La notion de uoluptas chez Lucrèce et sa réception dans la poésie érotique romaine (Virgile, Buc. 2 ; Géorg. 3 ; Properce, 1, 10 ; Ovide, Hér. 18 ; Ars ; Mét., 4)
p. 141-159
Texte intégral
1Le mot uoluptas est rare dans la poésie érotique romaine. Est-ce parce qu’il est marqué par l’usage qu’en a fait Lucrèce, qui explicite longuement le sens de ce terme dans deux passages de son texte devenus célèbres : le prooemium du livre 1 et la fin du livre 4 ? On peut le supposer et je vais essayer d’appuyer cette hypothèse, en proposant un parcours, de Lucrèce à trois poètes qui choisirent de reprendre ce mot : Virgile, Properce et Ovide.
2C’est le moment où un nouveau genre littéraire vient de naître à Rome avec un recueil dont le succès fut, lui aussi, exceptionnel : les Amores de Gallus. Je voudrais, à l’occasion de ce parcours, montrer quels furent les enjeux d’une reprise du terme lucrétien, dans un contexte dominé par l’analyse de la passion amoureuse proposée par le premier des élégiaques.
3Je commencerai par quelques généralités sur le recours au terme uoluptas dans le De rerum natura. Dans le prooemium du livre 1, le poète s’adresse à Vénus qu’il qualifie, dès le premier vers, de hominum diuomque uoluptas. L’idée de génération est amorcée dès le deuxième mot : genetrix, dont la racine se retrouve ensuite au vers 4 dans genus, au vers 11 dans genitabilis et au vers 20 dans generatim. La déesse est évoquée comme le principe du désir sexuel, qui assure la reproduction des espèces.
4Lucrèce propose des effets de la uoluptas une vision joyeuse, centrée sur le motif du mouvement. Elle a pour cadre temporel le retour du printemps décrit comme le moment où, délivré de tout élément négatif (vents et nuages), le monde n’est plus que lumière, apaisement du ciel et des flots, terres parsemées de fleurs et sourires de la mer. La uoluptas s’y diffuse à travers tous les êtres vivants : elle frappe leurs cœurs (perculsae corda tua ui : 13, incutiens : 19) et agit comme une force intérieure qui les jette à la poursuite (sequitur : 16) de ce qui permettra son assouvissement :
Inde ferae, pecudes persultant pabula laeta,
et rapidos tranant amnis : ita capta lepore
te sequitur cupide quo quamque inducere pergis.
Denique per maria ac montis fluuiosque rapacis,
frondiferasque domos auium camposque uirentis,
omnibus incutiens blandum per pectora amorem,
efficis ut cupide generatim saecla propagent1.
5Le texte joue ici d’ellipses : rien n’est dit sur ce qui se passe entre le mouvement qui pousse à l’accomplissement du désir et la naissance d’un être qui perpétue l’espèce. Mais après tout, il n’y avait, sans doute, rien à en dire : la sexualité animale (il n’est question que d’elle dans ces vers) ne connaît pas la souffrance, à l’inverse de l’homme, dont Lucrèce parlera au livre 4. A ces images de mouvements, les mots : laeta (14), blandum… amorem (19), cupide (16 ; 20), donnent une tonalité heureuse, qui atteint son acmé au moment de la prière personnelle du poète : quoniam (…) nec sine te quicquam dias in luminis oras/ exoritur, neque fit laetum neque amabile quicquam, /te sociam studeo scribendis uersibus esse2.
6La vision qu’il donne du couple Mars/Vénus n’altère pas cette atmosphère : il semble que la scène se situe avant l’union sexuelle et même à sa place. Tous les termes qui décrivent le corps des amants disent le repos : tereti ceruice reposta (35), resupini (37), recubantem (38) pour lui, tuo… corpore… circumfusa (38-39) pour elle. Et, si l’on s’en tient aux mots et à la position du corps du dieu : in gremium… se reicit (…) pascit amore auidos inhians in te, dea, uisus/eque tuo pendet resupini spiritus ore3, indépendamment du contexte, on pourrait y voir plutôt l’attitude d’un enfant avec sa mère.
7Qu’en est-il, en fait, de la sexualité chez les hommes ?4 Il faut attendre les livres 4 et 5, pour voir le sujet abordé et amplement traité. Je commencerai par le livre 5 pour des raisons chronologiques : c’est là que Lucrèce propose une reconstitution des premiers âges de l’humanité. Quatre vers décrivent les relations sexuelles qui auraient été celles des hommes aux temps où ils n’étaient pas encore organisés socialement (… neque ullis/moribus inter se scibant nec legibus uti)5 :
Et Venus in siluis iungebat corpora amantum ;
conciliabat enim uel mutua quamque cupido,
uel uiolenta uiri uis atque inpensa libido,
uel pretium, glandes atque arbita uel pira lecta6.
8Cette reconstruction aboutit à répertorier des cas de figure que l’on peut trouver aussi dans un cadre social : les relations sexuelles auraient eu pour origine soit le désir réciproque, soit deux façons pour un homme de se procurer une partenaire : la violence ou les cadeaux. La prédominance est donnée ici au désir (Venus est glosée par cupido et libido), appuyé ou non par la force (la juxtaposition de mots commençant par ui : uiolenta, uiri, uis, tend à suggérer que son usage est dans la nature de l’homme).
9L’évolution se fera dans le sens de « l’amollissement », la notion que les Romains opposent au faisceau constitué par tout ce qui relève de la uis, des uires et de la virilité. Le genre humain aurait « commencé à s’amollir » (primum mollescere coepit ; 5, 1014) sous l’effet de nouveaux usages : (les cabanes, les peaux de bêtes, le feu), le choix d’une partenaire unique (et mulier coniuncta uiro concessit in unum)7 et la prise de conscience du processus de procréation : prolemque ex se uidere creatam8. Les corps deviennent plus sensibles au froid et, je cite, et Venus inminuit uiris, puerique parentum/blanditiis facile ingenium fregere superbum9. Lucrèce recourt au même mot qu’au vers 962 : Venus ; il est ici aussi mis en relation avec les uires. Mais cette relation n’est pas de l’ordre de la conjonction ; il s’agit d’une opposition : Venus « diminue » les uires. Il semble que le mot Venus correspond, comme dans le passage précédent, à cupido ou libido. Les blanditiae, qui auraient un effet sur l’esprit, sont ici seulement associées aux rapports entre parents et enfants.
10Pas de recours, dans tous ces développements, au mot uoluptas. Il va, en revanche, réapparaître à propos d’une autre étape dans l’évolution de l’humanité : la naissance de la musique avec l’invention de la flûte. Il s’agit d’un des moments du De rerum natura qui suscitera le plus d’échos dans la poésie augustéenne10. Le modèle culturel de cette musique primitive est manifestement la poésie pastorale, une invention de l’époque hellénistique, ainsi projetée au temps des origines. L’amour en moins : il n’est pas question, dans l’évocation de ces moments d’otium, des contenus thématiques qui sont associés aux chants de bergers par un Théocrite ou un Bion.
11Pour Lucrèce, le plaisir procuré par les premiers récitals champêtres (dulcedini’ fructum, v. 1410) n’a jamais, depuis, été dépassé. Car, en matière de plaisir, l’homme se laisse prendre à une illusion : il l’associe à la nouveauté :
Nam quod adest praesto, nisi quid cognouimus ante
suauius, in primis placet et pollere uidetur,
posteriorque fere melior res illa reperta
perdit, et immutat sensus ad pristina quaeque11.
12Le philosophe y voit l’origine d’une des déviances qui ont fait le malheur du genre humain : son incapacité à limiter son désir de possession :
Ergo hominum genus incassum frustraque laborat
semper, et (in) curis consumit inanibus aeuom,
nimirum quia non cognouit quae sit habendi
finis et omnino quoad crescat uera uoluptas12.
13C’est une variante de ce comportement qui, nous allons le voir, a été également à l’origine du jugement négatif que Lucrèce porte sur ce qu’est, de son temps, l’amour pour l’homme13. Le point de vue choisi au livre 4 est exclusivement masculin. Tout part d’un phénomène physiologique : la formation d’un semen, qui, avec le passage à l’âge adulte, sollicitatur (« est l’objet d’agitations » ; 4, 1038). En l’occurrence, « ce qui fait sortir la semence humaine hors d’un être humain est uniquement la force exercée par un être humain » (ex homine humanum semen ciet una hominis uis ; 4,1040). Cet être humain peut être soit un puer d’aspect féminin, soit une femme. Remarquons qu’on retrouve, à propos de celui qui a été frappé par Vénus, le vocabulaire du mouvement, déjà rencontré au livre 1 : unde feritur eo tendit, gestitque coire/et iacere umorem in corpus de corpore ductum14.
14Haec Venus est nobis, conclut Lucrèce, hinc autemst nomen amoris15. Comme le passage précédent l’a mis en évidence, le désir érotique, sous sa forme physiologique (Venus) est, chez l’homme, suscité par un objet particulier. La suite va expliciter ce qu’est l’amor, une construction mentale à partir et sur cet objet particulier, dont les développements, si l’on n’y pas garde en tournant son esprit ailleurs (alio conuertere mentem ; 4, 1064), finissent par dégénérer en maladie incurable. Mieux vaut donc en rester à Venus : en effet Nec Veneris fructu caret is qui uitat amorem, /sed potius quae sunt sine poena commoda sumit16.
15Le philosophe décrit ensuite ce qu’est l’amor pour ceux qui y cèdent. Il s’agit d’une obsession de l’esprit, tourné vers un être unique, dont l’image est sans cesse sous les yeux et le nom aux oreilles. L’issue de cet amour, quand il est heureux, prend la forme d’un acte physique qui a une visée secrète : blesser et posséder l’être responsable de toutes ces souffrances, sous l’aspect d’une incorporation, qui, de fait, est impossible :
Quod petiere, premunt arte faciuntque dolorem
corporis, et dentes inlidunt saepe labellis
osculaque adfligunt, quia non est pura uoluptas
et stimuli subsunt, qui instigant laedere id ipsum,
quodcumque est, rabies unde illaec germina surgunt.
(…)
Adfigunt auide corpus, iunguntque saliuas
oris, et inspirant pressantes dentibus ora ;
nequiquam, quoniam nihil inde abradere possunt,
nec penetrare et abire in corpus corpore toto17.
16Le phantasme que met à jour l’analyse de Lucrèce témoigne de l’incapacité d’accepter la finis habendi, inhérente à la nature humaine. Le philosophe en donne, du reste, aussitôt après, d’autres exemples : ce comportement amoureux a, en effet, pour arrière-plan un genre de vie qui ignore aussi toute une finis habendi. Au luxe sans bornes des vêtements, parfums et bijoux répond celui des maisons et des banquets ; mais l’échec est, là aussi, au bout de la course :… medio de fonte leporum/surgit amari aliquid quod in ipsis floribus angat18.
17Pas de place ici pour la uoluptas à proprement parler. Quand, dans ce passage, Lucrèce recourt au mot, c’est pour expliquer qu’il ne s’agit pas d’un plaisir pur (v. 1081), mais mêlé de douleur (v. 1085). La seule occurrence positive est réservée à ceux qui échappent à la maladie qu’est l’amour, en préférant iacere umorem conlectum in corpora quaeque (« jeter le liquide amassé dans n’importe quel corps » ; 4, 1065) : Non certe purast sanis magis inde uoluptas/ quam miseris…19.
18La peinture de l’amor présentée au livre 4 a été rapprochée de celle des textes poétiques qui lui sont contemporains. Je m’intéresserai aux générations suivantes, qui ont été très influencées par la lecture du De rerum natura. Le mot uoluptas est rare dans les textes érotiques des poètes augustéens. D’où l’intérêt d’analyser ses quelques occurrences et de les confronter à la conception lucrétienne de Venus et de l’amor.
19Commençons par les Bucoliques, un recueil qui prend position, à plusieurs reprises, contre la conception de l’amour devenu célèbre avec les Amores de Gallus. Pour ce dernier, l’amour est un furor, une maladie donc, qui conduit à l’oubli de soi et de son rôle social. Le seruitium amoris est, à la fois, un signe de l’aliénation opéré par le sentiment amoureux et une technique pour conquérir l’objet qui l’a inspiré. Virgile a tendance à négliger ce deuxième aspect – stratégique – de l’esclavage amoureux, sous l’influence, très probablement, des analyses lucrétiennes. La Bucolique 2, considérée comme le premier texte du recueil qu’il aurait écrit, se termine sur la prise de conscience qu’il faut opérer une renuntiatio amoris, dans le cas où la passion n’est pas réciproque, en choisissant un autre objet amoureux : Inuenies alium, si te hic fastidit, Alexim20. On trouve le mot uoluptas dans le développement qui précède cette prise de décision :
Torua leaena lupum sequitur, lupus ipse capellam,
florentem cytisum sequitur lasciua capella,
te Corydon, o Alexi : trahit sua quemque uoluptas21.
20Servius indique que Virgile imite ici Théocrite, sans citer les vers auxquels le poète ferait allusion. La critique les a identifiés dans un passage de l’Idylle 10 : « Le loup poursuit la chèvre ; la chèvre le cytise ; la grue suit la charrue ; moi, je suis fou de toi » (30-31). Trois exemples pris dans le domaine de la nature servent, dans ces vers, de référents à un comportement amoureux qualifié de folie (μεμάνημαι ; 31). Le poète romain a laissé de côté le dernier exemple, qui rompait le cycle amorcé par la reprise d’un animal cité dans la proposition précédente. Le cas de la lionne qui suit le loup assure à son propre texte une cohérence absente dans l’original grec.
21Mais ce n’est pas le seul effet produit par ce changement. Le loup cherche la chèvre pour la manger ; ce qui est aussi le cas pour la chèvre avec le cytise. Quant à la grue, elle suit la charrue pour s’emparer du grain semé dans les sillons qu’elle a tracés. Comme l’a remarqué Jean Hubaux22, la lionne ne suit pas le loup pour le dévorer. Il signale l’existence d’une croyance en une particularité sexuelle des lionnes23 : selon Pline l’Ancien, parce que magna iis libido coitus (« l’envie de l’acte sexuel est puissante chez elles »), elles sont adultères et s’unissent aux léopards ; selon Solin, elles s’accouplent également aux mâles de l’hyène. Jean Hubaux ajoute, à ces deux textes, les vers 1258-1259 de l’Agamemnon d’Eschyle, où l’adultère d’une femme est mis, par le biais de la métaphore, en relation avec un exemple pris dans le règne animal, celui précisément de la lionne et du loup : « C’est elle, la lionne à deux pieds qui couchait avec le loup, en l’absence du noble lion, qui va me tuer, malheureuse ! ». Le cas de la lionne est donc similaire à celui de Corydon : deux exemples de désir sexuel, dont le point commun est l’excès, encadrent donc deux exemples de recherche de nourriture.
22Les mots sequitur et uoluptas sont, eux, lucrétiens. Comme souvent dans les Bucoliques, la référence à Lucrèce oriente la lecture que Virgile fait de Théocrite. Ici elle met les comportements répertoriés dans l’idylle 10 en relation avec une loi de la vie, celle de l’universelle uoluptas. Le désir sexuel apparaît comme un fait de nature équivalent au besoin de se nourrir. Faut-il aller plus loin ? Et voir, dans les exemples repris de Théocrite, une façon indirecte de rappeler au lecteur que l’acte sexuel, quand l’amant éprouve une passion obsessionnelle (ce qui est le cas de Corydon) est analysé, par Lucrèce comme l’équivalent phantasmatique d’une incorporation, dont le modèle est précisément la dévoration ?
Unaque res haec est, cuius quam plurima habemus,
tam magis ardescit dira cuppedine pectus.
Nam cibus atque umor membris adsumitur intus ;
quae quoniam certas possunt obsidere partis,
hoc facile expletur laticum frugumque cupido.
Ex hominis uero facie pulchroque colore
nil datur in corpus praeter simulacra fruendum
tenuia ; quae uento spes raptast saepe misella24.
23Le cas de Corydon est, à cet égard, doublement désespéré : celui qu’il aime ne répond pas à sa passion ; mais, à en croire Lucrèce, s’il le faisait, elle n’en serait pas davantage satisfaite. Immédiatement après ces vers, le berger, qui constate que la venue du soir met fin au travail de la charrue, se pose, enfin, la bonne question : Quis enim modus adsit amori ? (2, 68). Qui a lu Lucrèce, sait qu’il n’est pas vraiment de terme à ce que les hommes appellent amor. C’est à ce moment-là que le personnage construit par Virgile sur le modèle du Cyclope de Théocrite se rend compte de sa folie (dementia, v. 69) et prend une résolution salvatrice : renoncer à croire en l’unicité de l’amour, trouver « un autre Alexis », selon la loi naturelle de la uoluptas, dont les objets ne sont pas particularisés.
24Le renvoi à Lucrèce permet à Virgile de donner un sens plus fort au μεμάνημαι Théocrite. D’un autre côté, l’exemple de la lionne modifie la vision de la uoluptas donnée au début du De rerum natura : même dans le règne animal, le désir est excès et induit un comportement qui conduit au refus des limites : la lionne ne se contente plus de son partenaire naturel. Sa libido n’a rien à voir avec la reproduction, à laquelle est liée la survie d’une espèce, ce qui est également le cas de Corydon, amoureux d’un puer delicatus. La description que Virgile propose, au livre 3 des Géorgiques, de l’amour chez les êtres animés, confirme, nous allons le voir, cette vue négative du désir chez les hommes et chez les animaux, qui corrige, en quelque sorte, le point de vue du philosophe.
25Dans ce passage des Géorgiques25, le mot uoluptas n’apparaît pas. Cette absence est significative, car le texte est manifestement en rapport avec le livre 1 du De rerum natura. On trouve, à la place, le mot amor :
Omne adeo genus in terris hominumque ferarumque
et genus aequoreum, pecudes pictaeque uolucres
in furias ignemque ruont : amor omnibus idem26.
26La folie, qui, dans le texte des Bucoliques, n’était explicitement mentionnée qu’à propos de Corydon, est présentée ici comme une caractéristique générale de l’amour. La suite du texte développe cette théorie par une série d’exemples. Le premier, ce qui évidemment ne peut être un hasard, est celui de la lionne (on a souvent noté que la première occurrence du mot laeana se trouvait dans la Bucolique 2). Il n’est pas question, cette fois, de ses penchants à l’adultère, mais d’autres effets funestes produits sur son comportement. L’amor accroît, significativement, sa sauvagerie :
Tempore non alio catulorum oblita leaena
saeuior errauit campis…27
27Après la lionne, Virgile évoque le cas des ours, qui se livrent alors à des massacres (funera, stragem), du sanglier saeuos, lui aussi, et de la tigresse devenue pessima. Puis il reprend, à propos des chevaux, le motif du mouvement dans lequel chacun est emporté, mouvement dont le De rerum natura offrait, on s’en souvient, une vision légère et joyeuse. Virgile lui donne une tonalité extrêmement négative en le présentant comme quelque chose d’irrépressible, produit par une force intérieure sur laquelle n’ont de prise ni le maniement du mors, ni les coups de fouets, ni même les obstacles naturels : rochers, ravins, fleuves, torrents chargés de pans entiers de montagnes.
28Dans les deux exemples suivants, ce mouvement a clairement des effets auto-destructeurs. Le premier est pris, de nouveau, dans le règne animal : le sanglier aiguise ses défenses et se blesse aux épaules en les frottant contre des troncs d’arbres, pour s’endurcir contre la douleur, sans doute en prévision de ses futurs combats pour la conquête d’une femelle. Je m’arrêterai davantage sur le second exemple, qui est celui d’un homme. Plus de généralité cette fois, mais quelques traits qui permettent de reconnaître une histoire et de mettre un nom sur l’inconnu, dont l’aventure est ici évoquée parce qu’elle est exemplaire des effets d’un durus amor (v. 258). Il s’agit de Léandre, qui traversait, la nuit, le Bosphore pour rejoindre, sur l’autre rive, celle qu’il aimait, jusqu’à un jour de tempête où il se noya. Six vers lui sont consacrés, trois vers pour une description grandiose du ciel tonnant et de la mer démontée, trois vers pour une évocation pathétique de la douleur de ses parents et de la mort cruelle de la jeune fille, qui ne lui survivra pas. Autant de raisons qui auraient dû, s’il avait pu y être sensible, retenir cet amant aveuglé par la passion.
29L’expression durus amor renvoie à l’élégie ; l’histoire choisie aussi. Il est probable qu’elle ait trouvé à Rome sa première expression poétique dans les Amores de Gallus. On l’a supposé à partir de ce texte de Virgile, de l’intérêt que manifeste Properce pour les motifs de la mort par amour et des eaux dangereuses, et des lettres 18 et 19 des Héroïdes. Tout cela rend, en effet, vraisemblable une réécriture récente de cette histoire hellénistique par un auteur célèbre, dont l’influence aurait compté pour chacun de ces poètes. Le nom le plus crédible est celui de Gallus d’autant que les Héroïdes 18 et 19 contiennent, l’une et l’autre, une allusion au seul vers de ce poète qui était connu avant la découverte du papyrus de Qasr Ibrîm : rîm : uno tellures diuidit amne duas trouve des échos aux vers 125-126 de la lettre 18 : Ei mihi ! cur animis iuncti secernimur undis /unaque mens, tellus non habet una duos ?28 et au vers 142 de la lettre 19 : seducit terras haec breuis unda duas29.
30Il semble que la conception gallienne de l’amor-furor, ou plutôt la vision que Virgile en a, s’est surimposée, dans le passage des Géorgiques que nous venons de relire, et même substituée à l’analyse que Lucrèce fait et de la uoluptas et de l’amour. Il n’est plus question, chez Virgile, de cette force naturelle du désir à laquelle le philosophe associait l’idée de uoluptas et dont les hommes feraient, selon lui, l’expérience comme les animaux, quand ils ont la sagesse de ne pas s’attacher à un être unique. Hommes et animaux sont ici, de la même manière, victimes d’un amor, glosé par les mots furias et ruont, qui se traduit par un accroissement de la violence et de la sauvagerie, jusqu’à parfois aboutir à la mort.
31Le dernier exemple que Virgile évoque est, à cet égard, tout à fait significatif : il s’agit des cavales, chez qui le furor (v. 266) se manifeste de façon remarquable (insignis). On retrouve, à leur seul propos, les deux motifs que le poète a précédemment associés aux effets de l’amour chez les animaux. On a d’un côté une allusion à un cas de déchaînement de sauvagerie : les juments de Glaucus ont dévoré leur maître ; de l’autre une description du mouvement qui emporte les femelles en proie aux ardeurs amoureuses, sans trêve, au-delà des monts et des fleuves. Tout cela finit sur un passage assez curieux, où est évoquée la croyance en une fécondation par le vent des cavales, quand elles sont perchées sur les rochers face au Zéphyr, ce qui ferait ensuite couler de leur flanc un liquide (uirus) appelé hippomanes qui servirait aux magiciennes. La conclusion est tout aussi surprenante : Virgile donne comme un coup d’arrêt à cet excursus avec ces deux vers, dont le premier est devenu célèbre et dont le second – à propos du traitement de ce sujet – évoque, avec la métaphore du mouvement, un attachement sans fin aux détails sous l’effet d’un amor auquel il serait temps de mettre un terme : Sed fugit interea, fugit inreparabile tempus/ singula dum capti circumuectamur amore30.
32Passons maintenant aux élégiaques. Le mot uoluptas n’apparaît pas chez Tibulle ; on en trouve une occurrence chez Properce. Cela est bien mince : heureusement pour notre propos, il s’agit d’une occurrence extrêmement intéressante.
33Elle se situe dans le poème 10 de la monobiblos, qui est adressé à Gallus. Properce emploie le mot uoluptas pour dire le plaisir qu’il éprouve à se souvenir de la première nuit de Gallus avec sa bien-aimée, nuit dont le poète fut le témoin :
O iucunda quies, primo cum testis amori
affueram uestris conscius in lacrimis !
O noctem meminisse mihi iucunda uoluptas,
o quotiens uotis illa uocanda meis,
cum te complexa morientem, Galle, puella
uidimus et longa ducere uerba mora !31
34Laissons le côté scabreux de la situation pour nous intéresser à ses arrière-plans littéraires. La uoluptas en question est celle d’un souvenir, le souvenir d’une nuit d’amour, autrement dit, d’un plaisir érotique, mais celui qui en parle n’est pas l’un des protagonistes. On a un double déplacement du plaisir érotique à celui du souvenir, des partenaires à un témoin.
35Il n’est évidemment pas anodin que l’amant ait été Gallus. Si l’on en juge par les élégies 3, 13 et 3, 18 du Corpus Tibullianum, dont l’une ouvre et l’autre clôt le recueil qui rassemble les poésies de Sulpicia, l’évocation de la « nuit d’amour » fut un motif élégiaque. Le fait que deux des élégies de Properce adressées à Gallus développent ce motif, engage à supposer qu’il remonte au fondateur du genre.
36L’épigramme 3, 13 commence avec la révélation par Sulpicia elle-même de sa « première nuit d’amour » : la place prise par Properce est donc singulière. Je proposerai de voir dans son témoignage, non un vrai souvenir, mais un souvenir « littéraire », celui de la situation dans laquelle semble s’être mis Lucrèce lui-même, quand, au livre 4, il raconte à son lecteur ce qu’est la « première nuit d’amour »32. On a attribué à une expérience personnelle l’acuité du regard que le philosophe porte sur la rencontre des corps et l’échec de leur union : c’est parce qu’il aurait connu l’amour et ses souffrances que Lucrèce les a si précisément analysés. Il me semble qu’il y a une mise en scène de la proximité de ce regard dans le choix de la position du témoin que fait ici un poète qui revendique ensuite le rôle de praeceptor amoris.
37D’autant que la situation de spectateur des passions est évoquée par Lucrèce lui-même dans un passage de son poème où il recourt précisément à l’expression iucunda uoluptas33. Il s’agit du prooemium du livre 2, où le philosophe explique qu’il n’y a pas de iucunda uoluptas à voir quelqu’un être tourmenté, mais de la douceur à regarder les maux auxquels on échappe soi-même. Il entend par là les passions qui conduisent les hommes à errer sur les chemins de la vie. Cette situation de témoin non impliqué semble être la sienne, ce qui, je le rappelle, n’est peut-être pas le cas au livre 4.
38La iucunda uoluptas éprouvée par Properce, en revanche, n’est pas mise en relation avec un détachement de la situation qu’il a vue, puisqu’il l’a « appelée (mille fois) de ses vœux », et qu’après avoir évoqué l’union érotique de Gallus et de son amie, sur laquelle je reviendrai, il ajoute :
Sed quoniam non es ueritus concedere nobis,
accipe commissae munera laetitiae :
non solum uestros didici reticere dolores
est quiddam in nobis maius, amice, fide34.
39Il explique qu’il a le pouvoir d’œuvrer pour que de telles scènes d’amour aient lieu. Il est capable de réunir des amants séparés, de faire s’ouvrir la porte d’une maîtresse, de soigner des blessures récentes. On reconnaît là le programme d’un poète élégiaque, du moins pour ce qui est des deux premières proclamations. C’est ce à quoi vise le seruitium amoris.
40Arrêtons-nous sur la dernière affirmation : et possum alterius curas sanare recentis/ nec leuis in uerbis est medicina meis35. L’idée qu’il n’est pas de remède à l’amour est un motif gallien : medicina est probablement une citation, si l’on en juge par sa présence dans le discours attribué à Gallus dans la Bucolique 10 :… tamquam haec sit nostri medicina furoris !36, et dans un passage du livre 1 des Métamorphoses, où Ovide met la même conception dans la bouche d’Apollon37.
41Quand il affirme qu’il peut soigner des blessures récentes, Properce se sépare donc de Gallus et se rapproche de Lucrèce, qui explique dans le De rerum natura que le furor amoureux s’accroît inexorablement si non prima nouis conturbes uolnera plagis/ uolgiuagaque uagus Venere ante recentia cures38. Or d’où vient, dans le cas de Properce, cette compétence ? De Cynthie : Cynthia me docuit semper quaecumque petenda/ quaeque cauenda forent : non nihil egit Amor39.
42Cynthia est le premier mot de l’élégie liminaire de la monobiblos. Au-delà de la femme aimée, ce nom désigne une nouvelle expérience de l’amour élégiaque, que Properce déconseille à Gallus dès l’élégie 5, où il use également d’une mise en scène : il imagine que son ami veut devenir l’amant de Cynthie et qu’il échoue dans sa conquête.
43Dans l’élégie qui nous occupe, Properce se pose en praeceptor amoris. C’est Tibulle qui le premier – dans l’état actuel de nos connaissances – a fait, dans l’élégie 1, 4, du seruitium amoris un ars susceptible d’être enseigné40. Properce reprend cette perspective quand il s’adresse à Gallus : Cynthie lui a enseigné comment être efficace. A cet égard, on est loin de l’élégie 1, 1, où le poète avouait son impuissance après un an d’esclavage : in me tardus Amor non ullas cogitat artis41.
44En quoi consiste cet ars amandi ? Il porte exclusivement sur l’usage de la parole. En cas de mauvaise humeur de l’amie, il faut éviter aussi bien les paroles arrogantes qu’un silence prolongé ; si elle fait une demande, se garder de refuser de façon désagréable ou de faire des promesses sans intention de les tenir.
45Le texte finit sur un dernier conseil en forme de maxime : Is poterit felix una remanere puella/ qui numquam uacuo pectore liber erit42. Il y a tout lieu de supposer que ce n’était pas le cas de Gallus. Ce qui ressort aussi de l’élégie 1, 13, où Properce lui reproche de n’être qu’un séducteur : dum tibi deceptis augetur fama puellis/ certus…43. A cet égard, l’image que la monobiblos nous a transmise de Gallus est très éloignée du point de vue virgilien, qui le décrit comme l’esclave d’un unique amour. Properce et Virgile ont-ils chacun privilégié des textes différents dans les Amores et forcé le trait ? Cela est probable. Entre les deux, Tibulle témoigne, avec ses amours successives pour Délie, Lygdamus et Némésis, du fait que le furor élégiaque n’était pas synonyme d’unique amour. Sans doute Gallus évoquait-il, lui aussi, à côté de Lycoris, d’autres puellae et pueri dans les Amores44.
46Revenons en maintenant à cette première nuit d’amour, couronnement d’une passion qui avait commencé par des souffrances. Dans la description qu’il en donne, Properce prend ses distances non seulement avec Lucrèce, mais aussi avec Virgile. Il décrit une façon de mourir d’amour, très différente de celle qui est mise en scène dans la Bucolique 10 : elle a, en effet, pour contexte non l’abandon par une amante infidèle, mais une longue étreinte passionnée de la puella. La même scène est, de nouveau, évoquée dans l’élégie 13 :
Uidi ego te toto uinctum languescere collo
et flere inectis, Galle, diu manibus
et cupere optatis animam deponere uerbis45.
47Ces vers ont deux motifs en commun avec l’élégie 1, 10 : l’enlacement des corps : complexa… puella (10, 5), te toto uinctum… collo (13, 15), iniectis manibus (13, 16) et un alanguissement qui va jusqu’à la sensation ou au désir de mort : morientem (10, 5), languescere… et flere… et cupere… animam deponere (13, 15-18). Le contraste avec Lucrèce est saisissant : au livre 4 du De rerum natura, la folie et la fureur amoureuses se marquent par des pressions et des agressions, interprétées comme un désir secret et contradictoire d’arracher quelque chose aux membres de l’autre ou de faire intrusion à l’intérieur de lui avec son propre corps.
48Deux autres passages des élégies 10 et 13 peuvent être mis en parallèle en raison de leur structure similaire : non tamen a uestro potui secedere lusu :/ tantus in alternis uocibus ardor erat (10, 9-10) et Non ego complexus potui diducere uestros :/ tantus erat demens inter utrosque furor (13, 19-20). Du jeu des similitudes et des différences il résulte que se trouvent sur le même plan les étreintes inspirées par le furor et un comportement qualifié de lusus et glosé par alternae uoces. Ce qui revient à donner une égale importance à l’union des corps46 et à la parole, une parole qui n’existe pas dans les relations amoureuses décrites par Lucrèce, et qui est une parole « réciproque »47. Son apparition a été présentée, quelques vers plus haut, comme une suite à l’union érotique : longa ducere uerba mora (10, 6) ; l’adjectif alternis suggère une concordance des esprits, absente elle aussi de la vision décrite par Lucrèce.
49L’élégie 1, 10 est, on le voit, sous ses apparences légères, un texte ambitieux : Properce y rebat les cartes dont Virgile s’était servi. Il prend, en tant que praeceptor amoris, la place à la fois de Lucrèce et de Gallus, en identifiant dans le furor de l’acte érotique un moment de pur plaisir (y compris pour celui qui le regarde, s’en souvient ou en parle) et en redéfinissant les moyens d’y parvenir, le seruitium amoris48. Un autre poète, Ovide relèvera le même défi, de façon plus systématique puisqu’il y consacrera, avec son Ars amatoria, un recueil entier.
50C’est chez Ovide que l’on trouve le plus d’occurrences du mot uoluptas. J’analyserai seulement quelques-uns des textes où il apparaît. Le premier est l’Héroïde 18, une lettre écrite par Léandre, un amant déjà rencontré dans les Géorgiques et probablement originaire des Amores. Voici comment débute le récit des nages nocturnes qui permettaient au jeune homme d’aller retrouver Héro sur l’autre rive du Bosphore :
Nox erat incipiens (namque est meminisse uoluptas)
cum foribus patriis egrediebar amans49.
51Nox erat est un incipit chargé de mémoire poétique50, au moment où Ovide y recourt. La plus ancienne occurrence connue se trouve dans l’épode 15 d’Horace, où nox erat est au début du premier vers et a pour contexte la lumière de la lune et une déclaration d’amour mutuel faite au poète par une femme qu’il suspecte d’inconstance.
52Entre Horace et Ovide, on en rencontre trois exemples dans l’Enéide. Prenons-les l’un après l’autre. Nox erat est employé au vers 1, 147 : Nox erat et terris animalia somnus habebat51. Enée, qui était en proie à l’angoisse (curas, v. 153) voit alors en songe les Pénates phrygiens, qui lui délivrent un oracle rassurant d’Apollon. Au vers 4, 522 : Nox erat est suivi de et placidum carpebant fessa soporem/corpora per terras…52 et de plusieurs vers qui évoquent un sommeil et une paix universels, avec lesquels contraste le trouble de Didon, tourmentée par le prochain départ des Troyens. On retrouve, une dernière fois, cet incipit au vers 8, 26 : Nox erat et terras animalia fessa per omnis/ alituum pecudumque genus sopor altus habebat53. Comme dans les deux autres occurrences, le texte est construit sur une opposition entre ce nox erat, qui se continue par la mention d’un repos général, et l’image d’un héros, en proie à l’inquiétude (ici il s’agit, de nouveau, d’Enée, que le Tibre va rassurer en songe). Rien de tel chez Ovide, comme cela aurait pu être le cas, s’il avait suivi la version virgilienne d’un amant tourmenté par les curae d’un durus amor. La fréquence de l’incipit : nox erat dans la poésie élégiaque a fait supposer qu’il remontait aux Amores54 : l’hypothèse est séduisante d’autant que, chez Horace, nox erat a pour contexte une situation amoureuse. En l’absence des vers de Gallus, si vers il y a eu, il est malheureusement impossible de donner toute leur dimension aux trois usages qu’en fait Virgile, et par contrecoup, à la reprise ovidienne.
53La suite du vers : namque est meminisse uoluptas renvoie à Properce et fait surgir en surimposition le motif de la nuit d’amour, fin ultime des nages de Léandre. Des deux contextes que Virgile associe à nox erat : un repos universel et un personnage en proie à l’inquiétude, il ne reste ici que le premier. La paix est répandue partout, y compris sur les flots. La nuit n’est pas caeca : Luna fere tremulum praebebat lumen eunti/ ut comes in nostras officiosa uias55. Le fere est capital : la lune et les flots ont « presque toujours » été favorables au voyage nocturne de Léandre, « porté par les eaux qui lui cédaient le passage » (per mihi cedentes usque ferebar aquas, v. 76). Ovide s’attarde à décrire sa traversée dans de très beaux vers, qui font parfaitement comprendre pourquoi l’amant de Héro a du plaisir à s’en souvenir. Le poète évoque ensuite les heureux baisers des amants ; mais la nuit d’amour ne sera pas décrite :
Cetera nox et nos et turris conscia nouit
quodque mihi lumen per uada monstrat iter.
Non magis illius numerari gaudia noctis
Hellespontiaci quam maris alga potest56.
54Comme beaucoup de textes des élégiaques, ce passage des Héroïdes prend donc, contre Virgile, la défense de Gallus : s’il est effectivement un effet du furor, l’acte érotique est aussi placé sous le signe de la uoluptas. Dans la lettre suivante, Héro appelle Léandre : mea sola uoluptas (v. 18) et, contrairement à ce qu’imaginait Virgile, lui reproche de ne pas tout tenter pour la rejoindre.
55L’un des objets de l’Ars amatoria sera précisément d’expliquer comment il est possible de rendre cette uoluptas complète (plena ; 2, 727). Ce manuel de stratégie amoureuse enseigne où trouver une puella, comment la séduire et comment la garder. La première nuit n’en est qu’une étape. Ovide explique que l’acte érotique fait partir des techniques qui permettent d’adoucir une maîtresse irritée (2, 459-492). A ce propos, le poète renvoie aux premiers temps de l’humanité : blanda truces animos fertur mollisse uoluptas57. Il se sépare, clairement, de Lucrèce qui avait, on s’en souvient, attribué au mariage et aux enfants l’adoucissement de la sauvagerie primitive. Mais le rejoint, quand il évoque, à l’appui de l’idée que l’acte érotique est un effet de Venus et n’a nécessité aucun maître, le comportement des animaux. On retrouve, sans surprise, dans ce passage le sequitur lucrétien, qu’avait repris par Virgile. C’est à l’auteur du livre 3 des Géorgiques que fait référence le dernier exemple : celui de la jument, prise de folie (in furias ; 2, 487) et que les fleuves n’arrêtent pas quand elle est à la poursuite d’un étalon. Rien de négatif, notons-le, dans cet ensemble, ponctué de mots tels que quod amet (481), sua gaudia (481), laeta (à deux reprises dans le vers 485).
56Le livre 2 de l’Ars amatoria finit sur le motif de la nuit d’amour. Ovide affirme que sa Muse n’en sera pas le témoin : Ad thalami clausas, Musa, resiste fores58 ; mais donne néanmoins quelques conseils à propos de la uoluptas (car, dans ce domaine aussi, la natura a besoin de l’ars). Il ne faut pas chercher à hâter la venue du plaisir, qui s’accompagne – c’était le cas aussi dans l’élégie 1, 10 – de questus, d’amabile murmur, de dulces gemitus et d’apta uerba ioco59. La mora n’est pas liée à l’impossibilité de franchir la barrière des corps ; c’est une condition pour arriver à une uoluptas plena, qui est atteinte quand elle est partagée : Tum plena uoluptas, conclut-il, cum pariter uicti femina uirque iacent60.
57On pourrait en conclure qu’il n’y a pas, sur le sujet de la uoluptas amoureuse, de différence fondamentale entre Ovide et ses prédécesseurs élégiaques. En fait, l’ingenium dont il était si bien pourvu, n’a pas été sans effet sur ses analyses psychologiques. Ovide est le seul à observer que la uoluptas peut être liée non à un objet d’amour particulier, mais à des situations – qui sont, toutes, immorales. Premier cas : quand la femme est adultère et surveillée et que la peur est de la partie ; peu importe alors qu’elle soit belle ou non :
Ipse timor pretium corpore maius habet.
Indignere licet ; iuuat inconcessa uoluptas61.
58Cette remarque des Amores est reprise dans l’Ars amatoria, à propos de l’intérêt qu’il y a à créer des difficultés là où il n’en existe pas, en laissant croire à l’existence d’un rival ou simplement en suscitant des inquiétudes : quae uenit ex tuto, minus est accepta uoluptas62.
59Deuxième observation : la nouveauté ayant en soi des charmes (comme l’avait noté Lucrèce), on doit toujours tenter une conquête : sed cur falleris, cum sit noua grata uoluptas ?63
60Troisième cas de figure : on ne peut louer celle qu’on aime auprès d’un ami sans s’exposer à en faire un rival, car non seulement chacun ne pense qu’à son plaisir, mais celui-ci peut être accru par la douleur d’autrui
Nil nisi turpe iuuat : curae sua cuique uoluptas ;
haec quoque ab alterius grata dolore uenit64.
61Je conclurai sur l’existence d’une convergence paradoxale entre Ovide et Lucrèce à propos de l’amour. Au-delà des différences évidentes qui existent entre eux (et dont font partie ces arrière-plans troubles de la uoluptas), il y a un point où le poète élégiaque rejoint le philosophe : c’est le refus de l’amour-possession. Lucrèce condamne la passion pour un être unique, parce que celui qui s’y livre est à la fois mentalement pris par cet amour et dans l’acte érotique incapable de se fixer une finis habendi ; aussi ne peut-il éprouver une uoluptas pura.
62Le seruitium amoris, fondamental dans la conception gallienne du furor, d’un côté, est une façon de désigner l’aliénation qui résulte de cette situation ; de l’autre, a une visée dynamique qui est la conquête, donc la prise de possession de la domina (l’esclavage amoureux est utilisé, en effet, comme preuve de la force du sentiment ressenti et comme moyen de créer une réciprocité). L’Ars amatoria ne porte que sur ce second volet : c’est une série de variations sur le seruitium amoris, dont le but ultime est, en fait, la maîtrise du jeu érotique. Avec une perspective nouvelle : l’idée que l’amour n’a pas à être exclusif, mais simplement à donner l’impression qu’il l’est. Ce qui est fondamental, c’est l’usage et le contrôle des signes associés à l’état d’amoureux, et c’est à quoi visent les techniques proposées. Les liaisons peuvent, donc, être multiples, voire simultanées ; le dernier mot est à la uoluptas, et encore : à la femme insensible, Ovide conseille, dans la dernière page de son traité, de feindre le plaisir. Le texte finit sur une injonction : que les iuuenes et les puellae inscrivent sur leurs trophées : Naso magister erat ; ce qui est substantiellement différent des cris de désespoir que Properce imaginait sur sa tombe de poète des amours : ardoris nostri magne poeta, iaces (1, 7, 24).
63Il existe en outre, et c’est avec lui que je terminerai, un texte d’Ovide qui est extrêmement proche de celui que Lucrèce a écrit sur l’acte érotique. Sauf qu’il s’agit d’une fiction et du cas de figure où l’amour n’est pas partagé. C’est le récit d’une union consommée contre la volonté d’un des protagonistes : celle que la nymphe Salmacis a réussi à imposer au jeune Hermaphrodite. Le point de vue est celui du partenaire masculin, confronté brutalement à un désir d’une uoluptas (v. 327) qu’il ne partage pas. Le puer, sur lequel s’est élancé la nymphe, va vivre dans l’horreur ce qui est, selon le De rerum natura, le phantasme secret des amants : le passage de deux corps à un seul, effectué ici aussi à partir d’un combat :
Pugnantemque tenet luctantiaque oscula carpit
subiectaque manus inuitaque pectora tangit
et nunc hac iuueni, nunc circumfunditur illac65
64et qui aboutit à une forme hybride : … nam mixta duorum/ corpora iunguntur faciesque inducitur illis/ una… ; sic ubi complexu coierunt membra tenaci,/ nec duo sunt sed forma duplex...66. Il n’est, sans doute, pas anodin que ce texte ait été inspiré par l’élégie 1, 20 de Properce, un poème adressé nommément à Gallus67. La iunctura : oscula carpere, les expressions symétriques nunc hac… nunc illac, qui rappelle hunc super… hunc super, la comparaison avec le combat d’un aigle contre un serpent avec des mots semblables : pendens et alas rappellent la lutte que le jeune Hylas eut à soutenir contre les fils de Borée, Zétès et Calaïs, auxquels il échappa, sans savoir qu’il allait, peu après, être enlevé par les nymphes d’une source. Une scène qui ne sera pas racontée et qu’Ovide a décrite à la place de Properce.
Notes de bas de page
1 « De l’endroit où ils sont, bêtes sauvages, troupeaux bondissent à travers les riants pâturages et traversent à la nage les fleuves impétueux : ainsi, capturé par ton charme, chacun te suit, sous l’effet du désir, là où sans fin tu le conduis. Enfin, à travers les mers, les monts et les fleuves qui entraînent tout sur leur passage, les demeures couvertes de feuillages des oiseaux, les champs verdoyants, en infligeant aux cœurs de tous, les caresses de l’amour, tu fais en sorte que, sous l’effet du désir, espèce par espèce, ils propagent leurs races » (1, 14-20).
2 « Puisque (…) sans toi rien ne naît aux rivages divins de la lumière et que rien ne se fait de joyeux ou d’aimable, c’est ton aide que je recherche pour écrire des vers » (1, 21-24).
3 « Il se jette avec un mouvement en arrière sur ta poitrine (…) il repaît d’amour, bouche ouverte vers toi, ses regards avides ; renversé en arrière il a le souffle suspendu à tes lèvres » (1, 33-37).
4 Sur l’opposition, chez Lucrèce, entre deux formes de sexualité, voir M. Nussbaum, The Therapy of Desire, Princeton, 1994, p. 161-4.
5 « Ils ne savaient pas user entre eux de coutumes ou de lois » (5, 958-959).
6 « Et Vénus dans les bois joignait les corps des amants ; en effet ce qui associait chaque femme à un homme c’étaient soit un désir mutuel, soit la force violente de l’homme et une pulsion sexuelle pressante, soit le prix que constituaient des glands, des arbouses ou des poires choisis pour elle » (5, 962-965).
7 « Et que la femme unie à un mari passa sous la domination d’un seul homme » (5, 1012).
8 « et qu’ils se rendirent compte que des rejetons avaient été créés à partir d’eux » (5, 1013).
9 « Et Vénus diminua les forces et les enfants, par des caresses, brisèrent facilement le naturel hautain de leurs parents » (5, 1017-1018).
10 Voir J. Fabre-Serris, « Le De rerum natura et la poésie pastorale hellénistique. Sur le rôle joué par Lucrèce dans la réception de la poésie grecque », in Le jardin romain. Epicurisme et poésie à Rome, Mélanges offerts à M. Bollack, Lille, 2003, p. 235-46.
11 « En effet ce qui est à notre disposition, si auparavant nous ne connaissons rien de plus doux, nous plaît particulièrement et paraît avoir de la valeur ; mais ensuite, presque toujours, si l’on découvre quelque chose de meilleur, cela ruine et change nos sentiments à l’égard de tout ce qui l’a précédé » (5, 1412-1415).
12 « Donc le genre humain toujours se donne du mal sans profit et inutilement, et il consume sa vie dans de vains soucis, assurément parce qu’il ne connaît pas ce qu’est la limite de la possession et, de façon générale, le point jusqu’où croît la vraie volupté » (5, 1430-1434).
13 Voir R. D. Brown, Lucretius on Love and Sex. A Commentary on De rerum natura, IV, 1030-1287, with Prolegomena, Text and Tradition, Leiden, 1987.
14 « D’où est venu le coup qui l’a frappé, c’est là où il se dirige ; il brûle d’aller avec lui et de jeter dans ce corps le liquide tiré de son corps » (4, 1055-1056).
15 « Voici ce qu’est Vénus pour nous ; et de là vient ce à quoi nous donnons le nom d’amour » (4, 1058).
16 « En effet il n’est pas privé des jouissances de Venus celui qui évite l’amour, mais il en prend plutôt les avantages sans contrepartie négative » (4, 1073-1074).
17 « L’objet de leur quête, ils le pressent étroitement et ils font mal à son corps ; ils impriment souvent leurs dents sur les lèvres aimées et les meurtrissent de baisers, parce que leur plaisir n’est pas pur ; en dessous il y a des aiguillons qui les poussent à blesser cela même, quel qu’il soit, qui est à l’origine de ces germes de rage » (…). « Ils fixent avidement le corps, joignent les salives de leur bouche, font passer leur souffle en pressant sa bouche avec leurs dents ; en vain, puisque ils ne peuvent rien enlever de là, ni pénétrer et aller dans son corps avec tout leur corps » (4, 1079-1083 ; 1108-1111).
18 « Du sein de la source de tous ces agréments surgit quelque chose d’amer, qui au milieu même des fleurs prend à la gorge » (4, 1133-1134).
19 « En effet il en ressort que le plaisir est certes plus pur pour ceux qui restent sains que pour ces malheureux » (4, 1075-1076).
20 « Tu trouveras, si celui-ci te dédaigne, un autre Alexis » (v. 73).
21 « La lionne au regard farouche est à la recherche du loup ; le loup, lui, à celle de la chèvre ; la chèvre folâtre est à la recherche du cytise en fleurs ; c’est à la tienne qu’est Corydon, ô Alexis ; chacun est entraîné par son propre plaisir » (64-65).
22 J. Hubaux, Le réalisme dans les Bucoliques de Virgile, Paris, 1927, p. 134-5.
23 Pline, Hist. Nat. 8, 17. Solin, p. 121 (éd. Mommsen, Berlin, 1958).
24 « C’est la seule chose dont, plus nous la possédons, plus notre poitrine s’embrase d’un désir terrible. En effet les aliments et la boisson sont absorbés à l’intérieur de nos membres ; parce qu’ils peuvent occuper certaines parties du corps, il est facile de satisfaire le désir de boire et de manger. Mais du visage d’un être humain et de la beauté de son teint rien ne peut être donné pour qu’on en jouisse dans son corps, pauvre espoir que souvent le vent emporte » (4, 1089-1096).
25 Voir, sur ce passage, L. Landolfi, « Durus Amor. L’ecfrasi georgica sull’insania erotica », Civiltà classica e cristiana, 1985, p. 177-98 ; A. Traina, « Amor omnibus idem ». Contributi esegetici a Vergilio, Georg. 3, 209-283, B. Studi latini, 1999, p. 441-58.
26 « Aussi toute la race sur terre des hommes et des bêtes sauvages, la race des êtres de la mer, les troupeaux et les oiseaux aux plumages colorés se ruent dans de furieux et d’ardents transports : l’amour est la même chose pour tous » (3, 242-244).
27 « A aucun autre moment, la lionne, oubliant ses petits, erra plus cruelle dans la campagne » (3, 245-246).
28 « Malheur à moi ! Pourquoi, unis de cœur, sommes-nous séparés par les ondes et, quand une seule pensée nous possède tous deux, ce n’est pas une seule terre qui nous possède ? ».
29 « Nos deux terres sont séparées par cette onde brève ». Je renvoie à A. Barchiesi, qui développe d’autres arguments encore en faveur de cette hypothèse dans « Les Héroïdes doubles (16-21) » in Elégie et épopée dans la poésie ovidienne (Héroïdes et Amours), en hommage à Simone Viarre, Lille, 1999, p. 63-4.
30 « Mais il fuit cependant, il fuit, irréparablement, le temps, tandis que, pris par l’amour, nous sommes emportés vers une chose puis vers une autre » (3, 284-285).
31 « O repos délicieux quand, témoin de ton premier amour, j’étais là, complice de vos larmes ! O plaisir délicieux à me souvenir de cette nuit (ô de combien de vœux j’ai dû l’appeler), quand je t’ai vu, Gallus, mourir au moment où ton amie t’enlaçait et finir par parler après un long moment » (1, 10, 1-6).
32 Sur le fait que le terme memini puisse non pas correspondre à une expérience, mais renvoyer à un souvenir littéraire, voir G. Conte (Memoria dei poeti e sistema letterario, Torino, 1985, p. 38-40) et R. Thomas (« The Old Man Revisited : Virgil., Georg. 4, 116-148 », M. D. (1992), note 34, p. 46). R. Thomas évoque le meminisse propertien en citant l’interprétation suggérée par D. O. Ross, qui y voyait une allusion à un texte de Gallus (Backgrounds to Augustan Poetry : Gallus elegy and Rome, p. 83). Je crois que les deux renvois ne s’excluent pas : Properce peut à la fois faire allusion à une poésie de Gallus sur une nuit d’amour et renvoyer à la position de spectateur prise par Lucrèce.
33 Pour une interprétation différente du renvoi à Lucrèce, voir P. J. Arnold, « A note on Propertius 1, 10, 3 : jucunda uoluptas », C. Q. (1997), p. 597-8.
34 « Mais puisque tu n’as pas craint de me la concéder, reçois ce cadeau en retour de la joie que tu m’a permis d’éprouver. Non seulement j’ai appris à taire vos douleurs ; mais il y a en moi quelque chose de plus grand, mon ami, que la loyauté » (1, 10, 11-14).
35 « Je peux aussi soigner les tourments amoureux d’autrui quand ils sont récents, ce n’est pas une légère médecine qui est dans mes paroles » (1, 10, 17-18).
36 « Comme si c’était là un remède à notre fureur ! » (10, 60).
37 Inuentum medicina meum est… Ei mihi, quod nullis amor est sanabilis herbis : « La médecine est mon invention… Hélas pour moi : aucun amour ne peut être guéri par des plantes » (Mét. 1, 521 ; 523). Le même motif est repris dans l’épisode des amours du dieu avec Hyacinthe ; Nil prosunt artes ; erat inmedicabile uulnus : « son art ne sert à rien : la blessure était inguérissable » (Mét. 10, 188).
38 « Si tu ne brouilles pas tes premières blessures par de nouveaux coups et si tu ne les soignes quand elles sont récentes en portant ailleurs tes pas sous l’effet d’une Vénus vagabonde » (4, 1070-1071).
39 « C’est Cynthie qui m’a appris tout ce qu’il faut toujours chercher à obtenir et tout ce dont il faut se garder : il n’est pas vrai que l’Amour n’arrive à rien » (10, 19-20).
40 Voir J. Fabre-Serris, « Tibulle 1, 4 : l’élégie et la tradition poétique du discours didactique », Dictynna, 1, p. 29-43.
41 « A mon égard, lent d’esprit, l’Amour n’a dans l’esprit aucune technique » (1, 1, 17).
42 « Il pourra rester heureux avec une amie unique celui qui jamais ne sera libre le cœur vide d’amour » (1, 10, 29-30).
43 « Tu étais sûr de toi tandis que tu augmentais ta réputation à coup de filles trompées » (1, 13, 5-6).
44 L’élégie 1, 20, de Properce, adressée à Gallus, évoque précisément son amour pour un puer.
45 « Moi je t’ai vu le cou complètement enlacé languir et pleurer les mains jetées autour d’elle et désirer – c’est le souhait qu’exprimaient tes paroles – laisser aller ton âme » (15-17).
46 Cette union est, de nouveau, évoquée dans les élégies 2, 14 et 2, 15, qui évoquent des nuits d’amour. Dans les deux textes, l’amant évoque comme référent à sa félicité l’état divin (2, 14, 9-10 et 2, 15, 39-40), une comparaison qui donne à la conception épicurienne de l’existence des dieux un correspondant inattendu.
47 Certains critiques ont proposé de considérer ces alternae uoces comme une allusion à une pratique gallienne du chant amébée, une interprétation séduisante, qui ne me semble pas incompatible avec l’analyse que je propose (voir J. O’Hara, « The new Gallus and the alternae uoces of Propertius », C. Q. (1989), p. 561-2 ; A. Sharrock, « Alternae uoces. again », C. Q. (1990), p. 570-1). Je ne suis pas convaincue, en revanche, par le commentaire que M. Pincus fait de l’élégie 1, 10 dans « Propertius’s Gallus and the Erotics of Influence », Arethusa (2004), p. 165-96.
48 Evidemment la nuit d’amour n’engage pas la suite de la liaison. Le poète élégiaque déplore périodiquement l’inconstance et l’infidélité de la femme aimée, inhérente à la pratique d’un genre qui suppose l’alternance des réussites et des échecs.
49 « La nuit était dans son commencement (c’est en effet un plaisir que de s’en souvenir) quand je franchissais sous l’effet de l’amour les portes paternelles » (18, 55-56).
50 Voir P. Ovidii Nasonis, Heroidum epistulae XVIII-XIX, Leander Heroni, Hero Leandri, a cura di Gianpiero Rosati, Firenze, 1996, p. 77-8.
51 « C’était la nuit et sur la terre le sommeil possédait les êtres vivants ».
52 « C’était la nuit et sur l’étendue de la terre les corps fatigués goûtaient un paisible sommeil ».
53 « C’était la nuit et sur l’étendue de toute la terre les êtres vivants fatigués, la race des oiseaux et des troupeaux étaient possédés par un profond sommeil ».
54 Voir H. Tränkle, Die Sprachkunst des Properz und die Tradition der lateinischen Dichtersprache, 1960, Wiesbaden, p. 24.
55 « La lune d’ordinaire m’offrait, quand je partais, une lumière tremblante, comme une compagne obligeante le long de ma route » (18, 59-60).
56 « Le reste est connu de la nuit, de nous, de la tour qui est notre complice, et de la lumière qui me montre le chemin à travers les flots. Il n’est pas davantage possible d’énumérer les joies de cette nuit que les algues des eaux de l’Hellespont » (18, 105-108).
57 « Le plaisir et ses caresses, dit-on, adoucirent ces esprits farouches » (2, 477).
58 « Aux portes closes de la chambre arrête-toi, ma Muse » (2, 704).
59 « Plaintes, murmure qui suscite l’amour, gémissements, paroles adaptées au jeu érotique » (2, 723-724).
60 « La plénitude du plaisir est atteinte quand, vaincus également, la femme et l’homme gisent allongés » (2, 727-728).
61 « C’est la peur en elle-même qui lui donne un prix plus grand que son corps. On peut s’en indigner : une volupté interdite plaît » (Am. 3, 4, 30-31).
62 « Quand la situation est sûre, la volupté qu’on en retire est moindre » (Ars. 3, 603).
63 « Mais pourquoi échouerais-tu, quand on trouve des charmes à une volupté nouvelle ? » (Ars. 1, 347).
64 « Rien ne plaît que ce qui est honteux : chacun se soucie de son propre plaisir ; souvent ce plaisir provient non sans charmes de la douleur d’autrui » (Ars. 1, 747-48).
65 « Tandis qu’il se débat, elle le tient et lui arrache des baisers de haute lutte, en jetant par-dessous sa main elle touche, malgré lui, sa poitrine et elle enlace le jeune homme tantôt par ici, tantôt par là » (Mét. 4, 358-360).
66 « En effet les corps mêlés des deux sont réunis et une seul aspect les recouvre…, depuis que leurs membres se sont rapprochés dans un embrassement tenace, ils ne sont plus deux, mais une forme double... » (4, 373-374 ; 377-378).
67 Voir J. Fabre-Serris, « Jeux de modèle dans l’alexandrinisme romain : les hommages à Gallus dans la Bucolique X et l’élégie I, 20 de Properce et ses échos galliens », REL (1996), p. 124-37.
Auteur
Université Charles-de-Gaulle/Lille 3
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le visage qui apparaît dans le disque de la lune
De facie quae in orbe lunae apparet
Alain Lernould (dir.)
2013
Commenter et philosopher à la Renaissance
Tradition universitaire, tradition humaniste
Laurence Boulègue (dir.)
2014
Diego Lanza, lecteur des œuvres de l'Antiquité
Poésie, philosophie, histoire de la philologie
Rossella Saetta Cottone et Philippe Rousseau (dir.)
2013
Figures tragiques du savoir
Les dangers de la connaissance dans les tragédies grecques et leur postérité
Hélène Vial et Anne de Cremoux (dir.)
2015
La représentation du « couple » Virgile-Ovide dans la tradition culturelle de l'Antiquité à nos jours
Séverine Clément-Tarantino et Florence Klein (dir.)
2015
Hédonismes
Penser et dire le plaisir dans l'Antiquité et à la Renaissance
Laurence Boulègue et Carlos Lévy (dir.)
2007
De l’Art poétique à l’Épître aux Pisons d’Horace
Pour une redéfinition du statut de l’œuvre
Robin Glinatsis
2018
Qu'est-ce que la philosophie présocratique ?
What is presocratic philosophy ?
André Laks et Claire Louguet (dir.)
2002