Les plaisirs du sage : délices intellectuelles ou juste rapport du corps et de l’esprit dans le De sapiente de Charles de Bovelles (1479-1567) ?
p. 215-231
Texte intégral
1Le plaisir est une notion qui, au premier abord, paraît marginale dans la réflexion philosophique sur la sagesse menée par Charles de Bovelles dans le De sapiente. Ce traité, paru chez Henri Estienne en 1511, fait partie d’un volume exceptionnel dans l’œuvre de ce philosophe, mathématicien et théologien picard1. Il regroupe une douzaine de traités métaphysiques et mathématiques, ainsi qu’une correspondance, tous richement illustrés de figures, et constitue l’un des premiers ouvrages, et le plus complet, dans lequel Bovelles ne se fasse plus seulement le collaborateur des publications pédagogiques de son maître, Jacques Lefèvre d’Etaples, mais bien l’inventeur de sa propre pensée2. Indice apparent de la place relativement secondaire du plaisir comme objet de réflexion dans le De sapiente, les occurrences du terme uoluptas sont en nombre restreint. Selon une terminologie que le Ficin du De uoluptate qualifierait de platonicienne, elles se rapportent dans la plupart des cas au plaisir corporel, tandis que les termes désignant la joie (gaudium, gaudere, laetari) ou la jouissance (frui, perfrui) caractérisent la félicité spirituelle du sage3. L’exhortation à la sagesse qui conclut le traité promet d’ailleurs non le plaisir, mais l’immortalité et la béatitude. Celles-ci récompensent une progression et un dépassement de la condition sensible qui impliquent plus d’ascèse que de délectation.
2L’examen plus approfondi du De sapiente invite à nuancer cette première impression. Les termes relatifs au plaisir s’avèrent en effet plus nombreux et variés que ne le laissait supposer la présence limitée du mot uoluptas. Mais plus que le lexique conceptuel du plaisir, s’imposent au lecteur de multiples notations concrètes et savoureuses qui évoquent, le plus souvent de manière figurée, les délices propres au sage, dont Bovelles trace le portrait par touches successives, auxquelles vient s’opposer la peinture du malheureux insensé.
3Certes, la plupart de ces termes semblent avoir chez Bovelles une fonction essentiellement métaphorique : ils permettent au lectjeur de se représenter un bonheur qui dépasse toute expérience commune. Ils invitent à un type de lecture allégorique, qui « spiritualise » le plaisir sensible ; les mots qui l’évoquent se réfèrent en réalité à un mode d’existence qui renonce à toutes les satisfactions ordinaires pour les transposer dans l’ordre de la connaissance4. Cependant, le vocabulaire figuré du De sapiente de Bovelles, œuvre pétrie d’humanisme chrétien, nous paraît ne pas relever intégralement de cette seule lecture. En effet, les agréments que procure la sagesse ne sont-ils pas évoqués avec une gratuité jubilatoire inhabituelle ? Les gravures qui constellent le traité – dont le texte suppose l’existence, quoique les rapports entre Bovelles et le graveur anonyme ne soient pas connus – ne charment-elles pas les yeux au-delà de ce qui répondrait seulement à un souci pédagogique ? Ces phénomènes nous paraissent révélateurs des transformations que Bovelles opère aussi bien dans l’usage du langage figuré, hérité des allégories philosophiques mais aussi des Ecritures ou des symboles de l’humanisme italien, que dans les conceptions antiques du sage. Ainsi, loin que l’étiquette de « néo-platonicien », qui lui est souvent accolée, suffise à rendre compte de sa conception de l’épanouissement humain, le De sapiente permet d’en saisir la complexité syncrétique, et notamment l’optimisme singulier. Ce dernier tient en particulier à l’inspiration religieuse de Bovelles, comme le montrera d’ailleurs le rapprochement avec le poète Ludovico Bigi Pittorio, représentant de l’humanisme chrétien de Ferrare au tournant des XVe et XVIe siècles, et que Bovelles cite à quatre reprises dans le De sapiente5.
4Au sein d’une philosophie qui considère l’homme non comme une âme prisonnière d’un corps, mais comme l’union harmonieuse du corps et de l’âme, peut-être y a-t-il bien une place légitime, et même recommandée pour le plaisir. Dans un premier temps, nous examinerons l’attitude prescrite par Bovelles vis-à-vis des plaisirs corporels, du point de vue d’une sagesse pratique qui fait l’objet des premiers chapitres du De sapiente. Nous nous intéresserons ensuite aux plaisirs propres à l’activité intellectuelle du sage, la sagesse spéculative, à laquelle cette œuvre se destine par excellence. Nous montrerons alors comment le traité valorise un type particulier de plaisir, dont la reconnaissance et la promotion constituent à nos yeux une des inflexions propres à la pensée de Bovelles, et dont l’enjeu n’est plus le corps ni l’âme seuls, mais leur unité, qui seule mérite sous sa plume d’être dénommée totus homo.
5Les plaisirs corporels font tout d’abord l’objet d’une mise en garde apparemment sévère. Elle s’intègre à une analyse philosophique des passions de l’âme qui, reprenant une des listes des péchés capitaux transmises par la littérature spirituelle monastique, en propose une organisation systématique remodelée6. Bovelles oppose les trois « souillures spirituelles de l’âme » (spiritales animi labes), à savoir l’inuidia (« envie »), l’ira (« colère ») et la superbia (« orgueil »), aux trois « séductions de la chair ou du corps » (carnis corporisue illecebre), que sont à ses yeux l’acedia – que l’on peut traduire par « paresse », mais qui désigne à l’origine un état de dégoût et d’inertie spirituels propre aux moines –, la gula (« gourmandise ») et la luxuria (« luxure »). Certes, cette répartition des péchés selon le critère du corps et de l’esprit a des précédents, mais Bovelles innove en donnant une forme spatialisée et dynamique à son système, d’ailleurs visible sur la figure qui accompagne son texte : si les passions spirituelles s’assimilent à l’hybris par laquelle l’homme s’élève au-dessus de sa condition (hominis eleuatio), les « dards excitants des séductions charnelles » (carnalium illecebrarum titillantia spicula) au contraire le ravalent au-dessous de son humanité (hominis depressio). La place médiane est tenue par l’auaricia, c’est-à-dire l’avidité7, la soif de richesses visant à satisfaire soit l’amour des honneurs, soit la quête des plaisirs matériels. Ce vice est considéré par Bovelles comme celui qui alimente tous les autres, ce qui est habituellement le cas de l’orgueil. Or, il est remarquable qu’il soit associé non au seul corps, mais à l’homme au sens plein du terme, corps et âme réunis. Cette prise en compte de la totalité de l’être humain – qui selon le De uoluptate de Ficin départagerait les théories platonicienne et aristotélicienne du plaisir – caractérise d’ailleurs le De sapiente. Tout le développement cité s’intègre au premier temps du traité, consacré à l’analyse de la croissance physique de l’être humain, et qui vise à suggérer, analogiquement, ce que doit être son développement moral et intellectuel. La sagesse est d’abord la réalisation parfaite de l’humanité, ce qui suppose l’intégration de ses fonctions vitales essentielles. Ce n’est qu’une fois ces fondements posés que le traité invite à une deuxième définition, plus complète, de la sagesse, comme dépassement de la condition humaine naturelle, son accomplissement dans la connaissance de Dieu et l’union mystique. La structure du De sapiente relève bien de la démarche dont Bovelles explicite très souvent le principe : la recherche des intelligibilia à l’aide du déchiffrement de leurs signes, les sensibilia. Or, s’il fallait lui donner une identité philosophique, elle serait bien plus proche – aux yeux de Bovelles – de la pédagogie progressive qui caractérise l’Aristote des fabristes, que du dualisme platonicien8. En outre, dans un traité ultérieur de 1531, le De septem uitiis, dont les analyses apportent un complément passionnant et encore totalement inexploré aux premiers chapitres du De sapiente, Bovelles considère ses réflexions comme relevant d’une philosophie morale (morum philosophia) à laquelle il reconnaît une importance primordiale, parce qu’elle serait plus apte à susciter une sagesse effective que la philosophie spéculative9. Sans doute cette hiérarchisation joue-t-elle d’abord le rôle d’une captatio beneuolentiae. On peut cependant faire crédit à Bovelles, et ce dès 1511, de l’intérêt qu’il porte à l’élaboration d’une éthique qui se situe dans la continuité des grandes œuvres morales aristotéliciennes. D’ailleurs, la sagesse pratique du De sapiente promeut déjà une modération à l’égard du plaisir corporel qui emprunte clairement ses termes et ses images à l’idéal de l’aurea mediocritas :
Qui uero sese ab extremis abercuerit, qui immobilis equa lance constiterit in medio sederitque in homine : hic ueraciter homo, hic studiosus, probus, sapiens, felix beatusque censeatur10.
6On notera enfin que l’analyse, tout en recourant aux notions traditionnelles de la morale chrétienne, n’use jamais du terme de péché, dont la rareté est remarquable dans l’ensemble du traité : la perspective de Bovelles n’est pas premièrement ni directement théologique, et les premiers chapitres du De sapiente abordent le comportement moral et concret de l’individu non à la manière d’une œuvre de dévotion, mais comme un préalable nécessaire à l’acquisition des vertus intellectuelles, qui constituent l’enjeu véritable du développement humain. Plus remarquable encore, le De septem uitiis, qui est publié à la suite de deux commentaires de psaumes et d’un traité sur le péché dans l’Ancien Testament, reprent et développe les analyses des deux premiers chapitres du De sapiente, et maintient ainsi très largement l’analyse sur le terrain philosophique11.
7L’avertissement prononcé à l’encontre des plaisirs matériels – dont est dénoncé le caractère doucereux, voire alanguissant, trompeur et mobile, notamment par l’expression fluxae uoluptates – ne doit pas être interprété comme un rejet du corps en tant que tel, ni même du plaisir corporel. Une figure de Bovelles, intégrée dans le texte même, qui la mentionne de manière explicite, est éloquente12. Sa composition, à la fois claire et ingénieuse, suggère à elle seule l’harmonie qui préside à l’existence du sage. Dans la première moitié gauche, Bovelles fait figurer les quatre règnes de la création sensible. Il place symétriquement dans la moitié droite quatre stades moraux de l’homme, surmontés de phylactères qui manifestent l’analogie entre chacun d’eux et le règne dont il incarne la plus ou moins grande perfection. Les trois premiers stades – acedia, gula, luxuria – correspondent aux trois passions corporelles citées précédemment. Le quatrième est associé à la uirtus. De surcroît, chaque type de créature ou d’être humain compte un nombre donné de degrés, représentés par des marches. Y semblent gravés les verbes correspondant à ce que Bovelles appelle les actus (actes, opérations) fondamentaux de l’existence : être, vivre, sentir, penser, et dont l’énoncé fréquent est une des empreintes du Liber creaturarum de Raymond Sebond sur l’œuvre du philosophe picard13. Cette figure semble au premier abord appeler une lecture que l’on pourrait, grossièrement, qualifier de néo-platonicienne. Bovelles identifie en effet la uirtus à l’activité intellectuelle, tandis que les vices sont illustrés par des attitudes qui impliquent les sens : le luxurieux se mire, reprenant à son compte le geste traditionnel de la vanité, le gourmand s’adonne aux plaisirs de la table. Mais il faut d’abord noter que la déchéance la plus totale, l’acedia, se caractérise par une forme d’inertie et d’insensibilité, et d’autre part que l’homme vertueux ne fait pas l’économie des degrés les plus fondamentaux de la vie, mais les compose et les harmonise. L’homme accompli est d’ailleurs représenté la plume à la main, un pupitre sous les yeux. Il faut préciser en outre que le texte et les figures du De sensu manifestent une attention inédite à l’activité des sens en jeu dans les actes intellectuels par excellence que sont l’écriture et la lecture : la vue, à laquelle est habituellement réservé le statut privilégié de « sens intellectuel », mais aussi, de façon plus étonnante, le toucher. De fait, les portraits contrastés du sage et de l’insensé développés par le texte opposent, non l’abstention totale des plaisirs corporels à leur recours, mais l’abus irraisonné de la carnalis delectatio, à la modération régulatrice du sage, capable de proportionner désir et besoin.
8L’usage des plaisirs culinaires occupe une place importante dans ce diptyque qui oppose le sage et l’insensé, et qui court sur les dix-neuf premiers chapitres. La dénonciation de la gloutonnerie est illustrée par quelques anecdotes antiques, phénomène d’autant plus remarquable que Bovelles en use assez rarement dans son œuvre. Les évocations plaisantes des comportements de Philoxène « qui voulait un gosier proéminent comme les grues »14 ou de Gnathon le Sicilien « indiscutable prince de la gueule, qui se mouchait dans les plats pour dégoûter ses commensaux, afin de jouir mieux en mangeant seul de tous les mets »15, s’accompagnent d’exclamations indignées qui inscrivent le De sapiente dans la lignée de la littérature satirique, voire de la diatribe philosophique :
Hinc tot uini calparia & congiaria epotantur : ut plane ad perdenda uina, nati plerique hominum prodantur. Hinc capacissimi uentres expetuntur : quibus distendendis, terre maria peragrantur. Adeo ut exiguo inter cuncta animantia hominum generi alendo : uix uniuersa humano alendo corpori, superabunde posse credatur16.
9On retrouvera d’ailleurs cette veine peu commentée de l’œuvre de Bovelles dans ses recueils de proverbes d’abord écrits en latin, puis traduits en français, et qui prennent pour cible privilégiée les excès de nourriture, et plus encore de boisson17. C’est également à la littérature morale et sapientiale que se rattache le distique du poète Bigi cité par Bovelles juste après une invitation à la sobriété tirée des Proverbes18 :
hoc ipsum enim : & hec sapientie uerba, precipiunt. Ne (inquite) Intuearis uinum cum splendescit in uitro. Hoc et Bigi poeta faciendum, canit : Te, inquit, uite si tangit amor, si gloria : noli/Maiorem captu uentris habere famem19.
10Les Opusculorum christianorum libri tres de Bigi, publiés en 1496 à Modène, comprennent en effet un certain nombre de pièces d’édification ou de satires morales, tel ce poème intitulé Crapulam detestatur (« Le poète déteste l’ivresse »)20. Toutes sont adressées à des destinataires nommément désignés, qu’elles n’hésitent pas à admonester, comme le Zanclus du poème 21, au livre II, qui se donne ouvertement pour une exhortation, sous la dénomination de parenesis.
11Aux anecdotes antiques, Bovelles joint une analyse conceptuelle de l’usage des biens corporels qu’il qualifie d’aimables (amabilia). Celle-ci recourt aux notions de proportions et de mesures entre la puissance et l’objet, entre le besoin vital et les bienfaits naturels. L’intérêt de Bovelles pour les proportions géométriques – il est en effet l’auteur d’une des premières géométries en langue française – n’est sans doute pas absent de cette adaptation de la notion aristotélicienne de mediocritas et de juste milieu. On n’est donc loin d’une éthique purement néo-platonicienne.
12De plus, le syncrétisme de Bovelles lui fait emprunter des éléments extérieurs au platonisme et à l’aristotélisme. Ainsi, la sagesse pratique du sage l’apparente à certains moments au sage stoïcien. Sont alors valorisés l’égalité d’âme, la tranquillité et un contentement frugal que les images de plénitude évoquent de manière volontairement paradoxale :
Sapientis mens exuberantissima est et semper plena. Si quid expetit, ita prosequitur : ut eius inexpers et minime indiga. Hinc nulla priuatione angitur, nulla flacessit amaritudine : sed est ei priuatio omnis ut plenitudo. Ab appetitu haud immoderate corripitur cupiditatum ardentiam reprimens, imperitos et improuidos motus sistit21.
13Le principe même d’un portrait prolongé du sage, qui expose ses qualités et ses titres d’excellence, n’est d’ailleurs pas sans rappeler les traités de Sénèque.
14Cependant, l’évocation de la personne du sage prend à certains moments une orientation philosophique différente. Elle valorise moins l’autosuffisance acquise au prix d’une abstention des plaisirs qu’elle ne reconnaît au sage une forme de beauté morale évoquée en termes choisis. Le sage hiérarchise harmonieusement ses différentes puissances internes, et à ce titre, sait mieux que tout autre goûter réellement les plaisirs, tout en y ajoutant une sorte d’esthétique vertueuse. C’est ainsi que la cohérence de ses facultés évoque la chorale, et peut-être la danse (chorea), tout en se référant implicitement au modèle trinitaire, dont la recherche des « traces » visibles, dans la tradition augustinienne, est très présente dans le De sapiente :
Ubi igitur hec tria : Intelligere, Posse, Velle : una et concordi chorea inuicem colligantur : libera est, facilis et inimpedita sapientis actio22.
15Le sage parvient ainsi à une parfaite consonance (concinentia) et à une relation harmonieuse admirable (mira proportio) avec le monde extérieur. Le terme d’equalitas, important chez Bovelles, désigne dans ce contexte, la parfaite adéquation du macrocosme et du microcosme, du monde et de l’homme, dont le philosophe ne cesse de rappeler la communauté de destin. Cette éthique, toute de mesure, fait du sage une sorte d’artisan, voire d’artiste, qui donne à sa propre personne, grâce au monde extérieur, une forme et une plénitude harmonieuse : le sage se voit décerner successivement les qualités de calotechnius (artisan d’art), toreutes (graveur), cosmeta (ordonnateur), artifex (artisan), celator (ciseleur), ornator (décorateur)23.
16En définitive, lorsque Bovelles développe l’opposition entre les biens du corps et les biens de l’esprit, mettant l’accent sur le caractère relatif des premiers et absolu des seconds, il ne disqualifie pas les biens corporels, mais signale qu’ils requièrent une vigilance spécifique, pour se prémunir tant de l’excès que de l’insuffisance. Ils mettent à l’épreuve la uirtus moralis, coûteuse, héroïque – et Bovelles recourt à la figure moralisée d’Hercule, bien connue de l’humanisme italien24. Les figures, comme le texte qui les accompagne, opèrent, certes, un renversement, et semblent inviter à se tourner de préférence vers les biens intellectuels. Mais si le sage, adonné à la quête des biens spirituels, paraît éprouver un bonheur supérieur au plaisir temporel, son état est cependant décrit comme un bien-être qui nous paraît provenir d’un équilibre acquis entre paix du corps et paix de l’âme. Nous pensons que ce renversement n’implique pas un rejet platonicien du plaisir, mais qu’il reprend plutôt la distinction aristotélicienne entre les plaisirs sensibles, qui supposent la vertu de tempérance, et ceux de l’intellect, pour lesquels nulle mesure n’est nécessaire. Les biens temporels, domaine des plaisirs corporels, sont ainsi dépeints comme risqués, car occasionnant bien des peines. Deux insensés sont d’ailleurs mis sous les yeux du lecteur : l’un est précipité de manière spectaculaire dans les abîmes de la mer, l’autre dans une fournaise. L’aire des biens intellectuels, représenté au registre supérieur, tout en promettant au contraire des agréments spirituels, les manifeste sous un jour matériel et sensible : égalité du terrain, fleurettes charmantes, extraites, dirait-on, d’une tapisserie à mille fleurs. Ce locus amoenus paradisiaque inverse l’opposition habituelle entre la rude voie de la vertu et l’accès aisé au vice, qui caractérise l’Y pythagoricien, si bien représenté à la Renaissance. Bovelles choisit au contraire de peindre la vertu sous des couleurs riantes : celles du paradis. Le texte de Bovelles renchérit sur l’image : l’aisance et la liberté de mouvement caractérisent la quête des biens intellectuels. Ceux-ci ne font l’objet d’aucune restriction et leur domaine est évoqué en termes métaphoriques attrayants : liberté de mouvement, parfums des fleurs, prairies verdoyantes.
In his siquidem nulla subsunt precipitia, salebre asperitatesque nulle : sed plana omnia, inaspera, equalia. Ubique prata uirentia amenissimis consita floribus : hyatu, abysso et scopulis carentia. per que licet tanquam in nocte et sine extero lumine, libere discurrens animus : abire in preceps, mergi aut interire nequeat. Temporalium autem bonorum area limosa est, aspera, inequalis, uastis ultro citroque hyans profundis. in que a medio procidens animus : illico naufragatur atque perimitur25.
17Finalement, la position de Bovelles à l’égard des plaisirs corporels n’est pas dénuée d’une certaine ambiguïté, que l’on retrouve dans le De septem uitiis. On y lit, en effet, l’incitation de Jean Cassien à renoncer aux plaisirs, en raison de la difficulté qu’a l’homme de les goûter sagement. Mais de très nombreux passages du même opuscule rappellent que le plaisir – nourriture, beauté féminine, repos dans le sommeil – est bon en soi, voulu par Dieu, qui a fait en sorte que les biens naturels ne satisfassent pas uniquement le besoin, mais apportent aussi du plaisir afin que l’homme ne néglige jamais d’assurer sa conservation26. Tels sont les accents les plus singuliers et les plus optimistes de Bovelles que nous choisissons de privilégier, parce qu’ils se distinguent de l’abondante production littéraire contemporaine du De sapiente et du De septem uitiis, plus sensible au « discors de la chair et de l’esprit ». Mais quittons désormais le domaine ambivalent de la morale pratique pour gagner les terrains lumineux de la sagesse spéculative.
18La sagesse pratique est nettement subordonnée par Bovelles, dans le De sapiente, à la recherche spéculative, spirituelle, voire mystique, qui est assimilée à plusieurs reprises à la figure énigmatique de la Sagesse biblique, tout à la fois amie, épouse et personne divine. Les chapitres présentant le plus grand nombre d’occurrences de termes relatifs au plaisir font appel aux livres sapientiaux (Psaumes, Proverbes, Sagesse, Siracide) ou prophétiques (Isaïe) sous forme de citations littérales et de paraphrases, habituellement rares dans les traités philosophiques de Bovelles27. La félicité du sage est alors dépeinte sous une forme nouvelle, paradoxale : la plénitude que donnerait un désir sans cesse renaissant. La Sagesse se révèle infiniment désirable : Melle se dulciorem, expetibiliorem auro, gemmis cunctisque margaritis preferendam, bonorum quoque omnium largitricem, candorem se diuine uirtutis enunciat28. Son propos même est d’inviter au désir : Pulsitans citansque dormientes, eos, ut se concupiscant, hortatur29. L’emploi de concupiscere et de concupiscentia, dénués de toute connotation péjorative, est d’ailleurs une spécificité des livres sapientiaux que fait bien apparaître la concordance de la Vulgate. En effet, alors qu’ils s’accompagnent dans le reste des Ecritures de négations motivées par l’interdiction de la convoitise, ils se rattachent ici à l’appétit, à l’éveil de la sensualité et à l’attrait exercé par la figure allégorique de la Sagesse30. Bovelles les emploie avec la même neutralité bienveillante, tout comme il attribue au sage non plus un calme impassible mais une ardeur heureuse : celui-ci ne se contente pas de désirer, il brûle (flagrat) et sollicite (exposcit). Or ce désir, loin d’être douloureux, contribue à la perfection de la uoluptas.
19Pour évoquer les plaisirs propres au sage, Bovelles recourt en particulier à l’analogie du banquet – analogie souple et diversement explorée. Tantôt le sage tient la place d’un convive comblé, tantôt le texte compare son esprit (sa mens) à une table bien fournie, pour ensuite suggérer une nouvelle image, celle d’un champ offrant avec la même prodigalité édénique fleurs, fruits et feuilles. Ce banquet rappelle les évocations du festin eschatologique et contribue à rapprocher la sagesse philosophique de la béatitude des élus dans une perspective chrétienne. Soif et faim insatiables sont les métaphores d’un bonheur qui, tout en étant permanent (iugis), maintient l’homme dans un dynamisme constant :
(…) eius men[s] iugiter spiritali alimonia refo[uetur]. Diuina ac sacra aletudine impugnari : celesti irrora [tur] ambrosia : Angelico pasci [tur] cibo assidue & exatia [tur] nunquam. Adauget enim celestis alimonia, sacrum sui desiderium : suique capacem et se tota ope expetentem facultatem, iugi licet uoluptate delectet : ampliore tamen semper fame, ac siti, irritare solet. Hac enim quo magis quispiam cibatur : tanto auidius et maiore cum uoluptate, eandem concupiscit. quantoque magis ad diuini nectaris bibesiam, felix dei sympotes, angelorum perioecus, sanctorum conuiua et contubernalis admittitur : tanto magis ut semper sitiens, ut nunquam exuberans : sacro illius liquore assidue flagrat et exposcit imbui31.
20Ce passage, et plus largement le chapitre XV dans lequel il s’insère, nous paraissent d’ailleurs animés d’une certaine recherche littéraire : goût particulier pour les termes translittérés du grec (sympotes, perioecus), luxe de détails, ou encore vocabulaire diversifié et précis (l’esprit du sage, par exemple, est qualifié de dapalis et saliaris) qui présente de nombreux points de rencontre avec l’humanisme italien – on pense en particulier à la Cornu Copia de Niccolo Perotti qui commente côte à côte ces mêmes termes32.
21Ces images présentent en outre plus d’un écho avec la poésie de Bigi. Le distique extrait du poème 28 du deuxième livre des Opuscula christiana, intitulé Pacem diuinam laudat (« Le poète fait l’éloge de la paix divine »), permet à Bovelles, peut-être à la faveur de la référence virgilienne implicite, de passer de l’analogie du banquet à celle de la terre fertile :
O felix nimium : et rerum pulcherrima mensa.
O fortunate terque quaterque dapes33.
22Bovelles applique les vers de Bigi, qui font référence au bonheur céleste, à l’esprit du sage.
23Ces emprunts faits à Bigi laissent supposer l’existence de liens encore largement inexplorés entre le philosophe picard et l’humanisme italien de la charnière entre le XVe et le XVIe siècle34. Bigi, qui dédicace ses Opuscula christiana à Jean-François Pic de la Mirandole, revendique fortement l’inspiration religieuse de sa poésie, et celle-ci est mentionnée par ses contemporains. Or Jean-François Pic de la Mirandole est l’un des rares « modernes » que Bovelles cite explicitement dans son œuvre, et il fait intervenir sa pensée dans un cadre essentiellement chrétien35. Il n’est pas impossible que les voyages de Bovelles en Italie, dont le nombre et les dates sont incertains, lui aient permis un contact plus direct avec cet auteur, connu personnellement de Lefèvre d’Etaples. Les recueils de poésies latines de Bigi, pour leur part, laissent deviner les relations innombrables de cet élève de Giovanni Battista Guarini : les ducs Ercole I de Modène et Guidobaldo d’Urbino, Alberto de Carpi, mais aussi maints poètes passés par le collège de Ferrare et cités par Lilio Gregorio Giraldi dans ses Dialogi duo de poetis temporum nostrorum : Pamphilus Sasso de Modène, Francesco Ottavio, Luca Ripa etc. A en croire La Croix du Maine, Ange Politien considère Bigi comme le plus savant des poètes chrétiens, tandis que Giraldi regrette qu’il ait abandonné les élégies amoureuses pour une poésie dévote : nam cum pius deflexit ad religionem, ut uita melior, ita carmine deterior uisus est36.
24L’examen d’une autre citation de Bigi et plus largement du poème dont elle est extraite permettent de préciser, par comparaison, la pensée de Bovelles. Le texte de Bigi, dont le titre, Dissolui cupit & esse cum Christo (« Le poète désire se détacher et être avec le Christ »), adaptant le verset 1, 23 de l’Epître aux Philippiens, applique au poète le combat intérieur éprouvé par l’apôtre Paul, situe le souverain bien en Dieu seul et invite à délaisser les tribulations terrestres pour s’élever jusqu’aux cieux :
Natus siquidem (ut poeta bigus canit) ad etherie solatia spiritus aule : Terrena nunquam sede quietus erit. Ad superas opus est, sapiens, ut transuolet arces : Gutture se pleno, si satiare cupit37.
25La sagesse, chez Bovelles, prend bien, au fur et à mesure que se déploie le traité, une dimension mystique qui rejoint l’aspiration exprimée par le poète. Connaissance immatérielle de soi, la sagesse spéculative est en même temps assimilation de la connaissance divine, processus exprimé à l’aide d’innombrables locutions verbales suggérant l’élévation et l’union : in Deum scandere (« monter en Dieu »), Deo copulari (« s’unir à Dieu »), unus cum Deo fieri (« devenir un avec Dieu »), ou encore in Deum ueliuolare atque remigare, verbes qui n’auraient pas dû être traduits par « voler et ramer » mais plus exactement par « s’envoler vers Dieu en planant ou battant des ailes », car Bovelles montre ici un regard exercé à la volerie38. Alors que l’élévation spirituelle implique chez Bigi un rejet du corps que véhicule tout naturellement certaines expressions néo-platoniciennes, elle assure au contraire chez Bovelles une place discrète mais ferme au corps. En effet, si l’espérance de l’immortalité (spes immortalis) contribue aux délices éprouvées par le sage dès cette vie – elle est non seulement qualifiée de beatissima, mais également de gratissima, elle n’est jamais dissociée de l’assurance, empruntée à la révélation chrétienne, de la résurrection du corps. Le chapitre XX du De sapiente fait d’ailleurs se correspondre terme à terme une vingtaine de couples de propositions relatives au devenir conjoint de l’âme et du corps humains. La philosophie de Bovelles assure à ce dogme une place remarquable et constante, jusqu’à ses derniers dialogues de 1551-155239. Elle lui accorde autant, sinon plus d’importance, qu’à l’immortalité de l’âme qui constitue à l’inverse l’essentiel de la démonstration philosophique de Marsile Ficin dans la Théologie platonicienne.
26En définitive, aspiration mystique et acceptation de la dimension corporelle de l’homme se trouvent conciliées dans le De sapiente. Outre le dogme de la résurrection du corps, la théologie trinitaire y contribue pour une part essentielle. D’une part, elle assure une place à la dimension charnelle de l’être humain au cœur même de la divinité. De l’autre, la recherche de ses « traces » dans la création, amplifiant la tradition augustinienne, conduit à une revalorisation des créatures40. Ainsi, la sagesse spéculative est-elle définie comme la connaissance intime, réflexive, aimante de soi-même, dont le modèle est donné par le Dieu trinitaire. Mais loin de faire de cette structure trinitaire l’apanage des facultés et des processus purement intellectuels, Bovelles distingue aussi sa présence dans la sensation et dans une certaine forme de plaisirs sensibles, susceptibles de réconcilier en l’homme le corps et l’esprit, et de manifester la concorde, l’unité, la paix et l’equalitas qui existent de manière éminente entre les trois personnes divines. C’est ainsi que Bovelles accorde un développement particulier à l’analyse des correspondances entre les différents sens, repérant trois types de correspondances elles-mêmes ternaires, gage de leur excellence. Les objets sensibles qu’il mentionne dans cette analyse sont d’une certaine façon à mi-chemin entre un usage intellectuel, spiritualisé, des sens – on remarque ainsi qu’au goût est associé la parole, et non la nutrition – et le plaisir sensible. Il ne s’agit pas en effet de n’importe quels corps sensibles, mais d’objets agréables ou beaux : couleurs, variété des peintures, harmonie musicale, odeurs suaves.
Manus quippe (que tactus quidam sunt) oculis ministrant scripturas, colores et omnimodarum picturarum uarietates. Os Auditui uoces, concinentiam omnemque harmoniam offert. Olfactus cerebrum (imaginationis et spectrorum locum) uariis inspirat odoribus, grataque fouet suaueolentia. Igitur tres sunt, qui offerunt, ministrantque sensus : Tactus, Gustus, Olfactus. Tres item quibus ministrantur : Uisus, Auditus, Imaginatio. Tria sunt et que offeruntur quibusue hi ab illis pascuntur, aluntur, fouenturque : Color, Vox, Odor. Insunt igitur sensibus trine trinitates : prima ministrantium sensuum. Secunda eorum quibus ministratur. Tertia obiectorum que ministrantes prestantioribus offere iubentur41.
27L’analyse, plus développée dans le De sensu, accordera même une valeur éthique capitale à l’odorat, comme sens intermédiaire réalisant l’unité du corps et de l’âme, associé au type de biens que l’on pourrait qualifier par excellence de plaisants chez Bovelles : non ceux de l’âme seule, les honestia, ni ceux qui ne concernent que le corps, les utilia, mais ceux qui, selon l’image nuptiale employée par Bovelles, « chantent l’épithalame »42 de l’âme et du corps, les delectabilia.
28Parce qu’en dernier ressort, la sagesse, chez Bovelles, est tout à la fois connaissance et amour, parce que les dogmes de la Trinité et de la résurrection du corps tempèrent le rejet de la dimension corporelle qui pourrait être celle d’une conception purement spéculative et philosophique de la vie heureuse, sans doute faut-il prêter attention à certaines expressions inattendues employées avec une insistance notable dans le De sapiente pour évoquer les délices propres au sage. L’exemple le plus significatif que nous donnerons est l’analogie du baiser. Celle-ci est d’abord appliquée aux rapports du ciel et de la terre, le premier couvrant celle-ci de baisers (exosculatur), puis aux échanges harmonieux entre le macrocosme et le microcosme, qui atteignent leur plénitude dans la personne du sage. C’est pour finir la connaissance intérieure du sage et son activité spéculative qui sont évoquées et figurées par des visages tournés les uns vers les autres et s’embrassant :
(…) nature Homo ignorantia sui est et Insipientia quedam ; studiosus uero seu uirtutis Homo : sui scientia, lux, aspectus, agnitio et Sapientia nuncupatur. Ignorantia autem sui haud aliud profecto est quam duorum uultuum inaspectus, mutua auersio ac dissociatio. Scientia uero sui est amborum uultuum grata exosculatio43.
29Bien que l’image du baiser soit largement susceptible, dans la littérature spirituelle, de lectures allégoriques, il nous semble qu’elle ne se réduit pas ici au rôle d’image. Sa présence multiple nous paraît indiquer la place discrète mais bien réelle que Bovelles accorde au corps dans l’ensemble de son système44. Il suggère que celui-ci peut s’intégrer à une expérience spirituelle dont la réalisation, tout en restant problématique – impliquant la mort du corps, ou bien réalisée momentanément dans l’expérience du ravissement longuement réfléchie dans d’autres œuvres de Bovelles – est présentée comme l’accomplissement même auquel tout homme est promis. La part de jeu permise par l’emploi du langage figuré – faisant osciller l’esprit du lecteur entre plaisir physique et plaisir spirituel – s’adapte peut-être particulièrement bien à la part d’inconnu qui entoure la forme prise par le corps ressuscité dit « glorieux » selon la terminologie catholique, tout en donnant à entendre que la béatitude céleste est la pleine harmonisation du spirituel et du corporel.
30Il serait difficile, dans le cas de Bovelles, de déduire de sa conception du plaisir une appartenance philosophique claire et unique. Si l’on reprenait l’exposé des différentes doctrines du plaisir dans le De uoluptate de Ficin, on pourrait être tenté de rapprocher sa terminologie de la position néo-platonicienne, tandis que les plaisirs qu’il associe au développement moral, intellectuel et spirituel de l’homme sont davantage apparentés à la notion aristotélicienne de perfectio, d’actualisation des virtualités humaines. On a vu également que la tranquillité et la sobriété du sage à l’égard des plaisirs terrestres donnent à certains passages du De sapiente des accents stoïciens. Mais en réalité, la démarche même de Bovelles ne nous incite guère à le classer dans une école quelconque, lui dont les seules autorités avouées, dans le De sapiente, sont Salomon, Denys l’Aréopagite, ou encore le poète Bigi. Son aristotélisme nous paraît essentiel à restituer pour mieux comprendre la place relative mais bien réelle reconnue au corps et aux plaisirs sensibles, l’importance des sources chrétiennes, scripturaires, qui se font sentir jusque dans le détail des expressions métaphoriques, et théologiques, est déterminante. Le dessein fondamental de Bovelles ne nous semble pas d’accorder le platonisme ou l’aristotélisme avec le christianisme, mais de fait, il développe, à partir de certains dogmes chrétiens, une pensée philosophique qui ne se refuse ni les beautés poétiques des Ecritures ni la délectation des symboles et des lettres humanistes.
Notes de bas de page
1 Ce volume se distingue matériellement par son format (in-folio, 198 f.) des autres publications de Bovelles. Publié en février 1511 (anc. st. 1510) par Jean Petit pour Henri Estienne, il est connu sous le titre Que hoc volumine continentur. […] Liber de sapiente […]. Le De sapiente est le seul traité de ce recueil à avoir suscité plusieurs éditions, traductions et interprétations modernes. Parmi les deux traductions françaises, nous utiliserons, en la corrigeant parfois, celle de Pierre Quillet, parue à la suite de sa traduction d’Individu et Cosmos dans la Philosophie de la Renaissance, Ernst Cassirer, Paris, Éditions de Minuit, 1991 (1re éd. 1983). Cet article s’appuie sur notre thèse, La figuration de la pensée et les médiations sensibles dans la littérature de la Renaissance à partir de Charles de Bovelles (1479-1567). Bovelles pédagogue, sous la dir. de M. M. Fontaine, Lille 3, 2006, à paraître chez Droz. Elle propose une lecture d’ensemble de l’œuvre philosophique de Bovelles à partir des figures présentes dans tous ses traités. Elle est étayée par la traduction et le commentaire du De sensu, dont nous préparons l’édition.
2 Il n’existe pas de bibliographie exhaustive des œuvres de Charles de Bovelles à ce jour. On se reportera à Augustin Renaudet, Préréforme et Humanisme à Paris, pendant les premières guerres d’Italie (1494-1517), Paris, librairie d’Argences, 1953, et à Emmanuel Faye, Philosophie et perfection de l’homme, Vrin, 1998. Pour la bibliographie critique, la mise au point la plus récente se trouve dans Jean-Claude Margolin, Lettres et poèmes de Charles de Bovelles. Édition critique, introduction et commentaire du ms. 1134 de la Bibliothèque de l’Université de Paris, Champion, 2002, p. 869-75. Certes, Bovelles a publié un certain nombre d’opuscules autonomes, déjà significatifs de sa pensée, avant 1511. Mais ces petits livres, étroitement liés aux questions suscitées par le programme des études que les fabristes s’efforcent de renouveler au Collège du Cardinal Lemoine, sont sans commune mesure avec le volume qui nous intéresse.
3 Dans le De uoluptate, Marsile Ficin caractérise les positions platonicienne et péripatéticienne par des partis pris terminologiques différents. Alors qu’Aristote entend par voluptas l’agrément qui provient de l’action vertueuse et de la contemplation, tout autant que des plaisirs corporels, Platon réserve ce terme à ces derniers, qu’il condamne unilatéralement, et désigne par gaudium et laetitia des mouvements nobles de l’âme. Bien que Ficin déclare sans conséquence sur le fond ces divergences de vocabulaire, il laisse pourtant entendre que la définition même de l’homme et de sa perfection – par l’âme seule pour Platon, par le composé de l’âme et du corps chez Aristote – est sous-jacente à ces choix lexicaux. Le De uoluptate a été écrit en 1457 par Ficin. Nous avons consulté l’édition qui suit le De mysteriis Aegyptorum de Jamblique et de nombreuses traductions de Plotin, Porphyre, Xénocrate etc., Venise, Alde Manuce, 1516. Voir notamment les chapitres I-II sur Platon, f. 88 v°-90 v° et III-VIIII, f. 91 r°-96 r°, qui confrontent la doxa platonicienne avec celle des Péripatéticiens.
4 Le chapitre I du De uoluptate de Ficin, Op. cit., f. 88 r°-89 v°, donne un bon exemple de cet emploi allégorique du langage. Il explique terme à terme ce qu’il faut comprendre par ambrosia, alimonia ou fruges dans le mythe central du Phèdre. L’interprétation chrétienne d’un livre aussi riche d’évocations sensuelles que le Cantique des cantiques, et dont certaines inspirent peut-être le choix de termes du De sapiente, met en œuvre pour partie un processus similaire de « spiritualisation ». Néanmoins, celui-ci comporte des différences, qui proviennent en particulier de l’importance que le dogme de l’Incarnation donne au corps humain.
5 Henri de Lubac, dans un article bref mais éclairant, s’emploie à corriger la vision erronée d’un certain nombre d’études qui ont interprété la pensée de Bovelles comme la promotion d’un idéal humain qui serait « moderne », parce qu’affranchi de toute visée transcendante. Il note déjà l’importance des réminiscences bibliques et patristiques dans les formules qui ont fait l’objet des interprétations les plus tendancieuses, et dont seules étaient exploitées les rapprochements possibles avec les Florentins – Marsile Ficin et Pic de la Mirandole essentiellement. Il mentionne aussi la présence récurrente de citations empruntées au poète Bigi (« Le sage selon Charles de Bovelles », in Mélanges offerts à M. D. Chenu, Vrin, 1967, p. 385-97). Sur Bigi, voir plus loin, n. 34.
6 De sapiente I, f. 119 r°-120 v°. Nous nous appuyons sur l’article « Péchés capitaux » du Dictionnaire de Spiritualité, t. XII, col. 210-212, qui indique l’existence de listes canoniques concurrentes recensant les péchés capitaux, et la place habituellement dévolue à l’orgueil. Jean Cassien, cité à deux reprises par Bovelles dans le De septem uitiis dont nous parlerons ultérieurement, est une des sources fondamentales en ce domaine.
7 Nous nous écartons sur ce point de la traduction de Pierre Quillet, qui emploie le terme « avarice ». Dans le De sapiente, l’auaritia n’est pas en effet le désir d’accumuler la richesse pour elle-même. C’est dans le De septem uitiis que ce terme désigne l’avarice, présentée comme une forme encore plus monstrueuse et rare de l’avidité : lorsque les richesses ne sont plus convoitées pour satisfaire les envies suscitées par l’orgueil, l’envie, la luxure ou la gourmandise, mais deviennent une finalité en soi.
8 Voir par exemple la préface de 1492 de Lefèvre d’Etaples à ses paraphrases de la Physique, dans E. F. Rice, The Prefatory Epistles of Jacques Lefèvre d’Etaples and related texts, New York et Londres, Colombia University Press, 1972, p. 4-7. Voir aussi la lettre de 1515 de Bovelles à Nicolas Bérault (éd. J. Chomarat), « Platon et Aristote à Paris au printemps de 1515 », Moreana, 41 (1974), p. 49-56.
9 De septem uitiis liber unus, publié à la suite du De laude Hierusalem liber unus. Eiusdem de laude gentium liber unus ; de concertatione et area peccati liber unus, Lyon, Sébastien Gryphe, 1531.
10 De sap. I, f. 119 v° : « Quant à celui qui s’est gardé des extrêmes, celui qui, dans un juste équilibre, s’est maintenu au milieu et s’est établi dans l’Homme, qu’il soit tenu, comme il convient, pour Homme en vérité, pour lettré, probe, sage, riche et bienheureux » (trad. citée, p. 308).
11 Ce fait intervient en faveur de la thèse défendue par E. Faye, Op. cit., qui affirme la continuation de la veine proprement philosophique chez Bovelles, contre l’interprétation antérieure de J. -M. Victor, Charles de Bovelles, 1479-1553, an intellectual biography, Droz, THR CLXI, 1978. Selon ce dernier, l’œuvre de Bovelles après les années 1515 se consacrerait exclusivement à la théologie et à la mystique.
12 De sap. figure f. 119 v°.
13 La filiation entre Raymond Sebond et Bovelles est traitée par E. Faye, Op. cit., p. 83-6, 96-8. Deux lettres de Bovelles, qui accompagnent en 1508 l’envoi du livre de Sebond à ses amis Jean Cocon et Nicolas de Sainct, expriment l’admiration du philosophe pour la Theologia naturalis. Voir Commentarius…, Op. cit., f. 53 r°-55 v°.
14 De sap. XVI, f. 127 v°, « Philoxenus ille protensiora ad gruis modum guttura expostulasse denarratur » (trad. cit., p. 347).
15 Ibid. XVI, f. 127 v°, « gule facile principem : in pultaria emungi solitum, legimus : ut abstinentibus cunctis solus epulis, ampliter frueretur » (trad. cit., p. 347). Ces deux anecdotes viennent des Moralia de Plutarque, « De latenter videndo », I, 1128a, et sont très fortement représentées au XVIe siècle. On les retrouve notamment dans le Prologue de 1548 du Quart Livre de Rabelais, ainsi que dans celui du Cinquiesme Livre (Œuvres complètes, Mireille Huchon (éd.), « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1994, p. 718 et 726, n. 7, p. 1594 et n. 1, p. 1619, qui donne la référence chez Plutarque). Voir aussi les Emblèmes d’Alciat, traduits par B. Aneau, Roville, 1549, p. 112, avec le commentaire d’Aneau.
16 « Et combien de coupes, de pintes de vin absorbées ! Ne dirait-on pas que la plupart des hommes sont nés pour ingurgiter du vin ? Tant et si bien qu’on croit à grand-peine la providence de la Nature capable d’alimenter le genre humain, qui est pourtant la moins nombreuse des espèces vivantes » (trad. cit., p. 347).
17 Il s’agit des Prouerbiorum uulgarium libri tres, Paris, Pierre Vidoue pour Galliot du Pré et Jean de Roigny, 1531 et des Proverbes et dicts sententieux avec l’interprétation d’iceux, Paris, Sébastien Nivelle, 1557. On constate également dans le De septem uitiis que Bovelles prend pour exemple privilégié la Gula, même si la luxuria y est davantage présente. Mais Bovelles affirme vigoureusement à plusieurs reprises que la beauté et la féminité sont en elles-mêmes des biens, et que seul leur jouissance exagérée est condamnable. On pourra comparer avec les condamnations platoniciennes du plaisir du De uoluptate de Ficin, qui ont pour cible implicite, au contraire, ce même plaisir sexuel. Voir De uoluptate, Op. cit., f. 89 r°, avec l’analogie significative de la mens humaine qui se prostitue.
18 Proverbes XXIII, 31.
19 De sap. XVI, f. 127 v° : « Tel est bien en effet, le précepte des livres sapientiaux : Ne regarde pas le vin quand il scintille dans le verre. Telle est aussi la conduite que nous enseigne dans ses vers le poète Ludovico Bigi Pittorio : Si tu es touché par l’amour de la vie, de la gloire,/Que ta faim ne dépasse pas la capacité de ton ventre » (trad. cit., p. 346). Voir Bigi, Opusculorum christianorum libri tres, Modène, 1498, Livre II, poème 23, « Crapulam detestatur » (éd. non paginée).
20 Le nom de ce poète, répertorié sous les formes « Bigi », « Pittorio », « Pittori » ou encore « Ludovici Bigi », connaît de nombreuses variantes selon les catalogues et dictionnaires biographiques : Lodovico Pittorio Bigi, Bigus, Bigo, voire Bicus. Sur lui, voir plus loin, n. 34.
21 De sap. XVIII, f. 129 r° : « La pensée du Sage est luxuriante et toujours pleine. Si elle désire une chose, elle la poursuit comme une chose dont elle ne ressent ni le manque ni le besoin ; elle n’est angoissée d’aucune privation, elle ne languit d’aucune amertume, et toute privation est pour elle plénitude. Elle n’est pas déchirée immodérément d’appétits, car elle réprime l’ardeur des désirs ; elle arrête les élans inconsidérés et imprévoyants » (trad. cit., p. 351).
22 Ibid. XVIII, f. 129 r° : « Dès l’instant que ces trois principes, donc, l’Intelligence, le Pouvoir, le Vouloir, s’unissent en un chœur concordant, l’action du Sage est libre, facile, sans obstacle » (trad. cit., p. 352).
23 Ibid. XXXII, f. 137 v°-129 [138] r° (trad. cit. et modifiée, p. 390).
24 Ibid. XVIII, f. 129 [138] r°.
25 Ibid. XVII, f. 128 r° : « Il n’est dans ces parages ni précipices, ni écueils, ni aspérités ; tout y est aplani, doux, égal : partout des prés verdoyants, semés de fleurs délicieuses, sans précipices, sans abîmes ni escarpements ; l’esprit peut y courir librement, çà et là, même la nuit, sans lumière extérieure, sans risquer l’effondrement, la noyade, la perdition. La zone des biens temporels est au contraire vaseuse, pleine d’aspérités, inégale, rompue çà et là de vastes précipices, dans lesquels l’esprit, s’écartant de la voie médiane, fait aussitôt naufrage et périt » (trad. cit., p. 349).
26 On trouve un développement similaire parmi les arguments platoniciens du De uoluptate de Ficin, mais utilisé cette fois-ci afin de dévaluer le plaisir : celui-ci n’a pas de fin en soi, mais n’est que l’auxiliaire de la nécessité. Voir De uoluptate, Op. cit., f. 89 v°.
27 Selon E. Faye, le De sapiente, tout en faisant de la connaissance de Dieu l’objet par excellence de la sagesse contemplative, se distingue considérablement des philosophies médiévales en ce qu’il ne fait pas du Christ le modèle de l’homme achevé, et qu’il évite de recourir aux notions théologiques habituellement convoquées : dignité originelle, chute, rédemption. De fait, mise à part une brève mention, le Christ est absent du De sapiente, alors même que le Commentarius in primordiale Euangelium Ioannis de Bovelles, publié la même année, rappelle l’interprétation chrétienne traditionnelle, qui fait de la Sagesse une figure prophétique du Christ. Il n’en demeure pas moins que le nombre de citations bibliques – dont toutes ne sont pas signalées par les éditions modernes – est bien plus important que dans les autres œuvres philosophiques.
28 De sap. XV, f. 127r° : « Elle déclare qu’elle est plus douce que le miel, plus désirable que l’or, préférable aux pierreries et à toutes les perles, dispensatrice, en outre, de tous les biens, l’éclat de la divine vertu » (trad. cit., p. 344). On reconnaît ici, paraphrasés, le Ps. 118, v. 72 et 103, Sir 24, 27, et sans doute Sg. 7, 26.
29 Ibid. XV, f. 127 r°, « Poussant et excitant les dormeurs, elle les exhorte à la désirer » (trad. cit., p. 344). La Sagesse éveille les dormeurs en Sir. 24, 45.
30 Voir par exemple Sg. 6, v. 11, 17 et 20 ; Sir. 6, 37.
31 Ibid. XV, f. 127 r° : « (…) Sans cesse, sa pensée est réconfortée d’aliment spirituel, elle s’enfle d’un embonpoint divin et sacré, l’ambroisie céleste l’inonde, de pâture angélique il se repaît assidûment et jamais ne s’en rassasie. Car l’aliment céleste accroît son saint désir ; tout en comblant d’un plaisir incessant la faculté propre à le recevoir et qui le recherche de toutes ses forces, il ne manque pas cependant de susciter une faim et une soif toujours plus grandes. Plus il s’en nourrit, en effet, et plus il le désire avidement et avec un plus grand plaisir ; à mesure que l’heureux convive de Dieu, compagnon des Anges, commensal et voisin des Saints, est admis à la dégustation du divin nectar, toujours assoiffé, jamais regorgé de la liqueur sacré, il brûle toujours davantage et sollicite l’ondée bienfaisante » (trad. cit., p. 343-344).
32 Voir ainsi Niccolo Perotti, Cornu copia seu linguae Latinae Commentarii, Jean-Louis Charlet (éd.), Instituto Internazionale di Studi Piceni, Sassoferrato, 1991, t. II, Livre I, épigramme 2, n° 702, p. 261 et n° 704, p. 262.
33 De sap. XV, f. 127 r° : « Ô table bienheureuse, plus belle que tout au monde./Ô festins trois fois et quatre fois fortunés ! » (trad. cit., p. 345). Bigi, Opuscula christiana, Op. cit., Livre II, poème 28 : Pacem divinam laudat.
34 Ludovico Bigi Pittorio est né en 1454, à Ferrare. La date de sa mort, située entre 1520 et 1525, est inconnue. Les biographes hésitent aussi à en faire ou non un ecclésiastique. Il est l’auteur d’homélies sur les évangiles et épîtres des dimanches et fêtes en langue vulgaire, dont on connaît de nombreuses éditions à Venise (1518, 1537, 1573, 1583, 1599). Ses poèmes comprennent, en outre, plusieurs éloges de la virginité religieuse. Les publications successives de recueils de poésies latines, Candida, publié à Modène (Rocociola, 1491), puis les Tumultuariorum carminum libri septem, publiés à Modène (D. Rocociola, 1492), les Opusculorum christianorum libri tres, dont on connaît deux éditions à Modène (D. Rocociola, 1496 et 1498), ou encore l’Epigrammatum in Christum uitam libellus publié à Milan (J. A. Scinzenzeler, 1513), laissent deviner une forme de « conversion », qui se traduit littérairement par le passage de la poésie amoureuse à la poésie dévote, conversion dont les biographes se font l’écho. On notera que les Opuscula christiana ont été édités également à Strasbourg (Schürer, 1509) avec l’intervention de Beatus Rhenanus. Ce dernier fait (relevé par H. de Lubac, art. cit.) nous rapproche de Bovelles, puisque Beatus Rhenanus a été élève au collège du Cardinal Lemoine. Beatus Rhenanus a aussi participé à l’édition d’un recueil d’épigrammes qui comprend des poèmes de Bigi (Bâle, Froben, 1518). On trouve de nouveau plusieurs citations explicites du poète Bigi chez Bovelles dans l’édition augmentée de lettres qui suit le Commentarius in primordiale Euangelium diui Ioannis de Bovelles paru à Paris, chez Josse Bade, en 1514. Voir en particulier les lettres à Jean Caron, chanoine de Noyon, à Barnabé Burrek, abbé suisse, et au médecin Pierre Trémolet, f. 57 v°-60 r°, 61 v° et 73 r°-74 v°. Sur Bigi, voir Michaud, Biographie universelle, ancienne et moderne, 1862, t. 33, p. 449-50, et Cosenza, Biographical and Bibliographical Dictionary of the Italian Humanists, Boston, 1962, vol. 4, p. 2764. Bigi ne figure pas encore dans le Dizionario Biographico Degli Italiani, qui le range à « Pittorio, Ludovico ».
35 Voir la lettre à Barnabé Burreck du 3 juillet 1510, Op. cit., f. 61 r°.
36 « Car lorsqu’il inclina pieusement pour la religion, sa poésie y perdit tout autant que sa vie y gagna » (notre trad.). Voir Lilio Gregorio Giraldi, Dialogi duo de poetis nostrorum temporum, Florence, 1551, p. 33 et La Croix du Maine, Les Bibliothèques françoises, fac-similé, Graz, t. VI, p. 157.
37 De sap. VIII, f. 121 v° : « Comme le chante Ludovico Bigi Pittorio : L’esprit né pour les entretiens de la cour éthérée/Jamais ne sera en paix en un séjour terrestre./Il faut que le Sage s’envole vers les demeures d’en haut,/S’il veut se rassasier à pleine gorge » (trad. cit., p. 328). Bigi, Opuscula christiana, Op. cit., Livre II, poème 37.
38 Veliuolare (le vol à voile, quand les ailes s’appuient sur le vent) et remigere (le battement d’ailes des oiseaux ramiers) désignent deux modes de propulsion des oiseaux (voir Jules Duhem, Histoire des idées aéronautiques avant Montgolfier, Paris, Sorlot, 1943) ; ces notations de volerie sont fréquentes dans la littérature de la Renaissance (Marie Madeleine Fontaine, « Nager, voler », dans Ronsard et les éléments, A. Gendre (éd.), Droz, 1992, p. 67-124).
39 Le titre même de ces dialogues indique la suite logique que constitue, pour Bovelles, l’affirmation de l’immortalité de l’âme, de la résurrection du corps, mais aussi, de surcroît, de la restauration du monde tout entier. Il s’agit des Dialogi tres de animae immortalitate, resurrectione, mundi excidio et illius instauratione, dont il existe une édition parisienne, chez Regnaud Chaudière, datée de 1551-1552, et une édition lyonnaise, chez Sébastien Gryphe, de 1552.
40 Elle constitue l’objet d’autres passages de Bovelles que nous analysons dans notre thèse.
41 De sap. XXX, f. 135 v° : « Les mains en effet, organes du toucher, fournissent aux yeux les écritures, les couleurs et toute espèce de peintures. La bouche offre à l’ouïe les voix, leur accord et toute harmonie. L’odorat pénètre le cerveau, séjour de l’imagination et de ses fantômes, de parfums variés et le flatte agréablement de leur douce senteur. Il y a donc trois sens qui offrent et pourvoient : le tact, le goût, l’odorat ; trois, en outre, qui sont ainsi pourvus : la vue, l’ouïe, l’imagination ; il y a trois éléments qui sont offerts et dont ces trois derniers sens sont nourris, sustentés, réchauffés par les trois autres : la couleur, le son, l’odeur. Il y a donc dans les sens une triple trinité : la première, celle des sens pourvoyeurs ; la deuxième, celle des sens ainsi pourvus ; la troisième, celle des objets que les sens pourvoyeurs sont chargés d’offrir aux sens plus élevés » (trad. cit., p. 381-82).
42 L’expression, employée à plusieurs reprises, est étonnante. Nous nous en expliquons ailleurs.
43 Ibid. XXXII, f. 129 r° : « (…) l’Homme de nature est ignorance de soi et une certaine Folie ; alors que l’Homme lettré ou Homme de vertu s’appelle science, lumière, vision, connaissance de soi et Sagesse. L’ignorance de soi cependant veut dire évidemment que les deux visages se tournent le dos, se détournent mutuellement l’un de l’autre, se dissocient. Quant à la science de soi, elle est le plaisant baiser des deux visages. » (trad. cit., p. 390).
44 Nous développons ailleurs l’analogie du baiser chez Bovelles, à la lumière des commentaires du Cantique des cantiques. Sur l’histoire de l’interprétation de ce livre biblique à la Renaissance, voir Max Engammare, « Qu’il me baise des baisiers de sa bouche ». Le Cantique des cantiques à la Renaissance. Étude et bibliographie, Droz, THR CCLXXVII, 1993.
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