Chapitre 1. Sortir de l’université
p. 25-53
Texte intégral
1.1. L’amitié défaite
1.1.1. Le retour dans la cité
1Tout d’abord, il n’y a pas de cosmogonie dans le jardin. Celui-ci n’est qu’un monde contigu au monde réel que les conteurs laissent derrière eux. C’est un lieu isolé et protégé, mais il ne préfigure pas une régénération politique ou sociale après la peste. À vrai dire, rien ne donne à penser que la peste soit passée quand les jeunes rentrent à Florence. La brigade ne refonde pas les liens de la communauté. S’étant formé dans l’église de S. Maria Novella, le groupe d’amis quitte la ville infestée par la peste, mais y retourne après dix jours, comme si rien ne s’était passé. Chacun reprend son rôle social, comme l’atteste la conclusion :
Les trois jeunes gens laissèrent les dames à Santa Maria Novella, d’où ils étaient partis ensemble et, ayant pris congé d’elles, ils allèrent vers leurs autres plaisirs et les dames, quand cela leur plut, s’en retournèrent chez elles1.
2Les compagnons n’ont rien à proposer pour la cité : leur seul projet institutionnel est la mise en scène d’un royaume fictif, l’élection quotidienne d’un nouveau roi, dont l’action est consacrée au divertissement de la compagnie, en évitant l’ennui et l’envie :
Il faut vivre dans la fête. Telle est la raison qui nous a fait fuir ces tristesses. Mais, comme ce qui échappe à toute règle ne saurait longtemps durer, songeant au moyen d’entretenir notre joie, je juge nécessaire-moi qui ai conçu la première le projet de cette belle compagnie qu’il y ait parmi nous un chef qui soit honoré et obéi de nous comme un souverain, et dont tout le soin consiste à nous disposer à vivre joyeusement. Or, pour que chacun éprouve à la fois le poids de ce souci et le plaisir de la souveraineté, les expérimentant l’un et l’autre, et que personne ne ressente d’envie, je dis que le fardeau et l’honneur doivent être attribués à chacun de nous durant une journée2.
3Le retrait à la campagne ne donne pas lieu à une nouvelle communauté ludique, débarrassée des lois et des conventions. Car le jeu est un élément de discorde, comme le rappelle Pampinea :
Mais si l’on suit mon avis sur ce point, nous ne passerons pas cette chaude partie du jour à jouer (car au jeu l’esprit de l’un des partenaires se trouble, sans grand plaisir pour l’autre ni pour l’assistance), mais à conter des nouvelles (ce qui, pendant que l’un de nous raconte, peut combler de plaisir tout l’auditoire)3.
4L’activité de conter garantit donc l’égalité entre les membres de la brigade, puisque l’un ne sera pas plus longtemps roi qu’un autre. Le bénéfice est réciproque. Toutefois, de même que le privilège d’être le roi ne dure qu’un jour, de même l’harmonie du groupe n’est que provisoire. Car les “continua onestà, continua concordia, continua dimistichezza”4, qui sauvegardent ainsi l’honneur des jeunes gens, sont des moments fugitifs. La rencontre des amis a sans doute suspendu le temps, et par là la peur de la mort, mais elle ne donne pas lieu à un nouveau projet durable pour la cité5. Le lien, serré étroitement dans l’Antiquité, entre l’amitié et la politique est dénoué par la concorde précaire des compagnons. Ceci faisant, la brigade prend congé de l’idéal ancien de l’amitié studieuse, renouvelée par les maîtres ès arts.
1.1.2. L’amitié studieuse
5De prime abord, la brigade semble reprendre la koinonia, la communauté restreinte d’amis, qui s’était développée dans les écoles philosophiques hellénistiques, au moment où l’intervention du sage dans la cité était devenue impraticable. Ainsi le décor bucolique ne signale-t-il pas seulement le conflit entre la ville et la campagne6, mais aussi la retraite philosophique. Plus qu’au jardin d’Epicure, le séjour campagnard de la brigade renvoie à la « villa » romaine, où l’on pouvait se consacrer avec les amis aux études, à la méditation, aux conversations érudites. Ici on jouissait d’une nature florissante, maîtrisée de part en part par le travail des hommes ; on y retrouvait, de manière artificielle, l’ordre naturel miniaturisé, dont le spectacle réconfortait les hommes, en faisant surgir l’image du divin.
6C’était le décor préféré de Cicéron, qui aimait à y planter ses dialogues philosophiques, en particulier la réflexion sur la mort et les passions dans sa propriété de Tusculum. C’était là où l’on prenait les solutions les plus radicales, lorsque la vie politique devenait impossible : là s’étaient suicidés Caton, puis Sénèque. La « villa » était devenue un lieu de culte, puisqu’il représentait l’autoportrait de l’homme illustre et savant qui l’avait conçue, puis habitée. C’est pourquoi Sénèque visita la « villa » de Scipion l’Africain, parangon de vertu et de malheur, en transmettant ses réflexions architectoniques et philosophiques à Lucilius, l’ami de toujours7.
7Ainsi le jardin toscan ne récrée-t-il pas tant l’innocence d’un monde perdu, que l’espace de parole propre aux écoles philosophiques antiques, en le transposant, comme les Romains l’avaient déjà fait, de l’école à la « villa » de campagne, signifiant par là la même difficulté. L’isolement des discussions était censé renouveler l’engagement dans la cité, mais il en manifestait l’impossibilité, au moins provisoire. Le commerce studieux avec des amis bien choisis avait été également repris par les philosophes universitaires. Même si, pour eux, la meilleure partie de l’homme résidait dans l’exercice solitaire de l’intellect, les amis n’étaient pas exclus8. Certes, la félicité mentale propre à la contemplation, n’est pas une activité collective. Elle conduit même à une forme d’égoïsme vertueux9. Le philosophe pouvait néanmoins s’associer à des amis qui se consacraient au même projet contemplatif. Si le célibat était considéré comme une condition propice à l’étude, il n’était pas ressenti comme une mutilation de soi. L’abstinence était sciemment assumée pour se consacrer à la vie de l’intellect. Mais il ne s’agissait pas de considérer la sexualité comme un abîme moral.
8En définitive, cette sorte de communauté n’abolissait ni l’individualité, ni la solitude du philosophe. Les pactes entre les amis s’établissaient toujours entre des êtres soluti, libres et autonomes10. Les afects ne devaient, à aucun prix, détourner de la vie contemplative. De même que dans l’Antiquité, dans l’université médiévale, l’amitié amoureuse restait également une afaire d’hommes savants, fondée sur une ressemblance constitutive. L’ami était reconnu et aimé comme un autre soi-même11.
1.1.3. Défaire les liens
9Cet idéal de vie avait séduit progressivement les milieux laïcs12, qui recherchaient une forme de spiritualité étrangère à la mortification des sens. La félicité intellectuelle promettait un accomplissement mondain, dû aux capacités cognitives et non à la noblesse sociale. Elle pouvait également être partagée avec des amis. De manière originale, la forme de vie contemplative avait fasciné en Italie la poésie des troubadours. La poésie à clé des troubadours, par la transfiguration spirituelle de la femme, de même que par le portrait de l’amant transi, analysant méticuleusement toute expression émotive, avait créé un espace mental et littéraire où l’on pouvait accueillir ces aspirations. La poésie s’était chargée de réfléchir sur les modalités de la « vie bonne », à la fois vertueuse et heureuse, accomplissant le propre de l’homme. Elle avait repris les questions agitées d’abord dans le milieu universitaire : la félicité mondaine estelle résolument mentale ? Doit-on élaguer toute passion ?
10On y avait répondu diféremment. La solution la plus intransigeante avait été celle du poète Guido Cavalcanti, dans son poème Donna me prega (« Une femme me prie »)13, avec qui tous durent se confronter14, à commencer par Dante, l’ami d’antan15. Car Guido avait repris de manière radicale la forme de vie des maîtres universitaires : seule l’activité contemplative de l’intellect était le propre de l’homme. Toute passion devait être écartée. Pour Dante, par contre, l’amour pouvait suivre fidèlement le conseil de la raison16. L’homme posséderait un appétit naturellement bon, qu’il suffirait de bien orienter17. Par ailleurs, Virgile, dans « Le Purgatoire », distingue une prima voglia, qui ne peut pas être l’objet de louange ou de blâme, de l’assentiment au désir dépendant de la raison18.
11Il est donc légitime de supposer que Boccace fût également confronté à cette réflexion sur la possibilité de reprendre la forme de vie des maîtres ès arts hors de l’université, en s’interrogeant sur sa possible transformation dans un univers spirituel laïc, mondain et parlant en langue vernaculaire. À cet égard, la brigade reproduit dans l’univers cultivé de la cour le modèle de communauté héritée à la fois de la « villa » romaine et de l’université. Toutefois, les amis du Décaméron ne pratiquent pas la philosophie, mais la narration. Bien plus, la brigade, en exportant hors de l’université le modèle de l’amitié fière et indépendante, la radicalise au point que la liberté se mue en dissolution.
12Car la brigade ne reprend pas les caractères de l’amitié entre les sages, adoptés par les magistri artium, à savoir : la permanence de la vie en association, le rôle central de la vie contemplative et sa puissance critique. Au contraire, une trop longue “consuetudine” menace la fragile harmonie des amis, qui se conduisent plutôt les uns à l’égard des autres comme des « hôtes » auxquels on rend réciproquement hommage, selon les convenances. Mais les bienfaits de la courtoisie sont aussi fugaces que le plaisir de raconter.
13Cette forme d’amitié temporaire, qui cultive la distance bienséante et non l’intimité de la pensée, peut susciter quelques racontars, mais ne dérange personne. En revanche, l’amitié des magistri artium proposait une manière de vivre potentiellement critique et alternative à l’ordre social et politique. On pouvait en fait trouver dans l’otium studieux de l’université les mêmes valeurs que proposaient les clercs : une forme de continence, de modération, d’abstinence, de familiarité et de noblesse, dont le titre est acquis par l’exercice méritoire de la contemplation.
14Manifestement, la brigade n’élabore aucun projet de véritable vie en commun dans la continuité19 : leur rencontre a suspendu le temps. On ne sait ni si le fléau est passé, ni s’ils se reverront un jour. Ils se dissolvent20. C’est justement le fait d’être l’union d’individus soluti qui dissout tout lien durable : ce qui est un gage de liberté par rapport à la vie associative, structurée par les contraintes, devient un lien précaire et inconsistant, quand il faut penser à reconstruire la communauté des hommes après la peste. Assurément, les amis semblent acquérir, au fil du temps, une forme de sérénité. Au début de la dixième journée, ils discutent de leur vie future (“e molte cose della loro vita futura insieme parlando e dicendo e rispondendo”), laquelle peut signifier aussi bien leur existence après la peste qu’après la mort. Car, au début de la IXe journée, il est écrit qu’ou bien ils ne seront pas vaincus par la mort, ou bien celle-ci les prendra, les trouvant joyeux (“O costor non saranno dalla morte vinti o ella gli ucciderà lieti”).
15Pourtant, une telle joie intense ne doit pas être confuse avec une forme de vie durable et stable comme la tranquillitas animi des écoles morales hellénistiques. La brigade ne dispose pas de leur sagesse, acquise par une dure maîtrise de soi. La joie du sage est une conséquence de sa constante force intérieure, tandis que l’allégresse de l’ami dépend de la satisfaction momentanée de ses menus plaisirs. Car la gaité désigne ici l’état d’une âme qui se distrait par des amusements anodins : se ceindre la tête de feuilles de chênes, recueillir des herbes et des fleurs parfumées. Qui plus est, ce ne sont pas tant les amis qui se définissent lieti que le spectateur casuel qui les rencontrerait en rentrant de leur promenade21. Bien loin d’être la célébration du jardin d’Epicure, la joie bucolique de la brigade en est la parodie. La consolation, entendue comme l’effet de la thérapie de l’âme contre la crainte de la mort et la douleur, n’est qu’un moment de distraction. Cicéron s’était déjà moqué des remèdes épicuriens. Face à un homme désespéré :
Est-ce que tu (i. e. Epicure) lui feras voir des lieux fleuris et ornés ? Lui mettras-tu sous le nez un beau bouquet de fleurs ? Est-ce que tu brûleras des parfums et lui diras de se ceindre de guirlandes de roses ?22
16Finalement, les raisons de la dissolution de la brigade apparaissent clairement dans le discours de Panfilo, le dernier « roi », justifiant ainsi le retour à Florence :
C’est pourquoi, si cela vous agrée, j’estime qu’il serait convenable que nous retournions là même d’où nous sommes partis, afin que quelque ennui ne provienne du fait d’une trop longue familiarité, et pour que personne ne puisse critiquer notre long séjour ensemble, et puisque chacun de nous a eu pendant une journée sa part de l’honneur qui m’appartient encore. En outre, si vous y réfléchissez, notre compagnie, désormais connue par d’autres dans les environs, pourrait s’accroître de telle sorte que nous y perdrions notre félicité23.
17La lassitude qui naît d’une longue fréquentation, jointe à la crainte de l’envie, motive donc la clôture de l’expérience bucolique de la brigade24. D’autres pourront mal interpréter cette assemblée festive et répandre des racontars, ou pire encore mus par la jalousie, ils voudront s’y joindre, en altérant la fragile sérénité du groupe. Décidément, la consolation et la sécurité ne sont pas des biens que l’on partage généreusement. De plus, puisque l’échange des bénéfices est terminé, chacun ayant été roi, aucune autre raison n’est avancée pour que les jeunes restent ensemble. La proximité assidue ne peut que causer des ennuis multiples. L’autre, à la longue, devient fastidieux. Les amis, en quittant l’univers philosophique de l’université, ne trouvent guère de raison suffisante pour rester ensemble dans la durée25. C’est pourquoi, comme le souligne Dioneo, la brigade ne prétend pas changer quoi que ce soit :
Gracieuses dames, sans aucun doute, en traitant de l’amitié Filomena dit vrai et c’est avec raison qu’à la fin de son histoire elle a regretté que ce sentiment soit aujourd’hui si peu prisé des mortels. Si nous étions ici pour corriger les défauts du monde, ou pour simplement les blâmer, par un discours prolixe je continuerais ses propos. Mais étant donné que notre but est tout autre…26
1.2. Le prix de la vertu
1.2.1. Frontières incertaines
18Si l’amitié studieuse est dissoute par la rencontre fugitive de la brigade, c’est parce que celle-ci ne partage aucun projet de vie commun et durable. Aucune notion univoque de félicité et de vertu ne lie entre eux les compères qui se dispersent. Toutefois, deux conceptions sont assurément critiquées : la rétribution des prix et des punitions après la mort, mise en scène par Dante ; l’insouciance face à la mort, promise par la félicité mentale des universitaires et chantée par Guido Cavalcanti. L’accent posé sur la mort se comprend aisément pour deux raisons majeures. D’une part, dès l’Antiquité, c’est un des lieux principaux où est posée l’interrogation sur la signification du « soi », qu’il s’agisse de comprendre celui-ci comme la partie d’une entité anonyme, ou encore comme un individu27. D’autre part, la peste change le sentiment de la mort. La dissolution des liens sociaux ainsi que des certitudes éthiques ou religieuses rend le sens de la vie plus incertain, plus désespérante la peur de la mort.
19Le système des prix et des punitions est critiqué, d’abord, dans la scène introduisant le troisième jour. Le vagabondage campagnard conduit la brigade à découvrir un jardin somptueux, qui est décrit comme un Paradis sur terre :
La vue de ce jardin, de son parfait agencement, des plantes, de la fontaine et de ses ruisselets qui en dérivaient, enchanta à ce point chacune des dames et des trois jeunes gens qu’ils en vinrent à dire que si l’on pouvait créer le Paradis sur terre, on ne pouvait l’imaginer différent de ces lieux, ni concevoir comment le rendre encore plus beau28.
20Cette remarque est une des nombreuses traces, indiquant à la fois le détachement de Boccace à l’égard de Dante et sa tentative de récrire la Comédie29. Au lieu de se référer au Paradis dantesque, conquis après la mort, les conteurs de Boccace croient le trouver dans un jardin particulièrement bien agencé. À vrai dire, il ne s’agit pas tant d’une constatation que d’une hypothèse, marquée par l’irréalité. Car les compères reconnaissent que nul Paradis sur terre n’est possible. Toutefois, aucun n’évoque la possibilité d’un Paradis après la mort.
21Ensuite, les trois lieux hiérarchiques de l’ordre divin, que le pèlerin dantesque doit traverser, présentent, dans le Décaméron, des frontières incertaines. Ils semblent surtout se réduire à la seule représentation effrayante de l’Enfer, qui est exploitée afin de susciter la crainte et d’en tirer profit30. Cette accusation est lancée avec force par Tedaldo qui, après avoir rappelé l’adage : « l’habit ne fait pas le moine »31, se plaint des frères de la sorte :
Et, alors que leurs prédécesseurs désiraient le salut des hommes, ceux-ci ne désirent que les femmes et les richesses : ils ont mis et mettent encore tout leur soin à épouvanter par des on-dit et des images l’esprit des sots, et à leur raconter qu’ils se rachètent de leurs fautes en donnant l’aumône ou en faisant dire des messes, et tout cela pour que les autres apportent le pain, les autres le vin, d’autres encore des mets pour le repos de l’âme de leurs morts, à eux qui se sont réfugiés dans les ordres non par dévotion mais par lâcheté et par paresse… Et comme ces frères n’ignorent pas que moins on partage la richesse, et plus ses possesseurs sont à l’aise, chacun d’entre eux s’efforce, en créant un climat d’effroi, de décourager les autres de faire ce qu’il désire rester seul à pratiquer32.
22Outre la condamnation, à l’époque récurrente, de la luxure et du désir de richesse, caractérisant le clergé, et la nostalgie d’une forme primitive de christianisme, Boccace souligne le caractère marchand et mensonger de l’accès au Paradis. À cet égard, frère Puccio invente une pénitence spéciale pour Dom Felice, afin de l’éloigner de sa femme et de se donner du bon temps avec elle. Panfilo introduit cette nouvelle de la sorte :
Il y a beaucoup de gens, Madame, qui en faisant tout pour conquérir le Paradis, sans s’en apercevoir le font gagner aux autres…33.
23Enfin, la critique la plus significative concerne la représentation du Purgatoire. Celui-ci, en fait, introduit une nouvelle temporalité à la frontière du mondain et de l’au-delà. Il représente le temps du repentir et du rachat des péchés après la mort. D’une certaine façon, il est l’expression d’un changement dans le temps immobile de l’éternité et du destin sans appel34. Le Purgatoire reprend, dans les catégories du christianisme, la tentative ancienne de penser une vie individuelle au-delà de la mort, où il y aurait encore la possibilité de percevoir, choisir, se transformer35.
24Toutefois, ce temps intermédiaire est une représentation fallacieuse. Non que Boccace professe une sorte d’incroyance religieuse. Tant s’en faut. Le sentiment religieux, cultivé autour de la pitié, n’est pas contradictoire avec une irrévérence acerbe à l’égard des doctrines et des rites. Les doutes sur le statut du Purgatoire n’impliquent pas l’impossibilité de croire à une vie après la mort. Tout simplement, un individu se constitue dans le temps mondain et il est illusoire d’envisager qu’il puisse racheter ses péchés par le repentir, la pénitence ou l’intercession des prières. Il n’y a sans doute pas un espace temporel non mondain où l’on puisse changer sa propre identité et défaire ce qui a été fait. Dans la nouvelle de Ferondo36 (un mari aussi sot que jaloux), un abbé, qui en séduit la femme, fait croire au pauvre homme, réveillé après avoir absorbé une potion soporifique, qu’il est mort et se trouve au Purgatoire. L’abbé, qui se présente comme un autre mort, reproche à Ferondo sa jalousie et lui fait promettre de ne plus ennuyer sa femme, s’il revenait à la vie. Après moult punitions corporelles, infligées par l’abbé, le mari est autorisé à revenir prestement sur terre, pour élever l’enfant à naître de l’abbé et de sa femme.
25De ce passage par le Purgatoire, on peut retenir deux aspects. Tout d’abord, l’immutabilité de Ferondo : son individualité, caractérisée par la stupidité, ne change point. Au contraire, elle s’aggrave. Ensuite, l’incompréhensibilité de la faute ainsi que du rachat. Ferondo ne savait pas, avoue-t-il, que sa jalousie déplaisait à Dieu, sinon il n’aurait pas cultivé cette passion funeste. La réponse sarcastique de l’abbé rappelle que le seul véritable temps de la correction est mondain, tout en soulignant la nature hasardeuse du rachat :
Le moine lui dit : ‘Il fallait t’en apercevoir quand tu étais de l’autre côté et te corriger’ ; et si par hasard tu repars là-bas, rappelle-toi ce que je te fais subir pour l’instant, pour ne plus être jaloux37.
26Le Purgatoire devient donc une menace permanente en vie, se présentant comme une punition infernale. Les confins entre le Purgatoire et le Paradis sont encore plus flous dans la célèbre nouvelle de Nastagio degli Onesti38, lequel exploite la peur de la punition après la mort, pour changer radicalement la conduite de la femme dont il est amoureux39. Il invite, en fait, la belle qui le dédaigne et sa famille à un banquet à la campagne. Soudainement surgit l’image effrayante d’un cavalier poursuivant une jeune femme, qu’il fait déchiqueter par ses chiens40. Le fantôme du cavalier s’arrête un instant, pour justifier la punition de la dame. Jadis, il a aimé cette femme qui le méprisait. Désespéré, le cavalier se donna la mort. Une fois la femme expirée, les deux furent condamnés à répéter tous les vendredis cette partie de chasse terrible41, car :
Pour son péché de cruauté et pour la joie qu’elle avait ressentie de mes tourments sans l’ombre d’un repentir, croyant en cela avoir mérité et non péché, elle fut pareillement vouée aux peines de l’enfer… D’amant devenu ennemi, comme tu vois, il me faut ainsi la pourchasser durant un nombre d’années égal au nombre de mois qu’elle s’est montrée cruelle à mon égard. Laisse-moi donc être l’exécuteur de la justice divine et ne t’oppose pas à ce que tu ne pourrais empêcher42.
27Le cavalier n’est pas seulement un des nombreux amants malheureux. Il est surtout un suicidé. Son péché, du point de vue chrétien, conduit en Enfer. La femme aimée n’est pas tant récalcitrante, comme il se doit, que cruelle. Elle a considéré que le cavalier avait mérité son propre suicide pour l’avoir importunée.
28Poussée par le pouvoir de persuasion propre à la peur, la femme réfractaire aux noces accepte de prendre Nastagio comme mari43. La terreur se répand comme un feu de paille, en provoquant chez les femmes de Ravenne une conversion subite à la docilité (“arrendevolezza”)44.
29La prise de distance par rapport au voyage dantesque advient par la confusion sciemment assumée entre l’Enfer et le Purgatoire. Le cavalier et son aimée se trouvent en Enfer, mais pour une durée déterminée qui est propre au Purgatoire. Non seulement la course infernale est provisoire, mais elle rachète même le suicide qui, dans l’univers chrétien, mérite la punition éternelle. Bien que la chasse semble imiter le “contrapasso” dantesque45, elle ne fait que répéter la mésentente mondaine des deux personnages, en y ajoutant la punition. L’un ne fait que poursuivre l’autre, sans la capturer. Ce sont les chiens, les figures obscures de la passion, qui se vengent de la frustration amoureuse. Il n’y a aucune émendation de la part de la dame. Si elle ne montrait ni en vie ni après la mort aucune trace du repentir, pourquoi sa peine est-elle rachetée au bout du temps ? D’une part, Boccace recoupe la description de la faute et de son expiation que Dante avait rigoureusement distinguées. D’autre part, il mêle les modalités et le temps de la punition éternelle et celles du rachat. Un suicidé peut se retrouver en Purgatoire, mais la dame qui n’a pas connu le remords en sa vie, n’en fera non plus l’expérience après la mort. Le temps de l’émendation est remplacé par la répétition lassante, mais provisoire de la punition.
1.2.2. Récompenses et punitions après la mort
30À y regarder de près, c’est la crédibilité de ces représentations qui est remise en question. Le point faible en est la présupposition d’un système hiérarchisé, distribuant les récompenses et les punitions, après la mort, selon l’exercice des vices et des vertus qui ont été pratiqués en vie. Deux aspects apparaissent particulièrement douteux : l’accointance de ce système avec une activité marchande et une arithmétique incompréhensible ainsi que le doute sur la justification rationnelle du classement des vertus et des vices.
31Car la distribution qui devrait régler les comptes dans l’au-delà ressemble de près aux modalités de dette, crédit, échange, intérêt et usure qui constituent l’activité marchande. Ce modèle justifie le trafic des indulgences et des reliques46, de même que l’exercice des pénitences47 et des confessions48, qui est compris comme un moyen utile pour acheter son morceau de Paradis. Ce genre de grief, commun au temps de Boccace49, dépend de deux nouvelles obligations : la confession annuelle et le sacrement de la pénitence50. Ces pratiques transforment profondément le rapport du fidèle avec sa croyance, enrégimentant ce qui pouvait être un pacte de confiance et une forme vécue de piété dans une discipline extérieure, évoluant dans un système d’interdits et d’obligations51.
32De surcroît, Boccace estime que le dispositif de la distribution demeure bien souvent incompréhensible. De deux choses l’une : ou bien les prix et les punitions remboursent les vertus et les vices selon un ordre d’équivalences ; ou bien l’évaluation se fait sous l’égide de la démesure et de l’excès. Le calcul de la mesure exacte de l’expiation d’un vice demeure un exercice délicat de pondération, toujours menacé de disproportion, en exigeant moins ou plus que ce qu’il faudrait. Si l’on recherchait l’égalité entre le vice et la punition ou la vertu et la récompense dans le cadre de l’arithmétique mondaine, on aboutirait à une fondamentale incompréhension de la distribution divine. Car l’évaluation de la juste proportion nous échappe, de même que la compréhension de ce qui pourrait correspondre, dans la justice divine, à l’obligation de « donner à chacun son dû ». Si, par contre, la démesure caractérisait le jugement divin, les critères de mesure seraient pour nous encore plus incompréhensibles. Nous ne pourrions pas nous représenter ce qui se manifeste à notre esprit comme excessif, démesuré, insaisissable.
33Reste la possibilité, propre à la tradition ancienne, de considérer que la vertu se suffit à elle-même, de sorte qu’aucune déception ne doit s’ensuivre si les injustes sont plus heureux que les braves52. Ainsi toute justification dans un horizon de punition ou de récompense serait-elle ruinée. Mais Boccace semble surtout sensible au problème théorique duquel dépendait la réflexion sur la juste rétribution, à savoir l’interrogation sur le fondement des vices et des vertus. Car le classement des vices et des vertus s’était autonomisé en une réflexion anthropologique sur les manifestations permanentes de la bonne et de la mauvaise conduite. Une fois établi le septénaire des vices dans le milieu bénédictin, afin de soustraire le moine aux pensées diaboliques, ce modèle eut beaucoup de succès parmi les laïcs et devint un instrument privilégié de prédication pour les ordres mendiants. Le septénaire offrait un système ordonné et une description cohérente et stable de la nature de la faute ainsi que des moyens possibles d’expiation par l’exercice de la vertu opposée53.
34Toutefois, la conviction de la persistance anthropologique des vertus et des vices semble remplacée, chez Boccace, par la constance des passions humaines, qui sont considérées, suivant Cicéron, plus comme des perturbationes que comme des manifestations morbides54. De plus, Boccace reprend à Cicéron la notion d’officium, de ce qu’il faut suivre ou fuir dans une situation précise, qui n’exige pas tant la définition préalable d’un bien souverain que le calcul des pertes et des profits qui s’ensuivent de tout choix moral circonstancié55. Ainsi ne juge-t-on pas d’une passion de manière définitive, en la classant une fois pour toutes dans les rubriques des vertus ou des vices. Elle prend, en revanche, sa signification précise dans un contexte particulier. Le système de rétribution est remis en question par l’impossibilité de déterminer de manière univoque la nature bonne ou mauvaise de telle ou telle conduite.
35Mais si les confins entre le Paradis et l’Enfer, après la mort, sont aussi incertains que les définitions des vertus et des vices en vie, comment peut-on imaginer la « vie bonne » dans le temps mondain ? Réside-t-elle dans la félicité mentale ?
1.3. Une infélicité certaine
1.3.1. Le saut léger de la mort
36Les maîtres ès arts estimaient que l’exercice de l’intellect était le seul prix de la vertu et la seule félicité possible, se soustrayant ainsi à la logique ultra-mondaine de punition et de récompense et bravant la peur de la mort. C’est pourquoi l’universitaire fut souvent dépeint comme un arrogant oisif, prédiquant la contemplation, mais pratiquant en cachette une sexualité libidineuse, aimant le pouvoir qu’il déclarait mépriser56. Opposée à cette caricature, s’était imposée cependant l’image du philosophe contemplatif et fier de l’être, délaissant les passions incongrues. Guido Cavalcanti avait repris dans sa poésie l’idéal de la félicité mondaine et avait été considéré comme un « averroïste »57. La nouvelle que Boccace lui consacre est à la fois un geste d’hommage et de critique58.
37Un jour, Guido rencontra une bande de jeunes désœuvrés qui cherchaient à le convaincre de faire partie de leur brigade (encore une !). Le coinçant auprès des tombeaux de marbre d’Orto San Michele et lui reprochant de soutenir l’inexistence de Dieu, ils lui dirent :
‘Guido, tu refuses d’être des nôtres, mais enfin quand tu auras prouvé que Dieu n’existe pas, cela t’avancera à quoi ?’ Se voyant encerclé, Guido leur répondit avec promptitude : ‘Seigneurs, vous êtes ici chez vous, libre à vous de me dire ce que bon vous semble’ ; puis ayant posé la main sur l’un de ces tombeaux qui étaient très hauts, il prit son élan et, comme s’il était très léger, sauta de l’autre côté ; leur ayant ainsi échappé, il s’en alla. Tous se regardèrent et commencèrent à dire qu’il était étourdi et que sa réponse ne tenait pas debout, compte tenu que, là où ils se trouvaient, ils n’étaient pas plus chez eux que les autres Florentins, y compris Guido. Messire Betto s’adressant à ses amis leur dit alors. ‘Si quelqu’un est étourdi, c’est bien vous, même si vous ne l’avez pas compris. Car il vient de nous lancer en quelques mots, mais avec élégance, la plus belle insulte qui soit ; si vous y réfléchissez bien, ces tombeaux sont, en effet, la maison des morts où on les dépose pour demeurer. Ces tombeaux sont notre chez nous, dit-il, pour nous faire comprendre que nous sommes nous autres, ainsi que tous les ignorants et illettrés, pires que des morts, en comparaison de lui et des autres hommes cultivés ; raison par laquelle nous sommes ici chez nous’59.
38Guido est ainsi présenté comme un homme doué d’une intelligence souveraine et d’un esprit subtil, telle que sa prompte répartie montre, par contraste, la bêtise obtuse des compagnons de messire Betto. On retrouve ici la conviction, d’inspiration averroïste, selon laquelle l’homme, qui n’utilise point son intellect, à savoir la meilleure partie de lui-même, se conduit comme un animal60. Bien pire : les compagnons de messir Betto sont comparés à des morts vivants. Le portrait de Guido, esquissé par Emilia, la conteuse, en souligne les aspects élogieux, qui conviennent parfaitement à un savant, reprenant dans le monde de la cour, la forme de vie universitaire :
C’était en effet l’un des meilleurs dialecticiens au monde, excellent expert en philosophie naturelle (ce dont la compagnie se souciait fort peu), d’un commerce très agréable ; il était doué d’une très grande grâce, il avait des mœurs distinguées et la parole facile ; il réussissait mieux que personne dans les entreprises dignes d’un gentilhomme tel qu’il l’était ; il était en outre très riche et savait honorer tous ceux qui lui semblaient en valoir la peine61.
39Guido est donc un de ces philosophes naturels62, considérant la « divinisation » de l’homme comme un processus d’assimilation par son propre intellect à l’intellect agent. La félicité mentale est mondaine et naturelle, car elle dépend de l’exercice optimal de la faculté la plus « noble ». Dès lors, Guido a raison de considérer les membres de la brigade comme des êtres en quelque sorte déjà morts : dépourvus de science, négligeant l’intellect et la logique, ils ne vivent pas à proprement parler une « vie bonne ».
40Par contre, la légèreté du saut de Guido, sa grâce (leggiadria), signifie aussi bien son activité intellectuelle que son rapport apaisé à la mort. L’exercice de l’intellect atteint sa perfection dans des moments privilégiés de contact ou de conjonction avec l’Intellect Agent63. La félicité mentale n’est sans doute pas un état achevé et durable, mais un accomplissement ponctuel. Elle se produit comme un saut gracieux, de sorte que la légèreté est le signe de sa rapidité et volatilité. Par ailleurs, une telle absence de pesanteur libère de la peur de la mort et de l’attente angoissée d’un bonheur lointain. Guido peut alors se promener au milieu des morts et sauter par-dessus leurs tombeaux. Il ne les craint pas : la mort n’est rien pour lui64.
41Cette légèreté gracieuse n’est cependant pas exempte d’une certaine gravité, puisqu’elle suscite une constante mésentente. La félicité mentale semble recouper la conception épicurienne65, maladroitement réduite à l’époque de Boccace à une position « athéiste ». Une telle confusion est pointée par Emilia :
Messire Betto cependant n’avait jamais pu l’attirer dans le cercle de ses compagnons, et il croyait tout comme eux que la raison était à chercher dans les spéculations où Guido quelquefois se perdait et qui le faisaient se détacher des hommes ; ajoutons que, ce dernier étant quelque peu disciple d’Epicure, le vulgaire en concluait que ses réflexions philosophiques visaient à tenter de démontrer que Dieu n’existait pas66.
42Si les personnes inexpérimentées tirent une conclusion hâtive sur l’incroyance de Guido, il n’en reste pas moins que peu de gens peuvent pénétrer dans ses pensées. Guido est représenté comme un individu perdu dans ses spéculations et dans sa solitude. Il correspond parfaitement à la description traditionnelle du philosophe rêveur. Si les compagnons de messir Betto sont écervelés, smemorati, puisqu’ils n’utilisent pas comme il le faudrait les facultés de la cogitation, y compris la mémoire, Guido semble également étourdi, smemorato, puisqu’il poursuit un idéal de vie que personne ne peut comprendre. La jonction avec l’intellect et sa félicité ne sont pas garanties. Par contre, le détachement à l’égard des hommes (abstratto dagli uomini) rappelle le niveau de l’abstraction, inférieur à l’intuition intellectuelle.
43À cet égard, Boccace exprime une certaine réserve dans l’éloge de Guido. S’il est vrai que Guido n’est plus menacé par la brigade, l’exercice de l’intellect et la félicité mentale promise sont réduits à une simple réplique spirituelle. Le saut de l’intuition intellectuelle se transforme dans la jonglerie d’un mot d’esprit. Sa satisfaction est fort ambiguë. D’abord, la légèreté en tant que leggiadria désigne une grâce au carrefour entre ce qu’il y a de plus naturel et l’artifice le plus maîtrisé. L’homme de cour est leggiadro : il monte à cheval, fait de l’escrime, converse ou danse, comme si tout cela ne lui coûtait aucun effort, bien que sa spontanéité soit le produit d’une dure discipline67. Ainsi le saut de Guido n’est-il peut-être pas tant le signe de l’accomplissement de sa nature intellectuelle que le produit de l’élégance propre à l’homme de cour.
44Ensuite, les reparties astucieuses de Guido aident à résoudre des situations désagréables et offrent l’autosatisfaction de sa prompte intelligence, comprise la plupart des fois comme une forme de distraction68. Elles peuvent être mordantes, mais ne blessent pas en profondeur. La subtilité de Guido est présentée, en fait, dans la journée consacrée aux motti di spirito, lesquels sont considérés comme une morsure légère :
… je veux vous rappeler… que la nature de la répartie n’est pas de mordre comme un chien, mais comme une brebis. Car si elle mordait comme un chien, elle ne serait que de la grossièreté et non plus répartie… Reconnaissons néanmoins que si la répartie vaut riposte, et que son auteur, attaqué le premier, mord comme un chien, on ne peut le lui reprocher, comme on serait en droit de le faire par contre dans le cas contraire. C’est pourquoi il faut s’assurer du comment, du pourquoi, et avec qui on se sert de la répartie, et également en quels lieux69.
45Somme toute, la félicité mentale de Guido se réduit à la satisfaction modérée des brebis. L’activité contemplative ne constitue pas une forme de vie que l’on puisse pratiquer hors de l’université, dans la société de cour. La possible « divinisation » de l’homme par sa jonction avec l’Intellect Agent est réduite, dans le monde séculier, à la pointe, qui n’est pas immédiatement comprise par la plupart des gens. L’esprit obtus de la brigade conforte l’impression que la communauté d’amis, serrée autour de l’excellence intellectuelle, est devenue impossible. Dans la vie quotidienne, infestée par les brutes et les sots à demi-morts, les sages se promènent seuls, gracieusement étourdis.
1.3.2. L’homme peut-il être amoureux ?
46Si la félicité de l’intellect n’est pas un modèle, est-ce que la vie affective, dirigée par le plaisir, peut orienter les existences dans la recherche de leur accomplissement mondain ? Ne doit-on pas remplacer la question de Guido : « l’amour est-il un obstacle à la connaissance ? »70 par l’interrogation de Boccace : « l’homme peut-il être amoureux ? »71. Car Boccace ne se borne pas à prendre ses distances à l’égard de la forme de vie universitaire, mais il revendique aussi la place des passions dans la « vie bonne ».
47Or, dans la pensée classique, l’enjeu était de savoir si le philosophe, non l’homme commun, pouvait être amoureux. Il fallait définir exactement, par la thérapie de l’âme, les risques de déstabilisation que le philosophe encourt sous l’emprise de la passion et en prescrire les remèdes72. Là où le sage se définit par le rejet de toutes les passions et la recherche d’une paix inaltérable, on refuse, comme Epicure, de tomber amoureux73. La thérapie consiste à se rappeler que les émotions sont le produit de croyances vides, menant à des conséquences désastreuses. Mais on ne doit pas renoncer au plaisir. Lucrèce recommande la multiplication vagabonde des expériences sexuelles comme remède efficace pour se soustraire à la dépendance due à une relation exclusive74. Chez les Stoïciens, en revanche, l’amour pour les proches enseigne l’amour universel75, bien qu’il puisse affaiblir l’impassibilité du sage76. Le désir est permis, s’il ne produit pas une émotion déroutante, mais se borne à cultiver une forme raisonnable de satisfaction, que le sage peut s’octroyer sans se perdre soi-même77.
48Mais la conception qui a le plus séduit dans l’Antiquité est celle de Platon, qui prend acte du fait que l’amour implique l’excitation, l’enthousiasme, mais aussi la crainte, l’attente, la tristesse, et le risque de déperdition. Sa solution est d’orienter tous ces aspects vers une forme supérieure d’amour, qui transforme l’attrait physique et le désir voluptueux. C’est ainsi que, dans la tradition platonicienne, la classification des amours devient l’un des thèmes majeurs, à partir de la distinction, tranchée par Pausanias dans le Banquet, des deux amours, céleste et terrestre78. L’amour permet de passer du monde sensible à la contemplation des idées qui en sont la cause. Le pathétique de l’amour est neutralisé, de sorte que les pulsions les plus désordonnées sont purifiées et dirigées vers la contemplation d’un monde idéal. C’est à cette condition que le soi n’est pas désintégré, l’amour se transformant en amitié.
49Pourtant, le risque de déperdition est constitutif de la passion amoureuse. Dans la morale chrétienne, la luxure ou la fornication ont été donc considérées comme un vice plus de l’âme que du corps79. La luxure ne tourmente pas tant la chair du moine dans sa cellule que la maîtrise qu’il exerce sur lui-même. Dès lors, elle signifie aussi bien la pulsion libidineuse que la lascivité, à savoir la manifestation incontinente de toute évacuation désagréable du corps, à commencer par la sudation. Dans cet univers d’humeurs nauséabondes, le mariage devient le moindre des maux, à condition que l’on vise essentiellement la procréation, en s’abstenant d’aimer trop passionnément sa propre femme, ce qui ferait de cette relation légale une forme retorse d’adultère.
50Compte tenu de ce contexte, Boccace universalise la légitimité de la passion d’amour en le transférant du philosophe à l’homme ordinaire. La centralité du plaisir, dans le Décaméron, démentit alors le primat de l’intellect et la mutilation des passions que la félicité mentale exige, conduisant à coup sûr à l’infélicité. Ceci ne signifie cependant pas que que le plaisir ou l’amour assurent le bonheur. L’homme amoureux n’est pas foncièrement un homme heureux. Boccace ne remplace pas le primat de l’intellect par la vie des passions, voire par le plaisir des sens, mais il radicalise l’interrogation sur leur conciliation ou opposition, une question que justement le refus de la mortification, propre à la fierté des universitaires, avait posée de manière conséquente. Rien ne garantit que l’amour et le plaisir de l’étreinte représentent un contre-modèle de félicité. C’est pourquoi le plaisir doit être d’abord procrastiné.
1.3.3. Le plaisir procrastiné
51Dans l’Amorosa visione80, Boccace avait déjà tenté de récrire le Paradis dantesque. Dans ce poème allégorique, traversé par l’interrogation constante sur la vie bonne, le poète viator, accompagnée d’un guide féminin, se retrouve à devoir choisir entre deux portes : franchissant la plus grande, il traverse deux salles splendides, dont les parois représentent des personnages célèbres. Ce sont ceux qui ont été grands en poésie, en amour, mais aussi en avarice ou dans les vicissitudes de la fortune.
52Quittant ces images des « choses mondaines/changeantes et caduques »81, le poète entre dans un jardin somptueux, où trône une fontaine, représentant les vertus. Bien que la contemplation soit consacrée ici aux choses éternelles82, le poète rencontre sa bien-aimée Fiammetta, qu’il avait déjà reconnue parmi les images des femmes grandes en amour83. Juste au moment où les deux amants s’allongent sur l’herbe et se serrent dans les bras, le poète se réveille84. Il est alors admonesté par le guide, qu’il avait auparavant congédié. Celui-ci lui interdit l’étreinte, mais pas pour toujours. Elle lui sera permise, lorsque le poète saura passer par la petite porte des vertus85.
53Ainsi ce voyage inachevé s’arrête-t-il à deux frontières : l’ascétisme intellectuel et la réhabilitation des plaisirs des sens. Certes, comme dans l’idéal de vie universitaire, l’exigence de spiritualité et de vertu n’entre pas en conflit avec le refus de mortifier le corps et ses plaisirs. L’étreinte n’est vécue qu’en rêve, mais elle a droit de cité dans la vie vertueuse. Bien plus, Fiammetta, d’abord entrevue parmi les portraits de l’amour mondain, se transforme en une femme douée d’une haute intelligence et d’une solide conscience morale86. L’amour physique, frustré de fait, n’est ni condamné, ni revendiqué : il reste en suspens. Il pourra trouver sa satisfaction, quand la vie vertueuse sera accomplie. C’est cette salute que le guide promet, l’apparition s’évanouissant :
Tout d’abord, sois là où j’aimerais bien que tu ailles, parce qu’il est sans aucun doute mon intention de te consoler, le temps opportun : et à ce désir qui te tourmente, je lui ferai faire la paix avec cette beauté que ton âme présente encore maintenant à ton cœur87.
54Pourtant, à la différence de ce qu’il advient chez les maîtres universitaires, le plaisir de l’étreinte n’est pas une affaire d’hommes et n’est pas non plus considéré comme une des manifestations multiples de l’amitié savante. Il assume un rôle central pour tout homme et pose la question du rapport entre la vie contemplative et la vie affective dans un milieu laïc, non pas en termes d’exclusion, ou de subsidiarité, mais sous les espèces de la complémentarité ou de la comparaison. Par conséquent, l’amour, analysé dans toutes ses modalités dans le Décaméron, ne l’emporte pas sur l’intellect, car il ne s’agit pas de remplacer une partie de la nature humaine par une autre, mais d’en penser la relation encore inédite.
55Sur ce point, Boccace semble avoir évolué d’une conception poétique, caractérisée par l’amour courtois, à une position où celui-ci est intégré dans une réflexion plus complexe sur la vie bonne et son réseau de concepts : le plaisir, la magnanimité, la noblesse, la félicité, la vertu et le plaisir de l’amitié. On peut, à cet égard, comparer la réflexion conduite par la brigade du Décaméron avec la discussion sur l’amour des jeunes courtisans dans le roman en prose Filocolo88. Filocolo, contraint par une tempête à débarquer sur une terre inconnue, se retrouve dans un jardin, en compagnie de jeunes courtisans, où l’on discute de la nature, des lois, des expressions multiples de l’amour et de ce qu’il vaut mieux faire ou ne pas faire dans telle ou telle situation89. Pour que la discussion soit ordonnée, on institue la règle selon laquelle chacun sera le « roi » d’une question90. Fiammetta, « qui nous enflamme tous d’amour91 », sera la véritable reine et tranchera sur les questions proposées. Elle y consent, en précisant cependant :
Je vous donnerai, puisque nous festoyons, des réponses légères, sans rechercher la profondeur des questions proposées, car la quête de celle-ci donnerait plus de fatigue que de plaisir à nos esprits92.
56La réflexion est ici assurément plus délimitée et moins grave que dans le jardin du Décaméron. Même si des vertus comme la loyauté93 ainsi que le détachement par rapport aux biens extérieurs sont traités94, les questions y sont dictées surtout par la codification de l’amour courtois95. On s’interroge sur les manifestations sincères de l’amour : si celui-ci s’exprime plus dans le don offert que dans le don reçu96 ; si la timidité est plus un signe d’amour qu’une affectivité embrouillée97. On compare les degrés d’affliction dans l’amour malheureux : s’il est plus douloureux de perdre un amour ou de le désirer en vain98, ou s’il est plus pénible d’être jaloux que d’aimer sans espoir99. On établit surtout les conduites convenables et socialement acceptables : un homme doit aimer une femme de plus noble condition100 ; il vaut mieux choisir une veuve qu’une femme mariée ou une pucelle101. La sexualité est sublimée par le primat de l’imagination sur la réalité : le véritable plaisir réside plus dans le souvenir de l’aimé que dans sa présence102, bien que l’on recommande de jouir d’un plaisir moindre, mais actuel, plutôt qu’espérer la réalisation d’un plaisir plus intense, mais futur103.
57Par rapport à la même scène, la joute des conteurs du Décaméron met à l’écart le rôle central de Fiammetta et, partant, de l’amour courtois104, qui ne désigne plus qu’un des nombreux points de vue. Personne ne formule ici de jugement définitif, les questions restent ouvertes, constamment reprises, considérées sous une nouvelle perspective. Fiammetta perd son statut de juge puisque l’amour élégiaque105 n’est plus la seule manière de parler d’amour. La brigade transforme donc la tradition courtisane en un espace de réflexion qui reprend, par les raisonnements présentés dans les nouvelles, l’interrogation sur la « vie bonne ».
58Dès lors, le Décaméron ne se borne pas à représenter toutes les modalités de la passion amoureuse106, au-delà des conventions107. Il s’agit d’un aspect significatif, mais il ne faut point oublier que les nouvelles mettent en scène également des épisodes de magnanimité, s’accompagnant de modestie et d’humilité108. Elles soulèvent, de surcroît, expressément l’interrogation sur la véritable nature de la noblesse109 ainsi que sur le rôle de la pauvreté pour l’exercice de la vertu110. Elles engagent constamment la réflexion sur la « vie bonne »111.
59Le plaisir ne remplace pas tout court l’intellect. Car les points de vue moraux de même que les conduites sont multiples et conflictuels, de sorte que la définition même de la vertu ou du vice fait cruellement défaut. La tentative de repenser les formes de vie ne donne pas lieu à une nouvelle classification, mais à une expérimentation poétique. Seul le foisonnement des nouvelles peut décrire telle quelle cette variété112.
Notes de bas de page
1 D., X, Conclusion, p. 855 (p. 908) : “… e i tre giovani, lasciate le sette donne in Santa Maria Novella, donde con loro partiti s’erano, da esse accommiatatosi, a’ loro altri piaceri attesero, e esse, quando tempo lor parve, se ne tornarono alle lor case”.
2 D., I, Introduction, p. 53 (p. 28) : “… festevolmente viver si vuole, né altra cagione dalle tristizie ci ha fatte fuggire. Ma per ciò che le cose che sono senza modo non possono lungamente durare, io, che cominciatrice fui de’ragionamenti da’quali questa così bella compagnia è stata fatta, pensando al continuare della nostra letizia, estimo che di necessità sia convenire esser fra noi alcuno principale, il quale noi e onoriamo e ubidiamo come maggiore, nel quale ogni pensiero stea di doverci a lietamente vivere disporre. E acciò che ciascun provi il peso della sollecitudine insieme col piacere della maggioranza e, per conseguente da una parte e d’altra tratti, non possa chi nol pruova invidia avere alcuna, dico che a ciascuno per un giorno s’attribuisca e il peso e l’onore”. Tous les soulignements dans cet essai sont miens.
3 D., I, Introduction, p. 55 (p. 31) : “Ma se in questo il mio parer si seguisse, non giucando nel quale l’animo dell’una delle parti convien che si turbi senza troppo piacere dell’altra o di chi sta a vedere, ma novellando (il che può porgere, dicendo uno, a tutta la compagnia che ascolta diletto) questa calda parte del giorno trapasseremo”. Cette remarque va à l’encontre de l’interprétation de M. Picone, “Gioco e/o letteratura. Per una lettura ludica del ‘Decameron’”, dans M. Picone (éd.), Passare il tempo : la letteratura del gioco e dell’intrattenimento dal XII al XVI secolo, Roma, Salerno Editrice, 1993, p. 105-127, comme le fait remarquer E. Arend, Lachen und Komik in G. Boccaccios ‘Decameron’, Frankfurt a. M., Klostermann, 2004, p. 136.
4 Comme le rappelle Panfilo dans le discours conclusif, D., p. 853 (p. 905).
5 Je ne partage pas la conviction bibliographique, largement répandue, selon laquelle Décaméron proposerait une « refondation » de la morale chevaleresque et courtoise, à la différence donc de F. Cardini, “La peste nera”, dans id., Cento novelle contro la morte : G. Boccaccio e la rifondazione cavalleresca del mondo, Roma, Salerno Edizioni, 2007, chap. 1, p. 21-51 et de M. Picone, Boccaccio e la codificazione della novella. Letture del ‘Decameron’, Ravenna, Longo, 2008, p. 111-124 ; p. 235-257 et p. 336-369.
6 Cf. M. Cottino-Jones, “The City-Country Conflict in the ‘Decameron’”, Studi sul Boccaccio VIII, 1974, p. 147-184.
7 Sénèque, Ad Lucilius epistulae morales, éd. de L. D. Reynolds, Oxford, Clarendon Press, 1965 (désormais abrégé par Sénèque, Ep.) ; trad. fr. sous la dir. de P. Veyne, Entretiens. Lettres à Lucilius, Paris, Lafont, 1993 ; ici Ep., 86.
8 Cf. M. Corti, La Felicità mentale. Nuove prospettive per Cavalcanti e Dante, Torino, Einaudi 1983 ; L. Bianchi, “La Felicità intellettuale, ascetismo e arabismo : nota sul ‘De Summo bono’ de Boezio di Dacia”, dans M. Bettetini et F. D. Paparella (éds.), Le Felicità nel Medioevo, Louvain-la-Neuve, FIDEM Brepols, 2005, p. 13-34. Voir aussi Boèce de Dacie, Thomas d’Aquin, Sur le bonheur, textes traduits et commentés par R. Imbach et I. Fouche, Paris, Vrin, 2005.
9 Sur la magnanimité comme idéal médiéval et son rapport problématique avec l’égoïsme et l’humilité, cf. J. Le Gof, Les Intellectuels au Moyen Âge, Paris, Seuil, 1957, p. 129sq. ; A. de Libera, Penser au Moyen Âge, p. 196sq. ; p. 212sq. et p. 318sq. ; L. Bianchi, Il Vescovo e i filosofi, Brescia, Lubrina, 1990, p. 162sq.
10 Le fait de revendiquer la nature soluta du lien ne pouvait qu’inquiéter les autorités, puisque la fornication simple, l’acte sexuel entre deux célibataires, qui n’était pas finalisé à la procréation, était défini comme « quae est soluti cum soluta ». Un tel acte était reprouvé, puisqu’il était considéré comme une forme d’accouplement fortuite. Cf. Amours plurielles. Doctrines médiévales du rapport amoureux de Bernard de Clairvaux à Boccace, textes traduits et commentés par I. Atucha et R. Imbach, Paris, Seuil, 2006, Glossaire, p. 302-303.
11 Si l’amitié permet de faire de plusieurs âmes une seule, comme le soutient Cicéron, De amicitia (L’amitié ), éd. et tr. fr. de R. Combès, Paris, Les Belles Lettres, 1971 (désormais abrégé par Cicéron, De am.,) XXV, 92, il faut cependant reconnaître que l’unité est toujours pensée à partir de soi-même, de sorte que l’autre est aimé comme un autre soi-même et non comme une véritable altérité. Cette conception dérive d’Aristote, Ethique à Nicomaque, tr. et commentaire de R. -A. Gauthier et de J. -Y. Jolif, Louvain-La-Neuve, Peeters, 2002, 2 t. (désormais abrégé par Aristote, EN) : ici IX, 4, 5, 1166a32 ; Cicéron, De am., XXI, 80. Le risque est manifestement de considérer autrui toujours et seulement comme un miroir de soi. C’est pourquoi P. Ricoeur voulut renverser cette perspective dans Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
12 Cf. A. de Libera, Penser au Moyen Âge, p. 299-347 ; R. Imbach, Dante, la philosophie les laïcs, Paris/Freiburg, Cerf, 1996 ; L. Sturlese, “La Filosofia in volgare”, dans N. Bray et L. Sturlese (éds.), La Filosofia in volgare nel Medioevo, Louvain-La-Neuve, FIDEM, 2003, p. 1-14.
13 Voir la tr. fr. de Ch. Bec, dans Guido Cavalcanti, Rimes, Paris, Éditions de l’Imprimerie Nationale, 1993, vv. 15-28, p. 106-111 (édition bilingue) : “In quella parte-dove sta memora/prende suo stato,-sì formato,-come/diafan da lume,-d’una scuritate/la qual da Marte-vène, e fa demora ;/elli è creato - (ed ha, sensato,-nome),/d’alma costume-e di cor volontate./Vèn da veduta forma che s’intende,/che prende nel possibile intelletto,/come in subietto, - loco e dimoranza./In quella parte mai non ha possanza/perché da qualitate non descende :/resplende-in sé perpetüal efetto ;/non ha diletto - ma consideranza ;/sì che non pote largir somiglianza”. (« En l’endroit où réside la mémoire/il s’installe, ainsi formé que/par la lumière le diaphane, d’une obscurité/provenant de Mars, et il y demeure ;/il est créé (et de sens a le nom)/par opération d’âme et volonté de cœur./Il provient d’une vision de l’idée perçue,/qui prend en l’intellect possible,/comme en sujet, sa place et sa demeure./En ce lieu jamais il n’a de pouvoir,/parce que l’intellect n’a pas de qualité physique/en soi il resplendit en un perpétuel effet ;/il n’est pas plaisir mais contemplation,/de sorte qu’il ne peut fournir similitude ».)
14 Cf. E. Fenzi, La Canzone d’amore di Guido Cavalcanti e i suoi antichi commenti, Genova, Il Melangolo, 1999. Sur la figure de Guido chez Boccace, cf. infra.
15 Cf. A. Maierù, “Dante al crocevia ?”, Studi medievali XXIV, 1983, p. 735-748 ; S. Piron, « Le poète et le théologien : une rencontre dans le Studium de Santa Croce », dans J. Biard et F. Mariani Zini (éds.), Ut philosophia poesis. Questions philosophiques dans l’œuvre de Dante, Pétrarque et Boccace, Paris, Vrin, 2008, p. 73-112.
16 Dante, Vita nuova, éd. de D. De Robertis, dans Opere minori, 1, sous la dir. de D. De Robertis et de G. Conti, Milano/Napoli, Ricciardi, 1984, II, 9.
17 Dante, Convivio, éd. de C. Vasoli et D. De Robertis, dans Opere minori, Milano/Napoli, Ricciardi, 1988, IV, XII, 14-17 ; cf. aussi l’éd. de Th. Ricklin, F. Cheneval et R. Imbach, Das Gastmahl, Hamburg, Meiner, 1996-2004.
18 Dante, La Commedia secondo l’antica vulgata, éd. de G. Petroccchi, Torino, Edizione Nazionale della Società Dantesca Italiana, 1975, 3 vols. ; tr. fr. de H. Longnon, La divine comédie, Paris, Garnier, 1966, XVIII, vv. 59-60.
19 Thomas d’Aquin, Summa theologiae dans Sanctii Thomae de Aquino Opera omnia iussu Leonis XIII P. M. edita, IV-XII, Roma, Ex Typographia polyglotta, 1888-1906 ; tr. fr. Somme de théologie, Paris, Cerf 1984 (désormais abrégé par Thomas d’Aquin, ST) ; IIa-IIae, 24, 3.
20 Sur la crise, chez Boccace, du modèle ancien de l’amitié, cf. mon analyse de la nouvelle X, 8, infra, chap. 6.
21 On peut lire tout le passage : D., IX, p. 705 (P. 743) : « Ils étaient tous couronnés de feuilles de chêne, les mains pleines d’herbes odorantes ou de fleurs ; et quiconque les eût rencontrés n’aurait pu que dire : ‘Ceux-là ne seront pas vaincus par la mort, ou bien elle les prendra en pleine joie’ ». (“Essi eran tutti di frondi di quercia inghirlandati, con le man piene o d’erbe odorifere o di fiori ; e chi scontrati gli avess, niuna altra cosa avrebbe potuto dire se non : ‘O costor non saranno dalla morte vinti o ella gli ucciderà lieti’”.)
22 Cicéron, Tusculanae Disputationes, éd. de T. W. Dougan et R. M. Henry, Cambridge University Press, 1905-1934 ; ed. et tr. fr. de G. Fohlen et J. Humbert, Paris, Les Belles Lettres, 1966, III, XVIII, 43 (désormais abrégé par Cicéron, Tusc.) : « Expones quae spectet, florida et uaria ? Fasciculum ad naris admouebis ? Incendes odores et sertis redimiri iubebis et rosa ? ». Je modifie parfois les traductions des textes cités.
23 D., X, Conclusion, p. 853 (p. 905-906) : “E per ciò, acciò che per troppa lunga consuetudine alcuna cosa che in fastidio si convertisse nascer non ne potesse, e perché alcuno la nostra troppo lunga dimoranza gavillar non potesse, e avendo ciascun di noi la sua giornata avuta la sua parte dell’onore che in me ancora dimora, giudicherei, quando piacer fosse di voi, che convenevole cosa fosse omai il tornarci là onde ci partimmo. Senza che, se voi ben riguardate, la nostra brigata, già da più altre saputa da torno, per maniera potrebbe multiplicare che ogni nostra consolazion ci torrebbe…”.
24 On est tenté en fait de voir ici une règle de clôture après le jeu des permutations.
25 J. Söfner, Das ‘Decameron’ und seine Rahmen des Unlesebaren, Heidelberg, Winter, 2005, p. 81-94 ; p. 102-108 et p. 271-273, qui souligne, d’une part, le caractère provisoire de l’amitié des narrateurs, dont le but premier est de se sauver de la maladie et de l’accidia ; d’autre part, la nature précaire et ambiguë de la consolatio, dans un monde qui est devenu illisible.
26 D., X, 9, p. 822 (p. 872) : “Vaghe donne, senza alcun fallo Filomena, in che dell’amistà dice, racconta il vero e con ragione ne fine delle sue parole si dolse lei oggi così poco da’ mortali esser gradita. E se noi qui per dover correggere i difetti mondani o pur per riprendergli fossimo, io seguiterei con difuso sermone le sue parole ; ma per ciò che altro è il nostro fine…”.
27 Cf. R. Sorabji, Self. Ancient and Modern Insights about Individuality, Life and Death, Chicago, University of Chicago Press, 2006.
28 D., III, Introduction, p. 231 (p. 225) : “Il veder questo giardino, il suo bello ordine, le piante e la fontana co’ ruscelletti procedenti da quella tanto piacque a ciascuna donna e a’ tre giovani, che tutti cominciarono a afermare che, se Paradiso si potesse in terra fare, non sapevano conoscere che altra forma che quella di quel giardino gli si potesse dare, né pensare, oltre a questo, qual bellezza gli si potesse agiugnere”.
29 Comme le remarqua jadis E. Auerbach, Mimesis. Dargestellte Wirklichkeit in der abendländischen Literatur, Tübingen/Basel, Francke, 1946, p. 210 ; tr. fr. Mimesis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard, 1970, p. 229 : « sans la Divine Comédie, le Décaméron n’aurait pu voir le jour ». Sur ce sujet, il y a naturellement beaucoup d’études. Cf. R. Hollander, “Boccaccio’s Dante : Imitative Distance (Dec. I, 1 and VI, 10) », Studi sul Boccaccio XIII, 1981-1982, p. 169-198 ; A. Bettinzoli, “Per una definizione delle presenze dantesche nel ‘Decameron’” ; “I registri ideologici, lirici, drammatici”, Studi sul Boccaccio XIII, 1983-1984, p. 267-326 ; “Ironizzazione e espressivismo antifrastico-deformatorio”, Studi sul Boccaccio XIV, 1985, p. 209-240.
30 Cf. K. Flasch, Vernunft und Vergnügung. Liebesgeschichten aus dem ‘Decameron’, München, Beck, 2002, p. 129-157.
31 Cf. D. Delcorno, “La ‘predica’ di Tebaldo (III, 7)”, Studi sul Boccaccio XXVII, 1999 p. 55-80.
32 D., III, 7, p. 284 (p. 281-282) : “E dove gli antichi la salute disideravan degli uomini, quegli d’oggi disiderano le femine e le ricchezze ; e tutto il loro studio hanno posto e pongono in ispaventare con romori e con dipinture le menti degli sciocchi e in monstrare che con limosine i peccati si purghino e con le messe, accio’che a loro che per viltà, non per divozione, son rifuggiti a farsi frati e per non durare fatica, porti questi il pane, colui mandi il vino, quell’altro faccia la pietanza per l’anima de’lor passati… E per ciò che essi conoscono quanti meno sono i possessori d’una gran ricchezza tanto più stanno a agio, ognuno con romori, con ispaventamenti s’imgegna di rimuovere altrui da quello che a esso di rimanere solo disidera”.
33 D., III, 4, p. 256 (p. 252) : “Madonna, assai persone sono che, mentre che essi si sforzano d’andarne in Paradiso, senza avvedersene vi mandano altrui…”.
34 Cf. J. Le Gof, « La naissance du Purgatoire » (1981), dans id., Un autre Moyen Âge, Paris, Quarto Gallimard, 1999, p. 771-1053, en particulier les pages sur Dante, p. 1175-1208.
35 C’est un des sujets majeurs de réflexion du néoplatonisme, surtout après Plotin. Les notions de corps spirituel d’ochema, d’idolum, la possibilité de la transmigration des âmes, témoignent de cette tentative de penser un temps et des vicissitudes individuelles après la mort. Cf. R. Sorabji, Self, et surtout M. Di Pasquale Barbanti, Ochema-pneuma et phantasia nel neoplatonismo. Aspetti psicologici e prospettive religiose, Catania, CUECM, 1998, sp. chap. 1.
36 D., III, 8.
37 D., III, 8, p. 302 (p. 301) : “Disse il monaco : ‘Di questo ti dovevi tu avvedere mentre eri di là e ammendartene’ ; e se egli avvien che tu mai vi torni, fa che tu abbi sì a mente quello che io ti fo ora, che tu non sii mai più geloso”.
38 D., V, 8.
39 Les commentaires à l’intérieur de la nouvelle elle-même sont variés et la brigata s’abstient de rire, ce qui est rare. Sur les multiples interprétations de cette nouvelle, voir la mise au point d’E. Ventura, “Nastagio degli Onesti”, Studi sul Boccaccio XXXVI, 2008, p. 64-88.
40 Cf. Ch. Perrus, « La chasse infernale : des exempla à la nouvelle V, 8 du ‘Décaméron’ », dans Ph. Walter (éd.), Le mythe de la chasse sauvage dans l’Europe médiévale, Paris, Champion, 1997, p. 125-139.
41 Cf. B. Guthmüller, “Inferno cristiano e mitologia di Amore nella novella di Nastagio degli Onesti (Dec ., V. 8)”, Rassegna Europea di letteratura italiana 25, 2005, p. 9-21.
42 D., V, 7, p. 467-468 (p. 484) : “… e per lo peccato della sua crudeltà e della letizia de’ miei tormenti, non pentendosene, come colei che non credeva in ciò aver peccato ma meritato, similmente fu e è dannata alle pene del Ninferno … e essendole d’amante divenuto nemico, come tu vedi, me la conviene in questa guisa tanti anni seguitar quanti mesi ella fu contro a me crudele. Adunque lasciami la divina giustizia mandare a esecuzione, né ti volere opporre a quello a che tu non potresti contrastare”.
43 Si bien que, D., V, 7, p. 470 (p. 486-487) : « La peur qu’elle en ressentit fut si grande qu’afin d’échapper à ce supplice, dès qu’elle en eut le loisir, le soir même, sa haine ayant cédé à l’amour, en secret elle envoya une de ses fidèles servantes à Nastagio, laquelle le pria, de la part de sa maîtresse, de venir la trouver, car elle était prête à faire tout ce qu’il lui plairait ». (“E tanta fu la paura che di questo le nacque, che, acciò che questo a lei non avvenisse, prima tempo non si vide, il quale quella medesima sera prestato le fu, che ella, avendo l’odio in amore tramutato, una sua fida cameriera segretamente a Nastagio mandò, la quale da parte di lei il pregò che gli dovesse piacere d’andare a lei, per ciò che ella era presta di far tutto ciò che fosse piacer di lui”).
44 La chasse magique et infernale est un thème médiéval que l’on trouve par exemple chez Vincent de Beauvois ou Iacopo Passavanti, outre naturellement la chasse aux scialacquatori, aux gaspilleurs, du chant XIII de l’Enfer de Dante. La critique a souligné le changement moral et social opéré ici par Boccace, transformant de manière parodique le modèle chrétien et dantesque en un modèle courtisan et mondain. Pour C. Segre, “La novella di Nastagio degli Onesti (Dec ., V, 8) : i due tempi della visione”, dans id., Semiotica filologica, Torino, Einaudi, 1979, p. 87-96, il s’agit d’une « parodie inofensive », suivi par l’analyse récente de S. Micali, “Cavalieri cortesi e donne crudeli in due novelle del ‘Decameron’”, dans A. Matucci et S. Micali (éds.), I colori della narrativa. Studi offerti a Roberto Bigazzi, Roma, Aracnee, 2010, p. 9-22. Micali souligne l’usage composite des genres tragique et parodique par Boccace (dans le sillage de M. Baratto, Realtà e stile nel ‘Decameron’, Vicenza, Neri Pozza, 1970) ainsi que la conclusion joyeuse de la nouvelle, se traduisant par une véritable « conversion » de la dame, contre la lecture de R. Flemming, “Happy Endings ? Resisting Women and the Economy of Love in Day Five of Boccaccio’s ‘Decameron’”, Italica LXX, 1993, 1, p. 40-45. À mon avis, une telle transformation n’est pas une « parodie inoffensive ». La conclusion ne me semble pas mettre en forme une conversion joyeuse, puisque, comme nous venons de le lire dans la citation précédente, c’est la peur qui opère le changement psychologique et affectif de la dame.
45 Cf. par exemple, Dante, Divine comédie, Enf., XVIII, vv. 119-122. Voir l’article “contrapasso” (aujourd’hui contrappasso) dans Enciclopedia dantesca, Roma, Treccani, 2005, vol. 7. Sur la critique et la parodie du contrappasso, cf. J. Söfner, Das ‘Decameron’ und seine Rahmen des Unlesbaren, p. 234-258 (sp. à propos de Déc., VIII, 7 et 8 ; IX, 7 ; X, 10).
46 D., VI, 10, la célèbre nouvelle de Frère Cipolla. Cf. M. Pastore Stocchi, “Dioneo e l’orazione di frate Cipolla”, Studi sul Boccaccio X, 1977-1978, p. 201-215. Cf. aussi R. Hollander, “Boccaccio’s Dante : Imitative Distance (Dec. I, 1 and VI, 10)”.
47 D., III, 4 et 8.
48 Le pouvoir sotériologique de la confession est ridiculisé là où le prête confesseur joue le rôle de mezzano et dans la confession de Maître Cepparello mourant qui, s’étant toujours très mal conduit, trompe le prêtre confesseur et est considéré post mortem comme un saint. Cette nouvelle est manifestement une parodie de la tradition hagiographique, comme le souligne M. Picone, Boccaccio e la codificazione della novella. Letture del ‘Decameron’, p. 81-88.
49 En particulier par les Franciscains
50 Nouvelles obligations dictées par le Concile du Latran IV de l’année 1215 ; cf. l’analyse de S. Vecchio et C. Casagrande, I Sette vizi capitali. Storia dei peccati nel Medioevo, Torino, Einaudi, 2000, p. 195sq. (tr. fr. Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, Aubier, 2002). Je me réfère à l’édition italienne.
51 Qui s’exprime en particulier, chez Duns Scot, dans la classification des péchés selon le Décalogue, ce qui conduit à compter non plus sept, mais dix péchés : cf. S. Vecchio et C. Casagrande, I Sette vizi capitali, p. 214-217.
52 Cf. Sénèque, De Tranquilitate animi (désormais abrégé par Sénèque, De Tranq.), XV, 1-2, éd. et tr. ang. de J. W. Basore, Seneca, Moral Essays, II, Harvard, Loeb Classical Library, Harvard University Press, vol. II, 1932 ; tr. fr. dans Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 367 : « Mais il ne sert à rien d’avoir éliminé les causes de tristesse personnelle : car il arrive quelquefois que le dégoût du genre humain nous saisit, quand nous voyons tout ce qu’il y a au monde de crimes heureux. Lorsqu’on songe à quel point l’innocence est rare et la droiture introuvable, lorsqu’on se représente que la probité n’est autant dire jamais désintéressée, que la débauche a des profits aussi répugnants que ses débours, que l’ambition, se trahissant elle-même, en arrive à chercher son éclat dans l’ignominie, l’âme alors sombre dans la nuit : on a l’impression que les vertus, qu’on ne peut plus s’attendre à rencontrer et qu’on n’a plus d’avantage à pratiquer, sont anéanties, et l’on est la proie des ténèbres. Aussi faut-il nous appliquer à ne pas trouver haïssables, mais risibles les vices des humains… ». (« Sed nihil prodest priuatae tristitiae causas abiecisse : occupat enim nonnumquam odium generis humani, et occurrit tot scelerum felicium turba. Cum cogitaueris quam sit rara simplicitas et quam ignota innocentia et uix umquam, nisi cum expedit, fides, et libidinis lucra damnaque pariter inuisa, et ambitio usque eo iam se suis non continens terminis ut per turpitudimem splendeat, agitur animus in noctem et, uelut euersis uirtutibus, quas nec sperare licet nec habere prodest, tenebrae oboriuntur. In hoc itaque flectendi sumus, ut omnia uulgi uitia non inuisa nobis, sed ridicula uideantur »).
53 D’où le succès des catalogues et des encyclopédies des vices et des vertus, en part. de la Somma sui vizi e sulle virtu du dominicain Guiglielmo Peraldo ; cf. S. Vecchio et C. Casagrande, I Sette vizi, p. 181-220.
54 Cicéron, Tusc., III, IV, 7 : « Il me semble que le sage soit frappé par l’affliction. Mais aussi par les autres troubles de l’âme, comme les peurs, les désirs et les mouvements de la colère ? À peu près, il s’agit de ce que les Grecs appellent pathe ; moi, j’aurais pu appeler « maladies », par une traduction à la lettre, qui cependant n’est pas conforme à notre usage. Car la compassion, l’envie, l’exaltation ou la joie – tout cela est rendu par les Grecs par « maladie », mouvement de l’âme qui n’obéit pas à la raison. Nous, par contre, pourrions utiliser, à bon droit me semble-t-il, pour ces mêmes mouvements d’une âme troublée, le terme de perturbations, tandis que « maladies » n’est pas un terme usuel, à moins que tu ne sois pas d’accord ». (« Videtur mihi cadere in sapientem aegritudo. Num reliquae quoque perturbationes animi, formidines, libidines, iracundiae ? Haec enim fere sunt eius modi Greci pathe appellant, ego poteram morbos, et id uerbum esset e uerbo, sed in consuetudinem nostram non caderet. Nam misereri, inuidere, gestire, laetari, haec omnia ‘morbos’Graeci appellant, motus animi rationi non obtemperantis, nos autem hos eosdem motus concitati animi recte, ut opinor, perturbationes dixerimus, morbos autem non satis usitate, nsi quid aliud tibi uidetur »).
55 Comme le rappelle K. Flasch, Vernunft und Vergnügung, p. 45, Boccace cite littéralement Cicéron, De Officiis, éd. et tr. fr. de M. Testard, Paris, Les Belles Lettres, 1965 (désormais abégé par Cicéron, De Off.,), I, 35, dans l’introduction du Décaméron, voulant suggérer aux femmes lectrices ce qu’il faut suivre ou fuir, « quello che sia da fuggire e che sia ugualmente da seguitare ».
56 C’est l’image célèbre qui en donna Pétrarque, De Vita solitaria, éd. de G. Martelletti, tr. it. d’A. Bufano, dans Petrarca, Prose, Milano, Ricciardi, 1955, p. 286-29 ; tr. fr. de Ch. Carraud, Pétrarque, La vie solitaire, Grenoble, J. Millon, 1999. Cf. S. Gentili, L’Uomo aristotelico alle origini della letteratura italiana, Roma, Carocci, 2005, p. 217-241.
57 De manière quelque peu hâtive ce modèle de vie a été souvent considéré comme « averroïste ». On a pu considérer Cavalcanti comme un « averroïste » ainsi que, d’une certaine manière, Dante. Cf. B. Nardi, “L’averroismo del ‘primo amico’ di Dante”, Studi danteschi XXV, 1985, p. 43-79 et J. Marenbon, « Dante’s Averroism », dans J. Marenbon (éd.), Poetry and Philosophy in the Middle Ages. A Festschrift for P. Dronke, Leiden, Brill, 2001, p. 349-374. Toutefois, les études récentes ont souligné, d’une part, le caractère composite et complexe d’un tel « averroïsme », d’autre part, ses aspects spécifiques en Italie, qui seront hérités par les discussions humanistes sur l’intellect. De plus, Albert le Grand joua un rôle considérable dans la discussion sur l’intellect humain dans le contexte dit « averroïste », cf. L. Sturlese, “’Intelletto acquisito e divino’. La dottrina filosofica di Alberto Grande sulla perfezione della ragione umana”, Giornale critico della filosofia italiana 82, 2003, p. 161-189. Cf. Z. Kuksewicz, De Siger de Brabant à Jacques de Plaisance. La théorie de l’intellect chez les averroïstes latins des XIIIe et XIVe siècles, Cracovie et al., Éditions de l’Académie Polonaise des Sciences, 1968 ; Z. Kuksewicz, “The Latin Avveroism of the Late Thirteenth Century”, dans F. Niewöhner et L. Sturlese (éds.), Averroismus im Mittelalter und in der Renaissance, Zürich, Spur, 1994, p. 101-113 ; J. -B. Brenet (éd.), Averroès et les averroïsmes juif et latin, Turnhout, Brepols, 2007 ; R. Imbach, « L’averroïsme latin du XIIIe siècle », dans R. Imbach et A. Maierù (éds.), Gli studi di filosofia medievale fra Otto e Novecento. Contributo a un bilancio storiografico, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 1991, p. 191-208 (désormais dans R. Imbach, Quodlibeta. Articles choisis, Fribourg, Universitätsverlag, 1996, p. 45-62) ; M. Ruben Hayoun et A. de Libera, Averroès et averroisme, Paris, PUF, 1991, p. 110-121. Il ne faut pas oublier l’influence significative d’Avicenne, cf. D. H. Hasse, Avicenna’s ’De anima’ in the Latin west. The Formation of a Peripatetic Philosophy of the Soul (1160-1300), London/Torino, Nino Aragno, 2000.
58 L’interprétation de la nouvelle de Boccace dépend beaucoup, d’une part, de ce qu’étaient vraiment la philosophie universitaire, l’« averroïsme » et l’« épicurisme » et, d’autre part, de leur perception comme formes de matérialisme, voire d’athéisme. À ce propos, Boccace écrit clairement que l’équivalence entre l’épicurisme et l’athéisme est le fruit de l’ignorance : D., VI, 9, p. 517 (p. 537) : « … ce dernier (i. e. Guido) étant quelque peu disciple d’Epicure, le vulgaire en concluait que ses réflexions philosophiques visaient à tenter de démontrer que Dieu n’existait pas ». (“E perciò che egli alquanto tenea della oppinione degli epicuri, si diceva tralla gente volgare che queste sue speculazioni erano solo in cercare se trovar si potesse che Iddio non fosse”). Ainsi la figure de Guido chez Boccace renverse-t-elle le jugement de Dante. Car, dans le chant X de l’Enfer, en particulier vv. 52-73, Guido est évoqué dans le cercle des Epicuriens, compris justement comme des partisans de l’athéisme. Le spectre du père de Guido, en demandant à Dante pourquoi son fils n’est pas avec lui, rappelle dramatiquement la césure entre les deux amis d’antan, due à une conception différente de la philosophie et de la théologie (d’où le dédain, le disdegno, de Guido pour le chemin spirituel de Dante). Il ne s’agit cependant pas, pour Boccace, de reprendre à son compte une conception de vie « averroïste » ou « épicurienne », mais d’interroger les possibilités et les limites de la forme de vie philosophique universitaire dans les milieux cultivés de la société, en examinant surtout la transformation du pouvoir de l’intellect en la pointe spirituelle. Cf. les différentes interprétations de : R. Mercuri, “Guido Cavalcanti e la metafora della cultura”, Esperienze letterarie, 1979, p. 55-58 ; P. W. Watson, “On seeing Guido Cavalcanti and the houses of the dead”, Studi sul Boccaccio, 1989, p. 301-318 ; A. Jolles, “La facezia di Guido Cavalcanti” (1923), Studi sul Boccaccio XXIV, 1996, p. 218-230 (rééd.) ; S. Contarini, “La voce di Guido Cavalcanti : Jolles interprete del ‘Decameron’, VI, 9”, Studi sul Boccaccio XXIV, 1996, p. 209-217 ; A. Gagliardi, G. Boccaccio. Poeta, filosofo, avverroista, Roma, Rubettino, 1999 ; M. Veglia, “Per un Boccaccio epicureo”, dans id., La vita lieta. Una lettura del ‘Decameron’, Ravenna, Longo, 2000, p. 15-56 ; G. Inglese, “Per Guido filosofo”, La cultura XXX, 1992, p. 75-95 ; G. Gorni, Guido Cavalcanti e il suo’ primo amico’, Roma, Aracne, 2009, chap. 6 ; F. Bausi, “Lettura di ‘Decameron’ VI. 9. Ritratto del filosofo averroista”, Per leggere 9, 2002, p. 5-19.
59 D., VI, 9, p. 518 (p. 537-538) : “‘Guido, tu rifiuti d’esser di nostra brigata ; ma ecco, quando tu avrai trovato che Idio non sia, che avrai fatto ?’A’ quali Guido, da lor veggendosi chiuso, prestamente disse : ‘Signori, voi mi potete dire a casa vostra ciò che vi piace’ ; e posta la mano sopra una di quelle arche, che grandi erano, sì come colui che leggerissimo era, prese un salto e fusi gittato dall’altra parte, e sviluppatosi da loro se n’andò. Costoro rimaser tutti guatando l’un l’altro, e cominciarono a dire che egli era uno smemorato e che quello che egli aveva risposto non veniva a dir nulla, con ciò fosse cosa che quivi dove erano non avevano essi a fare più che tutti gli altri cittadini, né Guido meno che alcun di loro. Alli quali messer Betto rivolto, disse : ‘Gli smemorati siete voi, se voi non l’avete inteso : egli ci ha onestamente e in poche parole detta la maggior villania del mondo, per ciò che, se voi riguarderete bene, queste arche sono le case de’ morti, per ciò che in esse si pongono e dimorano i morti ; le quali egli dice che son nostra casa, a dimostrarci che noi e gli altri uomini idioti e non letterati siamo, a comparazion di lui e degli altri uomini scienziati, peggio che uomini morti, e per ciò, qui essendo, noi siamo a casa nostra’”.
60 Cf. L. Bianchi, “Filosofi, uomini e bruti. Note per la storia di un’antropologia ‘avveroista’”, Rinascimento XXXII, 1992, p. 185-201. Sur les facultés cogitatives, cf. D. Black, “Memory, Time and Individuals in Averroes’s Psychology”, Medieval Philosophy and Theology 5, 1996, p. 161-187 et R. Taylor, “Cogitatio, Cogitativus and Cogitare : Remarks on the Cogitative Power in Averroes”, dans J. Hamesse et C. Steel (éds.), L’élaboration du vocabulaire philosophique au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2000, p. 111-146.
61 D., VI, 9, p. 517 (p. 537) : “… per ciò che, oltre a quello che egli fu un de’ migliori loici che avesse il mondo e ottimo filosofo naturale (delle quali cose poco la brigata curava), si fu egli leggiadrissimo e costumato e parlante uom molto e ogni cosa che far volle e a gentile uom pertenente seppe meglio che altro uom far ; e con questo era ricchissimo, e a chiedere a lingua sapeva onorare cui nell’animo gli capeva che il valesse”.
62 Sur la signification du syntagme, « parlant en physicien » (loquens ut naturalis) dans le cadre des facultés universitaires médiévales, cf. L. Bianchi, « Loquens ut naturalis », dans L. Bianchi et E. Randi, Le verità dissonanti. Aristotele alla fine del Medioevo, Roma/Bari, Laterza, 1990 ; tr. fr. Les vérités dissonantes. Aristote à la fin du Moyen Âge, Paris/Fribourg, Cerf/Editions Universitaires de Fribourg, 1993 chap. 2. L’auteur souligne que, d’une part, la philosophie naturelle des philosophes exprimait un point de vue relatif, mais que, d’autre part, elle délimitait un domaine autonome et spécifique de recherche, indépendant du contrôle exercé par les docteurs en théologie.
63 Cf. H. A. Davidson, Alfarabi, Avicenna and Averroes on Intellect. Their Cosmologies, of the Active Intellect and Theories of Human Intellect, Oxford/New York, Oxford University Press, 1992. Cf. Avicenne, Sur l’Ame, éd. de F. Rahman, Oxford, Oxford University Press, 1959 ; Averroès, Commentarium magnum in Aristotelis De anima libros, éd. de F. Stuart Crawford, Cambridge (Mass.), Mediaeval Academy of America, 1953 ; trad. fr. du III livre par A. de Libera, L’intelligence et la pensée, Paris, Flammarion, 1998.
64 En ce sens « épicurien ». Il s’agit d’une forme de sagesse, obtenue par une thérapie de l’âme déterminée. Cf. J. Salem, La mort n’est rien pour nous, Paris, PUF, 1990.
65 Epicuri ethica et epistulae, éd. de C. Diano, Firenze, Sansoni, 1946 (reprint 1974).
66 D., VI, 9, p. 517 (p. 537) : “Ma a messer Betto non era mai potuto venir fatto daverlo, credeva egli co’suoi compagni che ciò avvenisse per ciò che Guido alcuna volta speculando molto abstratto dagli uomini divenia ; e per ciò che egli alquanto tenea della oppinione degli epicuri, si diceva tralla gente volgare che queste sue speculazioni erano solo in cercare se trovar si potesse che Iddio non fosse”. Cf. Z. Baranski, “Alquanto tenea della opinione degli ‘epicurei’ : the ‘auctoritas’ of Boccaccio’s Cavalcanti”, Zeitschrift für deutsche Philologie, 2006, p. 280-325.
67 Sur la signification de cette notion, cf. F. Mariani Zini, « Leggiadria », dans B. Cassin (éd.), Vocabulaire européen des philosophies, Paris, Seuil/Larousse, 2005, p. 704-706. Pour une interprétation de la légèreté de Guido, opposée à la pesanteur de Dante, voir les belles pages d’I. Calvino, Lezioni americane, Milano, Garzanti, 1988 ; tr. fr., Leçons américaines, Paris, Gallimard, 1989, p. 29sq.
68 Sur la signification du motto di spirito, cf. infra, chap. 3.
69 D., VI, 3, p. 502 (p. 518) : “… vi voglio ricordare essere la natura de’ motti cotale, che essi, come la pecora morde, deono così mordere l’uditore e non come ‘l cane : per ciò che, se come il cane mordesse il motto, non sarebbe motto ma villania… È il vero che, se per risposta si dice e il risponditore morda come cane, essendo come da cane prima stato morso, non par da riprendrer come, se ciò avvenuto non fosse, sarebbe : e per ciò è da guardare e come e quando e con cui e similmente dove si motteggia”.
70 Cf. S. Gentili, “Il Desiderio di conoscere è impedito dall’amore ? Il dibattito in poesia”, L’uomo aristotelico, p. 181-216 ; G. Tanturli, “Cavalcanti contro Dante”, dans F. Gavazzeni et G. Gorni (éds.), La Tradizione del testo. Studi di letteratura italiana offerti a Domenico De Robertis, Milano/Napoli, Ricciardi, 1994, p. 3-13.
71 Boccace, Filocolo, éd. d’A. E. Quaglio, dans Boccaccio, Tutte le opere, Torino, Einaudi, 1967, IV, 80.
72 Cf. M. C. Nussbaum (éd.), The Sleep of Reason. Erotic Experience and Sexual Ethics in Ancient Greece and Rome, Chicago, Chicago University Press, 2002.
73 C’est ce que rapporte Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, éd. et tr. fr. sous la dir. de M. -O. Goulet-Cazé, Paris, Le Livre de Poche, 1999 (désormais abrégé par Diogène Laërce, Vies), X, 118-119, p. 1306 : « Ils pensent que le sage n’éprouvera pas la passion amoureuse, ni ne se souciera de sa sépulture… En outre le sage se mariera et fera des enfants ».
74 Lucrèce, De rerum natura, IV, 1058-1073, et en particulier 1074-1076 dans l’éd. et la tr. fr. de J. Kany-Turpin, La nature des choses, Paris, Aubier, 1993 : « Fuir l’amour n’est point se priver des joies de Venus,/c’est au contraire en jouir sans payer de rançon ». (« Nec Veneris fructu caret is qui uitat amorem,/sed potius quae sunt sine poena commoda sumit »).
75 Sénèque, De uita beata, dans Seneca, Moral Essays, vol. II ; tr. fr. dans Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius, XXIV, 3.
76 Sénèque, Ep., 74, 30-33 ; 123, 15 et De tranq., XI, 1-2.
77 Sénèque, Ep., 116, 5, mettant en garde contre les plaisirs de l’amour : « Je trouve bien fine la réplique de Panétius à un tout jeune homme désireux de savoir si l’amour sera le fait du sage. ‘Pour le sage, lui dit-il, c’est à voir. Pour toi et pour moi, qui sommes encore loin de l’état de sagesse, gardons-nous bien de tomber à la merci d’une passion orageuse, emportée, esclave d’autrui, vile à ses propres yeux… Aussi, ayant conscience de notre faiblesse, tenons-nous cois’ ». (« Eleganter mihi uidetur Panaetius respondisse adulescentulo cuidam quaerenti an sapiens amaturus esset. ‘De sapiente, inquit, uidebimus : mihi et tibi, qui adhuc a sapiente longe absumus, non est committendum ut incidamus in rem commotam, inpotentem, alteri emancupatam, uilem sibi… Itaque conscii nobis inbecillitatis nostrae quiescamus…’ »). Cf. B. Inwood, “Why Do Fools Fall in Love ?”, dans R. Sorabji (éd.), Aristotle and After, London, Institute of Classical Studies, 1997, p. 55-69.
78 Cf. R. Sorabji, Emotion and Peace. From Stoic Agitation to Christian Temptation, Oxford, Oxford University Press, 2000, sp. p. 278-281.
79 Cf. C. Casagrande et S. Vecchio, I sette vizi capitali, p. 149-180.
80 Composé entre 1342 et 1343, en adoptant la terza rima. Sur le caractère de parodie de la Comédie de Dante, cf. L. Battaglia Ricci, “Giovanni Boccaccio”, dans E. Malato (éd.), Storia della letteratura italiana, Roma, Salerno Editrice, 1995, p. 727-877.
81 Boccaccio, Amorosa Visione, dans Tutte le opere, Milano, Mondadori, édition de G. Billanovich, rédaction A, 1944 ; édition de V. Branca, rédaction B, 1945 ; XXXXVII, 50-51 : “cose mondane/volubili e caduche”.
82 Boccaccio, Amorosa Visione, XXXVII, 52-53.
83 Cf. I. Tufano, “Fiammetta”, dans T. Crivelli (éd.), Selvagge e angeliche. Personaggi della tradizione femminili letteraria italiana, Leonforte (En.), Insula, 2007, p. 63-83.
84 Boccaccio, Amorosa Visione, XLIX, 37-51
85 Boccaccio, Amorosa Visione, L, 50.
86 Boccaccio, Amorosa Visione, XLVIII, 62-63.
87 Boccaccio, Amorosa Visione, XL, 23-27.
88 Cf. Giovanni Boccaccio, Il Filocolo, éd. de S. Battaglia, Bari, Laterza, 1938 : cette œuvre, écrite sans doute dans les années 1336-1338, raconte l’histoire de Florio et Biancifiore. Florio rencontre beaucoup d’obstacles pour aimer sa belle, Biancifiore, de sorte que l’accomplissement de sa passion viendra seulement à la fin d’un voyage périlleux, où il adoptera le nom de Filocolo, celui qui doit supporter les fatigues et les preuves d’amour. Cf. R. Morosini, Per Difetto reintegrare. Una lettura del Filocolo, Ravenna, Longo Editore, 2004.
89 Boccaccio, Filocolo, p. 294-366
90 Boccaccio, Filocolo, p. 289.
91 Boccaccio, Filocolo, p. 299 : “Fiammetta, nella cui presenza Amore di sé tutti infiammati ci tiene”.
92 Boccaccio, Filocolo, p. 299 : “Io, per via della festa, lievi risposte vi donerò, senza cercare la profondità delle proposte questioni, la quale andare cercando più tosto afanno che diletto alle nostre menti”.
93 Treizième question, p. 360-365.
94 Quatrième question, p. 311-325.
95 L’interrogation des courtisans remplace le tournoi chevaleresque par une joute discursive, empruntée à l’amour courtois ; cf. P. Cerchi, Andrea Cappellano, i trovatori e altri temi romanzi, Roma, Bulzoni, 1979. Boccace rappelle avoir assisté dans la cour napolitaine à de telles discussions. Cf. F. Tateo, Boccaccio, Bari, Laterza, 1998, p. 40-45.
96 Première question, p. 300-304. Fiammetta répond que le don offert est parmi les signes les plus manifestes d’amour, p. 303.
97 Sixième question, p. 331-334. Fiammetta loue l’attitude réservée et pudique, p.334.
98 Deuxième question, p. 304-308. Fiammetta estime, en s’appuyant sur les vicissitudes de Pénélope, que le premier cas est plus pénible, car dépourvu de tout espoir, p. 307-308.
99 Cinquième question, p. 325-331. Fiammetta considère la peur du jaloux comme le pire des maux, une véritable « maladie ». Par contre, celui qui n’est pas aimé peut espérer que, selon la loi dantesque “amore mai non perdonò l’amare a nullo amato”, sa bien-aimée, tôt ou tard, l’aimera, p. 330-331.
100 Huitième question, p. 343-345.
101 Neuvième question, p. 346-350. D’autres conduites sont recommandées dans le choix du cavalier, dans la troisième et la dixième question, p. 308-310 ; p. 350-353.
102 Dixième question, p. 350-355.
103 Douxième question, p. 355-360.
104 Il y a bien plus : Fiammetta a l’honneur de chanter la dernière chanson, qui est cependant l’expression de la jalousie la plus pure. L’amour courtois cesse d’être spirituel : ici il traduit la volonté physique de possession de l’aimé, comme le remarque Dioneo : D., X, Conclusion, p. 855 (p. 907) : « Madame, ce serait grande courtoisie de faire savoir à toutes vos compagnes qui est votre amoureux, afin qu’on ne vous en enlève pas la possession puisque cela doit tant vous courroucer ». (“Madonna, voi fareste una gran cortesia a farlo cognoscere a tutte, acciò che per ignoranza non vi fosse tolta la possessione, poi che così ve ne dovete adirare”).
105 En particulier dans Giovanni Boccaccio, Elegia di Madonna Fiammetta con le chiose inedite, éd. de V. Perticone, Bari, Laterza, 1939.
106 Par exemple, l’amour réciproque, en particulier dans la IV journée, dont les nouvelles se terminent par un mariage en bonne et due forme ; l’amour pour le savoir, VIII, 7.
107 Seulement à titre d’exemple : D., II, 10 ; III, 4 ; V, 6 ; VI ; 7 ; VII, 2, passim.
108 Expressément dans la dixième journée.
109 D., IV, 1 ; VI, 2.
110 D., II, 4 ; X, 2.
111 Voir l’introduction et la conclusion de l’auteur.
112 Cf. J. Söffner, Das ‘Decameron’ und seine Rahmen des Unlesbaren, p. 233-234 ; p. 262-263.
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