe sur le seul plan de l’intention. Elle ne peut être vérifiée. Comment juger de la sincérité de la motivation désintéressée ?
63La réflexion de Cicéron présente une tension et un retournement. La tentative de ménager un espace propre aux préférables, les liant aux kathekonta, conduit à leur autonomisation. Celle-ci, ressentie comme une menace pour la cohésion politique, trouve sa justification dans l’utilité de l’État. De cette façon, le centre de la morale du second ordre se déplace du préférable à l’utile et introduit un élément arbitraire. L’utile n’est plus intégré au préférable, mais devient le critère de l’action morale. Une place est aussi faite à la recherche de l’intérêt propre, lorsque le but déclaré du bien commun semble justifier, au nom de l’État, l’appropriation des biens d’autrui.
3.3. Rendre la monnaie de sa pièce
3.3.1. Préférer le désirable
64Compte tenu de ce cadre conceptuel, on peut suggérer que le Décaméron développe la réflexion sur les préférables jusqu’au point de rupture, où ce qui est désirable prime dans tout échange avec autrui. L’utilitas, entendue comme la poursuite de son propre intérêt, devient alors le seul critère du jugement moral. Ainsi les deux notions centrales de préférable et d’oikeiosis sont-elles pensées à nouveaux frais99.
65En premier lieu, les nouvelles opèrent un déplacement significatif du statut des préférables. Ceux-ci ne sont plus recherchés comme la condition de l’exercice de la vertu, pas plus que comme ce qui permet de réaliser d’une manière optimale la fonction politique propre à chaque individu. Puisque le souverain bien est déchu, après la peste, les biens extérieurs sont poursuivis pour eux-mêmes.
66Par conséquent, le préférable devient expressément le désirable en soi. La morale du second ordre est promue à la première place et son critère d’orientation est donné par ce qui apparaît comme le plus désirable. À la diférence du préférable, qui peut être déterminé par une confrontation argumentée des valeurs contradictoires, le désirable est ponctuel, individuel et ne soufre point de discussion. Le désir suit son élan et cherche à s’imposer lorsque des résistances extérieures lui font barrage. Il tend à l’exclusivité. Il est radicalement subjectif et peut en dernière analyse s’identifier avec le plaisir.
67S’ensuit alors une transformation profonde de la notion d’oikeiosis. S’accomplit, en fait, le recouvrement du plaisir et de la proximité à soi, que les Stoïciens, tout comme Cicéron, avaient soigneusement évité100. Le rapport de dépendance des biens secondaires à l’égard de la proximité avec soi-même est renversé. Ce n’est plus l’attachement à soi-même qui évalue pertinemment l’acquisition des biens extérieurs, mais la possession de ceux-ci définit celui-là. L’appropriation des biens extérieurs structure donc la familiarité que l’on entretient avec soi-même, parce qu’elle en satisfait pleinement les désirs. Le plaisir, tiré à chaque fois de cette réussite, circonscrit la sphère de ce qui est ressenti comme propre. Le gain recherché n’est pas tant ce qui est utile que son propre intérêt, à savoir un surcroît qui est totalement étranger au bien commun. Bien plus : l’accumulation des biens prime sur leur valeur.
68Ce retournement est possible parce que le fondement de l’attachement afectif à soi-même a changé de nature : plus qu’une tendance affirmative et un sentiment de proximité avec soi-même, il exprime maintenant un mouvement défensif de protection contre la crainte de la mort. Celle-ci est certes étroitement liée à la tendance à se conserver, éludant toute menace pour son existence biologique, mais signifie surtout une perte de soi et de sa propre valeur. C’est la peur de la mort qui rend le reste relatif. Sur fond de peste, la mort suscite la recherche de son propre plaisir.
69Car la proximité à soi comme à une chose qui nous est chère se mue en un attachement à soi comme à une chose qui nous est précieuse. Ce qui est le signe d’une familiarité avec soi-même, qui n’implique pas nécessairement la compétition, devient la marque d’une valeur exceptionnelle qui conduit foncièrement à la rivalité. Après la peste, l’estime de soi doit être continûment confirmée : l’accumulation des biens extérieurs est justement un moyen puissant pour l’individu de se conforter dans sa propre valeur. Plus les biens s’amoncellent, plus l’estime de soi s’accroît, et par là le sentiment d’être en vie. La recherche de l’intérêt propre, et non plus de la vertu, vise alors à endiguer la crainte de la mort, en fortifiant le sentiment d’appartenir à soi-même, sur le fond d’une désappropriation toujours possible101.
70C’est pourquoi la recherche de l’intérêt se fait souvent aux dépens d’autrui : la crainte de la mort émerge dans l’espace limité des biens extérieurs, que chacun cherche à acquérir pour assurer l’estime de soi. L’appropriation du bien d’autrui n’est plus considérée comme un cas exceptionnel, motivé par le bien commun, comme chez Cicéron. Elle est la modalité principale du rapport à autrui, puisque chacun vise la satisfaction de l’intérêt propre, afin de confirmer sa propre existence. La compétition devient inévitable. Autrui devient une figure constamment menaçante, hanté également par la peur de la mort et la tentative de conforter sa valeur par l’affirmation constante de sa supériorité. Par conséquent, les conduites comme le rapt ou le vol sont très fréquentes dans le Décaméron, mais aussi les procédures de dépossession et de réappropriation de valeurs symboliques appartenant à autrui, comme l’honneur ou la renommée.
3.3.2. Rire aux dépens d’autrui
71L’expression la plus aboutie de cette forme de vie, orientée par la recherche de l’intérêt propre aux dépens d’autrui et cherchant à accroître l’estime de soi, se situe sur le plan de la justice. La réflexion cicéronienne sur les principes de la justice, se proposant de « donner à chacun son dû », en réglant les procédures du don, du bénéfice, du prêt ou de la dette, est radicalement bouleversée dans le Décaméron. Ici la juste attribution et la rétribution équitable se traduisent, dans les paroles et dans les actes, par la tentative de faire payer toujours un surcroît à autrui. Boccace met donc en scène les modalités ultimes de la morale des bienfaits, devenue la morale de l’intérêt propre. L’équilibre fragile entre la générosité et la gratitude est rompu. La recherche de sa propre utilitas dirige la plupart des conduites narrées, de sorte que l’échange des bienfaits devient un échange commercial, où ce qui compte est l’acquis d’un gain, souvent obtenu aux dépens d’autrui.
72L’une des conséquences saillantes de cette attitude concerne la langue. Devenue après la peste un milieu de substitution fonctionnelle, sa véritable destinée est d’être utilisée comme « monnaie ». La langue comme monnaie est un idéal ancien, formulé par Quintilien, exprimant l’exigence d’un niveau de langue s’appuyant sur la consuetudo des bons auteurs102. Pour Boccace, la monnaie de la langue n’indique plus les conditions de sa communication, mais sa nature transitive et fonctionnelle : les mots et les propositions sont des valeurs très instables, qui entrent dans une économie d’échange, où tout se monnaie.
73Par conséquent, le pouvoir le plus prégnant de la parole ne se borne pas à restituer la valeur changeante de la chose à un moment donné, mais à « rendre la monnaie de sa pièce » : il exploite et retourne à son propre avantage cette fluctuation, en faisant payer à autrui les intérêts. Cette capacité apparaît dans la sixième journée, concernant “chi con leggiadro motto, tentato, si riscuotesse o con pronta risposta o avvedimento fuggi’ perdita o pericolo o scorno” (« ceux, qui, étant provoqués, réagirent par un mot plaisant ou bien, par une prompte réplique ou leur esprit d’à-propos, évitèrent dommage, danger ou honte »)103.
74Or, la critique a souligné tendanciellement la nature pragmatique et défensive des motti di spirito, qui peut, l’espace d’un moment, établir une sorte d’égalité intellectuelle sur la base d’une hiérarchie sociale déterminée. Les motti di spirito permettent de se tirer d’afaire, trouvant la solution la plus adéquate à la situation du moment, qu’il s’agisse de calmer la fureur de son seigneur104, d’imposer le silence à un conteur ennuyeux105 ou de se soustraire à une condamnation à mort, en faisant de surcroît changer la loi106. À la différence de la beffa, le motto di spirito serait dépourvu de cruauté et ne viserait pas l’humiliation d’autrui107.
75Par conséquent, le rire, sous ses multiples formes comme l’ironie et la parodie108, exprimerait la tonalité morale des nouvelles. Il exerce un rôle thérapeutique. Le rire console et en partie guérit de la médiocrité humaine, comme le souligne Sénèque :
Aussi faut-il nous appliquer à ne pas trouver haïssables, mais risibles les vices des humains, et à imiter Démocrite plutôt qu’Héraclite : celuici ne pouvait paraître en public sans pleurer, l’autre sans rire ; l’un ne voyait que misère dans toutes les actions, l’autre que sottise. Prenons donc toutes choses légèrement et supportons-les avec bonne humeur : il est bien plus conforme à la nature humaine de se moquer de l’existence que d’en gémir. Ajoutez qu’on rend meilleur service au genre humain en riant de lui qu’en se lamentant : le rieur nous laisse quelque espoir d’amendement ; l’autre l’afflige stupidement des maux qu’il désespère de guérir. Enfin,… on montre une âme plus grande en cédant au rire plutôt qu’aux larmes, puisque le rire ne suscite qu’un afect très léger et estime que rien n’est grand ni sérieux ni même pitoyable dans tout ce pompeux appareil109.
76Par ailleurs, Recreatio et moderatio sont les remèdes majeurs de la thérapie du rire que la médicine grecque et arabe a prescrits aussi bien aux malades d’amour que de mélancolie110. Il ne faut pas oublier que Boccace lui-même reconnaît s’être guéri des afres de l’amour grâce aux “piacevoli ragionamenti d’alcuno amico et le sue laudevoli consolazioni”.
77Tous ces aspects de l’ironie et de la parodie me semblent effectivement présents dans le Décaméron, lequel propose à la fois une véritable phénoménologie du rire et un savant art comique. Toutefois, je voudrais souligner que le rire y est principalement l’expression de l’amour-propre. S’il peut être apparemment motivé par l’exigence de se tirer d’une situation fastidieuse ou de réagir à une ofense, il reste en tout cas démesuré et gratuit. Les motti di spirito et les beffe111, tout en se légitimant comme une tentative de rendre la pareille, veulent surtout faire payer pour l’estime de soi ofensée, même si l’injure a été de peu d’importance. À cet égard, plus que la distinction entre les plaisanteries des choses et les plaisanteries des mots112, Boccace reprend à Cicéron une question fondamentale : « Jusqu’à quel point doit-on exciter le rire ? »113. La mesure est donnée par la modération et par le rappel que la plaisanterie ne doit jamais être ofensante, boufonne, obscène114. Bien que les motti di spirito doivent être des simples morsures de brebis, force est de constaster que les limites de la gravitas et du decorum romains sont constamment franchies. Dans les nouvelles de Boccace, l’amourpropre justifie que l’on puisse exciter le rire et injurier autrui sans retenue et bien souvent de manière gratuite, qu’il s’agisse du motto di spirito ou de la beffa.
78Ce dispositif me semble patent dans la cinquième nouvelle, où le peintre Giotto et maître Forese de Rabatta, qui est un juriste très savant, rentrent sous la pluie. Tout d’un trait, maître Forese, voyant le piteux état du peintre, et sans penser qu’il en allait de même pour lui, s’adresse à Giotto dans ces termes :
‘Giotto, crois-tu qu’un étranger qui ne te connaîtrait pas et qui nous croiserait là, en ce moment, imaginerait une seconde que tu es, comme chacun sait, le meilleur peintre du monde ?’ - À quoi Giotto riposta du tac au tac : ‘Maître, il le penserait, tout comme, en vous voyant, il penserait que vous connaissez l’alphabet’. À ces mots, messire Forese s’aperçut de son erreur et comprit qu’il venait d’être payé de la monnaie de sa pièce115.
79Giotto ne corrige pas seulement l’impair de Forese, en redressant un tort, mais il y ajoute le surcroît de l’ironie mordante. Car ce n’est pas le même prix qui est payé. Forese vend des produits qui ne sont pas bons (“le derrate vendute”), Giotto le paye avec une monnaie qui n’est pas valable. Mais la perte n’est pas la même, puisque cette monnaie ne peut plus circuler, sa fonction est invalidée pour tout autre échange, tandis que la marchandise avariée était l’objet d’un seul troc. Ce que Giotto gagne n’est donc pas grand-chose, sinon l’accroissement de l’estime de soi, confortée par la réussite du bon mot, qui ridiculise le juriste. L’enjeu de la répartie brillante n’est somme toute que la gratuité de ce surcroît, qui ne vise aucune action, mais conforte seulement l’appréciation de soi-même. C’est là son intérêt.
80Cela vaut également pour le désir amoureux : dans ce cadre, ce qui est « dû » n’est que ce l’on peut prendre, en y trouvant son propre intérêt accru comme il appert nettement dans la nouvelle où la femme de Pietro de Vinciolo, déçue par l’homosexualité du mari, en vient à se trouver un amant. Une veille femme du pays, considérée par tous comme une sainte, encourage l’adultère, en lui disant :
… je te répète que tu as raison de rendre la pareille à ton mari, de sorte que, sur tes vieux jours, ton âme n’ait rien à reprocher à ta chair. De ce bas monde nul ne reçoit que ce qu’il prend, et surtout les femmes : il leur faut bien plus qu’aux hommes employer leur temps quand elles le peuvent, car tu constates qu’une fois vieilles ni mari ni qui que ce soit ne veulent plus nous voir et ils nous chassent à la cuisine pour que nous racontions des fables au chat et fassions le compte des casseroles et des écuelles…116.
81Ici rendre pan per focaccia n’est pas la loi du talion qui recherche une égalité un peu sommaire : la focaccia vaut plus naturellement que le pan. Car la femme ajoute à sa mesure de rétorsion la tromperie, mais ce n’est pas tout. Par un marché profitable, chacun y trouvera son propre intérêt. Les deux époux partageront le même amant, tout en sauvant les conventions : ce qui pouvait être une simple histoire d’adultère et de vengeance, devient l’occasion d’obtenir un gain supplémentaire. Il faut reconnaître alors que : “di questo mondo ha ciascuno tanto quanto egli se ne toglie”, le monde est un bien que l’on découpe en partie inégales, selon le « dû » relatif à son propre intérêt.
82Par conséquent, la beffa est l’une des expressions majeures de ces attributions et rétributions qui dépendent du caractère arbitraire de ce qui revient à chacun, puisque le « dû » est interprété comme ce qui accroît son profit personnel. Celui qui joue un tour, comme par exemple lorsqu’on trompe son conjoint, son compère, les représentants de l’ordre (le prêtre, le magistrat, le médecin), y trouve son compte, en y ajoutant le surcroît du rire, qui est superflu. Car la beffa n’est pas toujours motivée par un but précis, elle se paie elle-même en se payant des autres. Rire méchamment et un peu lâchement des autres est certes une passion « triste », mais accroît l’estime de soi, le sentiment d’être une entité précieuse.
83L’estime de soi peut trouver toujours sa justification, même lorsque l’intérêt acquis est de peu de valeur. Il suppose que le dégât infligé à autrui n’est que justice, même si cela passe par l’excès, voire la cruauté. Le dû devient en fait ce qu’autrui mérite, en faisant payer les intérêts, afin que soi-même se retrouve conforté dans le sentiment intensifié de sa propre valeur.
84C’est ainsi que Zeppa, découvrant que son bon ami Spinelloccio est l’amant de sa femme, cherche à lui rendre la pareille : il exige de devenir l’amant de l’épouse de l’ami. De plus, il organise un stratagème selon lequel l’ami est contraint d’assister à ce nouvel adultère. C’est par le dialogue entre Zeppa et la femme de l’ami que l’on peut prendre la mesure de ce qu’est le mérite. Zeppa chercha à convaincre la dame du bien-fondé de l’adultère comme riposte et présente son désir de vengeance comme une rétribution équitable :
Or parce que je l’aime, je n’entends prendre à son encontre d’autre revanche qu’un tort équivalent à celui qu’il m’a infligé…117
85La réparation du tort semble rechercher une forme d’égalité. Mais deux aspects doivent être soulignés. D’une part, cette revanche est présentée comme une forme d’indulgence. C’est parce qu’ils sont amis que Zeppa s’en tient à la loi du talion. Ne l’eussent-ils pas été, la demande de rétribution eût été bien plus disproportionnée. La vengeance comme réponse équitable et acte d’indulgence, qui ne remet pas foncièrement en question l’amitié, est soulignée également par la femme de l’ami :
Mon cher Zeppa, puisque je dois être l’instrument de ta vengeance, je m’y résous, mais à condition que ce que nous devons faire ne me brouille pas avec ta femme, étant donné que, de mon côté, j’entends rester en paix avec elle, en dépit de ce qu’elle m’a fait118.
86D’autre part, cette égalité présumée implique en réalité des gains supplémentaires : d’abord, Zeppa gratifie la collaboration de la femme de Spinelloccio d’un très beau bijou, qu’elle réclame prestement, l’acte à peine accompli. On répare bien la vertu ofensée par le gain pécuniaire : celui-ci remplace le « dû » de celle-là. Ensuite, Spinelloccio et Zeppa estiment que cet échange de femmes n’est pas pour leur déplaire, si bien que chacun y trouve son compte, ayant deux femmes ou deux maris à la fois. Mieux vaut abonder que lésiner. Ici encore render pan per focaccia, comme le souligne la femme de Spinelloccio, ne restitue pas vraiment une forme d’égalité.
87Dans la même journée, la nouvelle d’ouverture raconte la juste rétribution obtenue par Gulfardo, voulant faire payer de la même monnaie, avec les intérêts, la femme de Guasparruolo, laquelle consent à son amour seulement s’il la rétribue. Gulfardo, contrarié par cette condition, emprunte de l’argent au mari, qui est un riche marchand, puis il remet la somme à la dame, qu’elle exige comme prix de la jouissance de son corps. Se trouvant par la suite en présence du couple, il annonce au marchand qu’il a déjà restitué l’argent qu’il lui avait prêté à sa femme, laquelle est alors contrainte de le donner à son mari. Neifile introduit cette nouvelle comme l’exemple d’une femme qui, croyant jouer un bon tour, devient la victime d’une farce plus astucieuse. Elle commente de la sorte :
Cependant, pour parler de façon plus appropriée, le récit que je vais faire ne devrait pas s’appeler bon tour, mais bien plutôt mérite119.
88Gulfardo met au jour, par sa beffa, le dispositif d’une rétribution méritée, qui prend plus que ce qui lui revient. Dégoûté par la cupidité de la femme, il exhibe le caractère de marchandise de son corps, tout en suivant la même logique selon laquelle attribuer à chacun ce qu’il mérite signifie s’octroyer un surcroît. Gulfardo n’est cependant pas meilleur que la dame : bien au contraire, ils se ressemblent. Gulfardo est, en fait, un mercenaire allemand, qui vend sa force physique à celui qui le paye davantage. La dame vend son corps à celui qui ofre le plus, s’adonnant à une infidélité tout autant mercenaire. De la sorte, l’échange réglé entre le prêt et la dette, à savoir la logique qui était au centre de la morale des bienfaits et de ses officia, est sciemment ridiculisé : Gulfardo emprunte au mari la somme qui constitue le prix de la dame, tout en la faisant remettre par la femme au mari, comme remboursement d’une dette. C’est le débiteur qui a acquis davantage : le prêt lui apporte un gain supplémentaire : il a bien eu la dame, sans dépenser un sou.
89Dans ses nouvelles, Boccace expérimente donc les conséquences ultimes de la morale des indiférents préférables lorsqu’elle est orientée par la poursuite de l’intérêt propre. Il en interroge aussi les limites et les possibles retournements. C’est le cas d’Andriuola120 qui, ayant perdu brusquement son amant secret, cherche à l’enterrer en cachette. Elle est pourtant prise en flagrant délit et arrêtée : le podestat devant lequel elle est conduite cherche à lui faire violence. Le père d’Andriuola la sauve de cette situation, mais il est prêt à marchander avec le podestat lequel, conquis par la vertu de la fille, en tombe amoureux et voudrait l’épouser.
90Mais Andriuola préfère se retirer au couvent, quittant cette vile économie de l’échange, ces calculs astucieux entre la perte et le profit, le plus et le moins, qui se traduisent par le moyennement de ses passions, sa vertu ofensée, mais rachetée par le gain inespéré d’un riche mariage que le père ne cesse d’encourager, la position sociale du podestat ayant plus de valeur que la tentative de viol sur sa fille. Ce retrait, motivé par la lassitude et le dégoût, prend ainsi le contre-pied des nombreuses autres nouvelles où tout pouvait être octroyé ou vendu, perdu et retrouvé, échangé ou substitué. Pour Andriuola, rien ne rachète ni l’amant ni l’outrage : aucun remboursement ou gain profitable n’est possible. La morale de l’intérêt lui est totalement étrangère : sa seule réponse est de se tirer hors de ces commerces, en prenant congé du monde121.
91Car le fondement de cette morale se dévoile peu à peu : c’est l’amour-propre qui naît d’une trop haute estime de soi. Bien que la distinction entre l’« amour de soi », compris comme le sentiment naturel visant à la conservation de soi, et l’« amour-propre » de l’individu qui « fait plus de cas de soi que de tout autre », soit établie plus tard122, elle se rencontre dans la philosophie latine123.
92Si le thème de l’amour traverse le Décaméron, c’est parce que la poursuite de l’intérêt propre est l’expression de l’amour-propre. Celui-ci régit tout échange avec autrui, cherchant toujours à obtenir un gain. Les passions sont donc gérées par cet impératif économique d’éviter les pertes et de gagner des profits. La morale droite des bénéfices, fondée sur l’équité entre la générosité et l’obligation, est sapée en profondeur. Bien plus, l’amour-propre, dans ses manifestations extrêmes, ne conduit pas seulement à rire de manière gratuite et hideuse des autres, mais instigue aussi des conduites mortifères, mues par la colère et la vengeance. À ce point, même la joyeuse brigade cesse de rire.
Notes de bas de page
1 L’argument sur le plus et le moins fait partie, pour Aristote, des topoi, des lieux, qui caractérisent les stratégies aussi bien rhétoriques que dialectiques. Sur l’histoire de l’argumentation topique, cf. J. Biard et F. Mariani Zini (éds.), Les lieux de l’argumentation. Histoire du syllogisme topique d’Aristote à Leibniz, Turnhout, Brepols, 2009.
2 Cf. A. Kablitz, „Zur Fortuna-Konzeption in Boccaccios ‘Decameron’“, Italienische Studien 12, 1990, p. 7-25. Pour l’auteur ces trois thèmes majeurs se retrouveraient liés dans la dernière nouvelle de Griselda. Pour une autre lecture, cf. infra, chap. 7.
3 L’expression d’« intérêt » est plus tardive. Elle est exprimée d’abord en latin par utilitas. Cf. R. Hollander, “Utilità in Boccaccios ‘Decameron’”, Studi sul Boccaccio 15, 1985-1986, p. 215-233.
4 Par exemple dans la série de la deuxième journée, la septième nouvelle, où une jeune fille au cours de diverses aventures malencontreuses, se trouve en proie à des hommes diférents, avant d’être restituée finalement pucelle au père et à l’époux promis.
5 Comme dans la sixième nouvelle de la deuxième journée, où l’un des fils perdus de la noble Madame Beritola est retrouvé, sauvé d’une fin tragique et époux de la fille d’un seigneur.
6 C’est le cas de Tancredi qui ressent l’amour de sa fille pour un page comme une telle perte de son autorité de père et de prince qu’il la pousse au suicide ; dans un autre récit, Elisabeth se tue, après l’assassinat de son amant et la profanation de la tombe de celui-ci par ses frères. La mort comme scialo, gâchis, se trouve au centre de trois autres nouvelles de cette journée (6e, 7e, 8e).
7 En part., D., IX, 3 et 4.
8 En part., D., IX, 2, 5, 6.
9 En part., D., IX, 1, 7, 8.
10 Cf. l’interprétation de V. Branca, “Introduzione” à Boccaccio, Decameron, p. vii-xxxix
11 La distinction entre l’épopée et la nouvelle se trouve établie de manière éclairante par G Lukács, Die Theorie des Romans, Berlin, P. Cassirer, 1920 ; tr. fr. La théorie du roman, Paris, Gonthier, 1979, ici p. 44 et p. 54. Il faut se rappeler que Lukács entendait écrire son livre L’âme et les formes comme une sorte de Décaméron.
12 Cf. F. Cardini, Le cento novelle contro la morte, p. 64-85, qui refute la lecture de Branca.
13 Cf. B. Inwood, “Reason, Rationalisation and Happiness”, dans id., Reading Seneca. Philosophy at Rome, Oxford, Clarendon Press, 2005, p. 249-270.
14 Cf. Sénèque, De Beneficiis (désormais abrégé par Sénèque, De Ben.), Moral Essays, éd. et tr. ang. de J. W. Basore, Harvard, Harvard University Press, Loeb Classical Library, vol. III, 1935 ; tr. fr. dans Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius.
15 En d’autres termes, sur la césure entre le véritable bien et l’imperfection de l’expérience, séduite en partie par les biens secondaires. Sur la possibilité de résoudre cette tension chez Sénèque, cf. B. Inwood, “Getting to Goodness”, dans id., Reading Seneca. Stoic Philosophy at Rome, p. 271-301.
16 À la Renaissance, en liaison avec les querelles sur la langue savante, bien que moult auteurs considérèrent encore Cicéron et Sénèque comme des références philosophiques, notamment morales. Cf. C. Mouchel, Cicéron et Sénèque dans la rhétorique de la Renaissance, Marburg, Hitzeroth 1990, sp. p. 42-88 et p. 92-111 (en particulier, la discussion sur l’« imitation » et la rhétorique religieuse) et F. Goyet, Le sublime du ‘lieu commun’. L’invention rhétorique à la Renaissance, Paris, Champion, 1996 (qui porte sur le « lieu commun » chez Cicéron et ses héritiers).
17 Ambroise de Milan, Albert le Grand et Thomas d’Aquin, parmi d’autres, ont repris manifestement les réflexions de Cicéron et de Sénèque sur les biens secondaires, les officia, les bienfaits, le rapport entre l’utilité et la vertu. Cf. J. Müller, Natürliche Moral und Philosophische Ethik bei Albertus Magnus, Münster, Aschendorf, 2001 ; J. -P. Néraudau (éd.), L’autorité de Cicéron de l’Antiquité au XVIIIe siècle, Orléans, Paradigme, 1993.
18 À partir des travaux de J. Barnes et de M. Griffin (éds.), Philosophia togata : Essays on Philosophy and Roman Society, Oxford, Clarendon Press, 1989, 2 vols., il y a eu un renouveau des études consacrées à la philosophie romaine, qui interdisent d’en privilégier les aspects littéraires. Cf. aussi les études réunies par C. Lévy, dans « Cicéron », Revue de métaphysique et de morale, 2008.
19 Comme l’avait bien vu Cicéron, De Finibus (désormais abrégé par Cicéron, De Fin.,), éd. et tr. fr. de J. Martha, Paris, Les Belles Lettres, 1928, 4, 7, le sage stoïcien risque de devenir « muet ». L’aphasie menace également les autres morales hellénistiques, prises entre la rigueur de la discipline de l’âme et la reconnaissance des difficultés presque insurmontables de sa réalisation. Sur l’exigeante discipline sceptique, cf. M. Burnyeat, “Can the Sceptic Live His Scepticism ?”, dans M. Burnyeat (éd.), The Skeptical Tradition, Berkeley et al., University of California Press, 1983, p. 117-148.
20 Cicéron, Tusc., III, 6, 12 et Sénèque, Ep., 27,1, passim.
21 Et sur le plan philosophique, Cicéron adopte l’argumentation in utramque partem, De Fin., 5, 10, passim, puisqu’il appartient à la tradition sceptique, academica ; cf. M. Bonazzi, Accademici e platonici : il dibattito antico sullo scetticismo di Platone, Milano, LED, 2003. Le but de la controverse est l’établissement de ce qui est le plus plausible (probabile) ; cf. Cicéron, Premiers académiques, dans Cicéron, Academici libri et Lucullus, éd. et tr. fr. de J. Kany-Turpin, intr. de P. Pellegrin, Les Académiques, Paris, Flammarion, 2010, 2, 10, passim ; id., De Off., 2, 8. Sur le contexte historique, cf. C. Lévy, Cicero academicus. Recherches sur les ‘ Académiques’et sur la philosophie cicéronienne, Roma, École française de Rome, 1992 ; sur la logique argumentative, cf. B. Inwood et J. Mansfeld (éds.), Assent and Argument, Leiden, Brill, 1997. Sur les consequences de cette position dans l’argumentation juridique, cf. F. Mariani Zini, “Cicero on Conditional Right”, dans D. M. Gabbay et al. (éds.), Approches to Legal Rationality, Dordrecht et al., Springer, 2010, p. 25-47. Sur les rapports entre la philosophie et la rhétorique, cf. A. Michel, Les rapports de la rhétorique et de la philosophie dans l’œuvre de Cicéron (1960), Louvain, Peeters, 2003. Il ne faut pas oublier que Sénèque, Ep., 58, présente une réflexion conséquente et très influente sur les ficta, sur les fictions. Cf. J. Brunschwig, « La théorie stoïcienne du genre suprême et l’ontologie platonicienne », dans J. Barnes et M. Mignucci, (éds.), Matter and Metaphysics, Napoli, Bibliopolis, 1988, p. 1-81.
22 Sur la bibliothèque de Boccace et ses lectures approfondies de Cicéron, Sénèque, Thomas d’Aquin, cf. A. Mazza, “L’inventario della ‘parva libreria’ di Santo Spirito e la biblioteca del Boccaccio”, Italia Medioevale e Umanistica IX, 1966, p. 1-74. On doit surtout lire les cahiers de Boccace lui-même, à savoir les zibaldoni (Laur. XXXI, 8, déjà Santo Spirito IV, 2 ; Laur. XXXIII, 31 et Banco rari 50) ; cf. Cl. Cazalé-Bérard. et M. Picone (éds.), Gli Zibaldoni del Boccaccio. Memoria, scrittura, riscrittura, Firenze, Cesati, 1998 ; C. Coulter, “Boccaccio Knowledge of Quintilian”, Speculum XXXIII, 1958, p. 490-496 ; G. Velli, “Seneca nel ‘Decameron’”, Giornale storico della letteratura italiana CLXVIII, 1991, p. 321-334 ; K. Flasch, « Boccace et la philosophie », dans Ut philosophia poesis, p. 213-233.
23 Diogène Laërce, Vies, VII, 102, p. 854
24 Diogène Laërce, Vies, VII, 101, p. 854 : « Ils sont d’avis que tous les biens sont égaux et que tout bien est au plus haut point digne de choix et n’accepte ni relâchement ni intensification ».
25 Diogène Laërce, Vies, VII, 10, p. 856. Ce sont justement les axia, les valeurs que les choses prennent dans l’échange des marchandises. Cf. Cicéron, De Fin., III, VI, 20.
26 Sénèque, Ep., 66, 16, p. 764 : « Nam, si quae extra uirtutem posita sunt, aut minuere illam aut augere possunt, desinit unum bonum esse, quod honestum. Si hoc concesseris, omne honestum perit ». Cf. Sénéque, Ep., 82, 10, p. 844 : « Je considère comme choses indiférentes, c’est-à-dire comme n’étant ni des biens ni des maux, la maladie, la soufrance, la pauvreté, l’exil, la mort ». (« … tamquam indiferentia esse dico, id est nec mala nec bona, morbum, dolorem, paupertatem, exilium, mortem »).
27 C’est pourquoi on peut faire l’hypothèse que la philosophie stoïcienne fut adoptée par la classe des sénateurs à Rome, comme Sénèque au temps de Néron, lorsque le Sénat avait perdu son pouvoir. L’idéal d’autonomie faisait barrage à toute catastrophe extérieure. Cf. P. L. Donini, Le Scuole, l’anima, l’impero : la filosofia antica d’Antioco a Plotino, Torino, Rosenberg & Sellier, 1983, p. 160-181.
28 Sénèque, De Vita beata, 2, 2.
29 Sénèque, De Vita beata, 3, 3.
30 Sénèque, De Tranq., XI, 1, p. 360 : « Huic non timide nec pedetentim ambulandum est : tanta enim fiducia sui est, ut obuiam fortunae ire non dubitet nec umquam loco illi cessurus sit ».
31 Sénèque, De Vita beata, IV, 2, passim.
32 Qui engendrent la haine de soi, cf. Sénèque, De Vita beata, VII, 4.
33 Il en est le citoyen, voire le soldat : Sénèque, Ep., 120, 12. Cf. J. Wildberger, Seneca und die Stoa. Der Platz des Menschen in der Welt, Berlin, de Gruyter, 2006, vol. 1, p. 244-275.
34 Sur cette notion, qui exprime une forme de familiarité avec soi-même et non simplement un conatus cf. M. Forschner, „Oikeiosis. Die stoische Theorie der Selbstaneignung“, dans B. Neumeyer et al. (éds.), Stoizismus in der europäischen Philosophie, Literatur, Kunst und Politik, Berlin, de Gruyter, 2008, vol. 1, p. 169-192.
35 Sénèque, Ep., 121, 16-17, p. 1078-1079 : « Alia est aetas infantis, pueri, adulescentis, senis : ego tamen idem sum qui et infans fui et puer et adulescens. Sic, quamuis alia atque alia cuique constitutio sit, conciliatio constitutionis suae eadem est. Non enim puerum mihi aut iuuenem aut senem, sed me natura commendat. Ergo infans ei constitutioni suae conciliatur quae tunc infanti est, non quae futura iuueni est. Neque enim si aliquid illi maius in quod transeat, restat, non hoc quoque in quo nascitur, secundam naturam est. Primum sibi ipsum conciliatur animal ; debet enim aliquid esse ad quod alia referantur. Voluptatem peto, cui ? Mihi : ergo mei curam ago. Dolorem refugio, pro quo ? Pro me : ergo mei curam ago. Si omnia propter curam mei facio, ante omnia est mei cura. Haec animalibus inest cunctis nec inseritus, sed innascitur ».
36 L’idéalité du sage est un sujet controversé. Elle ne doit sans doute pas être prise à la lettre, mais considérée comme une stratégie argumentative. Justement parce qu’il s’agit d’un modèle rare comme le Phénix, il peut être proposé à tout un chacun et non seulement au spoudaios athénien ; cf. M. Vegetti, “Il mito del saggio”, dans id., L’etica degli antichi, Torino, Laterza, 1989, p. 271-300.
37 Diogène Laërce, Vies, VII, 106.
38 Sénèque, Ep., 74, 17, p. 802 : « Cetera opinione bona sunt et nomen quidem habent commune cum ueris, proprietas (quidem) in illis boni non est : itaque commoda uocentur et, ut nostra lingua loquar, producta. Ceterum sciamus mancipia nostra esse, non partes, et sint apud nos, sed ita, ut meminerimus extra nos esse : etiam si apud nos sint, inter subiecta et humilia numerentur, propter quae nemo se adtollere debeat ».
39 Diogène Laërce, Vies, VII, 85, p. 846.
40 Cicéron, De Off., I, 4-5 : « Nulla enim uitae pars neque publicis neque priuatis neque forensibus neque domesticis in rebus neque si tecum agas quid neque si cum altero contrahas, uacare officio potest ; in eoque et colendo sita uitae et honestas omnis et neglegendo turpitudo. Atque haec quidem quaestio communis est omnium philosophorum. Quis est enim qui nullis officii praeceptis tradendis philosophum se audeat dicere ? Sed sunt non nullae disciplinae quae propositis bonorum et malorum finibus officium omne peruertant. Nam qui summum bonum sic instituit ut nihil habeat cum virtute coniunctum, idque suis commodis, non honestate metitur, hic, si sibi ipse consentiat et non interdum naturae bonitate uincatur, neque amicitiam colere possit nec iustitiam nec liberalitatem. Fortis uero dolorem summum malum iudicans aut temperans voluptatem summum bonum statuens essere certe nullo potest ».
41 Cicéron, De Fin., III, 50-51 (p. 61-63) : « Deinceps explicatur diferentia rerum, quam si non ullam esse diceremus, confunderetur omnis uita, ut ab Aristone, neque ullum sapientiae munus aut opus inueniretur, cum inter res eas quae ad uitam degendam pertinerent, nihil omnino interesset, neque ullum dilectum adhiberi oportet. Itaque cum esse satis constitutum id solum esse bonum quod esset honestum, et id malum solum quod turpe, tum inter illa nihil ualerent ad beate misereue uiuendum aliquid tamen quod diferet esse uoluerunt, ut essent eorum alia aestimabilia, alia contra, alia neutrum. Quae autem aestimanda essent, eorum in aliis satis esse causae, quam ob rem quibusdam anteponerentur, ut in ualetudine, ut in integritate sensuum, ut in doloris uacuitate, ut gloriae, diuitiarum, similium rerum, alia autem non esse eius modi… ».
42 Cicéron, De Fin., III, 20 (p. 25-27) : « Les Stoïciens qualifient de ‘ayant de la valeur' (c’est, je crois, l’expression à employer) la chose qui ou bien est de soi-même conforme à la nature ou bien produit quelque résultat de ce genre, en sorte que dans les deux cas le droit de cette chose à notre choix s’explique par le fait qu’elle a un poids propre ayant droit à une valeur : voilà ce qu’ils appellent sa valeur prix (axia). Inversement, ‘sans valeur’ désigne l’opposé de ce qui précède. Les mobiles initiaux étant donc constitués de telle sorte que les choses conformes à la nature doivent être, par elles-mêmes et pour elles-mêmes, adoptées, et que les choses contraires doivent être, dans les mêmes conditions, rejetées, le premier des « convenables » de l’être (je traduit par officium, ce qu’il est convenable de faire le grec kathekon) est de se conserver dans sa constitution naturelle ; puis de s’attacher aux choses qui sont conformes à la nature et de repousser celles qui sont contraires ; une fois la connaissance acquise de ce choix, et pareillement, de cette élimination, ce qui en est la suite immédiate, c’est une connexion établie entre le convenable et le choix, puis la permanence du choix, lequel finit alors par être en constant accord avec lui-même et en harmonie avec la nature ; et c’est dans ce choix que, pour la première fois, le bien commence d’être contenu et que se découvre l’idée de ce qui peut être véritablement appelé bien ». (« Aestimabile esse dicunt (sic enim, ut opinor, appellemus) id quod aut ipsum secundam naturam sit aut tale quid efficiat, ut selectione dignum propterea sit, quod aliquod pondus habeat dignum aestimatione, quam illi axia uocant, contraque inaestimabile, quod sit superiori contrarium. Initiis igitur ita constitutis, ut ea quae secundum naturam sunt ipsa propter se sumenda sint contrariaque item reicienda, primum est officium (id enim appello kathekon), ut se conseruet in naturae statu, deinceps ut ea teneat quae secundum naturam sint, pellatque contraria ; qua inuenta selectione et item reiectione sequitur deinceps cum officio selectio, deinde ea perpetua, tum ad extremum constans consentaneaque naturae, in qua primum inesse incipit et intellegi quid sit quod uere bonum possit dici »).
43 Cicéron, De Off., I, 6. Cf. P. Milton Valente, L’Ethique stoïcienne chez Cicéron, Paris, Librairie St. Paul, 1956, p. 209-229.
44 Cicéron, De Off., I, 7-8 : « Omnis de officio duplex est quaestio : unum genus est quod pertinet ad finem bonorum, alterum, quod positum est in praeceptis quibus in omnis partis usus uitae confirmari possit. Superioris generis huius modi sunt exempla : omniane officia perfecta sint, num quod officium aliud alio maius sit, et quae sunt generis eiusdem. Quorum autem officiorum praecepta traduntur, ea quamquam pertinent ad finem bonorum, tamen minus id apparet, quia magis ad institutionem uitae communis spectare uidentur ; de quibus est nobis his libris explicandum. Atque etiam alia diuisio est officii. Nam et medium quoddam officium dicitur, et perfectum. Perfectum officium rectum, opinor, uocemus quoniam Graeci katorthoma, hoc autem commune officium kathekon uocant. Atque ea sic definiunt ut, rectum quod sit, id officium perfectum esse definiant ; medium autem officium id esse dicunt, quod cur factum sit, ratio probabilis reddi possit ».
45 Cicéron, De Off., I, 11.
46 Cicéron, De Off., I, 13-14.
47 Cicéron, De Off., I, 18-19.
48 Cicéron, De Off., I, 20-60. Elle a une double forme : d’une part, la justice qui règle les liens politiques, sociaux, contractuels, ayant comme devoirs principaux l’équité, (cf. I, 29) et la fides, la fidélité dans l’engagement pris, si bien que comme les signalaient les Stoïciens fides tirerait son nom de l’expression fiat, que soit fait ce qui a été dit, (cf. en part. I, 20-23) ; de l’autre, la benignitas ou liberalitas qui guide le commerce social, notamment le don ou le bénéfice selon des préceptes inspirés par la modération et par la pondération (cf. en part. I, 42-49).
49 Cicéron, De Off., I, 61-93.
50 Cicéron, De Off., I, 93-151.
51 Cicéron, De Off., I, 17.
52 Cicéron, De Off., I, 18 : « Virtutis enim laus omnis in actione consisti ».
53 Cicéron, De Off., I, 15 : « Sed omne quod est honestum, id quattuor partium oritur ex aliqua : aut enim in perspicientia ueri sollertiaque uersatur aut in hominum societate tuenda tribuendoque suum cuique et rerum contractarum fide aut in animi excelsi atque inuicti magnitudine ac robore aut in omnium quae fiunt quaeque dicuntur, ordine et modo, in quo inest modestia et temperantia ».
54 Cicéron, De Off., II, 1 ; cf. aussi ibid., I, 10.
55 Cicéron, De Off., II, 11-16. Les profits que l’on retire des objets inanimés ou des animaux proviennent également de l’activité des hommes.
56 Cicéron, De Off., III, 18. Dans ce cas, le propre de la vertu est « conciliare animos hominum et ad usus suos adiungere », cf. aussi ibid., 17 et II, 20-51.
57 Cicéron, De Off., II, 52-85
58 Cicéron, De Off., II, 15 : « Quas res et mansuetudo animorum consecuta et uerecundia est efectumque ut esset uita munitior, atque ut dando et accipiendo mutandisque facultatibus et commodis nulla re egeremus ».
59 Cf. F. -R. Chaumartin, Le ‘De Beneficiis’ de Sénèque. Sa signification philosophique, politique et sociale, Paris, Les Belles Lettres, 1982 ; B. Inwood, “Politics and Paradox in Seneca’s De Beneficiis ”, dans id., Reading Seneca. Stoic Philosophy at Rome, p. 65-94. Cf. aussi J. Annas, “Cicero on Stoic Moral Philosophy and Private Property”, dans J. Barnes et M. Griffin (éds.), Philosophia togata : Essays on Philosophy and Roman Society, vol. 1, p. 151-173.
60 Sénèque, De Ben., IV, 12, 1 et 39, 2 ; V, 21, 1-2 ; VI, 6, 1.
61 Sénèque, De Ben., III, 14, 2 (p. 454) : « Tu t’abuses si tu crois que le juge viendra à ton secours. Aucune loi ne remettra les choses en l’état ; la bonne foi de l’obligé est la seule garantie que tu dois envisager. De la sorte les bienfaits gardent leur prestige moral et sont magnifiques ; on ne fera que les souiller en en faisant matière à procès ». (« Erras, si existimas succursurum tibi iudicem ; nulla lex te in integrum restituet, solam accipientis fidem specta. Hoc modo beneficia auctoritatem suam tenent et magnifica sunt ; pollues illa, si materiam litium feceris »).
62 Sénèque, De Ben., III, 7, 3 (p. 450) : « … Quelle noblesse de geste y a-t-il, chez l’auteur d'un bienfait, si au lieu de donner il prête ; ou chez l’obligé qui rend non par décision spontanée, mais par nécessité ? » (« … quid enim aut in hoc magnificum est, si beneficium non dat, sed commodat, aut in illo, qui reddit, non quia uult, sed quia necesse est ? »).
63 Sénèque, De Ben., III, 15, 4.
64 Sénèque, De Ben., IV, 40, 5 ; VI, 35, 4.
65 Comme le souligne Sénèque, De Ben., IV, 9, 1 (p. 477) : « Le bienfait ne doit avoir qu’un but, l’avantage de celui qui reçoit ». (« Vna expedatur in eo accipientis utilitas »).
66 Sénèque, De Ben., IV, 10, 5 (p. 478) : « C’est sur l’intention que se guide mon estimation ; aussi oublierais-je un homme riche, mais indigne, pour donner au pauvre s’il est homme de bien ; il saura en efet, fût-il dans un dénuement extrême, se montrer reconnaissant, et quand tout lui manquera, l’intention encore lui restera ». (« Ad animum tendit aestimatio mea ; ideo locupletem, sed indignum praeteribo, pauperi uiro bono dabo ; erit enim in summa inopia gratus et, cum omnia illi deerunt, supererit animus »).
67 Sénèque, De Ben., I, 9, 1 (p. 414) : « Ce n’est pas la grandeur des divers présents, mais valeur morale de leurs auteurs qui est intéressante ». (« Non quanta quaeque sint, sed a quali profecta, scire proficit ».
68 Sénèque, De Ben., IV, 11, 1 et 25, 2.
69 Sénèque, De Ben., II, 15, 3.
70 Sénèque, De Ben., II, 34, 4.
71 Sénèque, De Ben., V, 13, 2.
72 Sénèque, De Ben., V, 22, 2-4.
73 Sénèque, De Ben., VII, 24, 2 (p. 580) : « C’est parce qu’existe la tendance à demander son compte âprement que nous ne voulons pas qu’on réclame son dû, non pour qu’on s’en abstienne toujours, mais pour qu’on y apporte des ménagements ». (« Propter acerbos exactores repetere prohibemus, non, ut numquam fiat, sed ut parce »).
74 Sénèque, De Ben., IV, 18, 1.
75 Sénèque, De Ben., I, 6, 1 (p. 412) : « Qu’est-ce qu’un bienfait ? Un acte de bienveillance qui procure de la joie et qui, par ce fait, s’accompagne de joie, en même temps qu’une inclination et une disposition spontanée à l’accomplir ». (« Quid ergo beneficium ? Beniuola actio tribuens gaudium capiensque tribuendo in id, quod facit prona et sponte sua parata »).
76 Sénèque, De Ben., IV, 18, 1 (p. 484) : « Pour te prouver que le sentiment de la gratitude est désirable en soi : l’ingratitude en soi est chose à éviter, puisque rien ne désunit et ne sépare violemment les hommes autant que ce vice ». (« Vt scias per se expetendam esse grati animi adfectionem, per se fugienda res est ingratum esse, quoniam nihil aeque concordiam humani generis dissociat ac distrahit quam hoc uitium »).
77 Sénèque, De Ben., IV, 32, 4 (p. 497) : « Ingrato aliquando quaedam, sed non propter ipsum dabo ».
78 Sénèque, De Ben., VII, 32, 1 (p. 584) : « Non est magni animi beneficium dare et perdere ; hoc est magni animi perdere et dare ».
79 Sénèque, De Ben., IV, 11, 1 (p. 479) : « Non lucrum ex beneficio capto, non uoluptatem non gloriam ; uni placere contentus in hoc dabo, ut quod oportet faciam. Quod oportet autem non est sine electione : haec qualis futura sit, interrogas ? Eligam uirum integrum, simplicem, memorem, gratum, alieni abstinentem, sui non auare tenacem, beniuolum ; hunc ego cum elegero, licet nihil illi fortuna tribuat, ex quo referre gratiam possit, ex sententia gesta res erit ».
80 Cicéron, De Off., III, 17.
81 Cicéron, De Off., I, 152-161, pour l’honestum ; II, 89-90 pour l’utile.
82 Cicéron, De Off., I, 31 : « Ea cum tempore commutantur, commutatur officium et non semper est idem ».
83 Cicéron, De Off., I, 32 : « Nec promissa igitur seruanda sunt ea quae sint iis quibus promiseris, inutilia, nec, si plus tibi ca noceant quam illi prosint cui promiseris, contra officium est maius anteponi minori… ». Cf. également les conditions du serment et du véritable parjure, ibid., III, 104, 107, 115.
84 Cicéron, De Off., III, 21-120.
85 Cicéron, De Off., I, 59 : « Sed in his omnibus officiis tribuendis uidendum erit quid cuique maxime necesse sit et quid quisque uel sine nobis aut possit consequi aut non possit. Ita non iidem erunt necessitudinum gradus qui temporum : suntque officia quae aliis magis quam aliis debeantur, ut uicinum citius adiuueris in fructibus percipiendis quam aut fratrem aut familiarem, at, si lis in iudicio sit, propinquum potius et amicum quam uicinum defenderis. Haec igitur et talia circumspicienda sunt in omni officio – et consuetudo exercitatioque capienda – ut boni ratiocinatores officiorum esse possimus et addendo deducendoque uidere quae reliqui summa fiat, ex quo, quantum cuique debeatur, intellegas ».
86 Cicéron, De Off., II, 7-8 : « Nos autem, ut ceteri alia certa, alia incerta esse dicunt, sic ab his dissentientes alia probabilia contra alia dicimus. Quid est igitur quod me impediat ea quae probabilia mihi uideantur, sequi, quae contra, improbare atque affirmandi arrogantiam uitantem fugere temeritatem quae a sapientia dissidet plurimum ? Contra autem omnia disputantur a nostris, quod hoc ipsum probabile elucere non posset, nisis ex utraque parte causarum esset facta contentio ».
87 Cf. J. Glucker, “Probabile, veri simile and related terms”, dans J. G. F. Powell (éd.), Cicero the Philosopher, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 115-145 ; Cl. Auvray-Assayas, Cicéron, p. 37-42 ; F. Mariani Zini, « Les topiques oubliées de Cicéron », dans Les lieux de l’argumentation. Histoire du syllogisme topique d’Aristote à Leibniz, p. 64-92.
88 Comme le souligne Cicéron, De Off., III, 13-14 : « Atque illud quidem honestum quod proprie uereque dicitur, id in sapientibus est solis neque a uirtute diuelli umquam potest ; in iis autem in quibus sapientia perfecta non est, ipsum illud quidem perfectum honestum nullo modo, similitudines honesti esse possunt. Haec enim officia de quibus his libris disputamus, media stoici appellant ; ea communia sunt et late patent, quae et ingenii bonitate multi assequuntur et progressione discendi ». (« Pourtant cette honnêteté, entendue au sens propre et véritable, se trouve chez les seuls sages et ne peut jamais être séparée de la vertu, tandis que chez ceux en qui la sagesse n’est pas parfaite, ce n’est pas, assurément, cette honnêteté parfaite en soi, qui peut se trouver, en aucune manière, mais ce sont ses images. Ces devoirs dont nous dissertons dans ces livres, les Stoïciens les appellent « moyens » : ce sont des devoirs courants et d’une application entendue : beaucoup y atteignent, du fait d’un bon naturel et du progrès dans l’étude »).
89 Cicéron, De Off., II, 10. Tout ce qui est juste est utile ; tout ce qui est honnête est juste, donc tout ce qui est honnête est utile. Cf. également, De Fin., III, 71.
90 Cicéron., De Off., III, 20.
91 Cicéron, De Off., I, 12 : « Eademque natura ui rationis hominem conciliat homini et ad orationis et ad uitae societatem ingeneratque in primis praecipuum quemdam amorem in eos qui procreati sunt, impellitque ut hominum coetus et celebrationes et esse et a se obiri uelit ob easque causas studeat parare ea quae suppeditent ad cultum et ad victum nec sibi soli sed coniugi, liberis ceterisque quos caros habeat tuerique debeat ; quae cura exsuscitat etiam animos et maiores ad rem gerendam facit ».
92 Cicéron, De Off., I, 47 : « De benevolentia autem quam quisque habeat erga nos, primum illud est in officio, ut ei plurimum tribuamus a quo plurimum diligamur… ».
93 Cicéron, De Off., I, 57 : « Cari sunt parentes, cari liberi, propinqui, familiares, sed omnes omnium caritates patria una complexa est pro qua quis bonus dubitet mortem oppetere si ei sit profuturus ? »
94 Cicéron, De Off., III, 42 : sans que cela ne nuise à personne.
95 Cicéron, De Off., I, 44 : « … ne benignitas maior esset quam facultates ».
96 Cicéron, De Off., III, 26.
97 Cicéron, De Off., I, 43.
98 Cicéron, De Off., III, 31 : « Itaque lex ipsa naturae – quae utilitatem hominum conseruat et continet-decernet profecto ut ab homine inerti atque inutili ad sapientem, bonum, fortem uirum transferantur res ad uiuendum necessariae, qui si occiderit, multum de communi utilitate detraxerit, modo hoc ita faciat ut ne ipse de se bene existimans seseque diligens hanc causam habeat ad iniuriam. Ita semper officio fungetur utilitati consulens hominum et ei quam saepe commemoro, humanae societate ». Ici l’homme inique est le tyran de Phalaris.
99 Dans le cadre naturellement d’un projet littéraire.
100 Cicéron, De Fin., III, 17 : « Parmi les premiers mobiles, la plupart des Stoïciens ne pensent pas qu’il faille compter le plaisir ; et, pour ma part, je leur donne un énergique assentiment, parce que, si le plaisir semblait avoir été mis par la nature au nombre des choses qui sont l’objet des premières appétitions, il en résulterait beaucoup de conséquences honteuses ». (« In principiis autem naturalibus plerique Stoici non putant uoluptatem esse ponendam. Quibus ego uehementer assentior, ne si uoluptatem natura posuisse in iis rebus uideatur quae primae appetuntur, multa turpia sequantur »).
101 Si la crainte de la mort est naturellement une constante anthropologique, elle est différemment ressentie et interprétée selon les conceptions philosophiques et religieuses dans des conditions historiques précises. À ce propos, la conception de la mort comme une perte de valeur personnelle et les conséquences qui s’en suivent sont l’expression d’un changement de mentalité historiquement déterminé.
102 Quintilien, Institutio oratoria, éd. et tr. fr. de H. Bornecque, Institution oratoire, Paris, Garnier, 1933, 4 vols., I, 6, 1.
103 Cf. C. Muscetta, Giovanni Boccaccio, Bari, Laterza, 1972 ; A. Fontes-Baratto, « Le thème de la beffa dans le ‘Décaméron’ », dans Formes et significations de la ‘ beffa’dans la littérature italienne de la Renaissance, Paris, Editions de L’Université de la Sorbonne Nouvelle, 1972 ; F. Fido, Le metamorfosi del Centauro. Studi e letture da Boccaccio a Pirandello, Roma, Bulzoni, 1977, p. 43-61 ; C. Van der Voort, “Convergenze e divaricazioni fra la prima e la sesta giornata del ‘Decameron’”, Studi sul Boccaccio XI, 1979-1980, p. 207-241 ; P. D. Stewart, “La Novella di Madonna Oretta e le due parti del ‘Decameron’”(1975), dans id., Retorica e mimica nel ‘Decameron’ e nella commedia del Cinquecento, Firenze, Olschki, 1986, p. 19-38 ; L. Cuomo, “Sillogizzare motteggiando e motteggiare sillogizzando : dal ‘Novellino’ alla VI giornata del ‘Decameron’”, Studi sul Boccaccio XIII, 1981-1982, p. 217-265 ; C. Oesch-Serra, “Il Motto di spirito : istruzioni per l’uso. Appunti per una lettura pragmatica della VI giornata del ‘Decameron’”, Versants 17, 1990, p. 3-16. Je ne partage pas la conviction, largement répandue, selon laquelle l’ironie et la parodie, propres aux motti di spirito, seraient une des formes privilégiées de la refondation du lien social après la peste, à la diférence de M. Picone, “Leggiadri motti e pronte risposte : la sesta giornata”, dans Introduzione, p. 163-186.
104 D., VI, 4.
105 D., VI, 1.
106 D., VI, 7, comme dans le cas de Mme Filippa qui, par sa boutade, fait changer la loi l’adultère.
107 Comme le souligne Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 75, art. 2, solution 3 (p. 479), la moquerie est plus légère que la diffamation ou l’injure, car elle n’implique pas le mépris. C’est un amusement. Mais il peut arriver qu’une moquerie soit méprisante. C’est alors un péché grave.
108 Cf. C. Delcorno, “Ironia/parodia”, dans Lessico critico decameroniano, p. 162-192 ; M. Picone, Boccaccio e la codificazione della novella. Letture del ‘Décaméron’, p. 257-268.
109 Sénèque, De Tranq., XV, 2-4 : 8p. 367) : « In hoc itaque flectendi sumus, ut omnia uulgi uitia non inuisa nobis, sed ridicula uideantur, et Democritum potius imitemur quam Heraclitum : hic enim, quotiens in publicum processerat, flebat, ille ridebat ; huic omnia quae agimus miseriae, illi ineptiae uidebantur. Eleuanda ergo omnia et facili animo ferenda : humanius est deridere uitam quam deplorare. Adice quod de humano quoque genere melius meretur qui ridet illud quam qui luget : ille et spei bonae aliquid relinquit, hic autem stulte deflet quae corrigi posse desperat ; et universa contemplanti maioris animi est qui risum non tenet quam qui lacrimas, quando leuissimum afectum animi mouet et nihil magnum, nihil seuerum, ne miserum quidem ex tanto paratu putat ».
110 Les essais d’E. Arend, Lachen und Komik in G. Boccaccios ‘Decameron’, sp. 87-140 et B. Jakobs, Rhétorik des Lachens und Diätetik in Boccaccios ‘Decameron’, sp. p. 241-262, étudient en détail la nature du « comique » chez Boccace dans le cadre des théories médicales médiévales et de leurs origines grecques et arabes. Cf. aussi M. Riva, “Hereos/Eleos. L’ambivalente terapia del male d’amore nel libro ‘chiamato decameron cognominato Prencipe Galeotto’”, Italian Quarterly XXXVIII, 2000, p. 69-106.
111 Il faut naturellement distinguer les degrés et les niveaux de cette phénoménologie du rire Les motti di spirito et le beffe sont de diférente nature, mais expriment également le rire comme « passion triste ».
112 Cicéron, De Oratore (désormais abrégé par Cicéron, De Or.), éd. et tr. fr. d’E. Courbeau, Paris, Les Belles Lettres, 1966, II, LVIII, 234-LXXI, 291, reprise par Quintilien, Inst. or ., VI, 1, 3 ; X, I, 65, passim . Cf. B. Jakobs, Rhetorik des Lachens und Diätetik in Boccaccios ‘Decameron’, p. 269-312. Cicéron, De Or., II, LIX, 237sq., propose la distinction entre les plaisanteries de choses (par exemple le conte et l’anecdote) et les plaisanteries de mots, soulignant que les premières prêtent davantage au rire (De Or., LXVI, 264). L’ironie de Socrate est mise en valeur par son rapport avec la gravité (De Or., LXVII, 270). La licence d’Horace peut être évoquée comme justification subsidiaire.
113 Cicéron, De Or., LVIII, 235-237.
114 Cicéron, De Or., LIX, 239.
115 D. VI, 5, p. 508 (p. 526) : « Giotto, a che ora venendo di qua alla ‘ncontro di noi un forestiere che mai veduto non t’avesse, credi tu che egli credesse che tu fossi il migliore dipintore del mondo, come tu se’ ?’A cui Giotto prestamente rispose : ‘ Messere, credo che egli il crederebbe allora che, guardando voi, egli crederebbe che voi sapeste l’abicì’. Il che messer Forese udendo il suo error riconobbe, e videsi di tal moneta pagato, quali erano state le derrate vendute ».
116 D. V, 10 p. 480 (p. 498) : “… da capo ti dico che tu fai molto bene a rendere al marito tuo pan per focaccia, sì che l’anima tua non abbia in vecchiezza che rimproverare alle carni. Di questo mondo ha ciascun tanto quanto egli se ne toglie, e spezialmente le femine, alle quali si convien troppo più d’adoperare il tempo quando l’hanno che agli uomini, per ciò che tu puoi vedere, quando c’invecchiamo, né marito né altri ci vuol vedere anzi ci cacciano in cucina a dir delle favole con la gatta e a annoverare le pentole e le scodelle”.
117 D. VIII, 8, p. 669 (p. 703) : “Ora, per cio’ che io l’amo, non intendo di volere di lui pigliare se non quale è stata l’ofesa”.
118 D. VIII, 8, p. 669 (p. 703) : “Zeppa mio, poi che sopra me dee cadere questa vendetta, e io son contenta, sì veramente che tu mi facci, di questo che far dobbiamo, rimanere in pace con la tua donna, come io, non obstante quello che ella m’ha fatto, intendo di rimaner con lei”. Par la suite, Spinelloccio lui-même reconnaîtra que la vengeance de l’ami a été très juste et indulgente !
119 D. VIII, 1, p. 608 (p. 636) : “Avvegna che, chi volesse più propriamente parlare, quel che io dir debbo non si direbbe befa anzi si direbbe merito…”.
120 D., IV, 6.
121 Elle obtient cependant de son père ce qui est une des exigences tragiques majeures : une sépulture digne pour son aimé.
122 Elle se trouve explicitement chez Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et fondements de l’inégalité parmi les hommes, Amsterdam, M. M. Rey, 1755, note 15 : « Il ne faut pas confondre l’Amour-propre et l’Amour de soi-même ; deux passions très diférentes par leur nature et par leurs efets. L’Amour de soi-même est un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation et qui, dirigé dans l’homme par la raison et modifié par la pitié, produit l’humanité et la vertu. L’Amour-propre n’est qu’un sentiment relatif, factice, et né dans la société, qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi que de tout autre, qui inspire aux hommes tous les maux qu’ils se font mutuellement, et qui est la véritable source de l’honneur ». Rousseau reprend à son compte les réflexions sur l’amour de Fénelon et cherche à penser le soi, au-delà du paradigme juridique de la propriété, propre au XVIIIe siècle, ainsi que de l’illusion, d’inspiration platonicienne, de la connaissance de soi.
123 Par exemple, Cicéron, De Fin., III, 16, reconnaît le fondement naturel de l’amour de soi, propre à tout animal : « Il serait impossible qu’ils (i. e. les petits des animaux) eussent aucune appétition de quoi que ce soit, s’ils n’avaient pas conscience de leur être et, par là, l’amour d’eux-mêmes. Ce qui nécessairement se dégage de là, c’est que le premier mobile a été l’amour de soi-même ». (« Fieri autem non posset, ut appeterent aliquid, nisi sensum haberent sui eoque se diligerent. Ex quo intellegi debet principium ductum esse a se diligendo »). Sénèque, Ep., VI, 59, 11 (p. 745) pointe décidément qu’un amour déplacé de soi ainsi qu’une trop haute estime de soi empêchent de rentrer en soi-même et d’être vertueux : « On refuse donc de se reformer, parce qu’on s’estime parfait » (« Sequitur itaque, ut ideo mutari nolimus, quias non optimos esse credimus »).
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